Chapitre un : L'Arbre et la Feuille

Elle tombe... Encore... Toujours... Inlassablement. Silencieuse , comme du coton
tombé des nuages gris. Le paysage ayant résulté de l'automne se fait blanc. Tout est calme... Nul chant d'oiseau n'est là pour troubler ce lourd silence. Les arbres ont tous perdus leur feuilles. Eux aussi sont devenus blancs. Blancs comme l'arbre du roi. Et la grande cité blanche de Minas Tirith semble s'étendre à l'infini. Les champs du Pelennor sont semblable à une grande mer gelée. Et Osgiliath semble n'être qu'un immense roc se dégageant de cette mer glacée. Rien n'est comme avant. Tout est calme. La Terre du Milieu n'est plus habituée au calme de l'hiver. La terre n'est plus habituée à cette paix qui subsiste depuis la chute du grand oeil. Il a fallu reconstruire maintes choses. Des cités. Des peuples. Des vies.

Les elfes de la Loríen ne sont plus... Les elfes d'Imladris s'en sont allé... Le temps des elfes est révolu depuis bientôt cinq décennies. Mais un seigneur des elfes a résisté à l'appel de la mer. A l'appel des Terres Immortelles. Un seigneur elfe a décidé de soigner les forêts de siens. Un seigneur elfe n'a simplement pas souhaité s'en aller. Un... Celui dont on dit qu'il est le plus caractériel. Celui dont le fils a aidé à détruire l'ennemi. Celui qui a souhaité préserver les siens de l'horreur de la guerre. Celui qui a échoué dans cette tâche , l'ennemi s'étant glissé vicieusement jusqu'à sa forêt... Comment ? Comment oublier pour un temps le poids des remords ? Cela semble si dûr , quand on ne peut oublier les cris des sacrifiés... Quand le goût des larmes nous revient , si amer de trahison et d'horreur...

Thranduil , le roi qui échoua.

Qui échoua selon lui. Pourquoi n'entendait-il pas les remerciements ? Les louanges ? On aurait dit que son goût prononcé pour cela c'était envolé. Le dernier roi des elfes semblait maintenant faire preuve d'une grande humilité. Il semblait que ce masque qu'il avait si longtemps porté s'était fissuré , avant de tout simplement tomber en poussière. N'était-il pas temps , après des millénaires d'orgueil , de colère mal placé et de haine ? Il lui semblait que son fils été le parfait contraire de sa personne. Ou tout du moins , qu'il avait acquis plus de sagesse que lui en moins de temps... En beaucoup moins de temps.

Il ne manquait qu'une seule chose à son fils.

?

Le prince sindar soupira doucement , ses mains posés sur la pierre blanche des remparts de Minas Tirith. Le vent faisait voleter ses cheveux clairs aussi sûrement qu'il faisait tourbilloner la neige. Son regard vagabondait vers les montagnes du Mordor. C'était étrange , de voir ces monts enneigés. Tout comme il était étrange de voir de nouveau des nuages étendre leur ombre. Un sourire fin ourla les lèvres de l'elfe. Il n'y avait désormais nulle tempête à craindre , sinon celles de neige. Et le froid de cette dernière n'était rien en comparaison des froids d'antant , ceux offerts par le Seigneur Noir... Ouvrant la main , Legolas recueillit un flocon au coeur de sa paume. Voilà bien des années qu'il n'avait vu telle tempête de neige. En se rendant à la Cité Blanche depuis l'Ithilien , il avait eu l'impression de traverser un océan de blanc. Tout était blanc. Branches des arbres enneigées , terre gelée , rivières et fleuves glacés... Un peu malgré lui , il se mit à songer à chez lui... La Forêt Noire , Vert-bois-le-Grand... Eryn Galen. Son peuple avait migré , son père désirant l'aider à rendre la grandeur d'antan aux forêts de l'Ithilien. Reverrait-il un jour les bois qui l'avaient vu naître ? Thranduil disait de son fils qu'il n'avait toujours eu que trois seules amours. La nature , les armes et la guerre... Le sourire de Legolas s'étira se souvenant des paroles de son père. Il n'y a plus de place pour une femme dans ta vie , mon fils. Etait-il sincèrement désolé , ou constatait-il seulement le choix de vie de son enfant ? Il n'avait pas songé à lui poser la question. Et puis , son père était peu locace. Si Legolas pouvait très bien imaginer sa vie sans une femme , son père semblait constamment regretter la perte de sa femme... Legolas se souvenait de sa mère. Elle était belle. Comme toutes les mères , disait-on. Grande , blonde avec de grands yeux gris... Toujours souriante. Il se rappellait qu'elle avait l'habitude de l'appeler Harma. Et puis elle était partie et il ne l'avait jamais revue. Son père avait évité le sujet , et il l'évitait toujours. Mais Legolas voyait bien la douleur qui apparaîssait dans son regard , lorsqu'il évoquait sa mère. Et puis en y repensant , lui même n'avait pas tant de souvenirs que cela concernant sa mère. Il était encore jeune , même pour un elfe , lorsqu'elle avait disparu... Sans compter que...

L'elfe poussa un cri surpris , alors que quelque chose de glacé s'écrasait dans sa nuque. Grommelant tout bas , l'elfe se retourna. Plus pour montrer son agacement qu'autre chose d'ailleurs. Il avait parfaitement conscience de l'identité de ce gêneur. De ces gêneurs plutôt. Legolas fut tenté de lever les yeux au ciel , mais il n'en fit rien. Il se contenta de croiser les bras et d'afficher une mine contrariée. Sans bouger d'un pouce , il attendit que les jumeaux d'Elrond viennent jusqu'à lui. Les deux frères étaient là pour fêter le second anniversaire de leur neveu , Eldarion. Lui aussi était là pour cela d'ailleurs. En fait , beaucoup de monde était là pour cela... Une tape magistrale dans le dos lui coupa le souffle. Il fit les gros yeux à Elladan , avant de secouer la tête avec un air désespéré.

« - As-tu seulement bougé depuis ce matin , Legolas ? s'enquit Elladan un brin moqueur.
- Non , je comptais rester là jusqu'à devenir aussi dénué de cervelle que toi , répondit-il avec le même air moqueur. »

Tous les trois partirent d'un grand éclat de rire. Ils se connaissaient maintenant depuis si longtemps qu'il formaient un trio légendaire. Mais au contraire des jumeaux , le prince de la Forêt Noire s'était finalement assagi. Et à leur plus grand malheur , il ne participait plus vraiment à leurs "expéditions". A trois mille ans et quelques années , Elladan et Elrohir étaient encore de grand enfants. Et aussi loin que remontaient ses souvenirs , il n'avait vu que très rarement les jumeaux séparés et cela n'avait jamais duré très longtemps. Mais franchement , parfois , il eut été reposant de n'avoir à faire qu'à l'un ou à l'autre... Le prince soupira. Après tout , s'il avait eu la chance d'avoir un frère , il se serait certainement comporté de façon semblable... Sans vraiment lui laisser le choix , les deux frères l'entrainèrent à leur suite. Oh bon sang , la prochaine fois qu'il souhaiterait méditer , il s'enfermerait à double tour dans ses quartiers pour échapper à ces deux là. Dans quoi allaient-ils encore l'embarquer ? Il n'avait vraiment aucune envie de partir à la chasse à l'orque tout de suite... N'y aurait-il personne pour le sauver de ces tornades ? Leur soeur peut-être ? Gimli ? Les hobbits ? Résigné , mais toujours souriant , Legolas se résigna à les suivre. A voir leurs sourires ravis , ils avaient encore dû inventer quelque chose. Et ils avaient visiblement l'intention de le faire participer.

Le salut du prince vint quand il ne s'y attendait plus. Alors que les jumeaux allaient l'entrainer à l'extérieur des remparts de la cité , quelqu'un les héla. Le trio d'elfes se retourna d'un seul mouvement , chacun des jumeaux s'étant approprié un des bras de Legolas. Etant témoin de cette scène , Thranduil ne put que sourire. Et surtout rire en voyant la mine mi-désespérée , mi-amusée de son fils.

« - Loin de moi l'idée de vous interromptre dans vos projets de chasse à l'orque , mais je vous serai reconnaissant de me rendre mon fils pour un moment. »

Elladan et Elrohir s'inclinèrent devant Thranduil , avant de continuer leur route tous les deux , n'oubliant pas de se chamailler , échangeant claques et autres douceurs. Legolas soupira et passa une main dans ses cheveux. Il se rendit auprès de son père , un mince sourire au lèvres. Le roi passa un bras autour de son fils. Bien qu'il ait presque trois mille ans , il n'arrivait pas à considérer Legolas autrement qu'un enfant. Certes , un enfant ayant contribué à la destruction de Sauron. Mais un enfant quand même. Legolas était son fils , il ne pourrait jamais le considérer autrement. Simplement , il regrettait que la Guerre de l'Anneau ait changé autant son enfant. Il lui semblait qu'il n'avait pas entendu les rires francs de son fils depuis bien longtemps. L'elfe semblait mélancolique. Autrefois , il avait pour habitude d'errer dans les forêts , apprenant chaque recoin de celle-ci par coeur. Autrefois , il passait son temps à réciter des poèmes , à chanter des chansons en sindarin... Il avait d'abord cru que cet état ne durerait pas. Ne voulait d'abord pas s'inquiéter inutilement , il avait pensé que son fils devait se remettre de toutes ces aventures vécues en à peine une année. Mais à sa plus grande surprise , et surtout à son plus grand désespoir , Legolas n'était pas redevenu celui qu'il était. Et peu à peu , Thranduil avait cru comprendre que son fils se sentait désormais inutile. La plupart des leurs s'en étaient allé. Legolas avait besoin d'un nouveau but dans sa vie. Mais à part partir en campagne avec Aragorn pour parlementer et signer des traités avec les Haradrims , chasser l'orque avec Elladan et Elrohir , son fils n'avait guère d'autre loisir. Oh si , ses ballades avec Gimli le nain suffisaient à le faire sourire pour un certain temps. Même si Thranduil n'aimait que très peu la race des nains , il était reconnaissant au fils de Gloïn , qui savait amuser son fils. Mais combien de temps Legolas pourrait-il se satisfaire de cette vie là ? Thranduil était inquiet.

« - Puis-je faire quelque chose pour vous , père ? »

Après tout , son père devait bien avoir quelque chose en tête , pour l'avoir ainsi "sauvé" d'une petite chasse. Thranduil regarda son fils d'un regard empli de fierté , puis il lui tapota doucement l'épaule.

« - Dois-je avoir une raison particulière pour souhaiter voir mon fils ? »

Le ton du sindar était nettement amusé. Son fils eut un petit rire. Tandis qu'il remontait doucement les allées de la cité blanche , la neige crissait à peine sous leurs pas légers. Les habitants de Minas Tirith avaient pris l'habitude de saluer les elfes sur leur passage , quel que soit leur rang social. Aussi le roi et son fils n'échappèrent pas à la règle. Echangeant quelques mots avec son père , Legolas retrouva bien vite le haut de la cité , qu'il avait quitté quelques instants plus tôt , trainé par les frères d'Arwen. il lui semblait qu'il neigeait dix fois plus en haut de la cité qu'en bas. Ce qui était sans doute logique , vu la hauteur à laquelle s'élevait Minas Tirith. Bien vite , Legolas se retrouva accoudé aux remparts de nouveau. Thranduil lui , se contenta de croiser les bras sur sa poitrine. Un long moment , le père et le fils restèrent silencieux. Au bout de longues minutes , ce fut Thranduil qui brisa le silence. Il posa une main sur l'épaule de son fils.

« - Tu me sembles bien mélancolique , Legolas... Depuis ton départ pour Fondcombe , je ne te reconnais plus , murmura tout bas le roi.
- Cela fait près de cinquante ans , père. Les gens changent avec le temps , répondit Legolas. »

Cette réponse ne conviendrait pas à son père , le prince le savait. Mais que pouvait-il lui répondre ? Lui même savait à peine pourquoi il était si tourmenté. C'était un tourment étrange d'ailleurs. La sensation de n'avoir plus rien à accomplir... L'elfe soupira , et ses mains se crispèrent sur la pierre blanche. Inconsciemment , Legolas venait de mettre un mot sur son tourment : l'inutilité. Par les Valar , comme il se sentit idiot ! Il y avait des milliers de choses à faire , mais lui ne s'en satisfaisait pas. Vraiment , c'était stupide... Il ne savait pas que son père s'en était rendu compte avant lui. Il ne savait pas non plus que Thranduil lui posait cette question pour mieux le comprendre. Et dire qu'il ne se comprenait pas lui même... Vraisemblablement , tous les elfes n'acquièrent pas la sagesse , malgré le passage des siècles , des millénaires. Thranduil eut un sourire triste. Puis il prit son fils par les épaules. Plongeant ses yeux bleus dans ceux de son père , Legolas eut honte et détourna les yeux. Thranduil , lui , semblait voir son propre reflet. Il se voyait dans son fils. Le même visage fin et pâle , les mêmes yeux d'océan , les mêmes cheveux couleur blé... A son plus grand désespoir , Legolas n'avait pas prit grand chose de sa mère , sinon son regard. Lorsqu'il le fut vit détourner les yeux , il fronça les sourcils. Doucement , le grand elfe prit le visage de son fils entre ses mains. Cette fois ci , Legolas ne détourna pas les yeux. Parce qu'il ne pouvait pas. Parce qu'il n'avait pas envie que son père pense qu'il était un couard.

« - Les gens changent. Mais toi ? Tu fus le même pendant près de trois millénaires. Pourquoi ce changement si soudain ? Tu as toujours été un homme profitant de la vie. Mais depuis quelques temps , je te sens lassé de cette vie. A moins que tu ne te languisses de ton ancienne vie ? Tu sais , peut-être mieux qu'un autre , que le temps des Elfes est révolu...
- Je ne suis ni lassé de la vie , ni soupirant auprès de mon ancienne vie. J'ai simplement besoin d'un nouveau but , que je ne parviens pas à trouver ici , répondit-il , tranchant. »

Le prince se dégagea et tourna le dos au seigneur d'Eryn Galen. Legolas fut pris de remords. Il n'avait pas pour habitude de perdre le contrôle de lui même. Mais il n'avait aucune envie d'être harcelé de questions. Les jumeaux lui posaient assez de questions tordues. Franchement tordues. Sans vraiment le vouloir , le prince venait de donner une réponse aux interrogations de son père. Ou plutôt , il venait de confirmer sa pensée. Il avait besoin d'un nouveau but , d'une nouvelle quête. Acharné , Thranduil vint se poster en face de son fils. Encore une fois , ce dernier baissa les yeux. Il lui fit part de son mécontentement d'un claquement de langue agacé. Comme un enfant qu'on vient de réprimander , Legolas releva les yeux.

« - Tu as toujours été un formidable guerrier , mon fils. Mais ta vie n'a toujours tourné qu'autour de la guerre et de ta sylve natale. Tu as oublié tout le reste , dit Thranduil , énigmatique. »

Legolas fronça les sourcils. Il ne voyait absolument pas ou son père voulait en venir.

« - La guerre est terminée , Legolas. Libère une place dans ton coeur. »