Chapitre 1 :

Lily Evans remontait l'allée menant au manoir de son père au volant de sa voiture de sport rouge. Elle ne savait pas pourquoi celui-ci lui avait demandé de venir mais, connaissant son géniteur, cela ne présageait rien de bon pour elle.

En effet, depuis la mort de sa femme, Elliot Evans s'était réfugié dans le travail, délaissant sa fille unique pour oublier sa douleur. Elle avait passé toute sa scolarité en pensionnat, ne revenant que pour les fêtes et les vacances d'été mais, même durant ces moments là, son père était absent et Lily lui en voulait pour ça.

Elle se gara devant l'escalier où se trouvait une grande porte en chêne massif. Elle entra dans la demeure et marcha jusqu'au bureau de son père.

- Entrez, répondit une voix grave après qu'elle ait frappée à la porte.

- Bonsoir père, fit-elle après être entré dans le bureau.

- Ma petite Lily, je suis content que tu sois venu, fit son père en la serrant dans ses bras.

- D'après ce que j'ai compris, je n'avais pas vraiment le choix, répondit-elle en desserrant l'étreinte de son père.

- Tout de suite les grands mots, rigola son père.

Ça c'est toi qui le dit, pensa la jeune fille.

Les yeux de Lily firent le tour de la pièce. C'est alors que son regard se posa sur un homme qui se tenait debout devant le bureau de son père. A première vue, rien ne le différenciait des collaborateurs de son père, impeccable dans un costume gris clair, de la prestance, de l'autorité, il était peut-être juste plus athlétique que la moyenne et plus jeune aussi. Il ne semblait pas avoir bougé depuis qu'elle était entrée dans le bureau, regardant l'échange entre elle et son père et, bizarrement, Lily sentait que c'était à cause de cet homme qu'elle était ici ce soir.

Comment le savait-elle ? Peut-être le décalage entre l'air sophistiqué que lui donnait son élégant costume et la force brute qui émanait de lui. On devinait tout de suite l'homme d'action, même s'il était nonchalamment appuyé sur le coin du bureau, il donnait l'impression d'être prêt à intervenir à tout moment.

Son visage était neutre, manquant cruellement d'expressions, comme s'il cherchait à ne rien laisser paraître. Un homme de ce genre éprouvait-il quoi que ce soit d'ailleurs ? Non, décidemment, cet homme ne faisait pas partit de l'univers d'Elliot Evans.

- Lily, cet homme travaille pour le gouvernement…

Cet homme n'avait certainement pas l'attitude d'un fonctionnaire ou d'un politicien. Un fonctionnaire se serait empressé auprès d'elle tandis qu'un politicien lui aurait au moins sourit. Lui, se contentait de la fixer froidement.

- Il est chargé de la sécurité au MI5, continua son père avec une pointe d'admiration dans la voix.

- En quoi suis-je concernée ? demanda-t-elle de sa voix la plus détachée.

Le regard de l'homme se fit plus brillant mais retrouva vite sa froideur.

- Chérie, j'ai reçu des lettres anonymes…des lettres de menaces. Tu sais qu'en ce moment, nous travaillons sur un projet très important pour le gouvernement et ces lettres pourraient émaner d'un groupe terroriste. Nous avons besoin d'être protégés.

- Nous ? C'est-à-dire ?

- Toi, moi. Tu serais une cible parfaite. A travers toi, on m'atteint moi, le projet et le gouvernement.

Lily était sceptique. Elle pensait plutôt à une machination de la part de son père. Il avait très mal supporté son départ de la maison familiale il y a deux ans et, depuis, il tentait de reprendre le contrôle de sa vie, ce qu'elle ne voulait absolument pas. En fait, elle aurait dû s'y attendre, après leur dernier conflit, elle avait catégoriquement refusée de lui donner sa nouvelle adresse et il l'avait trop bien accepté pour que ça ne paraisse pas louche aux yeux de la jeune femme.

- Je veux voir ces lettres, dit-elle en s'adressant à son père.

-Ce n'est pas nécessaire ma chérie. Elles sont aussi inquiétantes que vulgaires. C'est pourquoi tu seras suivie et protégée jour et nuit et ce jusqu'à nouvel ordre.

Lily l'avait sentit gros comme une maison. Depuis le début elle savait que ses soupçons étaient justifiés mais s'il croyait qu'elle allait se soumettre, il peut se mettre le doigt dans l'œil jusqu'au coude et même qu'avec un peu de chance il pourra se gratter les fesses avec !

- Si tu crois que je vais laisser ce "Superman de pacotille" me suivre, tu te trompes lourdement !

Le visage de "Superman" resta de marbre à cette réflexion.

- Lily…

- Non il n'y a pas Lily qui tienne. C'est encore un de tes subterfuges pour t'immiscer dans ma vie. Tu cherchais un moyen de reprendre le contrôle de ma vie depuis que j'ai quittée cet appartement qu'en une nuit tu avais transformé en bunker !

- Mais c'était pour ton bien Lily !

- Des panneaux d'acier à chacune de mes fenêtres, un vigile à l'entrée et une surveillance téléphonique pour mon bien ? Je veux mener une vie normale même si ça te déplait et si tu y veux toujours une place, tu as intérêt à arrêter tes manigances !

- Ce ne sont pas des manigances !

- Je veux vivre comme tout le monde, tu peux essayer de comprendre ça ?

- Tu es une Evans, Lily ! Les membres de notre famille ne vivent pas normalement !

- S'il vous plait…

D'une voix ennuyée, "Superman" venait de la couper et la regardait maintenant droit dans les yeux.

-Sur ma feuille d'instructions j'ai votre nom mademoiselle Evans. Vous pouvez vous disputer avec votre père jusqu'à demain matin si ça vous chante mais, à moins que mon patron ne change d'avis, ce qui m'étonnerait fortement, vous êtes sous ma surveillance pour un petit moment.

- Tu vois ma chérie !

Son père eut même l'audace de laisser échapper un petit rire satisfait. Il n'avait peut être pas monté cette histoire de toutes pièces mais il pourrait enfin passer la bride au cou de sa petite fille rebelle.

- C'est une honte d'utiliser l'argent des contribuables pour de telles broutilles, dit-elle d'une voix sèche. Je ne veux pas d'un garde du corps !

Qu'espérait-elle ? Que l'homme aurait réagi à cette réplique ? Si c'était le cas, elle s'était bien tromper. Son visage conservait toujours cette expression de neutralité.

- Si vous avez des plaintes ou des suggestions à formuler mademoiselle Evans, vous pouvez toujours en faire part au premier ministre, fit-il avec ironie.

L'antipathie qu'éprouvait Lily à son égard menaçait de se transformer en haine absolue. Elle tourna les talons et, sans un regard pour son père, sortit de la pièce.

- Suivez-moi ! lança-t-elle à "Superman" avec un claquement de doigts.

Cette sortie lui procura l'indicible plaisir de voir ses lèvres se serrer dédaigneusement et un éclair passer dans ses yeux noisette si froids. Il restait donc un peu quelques traces d'humanité chez cet homme. Pas forcément les meilleures, mais il ne fallait pas trop en demander quand même !

Elle traversait le hall quand "Superman" posa sa main sur l'épaule de la jeune femme pour la faire pivoter sur elle-même.

- Ne me touchez pas ! dit-elle sèchement.

Il ne retira pas sa main, comme s'il voulait lui montrer qu'au jeu de l'autorité, il avait également des atouts. Un étrange malaise s'empara de Lily tandis qu'il l'observait avec tant d'attention qu'elle se sentit captive de son regard. Il enleva la main de son épaule.

- Que les choses soient bien claires entre nous, commença-t-il calmement, on m'a confié une mission et j'ai l'intention de la mener à bien. Je crois que ce serait beaucoup plus facile pour nous deux si vous acceptiez de coopérer.

- Je suis sûre et certaine que vous vous débrouillerez très bien sans mon aide. Et puisque vous tenez à ce que les choses soient claires, n'utiliser plus jamais l'ironie avec moi, je déteste qu'on me manque de respect.

- J'espérais qu'une note d'humour aurait pu dédramatiser la situation mais il semble que je me sois trompé. Quant à vous, mademoiselle Evans, évitez de me traiter comme un petit chien à l'avenir.

Lily se raidit, bien déterminée à ne pas se laisser impressionner.

- Je n'ai pas d'ordres à recevoir de vous ! Votre présence me gâche suffisamment la vie pour que je n'ai pas en plus à ménager votre sensibilité !

- Alors, je suis tenu à la plus absolu correction, tandis que vous, vous avez le droit de me traiter comme bon vous semble ?

Le comportement de Lily ressemblait fortement à celui d'une petite fille gâtée, un de ces femmes riches et méprisantes qui ne respectaient qu'elles-mêmes, c'était ce qu'il devait penser d'elle à cet instant mais, en réalité, ce n'était qu'une façade. Cependant, Lily n'avait pas l'intention de le détromper.

- C'est vous qui travaillez pour moi, dit-elle en haussant les épaules avec indifférence.

- Certes, mademoiselle Evans, mais c'est à vous de ne pas me rendre la tâche difficile. Et je sais que vous ferez de votre mieux.

Son insupportable assurance porta à son comble l'exaspération de Lily.

- Vous ne pouvez pas me forcer !

Il la dominait de sa haute taille, de sa puissance d'homme, et sous son regard glacial, Lily éprouvait un sentiment de vulnérabilité. Il jouait de sa supériorité physique, lui imposait, sans rien dire, l'idée de sa brutalité potentielle. Elle le toisa avec tout le dédain dont elle était capable.

- Lever la main une seule fois sur moi et je vous fais virer sur le champ !

- Désolé de vous décevoir, mais je ne peux pas être renvoyé du poste que j'occupe. Quant à lever la main sur vous… je crains que dans votre cas, les fessées ne servent plus à rien, hélas. De toute façon, ce n'est pas en brutalisant les femmes que je résous mes problèmes avec elles. Surtout avec les femmes difficiles…

Lily ouvrit de grands yeux horrifiés.

- Que je déteste la suffisance masculine ! s'exclama-t-elle avec colère. Cette façon de se vanter de ses prouesses me dégoûte ! Je vous préviens si vous essayez de m'embrasser, vous vous en repentirez !

Son rire moqueur donna à Lily l'envie de disparaître sous terre.

- Mais qui vous parle de vous embrasser ?

- Vous venez de dire que vous ne régliez pas vos problèmes avec les femmes en les brutalisant !

- De là à en conclure que j'y parviens en les embrassant, il y a une marge !

- Alors, comment vous y prenez-vous ?

- Si vous choisissez de me compliquer la vie, vous le saurez bien assez tôt, répondit-il. Mais vous ne me la compliquerez pas.

- Je vous trouve bien sûr de vous !

- Ecoutez mademoiselle Evans, je n'ai pas plus le choix que vous dans cette histoire ! Alors finissons cette discussion stérile, je vous en prie !

L'antipathie de Lily grandit encore un peu. Elle avait trop lutté pour réussir à mener une existence normale et ne pouvait accepter ce retour à la contrainte avec le sourire.

Elle comprit cependant qu'en laissant apparaître son hostilité, elle rendrait "Superman" encore plus vigilant. Elle devait se débarrasser de lui et pour cela, il fallait endormir sa méfiance.

- Vous avez raison, dit-elle avec un soupir.

Cette soudaine soumission ne l'abusa pas, à en juger par son froncement de sourcils. Autre leçon à retenir : endormir sa méfiance était une chose, mais il ne fallait jamais, jamais, le prendre pour un imbécile. Il possédait une trop grande finesse.

- Rappelez-moi votre nom ? demanda-t-elle.

- Je ne vous l'avais pas donné. Potter.

- C'est votre prénom ?

- Mon nom de famille.

- Vous n'avez pas de prénom ?

La jeune femme atténuait progressivement la note agressive de sa voix. En douceur, elle endosserait le rôle que son père aimait tant la voir jouer : celui d'une femme du monde, pour qui séduire et briller représente l'unique ambition.

- Si j'en ai un.

Piquée au vif par sa concision, Lily dut faire un gros effort pour ne pas perdre son calme.

- Et… vous arrive-t-il de sourire ?

- Oui.

Mais il resta de glace.

- Eh bien, murmura-t-elle, on ne va pas s'amuser !

- Pour ça, non.

Cette froide observation la blessa. La véritable Lily, douce, aimante, sensible, supportait mal qu'on ne l'apprécie pas, même s'il s'agissait paradoxalement de son pire ennemi !

- Puisque nous sommes condamnés à nous supporter quelques temps, autant faire un effort pour rendre les choses agréables, non ?

- Vous changez bien vite d'avis, mademoiselle Evans ! Mais il ne s'agit pas d'agrément, je ne suis pas payé pour vous amuser, même si je ne suis pour vous qu'un "Superman de pacotille".

- Désolée de vous avoir froisser, monsieur Potter.

- Ne vous désolez pas. Seuls les gens à qui l'on tient peuvent nous froisser.

Nouveau coup au cœur. Etrange, tout de même, cette sensibilité stupide au jugement d'un homme qu'elle détestait ! Car elle le détestait profondément, pour une fois dans sa vie, le verbe haïr prenait tout son sens.

- Vous êtes prêt à risquer votre vie pour protéger quelqu'un qui vous est complètement indifférent ?

- Bien sûr, c'est même le seul état d'esprit valable pour être efficace dans ce métier.

Elle aurait aussi bien pu être un sac de pommes de terre !

Il avait enfin cessé de la fixer et son regard perçant observait à présent le hall du manoir.

- Maintenant, j'aimerais que vous me fassiez visiter le domaine. J'ai besoin d'en connaître chaque recoin. Et puis je vous poserai quelques questions sur votre emploi du temps et sur les gens qui vous entourent. Ensuite, je ferai de mon mieux pour me fondre dans le décor. La plupart du temps, vous ne vous apercevrez même pas de ma présence.

Lily jeta un coup d'œil dubitatif à la carrure d'athlète, au visage volontaire et troublant de son ange gardien. Un homme de ce genre pouvait-il passer inaperçu ? Elle n'était pourtant pas décidée à lui faciliter les choses, sans montrer de mauvaise volonté bien sûr !

- Cette visite pourrait-elle attendre ? Sinon demandez à un des domestiques. J'ai une migraine affreuse et j'aimerais me reposer un moment.

Il acquiesça d'un signe de tête et Lily respira plus librement. Cette fois, elle avait gagné !

- Je vous accompagne à votre chambre.

« Chaque médaille à son revers ! » songea-t-elle, fataliste, en le guidant à travers les couloirs et escaliers jusqu'à la chambre qu'elle occupait lors de ses séjours chez son père.

- C'est moi qui entre d'abord, déclara-t-il.

Il posa la main sur celle de Lily et ce contact lui fit l'effet d'une décharge électrique. La surprise de la jeune femme fut telle qu'elle en oublia de protester.

- Alors, pas de sorcières ou de loups-garous ? demanda-t-elle moqueuse.

Il ne prit pas la peine de répondre. Du regard, il fit un premier tour d'inspection, tandis que Lily se raidissait à côté de lui. Elle détestait sentir ses yeux inquisiteurs fouiller son univers. Avait-il vraiment besoin de voir son vieil ours en peluche rose ou bien la pile de romans posée sur sa table de chevet ? C'était comme s'il la déshabillait !

Mais il ne s'attarda pas sur ces détails, tout de suite, il s'occupa des diverses ouvertures de la pièce. A commencer par les portes-fenêtres qui donnaient sur le balcon, dont il étudia un moment le système de fermeture, puis ce fut le tour de fenêtre.

- Vous laisserez tout cela soigneusement fermé.

- Et si j'ai besoin d'air ?

Pourquoi fallait-il toujours qu'elle le contredise ? Ce n'était pas ainsi qu'elle arriverait à l'amadouer, l'expression excédée de son visage le disait assez !

- Si vous avez besoin d'air, prévenez-moi. J'installerai quelqu'un sous vos fenêtres.

Ce fut plus qu'elle ne put supporter. Il malmenait son besoin d'indépendance et elle préférait renoncer au plaisir de respirer les senteurs du soir ou de l'aube plutôt que d'imaginer un vigile sous ses fenêtres.

- Ce ne sera pas utile, je voulais juste savoir.

Il tourna les talons, prêt à quitter la chambre. Mais soudain, alors qu'elle se détendait enfin à l'idée de le voir disparaître, il se ravisa et revint vers elle.

- Si, dans un moment de folie, je décidais de vous embrasser, mademoiselle Evans, je crois bien que, malgré ce que vous en dites, je n'aurais pas à m'en repentir.

Sur ces paroles prophétiques, il sortit pour de bon.

Lily resta un moment interloqué. Quel toupet ! Voilà qui méritait une revanche immédiate ! Sur la pointe des pieds, elle traversa sa chambre, pour s'arrêter devant la porte-fenêtre de son balcon. Avec des précautions de cambrioleur, elle tourna la poignée et sortit. En bas, dans le jardin, il n'y avait personne. Avec un rire de joyeuse excitation, elle enjamba la balustrade, enroula les jambes autour du pilier qui soutenait le balcon, et se laissa glisser jusqu'au sol. C'était depuis son enfance le moyen qu'elle préférait pour aller dans le jardin.

Et voilà ! Il ne fallait jamais laisser aux hommes l'illusion qu'ils étaient les plus forts. Cette petite leçon servirait à l'arrogant Potter !