Seconde partie

A la poursuite du remède en fuite

Il était parvenu à s'extirper du lit, ou plutôt de cette emprise possessive sans heurs, à enfiler ses vêtements sans s'empêtrer les membres, à ne pas glisser sur les papiers glacés éparpillés sur le parquet, et à descendre les marches sans en faire grincer une seule.

Comment avait-il pu oublier la vieille harpie qui, dès qu'il eut mis un pied dans le hall, s'époumona, réclamant que son fils soit pendu haut et court ?

Severus eut tout juste le temps d'actionner la poignée avant que l'autre ne cria son nom du haut des escaliers.

La seconde d'après, l'ouverture ne laissait plus apparaître que les pavés humides et les chênes centenaires de Grimmauld Place.

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Lorsqu'il se retrouva chez lui – au calme – il alla s'affaler dans le petit fauteuil aux accoudoirs tannés par des années d'intense réflexion.

Il fixa la bouteille vide posée sur la table basse comme s'il attendait qu'elle agisse sur lui comme un hypnotique. Son regard dériva sur le parchemin froissé dont la course vers la cheminée, avait miraculeusement été déviée quelques heures auparavant.

Il soupira bruyamment et appela un nouveau contenant de Whisky. Il fallait qu'il arrête l'alcool. Les évènements récents le confortaient dans cette résolution. Mais ce serait pour plus tard.

Alors qu'il sirotait son verre, calé au fond de son fauteuil, ses yeux se posèrent à nouveau sur le papier froissé ; lettre mainte et mainte fois relue.

Une vague de rancœur, de dégoût et de honte le submergea et son regard passa de la bouteille vide au parchemin. Du parchemin à la bouteille vide. De la bouteille vide…

Comment deux si petites choses, au premier abord insignifiantes, pouvaient-elles être responsables d'un tel chaos ?

La boule de papier s'enflamma, animant le regard du Serpentard d'une étrange lueur.

C'était cette chose la cause de ce carnage. C'était son auteur le responsable de ce gâchis.

Il s'enfonça dans le vieux fauteuil, plissant les yeux très fort, essayant vainement de chasser de son esprit les images et les actes de la nuit passée. Refoulant les souvenirs, les sensations, les odeurs, les gestes. Rejetant toutes explications, plus rationnelles, plus logiques que le simple désespoir, susceptibles de justifier ces instants d'égarement.

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Lorsque l'on frappa à sa porte, il était toujours calé dans le vieux meuble.

Il s'en extirpa avec peine, tel un vieillard gâteux, et se dirigea d'un pas lourd vers l'entrée.

Ses mâchoires s'entrechoquèrent et son regard se durcit alors que se révélait l'identité du visiteur.

« Qu'est-ce que tu fiches ici ? » demanda-t-il sèchement.

Il n'aurait su dire avec certitude si l'homme face à lui, arborait une expression blessée, blasée ou haineuse. Peut-être était-ce un savant mélange des trois. Une lutte intérieure entre la fierté, la raison et une certaine rivalité patente.

« Il faut qu'on parle » assura Sirius avec un calme inquiétant.

« Je ne crois pas, non. » trancha Severus avant de claquer la porte.

Il n'avait pas atteint son fauteuil que les coups résonnèrent de nouveau. Avec plus de hargne cette fois.

« Ouvre, Snape ! Laisse-moi entrer au moins ! Qu'on s'explique ! »

Snape fixa l'antre de sa cheminée comme si elle constituait une base de retraite – ou de fuite – appréciable.

Des coups, toujours des coups.

« Ouvre, bordel ! Sois homme ! »

« Et toi, sois maudit, Black. » murmura Severus pour lui-même.

Un coup plus fort.

« Tu sais ce que tu es, Snape ? » hurla Sirius avec véhémence. « T'es un mutilé du sentiment. Un être incapable d'appréhender la vie et les actes de tous les jours sans avoir fait au préalable un savant calcul mesurant les pours, les contres, les avantages ou les inconvénients ! Tu veux que je te dise ? Tu es … » Le mot claqua dans l'air, s'insinuant par les tympans de Severus, descendant le long de sa colonne vertébrale pour finir par lui vriller l'estomac.

En une seconde, il avait atteint le palier et cherchait Black du regard, les lèvres écumantes et les narines vibrantes. Son ressentiment ne fit qu'augmenter en constatant que l'animagus avait fui.

La porte claqua sous l'impulsion d'un coup de baguette rageur et Snape revint, fulminant, dans son petit salon.

On l'avait traité de beaucoup de choses dans sa vie. De traître. De chauve-souris des cachots. De vampire en vaseline. Et même de lâche. Merlin savait que cette dernière insulte le mettait dans une colère noire. Mais ÇA !!! Il ne pouvait l'admettre. Surtout de la part de cet immondice, ce nounours malodorant, cet espèce d'idole sur le retour, ce paria aux dents gâtées, ce… ce… Rhha !!!

Certes il était méfiant. Mais il avait des raisons de l'être. Et de bonnes ! Sa position d'agent double l'avait forcé à la méfiance. C'était une part intégrante de son boulot. Sans sa paranoïa, il serait mort à l'heure actuelle. Ce qui serait peut-être un moindre mal tout bien considéré. Il n'aurait pas eu à subir ça !

La guerre était peut-être finie mais les habitudes avaient la vie dure. Les gens ne pouvaient pas lui demander de tirer un trait sur tout ça ! Le faisaient-ils eux ? Minerva passait son temps à discourir sur les bienfaits d'un suivi post-traumatique pour ses élèves, Lupin se baladait dans les couloirs tel un mort-vivant, Potter et sa clique traquaient les futurs mangemorts en puissance et Black… Rhaa… Black !

Non ! Méfiance était mère de sûreté. Et puis, que ferait-il de son temps s'il cessait d'espionner les élèves dissidents, caché derrière une vieille armure rouillée ?

Il y avait des jours ou il avait l'impression d'être le seul être sensé sur cette terre. Lui contre le monde entier !

Et puis à qui pouvait-il faire confiance de toute façon ? À ce chien galeux qui passait son temps à écumer les pubs avec son loup-loup de Transylvanie ? Laissez le rire !

Il était peut-être autoritaire. Mais cela faisait partie de son charme. Il aimait l'ordre et la discipline. Les choses seraient beaucoup plus simples si tout le monde se comportait comme lui. Il fallait filer droit dans la vie pour être respecté. Et tenir ces petits délinquants par le col. Qu'y pouvait-il si personne n'avait assez de courage pour endosser le costume de méchant. Il fallait bien que quelqu'un se dévoue pour jouer le mauvais rôle. Et dans toute l'histoire de Poudlard, on n'avait encore jamais vu un Gryffondor se dévouer pour cela. Eux ils préféraient le faire perfidement. Jouant les bons samaritains par devant. Attendant seulement que la pauvre petite créature innocente se retourne pour lui planter un couteau dans le dos. Frapper là où cela faisait mal. La fierté, la dignité, le cœur… Tout-à-fait eux ça ! Mielleux par devant et traître par derrière. Ça jouait les bons toutous, les ennemis loyaux et ça vous jetait au premier loup-garou venu ou ça vous lançait les pires insultes à la figure !

Il n'était pas borné. Il acceptait les opinions divergentes. Il n'allait quand même pas se taire sous prétexte que les autres étaient jaloux de son omniscience. Qu'y pouvait-il s'il avait toujours raison ? C'était inné chez lui.

Il détestait les fioritures. Qui pourrait s'y complaire ? Des robes strictes, noires, sobres, impersonnelles, sans chichi. Il n'y avait que ça de vrai ! De la simplicité, que diantre !

La dure réalité le toucha de plein fouet et il se prit la tête entre ses mains. Merlin ! Il l'était ! Cet abruti avait raison…

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« Non ! Non ! Non ! Et non ! »

Douze verres de Whisky pur feu plus tard, le Maître des Potions marchait d'un pas déterminé, bien qu'un peu mal assuré, vers le Manoir des Black.

Il n'allait pas se laisser miner par ce playboy de pacotille !

Il allait lui montrer, à ce cafard dégingandé, qui était Severus Snape !

Il défonça la porte qui lui barrait le chemin et pénétra dans la maison, baguette à la main. Il lança un regard circulaire sur le hall avant d'ouvrir chaque porte dans un fracas assourdissant, couvrant les geignements de maman Black.

Il finit sa course à l'étage. La porte de la chambre fut la bonne. « Toi ! » hurla-t-il. « J'ai deux mots à te dire ! »

Black lui lança un regard ahuri du fin fond de son lit douillet.

« Dans ton salon ! » brailla Snape, furieux. « Maintenant ! » rugit-il devant l'absence de réaction de l'autre.

Sirius tendit une main vers le pied de son lit dans un geste mal assuré.

« Ne t'avise même pas de tenter quoi que ce soit ! » prévint Snape à la limite de l'hystérie.

« Mais j'ai besoin d'un pantalon ! » plaida l'animagus.

Snape pinça les lèvres et l'avisa avec suspicion. « Prends garde, immonde crapule ! Je te surveille ! » dit-il en secouant sa baguette.

Sirius écarquilla les yeux mais préféra ne pas le contrarier. Merlin seul savait ce que le Maître des Potions avait bien pu avaler avant de venir. A voir son état, il déduisit tout de même que cela ne devait pas être que du jus de citrouilles.

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Severus faisait les cent pas devant la cheminé, le dos arqué, jetant des regards en biais à l'animagus vautré nonchalamment dans le canapé en velours.

Il s'arrêta et fixa le Gryffondor d'un regard menaçant.

« On a des choses à régler tous les deux, tu sais ? » dit-il en lui agitant sa baguette sous le nez. « Ça fait trop longtemps que ça dure tout ça ! C'est plus possible ! »

« Tu veux pas plutôt attendre d'être à jeun? » hasarda Sirius.

« Hmm ! Toujours à jouer les fiers, hein ? Monsieur Je-sais-tout-mieux-que-tout-le-monde ! Et ben, non ! Pas cette fois ! »

« Snape… »

« Non ! Je veux pas t'entendre. Je veux PLUS t'entendre ! Tu… tu… Comment peux-tu prétendre une chose pareille ? » cria-t-il sa voix montant dans les aigus.

Sirius ne prit même pas la peine de relever, se contentant de fixer Snape d'un regard brillant.

« Je te déteste, tu sais ? » poursuivit Snape.

Un rictus victorieux se forma aux coins de lèvres de l'animagus. « C'est pas tout à fait l'impression que m'a laissé la nuit dernière… »

Le Maître des Potions pâlit. « Espèce de… de… » Puis rosit.

« Hum ? »

« De… de… va passer un T-shirt. Ça me déconcentre ! » Puis rougit.

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« Tu sens le whisky… »

« Je me dois d'être méfiant, tu comprends ? »

« Et pas n'importe lequel… »

« On ne sais jamais ce qui pourrait arriver… »

« Je dirais 150 ans d'âge. »

« Et si je suis autoritaire, c'est simplement parce que c'est le seul moyen d'avoir un peu de paix dans ce fichu Château. »

« Tu crois qu'il s'est bonifié au contact de tes lèvres ? »

« Et puis, il peut m'arriver de mettre un peu de fantaisie dans ma vie ! »

Sirius se recula légèrement pour croiser le regard du Serpentard. Il fronça les sourcils avec scepticisme.

« Tiens donc ? »

« Mais oui ! Tiens, certains matins… »

« Qu'est-ce que tu fais certains matins ? » demanda l'animagus d'une voix langoureuse, en déboutonnant le haut de la tunique du Serpentard.

Severus déglutit difficilement, peinant à garder son esprit concentré.

« Et bien… »

« Hum… » l'encouragea Sirius tout en déposant ses lèvres dans son cou.

« … il m'arrive… il m'arrive de mettre de la confiture de myrtilles sur mes tartines beurrées…ou d'… d'ajouter un nuage de lait à mon café… Tu sais que je le prends noir normalement ? » poursuivit Snape dans un soupir, les yeux à demi-clos.

« Intéressant… » souffla l'animagus.

« Qu'est-ce que tu fais ? » tenta d'articuler Severus, au bord de l'apoplexie.

« Je mets un peu de fantaisie dans ta tenue. » dit-il en déboutonnant le dernier bouton.

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Snape était allongé de tout son long sur le vieux matelas, les membres empêtrés dans les draps fleuris. Il fixait le plafond, sa poitrine s'élevant et s'abaissant alors qu'il essayait de reprendre son souffle. Il tourna son visage vers Sirius, étendu à ses côtés, un sourire béat en plein milieu de la figure.

« Je ne suis pas ce que tu as dit que j'étais. »

« Je sais. »

« Alors pourquoi tu l'as dis ? »

Le Gryffondor se contenta de lui sourire mystérieusement en haussant les épaules, avant de se passionner lui aussi pour les auréoles jaunies ornant le plafond.

Qui aurait cru qu'il suffisait de traiter Snape de psychorigide pour le mettre dans son lit à nouveau ! Et maintenant qu'il avait le mode d'emploi…

Remus allait être fier de lui.

Ou pas…

FIN