Le bûcher

La foule hurle. Les paysans ont des visages de déments, qui se déforment à chaque fois qu'ils crient « A mort ! » en chœur. Ils bavent presque de rage, leurs poings brandis en direction du parvis de l'église désignent une femme aux mains liées.

Cette dernière arbore un sourire forcé, plein de la dignité qu'il lui reste. Ses yeux sombres parcourent l'assemblée, semblant chercher quelqu'un. Elle n'est pas vraiment belle, mais une impression de puissance se dégage de tout son corps. Elle se tient droite, ignorant la douleur des coups dont elle a été la victime pendant son séjour en prison.

Un prêtre se tient à sa gauche. Il est mal à l'aise et jette de fréquents coups d'œil désolés à la condamnée.

Après quelques minutes, on conduit la femme vers le bûcher. Elle se laisse faire, étouffe un cri lorsque le bourreau sert le nœud autour de ses poignets et lui lance un regard venimeux. L'homme l'ignore, se croyant à l'abri derrière son masque, et se retire. Le prêtre avance à son tour.

-Repentez-vous pendant qu'il en est encore temps, femme, dit-il d'une voix douce et mal assurée.

La femme ouvre la bouche, puis la referme. Elle jette un regard triste à la foule hurlante.

-Croyez-vous qu'ils valent mieux que moi ? répond-elle. Ils sont avides de mon sang, n'attendent que le moment où je hurlerai lorsque les flammes attaqueront mes pieds. Et qu'ai-je fait pour mériter ça ? J'ai utilisé les dons qui m'ont été accordés alors que je n'étais qu'une enfant pour améliorer ma vie. Si elles ne craignaient pas d'être accusées à leur tour, certaines personnes confirmeraient que je n'ai jamais fait de mal à quiconque. J'ai toujours été bonne chrétienne… j'ai assisté aux messes, donné aux pauvres et prié chaque jour que Dieu fait.

La foule ne l'écoute même pas. Elle n'attend que l'issue finale de cette exécution. Le prêtre se penche vers la condamnée.

-Je suis sincèrement désolé, mais l'Inquisition ne peut être contredite. Si ça ne tenait qu'à moi, vous n'auriez même pas été arrêtée.

-M'aideriez-vous à partir, si cela était possible ? demande la femme, pleine d'un espoir soudain.

-Je… je ne sais pas, répond le prêtre en secouant la tête.

-Dites juste oui, pour me réconforter, insiste la prisonnière.

Le prêtre hésite. N'y aurait-il pas anguille sous roche ? Il connaît cette femme, sait qu'elle n'est pas vraiment normale, mais ne peut se résoudre à la laisser dans le désespoir.

-Oui.

La femme sourit et baisse la tête. L'exécution peut commencer. Un homme arrive avec une torche et allume le feu. L'embrasement commence. La foule se calme, attendant les cris de la mourante. Etonnamment, elle ne dit rien, reste obstinément tête baissée. Pas un son ne sort de sa gorge. Plus loin, le prêtre vacille.

-Ca va, mon père ? lui demande un homme à côté de lui.

-Oui, oui, juste un petit malaise, rien de plus.

Et l'ecclésiastique s'éloigne en direction de son église d'un pas chancelant.