Note :
Non.
Ceci n'est pas une hallucination.
Non, cette page ne disparaîtra pas.
Même si vous vous frottez les yeux.
Même si vous vous collez à l'écran.
Et que vous fermez puis la rouvrez en vous disant "c'est pas possible".
Non.
Ceci n'est pas une légende urbaine.
Ni une blague.
Ni un poisson d'avril. La date est dépassée.
Ni même un rêve.
Essayez de vous pincer si vous y tenez, m'enfin, vous allez juste vous faire des bleus.
Vous avez bel et bien sous les yeux, après trois ans d'attente (et applaudissez, parce que montre en main, Mauguine vient de battre son propre record du retard entre les updates !), les bonus de The Storm.
Ils EXISTENT.
Plaisanterie à part, je tiens à dire quelques petits trucs avant. Vous prévenir, surtout.
ATTENTION.
CES BONUS N'ONT PAS ETE ECRITS DANS UNE QUELCONQUE VISEE LITTERAIRE OU ARTISTIQUE. Ils sont faits uniquement pour rire, pour retrouver des personnages et des situations auxquels vous et moi nous sommes attachés. C'est un vaste délire (non Mello, pas un "ignoble bordel". Un peu de tenue, c'est ta première réapparition depuis trois ans.) Bref, ceci n'est absolument pas à prendre au sérieux, la crédibilité, l'originalité, la qualité du style et la cohérence ne sont définitivement pas des mots pouvant décrire les textes ci-dessous. Vous n'avez donc pas intérêt à venir me dire que certains sont particulièrement gimauve ou autre, je le sais déjà, et c'est fait pour. Laissez votre cerveau et rangez-le bien pendant votre lecture.
Ensuite. Ceci est la première partie des bonus, elle fait une centaine de pages. Pourquoi la première ? Parce que comme vous le savez tous si vous avez lu mes remerciements il y a trois ans de cela, The Storm est étroitement lié à Death File. Et poster certains bonus de The Storm reviendrait à spoiler toute la troisième partie de DF. Vous n'êtes pas tous des lecteurs de cette dernière fic, mais je me dois de garder le secret. Donc la majorité des bonus se trouve là, l'autre arrivera dans un bon moment.
Rating : T. Certains bonus sont tellement débiles que ça en devient terrifiant.
Disclaimer : Tiens, ça, ça m'avait pas manqué. Tout est à... Oh et puis merde. Je boycotte cette petite ligne de copyrights depuis que j'ai lu le superbe disclaimer de Lou des bois au dernier chapitre de sa fic. Donc, je ne gagne pas d'argent en écrivant ça, et voilà. Ah, et, Natasha, le trio, et quelques autres loustics m'appartiennent.
Merci à :
Sunli, alias Greengrin, illustratrice de génie, qui a écrit avec moi certains bonus. Il y a quelques nouveaux textes que tu n'as pas lus.
Krihs, qui souffre loin de sa connexion internet. Grâce à toi, l'image de Mello en ménagère ne me quittera plus jamais. Je suis très touchée par tous tes dessins de Natasha.
Tachika. Parce que tes reviews sont épiques. Et que tu es Dieu, après tout XD.
Oxymore et BakaNyû, fidèles lectrices, toujours les premières à me demander si je suis morte.
Abygaëlle, qui les a déjà lus, et m'a fait hurler de rire avec ses commentaires.
Puis Jilano, et Caela-chan, aussi. Et Elvye. Et lunastrelle. Et Allegro. Et Anders. Et Chocolat-Beretta, Meli, Yuki, ... Oh, je voudrais tous vous citer !
Merci à vous tous, qui m'avez soutenue.
Décicace : Pour Emmy D., la vraie Emily, qui a fêté ses vingt ans. Et pour Lilium, qui elle-aussi a un an de plus depuis peu, et qui je crois n'a pas encore eu la chance de lire ces bonus. Hehe, tu ne t'y attendais pas, hein? ^^
Joyeux anniversaire, je vous aime fort.
ENJOY !
THE STORM
BONUS
"Well, let the geek in the pink take a stab at it
If you like the way I'm thinkin' baby wink at it
I may be skinny at times but I'm fat fulla rhymes
Pass me the mic and I'm a grab at it"
Geek in the Pink
Jason Mraz
Scène coupée 1 :
Les gens
Mail est…
…vert.
Oui. Vert. Une jolie couleur caca d'oie qui aurait mieux été à une olive qu'à un jeune homme. En plus, ça jure atrocement avec ses cheveux roux. On dirait que ses yeux ont déteint sur sa peau. Nathan considère la chose d'un air intéressé. Cela lui fait un peu penser à des moisissures. Ou alors la mousse qu'on trouve sur l'écorce des vieilles souches.
Un borborygme s'échappe de la gorge du jeune homme. Nathan doit se pencher pour entendre ce qu'il dit.
« - Je vais mourir. Cette fois, c'est sûr, je vais mourir. Kira, à côté, c'est de la sucrette. »
L'envie de rire chatouille la gorge du médecin, mais il la réprime charitablement. Le malheureux tremble si fort qu'on dirait que Mihael le secoue par les épaules. C'est vous dire la force des frissons. Nathan se demande s'il a de la fièvre et pose une main sur son front. Mail tourne vers lui un regard vitreux et désespéré.
« - Je suis malade, doc ? Demande-t-il d'un ton plein d'espoir. Je ne peux pas y aller ? »
Nathan soupire et prend l'air inflexible. Ce n'est pas le moment qu'il fasse un caprice. Ils se feraient tous lyncher. Déjà que le brouhaha surexcité de la foule s'entend des coulisses…
« - Non, Mail. Vous allez voir, tout va bien se passer. Une fois que vous y serez, vous allez vous amuser comme un petit fou. C'est comme pour rentrer dans une piscine.
- Il n'y a pas de requins, dans une piscine ! Gémit le rouquin, s'entourant de ses bras comme un enfant. Pas de féroces squales* prêts à vous engloutir dès que vous poserez l'orteil sur la première marche de l'échelle ! »
Nathan lève les yeux au ciel. Quel comédien…
« - Ils ne vont pas vous manger, Mail ! S'exaspère-t-il. Au contraire ! Ils n'attendent que vous !
- C'est horriiiiiible ! Se lamente-t-il, les yeux exorbités.
- Mail ! Est-ce que vous vous rendez au moins compte de la chance que vous avez ? »
Mail tourne vers lui un visage cadavérique digne de Michael Jackson dans Thriller :
« - Est-ce que vous vous rendez compte, doc… Que là-bas… Il y a des… Des… »
Il s'étouffe presque de peur. Nathan lui tapote dans le dos, se demandant s'il doit lui donner un grand coup de pied dans les fesses pour le forcer à avancer. Puis il renonce. Les fesses de Mail sont propriété personnelle de Mihael : il risquerait de lui en vouloir. Et puis Mail trouverait le moyen de s'accrocher à la force des ongles.
« - Doc ! Hulule-t-il finalement. Il y a des gens dehors ! »
Les nerfs de Nathan, considérés comme d'acier dans tout le service d'oncologie, finissent par céder.
Il explose de rire.
« - C'est pas drôle ! S'offusque Mail, qui s'accroche à sa guitare comme un noyé à sa bouée.
- Je suis désolé, s'esclaffe Nathan, qui a le plus grand mal à se contenir, mais Mail… Mail, un concert, c'est fait pour qu'il y ait des gens, non ? »
Immédiatement, Mail se met à tapoter la rampe en bois en piaulant d'une voix suraiguë :
« - Ne dîtes pas ce moooot ! »
Oups. Il a encore oublié. Lorsqu'il est sur le point de monter sur scène, Mail cède à des manies superstitieuses incontrôlables. Toucher du bois, cracher par terre, lancer du sel par-dessus son épaule sont ses préférées, sans oublier bien sûr qu'il ne faut ABSOLUMENT PAS prononcer le mot « concert » devant lui.
Mot que Mihael chantonne exprès pour l'embêter, bien entendu.
Si Mail parvient à garder une façade détendue lorsqu'il se trouve au milieu d'une foule, se tenir seul devant cinq mille personnes dépasse largement ses capacités. Nathan regarde sa montre avec anxiété. Cela fait déjà dix minutes que Mail devrait être sur scène. S'il ne trouve pas quelque chose rapidement, ça va tourner au fiasco total. Si la première fois se passe mal, il peut dire adieu au reste de la tournée.
Soudain, une idée.
« - Mail, chuchote-t-il d'un ton de conspirateur. Ecoutez… Je ne suis absolument pas censé vous le dire, mais… »
Mail le dévisage, étonné.
« - En fait, murmure le médecin à son oreille, Mihael est parmi les spectateurs. »
Immédiatement, les mots font effet. Le visage du jeune homme retrouve ses couleurs et semble s'illuminer de l'intérieur.
« - Ah oui ? Je croyais qu'il était fatigué et qu'il voulait rester à la maison…
- Non, non ! Il ne voulait pas vous le dire, bien sûr, vous savez à quel point il est fier, mais il est venu vous voir… »
D'un seul coup, un sourire féroce tord les lèvres de Mail. Il met ses goggles devant ses yeux, comme on rabat la visière d'un casque, puis ajuste la lanière de la guitare sur son épaule. Nathan s'autorise un profond soupir de soulagement en le voyant s'avancer d'un pas décidé. Quelques secondes plus tard, le hurlement monstrueux des fans salue son apparition.
« - Bonsoir tout le monde ! Navré, je suis en retard… En fait, il y a un peu de vent, ce soir, et comme on est à ciel ouvert, on a dû vérifier que tout était fixé… Histoire que le décor ne vous tombe pas dessus… »
Rires. Nathan se sent soudain très fier. Et encore plus fier lorsque la foule beugle en même temps que Mail le refrain de Natasha…
« - Oh, vous la connaissez aussi ? Fait semblant de s'étonner le jeune homme. Ben alors, vous allez la chanter à ma place…
- « Vous savez à quel point il est fier », hum ? »
Nathan sursaute. Derrière lui, Mihael tapote du pied sur le sol, une tablette de chocolat à la main, son manteau de cuir sur les épaules… Et l'air très agacé.
« - Avouez que c'est réaliste, réplique le médecin d'un ton léger. Il n'empêche, j'avais raison…
- A propos de quoi ? Grogne le blond d'un air mauvais.
- Vous êtes venu le voir. »
Les traits de Mihael s'adoucissent.
« - Cet imbécile, murmure-t-il en s'asseyant près de Nathan. Bien sûr que je suis venu… »
Il ferme les yeux et rejette la tête en arrière. Il écoute la musique de Mail. Sans le regarder, il sait déjà ce qu'il fait. Il connait par cœur son sourire heureux et incrédule lorsqu'on l'applaudit.
Sans le regarder, il est avec lui quand même.
Note de l'auteur : J'ai d'abord pensé à insérer ça dans l'épilogue, mais ça faisait trop. Au final, je me suis tellement marrée en l'écrivant que je voulais absolument la mettre dans les bonus.
Scène coupée 2 :
Petit mot
Nathan cligne des yeux. Une fois. Deux fois. Les ferme complètement. Les rouvre. Les frotte. Pas moyen, il doit avoir un problème aux yeux. Ou… Ou ce qu'il voit est tout simplement la réalité.
Une réalité un peu… Dénudée pour lui.
Bouche-bée, le pauvre médecin vire au rouge cramoisi, laissant tomber sa sacoche noire dans un grand fracas. À ce bruit il se fige instantanément, portant ses mains à sa bouche pour se bâillonner malgré la parfaite inutilité du geste. Dans le lit défait, un des deux jeunes hommes enlacés grogne et se retourne, mais ne se réveille pas. Le chirurgien retient un soupir de soulagement. Il n'est jamais bon de tirer Mello de son sommeil. Alors un Mello dans cet état là…
Empourpré jusqu'à la racine des cheveux, Nathan détourne les yeux pour éviter de fixer les corps nus et alanguis de Matt et Mello, les mèches blondes et les épis roux se confondant sur l'oreiller. Mail dort paisiblement, ses traits éclairés de l'intérieur, ses bras enroulés autour de Mihael jusque dans son sommeil. Et lorsque celui-ci soupire et marmonne des onomatopées, son étreinte se resserre imperceptiblement.
Nathan déglutit avec peine, sa bouche soudain très sèche, puis s'administre une violente claque mentale. Il s'éloigne en mettant ses mains en œillères (« Je ne regarde pas, je ne regarde paaaaas ! »), ce qui a pour malheureux résultat de le faire s'empêtrer les pieds dans une corbeille à papiers et de le faire atterrir de plein fouet sur la Playstation.
Pauvre console, si fidèle. Sa présence dans notre monde aura été de courte durée.
Boucan épouvantable, le médecin s'étale de tout son long à terre. Il se mord la lèvre en priant de toutes ses forces, les yeux fermés. Miracle, le ciel a enfin décidé d'écouter une de ses suppliques : aucun bruit ne parvient de la chambre. Il se relève tant bien que mal, puis s'éloigne en boitillant et évitant comme il le peut les affaires éparpillées dans tous les coins (le bazar habituel de Matt auquel s'ajoutent des vêtements ôtés à la hâte et, pour certains, à moitié déchirés).
Avant de sortir, il semble se souvenir de quelque chose, grommelle une bouillie incompréhensible de reproches sur l'impulsivité et la fougue des jeunes et griffonne une note sur la dernière page du carnet de Mihael. Il l'accroche bien en vue sur la porte du frigo puis s'enfuit, les mains si profondément enfoncées dans les poches qu'elles manquent les déchirer. Qu'elles les déchirent. Zut. Il peut recoudre sans problème la peau d'un patient, mais les vêtements, c'est une autre histoire…
Il ignore que dans quelques heures, ses soucis n'iront plus à sa mise, mais plutôt aux moyens à employer pour échapper à Mello.
« - DOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOC !
- NAAAAAAAAATHAAAAAAAAAAN ! »
Double cri, terrifiant, déchirant. Le premier est hurlé entre deux sanglots, tandis que Matt ramasse la pauvre et innocente Playstation (quarante-septième du nom) en se lamentant et ne cessant de gémir que le chirurgien a intérêt à savoir soigner les consoles aussi bien que les humains.
Le second appel, lui, provient d'un blondinet furibond qui se rue hors de l'appartement avec pour seul habit le jean trop grand de Matt.
Un blondinet furibond et armé.
« - VOUS ALLEZ MOURIIIIIR ! »
Pourtant, le petit mot de Nathan était très formel et son intention des plus honorables…
Il avait juste demandé s'ils avaient pensé aux préservatifs !
Ce qu'ils sont devenus 1 :
Voyage
Un aéroport, à Londres. Bondé. Des milliers de personnes y circulent sans se regarder, à toute heure du jour et de la nuit, un sandwich visqueux à la main, un air épuisé sur le visage, poussant des chariots ou croulant sous le poids des valises.
La petite fille de six ans, perdue au milieu de la foule, est terrorisée.
Elle a un manteau rapiécé, de grands yeux pervenche et des cheveux bruns mal coiffés. Elle est très angoissée, et tourne la tête en tous sens. Elle donne l'impression de chercher quelqu'un, car à chaque fois qu'elle aperçoit un vêtement noir ou rayé, elle tressaute. Mais personne n'est à côté d'elle pour lui tenir la main, pour la rassurer.
Elle est toute seule, encore une fois.
De grosses larmes dévalent ses joues. Des larmes de crocodile, aurait dit sa maman. Mais sa maman n'est plus là pour elle. Sa maman est morte. Elle n'est jamais venue la chercher à l'orphelinat, malgré ses sanglots et ses angoisses. La petite fille a bien cru trouver quelqu'un, il y a peu… Quelqu'un pour la rassurer, la câliner, quelqu'un pour la prendre dans ses bras et s'occuper d'elle, des parents qui ne la quitteraient jamais, même s'ils n'étaient pas liés par le sang… Mais elle ne les trouve plus.
Peut-être l'ont-ils abandonnée, eux-aussi ? On lui a dit, à l'orphelinat, que personne ne voudrait jamais l'adopter. Qu'elle était trop emportée, trop colérique et sardonique. Méchante, méchante petite fille. Sans doute est-ce vrai. Sans doute en ont-ils eu marre. Seule, immobile au milieu des voyageurs qui la heurtent à leur passage, elle pleure. Elle ne marche plus, elle sanglote à s'étouffer, réprimant des appels horrifiés. Son désespoir d'être abandonnée.
« - NATASHA ! Oh bon sang, Mihael, ça y est ! Je l'ai ! NATASHA ! »
Le cri la fait sursauter. Eperdue, elle cherche d'où il provient, se juchant sur la pointe des pieds. Cette voix rauque et bouleversée qu'elle avait tout d'abord méprisée, elle la reconnaîtrait entre mille… Et soudain, ça y est, avant même qu'elle ne se soit rendue compte de quoi que ce soit, des bras chauds l'enlacent et la soulèvent de terre. Le pull à rayures la gratte, mais elle s'y accroche de toutes ses forces, en pleurant de plus belle. Tant pis pour sa fierté. Elle a six ans, qu'on lui laisse au moins cela, cet abandon dans une étreinte.
« - Oh bon sang… Oh merde… Natasha… »
L'homme passe sa main immense sur le crâne de la fillette, en tremblant.
« - Ma chérie, la gronde-t-il entre ses propres larmes, il ne faut plus me lâcher la main comme ça ! Nous étions morts d'inquiétude…
- ESPECE D'IRRESPONSABLE ! »
Et à propos de « nous »… Le second inquiet sort de la foule en courant. Foule qui s'écarte devant sa dégaine et la cicatrice impressionnante qui lui dévore une moitié du visage. Ses cheveux blonds volètent furieusement autour de sa tête, une auréole de démon vengeur. Natasha se souvient que lui, il lui a fait un peu peur lorsqu'elle l'a rencontré. Une peur, toutefois, qui a été vite effacée par son admiration sans bornes, lorsqu'il l'a prise par la main pour l'emmener loin de l'orphelinat tant détesté. Défiant du regard le monde entier.
Il a l'air hors de lui et arrache presque la petite des bras de son compagnon. Certains voyageurs se retournent avec un air méfiant, se demandant s'il faut intervenir dans la dispute. On ne peut pas dire que le blond est très discret…
« - TU TE RENDS COMPTE DE CE QUI AURAIT PU SE PASSER ? TOUTE SEULE ! AU MILIEU D'UN AEROPORT ! QUELQU'UN AURAIT PU L'ENLEVER ! IL AURAIT PU LUI ARRIVER N'IMPORTE QUOI ! ELLE A SIX ANS, MAIL !
- Je suis désolé ! Bafouille le dénommé Mail, penaud, en se protégeant la tête des bras. J'ai relâché mon attention une seconde et…
- UNE SECONDE, ÇA T'A SUFFIT POUR LA PERDRE !
- Ne dramatise pas ! S'énerve Mail. On l'a retrouvée !
- Heureusement pour toi ! Persiffle Mihael, ses yeux se rétrécissant pour devenir deux fentes bleues et menaçantes. HEUREUSEMENT… Mail Jeevas ! »
Natasha se fait toute petite elle aussi. Elle est bien contente de ne pas être celle sur laquelle crie le blond. Durant le trajet qui les a amenés ici, elle a constaté de nombreuses fois qu'il ne valait mieux pas que Mihael vous appelle par votre prénom de cette manière… Le blond renifle de mépris et se détourne à grands pas, ajustant sa prise sur la fillette qui commence à glisser dans ses bras.
Elle s'accroche au haut de cuir noir. Elle ne l'avouerait pour rien au monde (elle a bien trop peur du regard courroucé de Mihael), mais elle préfère les bras de Mail, du moins pour ce qui est de voyager. Mihael a des os trop pointus qui lui rentrent dans la peau et ses vêtements ne sont pas très confortables. Mais la joie d'être portée atténue ce désagrément. Elle entend avec délices le cœur qui bat frénétiquement dans la poitrine, martelant ses côtes. C'est vivant, c'est bon, chaud et rassurant.
Un coup d'œil par-dessus son épaule et elle peut voir l'air piteux de Mail qui les suit à une distance raisonnable, pour éviter de nouveaux cris. Ses cheveux roux sont coupés très courts, presque à ras et donnent à son visage des traits anguleux. Des cernes violets ombrent ses beaux yeux verts. Il a l'air souffrant, mais elle trouve que ces marques de fatigue font ressortir la couleur hypnotisante de son regard. Il lui a expliqué que c'est parce qu'il a été malade (Mihael l'avait fusillé du regard à ce moment en marmonnant mystérieusement : « Imbécile… Cigarettes… De la chance d'avoir Nathan comme médecin… Nouvelle rémission… Encore heureux ! »)
Mail lui sourit doucement, sa grosse housse (« Pour ma guitare ! ») harnachée sur son dos. Puis Natasha est ramenée à la réalité par Mihael qui la rabroue à son tour.
« - Et toi ! La houspille-t-il. Quelle idée de partir comme ça ! On t'avait bien dit de ne pas t'éloigner ! »
Il part dans une crise grandiloquente qui fait de nouveau se retourner les voyageurs. Natasha se fait encore plus petite. Elle hésite un instant à se mettre en colère et crier à son tour, mais elle se sent trop fatiguée. Une fessée et des tympans percés, très peu pour elle ce soir. Alors elle décide perfidement d'employer une autre tactique et laisse couler ses larmes, pour l'apitoyer (Mail lui avait assuré dans un murmure que cela marchait très bien).
« - Je… Suis… Désolée ! Hoquette-t-elle, s'accrochant plus fort encore à la veste de cuir. Ex… Excuuuuuuse-moiiiiiii ! »
Une femme qui marche à côté d'eux prend l'air apitoyé et les regards qui pèsent sur eux commencent vraiment à se faire mauvais. Mihael se radoucit en voyant le chagrin de l'enfant.
« - C'est bon… Grommelle-t-il. C'est pas grave. Mais fais attention, maintenant. »
Mail, hilare, lui adresse le V de la victoire par-dessus l'épaule du blond. Elle lui répond avec un sourire. Il a parfaitement compris ce qu'elle cherchait à faire. Elle note mentalement l'information avec une pointe de dépit : elle ne pourra pas l'embobiner de cette manière… Puis son côté manipulateur sans doute trop important pour une fillette de son âge disparait au profit de la fatigue et de la lassitude.
« - On arrive quand, à Los Angeles ? » Marmonne-t-elle, le pouce à la bouche.
C'est Mihael qui lui a expliqué où ils se rendaient, ajoutant à cela les détails de la géographie du continent américain et même la signification du nom de la ville. Dès qu'il s'agit de culture ou de réponses à d'éventuelles questions, Mihael bondit sur ressorts et lui donne d'immenses explications que Mail doit arrêter avant qu'il ne ressorte tous ses cours de la Wammy's House. Le blond semble… Effrayé à l'idée de laisser la fillette sans culture. Du moins d'après ce qu'elle en juge, n'ayant passé avec eux que finalement très peu de temps. Mais cela ne lui déplaît pas. Être chouchoutée, qu'on prenne garde à elle… Cela lui avait manqué.
« - On arrive près des contrôleurs… » Lâche Mail dans un murmure.
Immédiatement, Mihael se crispe. Natasha peut le sentir par ses doigts qui s'enfoncent dans sa peau. Elle cligne ses yeux embués. Elle devine que ni Mihael, ni Mail ne sont ravis de cette perspective. Sans doute qu'aucune démarche légale n'a été entreprise pour la faire sortir du territoire… Elle se demande même s'ils ont fini par avertir l'orphelinat. C'est le rouquin qui passe avant eux, sortant leurs passeports.
Et là, Natasha assiste à la pièce de théâtre la plus réussie de sa vie.
Mail accroche sur ses lèvres un sourire si paisible et nonchalant qu'il est impossible de ne pas se sentir relaxé en le voyant. Elle croit même voir sa respiration ralentir pour prendre le rythme de celui d'une personne endormie. Il tend les papiers, contemplant les policiers de ses doux yeux de myope. Il s'offre même le luxe de se retourner pour échanger une banalité avec Mihael, pendant que l'authenticité des passeports est vérifiée. Mihael est moins bon comédien que lui, mais réussit à donner le change sans problème. Natasha prend exemple sur eux pour ne rien laisser paraître.
Manque de chance, un des deux hommes en uniforme fronce les sourcils.
« - Il y a un problème. » Constate-t-il sévèrement.
Natasha sent la respiration de Mihael se bloquer. Mail élargit encore son sourire, s'appuyant au comptoir.
« - Quel problème ? Demande-t-il.
- Et bien… »
Il échange quelques murmures avec son collègue. Les bras de Mihael se couvrent de chair de poule. Son regard bleu virevolte en tous sens. Elle le sent prêt à s'enfuir en courant si nécessaire. Même le sourire de Mail est affadi et forcé. Alors Natasha décide de tenter ce qu'elle a su si bien faire il y a quelques instants…
La comédie.
« - Papa, dit-elle du ton le plus ensommeillé en s'accrochant à Mihael. Je suis fatiguée. C'est quand que les monsieurs ont fini de faire les papiers ? »
Attendris par son léger zozotement et son mot de tendresse, les policiers échangent un sourire. Le premier, celui qui leur a posé la question, finit par répondre :
« - C'est juste que… Nous devons vérifier ce qu'il y a dans votre housse à guitare, monsieur. Voir s'il n'y a pas d'arme. »
Mail se détend immédiatement. Il sourit de plus belle et enlève l'étui de ses épaules.
« - Aucun problème ! Affirme-t-il, riant presque de soulagement. Ne vous en faîtes pas, je ne suis pas un détourneur d'avion… »
La guitare est examinée, sous le regard vigilant du musicien qui tient à son instrument comme à la prunelle de ses yeux. Puis on lui redonne la housse et, miracle, ils passent la ligne jaune peinte sur le sol. Mihael se hâte de plus en plus. Il a l'air d'avoir peur que les deux contrôleurs décident d'examiner plus attentivement leurs papiers et les rappellent…
« - Tu es sûr que ça ne risque rien, tes faux ? Murmure-t-il à l'oreille du rouquin.
- Sûr ! Chantonne-t-il, visiblement très satisfait de lui-même. Kimba m'a aidé à les faire…
- Justement. C'est de ça dont j'ai peur… »
Mail éclate de rire, suivi par Natasha, contaminée par sa joie communicative. Le chanteur la couve d'un regard attendri.
« - Mihael ! Supplie-t-il. Je peux la prendre dans mes bras maintenant ? C'est mon tour !
- Ce n'est pas une poupée ! Proteste Mihael, en la serrant contre lui d'un air outragé.
- 'ilteplaitmonMihaeladoré… »
Natasha pouffe dans le cou de Mihael. Elle qui avait besoin d'affection, la voilà servie au-delà de ses espérances. Mihael hésite un peu, puis finit par céder (en râlant, bien sûr, pour ne pas avoir l'air trop gentil). Et, au passage, la fillette peut entendre ces quelques mots soufflés précipitamment… Et moqueusement :
« - C'est moi qu'elle a appelé papa en premier… »
Mail fait une moue, puis attrape l'enfant sous les aisselles en tirant la langue à Mihael. Mais la tendresse dans ses yeux verts n'est pas un jeu. C'est quelque chose de vrai, de fort. D'effrayant, d'une certaine façon, puisque cet amour qu'il lui porte, qu'il leur porte, est arrivé sans qu'il ne le réclame et s'est si bien enraciné dans son cœur qu'il n'en partira jamais.
Elle se niche confortablement contre Mail. Rien à dire, il est plus douillet que Mihael. Sa carrure plus carrée, rassurante et enveloppante, lui donne envie de dormir. C'est ce qu'elle s'apprête à faire, oubliant l'étrangeté de la situation, la soudaineté des événements. Oubliant qu'elle les a rencontrés il y a à peine une semaine. Tant pis. Elle sait, elle sent qu'elle peut leur faire confiance, avec toute son intuition d'enfant. Et les bisous que Mail lui pose sur le sommet du crâne, pour la rassurer lorsque le bruit ambiant devient insupportable, doivent aussi aider à la calmer…
« - Mail, murmure Mihael lorsqu'il constate qu'elle a fermé les yeux. Elle va s'endormir.
- Et alors ? Rétorque le rouquin. On en a encore pour toute la nuit à voyager. On arrivera à quatre heures du matin. Plus tôt elle s'endort, mieux c'est. »
Le blond ne trouve rien à répondre, à part un regard éloquent qui lui demande d'où vient ce soudain instinct paternel. Mail hausse les épaules avec un sourire béat qui lui offre sa réponse.
Mail est complètement et définitivement gâteux.
Mihael soupire en secouant la tête, faisant voler ses cheveux blonds. Natasha, qui a rouvert un œil, tend sa main et en attrape une mèche. Mihael se fige. Elle caresse les fils blonds du pouce, admirative malgré sa fatigue.
« - Comment tu fais ? S'extasie-t-elle. Moi, mes cheveux sont… »
Moches. Le mot lui brûle les lèvres, mais elle le retient au dernier moment. Les traits du blond s'adoucissent. Il ébouriffe les boucles crépues de la petite fille et les lisse du plat de la main.
« - Mais non. Il suffit d'un petit shampoing. »
Et Mail sent que son compagnon fait défiler dans sa tête des faramineuses listes de démêlants et de produits capillaires. Soucieux d'éloigner son petit chou de ce maniaque des cheveux, il pose sa main sur la tête de l'enfant et l'éloigne de Mihael avec un air effrayé. Mihael lève les yeux au ciel, mais n'insiste pas.
Songeant qu'il aura bien le temps plus tard de « s'occuper » de Natasha.
L'avion pour Los Angeles est annoncé. Terminale numéro quatre.
Nerveux, les deux hommes accélèrent le pas. La respiration de Natasha leur indique qu'elle s'est endormie, d'un sommeil certes agité, mais qui leur épargne l'excitation du départ imminent ou bien l'angoisse. Mail fait bien attention à ne pas se cogner aux autres voyageurs qui patientent dans la même file qu'eux, regrettant de ne pas pouvoir jucher la fillette sur ses épaules. Ses gambettes frêles tiennent dans ses paumes et il s'en veut de ne pas pouvoir lui offrir plus ce soir qu'un plateau-repas en papier mâché. Il sait d'expérience à quel point un bon repas chaud peut inspirer un sentiment de sécurité… Et un mauvais, de malaise. De nouveau, le désir de protéger Natasha ressurgit et il la serre de plus belle contre lui.
« - Mail. Tu es dans la lune. Donne les tickets. »
Il sursaute. En effet, il est juste devant la passerelle de l'avion. Il balbutie une excuse à l'hôtesse de l'air qui tend la main avec insistance pour les recevoir, puis passe. Il est happé par l'air glacial de la climatisation et son odeur poussiéreuse. Il n'est pas le seul à la trouver trop forte, d'autres voyageurs protestent mollement, Mihael le premier. L'hôtesse les rassure gentiment :
« - Ne vous en faites pas ! Ce n'est qu'un petit déréglage. Et puis… Nous ne pouvons nous écraser qu'au-dessus de l'océan, c'est calculé !
- Rassurant ! Grogne Mihael, surprenant le regard effrayé de Natasha qui a rouvert les yeux, dérangée par la vague de froid. En gros, on ne s'écrase pas, on se noie !
- Je ne veux pas tomber dans l'océan ! Panique la fillette, s'agrippant aux épaules de Mail comme si on allait la précipiter dans l'eau à l'instant.
- Ne t'en fais pas, ma chérie ! Tente de la rassurer Mail. Les accidents d'avions sont très rares !
- Génial ! Proteste Mihael, récupérant l'enfant en voyant qu'elle commence à trépigner de peur. Bravo, Mail ! »
Terrorisée, Natasha gigote de plus belle, comme pour tenter de s'échapper et de descendre de l'avion. Le froncement de sourcils menaçant de Mihael la fait se calmer un instant. Elle se mord la lèvre. Maladroitement, le blond tente de lui tapoter dans le dos pour la rassurer. Mail lève les yeux au ciel derrière lui. Lorsqu'il s'agit de consoler, Mihael ne sait jamais comment s'y prendre. Mail redouble de douceur et de mots rassurants en installant Natasha dans son siège, entre eux deux. Elle lui envoie un regard de chien battu lorsqu'il boucle la ceinture, auquel il ne cède pas.
« - Tu vas voir, tout se passera bien ! Promet-il.
- Comment tu peux le savoir ? Marmonne l'enfant, qui a désespérément besoin d'être rassurée.
- J'en suis sûr ! Répond-il bêtement, ne sachant pas comment la convaincre. »
Puis Mail se penche vers elle en l'enlaçant, lui chantonnant doucement à l'oreille :
« - Je rêve d'un nouveau monde
D'une partie de poker
D'une cigarette blonde
D'une fleur dans ses cheveux clairs… »
Elle s'apaise en entendant sa voix grave et finit par s'assoupir de nouveau. Mihael, l'air de rien, en profite lui aussi pour écouter. Mail lui lance un petit regard narquois. Le blond se met à grommeler et se retourne vers le hublot, contemplant la nuit.
Veuillez attacher vos ceintures. Nous allons bientôt décoller…
Natasha est réveillée par les cahots de l'avion qui amorce sa descente. Elle cligne ses yeux collés par le sommeil, tâchant de se souvenir d'où elle est. Elle découvre qu'elle est blottie contre Mail, dont la tête part en arrière sur son siège. Ses yeux sont clos et bougent sous ses paupières rendues mauves par la fatigue et la maladie. Un léger sifflement s'échappe de ses lèvres entrouvertes.
« - Et en plus, il ronfle… »
Elle se retourne, pour constater que Mihael les regarde avec une expression attendrie et agacée à la fois. Il est le seul à paraître bien éveillé. Elle se demande s'il n'a jamais besoin de sommeil… Le blond est toujours en train de bouger, de courir en tous sens et de s'énerver. Il ne se repose jamais.
« - On est arrivés, lui dit-il. Tu vois, qu'on ne s'est pas crashés… »
Toute surprise, elle regarde par le hublot. La nuit est éclairée de milliers de lumières colorées. Le ciel et la terre semblent s'être inversés, comme si les étoiles s'étaient décrochées pour tapisser le sol. Elle écarquille les yeux, posant le bout de ses doigts sur la vitre en enjambant Mihael (elle n'a plus sa ceinture de sécurité). Il la retient soigneusement par la taille, pour éviter qu'elle ne tombe. Emerveillée, elle sourit à sa première vision de la cité des anges.
« - C'squispasse ? »
Mihael et elle sursautent. Mail semble totalement déboussolé et cherche la petite près de lui, avant de se rendre compte qu'elle est avec Mihael. Une fois cette constatation faite, il passe une main sur son visage épuisé.
« - N'estarrivés ? Bafouille-t-il, encore dans les vapes.
- Non, on s'est écrasés ! Ironise Mihael. Te voilà au paradis, Mail !
- Cool ! Constate juste le geek, complètement abruti par la nuit dans l'avion. Il y a des jeux vidéo au ciel ? »
Natasha pouffe derrière sa main. Mail est très amusant lorsqu'il vient de se réveiller. Mihael, lui, a l'air moins content et administre une bourrade à son compagnon. Mail gémit et son maltraiteur se stoppe immédiatement.
« - Tu as mal ? L'apostrophe-t-il agressivement, le seul moyen pour lui de montrer son inquiétude.
- Oh ciel, je vais mourir, confirme Mail avec un sourire. Ne t'en fais pas, va, je ne suis pas en sucre… »
Mihael le regarde quelques instants avec suspicion, cherchant à percer ce masque joyeux. Finalement, il relève Natasha, qui s'est assise sur ses genoux.
« - Il faut que tu attaches ta ceinture. On se pose… »
Effectivement, la voix mielleuse de l'hôtesse de l'air les informe :
Mesdames et messieurs, veuillez attacher vos ceintures. Nous allons bientôt nous poser.
La petite frétille d'impatience, sa fatigue momentanément oubliée. Mihael a le plus grand mal à la maintenir en place, ce qui amuse beaucoup Mail. Mihael songe sérieusement qu'à présent, il a la responsabilité de deux gosses. L'atterrissage fait se recroqueviller les deux mômes en question, tant le bruit est grand. Mihael laisse échapper un rire, le premier que Natasha lui entend. Rêveuse, elle se dit qu'il est bien plus beau ainsi… Et Mail semble bien de cet avis, vu le regard enflammé dont il le couve. Un regard qui fait rougir et grogner le concerné, à nouveau.
Nous venons d'atterrir. Il est quatre heures du matin, heure locale. Merci d'avoir choisi notre compagnie. Nous vous souhaitons un agréable séjour.
« - Et patati et patata, marmonne Mihael, attrapant la fillette. Mail, tu te souviens d'où est la voiture ? »
Grand silence. Le rouquin ouvre la bouche et la referme, comme un poisson rouge. Mihael le fusille du regard.
« - Maiiiiiiil Jeevaaaaaas…
- Je vais la retrouver c'est promiiiis ! »
Il a plutôt intérêt, songe Natasha. Vu les éclairs dans les yeux de Mihael et ses imprécations… Mail fuit devant lui, son étui à guitare ballottant dans son dos. Mihael fulmine en récupérant les deux valises qui constituent leurs maigres bagages. Il doit reposer Natasha pour en porter une, mais prend bien garde de la tenir par la main. La fillette tourne ses yeux en tous sens, ravie et impressionnée par le changement d'univers. Mail réfléchit à toute allure, mettant à profit tout son sens de l'orientation. C'est-à-dire pas grand-chose.
Cette fois, aucun problème au guichet. Natasha découvre avec surprise un air plus chaud au-dehors que celui de son Angleterre natale. Mihael en paraît soulagé. Visiblement, il est là aussi semblable aux félins : il n'aime pas le froid. Mail se creuse toujours la tête en se mordant la lèvre. Elle peut presque voir les rouages tourner sous ses rares cheveux roux. Ils marchent dix bonnes minutes dans l'immense parking, retournent sur leurs pas, allument leurs portables pour voir plus clair…
« - Mail, persiffle Mihael, dont la colère monte de plus en plus. Je te jure que si on est obligés d'appeler Nathan pour rentrer, je te tue.
- Je VAIS y arriver ! Déglutit Mail, peu rassuré. Je suis sûr qu'elle n'est pas loin…
- La petite a mal aux pieds ! Insinue Mihael, qui sent que c'est là la menace idéale pour le faire se dépêcher. Elle est fatiguée, transie, effrayée…
- Je VAIIIIIS y arriveeeeeer ! Panique Mail, affolé à l'idée que Natasha puisse se sentir mal par sa faute.
- Euh… Excusez-moi… Balbutie une voix féminine. Vous avez besoin d'aide ? »
Elle porte l'uniforme de la compagnie aérienne. Mail pousse un soupir de soulagement, puis lui explique la situation à grands renforts de gestes désordonnés. Mihael surveille la femme de son regard noir, menaçant. Mais celle-ci n'a pas l'air de le remarquer. Elle est concentrée sur le visage de Mail et semble plongée dans une grande réflexion.
« - Euh… Excusez-moi de vous poser cette question, finit-elle par lâcher. Mais… Je ne vous aurait pas déjà vu quelque part ? »
Les yeux de Mihael sortent à présent de leurs orbites. Natasha considère avec pitié l'imprudente qui les a abordés. Elle va se prendre une de ces roustes… Mail, lui, a l'air étonné.
« - Vous êtes sûre ? Demande-t-il, perplexe. Je… Je ne me souviens pas…
- Mais siiii… Marmonne-t-elle, concentrée. A la télé…
- Oh non ! S'affole-t-il, semblant soudain comprendre. Non, je suis sûr que non. Bon, mademoiselle, merci de votre aide mais nous allons retrouver la voiture seu…
- Mail ! Crie-t-elle soudain, son visage s'éclairant de l'intérieur. Mail Jeevas ! C'est ça, non ? Vous chantez !
- Nooooooon ! La supplie-t-il presque. Je ne vois pas de quoi vous parleeeeez…
- Mais si ! Commence-t-elle à hurler de manière hystérique. Oh, j'adore vos chansons ! Elles sont si beeeeeeelles ! Est-ce que je peux avoir un autogra…
- Il n'en signe pas ! Intervient Mihael, le tirant par le bras avant qu'elle n'ameute du monde. Bon, il faut vraiment y aller…
- Et cette enfant ! S'étonne-t-elle en apercevant Natasha, qui se fait toute petite derrière Mihael. Que fait-elle ici ? Elle est de votre famille ?
- Qu'est-ce qu'il se passe ? »
Du monde commence à affluer, attiré par la voix excitée de l'hôtesse. Mail donne l'impression d'être un animal sauvage que l'on encercle peu à peu. Pour se protéger des regards curieux, il a alors le mauvais réflexe de sortir ses goggles oranges et de les mettre devant ses yeux.
Et c'est le geste qui provoque le déclic.
« - Oh mon Dieu ! Ce n'est pas Mail Jeevas ?
- Mais si !
- Qui ça ?
- Le chanteur, là ! Ils en on parlé il n'y a pas longtemps, à la télé !
- Tu es sûr ?
- Je veuuuuux un autograaaaaaphe !
- Et la gamine, c'est qui ?
- Elle est trop mignonne !
- LA VOITURE ! Beugle Mihael en entraînant la fillette et son compagnon. JE LA VOIS ! »
Soulevant Natasha dans ses bras, Mail se met à courir à la suite de Mihael, baissant la tête pour éviter les flashs des éventuels appareils photo. La petite se laisse entraîner, ballottée en tous sens et s'accrochant de toutes ses forces au pull à rayures. Elle entend la porte de la voiture qui claque, sent qu'on la dépose à l'arrière et qu'on boucle la ceinture. Mihael et Mail se précipitent à l'avant et bloquent les portes juste au nez des premiers fans.
« - BOUGE ! » Hurle Mihael, pour couvrir les cris.
Ne se faisant pas prier, Mail démarre dans un grondement du moteur et s'efforce de n'écraser personne en reculant, ce qui est assez compliqué vue la petite foule qui s'est formée autour d'eux.
« - On aurait dû appeler Nathan ! Se lamente le rouquin, les mains crispées sur le volant. On n'en serait pas là !
- Si tu n'avais pas oublié où était la voiture, rien de tout ça ne serait arrivé ! Postillonne le blond en réponse, cognant sur la vitre pour dissuader une fangirl trop audacieuse. Tu vas voir que demain, on sera à la une des journaux avec la petite !
- Ah non ! S'étouffe Mail. J'en ai assez eu avec le « coming-out » à la sortie du dernier album !
- Comment je pouvais savoir qu'on était dans l'objectif d'une caméra au moment de t'embrasser ? Crie encore plus fort Mihael, transformant la panique en dispute.
- ET MOI ALORS ?
- J'ai mal à la tête ! » Se plaint Natasha, commençant à geindre.
Ses faux sanglots les stoppent net. Mail se retourne vers elle, inquiet, manquant leur faire faire un tonneau.
« - LE VOLANT ! Hurle Mihael, redressant la voiture. Soit à ce que tu fais, imbécile de geek !
- Mais… Natasha… Commence Mail, piteux et dévoré par l'envie de consoler la petite.
- Natasha ne sera plus en état de pleurer si on percute quelque chose à cette vitesse ! Lui rappelle Mihael d'un ton sec. Conduit, je passe derrière. »
Il se glisse aux côtés de Natasha et la serre contre lui en protégeant son visage, histoire qu'il ne soit pas pris en photo. Une fois leurs poursuivants semés, Mihael ne se prive pas de passer un savon à Mail, qu'il écoute sans rien dire pour ne pas relancer la dispute. Il sait que dans ces cas là, Mihael s'arrête tout seul lorsqu'il a épuisé son stock d'insultes. Et c'est ce qu'il se passe, en effet. La fillette, sa curiosité revenue, ne peut s'empêcher de murmurer :
« - Pourquoi voulaient-ils prendre Mail en photo ?
- Parce que malheureusement, siffle Mihael entre ses dents, Mail est un chanteur assez connu. »
Un drôle de sourire se peint alors sur les lèvres de Natasha, le sourire sadique des fillettes qui savent qu'elles mettent le doigt sur quelque chose d'embarrassant. Elle prend sa voix la plus candide pour roucouler :
« - Et pourquoi la fille blonde lui a lancé son soutien-gorge ? »
Mihael s'étrangle et Mail explose de rire.
« - Ça, c'est parce que… Euh… Hésite Mihael.
- Parce que c'était un joli vêtement et qu'elle voulait me l'offrir pour me faire plaisir ! » Invente Mail à toute vitesse.
En ricanant, Natasha se cale dans son siège et regarde la route défiler. Ils roulent un moment dans un silence complet, uniquement rompu par un bruit de papier déchiré lorsque Mail déballe une sucette sortie de nulle part. Mihael lui jette un regard suggestif que Natasha ne comprend pas. Elle voit juste Mail rougir, mais laisse vite tomber. Les grands, ça a des habitudes et des secrets bizarres…
« - Maison ! Chantonne finalement Mail en se garant. Qui c'est qui va aller faire un gros dodo ?
- Mail, soupire Mihael. N'exagère pas avec le gagatisme.
- Maieuh ! Boude le rouquin. J'ai bien le droit, un peu ! De la douceur dans ce monde d'impitoyables brutes !
- Je peux savoir à qui tu fais référence ?
- Moi ? S'indigne Mail, l'innocence incarnée. Allons, à personne ! »
Allez savoir pourquoi, Mihael n'a pas l'air convaincu… Il décide pour une fois de passer outre, prenant en compte le bout de chou fatigué et perspicace qui s'endort contre lui. Il sort de la voiture en la tendant à Mail (c'est qu'elle commence à peser dans ses bras, le petit ange !) qui la récupère avec un plaisir non-dissimulé.
« - Tu as faim, ma chérie ? S'extasie-t-il en voyant son air somnolent.
- Quoi qu'il arrive, TU NE TOUCHE PAS A LA CUISINE ! Le prévient Mihael, agressif. JE préparerai quelque chose.
- Quoi ? Tu sais cuisiner, Mellow-Yellow ? » Plaisante Mail, taquin, bien conscient qu'avec Natasha dans les bras, il ne se recevra pas de coups.
Un grognement d'ours en colère le dissuade de pousser la plaisanterie plus loin. Il se hâte de se rendre à l'entrée de l'immeuble, qu'il bataille pour ouvrir. Inutile d'essayer l'ascenseur, qui est aussi pourri que le building et en panne presque 365 jours par an. Il se résout donc à emprunter l'escalier jonché d'OVNIs (Objets Verdâtres Non Identifiés). Il grimace en songeant à tout ce qu'il doit monter : pour échapper aux paparazzis, ils se sont installés au dernier étage.
Il arrive en haut essoufflé, sa respiration haletante semblable à celle d'un asthmatique. Mihael, lui, donne l'impression de n'avoir grimpé que trois marches. En revanche, il est inquiet.
« - Fais gaffe, souffle-t-il. C'est pas le moment, avec tes poumons…
- Mes poumons vont super-bien ! Sourit Mail en tentant pour la troisième fois d'ouvrir la porte de leur appartement. Nathan les a récurés… »
Mihael fait la moue. Il n'est pas convaincu, mais n'insiste pas. Mail n'aime pas parler de sa maladie. A tel point que, le jour où Nathan avait détecté une rechute, il lui avait balancé la nouvelle par téléphone, d'un seul coup et d'un ton guilleret, de peur de sa réaction. Il s'assombrit en y repensant. Il avait débarqué à l'hôpital avec un sac et un oreiller, déclarant avec force jurons qu'il ne sortirait pas de la chambre de Mail tant que celui-ci ne serait pas guéri. Et, dans le cas où il ne guérirait pas, il n'en sortirait que les pieds devant. Heureusement, le traitement avait été plus rapide que la dernière fois, sans doute parce qu'à présent, Mail avait une raison de vivre…
« - Voilà, mon petit chou. Bienvenue chez toi ! Euh… C'est un peu en désordre, je crois… »
En entendant le « un peu » et le « je crois », Mihael sent une alarme résonner dans sa tête. Se précipitant à l'intérieur, il découvre l'effroyable vérité : Mail, un grand sourire aux lèvres pour cacher sa panique, Natasha effarée et un monstrueux bordel qui ressemble à ce que laisse derrière lui le passage d'une tornade.
« - Où est le sol ? »
Ou : « le premier commentaire de Natasha sur ce qui va être sa maison ». Et en effet, on ne distingue pas le carrelage sous la montagne de vêtements ôtés à la hâte, d'emballages de pizzas et de chocolat et d'autres objets divers et variés tels que des boites de préservatifs, des journaux, des magazines peoples et des milliers de coupures de presse parlant de Mail.
« - Hum.
- Oups.
- Haem.
- Ben, en fait, euh… »
Mihael décide d'interrompre la série d'onomatopées et de prendre les choses en main.
« - Tu dormiras dans la chambre de Mail, puisqu'il ne s'en sert plus, décide-t-il en rangeant la pièce du regard. Je vais voir ce que je peux faire. »
En constatant que l'état de la chambre est pire que celui du salon, Natasha fait une grimace éloquente. La simple idée de dormir dans cet endroit probablement infesté de rats suffit à lui donner la nausée. Sans compter qu'une odeur de fauve (ou plutôt de geek penché sur son jeu vidéo) y règne… Dans la petite maison bancale, le désordre n'avait pas eu le temps de s'installer.
« - Opération rangement, se résigne Mihael, disparaissant un instant pour revenir, au grand ravissement de Mail, avec un fichu blanc sur la tête, une éponge, du liquide vaisselle et un aspirateur. Tout le monde dehors. »
La porte se referme sur lui et Mail et Natasha échangent un regard perplexe. Comment diable va-il s'y prendre pour rendre la pièce habitable sans une semaine complète de nettoyage ? Des bruits étranges les poussent à s'éloigner. Mihael est en train de faire un terrible chambardement.
« - Superman ! Souffle Mail, impressionné. Je vis avec Superman !
- Il n'a pas de cape ! Remarque Natasha, amusée.
- C'est vrai… Mais peut-être qu'il l'a perdue dans le bazar ! » Grimace Mail, complice.
Elle rit. Mail fond immédiatement devant cette bouille joyeuse. Il se demande vaguement combien de temps résisteront ses derniers neurones face à la petite fille.
Il leur donne une semaine.
Retrouvant un peu de sens pratique, il débarrasse le canapé des affaires qui l'encombrent et perche la gamine dessus, comme sur un ilot au milieu de la crasse ambiante. Puis il ouvre les fenêtres pour aérer. Natasha a les mains et les coudes loin du corps, pour éviter de toucher quelque chose de sale. Elle est très mal à l'aise. Dans la chambre, l'aspirateur se met en marche avec un bruit inquiétant. Mail se demande combien d'années la machine a exactement.
« - MAIIIIIL ! J'AI TROUVE DE LA PIZZA DE LA SEMAINE DERNIERE DANS LA COMMOOOOODE ! JE T'AVAIS DIT DE LA JETEEEEER ! »
Mail déglutit et s'empresse de se rendre en cuisine pour vérifier l'état de l'endroit. L'odeur de moisi le prend à la gorge et le fait suffoquer. Il jette un regard désespéré autour de lui. C'est une véritable catastrophe…
« - Oh Seigneur ! Gémit-il en joignant les mains très dramatiquement. Délivrez-nous de cette abomination ! »
Il flanque par terre tout ce qu'il y a sur la table pour la désinfecter. Il y verse un quart de la bouteille de javel et saisit l'éponge dans l'évier encrassé. Il fait la grimace. Elle est noire et ratatinée. Il a beau la rincer, elle ne cesse de dégorger un jus brunâtre. Il abandonne l'éponge et dévide presque toutes les feuilles du rouleau d'essuie-tout. Il cherche dans les placards, mais aucun signe de chiffons ou de serviette. Fouillant par terre, il déniche un vieux tee-shirt et s'en sert pour finir de nettoyer. Une fois la nappe reluisante et sentant fort la javel, il jette le vêtement à la poubelle. Puis il fait suivre la plupart de ce qui traîne au sol.
« - MAAAAAIL, J'AI ENCORE TROUVE UN SANDWICH SOUS LE LIIIIT ! »
Il se couvre les oreilles. Mihael est vraiment en pétard. Il se demande où il en est dans son grand nettoyage… Puis revient au sien. Il réussit à ranger à peu près et sort un paquet de pâtes trouvées dans un placard. Heureusement, elles ne sont pas périmées. Il les pose à côté d'une casserole rescapée, songeant qu'il ne vaut mieux pas pour lui tenter de les faire cuire. Puis il retourne au salon, où il découvre avec attendrissement la petite Natasha couchée sur le sofa. Il se retient de pousser un « kya kawaiiiii » digne de ses pires fans et se contente de s'assoir à côté d'elle. Il lui caresse les cheveux et le front, qu'elle plisse dans son sommeil. Ses petites lèvres forment une moue boudeuse. Elle sent l'enfance, le sucré, le lait.
Il reste longtemps penché sur elle, comme un ange gardien. Puis un bruit de porte qui claque le fait sursauter.
« - J'ai fini. Si tu me mets MA chambre dans cet état là, tu devras faire abstinence. Hors de question de faire ça dans une telle crasse. »
Mihael ressort couvert de poussière, son fichu presque noir après seulement une heure et demie de ménage. Mail ne l'avouera jamais, mais il le trouve très sexy dans cette tenue…
« - Je vais chercher des draps propres », ronchonne Mihael en surprenant son regard, les joues rosées.
Lorsque Mail risque un coup d'œil dans ce qui a été sa chambre, il a l'impression que sa mâchoire va se décrocher. La petite pièce est impeccable. Même les volets bringuebalants sont réparés. La moquette est redevenue blanche, une couleur qu'il ne lui a jamais vue. Et les murs, à sa grande surprise, sont devenus rose pâle.
« - Comment tu as fait pour repeindre en si peu de temps ? Demande-t-il, abasourdi, lorsqu'il le voit revenir.
- Ne soit pas idiot, s'esclaffe le blond. J'ai simplement enlevé ton immonde tapisserie. Elle était déjà à moitié décollée. »
On peut en effet distinguer de très légères traces blanches de colle, mais rien de disgracieux. Mail n'en revient toujours pas de ce qu'il a réussit à faire. Il l'attrape par la taille et lui susurre à l'oreille :
« - Je vis vraiment avec Superman…
- Mais quel con ! Rétorque Mihael, se radoucissant cependant un peu. J'ai juste un peu plus de sens pratique qu'un certain geek de ma connaissance… »
Mail resserre sa prise sur ses hanches, dénudées par son pantalon trop bas. Mutin, il frotte son nez contre le sien.
« - Ma petite ménagère… Ronronne-t-il en l'embrassant au coin des lèvres.
- Tu vas voir ce qu'elle va te donner comme pain, la petite ménagère », fulmine Mihael, hésitant entre se laisser aller ou lui envoyer son genou entre les jambes.
Il opte pour la première solution. Il commence un peu à fatiguer, il n'a pas le cœur à se disputer encore. Et il aura bien le temps de se venger le lendemain. Alors il rend son baiser à Mail, laissant tomber la pile de draps sur la moquette. Mais il l'arrête tout de même lorsqu'il tente de le renverser à son tour, l'embrassant à perdre haleine et laissant ses mains se balader un peu trop.
« - La petite dort à côté, lui rappelle-t-il en se dérobant. Je dois finir d'installer le lit. »
Il ignore les yeux de chien battu qu'il lui adresse et prépare le lit en deux tours de main. Puis il file dans la cuisine préparer quelque chose à manger. Mail songe avec un sourire qu'il ne l'a pas vu aussi animé depuis longtemps. Il a les joues roses, le regard vif, il est partout à la fois. En fait, cela lui rappelle cette journée qu'ils avaient prise, avant de retourner à l'enquête sur Kira.
Comme s'ils étaient… Normaux.
« - A table, bande de paresseux. »
Le regard de Natasha, qui se lève comme une somnambule pour se rendre à la cuisine, le fait rire doucement. Elle lui fait penser à lui, ne sortant de sa tanière que pour se nourrir. Il la suit, trottinant derrière elle comme un chien gâteux. Mihael a cuisiné une assiette de pâtes et des œufs au plat. Il ajoute cinq coussins sur une chaise, pour que Natasha puisse s'assoir à la table. Elle engloutit tout avec un appétit qui fait plaisir à voir. Puis, complètement à plat, elle retrouve ses réflexes d'avant et tend ses bras à Mihael pour qu'il la porte jusqu'à sa chambre. Ce qu'il fait volontiers, mais avec un regard assassin à Mail, pour le dissuader de faire le moindre commentaire.
Au milieu de son grand lit blanc, vêtue d'un pull à rayures trois fois trop grand pour elle, la petite semble perdue. Mal à l'aise, les deux hommes se dandinent à l'entrée de la pièce. Doivent-ils dire bonne nuit tout de suite, lire une histoire, faire quelque chose de particulier ? C'est elle qui les sort de leur embarras, en chuchotant timidement :
« - Mon premier est une répétition, mon second est un arbustes à baies rouges. »
« Bis-houx. »
Mail soupire de soulagement. Les bisous, les câlins, voilà quelque chose qu'il sait faire à merveille. Il se précipite et l'ensevelit dans son étreinte, la berçant avec ravissement. Mihael se contente d'un baiser sur son front, d'une caresse sur la joue et d'un « bonne nuit » avant d'éteindre la lumière. Sans doute faudra-t-il un peu de temps avant que ces deux là s'apprivoisent totalement…
Mail emporte dans son sommeil la vision de deux yeux pervenche qui les suivent au moment de sortir de la chambre.
Ce qu'ils sont devenus 2 :
L'orage
L'enfant est couchée dans le noir, les yeux grands ouverts. Ses lèvres tremblent, elle est secouée de sanglots. Au-dehors, l'orage se déchaîne. Elle déteste les orages. Elle en a très peur. Mais sa fierté disproportionnée pour une si petite fille l'empêche d'aller se réfugier auprès de ses parents. Elle se blottit dans son lit confortable, en chien de fusil. Elle étouffe ses larmes dans son oreiller.
La foudre tombe non-loin de la maison, illuminant toute la chambre et faisant trembler la construction bancale. Elle hurle, de toute la force de ses poumons. Un cri du cœur, un appel au secours.
« - PAPA ! »
Papa, papa, elle veut son papa. Son papa chéri pour chasser la tempête. Lui qui a une voix d'orage, il saura bien apprivoiser celui-ci, non ? Elle veut sa douceur, sa stature protectrice et son odeur de pain d'épices. Elle veut son sourire rassurant et ses épis roux qui partent dans tous les sens. Et elle veut aussi le regard attentif et réfléchi de l'autre, celui qui veille, celui qui chasse les maladies d'une caresse de la main sur son front, celui qui transforme ses cheveux indisciplinés en deux couettes soyeuses. Celui qui lui ressemble à un tel point qu'elle a cru plusieurs fois être du même sang que lui.
Le tonnerre gronde, faisant trembler la terre.
« - MIHAEL ! »
Elle ferme les yeux de toutes ses forces, se recroquevillant sous la couette. Les deux mots martèlent son crâne. Papa et Mihael, papa et Mihael, papa et…
« - Natasha ? »
La porte s'ouvre sur une petite trace lumineuse, lumière dorée qui tremblote dans l'obscurité. Une bougie. L'électricité a coupé. Une silhouette s'avance dans la pénombre, le pas lourd et ensommeillé. La fillette ose pointer le bout de son nez entre les couvertures. Elle croise deux yeux verts hagards, inquiets et chaleureux.
« - Qu'est-ce qui ne va pas, ma chérie ? » Demande-t-il avec douceur en se penchant vers elle. Tu as fait un cauchemar ?
Elle ne peut retenir d'avantage ses pleurs et fond en larmes. Elle a honte de se laisser aller ainsi, mais elle n'en peut plus. Et n'ont-ils pas dit qu'ils seraient toujours là pour elle ? Elle veut un câlin et des mots rassurants.
« - Papa… Bafouille-t-elle. Je n'aime pas trop l'orage… »
Il pose la bougie sur la table de nuit et la prend entre ses bras, l'extrayant de son lit et la perchant sur ses genoux. Il est encore dans le brouillard, c'est uniquement son instinct qui le guide. Son instinct lui dit pour l'heure que sa petite princesse est effrayée. Il l'embrasse sur le front et les joues, lui caresse les cheveux, la serre tout contre lui. Il est torse-nu, il n'a pas eu le temps d'enfiler autre chose qu'un short qui trainait. Elle s'en fiche. Ainsi, elle sent mieux sa chaleur.
« - Mail… La société d'électricité a coupé le courant de tout Winchester. Ils ont dit qu'on n'aurait pas de lumière avant demain soir. »
Ça, c'est Mihael, bien sûr. Lui, il est en peignoir, un peignoir assez élégant. Il lisse ses cheveux blonds d'un geste agacé. Le sommeil les a désordonnés. A sa vue, la petite pince les lèvres pour retenir ses sanglots. Elle ne veut pas qu'il la voie faible et sans défense. Elle veut qu'il soit fier d'elle. Autant elle sait que jamais Mail ne la jugera, autant elle a peur de la déception et de l'avis de Mihael. Mihael qui sait toujours quoi faire, Mihael toujours calme ou au-dessus des autres. Mihael qu'elle admire. Il voit qu'elle refoule ses larmes et s'accroupit pour mettre son visage à la hauteur du sien. Ses yeux bleus vrillent son âme. Elle tient le menton bien droit, tâchant d'ignorer les bras tendres de Mail qui lui disent de se laisser aller. Elle soutient son regard. Il hausse un sourcil. Sa voix est plate lorsqu'il parle.
« - Toi, tu as peur. »
Mortifiée, Natasha détourne les yeux. Ses larmes deviennent larmes de rage.
« - Je ne suis pas comme toi, siffle-t-elle. Toi qui es si courageux. Tu n'as peur de rien. Tu es : « Une négation simple, on le roule souvent, elle titre les contes. »
- Je ne suis pas « Pas » « r » « fée », parfait, répond calmement Mihael. J'ai peur aussi, petite sotte. »
Mail, embarrassé, ne bouge plus. Ces échanges-là, entre sa fille et celui qu'il aime, le laissent toujours déconcertés. Ils parlent le même langage.
« - Mais bien sûr, raille Natasha. Et de quoi ?
- J'ai peur de perdre les deux imbéciles qui forment ma famille. J'ai peur que ma bécasse de fille ne m'aime pas. J'ai peur que mon crétin de geek décide qu'il vaut mieux que moi, ce qu'il devrait penser s'il était moins bête. J'ai peur que ce même geek fasse une rechute. J'ai peur que les légumes du frigo soient avariés et que le linge de ma dernière machine déteigne. »
Un instant de silence, puis Mail se met à rire et Natasha à sourire malgré elle. Les commissures des lèvres de Mihael s'étirèrent un peu et il continue à énumérer :
« - J'ai peur qu'il ne reste plus de chocolat dans le frigo. J'ai peur que Nathan ne meure alors que la dernière phrase que je lui ai dite était « Vous avez intérêt à guérir Mail, crétin de mes deux ! ». J'ai peur de rater ma poule-au-pot demain, alors qu'Emily et cette pétasse de Kimberley viennent dîner. J'ai peur que tu grandisses en ayant un manque en toi, parce que tu n'as pas de maman. J'ai peur que ces foutus pucerons bouffent mes rosiers. J'ai peur que tu me détestes, Natasha. »
Elle ouvre de grands yeux. Ça, c'est nouveau. Il ne lui a jamais dit cela. Bon, c'est vrai, cela fait à peine un mois qu'elle est là, un mois partagé entre pur bonheur, gros chagrins de deuil et disputes apocalyptiques. Elle se rend compte petit à petit qu'elle doit apprendre à les connaître tous les deux, que Mihael a sans doute une facette fragile et Mail, un côté brutal et coléreux. Elle se rend compte qu'eux aussi doivent l'apprivoiser…
« - J'ai peur… Commença lentement Natasha, qu'on vous refuse les papiers de l'adoption. J'ai peur que Garance me pique ma barrette. J'ai peur d'être séparée de vous. J'ai peur qu'il n'y ait plus de pâte à crêpe. J'ai peur que tu sois déçu de moi. J'ai peur qu'à force de balancer Lara par la fenêtre, elle ne fonctionne plus. »
Mihael hausse un sourcil et Mail éclate de rire.
« - Mail ! Gronde le blond, menaçant. Tu lui as donnée cette atroce manie de nommer tes consoles !
- J'ai peur que Mihael me défenestre parce que j'ai appelée ma PlayStation Lara, s'esclaffe Mail. J'ai peur que ma fille ait peur. J'ai peur que la sortie du dernier Final Fantasy soit retardée. J'ai peur que Mihael ne m'aime plus. J'ai peur de devoir refaire des crêpes demain et d'exploser le four une nouvelle fois. J'ai peur pour vous, tout le temps. »
Ils se taisent. L'orage gronde de plus belle. Natasha se sent soulagée.
« - Quelle famille de trouillards ! Plaisante-t-elle.
- C'est contagieux, marmonne Mihael. Pousse donc ton derrière, Mail, et fais-moi une place. »
Matt s'écarte et, dans sa précipitation, tombe du lit. Il ne se relève pas, se contentant de cligner des yeux, surpris. Des rires mouillés de Natasha suivent, un peu attendris, un peu moqueurs. Mello s'étale majestueusement sur les couvertures, comme un roi dédaigneux. Il a un petit reniflement supérieur pour Matt toujours à terre, et lui tend son pied en frétillant des orteils.
« - Embrasse donc mes pieds, serviteur ! Clame-t-il solennellement, serrant Natasha contre lui. Et apporte-moi un bol de chocolat chaud.
- Dans tes rêves, ma blondinette ! Susurre Matt en battant des sourcils comme un Bambi pris de frénésie.
- Il se rebelle ! S'offusque Mello, s'adressant à sa fille écroulée de rire. Que doit-on lui faire, à ce manant ?
- Il doit chanter ! En profite-t-elle pour glisser, se blottissant un peu plus dans ses bras. Ou Lara sera décapitée à l'aube !
- NOOOON, PAS LARA ! » Se lamente Mail, paniqué, joignant ses mains.
Rires. Répliques malicieuses. La voix de Mail qui fredonne, prend de l'ampleur et se transforme en berceuse. Un instant de magie, un instant de bonheur. Lorsque Mail se tait, il constate avec un sourire que ses deux amours se sont assoupis. Un peu mutin, un peu railleur, Mail dépose un baiser sur le pied de Mihael, qui dépasse de la courtepointe. L'œil bleu s'entrouvre, tendre et taquin.
« - Viens donc, troubadour, murmure-t-il, presque endormi.
- Il faut que tu fasses descendre tes cheveux jusqu'à moi, ironise Mail.
- T'es con…
- Je sais. »
Il se relève et vient les rejoindre, les enlaçant et embrassant chacune de leurs deux têtes ensommeillées.
« - Mes princesses. » Souffle-t-il.
Un coup de coude de Mihael. Un gloussement de Natasha.
L'orage est moins menaçant, soudain, au dehors.
Note : Ce dernier one-shot était dédicacé à Greengrin, pour son n'anniversaire. Elle m'a très gentiment autorisé à le publier.
Ce qu'ils sont devenus 3 :
Héritage
(de Greengrin)
« - Comment s'est passée ta journée, à part ça ? » Demanda t-il d'un ton qui trahissait la fatigue.
"A part ça".
L'appartement qu'ils habitaient en ce moment n'était pas loin d'une l'école primaire, dans laquelle Mihael avait ordonnée qu'elle s'inscrive. Elle y rentrait à pieds. Suivant les autres grappes d'enfants qui s'éparpillaient, seule. Elle se souvenait encore du soir où elle avait mordu au sang des grandes qui l'embêtaient en voulant lui voler les barrettes que Mail avait amoureusement accrochées à ses cheveux fous le matin. La maitresse les avait implacablement convoqués. Mihael avait crié très fort. Elle avait honte de lui avoir causé des ennuis, mais espérait tellement que le calvaire se termine. Ces longues journées vides, d'un ennui mortel. Elle n'attendait qu'une chose, qu'ils déménagent à nouveau.
« - Normalement. Répondit laconiquement la fillette, d'un ton fier qui laissait la plus grande place à l'interprétation.
- Tu as des devoirs ? »
Elle n'aimait pas la lueur un peu folle qui brillait dans l'œil de son père à ces mots quelque part, cela lui donnait envie de rire, surtout quand Mail, lui pelant une pomme, pouffait à ses côtés. Mais cela lui faisait aussi froid dans le dos. Et ce soir, son papa gameur n'était pas là. Il était parti " faire des courses pour le travail". Elle avala avec avidité quelques biscuits, trempés dans du lait, dont les miettes lui griffaient la gorge.
« - Je ne suis pas sûre, répondit elle, amère.
- Comment ça, rétorqua t-il, c'est la première chose dont tu dois te soucier ! »
Mihael ne l'avouait pas, mais contrit par le fait qu'ils bougent perpétuellement il avait insisté pour inscrire la petite à l'école, persuadé que cela lui laissait au moins un rythme fixe.
« - D'ailleurs, ajouta t-il par association de pensées, mercredi prochain, nous partons en voyage ... »
Un espoir fou d'aventure se mit à luire dans les deux yeux pervenche.
« - ... - pour le travail - et tu iras chez Nathan pour deux semaines.
- Mais, grommela-t-elle…
- Ne te plains pas ajouta t-il, il a accepté de t'accueillir, comme d'habitude. »
Son ton était sec. Définitif.
Natasha se rappela avec une pointe de honte de la première crise qu'elle avait faite à leurs côtés il y avait deux ans... elle avait catégoriquement refusée de retourner un mois à la Wammy's House, hurlant qu'ils l'abandonnaient, et qu'elle les détestait. Mihael avait hurlé lui aussi. Il avait fallu toute la patience et la tendresse de Mail pour les calmer. Il s'était empressé d'appeler Nathan. Bien sur, il avait accepté, avec l'aide d'Emily.
Alors que Mihael se retournait pour ranger le paquet de gâteaux... Des larmes de sentiments mêlés tombèrent dans le petit verre de lait.
« - Natasha ? Tu pries ? Remarque t-il, interloqué et troublé par la position de la fillette aux cheveux fous, agenouillée par terre, à moitié penchée sur son lit.
- Non, j'écris sur mon cahier. »
Les charades s'alignaient avec rage les unes derrières les autres.
Elle tourna vers lui son regard acéré. Son regard douche froide.
« - "Dieu", c'est pour les petits enfants. »
La bouche de Mihael s'étira en un soupir doux et extatique, alors que son ventre fourmillait à ce souvenir.
« - ... Ton père, cet idiot, il m'avait affirmé exactement la même chose ... »
Natasha ne pipa mot, une tache d'encre s'étalant sur la page blanche. Puis soudain, elle rétorqua sèchement :
« - Qu'est ce que tu lui as répondu ? »
Mihael ouvrit la bouche mais la referma avant qu'aucun son n'en soit sorti. Ses yeux se plissèrent imperceptiblement. Lentement. Très lentement. Son sourire amusé mourut sur ses lèvres. Natasha s'était tournée vers lui le fixant avidement du regard. Lorsque la tête blonde se redressa, un sourire nouveau, doux et étrangement fou était apparu sur les lèvres fines et abimées.
« - Viens. » Murmura t-il enfin. Un "viens" qui ne laissait la place qu'à l'obéissance. Et à la curiosité.
Elle sauta sur ses pieds et trottina avec méfiance jusqu'à la main qu'il lui tendait.
Il l'entraina vers leur chambre. La chambre - si on pouvait l'appeler ainsi - la fillette eut une moue boudeuse. Mihael insistait toujours pour que la sienne soit bien rangée, alors que Mail avait le droit de transformer la leur en un véritable capharnaüm de câbles, matériel informatique, amplificateurs et canettes vides… Natasha dansait d'un pied sur l'autre à l'entrée, tendant son nez à gauche et à droite. la curiosité qu'elle éprouvait face aux constructions et empilements étranges et exotiques de Mail, qui ressemblaient à des montres cauchemardesques perdus dans la pénombre de la pièce, la fascinait et la terrifiait à la fois.
D'un tiroir, Mihael extirpa délicatement un minuscule objet qu'il serra dans le creux de sa paume. Puis, lentement, comme si l'objet avait un poids, un poids conséquent et dangereux, il rejoignit sa fille sur le pas de la porte.
« - Allons nous assoir dehors, proposa t-il.
- Tu n'as pas répondu à ma question, tout à l'heure. » Ajouta la fillette d'un ton respectueux, mais grinçant, en descendant les escaliers.
Mihael sourit imperceptiblement.
« - Je lui ai répondu que peu importe. Que ça m'était égal qu'il croit ou pas. Que je lui apprendrais à prier pour moi. » Avec quelques seconde d'appréhension, en s'asseyant face à elle, il posa dans la main de la fillette une petite croix en bois et en fer.
« - Ceci lui appartient. Nous appartient - c'est... très précieux. »
Puis, après un douloureux instant de réflexion, il captura le regard de la fillette assise face à lui dans l'herbe verte.
« - T'appartient. »
Natasha fixa le métal ouvragé. Ses doigts le caressèrent. Pour elle, ça n'était rien d'autre qu'une croix. Bien sûr.
Mello tenta de trouver les mots justes dans un froncement de sourcil. Comment exprimer quelque chose d'aussi long, si lourd, fort et adulte, par une phrase ? Il préféra se taire finalement, passant simplement sa langue sur ses lèvres fines.
« - C'est ... très précieux ? » Reprit-elle.
Il ferma les yeux et frissonna, levant sa tête vers le ciel.
« - Tu devineras à quel point quand tu aimeras quelqu'un de tout ton être. » Il poursuivit, « Autrefois, c'était un chapelet, mais peu importe sa forme, cela te plairait il d'en faire un collier, par exemple ?
- Bien sur, rougit-elle, grisée par l'idée d'avoir un bijou ... mais si c'est si précieux, hésita-t-elle, en rougissant, papa sera d'accord ? »
Il sourit.
« - Oui, ma puce, oui, il sera d'accord. Je crois qu'il aime le porter, de temps en temps, mais il trouvera judicieux que ce soit toi qui le garde dorénavant. Maintenant, il est à toi », ajouta Mihael, à la vue de son regard hésitant ; de son ton qui ne souffre aucune réplique.
Le regard de Natasha s'acéra. Elle savait très bien que Mihael n'était pas toujours prévenant envers son compagnon, avec une idée bien à lui en tête… Elle voyait bien, souvent, la souffrance résignée de l'habitude dans les yeux de Mail. Elle vrillait son petit cœur d'enfant.
« - Je pourrais lui poser la question, quand même, non ? Je ne veux pas qu'il soit en colère contre moi ... »
Mihael leva les yeux au ciel avec un grondement d'énervement. Il n'y avait bien qu'elle qui était capable de le défier si spontanément et ouvertement.
« - Et puis, d'abord, tu sais faire ça, les colliers ? » Demanda-t-elle d'un ton mi intéressé, mi taquin ...
Mihael soupira en pestant. Un sourire au coin des lèvres.
« - Je sais mettre des perles sur un fil, maligne. »
Elle ferma les yeux puis les rouvrit, satisfaite.
« - Alors, je les veux rouges. Rouges comme le sang. » Murmura-t-elle, avec innocence.
De surprise, et d'un mélange de sentiments contradictoires et confus, Mihael sentit son ventre se serrer et cogner à la fois. Il sentit la chaleur, comme les coulées d'une lave, ni bonne, ni mauvaise, juste naturelle ; se répandre en lui. De cette sensation qui lui donne envie de se ruer sur une tablette de chocolat.
« - ... et vertes, poursuivit elle. Vert, comme les yeux de papa. Vert un peu jaune. C'est doux. »
Elle soupira. Ca sera beau ensemble.
Le métal luisait dans sa menotte, sous l'œil de Mihael.
Dans un nouveau rougeoiement de braises, Mello ne put qu'acquiescer.
Note : Ce dernier one-shot m'a fait extrêmement plaisir, et m'a beaucoup inspirée. N'hésitez pas à faire part à Green de vos impressions, qui seront positives, bien entendu ! *cache son rouleau à pâtisserie dans son dos en sifflotant*
L'affaire-Natasha
(Dossiers confidentiels de Near, parfois moins confidentiellement annotés par Kimberley Cassey)
(Retranscription écrite d'une interview de Mail)
Intervieweur : Bonsoir, Mail. Nous sommes ravis de vous accueillir sur le plateau !
*applaudissements*
Mail : *vert-pomme* Bonsoir.
(Note personnelle de Kimberley) C'est bon, les pommes.
I : Vous avez connu une ascension tout aussi fulgurante qu'inattendue dans l'univers musical ! Vous y attendiez-vous ?
M : *vert-anis* Euh… Non. Ça s'est fait, euh… Tout seul. Combien vous avez dit qu'il y avait de gens qui regardaient l'émission ?
*rires*
I : *rit aussi* Hum… Alors comme ça, vous êtes un grand timide ?
M : *faiblement* J'ai passé mon enfance coupé du monde et à jouer à la Playstation. J'étais très sociable…
*rires*
I : Qu'est-ce que ça vous a fait, de devenir la coqueluche des studios Carmina ?
M : *vert-moisissure* Ben… Les studios n'étaient pas connus du tout quand j'ai commencé. Donc j'étais content que le disque se vende bien, mais je ne m'attendais sûrement pas à… Tout ça.
(Note personnelle de Kimberley) Il ne s'attendait pas à ce que les filles lui balancent leur soutif à la figure…
I : Lorsque le succès a commencé, vous étiez cloué dans un lit d'hôpital… Mais vous êtes resté plutôt discret sur votre maladie.
M : *vert-petit-pois* J'ai eu un cancer du poumon. J'avais beaucoup fumé, étant plus jeune.
I : *sourire Colgate* Ça, c'est un scoop ! Vous étiez accro à la nicotine ?
M : *sarcastique* On voit que vous avez beaucoup écouté ma musique. Plus de la moitié des chansons sont à ce sujet, tout de même…
*silence gêné*
(Note personnelle de Kimberley) OUAIS ! Vas-y Mailichou ! Démolis-le !
I : Hum… Et comment vous en êtes vous sorti ?
M : *moins vert, plus ironique* Je ne vais pas m'écrouler à l'instant. Je suis guéri.
I : Mais ça a dû être très dur… Comment avez-vous tenu le coup ? Votre famille ?
M :…Je suis orphelin.
*silence de mort*
(Note personnelle de Kimberley) Niark… Comment plomber l'ambiance…
M : Pour m'aider, j'ai eu deux infirmières très spéciales et un médecin formidable. Je lui rends hommage dans « Allo, papa, bobo ». *voix gamine* C'est comme mon papa !
*rires détendus*
I : *écoute son oreillette* A ce propos… Vous parlez souvent d'un grand amour dans vos textes… Un amour fou, une passion qu'on pourrait qualifier de « dévastatrice »… Toutes les téléspectatrices se demandaient qui étaient l'heureuse élue !
*rires*
M : *vire au rouge* Hum.
(Note personnelle de Kimberley) Aïe… Aïe… Je le sens mal…
I : Et lors de la sortie de votre dernier album, vous avez stupéfié tout le monde : c'était « un » heureux élu… Le plus étonnant, toutefois, si j'en crois la presse, c'est la longévité de votre relation. Ça va faire… Combien ? Deux ? Trois ans ?
M : *tomate* Hum… Vous comptez à partir du premier baiser ?
I : Oui… ?
M : *compte sur ses doigts* On était gosses… Ça va faire… Quatorze ans.
*silence abasourdi*
(Note personnelle de Kimberley) WAOUH ! Aussi longtemps ! Ben dis donc, mon cochon !
M : *sourit* Et oui.
I : Ce n'est… Pas commun…
M : *rit* Même pour les hétéros…
(Note personnelle de Kimberley) PAN ! Dans le sourire Colgate !
*rires*
M : J'aime toujours infiniment Mihael. Toutes les chansons du monde ne sauraient l'exprimer.
*soupir extatique et débile* Oooooh !
I : *avide* Vous pensez à… « Officialiser », peut-être ?
M : *cramoisi* Je… Hein… ? Que… Oh… Ah… Une bague… Ben…
*rumeur intéressée*
I : *insiste* Oui ?
(Note personnelle de Kimberley) Je vais lui péter les dents, moi, à ce bellâtre !
M : *se renfonce dans son fauteuil avec des marmonnements semblables à des appels au secours*
*voix venant des coulisses* Eh, vous, l'espèce de limace-paparazzi ! Si vous continuez à poser des questions d'ordre privé, il quitte le plateau dans la minute !
*rires*
I : *rouge, mais très digne* Bon… Votre source d'inspiration ?
M : *s'anime* Les deux amours de ma vie.
I : Qui sont… ?
M : Micha et... *se souvient d'un coup de quelque chose, devient livide, se tait*
(Note personnelle de Kimberley) Merde.
I : *intrigué* Et ?
M :…Mon petit ange, qui se reconnaîtra.
(Ici, le papier du journal est mouillé. Kimberley est grossière, mais trop sensible.)
I : Un petit ange ? *réfléchit, puis bondit sur son siège* Un enfant ? Vous avez eu un enfant ? *s'emballe* Mère porteuse, insémination, ou… ?
Mihael : *n'y tient plus et descend en courant sur le plateau* (biiiiiiiiiiiiiiip) MAAAAAAIL (biiiiiiiiiiiiiiip) JE T'AVAIS DIT DE FAIRE GAFFE, (biiiiiiiiiiiiiiip) !
Mail : *plaintivement* Je suis désolé ! Pardon ! Oh, ma Natasha adorée, mon amour, mon koala, excuse-moi !
Mihael *échevelé* MAIS (biiiiiiiiiiiiiiip) ÇA VA PAS LA TETE (biiiiiiiiiiiiiiip), DE DONNER SON NOM EN PLUS (biiiiiiiiiiiiiiip) !
I : Hum, hum… Nous allons achever cette interview. Une dernière question : la chanson, vous arrêtez ?
M : Jamais de la vie. Eh, est-ce que je vous ai dit à quel point elle est belle, ma Natasha, et comme ses cheveux bouclent harmonieusement et…
(Mail a dû être trainé hors du plateau par Mihael)
(Article découpé dans Pouffiasse-Today)
Scandale sur CNN !
Hier soir, le chanteur Mail Jeevas, vingt-huit ans, a stupéfié les Etats-Unis en annonçant en direct qu'il élevait une petite fille avec son compagnon, Mihael K. Natasha Storm aurait été enlevée illégalement de son orphelinat, la Wammy's House, à Winchester en Angleterre. Elle serait chez eux depuis quelques mois à présent. La société protectrice de l'enfance s'est immédiatement rendue sur les lieux et a trouvé la petite fille seule dans la maison, visiblement terrorisée.
« - La pauvre enfant devait être bien malheureuse ! Confie l'un des agents envoyés. Traumatisée par la perte de ses parents, puis arrachée à un environnement stable et sûr pour aller dans un endroit si… Si… Je n'ose même pas vous décrire l'état de leur chambre. Elle a tenté de se cacher quand nous sommes arrivés. Sans doute était-elle effrayée à l'idée de les revoir. »
La petite fille a été placée à l'écart des deux hommes et sous protection de la SPE, le temps que l'affaire soit réglée. D'après les témoignages, elle serait en état de choc et pleurerait beaucoup, frappant et mordant quiconque tenterait de la voir. Mihael a déclaré aux journalistes qui tentaient d'en savoir plus :
« - Vous êtes une bande d'enfoirés. On voit bien que jamais vous n'avez perdu vos parents. Vous dites que nous la traumatisons, espèce de salauds, mais avez-vous idée de ce qu'elle subit avec tout ce battage médiatique ? Nous, on n'a jamais demandé tout ce cirque. Nous, ce qu'on voulait, c'était la paix, LA PAIX, vous entendez ? RENDEZ-MOI MA FILLE, CONNARDS DECEREBRES ! »
Mail Jeevas, quand à lui, déclare être « effondré » et « terrorisé devant la bêtise des gens ».
Ils ont réclamé une entrevue avec la fillette, qui leur a été refusé. Furieux, Mihael a affirmé qu'ils déposeraient une demande d'adoption et que, « peut importe le temps que ça prendra, je récupérerai ma gosse, bordel ! »
Le ministre de l'éducation s'est prononcé ce matin sur le sujet :
« - Ce n'est en aucun cas une question d'homophobie, explique-t-il. Mais cette enfant a été enlevée sans qu'aucun procédé légal ne soit entamé. C'est une conduite très immature et je crois que, même avec une demande d'adoption, ils n'ont quasiment aucune chance d'obtenir sa garde. »
Un procès a été intenté concernant la fraude pour emmener l'enfant aux USA…
(Le papier détrempé par les larmes de Mail devient illisible)
(Retranscription écrite de l'interrogatoire de Natasha Storm)
« - Depuis combien de temps es-tu chez eux ?
- …
- Etais-tu consentante pour quitter Winchester ? Est-ce qu'ils t'ont forcée ?
- …
- T'ont-ils maltraitée ?
- …
- Comment se passait ta vie, chez eux ?
- …
- As-tu subi des attouchements de leur part ?
(Note personnelle de Kimberley) Je m'étonne que lui n'ait pas reçu de pain dans la gueule.
- …
- Ils prenaient soin de toi ?
- …
- Tu voudrais aller habiter… ?
- Foutez-moi la paix.
(Retranscription d'une conversation téléphonique entre Mihael et Near)
« - NEAAAAAAAAAAAR !
- …Bonjour, Mello. Un problème ?
- MON PROBLEME, IL A SIX ANS, DES COUETTES A LA FIFI BRINDACIER ET UNE ROBE ROSE A FLEURS QUI M'A COUTE LA PEAU DES FESSES !
- Tout le monde ne parle que de ça, Mello. Qu'est-ce que je viens y faire ?
- Cesse de m'appeler Mello, je te l'ai déjà dit, imbécile. Mello est mort. Et tu peux y faire que… J'ai… J'ai besoin de ton aide, espèce de nain blafard.
- Mihael, avoue que ton comportement était complètement irréfléchi. Enlever comme ça la jeune Night, sans un mot…
- ELLE S'APPELLE NATASHA !
- Je ne vois pas où tu veux en venir.
- Tu veux me l'entendre répéter, hein ? Ou alors tu veux que je te supplie ? Aide-moi !
- …
- Débrouille-toi ! Fais jouer tes appuis ! Je veux avoir sa garde.
- Il me semble que Mail aussi…
- D'accord, d'accord, NOUS voulons avoir sa garde.
- Mihael, je ne peux rien faire.
- QUOI ?
- J'ai de l'influence dans la police et à la Wammy's House. J'ai déjà demandé aux deux de fermer les yeux sur ton incartade. Mais là, il s'agit de la loi pure et simple, Mihael, de la Justice. Impossible de frauder, il y a trop de monde sur cette affaire.
- Il me semblait pourtant que ça ne te gênait pas de contourner les lois !
- Non, en effet. Mais je viens de te le dire, je n'ai tout simplement aucune influence dans ce domaine.
- Tu en aurais si tu cherchais un peu.
- C'est vrai.
- Tu ?
- Mihael… Je vais être franc, je ne vois pas ce que ça peut me rapporter à part des ennuis. Je ne connais même pas l'avis de cette enfant.
- Demande-le-lui !
- Les gazouillis n'ont jamais été mon fort.
- Je ne te demande pas de t'occuper d'un bébé, mais de poser des questions à une jeune fille intelligente et mature, qui vient du même endroit que toi.
- … Et ?
- A toi, elle parlera. Apparemment, elle ne décoche pas un mot aux psys. Et si on veut avancer, elle doit donner son avis. Les enfants ont des droits.
- …Je ne sais pas.
- On voit que tu n'as pas d'enfant, connard. »
(Mihael a brutalement raccroché)
(Note personnelle de Kimberley) C'est vrai, ça, il est temps qu'on en discute, des enfants…
(Retranscription d'une conversation téléphonique)
« - Je suis L.
- …Me voilà impressionnée.
- Tu es Natasha ?
- Bravo. Grandes capacités de déduction. Vous méritez votre titre de détective.
- Pourquoi tu ne réponds pas aux interrogatoires ?
- Vous avez fouillé les enregistrements ? C'est légal, ça ?
- Si tu ne veux pas d'aide, tu peux tout aussi bien raccrocher.
- …Très bien. Non, je ne réponds pas à leurs questions.
- Tu devrais.
- Je… Je vais leur attirer des ennuis.
- A Mihael et Mail ?
- Oui.
- Tu peux les sortir de la panade si tu parles. Est-ce que tu aimerais qu'ils t'adoptent ?
- Oui…
- Alors réclame-le. Tu as le droit.
- …Vraiment ?
(Note personnelle de Kimberley) Comment une petite aussi surdouée peut être aussi bête ?
- Oui. Cloue-leur le bec à tous. Fais jouer ton intelligence. J'ai appris que tu étais une comédienne hors-paire. Manipule-les s'il le faut !
(Note personnelle de Kimberley) J'adorecette gamine !
- …Vous nous aiderez pour le procès ?
- …On verra ça. »
(Note personnelle de Kimberley) Ça veut dire oui.
(Retranscription écrite du second interrogatoire de Natasha Storm)
« - Depuis combien de temps es-tu chez eux ?
- Je suis chez eux depuis deux mois.
- Etais-tu consentante pour quitter Winchester ? Est-ce qu'ils t'ont forcée ?
(Note personnelle de Kimberley) Je vois bien Mail en stalker gâteux, qui ramène la malheureuse enfant chez elle au plus petit regard humide.
- Je leur ai demandé de m'emmener. Je voulais absolument quitter cet endroit. Personne ne s'occupait de moi.
- Et eux, oui ?
- Ils étaient très gentils. Ils se sont plus préoccupés de ma santé en quelques minutes que tous les éducateurs en une semaine. J'étais heureuse. Le courant passait bien.
- Tu savais que ce n'était pas légal, de t'emmener comme ça ?
- Oui, je le savais. Mais je savais aussi que s'ils déposaient une demande d'adoption, ça durerait des années pour sûrement ne jamais aboutir. Et moi, je voulais sortir de là à l'instant. Et surtout, je voulais être avec eux. C'est eux ou rien.
- T'ont-ils maltraitée ?
- Jamais.
- Comment se passait ta vie, chez eux ?
- Normalement. Mihael voulait absolument me laisser un rythme fixe, donc il m'inscrivait toujours à l'école du quartier. On déménageait souvent et…
- Ça t'embêtait ?
- Non. Au contraire. Je m'ennuyais terriblement à l'école et j'adorais voyager, mais Mihael n'a jamais cédé sur ce point. Il disait que je devais garder un contact avec l'extérieur, faire connaissance avec d'autres enfants.
(Note personnelle de Kimberley) Note pour nos futures confrontations : Mihael est une maman-poule.
- Il était strict ?
- Assez. Mais il fallait compenser la largesse de papa. Il me passait tout, Mihael était sans cesse obligé d'intervenir.
- Papa ?
- Mail. J'appelle toujours Mail « papa ».
- Et Mihael aussi ?
- Non. Mihael, c'est Mihael. Ce n'est pas la même chose.
(Note personnelle de Kimberley) Et si elle appelle Mihael « Maman », il la tue.
- Et Mail, tu l'admires ?
- C'est différent, mais oui. Je l'admire pour son calme, sa douceur.
- Se disputaient-ils ?
- Un peu. Parfois.
(Note personnelle de Kimberley) Oh ! La MONSTRUEUSE litote !
- As-tu subi des attouchements de leur part ?
- …Vous rigolez ? Gay, ça ne veut pas dire pédophile.
- Leur relation te gênait-elle ?
- Dans quel sens ?
- Tu étais gênée de les voir s'embrasser ou… ?
- Ils ne s'embrassaient pas à perdre haleine devant moi. Juste des bisous sur la bouche ou la joue. Mihael m'a demandé si je voulais en parler, j'ai dit non. Ça ne me gêne pas.
- Tu as demandé dans quel sens cette relation pourrait te gêner… Ça veut dire que c'est le cas ?
- Ça veut dire que Mihael empêchait que je n'accapare Mail. Ça m'embêtait bien un peu, mais c'est normal, non ?
(Note personnelle de Kimberley) J'ai la vague impression que cette gamine a potassé toute l'œuvre de Freud avant l'entretien.
- Ils prenaient soin de toi ?
- Ils m'emmenaient régulièrement chez le médecin, me bordaient, m'aidaient à faire mes devoirs, veillaient à ce que ma chambre soit propre, me racontaient des histoires, me demandaient si j'avais besoin de parler… Beaucoup, d'ailleurs, ça me saoulait un peu. Et Mihael m'interdisait de grignoter entre les repas.
- Il cuisinait ?
- Oui. Il ne voulait pas que je me « goinfre de pizzas ».
(Note personnelle de Kimberley) C'est raté.
- Tu étais heureuse ?
- …Pas totalement.
- Pourquoi ?
- Je voulais plus qu'habiter chez eux. Je voulais qu'ils m'adoptent. »
(Note personnelle de Kimberley) Le coup de grâce, avec les yeux de chat poté.
(Article découpé dans Pouffiasse-Today)
Rendez leur Natasha !
C'est ce cri qui a réveillé ce matin les bureaux de la SPE. Des centaines de manifestants s'étaient rassemblés devant ses portes pour protester contre l'isolement de la petite fille, ainsi que la lenteur du procès et de la procédure d'adoption.
« - Ça fait déjà un mois sans aucune réponse, ni aucune entrevue avec Mihael et Mail ! Annonce l'oncologue E.J. Nathan, en brandissant un panneau « Natasha Keehl-Jeevas ». Il faut que ça cesse ! »
Au milieu de la foule ont été aperçues des célébrités, dont certaines avaient déjà manifesté leur attachement au projet-Natasha : la coureuse automobile Kimberley Cassey et la récente championne de taekwondo Emily Cross. Toutes deux affirment haut et fort qu'elles ne laisseront pas tomber Mail et semblent être les meneuses de la manifestation.
On compte aussi dans le nombre des stars qui n'avaient jamais participé à aucune action de ce genre et dont la présence a suscité l'émoi général : Lynne Jowels, alias Linda, la peintre surréaliste, ainsi que la comédienne Sasha Wormer, qui a remporté tout récemment l'oscar du meilleur second rôle dans le film « Dark Storm ».
« - J'ai été élevée dans le même endroit que Natasha, Mihael et Mail, déclare la première, installée sur les marches du bâtiment et dessinant un emblème à leur groupe. Je ne dirai pas que c'est horrible, parce qu'ils m'ont poussée à exploiter pleinement mon talent et que j'ai rencontré des personnes très chères… Mais ce n'est pas l'endroit rêvé pour une enfant. Si on m'avait donné le choix, j'aurai préféré être adoptée. Natasha a la chance d'avoir des personnes qui sont prêtes à prendre soin d'elle, laissez-la choisir ! »
« - Il y a des gens qui ne méritent pas d'être parents, a déclaré Sasha Wormer à sa suite. Mais Mail et Mihael n'en font pas partie. Ils peuvent s'occuper d'un enfant. Ils se débrouilleraient sûrement mieux que moi. »
Une déclaration pour le moins étonnante lorsqu'on sait qu'il y a à présent quatorze ans, Sasha Wormer
(Le reste de l'article a été violement déchiré par Mihael)
(Conversation téléphonique enregistrée par Near sans autorisation)
Mihael : Tu ne m'as rien dit.
? : Je ne vois pas ce que j'aurais pu te dire. Tu étais en cavale. Tu ne m'aurais même pas écoutée.
Mihael : Pour ça, si.
? : Ne fais pas l'enfant, Micha.
Mihael : Je n'en ai pas eu le temps.
? : …
Mihael : Alors… ? Raconte.
? : Une seconde… Il y a quelqu'un d'autre qui utilise ton téléphone ?
Mihael : Qu… NEAR ! RACCROCHE ! »
(Article découpé dans Pouffiasse-Today)
Black Birthday
Sinistre découverte faite ce matin dans le cadre de « L'affaire Natasha ». Après de nombreuses fouilles des archives de l'orphelinat la « Wammy's House » (fouilles qui, dit-on, auraient été commanditées par L lui-même), les policiers ont retrouvé la trace d'Alyssa Anderson, [passage supprimé de l'article, très soigneusement découpé par Near], et de Beyond Birthday, le criminel à sinistre réputation. La première se serait suicidée dans l'établissement et le second aurait commencé à y « mal tourner », sans que des démarches ne soient faites par le directeur de l'orphelinat.
« - Nous avons retrouvé des tableaux sinistres signés BB, indique un policier. Ils étaient clairement l'œuvre d'un fou et entreposés à la vue de tous dans la salle d'Arts-plastiques. L'un d'eux, le dernier, daté un jour avant sa fugue hors de la Wammy's House, représentait la jeune Alyssa pendue. »
Lynne Jowels, qui y a également vécu, apporte son touchant témoignage :
« - Je… J'aimais énormément Beyond. Il était très gentil avec moi. Il me cajolait, m'apportait des bonbons, me faisait tous les dessins que je voulais. C'était le meilleur ami d'Alyssa… On savait tous qu'elle n'allait pas bien… Elle faisait des crises de nerf terribles…Quand elle est morte, Beyond a fait une dépression et n'a plus accepté de voir personne. Il peignait des choses de plus en plus horribles… Ses toiles étaient déjà abominables avant, mais ça a empiré… Je retrouvais des petits animaux massacrés sous son lit… Si j'en ai parlé ? Oui, j'ai prévenu un surveillant, au bout d'un moment… Quand il est passé des souris aux chats… Si quelqu'un s'en est préoccupé ? Je… Sûrement qu'il y a eu quelque chose, mais… Si nous avions des entretiens avec des psychologues ? Non… Non, jamais… En revanche, [passage supprimé de l'article, découpé par Near].»
Les mêmes éléments traumatisants se retrouvent dans les discours de Mail Jeevas et Mihael Keehl. « Livrés à nous-mêmes, surchargés de travail, froideur ambiante ». Une autre personne, souhaitant rester anonyme, a également apporté un éclairage différent sur le cas Beyond Birthday. Cette personne témoigne en ces termes :
« - Celui que tout le monde connait aujourd'hui sous le nom de Beyond Birthday a été victime d'une honteuse erreur judiciaire. Je ne dis pas qu'il n'était pas un tueur, ni qu'il agissait sous la coupe de quelqu'un. Il m'a lui-même avoué qu'il avait pris plaisir à tuer. Mais ce que personne n'a remarqué, c'est [passage supprimé de l'article, découpé par Near] Personne ne s'est soucié de ces [passage supprimé de l'article, découpé par Near]. Ils étaient présents en lui depuis le départ, mais personne n'en a pris conscience, à moins que l'oubli ne soit volontaire.
« En écoutant les confidences de Beyond, je l'ai persuadé de faire appel. Ne serait-ce que pour qu'on le transfère dans un centre clinique, et qu'on reconnaisse la portée de ces [passage supprimé, découpé par Near] sur son comportement. Nous avons fait ensemble toutes les démarches. Ce que nous avons découvert était déjà suffisant pour faire se dresser les cheveux de n'importe qui, et je n'ose penser à ce que nous aurions trouvé si nous avions fouillé plus avant. L a été mis au courant de cela, mais il aura emporté ce qu'il savait dans la tombe. Quelques jours après, alors que le véritable nom de Beyond Birthday avait toujours été soigneusement caché et ne figurait même pas sur les rapports du FBI, un journaliste a dévoilé son prénom, et Beyond… S'est fait tuer.
« Pourquoi ne pas avoir parlé de cela auparavant ? A cause de Kira, tout d'abord. Il était impensable que je dise tout cela avec la menace de ce fou-furieux au-dessus de ma tête. Je n'étais ensuite pas prête à dévoiler certaines choses à mon entourage. Certes, je suis anonyme dans cet article. Mais mes proches me reconnaîtront facilement. Et s'il y a bien une chose que je ne souhaitais pas, c'est qu'ils apprennent en lisant un journal tout ce que je sais, tout ce que je suis. Maintenant, j'ai pu leur expliquer, et je n'ai pas à craindre qu'ils tombent sur mon témoignage par hasard. Je n'ai rien d'autre à dire. J'espère que cette entrevue lavera un tant soit peu la mémoire de Beyond Birthday, et ma propre conscience. »
Les révélations faites ont interloqué et indigné les anciens collaborateurs de Quillish Wammy, fondateur de l'orphelinat. Selon eux, il ne s'agirait là que « d'odieuses calomnies », « sans aucun fondement ».
« - Cette petite n'a pas vécu dans cet endroit longtemps, mais il serait bien qu'elle subisse des tests, propose la psychologue de Natasha, intrigué par les différents témoignages. Et si possible, qu'elle vive… Avec des personnes qui sont passées par les mêmes choses. »
(Entretien avec le responsable du procès-Natasha (faits relatés par Rester))
[Note de Mauguine : écrit en collaboration avec Greengrin]
« Near, les yeux cernés, affichait ce petit sourire triomphant qu'il ne pouvait comprimer à chaque victoire. Même une si insignifiante.
La salle était habituellement peu meublée et peu éclairée, c'est à dire, glauque. Seul Near semblait s'épanouir sur le carrelage blanc, entre les murs blancs, devant le rayonnement blanchâtres des écrans. Dans cette pièce totalement sombre. Nul doute que l'oppression qui s'en dégageait aurait mis mal à l'aise n'importe qui.
Near était en son royaume.
« - Rester, veuillez amener le détenu. »
L'homme gesticulait dans le dos de Near, du chatterton noir sur la bouche, les traits défigurés par la terreur. Il tomba à genoux. Near n'eut même pas un regard méprisant pour lui.
« - Nous ne sortirons pas d'ici avant que cette histoire ne soit réglée. Totalement. Rester ? »
Les jointures du colosse grincèrent sinistrement.
Si c'avait été possible, la figure de l'homme sous le scotch se serait encore plus décomposée. Mais la bande adhésive l'en empêchait. Il émit un gargouillis immonde qui ressemblait à "vous-ne-pouvez-pas-je-me-plaindrai-à-ma-maman-la justice-ne-vous-laissera-pas-faire ... "
« - Rester » ?
*crac*
« - La justice, c'est moi. Bien, mon cher ami, c'est très simple. Ici, vous avez les parents (il désigna deux Playmobil, l'un à tête blonde, l'autre, rousse). Là la petite (il prit entre deux doigts une poupée ébouriffée et visiblement peste). Nous avons plusieurs solutions. La première, vous signez en bas de quelques feuilles, et ce soir, vous êtes chez vous. Le but est que tout redevienne AINSI. »
Il posa au milieu des deux autres la petite figurine de Natasha, avec un POC qui résonna sinistrement.
« - La seconde solution, c'est celle ci. »
Il se saisit d'une poupée fraichement peinte pour l'occasion, et la balança avec un amusement non dissimulé au dessus d'une piscine gonflable remplie de crocodiles en carton pâte.
« - Nous avons aussi cette option... »
Un petit lion en peluche mangeait un Playmobil couvert de mercurochrome en poussant des "roargrrr" enjoués.
« - …C'est bien, Mello. » Ajouta Near, en tapotant sur la tête de l'animal.
L'homme semblait, dans l'ombre de Rester, sur le point de s'évanouir de terreur.
« - Nous avons une dernière option. Mais je ne vous la souhaite pas. Nous retirons l'enfant, et nous vous mettons à sa place. »
Near ressentit une pointe de pitié pour lui à cette idée. Le Playmobil, dont certains membres semblaient mal en point, avait l'air vraiment minuscule entre les deux autres poupées, l'une avec un rictus semblant vouloir le dévorer, et l'autre avec un immense sourire niais qui n'en était que plus effrayant. L'homme trembla misérablement.
Les petites dents de Near luirent dans les ténèbres. »
(Rester, traumatisé et les jointures en miettes, a dû s'arrêter de raconter. On sait toutefois que Near est resté trois jours entiers dans la pièce, et qu'il a finalement réussi à corrompre… Hum, à faire saisir au responsable la portée de son erreur.)
(Article découpé dans Pouffiasse-Today, magnifiquement encadré par Mail)
Natasha Keehl-Jeevas
« On les a eu ! »
C'est ce hurlement d'allégresse qui signe la fin de l'affaire-Natasha. Sur les marches, Mihael K. brandit rageusement le poing, puis lève le bras de sa fille comme on le fait avec les champions de boxe. Natasha pleure et rit en même temps. Mail Jeevas sort à son tour en courant et ensevelit la petite sous une montagne de baisers et de surnoms affectueux. Kimberley Cassey, E.J. Nathan et Emily Cross, non-moins émus, reniflent frénétiquement pour retenir leurs larmes. Des témoins hurlants de joie, parmi lesquels des pensionnaires de la Wammy's House venus témoigner, sautent en tous sens et jettent des cotillons.
D'après les récits, c'est l'intervention de L lui-même durant le procès, par le biais d'un ordinateur, qui aurait définitivement décidé le Jury. Mais cette nouvelle n'est rien en comparaison de la scène incroyable qui a succédé, et qu'on doit à l'arrivée en coup de théâtre de
(Le reste de l'article a été soigneusement découpé par Mihael et rangé dans un coffre fermé à clef)
(Décision unanime des protagonistes de l'affaire-Natasha)
Il faut absolument faire renvoyer la salope de journaliste qui a rédigé ces articles depuis le début. Cette bonne femme est une espèce de cafard répugnant. Comment elle s'appelle, déjà… ?
Ah oui.
Rita Skeeter.
(Note de Near, sur un mot à part à la fin du classeur contenant le dossier-Natasha)
Kimberley, si comme je le pense, tu es encore en train de fouiller mes dossiers pour les annoter, sache je n'ai rien contre tes remarques, mais que j'aimerais que tu écrives avec autre chose qu'un feutre rose à paillettes.
En ce qui concerne la discussion que tu as prévue sur les enfants, je suis toute ouïe.
Mais je crains qu'il ne faille me… Corrompre.
(FIN DU DOSSIER DE L'AFFAIRE-NATASHA)
Ce qu'ils sont devenus 4 :
Grille-pain
(de Greengrin et Mauguine)
Des bruits inquiétants se firent entendre dans la cuisine.
Mail lutta pour ouvrir ses yeux collés par le sommeil. Mihael grogna avec un air si peu affable et une voix si enrouée : " va t'occuper de ta fiiiiille " en se retournant dans le lit, que Mail se leva en quatrième vitesse pour aller lui préparer son chocolat, sentant la guerre nucléaire arriver dès le réveil.
Mieux vaut prévenir que guérir, se répéta-t-il sentencieusement.
Surtout avec Mihael.
Il se leva donc, les cheveux ébouriffés, se grattant le ventre, la tête dans le brouillard matinal de los Angeles. La soirée d'anniversaire de Natasha, la première, avait été... dévastatrice. Il n'arrivait même plus à se souvenir de quand il avait retiré son tee-shirt pour entrainer Nathan à danser avec Natasha, sur un air qui devait vaguement répéter : " I'm too sexy for you ".
Il eut un rictus gêné à ce souvenir, et le coup que Mihael lui avait mis dans le plexus solaire, bien exposé à ce moment là, le chatouilla.
Il découvrit Natasha en contemplation devant le grille-pain. Mail eut un rire parfaitement débile. Trop mignonne. Elle était trop mignonne comme ça, devant le grille-pain. Cinq secondes, l'idée qu'un grille pain n'était absolument pas mignon, ni fascinant, lui traversa l'esprit, mais un petit mouvement de Natasha pour s'assurer que le bouton était bien enclenché eut raison de son neurone. Il vint s'assoir à côté d'elle avec un sourire complètement gâteux, et entra en contemplation à son tour.
Au fur et à mesure que le brouillard se levait, et peut être était-ce dû à une étrange odeur âcre, Mail demanda gâteusement en se tournant vers sa fille :
« - …Mais tu n'as pas envie de déballer tes petits jooouets ? »
Natasha porta son regard évocateur vers le grille-pain, tout en souriant avec amusement.
« - Ha ouiiiiiiiii... » Gazouilla Mail, sans trop comprendre.
Il tressaillit quand, avec un grand SLACK et une colonne de fumée volcanique, une poupée Barbie sortit d'un seul coup de l'objet en crachotant du plastique fondu.
Natasha rit aux éclats, battant des mains avec entrain.
« - On dirait… On… Tu sais… Mon petit baba au… Au… Sucre rose des îles du pacifique… Mihael, il… » Balbutiait Mail, s'y reprenant à trois fois pour viser du doigt le plastique noir et puant.
La porte s'ouvrit à ce moment sur un Mihael qui N'AVAIT PAS eu son CHOCOLAT matinal, AU LIT. Cette équation pouvait s'avérer si catastrophique que tout mouvement cessa d'un seul coup. Natasha était figée, l'ombre de son rire sur sa bouche, les mains jointes. Mail tourna lentement sa tête vers lui avec un regard vide. Une seule pensée flottant dans le cimetière de ses neurones.
Il va nous TRUCIDER !
Le regard de Mihael se posa sur Mail. Puis Natasha. Et enfin, le grille-pain, linceul chromé de la malheureuse poupée.
Les yeux de Mihael s'agrandirent et refirent le même trajet, cherchant la connexion entre ces différents éléments.
Mail. Natasha. Le grille-pain. La poupée.
Semblant enfin comprendre, Mihael ouvrit la bouche. Instinctivement, Mail rentra sa tête dans ses épaules et se mit à piauler comme un chiot pris en faute.
La réaction du blond dépassa ses plus folles espérances.
« - Non, ma puce, non, commença Mihael, en se prenant l'arête du nez entre deux doigts. Il faut faire ça BIEN. Utilise le four, voyons ! »
Parfois, Mail se demandait si elle n'était pas vraiment sa fille génétique.
Note de Momo : L'idée de la scène est de moi, l'écriture, de Greengrin. J'y ai aussi participé et j'ai apporté des ajouts. J'étais écroulée de rire en voyant Green ricaner d'un air sadique, son ordi sur les genoux et tapant plus vite que Mikami ne glapit ses « Sakujo ! »
Ce qu'ils sont devenus 5 :
SPK
(Et du côté de Near et Kimba, comment ça se passe ?)
1) Pourquoi Gevanni a VRAIMENT démissionné.
Les portes mécaniques s'ouvrent avec un chuintement. Gevanni entre en trombe dans la salle de contrôle. Les dents serrées, le visage sombre et l'expression peu amène, il s'avance vers le génie qui joue, assis sur le sol. Celui-ci ne se retourne même pas, trop concentré à examiner le canard en plastique quelque peu osé que lui a offert Kimberley.
« - Near… » Siffle Gevanni, écumant de rage, prêt à en découdre.
Des pas cavalent dans le couloir, et Halle et Rester entrent à leur tour en trombe, se précipitant vers lui. Ils le retiennent chacun par un bras. A leur air angoissé, on devine qu'ils craignent le pire.
« - Stephan, chuchote Lidner à toute allure. Arrête ça ! Ce n'est pas si dramatique !
- Oui, allons, ce n'est pas comme si tu étais le seul à qui il demande ça… Commence à son tour le militaire.
- Laissez-moi ! Gronde Gevanni en se dégageant. Cette comédie ne peut pas continuer ! Je me sens HUMILIE !
- Pourtant, vous avez de grandes capacités dans ce domaine, Gevanni. » Remarque distraitement Near, retournant le canard en tous sens.
La honte empourpre les joues de l'homme aux cheveux noirs.
« - Near ! Grogne-t-il férocement. Cette fois, ça suffit ! Cela ne peut plus durer !
- Vous avez raison, Gevanni, acquiesce Near, soulevant suspicieusement le volatile en plastique par le bec. Il faut de nouvelles piles dans ce canard. »
Halle se mord la lèvre pour ne pas rire et un micro-sourire fait un instant vaciller le visage imperturbable de Rester. En revanche, la moutarde monte au nez de Gevanni. Il s'avance encore, comme pour écraser le génie, plongeant la main dans une poche intérieure de sa veste. Immédiatement, ses deux collègues lui attrapent le bras. Rester a le visage dur.
« - Tu vas trop loin, martèle-t-il. Essaie de te contrôler. »
Mais Gevanni n'en peut plus. D'un mouvement brusque, il se défait de sa poigne, attrape ce qu'il veut dans sa poche et pointe sur Near un terrifiant…
Appeau à moineaux ?
Vous êtes perdus, pauvres lecteurs. Comme je vous comprends, c'est parfaitement normal. Une petite explication s'impose.
Tout d'abord, il faut savoir que Near ne sort jamais du QG du SPK. Cela peut paraître évident. Mais dès que Kimberley avait mis un pied à l'intérieur, elle avait décrété que l'endroit était malsain. Trop de métal, trop de machines bizarres (elle croyait dur comme fer à ce que lui avait raconté Emily sur les ondes néfastes des appareils électroniques). Résultat, elle avait entreprit de conduire Near à sortir à la campagne, pour sa santé. Elle avait rapidement mis Halle de son côté. Rester, lui, avait considéré la chose avec curiosité et amusement, et Gevanni, avec peu d'intérêt. La jeune infirmière n'avait pas cessé depuis de raconter à Near les joies de la vie au grand air, citant comme un mantra l'air pur et les cris d'oiseaux.
Seulement voilà. Near ne voulait pas sortir. Et Near détestait qu'on le contrarie. D'un autre côté, Kimberley était bien capable d'aller bouder dans son coin pendant une bonne semaine parce qu'il l'avait envoyé balader. L'envoyer balader, ce n'était pas le problème, mais il aimait bien sa compagnie, et il n'avait pas envie de devoir ensuite faire des démarches compliquées de réconciliation. Les rapports humains, très peu pour lui, merci.
Que faire ?
Near avait alors fait preuve d'un de ses rares moments d'humour. Il avait fait venir des centaines de caissons remplis d'oxygène dans le QG, ainsi qu'une bonne trentaine d'appeaux à oiseaux. Comme ça, il avait l'air pur et les chants mélodieux, et Kimberley n'avait plus aucun argument à lui soumettre pour le forcer à sortir.
Là où ça avait légèrement dérapé, c'était quand Near avait demandé à Halle, Rester et Gevanni de souffler dans lesdits appeaux. Au départ, ils s'étaient pliés sans problème à cette énième fantaisie du génie. Gevanni, en particulier, était satisfait de clouer le bec à l'infirmière. C'était toujours lui qui relevait les tours de lego qu'elle faisait tomber pendant ses visites, ou lui qui réparait les jouets cassés.
Le problème résidait en cela : Near avait pris goût à ces petits concerts. Et il leur demandait de plus en plus souvent de souffler dans les appeaux, alignés en rangs d'oignons, pendant près d'une heure. A la fin, ils étaient rouges autant d'essoufflement que d'indignation et ils avaient la bouche plus sèche que le cœur de Light Yagami.
Mais Near continuait de réclamer qu'ils le fassent à peu près dix fois par jour, comme un gosse capricieux.
D'où la colère de Gevanni.
« - Gevanni, votre réaction est ridicule et exagérée, soupire Near d'un ton las.
- Je ne crois pas, non, rétorque-t-il d'un ton froid. Je ne suis pas payé pour cela. Je suis là pour décrypter des codes, pour recopier des Death Notes en une nuit, pour…
- Pour m'aider, Gevanni. Juste m'aider, le coupe Near. Et ce qui m'aide à me concentrer, en ce moment, c'est que vous jouiez de ces appeaux.
- Demandez-donc à votre petite infirmière ! Explose-t-il. Elle irait décrocher la lune pour vous faire plaisir ! »
Near se tourne très légèrement vers lui, un fin sourire aux lèvres. Il porte une main à ses cheveux et se met à en tordre une mèche autour de son index.
« - Je sais, Gevanni. Mais elle joue terriblement faux. Alors que vous, vous êtes compétent.
- Je…
- Vous ne voudriez pas que je refuse l'affaire que vous m'avez demandé de résoudre, n'est-ce pas ? »
Le génie ne prenait que les affaires qui l'intéressaient, comme le précédent L. Mais les criminels capables d'intéresser Near étaient rares, et leur budget et leur réputation commençaient à en pâtir. Les trois agents soumettaient souvent des cas à Near en usant de persuasion pour qu'il se penche dessus. Et Near en jouait, faisant du chantage lorsqu'ils lui proposaient quelque chose qui ne lui plaisait pas.
« - Vous… Vous ne… Bafouille Gevanni.
- Bien sûr que si, j'ose. Alors ? »
Le malheureux pousse un grognement de désespoir. Il a encore perdu. Rester pose une main sur son épaule, Halle lui murmure des paroles de réconfort. Near, lui, recommence à s'amuser avec son jouet.
« - Reprenez donc les appeaux. Cette discussion m'a ennuyé, j'ai besoin de divertissement. »
Les trois agents se regardent, désespérés, et obéissent. Leurs appeaux ont des formes biscornues et ridicules. Ils les portent aux lèvres d'un air résigné. Et Gevanni souhaite très très fort que cette potiche d'infirmière trébuche sur un canard en plastique et se fracasse le crâne. Qu'elle aille au diable, cette foutue infirmière, elle et ses conseils de santé, sa grossièreté et son petit air narquois !
« - A trois, tout le monde souffle ! » Conclut Near.
Avec son fameux petit sourire de victoire.
Note de Mauguine : Ce truc est à l'origine un énorme délire que j'ai partagé avec Greengrin. Elle avait dessiné Gevanni, l'air menaçant, avec un appeau ridicule dans la main, et Near, qui lançait la réplique du canard en plastique. Puis elle a continué sur sa lancée avec le « A trois, tout le monde souffle », et j'étais tellement morte de rire que je fais aujourd'hui un hommage à cette crise d'hilarité monumentale. Merci, Green.
ATTENTION.
CE QUE VOUS ALLEZ LIRE EST UN TEXTE A HAUT POTENTIEL TRAUMATIQUE.
A PRENDRE AU QUARANTE-HUITIEME DEGRE.
2) Courage, Mello.
Mihael était sous le choc. Complètement atomisé, les yeux dans le vide, immobile sur sa chaise. Mail le regarda d'un air compatissant. Near, lui, jouait avec son nounours en peluche sur le carrelage de l'hôpital. Emily se limait tranquillement les ongles, assise par terre non-loin de lui, une jambe repliée derrière la nuque en une position qu'elle trouvait relaxante, et qui donnait mal au dos à Mail rien que de la regarder. Nathan, lui, se rongeait les doigts, regrettant soudain de n'être pas spécialisé dans les naissances et d'avoir choisi le service d'oncologie.
Inquiet du long silence de son compagnon, Mail passa une main devant ses yeux. Mihael daigna enfin émettre un borborygme. Quelque chose qui hésitait entre « Nanmaisdismoiqu'jerêve » et « C'estpaspossiblec'esttrophorrible ».
Ça se comprenait. Déjà, apprendre que Kimba était enceinte, ça avait été un choc. Parce que ça supposer d'imaginer l'albinos en train de… Avec… Enfin, bref. Une vision traumatisante, surtout pour Mihael.
Mais là, ça dépassait tout.
« - Monsieur… Near, c'est cela ? Voilà, ça y est. Tout s'est bien passé. »
Ils sursautèrent tous, sauf Near, qui ne sursautait jamais, et Mihael, qui était complètement absent, horrifié. Une infirmière souriante avait ouvert la porte de la chambre. On entendait des cris vigoureux de nouveau-né de l'autre côté de la cloison.
« - C'est moi. » Répondit Near.
Elle haussa un sourcil en le voyant, mais ne dit rien. Near se releva, délaissant sa peluche, et entra à sa suite, fermant la porte derrière lui. Quelques instants plus tard, sans doute parce qu'il n'était plus dans son champ de vision, Mihael émergea totalement.
« - J'y crois pas, bégaya-t-il.
- Je sais, le consola Mail. C'est plutôt difficile à…
- J'y crois pas ! Fulmina le blond, furieux, se levant d'un bond. Il en a eu TROIS ! Cet enfoiré s'est débrouillé pour la mettre en cloque avec des triplés ! »
Mail se mordit l'intérieur des joues pour ne pas rire. La réaction de Mihael était totalement disproportionnée. Mello se mit à le secouer, des larmes de désespoir dans la voix :
« - Mail, nom d'un chien, est-ce que tu te rends compte que ce connard M'A ENCORE BATTU ? »
Note de Mauguine : C'est assez fou, parce que Green et moi, nous avions imaginé toutes les deux, en même temps, des triplés pour ces deux-là ! Incroyable, non ?
3) Pourquoi Gevanni est VRAIMENT revenu.
Officiellement, Near lui avait demandé de revenir travailler avec lui parce qu'ils étaient tous surchargés de boulot.
« Trop de travail. La pagaille complète. Lidner et Rester ne s'en sortent plus. C'est l'enfer. Vous qui êtes qualifié en tout, Gevanni, ne voudriez vous pas nous faire profiter à nouveau de vos talents ? »
La flatterie aidant, Gevanni s'était rengorgé. Mais il hésitait encore. Cela ressemblait fort à la ruse d'un renard sournois pour récupérer le fromage de ses capacités. Et en voulant montrer sa belle voix, il risquait surtout de montrer ses talents de joueur d'appeau au rôle du corbeau.
« Gevanni… Vous aurez une augmentation de salaire. Considérable. »
Ah ! Dans ces conditions, alors…
Gevanni était donc revenu. Quelque peu grisé par tous ces compliments, il s'était attendu à être accueilli en héros glorieux venu les sauver des masses de dossiers à trier. Et en effet, ils avaient tous des têtes de zombies fraichement déterrés. Il était bel et bien tombé en enfer.
Mais les enquêtes de Near n'en étaient pas la cause.
La première chose qui l'avait frappé en entrant dans la salle de contrôle, c'était les cris. Des cris d'enfants en bas âge. La seconde, les odeurs. Odeurs de couches usagées. La troisième, les gazouillis hystériques de la folle blonde. La quatrième, qui l'avait fait suffoquer et flottait tel un épais nuage de brouillard dans toute la pièce, c'était le TALC. Il s'était mis à tousser, se déplaçant à tâtons, pensant avoir affaire à des grenades fumigènes avant de se rendre compte de son erreur. Il s'était cogné contre quelque chose qui trainait par terre.
« - Je vous serai reconnaissant de ne pas m'écraser, Gevanni. C'est déjà suffisamment pénible comme ça. »
Near était toujours très calme, mais sa voix avait une intonation épuisée. Ventilant d'une main les grains blancs qui flottaient dans les airs, Gevanni avait découvert un détective aux yeux écarquillés de fatigue, et les boules quies d'Emily dans les oreilles.
« - Qu'est-ce que… ? »
Puis il avait vu l'horreur.
Là. Au centre du nuage de talc, projetant de la poudre de partout et ne cessant de gazouiller des mots doux, la blonde faisait des papouilles à TROIS gosses à la FOIS. Seul l'un des bébés criait, et même de toute la force de ses poumons, en gigotant tout ce qu'il savait. Il avait une petite mèche de cheveux noirs en haut du crâne et promettait d'avoir le caractère de sa mère. Le second était une seconde, un bout-de-chou avec de petites bouclettes blanches, et qui ne cessait de partir dans des cascades de rires. Le troisième était tellement calme que Gevanni crut qu'il était endormi. Une houppette de cheveux blonds foncés sur le sommet du crâne, il regardait sa mère s'agiter avec le plus grand sérieux.
Que le Seigneur nous protège.
Gevanni s'était avancé et vociférant, avait arraché le flacon de talc à l'infirmière gâteuse et ainsi sauvé Rester et Halle d'une mort par asphyxie. Ceux-ci avaient carrément enfilé les masques à gaz pour travailler sur les ordinateurs et le remercièrent avec effusion. Gevanni fit courageusement face aux protestations de l'infirmière, qui n'était roucoulante qu'avec Near ou ses rejetons.
Ils s'étaient violement disputés pour savoir si oui ou non, elle allait continuer de s'occuper de ses enfants dans la salle de contrôle. Leurs cris avaient redoublé les hurlements du bébé (Gevanni se demandait d'ailleurs avec stupéfaction de quel côté de la famille pouvait bien venir ce teint mat et ces cheveux noirs crépus)), lorsqu'un gazouillis suave avait détourné l'attention de Stephan Loud.
Il avait reporté son attention sur la petite blanquinette.
Erreur fatale.
Il avait croisé un regard doux et énamouré. L'enfant, voyant Gevanni pétrifié, avait redoublé d'affection et s'était mise à babiller avec une tendre connivence, se tortillant pour qu'il la prenne dans ses bras. Ses yeux bleus clairs étaient cajoleurs et en même temps bien trop sournois pour un nourrisson.
Gevanni avait hésité, sous le regard terrorisé de Halle et Rester qui avaient hurlé de sous leur masque quelque chose comme : attention ! C'est un démon ! Ne te laisse pas prendre au piège !
« - Elle s'appelle Maya. » Avait astucieusement glissé Kimberley.
Et il avait fondu.
Une poignée de secondes plus tard, ils étaient deux à poudrer frénétiquement les enfants en babillant « qui-c'est-qui-est-tout-beau-tout-propre-c'est-bibiiiiii ! », renouvelant la tempête de talc et ôtant aux malheureux agents tout espoir de recevoir une aide extérieure.
Near, lui, s'était contenté de hausser les épaules. Les gazouillis, ce n'était pas son fort.
En revanche, jouer avec ses enfants pendant des heures lorsqu'ils auraient un peu grandi, ça, c'était une autre histoire…
Note de Mauguine : Et oui. Pauvre Gevanni, il est tombé sous la coupe d'une petite nympho prête aux stratagèmes les plus retors pour obtenir ce qu'elle veut. Elle est nommée Maya en hommage à la fic de Tsubaki Hime, Les Enfants de la Raison. Et aussi parce que je pensais à Maya l'abeille, le dessin-animé, et que, vous le verrez, c'est plus qu'approprié pour elle…
4) Maya l'abeille
« - Papaaaaaaaaaaaa ? »
La petite voix charmeuse le tire de sa tour d'allumettes. Near ferme les yeux une seconde, puis les rouvre.
« - Qu'est-ce qu'il y a, Maya ? »
Roucoulement adorable. Il se retourne. La fillette aux boucles blanches se trémousse avec un sourire, les mains dans le dos, et cet éclat calculateur dans les yeux qui prouve qu'elle est bien son enfant. Near soupire. Il connait bien ces mimiques suppliantes. Il se remet à sa construction et lâche sèchement :
« - Je réfléchis, Maya. Laisse-moi tranquille.
- Mais tu peux toujours réfléchir, insinua-t-elle, tentatrice. Je ne vais pas t'embêter.
- Tu vas me trifouiller les cheveux.
- Tu es beau, les fleurs dans les cheveux ! »
Car c'est la passion de la « petite abeille ». Tresser des couronnes de fleurs et glisser des plantes dans les cheveux des gens. A quatre ans, elle sait déjà reconnaître plus d'espèces qu'un botaniste chevronné.
« - La beauté est un critère subjectif.
- Mais selon mon critère, tu es beau avec des fleurs dans les cheveux.
- Un critère subjectif et INUTILE, Maya.
- C'est inutile d'embrasser maman. C'est inutile de construire des tours que Mel va faire s'effondrer de toutes façons. C'est inutile de faire des enquêtes, puisque nous allons tous mourir un jour. C'est…
- Très bien. Tu as gagné. Mais si tu me déranges, je m'en vais. »
Elle glousse et s'approche de lui, pour commencer à glisser des tiges d'azalées dans ses boucles blanches identiques aux siennes. Elle s'applique à ne pas le déranger, et en fait, la sensation de ses petits doigts agiles n'est pas désagréable. C'est même carrément relaxant, tiens. Near suspend son geste et se laisse masser le cuir chevelu.
La petite, c'est celle avec qui il s'entend le mieux, parmi les triplés. Mel*, le premier, est un démon surexcité et précoce, et Ebi*, le dernier, est aussi calme et mutique que son père. Ce qui est un problème évident pour engager une conversation. On soupçonne un léger autisme chez le blondinet. Il se demande parfois si c'est lui qui le lui a transmis, puis hausse les épaules et passe à un autre jeu. Ce qui est fait est fait.
Il aime ses enfants. Mais il ne sait pas du tout comment le montrer. Il peut juste jouer avec eux. Le reste, les discussions, ça l'ennuie, et il ne voit pas vraiment l'intérêt de se forcer. Alors, dès qu'il peut, il partage un lego, un Playmobil avec eux. Et là, avec Kimberley qui travaille dans un coin, il se sent aussi bien qu'un être tel que lui puisse se sentir.
Oui, c'est agréable, finalement, cette couronne de fleurs… S'il n'y avait pas ce gratouillement dans le cou. Et sur les avant-bras. Et cette légère gène respiratoire, là…
Lorsque Kimberley entre dans la salle avec un plateau de petit-déjeuner, elle pousse un cri strident et le laisse tomber dans un fracas. Near et Maya se tournent vers elle, calmes et étonnés.
Sauf que Near a les yeux enfoncés dans leurs orbites et les joues tellement couvertes de plaques rouges qu'il ressemble à un alien.
« - Je suis à soixante-dix pourcent allergique aux azalées, Kimberley. Si tu pouvais les retirer des mes cheveux et appeler Nathan… »
Note :
*Mel est le nom du petit frère de l'une d'entre vous… Et bien sûr, c'est une référence à Mello.
*Ebi veut dire « crevette » en japonais XD. C'était comme ça que BB surnommait Near à la Wammy's House, « minuscule crevette ».
5) Pourquoi Gevanni a sérieusement songé à repartir
Elle était adorable, ce jour-là. Elle avait quatre ans, une jolie robe bleue, la bouche en cœur, des barrettes dans les cheveux. Elle était adorable, cette petite fille aux boucles blanches d'angelot, un bouquet dans les mains. Elle était adorable, avec son zozotement, ses joues roses et pouponnes, son regard humide et énamouré levé vers lui…
Elle était adorable…
« - Gevanni, quand je serais grande, je me marierai avec toi ! »
…jusqu'à ce qu'elle lâche cette phrase.
Si Gevanni n'avait pas été sûr que sa mâchoire était irrévocablement attachée à sa tête, il aurait juré qu'elle s'était écrasée sur le sol. Tout le SPK avait suspendu son activité. Kimberley avait purement et simplement lâché sa tasse de café. Bafouillant, empourpré, terriblement gêné, Gevanni s'était en désespoir de cause tourné vers Near, l'implorant du regard pour qu'il intervienne. Il avait juste relevé la tête de ses cubes, un sourcil haussé, ses yeux passants de sa fille suppliante à son aide tout aussi suppliant. Near aussi avait un côté adorable, un côté boule-de-neige, un côté mignon dans sa candide surprise…
« - Vous avez ma bénédiction, Gevanni. »
…mais il était bien le père de Maya.
Maya avait grandi, et son obsession assurée avec elle. Avec le temps, elle ne s'était pas rangée à ce qui paraissait raisonnable, comme toutes les adolescentes. Elle était aussi têtue que son père et sa mère réunie et, comme eux, elle savait tout au fond d'elle qu'elle obtiendrait toujours ce qu'elle voudrait.
Oh, bien sûr, elle ne parlait pas ouvertement de son intention de lui passer la bague au doigt. Et elle avait une foule de petits copains.
Sauf que tous les petits copains étaient bruns aux yeux bleus.
Et que tous s'appelaient Stephen.
Sans doute Gevanni était-il maudit.
(Les deux bonus qui vont suivre sont un peu plus sérieux. Mais à peine, ne vous inquiétez pas^^)
5) Echec
« - Le cavalier en A6. »
La voix monocorde brisa le silence, plana une seconde ou deux dans la grande salle de contrôle, mais ne trouva pas d'écho. Le calme se rétablit, presque surnaturel.
Quiconque aurait jeté un coup d'œil au cœur du SPK, en cet instant, se serait sûrement senti intimidé par une telle absence de bruit. Ensuite, ce spectateur imprudent aurait cherché du regard qui avait lancé la phrase… Et n'aurait trouvé qu'avec difficulté.
Interloqué, il aurait plissé les yeux pour voir par-dessus les montagnes de legos et de cartes, assemblés en tours d'une hauteur vertigineuse, et les jouets figés dans une pose d'escalade, à différents endroits. Il aurait fini par trouver un jeune garçon, peut-être d'une quinzaine d'années, accroupi sur le sol. Ou plutôt, avachi sur le sol.
Son regard bleu ennuyé et son teint pâle lui donnaient des airs de poupée de porcelaine. Seules ses épaules qui se soulevaient régulièrement au rythme de sa respiration attestaient qu'il était en vie. Ses cheveux blonds foncés étaient lisses, bien coiffés en arrière, mais on devinait à son pyjama mal boutonné et sa posture voûtée que le soin apporté à sa coiffure n'était pas de son fait. Sans doute une mère attentive était-elle passée par là pour le bichonner. En tout cas, ce garçon apathique ne paraissait se soucier de rien. Ou presque. Il triturait ses orteils nus, le regard fixé sur un plateau d'échecs.
« - Tour en C3. » Fit alors une autre voix, tout aussi monocorde.
Le regard du spectateur aurait alors trouvé, dissimulé derrière la plus impressionnante tour de dés de la salle, un homme dont il semblait impossible de déterminer l'âge. Entre trente et quarante ans sûrement, il gardait quelque chose de terriblement enfantin, malgré les rides fines qui plissaient le coin de ses yeux. Il était aussi blanc de cheveux que l'autre était blond, et paraissait également désintéressé. Tous deux partageaient des joues pouponnes, un tour de visage semblable, et les mêmes petites mains.
L'oreille du spectateur aurait alors localisé un petit cliquètement irrégulier, et nul doute qu'il se serait figé de surprise : l'homme aux cheveux blancs tapait lentement sur un clavier d'ordinateur… Et il n'avait même pas regardé l'échiquier au moment d'annoncer son coup, les cases et les pièces d'échec fichées dans sa mémoire.
Les doigts de Near tapotaient distraitement sur son clavier, avec une mollesse qui en disait long sur son déplaisir. Il détestait écrire. Mais Gevanni était tout particulièrement sur les nerfs en ce moment, avec une Maya de quinze ans bourrée d'hormones collée à ses basques, aussi n'avait-il pas pu lui demander quoi que ce soit. Quant à Halle, elle était partie avec Rester sur les lieux de l'enquête, et il préférait ne pas confier quelque chose qui ressemblât de près ou de loin à du matériel informatique à Kimberley. D'ici que tout explose en effaçant la totalité des données du SPK, il n'y avait qu'un pas.
Puis, il était sûr que s'il lui donnait ces rapports à écrire, d'ici un mois elle n'aurait pas terminé.
Il jeta un coup d'œil à son fils, via le reflet d'un écran éteint pour ne pas se faire repérer. Ebi fronçait légèrement le nez en se concentrant, à la façon de Kimberley. Ses mains paraissaient compter et recompter ses orteils, son petit tic de réflexion personnel. Il dodelinait un peu de la tête, aussi, et lorsqu'il prit son pion blanc pour le faire passer sur la dernière case du plateau, au nez et à la barbe du fou noir, ses mouvements mal coordonnés lui évoquèrent une fois de plus certains enfants autistes de la Wammy's House.
« - Je change mon pion pour la reine que tu m'as prise tout à l'heure, l'informa mécaniquement Ebi. Puisque je suis au bord opposé du plateau. »
Near hocha la tête. C'était un bon coup. Néanmoins, Ebi avait encore des progrès à faire.
« - Le fou D5 en F3. Echec. » Fit Near.
Un minuscule sourire se logea à la commissure de ses lèvres lorsqu'il vit le nez d'Ebi se plisser de plus belle, de contrariété. Ses doigts se crispèrent sur ses pieds, et une vague moue mécontente altéra un instant ses traits.
« - C'est pas juste. »
Near haussa les épaules, masquant sa satisfaction.
« - C'est le jeu. » Répliqua-t-il.
Ebi releva les yeux du plateau, et leurs regards se croisèrent. Quand il regardait dans les yeux de son fils, Near éprouvait toujours une très étrange sensation. La sensation d'avoir en face de lui un être humain d'une intelligence si semblable à la sienne qu'un jour, lui-aussi pourrait gagner une partie d'échec sans regarder le plateau. Ils avaient les mêmes intérêts, et surtout désintérêts. Il était le seul de ses enfants pour lequel rester en silence dans une pièce avec lui, avec pour seule distraction des jouets de plastique, ne le dérangeait pas.
Near n'aurait su dire s'il était celui avec lequel il était le plus proche, ou bien le moins. Ils jouaient de concert, certes. Mais leur manque de vivacité les murait parfois dans une incompréhension totale vis-à-vis de l'autre. Il leur manquait quelqu'un pour les secouer.
Heureusement, avec une telle famille, quand on parle du loup…
Une porte claqua, à l'autre bout de l'immeuble. Immédiatement, ce fut comme si un signal d'alarme avait été déclenché. Le père et le fils échangèrent un regard entendu. Ebi prit son plateau de jeu et, avec des gestes sûrs qui témoignaient d'une longue habitude, le leva au-dessus de sa tête. Near, quant à lui, récupéra son ordinateur et, ayant jeté d'un coup d'œil critique à sa pile de dés, se décala de cinq centimètre plus à gauche.
Quelque part au loin, un bruit de cavalcade démarra, se rapprochant de plus en plus.
« - Cinq, commenta Ebi, blasé.
- Quatre, poursuivit Near en se remettant à taper comme si de rien n'était.
- Trois.
- Deux.
- Un. »
BOUUUUUUM.
Dans l'espace de ce qui sembla être quelques millièmes de secondes, plusieurs choses se produisirent en même temps.
D'abord, la porte s'ouvrit. Ou plutôt, la porte fut quasiment arrachée hors de ses gonds dans un boucan monumental.
Puis une femme hurla dans le couloir : « MEEEEEEEL ! ON NE CLAQUE PAS LA POOOOOORTE JE TE L'AI DIT CENT FOIIIIIS ! »
Ensuite, un coup de vent semblable à une bourrasque fit trembler les pièces sur l'échiquier, levé au-dessus de la tête d'Ebi pour ne pas être piétiné.
Enfin, la tour de dés s'écroula dans un fracas, loupant de cinq centimètres la frêle silhouette de Near qui n'accorda pas un seul regard aux dés qui dégringolaient et entraînaient avec eux plusieurs châteaux de cartes et autres assemblages instables.
La cause de l'avalanche était un adolescent, le teint mat et les cheveux noirs crépus, essoufflé, et semblant hors de lui. Il débordait tellement d'énergie qu'on s'étonnait de ne pas le voir bondir sur place. Il portait un sac de courses dans chaque main, et ses chaussures de sport chuintaient sur le sol, comme si ses jambes le démangeaient de courir encore.
« - Bonjour Mel. » L'accueillirent à l'unisson Near et Ebi, sans quitter des yeux leur occupation respective.
Les yeux sombres de Mel roulèrent dans leurs orbites, et il prit un air agacé si exagéré que Near se demanda une fois de plus si son nom ne l'avait pas prédestiné.
« - Vous êtes vraiment un tas de fainéants ! Commenta Mel d'un ton méprisant à outrance. Toujours avachis par terre ! Allez, allez ! On se bouge ! Il y a toutes les courses à rentrer !
- On joue, Mel, l'informa Ebi en levant finalement les yeux du plateau qu'il avait reposé à terre. Ça ne se voit pas ?
- Oh toi, gronda Mel en administrant une tape à l'arrière du crâne de son frère (tape dont il ne parut pas gêné le moins du monde malgré qu'elle l'ait fait plonger le nez en avant). Franchement, t'es saoulant. Sors d'ici, un peu. T'es toujours enfermé, c'est chiant. (Il renifla). Et comment ça vous jouez ? Papa ne regarde même pas le plateau.
- C'est ça qui fait tout l'intérêt, répondit calmement Near, en enroulant une boucle de cheveux autour de son index.
- Franchement ! Soupira Mel, atterré. C'est effrayant ce que vous pouvez être…
- MEEEEEEL ! Vient m'aider ! »
Le délicat cri maternel figea Mel dans son élan. Il grommela devant le sourire narquois de son frère.
« - Va donc, fainéant, le taquina Ebi d'un ton uni. Pauvre maman, si douce et si fragile. Elle ne peut porter les sacs sans toi. Et nous ne sommes que deux espèces de… Comment a-t-il formulé ça, papa ?
- Deux « loosers amorphes », lui rappela Near.
- Oui, c'est ça. »
En repartant, Mel le tapa à nouveau, ce qui lui fit piquer du nez au milieu de ses pièces, les dérangeant dans le mauvais ordre.
« - Sale crevette. » Marmonna-t-il dans sa barbe, en s'écartant avec le pas provocateur des adolescents en pleine crise.
Mel ayant été réquisitionné pour porter les sacs, Kimberley entra en trombe dans la pièce, et heurta successivement cinq piles de cartes à la suite. Quand elle était joyeuse, ça se savait. Elle était encore plus maladroite qu'à l'ordinaire. Mais contrairement à Mel, qui calculait consciencieusement ses itinéraires pour embêter le plus possible son père et son frère, elle ne le faisait pas exprès. Mel était d'ailleurs très jaloux de ses résultats fantastiques en matière de destruction, qu'elle obtenait sans l'avoir prémédité le moins du monde. Il appelait ça « le génie créatif » de sa mère.
« - Oh, mon petit chou ! Roucoula Kimberley en parvenant à Ebi, plongeant immédiatement les mains dans ses cheveux. Ça va, tu n'as rien ? Tu as mangé ? Tu as soif ? Tu devrais vraiment prendre l'air. Oh, tu joues ? Ah mince, Mel a recommencé à… MEL, JE T'AI DIT DE NE PAS EMBËTER TON FRERE ! »
Oui. Le débit de paroles de Kimberley était tout aussi impressionnant que son « génie créatif ». Et à sa manière, tout aussi destructeur. Gare à vos tympans.
« - Moi aussi je t'aime, je n'ai rien, je n'ai pas encore mangé, je n'ai pas soif merci, ni envie de sortir, oui je joue, et de toutes façons, Mel recommencera. » Lui répondit Ebi sans presque reprendre son souffle.
Kimberley afficha une expression interloquée. C'était toujours étonnant de voir la mémoire d'Ebi à l'œuvre. Même pour elle. Puis Ebi se pencha pour examiner les pièces mises en désordre, très intéressé, et sembla mémoriser quelque chose avant de tout remettre en place.
« - Où est Maya ? L'interrogea Near.
- Oh. (Un sourire espiègle retroussa la bouche de Kimberley, alors qu'elle tournait autour d'Ebi pour arranger sa mise. Elle ne faisait pas attention à la sienne, mais devenait irréprochable dès que ça touchait à ses enfants) Elle a trainé Gevanni aux soldes. Elle a prétexté une entorse à la cheville pour qu'il l'aide à porter ses courses.
- Et qu'il la soutienne dans ses bras, je suppose ?
- Bien vu. »
Elle sautilla en direction de Near, mit à terre six rangés de braves Jedis en plastique à elle toute seule, et lui vola un baiser avant de trébucher à la suite de Mel pour l'aider à ranger.
Ebi ferma les yeux un court instant, écoutant le bourdonnement de fond que cela produisait. Il avait un petit sourire. Pas si insensible qu'on le disait, il appréciait le calme et la solitude, mais un peu de chaleur humaine n'avait jamais fait de mal à personne. Puis il les rouvrit et, d'un ton qui peinait à contenir sa jubilation, annonça :
« - Reine en E7. »
Le cliquetis des doigts de Near stoppa. Il devait se demander s'il se souvenait bien de la disposition des pièces. Mais il se souvenait toujours très bien. Toujours.
« - Echec et Mat. » Conclut Ebi en frétillant joyeusement des orteils.
Near resta silencieux quelques instants.
« - C'est de la triche. » Fit-il au bout d'un moment, entre amusement et agacement.
Ebi rétorqua :
« - C'est le jeu. »
Il sourit de plus belle sous ses cheveux blonds. Certes, il avait triché. Le fouillis des pièces savamment renversées par son frère avait mis à jour une toute nouvelle disposition. Mais après tout, son père ne disait-il pas tout le temps que peu importaient les moyens, pourvu qu'on ait les résultats ?
Il faudrait qu'il remercie Mel, quand même.
Note de l'auteur : Oui, Mel l'a fait exprès. C'était un one-shot humoristique, mais mine de rien, j'avais envie de montrer que l'alliance des deux frères opposés, semblable à celle de Near et Mello, était plus forte que L. Il y a des choses qui ne changent pas.
6) Virus
Les chaussures pressées sur le starting block métallique, puis qui mordaient la poussière. Le sifflement strident du départ. La terre rouge dans son sillage, alors qu'il allongeait progressivement ses foulées. Le souffle court, les muscles brûlants, la vitesse. Le décor qui se fondait en couleurs autour de lui.
Mel aimait courir. Il aimait sprinter. Il aimait dépasser tous les autres un à un, il aimait semer et être premier. Il aimait quand le temps s'étirait au maximum dans cette poignée de secondes qui le séparaient de la ligne d'arrivée.
La seule chose qui le freinait, c'était son anxiété, et sa nervosité. Toujours survolté, et hyperactif, Mel avait grand besoin d'être soutenu par ses proches pour ne pas disjoncter. Heureusement, des petites manies et du soutien, il n'en manquait pas. Il avait ses chaussures porte-bonheur pour le rassurer sur le terrain. Et puis sa famille. Sa mère délurée et joyeuse, qui braillait des encouragements à la kermesse de l'école, et puis dans les gradins lorsqu'il avait grandi. Maya qui sautillait et criait « c'est mon frère, c'est le mien ! », et faisait du charme à ses adversaires pour les déconcentrer avant le départ.
Les Kheel-Jeevas venaient aussi lorsqu'il courait. Mihael le renfrogné dont sa mère disait qu'il ressemblait beaucoup à Mel, à leur grand désarroi, Mail l'éternel gâteux, qui l'avait tenu plus d'une fois sur ses genoux lorsqu'il était petit, et dont les encouragements avec une voix grave tonitruante couvraient tous les autres dans la foule. Natasha, souriante et impétueuse qui découpait des banderoles « GO RIVER ! » à sa destination. Et son copain aussi, après qu'elle l'ait rencontré, sportif lui-aussi bien que dans une toute autre filière, ses conseils pleins de justesse pour les muscles endoloris.
Même Ebi venait lors des compétitions. Ebi qu'il fallait traîner dehors habituellement, allergique à tout, gauche en société. Sa silhouette pâle se tenait immobile, une tâche claire au milieu des autres, un visage calme, et un regard qui le rassurait profondément. Lorsque « la crevette » était là, ce petit frère un brin autiste dont il coinçait la tête sous le bras pour ébouriffer les cheveux, il pouvait respirer. Il savait qu'il gagnerait. Avant chaque course, il le cherchait du regard. Et le trouvait.
Mais il cherchait après une silhouette semblable, blanche, de la tête aux pieds… Et ne la voyait pas.
« Je ne peux pas exposer mon visage. »
« Tu pourrais mettre un masque. »
« Je suis occupé. »
« Tu pourrais confier ton travail à Rester une heure. »
« Je ne peux pas. »
Je ne peux pas venir, Mel.
Il y a trop de monde pour moi.
Et il avait un poids sur le cœur.
Férocement, Mel croqua dans ses céréales. Maya lui adressa une mimique écœurée de l'autre côté de la table, et pour rétorquer, il laissa couler le lait sur son menton. Elle poussa un cri.
« - Maman, Mel recommence !
- Mel, on ne bave pas, ordonna sa mère, fouillant dans le placard.
- Rapporteuse ! S'offusqua Mel, lui envoyant un grain de blé sur le nez.
- Tu parles comme un gamin de maternelle. » Commenta paresseusement Ebi, à qui on avait dû mettre des coussins sur sa chaise pour qu'il atteigne la table.
Mel tenait sa réplique toute prête.
« - C'est toi qui dit ça, la…
- ….Crevette. » Achevèrent en chœur tous les autres attablés.
Mel se renfrogna sous les éclats de rire, et avala une autre bouchée de céréales au miel. Il ne pouvait pas s'en passer, et se trimballait souvent d'une pièce à l'autre avec son paquet à la main, piochant dedans à intervalles réguliers… Et laissant derrière lui des traînées de miettes qui faisaient pousser des jurons abominables au pauvre Gevanni.
Même Near eut un petit sourire derrière son écran d'ordinateur, qu'il avait amené jusqu'à la table du petit déjeuner. Pas juste, ça. Alors que si Maya et lui ramenaient leur portable, ils se faisaient incendier. Mel le fixa depuis son coin de table, évaluant ses chances de s'en sortir sans punition s'il lui envoyait aussi une céréale.
Hum. A peu près… Zéro virgule un pourcents.
Il lui était arrivé de penser qu'il ne venait pas du même père que les trois autres. Après tout, avec des faux-triplés, c'était possible. Ebi et Maya avaient tous deux beaucoup pris de Near. Lui, il était grand, bien plus que sa mère, avec une peau très typée et des cheveux sombres. A se demander s'il n'avait pas des gènes africains. « Ça n'est pas impossible. » Avait songeusement commenté sa mère lorsqu'il lui en avait parlé. « Je veux dire, pas que ça ne soit pas ton père », s'était-elle empressée d'ajouter devant sa tête. « Impossible d'être plus sûr. Seulement, je crois que sa mère avait la peau noire. »
« Mais… Il est albinos ! » S'était-il exclamé.
« C'est courant. Il y a beaucoup d'albinos chez les gens de couleur. »
« Et elle est où, grand-mère ? On ne la voit jamais. »
« … »
« Maman ? »
Mel tourna les yeux. De son côté, Kimberley époussetait avec sa fierté habituelle une médaille d'argent de sa dernière compétition. Il avait fini par apprendre que la mère de Near était morte, et son père, volatilisé. Etrangement, -et il se sentait un peu coupable en pensant ça-, cela le réconfortait un peu. Il y avait donc un manque chez Near du côté paternel. Peut-être était-ce en partie pour ça qu'il était mal à l'aise avec ses enfants. Mel ne l'avait appris que récemment, et malgré les doutes qui subsistaient, un poids lui avait été retiré des épaules.
Et aussi, il y avait ce qu'Ebi lui avait confié.
« J'ai peur de la foule comme maman a le vertige », avait-il dit l'air de rien. « C'est comme ça. Une phobie. »
« Mais quelle crevette, va ! » S'était-il moqué. « Perdue dans le vaste océan, au milieu des bancs de poissons ! »
Mais sous ses dehors bravaches, l'idée l'avait interpellée. Ebi ressemblait tant à Near qu'il s'était dit que peut-être, son père aussi craignait la foule… Dans ce cas, l'idée que Near ne puisse se rendre dans un stade bondé prenait tout son sens, et n'était plus juste une mauvaise excuse.
« - Tu n'as pas fini avec ton enquête ? Demanda Kimberley en s'asseyant avec eux, notant que Near tapait toujours avec irritation sur le clavier.
- Non, répliqua Near. Je ne peux pas confier ça à Halle et Rester, et Gevanni est en arrêt maladie depuis que ma chère fille l'a étouffé sous les paquets de vêtements soldés. En plus, mon ordinateur bloque, et je ne sais pas pourquoi. »
Son timbre était un peu sec, et ses enfants échangèrent un regard. Kimberley ne se formalisa pas. C'était comme ça lorsqu'il était énervé, et cela se produisait quand une affaire était trop longue à son goût. L'étonnant, c'était plus que Near ne sache pas ce qui arrivait à son ordinateur.
« - Fais voir ! » Demanda Mel d'un ton supérieur.
Ayant été à bonne école auprès de Mail Jeevas, génie des ordinateurs, puis de l'informaticienne de pointe qu'était devenue Natasha, il bomba le torse et s'avança d'un pas conquérant, délaissant son bol de céréales pour venir regarder l'ordinateur. Effectivement, un bug empêchait ne serait-ce que de bouger la souris.
« - Tu penses pouvoir résoudre ça ? » Demanda son père.
Mel ne parvint pas à décider si sa voix était moqueuse ou seulement interrogative. Il se renfrogna et prit le clavier des petites mains de son père.
Dix minutes plus tard, toutes la famille s'était rassemblée autour de l'écran et regardait Mel et Near s'énerver dans un silence religieux.
« - Tu devrais… Débuta Ebi d'une voix morne.
- Ah la crevette, tais-toi ! Cria Mel, au bord de la crise de nerfs. Je ne comprends pas, il y a un truc qui charge, mais tu me dis que tu n'as rien mis à télécharger…
- Non, je n'ai rien mis à télécharger ! Claqua la voix de Near, d'un ton si sec que c'était pour lui l'équivalent d'un hurlement. Je me contentais de travailler sur ce dossier de… »
A ce moment, la barre de chargement se remplit totalement. Les enceintes émirent un bruit strident, et tous mirent les mains sur les oreilles en grimaçant. Dans un bruit de pétard, l'écran s'éteignit, devenant complètement noir.
« - Mais…Qu'est-ce que tu as fait ? Lâcha Near, les yeux écarquillés.
- Rien ! Absolument rien ! S'impatienta Ebi, hystérique.
- Regardez ! » Cria Maya, le doigt tendu.
Des lettres gothiques s'affichaient lentement à l'écran. Elles luisirent d'un éclat narquois, le temps que cinq paires d'yeux ébahies les déchiffrent…
…et Maya tomba à la renverse par-dessous le dossier de sa chaise, écroulée de rire.
« ALORS NEAR ? » Disaient les lettres. « ON EST BIEN LENT A RENDRE SON ENQUÊTE A PAPI ROGER. ET ON OUBLIE QUE J'EXISTE EN PLUS.
TU AURAIS PU ME CONFIER CETTE TÂCHE SI INGRATE DE TAPER LE RAPPORT DE TON DOSSIER, SALE PETIT FURONCLE. SEULEMENT, COMME MÔSIEUR NEAR EST TROP FIER ET QUE JE N'AI PAS LA PATIENCE… EH BIEN, JE LE PRENDS MOI-MÊME !
TON FILS EST PEUT-ÊTRE UNE CREVETTE, MAIS TOI, NIVEAU VITESSE DE FRAPPE, TU ES UNE VRAIE LIMACE*.
BIEN A TOI, SOMBRE IMBECILE,
Mihael K.
PS : Vieux, désolé de t'avoir fait ce sale coup, mais Mello était devenu invivable. J'ai dû lui concocter ce virus. Sans rancune !
Signé : M. Enfin, l'autre M, le deuxième. Le troisième, quoi. Ah puis merde. Signé Mail. »
Suivirent, sous leurs yeux abasourdis et les hoquets de rire de Maya, une limace pixélisée qui traversa l'écran en y laissant une traînée de bave virtuelle, au son d'une petite musique synthétique et victorieuse de jeu vidéo. Puis deux petites silhouettes aux mouvements syncopés virent se prendre les mains devant le message qui luisait toujours, et tourner en ronde enfantine. Deux espèces de chibis japonais, dont l'un roux avec des rayures et des oreilles de chien, et l'autre tout de noir vêtu, une tablette dans la bouche.
Comme si ça n'était pas suffisant, ils se mirent à chanter au son de la petite musique.
« - ON A LE CONTRÔLE DE VOTRE ORDINATEUR ! Braillaient les deux petits personnages. ON A LE CONTRÔLE DE VOTRE… »
C'en fut trop pour eux. Ebi suivit sa sœur sur le carrelage pour rire tout son saoul, tandis que les trois restants échangeaient des mines déconfites devant cette énième victoire de l'empêcheur de tourner en rond numéro un. A savoir, non plus Mel, mais Mihael.
Parfois, Mel pensait avec admiration (et malgré sa mauvaise entente avec Mihael) qu'il avait encore beaucoup à apprendre de lui afin d'emmerder son père.
Note de l'auteur...
Hehehe. Je connais certains lecteurs de Death File qui ont frôlé la crise cardiaque à la lecture de ce one-shot. Hein mes mignons ?
*Limace : Eh oui, le DJ était chez eux à ce moment-là. Donc comme Mello cherchait une insulte, il a été ravi de le conseiller.
Le cahier de Natasha
(Contient des notes, des charades, des photos, des coupures de journal, des post-it, etc.)
(Retrouvé épinglé un matin sur la porte du frigo)
« Mon petit Sha, ma tarte à la crème recouverte d'une délicate couche de chantilly…
Hum, je dois abréger, Micha n'est pas content du tout. Je suis en retard. « Encore ! », me braille-t-il dans l'oreille. Aïe, justement, il vient de me la tirer. Ce malpoli a lu par-dessus mon épau… D'accord, d'accord, je me dépêche !
Mon tiramisu adoré, mon mignon petit koala…
Le fait est que, voilà, comme je te l'ai toujours dit, les responsabilités sont choses importantes. La vie nous met sur les épaules de bien lourdes charges et…
Bref, tu l'auras deviné, je n'ai pas pu échapper plus longtemps à cette ennuyeuse conférence de presse. Mihael m'a acculé. Oh rage, oh désespoir. Nous serons donc absents pour la journée. Comme je n'ai pas voulu t'intoxiquer, je n'ai rien préparé à manger. En revanche, il y a tout ce qu'il faut dans le frigo. Il ne manque plus que faire réchauffer.
J'espère que tu passeras une très bonne journée, mon fondant au chocolat caramélisé, et je… »
(Pâté incompréhensible. L'écriture devient plus soignée.)
« Je termine ce mot, puisque cet irresponsable est incapable de le faire sans partir dans un délire.
Natasha, ma chérie, j'espère que tu n'as pas trop le trac pour la rentrée. Je vais également devoir partir en urgence pour le travail, j'ai donc réglé ton réveil un peu plus tôt. Il faut que tu signes la feuille posée sur la commode de la salle à manger, pour ton abonnement aux transports en commun.
Bien entendu, que la maison soit vide ne signifie pas « glandage ». Quand nous rentrerons, je veux que TOUT LE TRAVAIL SCOLAIRE SOIT FAIT.
Je t'embrasse très fort.
P.S : Notre irresponsable passe aux infos de dix-huit heures. »
(Liste des surnoms gâteux que Mail donne à sa fille. Ordre croissant de niaiserie.)
Ma puce.
Natashou.
Ma chérie.
Mon canard.
Mon angelot.
Ma princesse.
Mon petit Sha.
Amûûûr de ma vie.
Mon mignon petit koala.
(ici commencent les noms de gâteaux)
Mon baba au rhume délicatement parfumé !
Mon éclair au chocolat fondant (avec du caramel !)
Ma petite pâte d'amande toute mignonne qui vient de sortir du four !
Mon adorable gâteau saupoudré d'amandes et de coulis de framboise !
Ma tarte au sucre avec de la cannelle et de la menthe finement hachée !
Ma crème anglaise avec une pointe de vanille et des éclats de chocolat !
Mon petit chou à la crème bien moelleux avec du caramel croquant sur le dessus !
(ici, Mail s'étrange et bave tout ce qu'il sait en roucoulant)
(Charades destinées à Mihael après une dispute)
1) Mon premier est un assassinat.
Mon second est le début du meurtre.
Mon troisième l'est comme un rat.
Mon quatrième est la finalité du système digestif.
Réponse : Tue/Meu/Fait/Chier.
2) Mon premier m'éneeeeeerve !
Mon second m'éneeeeeeerve !
Mon troisième m'éneeeeerve !
Mon tout m'éneeeeeeeeeerve !
(Natasha était trop « éneeeeervée » pour réfléchir)
(Exemplaire imprimé d'un mail de Nathan à Emily, relatant la première visite de Natasha pour la grippe H1N1)
Nathan : Tu as mal à la gorge ?
Natasha : *voix d'asthmatique* Mon premier est déchiqueté, mon second est en feu, mon troisième n'arrive plus à parler.
Nathan : Tu as mal à la tête ?
Natasha : *les yeux chavirés par la migraine* Mon premier a la gueule de bois, mon second est empli de tambours, mon troisième va exploser dans la seconde.
Nathan : Tu as chaud ?
Natasha : *transpire à grosses gouttes* Mon premier est dans le désert du Sahara, mon second flambe à trois-cent degrés, mon troisième est coincé dans la cheminée d'un volcan.
Nathan : Tu as mal au ventre ?
Natasha : *vomit dans la cuvette que Nathan a eu la sagesse de lui présenter*
Mail : *en pleurs* NAAAAATAAAASHOUUUU !
Mihael : *lui donne un grand coup sur la tête*
Nathan :…Tu as des hallucinations ?
Natasha : *hagarde* Mon premier est rose, mon second est un pachyderme, mon troisième vole, mon tout ne devrait pas du tout se trouver ici !
Nathan :…Je crois qu'elle a la grippe.
(Découpage d'un article de journal sportif)
La première place de la course de voitures NASCAR 2020, disputée en Californie, revient à Kimberley Cassey ! La jeune femme, à force de risques impressionnants et de nombreux doigts d'honneur à ses concurrents, a arraché la médaille au nez et à la barbe de Dave Gordon, jusqu'à présent donné grand favori.
« - Je suis tellement heureuse ! » S'est-elle exclamée. « Putain de bordel de merde, c'est trop bien, merci à ma boule de neiiiiige de m'avoir soutenuuuuuue ! »
On nota une échauffourée sur le podium lorsque Gordon, furieux, injuria la jeune femme et se fit incendier par Mail Jeevas, chanteur des Studios Carmina. Celui-ci descendit en courant des gradins en voyant que Cassey et Gordon commençaient à s'insulter. Il fit dégénérer la dispute en règlements de comptes, vite suivi par son compagnon, Mihael K., qui manqua crever les yeux de Gordon lorsque celui-ci se mit à menacer le chanteur.
La championne de taekwondo, Emily Cross, mit finalement un terme au combat avec une rapidité déconcertante. Lorsqu'on lui demanda pourquoi elle n'avait pas réagi tout de suite, elle répondit avec un sourire charmant :
« - Ils se sont déjà rencontrés et ça ne s'est pas passé au mieux. Et puis, Dave est beaucoup plus attirant avec un œil au beurre noir, vous ne trouvez pas ? »
Rappelons l'adresse du club de la jeune femme :
Los Angeles 4th avenue, « Vous êtes Bouddha », « Initiation à la culture asiatique : taekwondo, cours de japonais, yoga et cuisine coréenne ».
(Charade adressée à Mail pour le 1er Février, composée après une grosse ingestion de cassettes Disney)
Mon premier est le plus enjoué des sept nains.
Mon second est l'animal de Pinocchio.
Mon troisième est la saison durant laquelle Bambi perd sa maman.
Mon quatrième serait idéal pour protéger le haricot magique.
Réponse : Joyeux/âne/hiver/serre
(Note de Natasha qu'elle présenta comme son testament)
Je vais mourir. Kira, à côté, c'est de la sucrette, pour reprendre l'expression de Mail. Mihael va me tuer. Me découper en rondelles. M'arracher les yeux. M'éventrer. M'étriper. Me casser les os un à un. Me priver de crêpes. Jeter toutes mes cassettes Disney.
Je viens de recevoir mon bulletin de notes.
(Bulletin de notes de Natasha)
Histoire : 7/20. Très insuffisant. Peu attentive en cours, insolente, parle avec sa voisine.
Géographie : 6,5/20. Le professeur a dû partir en cours de trimestre pour névrose aggravée. Elève indisciplinée et grossière.
Anglais : 9/20. Des capacités, mais trop d'argot dans ses expressions écrites. Elève dissipée.
Mathématiques : 0,1/20. Cas désespéré.
Arts Plastiques : 5/20. Considère le cours comme une récréation. Bavarde trop.
Sport : 4/20. Bavardages intempestifs. S'endort sur les tatamis.
SVT : 8/20. Bavardages, travail insuffisant. S'amuse à faire peur à ses camarades avec des cadavres de souris. Néanmoins, aptitudes à la dissection.
Chimie : 2/20. LES PRODUITS CHIMIQUES NE SONT PAS FAITS POUR ETRE MELANGES N'IMPORTE COMMENT !
(Compte-rendu abrégé de la réaction de Mihael)
« NAAAAAATAAAAAHSAAAAA !VIEEEEEEEEEEEEENS ICIIIIIIIIIII IMMMMMMMMMMMEDIATEMEEEEEENT ! »
(Punition)
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe. Je dois travailler en classe.
… OU PAS !
(Autre punition)
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
Je ne dois pas bavarder avec ma voisine. Je ne dois pas bavarder avec ma voisine.
(Et si c'est un voisin, je peux ?)
(ENCORE une punition)
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
Je ne dois pas traiter mon prof de Maths de baleine à moustache.
(OK. Un mammouth libidineux, alors.)
(Exemplaire imprimé d'un mail de Mail à Kimberley, relatant la première réunion avec le proviseur, le prof de Maths (baleine à moustache).)
Proviseur : *gêné* Euh… Vous êtes ?
Mihael : *pieds sur le bureau, air furieux* Les parents de Natasha.
Mail : *fatigué d'avance*
Natasha : *se fait toute petite*
Proviseur : Hum… Bon… *prend l'air sévère* Comme vous avez pu le constater avec ce bulletin catastrophique, Natasha s'intègre très mal à notre établissement.
Mihael : *ironique, lance un regard noir à Natasha* J'ai en effet remarqué.
Natasha : *se rengonce encore dans son siège.*
Proviseur : Est-ce qu'elle a des difficultés d'ordre… Familial ? *hésitant*
Mail : Pas que je sache. On ne se frappe pas, on ne la frappe pas, on ne l'élève pas dans un lieu de débauche.
Proviseur : *en doute sérieusement* Oh… Je vois…
Mihael : *agressif* Peut-être que ce sont vos profs qui sont nuls, non ?
Proviseur : Allons… Ne vous fâchez pas… Il est évident que cette enfant est perturbée…
Mihael : *se redresse d'un coup, hors de lui* Comment ça, MA GOSSE EST PERTURBEE ?
Proviseur : *indigné* Mais enfin… Je ne sais pas comment vous avez obtenu sa garde, mais l'environnement ne doit pas être très sain…
Natasha : *jubile de voir Mihael hurler de toute la force de ses poumons sur le prof* Enfin, cette sale baleine à moustache a ce qu'elle mérite…
(Punition de Mihael, donnée par un Mail et une Natasha hilares)
Je ne dois pas exploser la tronche du prof de ma fille, même s'il le mérite grandement.
Je ne dois pas exploser la tronche du prof de ma fille, même s'il le mérite grandement.
Je ne dois pas exploser la tronche du prof de ma fille, même s'il le mérite grandement.
Je ne dois pas exploser la tronche du prof de ma fille, même s'il le mérite grandement.
Je ne dois pas exploser la tronche du prof de ma fille, même s'il le mérite grandement.
Je ne dois pas exploser la tronche du prof de ma fille, même s'il le mérite grandement.
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Je ne dois pas exploser la tronche du prof de ma fille, même s'il le mérite grandement.
INTERLUDE
Attention. Le bonus suivant, ainsi que la suite du cahier de Natasha, sont susceptibles de contenir des spoilers de la fanfiction Death File. Si vous l'avez déjà lue jusqu'à la fin du deuxième chapitre (à savoir « ATR »), vous n'avez rien à craindre. De même si vous n'avez absolument pas l'intention de la lire. En revanche, si vous attendez qu'elle soit achevée pour la lire, je ne saurais trop vous conseiller de sauter les bonus suivants :
Ce qu'ils sont devenus : « Phalènes des lampadaires » (plus "l'étiquette" qui suit, et le "how to use it") : je déconseille ce bonus à ceux qui n'ont pas lu jusqu'au dernier chapitre en date de DF et souhaitent lire Death File un jour.
Le deuxième bulletin de Natasha
Ce qu'ils sont devenus : « De tout ton être ».
En revanche, vous pouvez lire le mail qui suit et les pièces-jointes qui y sont attachées.
Bonne lecture !
Ce qu'ils sont devenus 6 :
Phalènes des Lampadaires
"Vous aurez beau essayer, vous ne trouverez jamais le grand amour à la sortie du Macumba."
Jean-Noël Dumont.
Natasha ne croyait pas en l'amour. Le cliché des feux d'artifice dans la poitrine, des étoiles dans les yeux, du cœur qui s'emballe et de la passion folle, ça la faisait bien rigoler. Rien que des mythes inaccessibles et cucul-la-praline.
Elle n'imaginait pas une seconde se vouer corps et âme à quelqu'un. Elle jugeait les larmes de rupture pitoyables, les projets fous irraisonnés, les grandes passions éphémères. Elle était une personne intrinsèquement logique. Tout quitter pour un vague « Je te kiffe » balancé sur Facebook, ça allait à l'encontre de toute logique. Point final.
Les histoires d'amour de ses copines la laissaient de marbre. Elle les trouvait ridicules, avec leurs piaillements hystériques et leurs syncopes à tout bout de champ. Parce qu'un ado boutonneux vous jetait un coup d'œil, vous deviez vous liquéfier sur place en vous extasiant ? Non merci, sans façon. Rien que de s'imaginer avec des yeux brillants et la bouche en forme de cœur, elle avait envie de vomir.
En fait, elle n'avait même pas envie de tomber amoureuse. Plus jeune, elle avait été curieuse, à cause des confidences et des prêts de journaux intimes avec ses camarades. Elle avait cherché ce qu'elles pouvaient bien trouver aux garçons. Vers neuf ou dix ans, elle avait établi une liste de critères selon les règles de la génétique et de l'esthétique, puis rigoureusement sélectionné les prétendants acceptables. Son père, qui avait trouvé ses notes dans son petit carnet de charades, en avait conçu un grand amusement.
« - Ça ne fonctionne pas comme ça, Natashou, lui avait-il affectueusement expliqué. On ne peut pas choisir la personne à l'avance, et le plus souvent, ça défie toute logique. Tu n'as qu'à voir moi et Micha. »
Certes. Ses parents étaient l'exemple même de l'illogisme en matière de couple, et défiaient toutes ses statistiques en demeurant ensemble sans songer à se séparer (entendez par là « songer sérieusement ». Les lancers de casseroles à la figure et les hurlements perpétuels à cause du désordre, ou bien des chansons rendues en retard à Diego ne comptaient pas). Pour eux, c'était facile à dire, que le coup de foudre vous tombait comme ça sur la tête. Ses parents, c'étaient ses parents : l'exception ultime qui confirmait la règle. Oh, Natasha voulait bien le croire, qu'ils s'aimaient. Mais ils étaient plus ou moins des extraterrestres, donc bon…
Pour Natasha, l'amour était en résumé une chose aléatoire et improbable, qui avait fait un tour sur la Terre une trentaine d'années auparavant pour irradier exclusivement Mihael et Mail, et s'était ensuite éteinte. Une sorte d'espèce ancienne et non protégée, qui avait disparu quelque part entre l'extinction des dinosaures et l'apparition d'un morceau de gruyère rongé par les souris à la place de la couche d'ozone.
Natasha avait déjà eu des petits copains. Intriguée par l'engouement de ses copines, elle était sortie avec beaucoup de garçons, toujours coulés selon le même modèle : plus âgés qu'elle (étant donné leur maturité intellectuelle, il fallait au moins ça selon elle pour avoir une conversation), plutôt costauds, et sans trop de scrupules à peloter une fille de son âge. Elle n'avait toutefois pas poussé l'expérience jusqu'au bout : certes, embrasser, c'était plutôt agréable, ainsi que d'être câlinée. Mais leurs tripotages plus ou moins habiles, dépendant de l'âge du copain et de sa confiance en lui, la dégoûtaient plus qu'autre chose. Elle n'accordait pas une importance extrême au concept de virginité, mais elle n'avait aucune envie de se brader et de devoir feindre une quelconque extase alors qu'en fait, elle s'ennuierait mortellement.
Lorsqu'elle sortait avec quelqu'un, elle stoppait donc ses ardeurs sans remords, voire avec un peu de sécheresse, ce qui finissait immanquablement par déboucher sur une rupture. Ainsi n'avait-elle jamais conservé ses copains très longtemps, malgré un certain don pour la séduction. Fierté démesurée oblige, elle les prenait presque toujours de vitesse au moment de rompre, les larguant dès qu'elle sentait un flottement dans leur attitude ou un mécontentement vis-à-vis des limites qu'elle posait.
Elle enchaînait donc les petits-copains peu sérieux, au grand désespoir de Micha et Mail qui multipliaient leur surveillance de peur d'une bêtise (de sa part ou de celle de ces créatures ignobles qui avaient l'audace d'approcher leur bébé à moins de deux mètres ? Elle n'avait jamais été sûre).
Ce soir-là précisément, elle avait réussi à échapper à leur vigilance. Natasha était partagée entre un sentiment de fierté d'avoir trompé ses parents, qui n'étaient quand même pas n'importe quels imbéciles, et une certaine morosité. Elle avait prétendu passer la soirée chez une copine, et était parvenue à convaincre celle-ci de jouer le jeu, moyennant l'obtention d'un autographe de Mail. Un jeu d'enfant : elle n'avait eu qu'à ressortir à son papa un regard humide, deux ou trois battements de cils, disant qu'elle avait un papier à faire signer pour l'école. Imiter le style administratif du secrétariat était simple. Une fois la signature obtenue, elle l'avait refourguée à la camarade en question, et puis basta.
Cependant, malgré l'attrait de la boite de nuit dans laquelle elle s'était glissée sitôt son cours de Maths achevé, Natasha ne parvenait pas à s'amuser. Perdue dans ces fichues considérations sur l'amour, elle était maussade. L'amie en question, celle qui lui avait promis de l'aider, avait profité de ce qu'elle avait besoin d'elle pour lui rabattre les oreilles avec son nouveau petit-ami. Et que Killian était tendre, et que Killian était adorable, et est-ce que je t'ai dit que Killian avait des abdos extraooooordinaires ?
Natasha voulait bien le croire, elle avait eu l'occasion de tâter les fameux abdos par elle-même. Mais elle s'était bien gardée de le mentionner.
Ce qui l'énervait le plus dans cette histoire, à part être obligée d'écouter sa copine déblatérer, c'était le fait que ledit Killian paraissait tout autant épris de Sophie que Sophie de lui. Son regard éperdu et son sourire particulièrement stupide criaient les symptômes d'un amour bien guimauve. Et ça agaçait prodigieusement Natasha. Jamais avec elle Killian n'avait eu cet empressement, ni cette douceur, ni ces petits mots débiles par SMS.
(Il ne venait même pas à l'esprit de Natasha qu'elle lui avait, à l'époque où elle sortait avec lui, catégoriquement interdit de lui envoyer ce genre de messages.)
Pourtant, de l'avis de Natasha, Sophie n'avait rien d'un top-modèle, bien au contraire. Ses joues étaient criblées de boutons, elle avait la poitrine encore plus petite que la sienne (ce qui n'était vraiment pas peu dire) et ne savait pas s'habiller. Natasha, d'un point de vue strictement plus objectif, était plus jolie. Alors pourquoi Killian préférait-il cette pimbêche à elle, et lui faisait-il l'affront de ne même plus lui accorder un regard ?
Tâchant de ne rien laisser paraître de sa mauvaise humeur, Natasha se camouflait derrière son habituel masque d'assurance, buvant verre sur verre et envoyant des sourires charmeurs aux quatre coins de la boite de nuit. Elle se sentait seule. Elle aurait bien aimé un peu de compagnie.
Le type aux cheveux gras assis à sa droite, devant le bar, lui jeta un regard torve et plein d'espoir. Un type au moins deux fois plus âgé qu'elle, et dont elle aurait juré qu'il avait une dent en or. Elle grimaça ouvertement. Pas question. Il sentait la vodka à plein nez. Les sacs-à-vin, très peu pour elle. Elle cherchait un garçon mignon contre qui se blottir, pour oublier sa morosité.
Agacée de n'en trouver aucun à son goût, elle se trémoussa sur sa chaise et but une gorgée de sa boisson. Elle ne savait pas bien ce que c'était, sans doute un mélange d'alcool et de coca. Ça lui brûlait le palais, lui faisait tourner la tête et lui donnait une sensation de chaleur au ventre. Elle éructa et se mit une main sur la bouche en rougissant. Puis elle gloussa bêtement de son propre ridicule. Flûte. Elle devait être pompette.
Plus que pompette ! Pensa-t-elle en se relevant, voyant qu'elle tanguait sur ses jambes. Elle n'aurait pas dû boire autant. Micha allait lui passer un de ces savons… Elle ricana à voix haute, sous les regards railleurs des danseurs. Ou là là… Elle allait vraiment devoir trouver un beau mensonge pour justifier cet état d'ébriété. Qu'est-ce qu'elle pouvait dire ? Que Sophie avait glissé de la vodka en douce dans son verre ? Ou lui avait fait un quelconque chantage ? Pompette comme elle l'était, cela lui parut plausible. Et elle en profiterait au passage pour se venger de ses regards narquois, en lançant deux papas furieux à ses trousses. Oh mais non, Sophie avait comme pièce à conviction l'autographe de Mail, et pouvait toujours tout leur révéler de la supercherie… Natasha était dans une impasse. Il lui faudrait attendre de dessaouler pour rentrer.
Elle retomba sur son tabouret, découragée, battant des talons contre le plastique. Ses pieds ne touchaient même pas le sol, tant elle était petite. Elle n'aurait jamais dû venir dans cette boite de nuit. C'est trop et trop vite pour une gamine de quatorze ans tout juste. Mais elle avait toujours été quelqu'un de fonceur et qui aimait se définir comme « rebelle ». Elle aimait les expériences. Et un dancing comme le Thunder, c'était un petit monde à lui tout seul, hétéroclite et fascinant. On y trouvait de tout, des jeunes, des moins jeunes, des travestis, des punks, des gothiques… Tout sauf un exemplaire comme elle. Cela la faisait se sentir absolument pas à sa place.
Rejetant sèchement une avance du type à la dent en or, elle jeta un coup d'œil au DJ. Il était le seul qu'elle aurait qualifié de « sobre » et « amical ». Il jubilait en mixant la musique. Une boucle d'oreille violette et parfaitement hideuse se balançait à son oreille lorsqu'il hochait la tête au rythme de la basse. L'améthyste jetait des reflets mauves sur sa peau mate. Il était très typé, latino de toute évidence. Sympa, mais trop vieux pour elle.
En plus, elle le connaissait trop bien pour risquer de se faire remarquer : il s'agissait de rien moins que Diego, le patron de la maison de disques de Mail. Absorbé comme il l'était par sa tâche, elle était certaine de ne pas avoir été reconnue. C'était avec pour garantie une déclaration de Mail qu'elle avait osé venir ici : « Quand Diego mixe de la musique, tu peux lui dire ce que tu veux, il ne t'entendra même pas. Une fois, on lui a fait une blague avec ses potes, on a débarqué au Thunder en milieu de soirée, et on lui a hurlé que les limaces géantes de l'espace atterrissaient pour asservir l'espèce humaine. D'habitude, il entend le mot « limace » et il fait des bonds. Là, il nous a adressé un regard vitreux et nous a demandé : « C'est pour quoi m'sieurs-dames ? ». »
Natasha aimait le risque. Ça la faisait jubiler, et il n'y avait pas grand-intérêt à enfreindre le règlement de ses parents s'il ne restait pas un petit danger possible. Se fourrer juste sous le nez de Diego Carmina lui donnait envie de rire aux éclats. Risque, mais risque soigneusement calculé : de toute manière, même s'il la reconnaissait, il ne dirait probablement rien à Mail. Diego n'aimait pas engendrer les conflits.
Elle haussa les épaules et finit sa coupe. Elle grimaça lorsque le liquide lui carbonisa la langue, mais prit son courage à eux mains et, posant son verre d'un geste qu'elle aurait souhaité plus majestueux, décida d'essayer de se relever de nouveau.
Elle ne sentait plus ses jambes, ni ses pieds, qui étaient devenus très gourds. Elle tenta quelques pas hésitants. Sa vision était floue et encore empirée par les spots clignotants de la boite de nuit. Les gens qui se trémoussaient n'étaient plus que des tâches colorées, et sa tête lui donnait l'impression d'être pleine de marteaux-piqueurs. Les pulsations sourdes de la musique empiraient encore son état. Prenant son courage à deux mains, elle entreprit de se diriger vers la sortie.
Elle se cogna à tous les danseurs, se fit injurier, traiter de tous les noms, elle tomba et s'écorcha les genoux. Elle eut une pensée navrée pour ses collants neufs. Quelqu'un l'attrapa sans douceur sous les aisselles et la releva. Elle sentit une haleine putride et fronça le nez alors que le type tentait de l'embrasser. Encore un qui ne connaissait pas l'usage du dentifrice. Elle se dégagea en marmonnant un vague, très vague merci. Elle marcha d'un bon pas vers la sortie, ou du moins du pas le plus pressé qu'elle put avec ses jambes flageolantes.
Elle retrouva l'air frais avec un soulagement qui s'estompa aussitôt. La pluie tombait si dru qu'en mettant un pied dehors, elle eut l'impression que le ciel lui tombait sur la tête. Au moins n'aurait-elle pas de mal à se dégriser. Les gouttes étaient tièdes, énormes, et lui martelaient le crâne avec tant de force qu'elle en eut le souffle coupé. Et bien sûr, elle n'avait pas de parapluie. Elle se lamenta haut et fort pour ses cheveux, si toutefois on pouvait appeler ainsi cette tignasse trop longue dont les boucles ressemblaient à des nœuds, et qui frisait deux fois plus au contact de l'eau. Elle redoubla de grossièreté en songeant à l'état de sa jupe en jean. Déjà, l'eau ruisselait sur ses jambes. A part les santiags, ses chaussures fétiches, sa tenue était pour le moins inappropriée à la situation.
Elle chercha machinalement sa veste, qu'elle avait plus tôt nouée autour de sa taille. Et zut. Elle n'y était pas. Elle jeta un regard abattu à l'entrée du Thunder, renonça. Elle n'avait pas le courage d'y retourner et de se faire écraser par la foule simplement pour récupérer une veste que quelqu'un avait sans doute déjà taxée. Elle soupira et enfila simplement ses mitaines noires, prenant à pied le chemin de sa maison. Elle préférait encore la pluie aux transports en commun. Au moins, dehors, l'air était frais et sentait bon la terre humide. Les bus étaient sales, étouffants, et tout le monde s'y bousculait en parlant trop fort, le volume des MP3 poussé à fond. Tout ce qu'elle détestait.
Le ciel était très noir, ne laissant voir aucune étoile. Des nuages métalliques roulaient au-dessus d'elle en tonnant, illuminant parfois d'un bref éclair les façades vitrées de Los Angeles. Natasha se tassa sur elle-même. C'était un comble pour elle qui avait porté le nom de famille « Storm », mais elle n'aimait pas les orages, ni l'obscurité.
Pour se donner l'impression d'être un peu plus en sécurité, elle s'appliqua à bien passer sous les lampadaires. Le noir leur donnait une allure fantasmagorique, les métamorphosant en silhouettes décharnées qui projetaient sur le goudron des trottoirs une vague brume dorée. Dans le rayon de ces projecteurs, les flaques ressemblaient à du mercure en fusion, et les gouttes de pluie, à des lucioles pixélisées.
Natasha s'appliquait à respirer calmement pour calmer sa nausée. Elle avait mal aux pieds d'avoir trop dansé et un liquide chaud coulait le long de son genou. Du sang. S'arrêtant sous un lampadaire, elle se baissa et le frotta, ne réussissant qu'à l'étaler d'avantage et à salir le bout de ses doigts. Le mal de cœur augmenta encore à la vue du rouge qui s'étalait sur ses ongles. On aurait dit du vernis, un vernis obscène et mal posé. Secouée de haut-le-cœur, elle appuya les mains sur ses cuisses pour reprendre son souffle, contemplant d'un regard morne les ombres que projetait le lampadaire sur le sol.
Les ombres.
Elle écarquilla les yeux.
Ce n'étaient pas juste des ombres d'éclaboussures, ni d'eau en suspension devant l'ampoule. C'étaient des ombres mouvantes et étranges, qui bougeaient comme un ballet de clair-obscur. Des pinceaux de ténèbres qui ondulèrent un moment, puis se précisèrent. Dans le faisceau jaunâtre et sans charme, elle vit apparaître une silhouette humaine, arquée vers le ciel, une main levée en direction des nuages.
Natasha regarda par-dessus son épaule.
Elle resta bouche-bée.
Quelqu'un était monté au sommet du lampadaire, renversé sous la lumière, jambes enroulées autour du poteau de fer. L'acrobate ne se tenait qu'avec une seule main, l'autre tenant un boitier noir et luisant qu'il agitait sous la pluie. Il ne semblait pas effrayé d'une quelconque chute. Régulièrement, et d'une manière presque machinale, il réajustait ses pieds sur le métal pour compenser les glissades occasionnées par la pluie. Ses chaussures produisaient des chuintements semblables à des tennis sur un terrain de sport. Il murmura quelque chose qui ressemblait à un grommellement contrarié. Il ne parvenait visiblement pas à faire ce qu'il voulait. Lorsqu'il renversa la tête en arrière, sous la pluie et la lumière, Natasha vit une gorge livide et ruisselante se découper sur la nuit, des cheveux noir corbeau plaqués contre la pomme d'Adam.
Soudain, ce qu'il tenait à la main lui échappa. Lançant une exclamation, il tenta de rattraper le boitier. Celui-ci glissa entre ses mains trempées et tomba juste aux pieds de Natasha.
Elle baissa les yeux. Elle était comme en état de choc, l'esprit vide. Elle se pencha et ramassa l'objet. C'était un téléphone portable. L'écran indiquait qu'il était en train d'envoyer un SMS. Lorsqu'elle l'essuya avec ses mitaines, un message d'erreur s'afficha :
« Erreur ! Pas de réseau. Réessayer ? »
Elle releva les yeux. Le garçon avait changé de position, une jambe et un bras pendant dans le vide alors que les autres s'accrochaient fermement. Il avait une mine catastrophée, et lorsqu'elle croisa son regard, il rougit furieusement et plongea sous sa frange, rentrant la tête dans ses épaules. Elle fit un sourire teinté d'incrédulité. Le jeune homme bafouilla :
« - Euh… Excuse-moi, je… Il ne t'est pas tombé dessus ?
- Non… Non, pas de problème. »
Il soupira de soulagement et se laissa tomber. S'il se réceptionna souplement sur l'asphalte, en revanche, lorsqu'il marcha vers elle, il chancela tellement qu'elle crut qu'il allait tomber. Il s'arrêta à un pas de distance, et elle dut lever la tête pour croiser de nouveau son regard. Ses cheveux noirs bouclaient un peu sur ses joues, à cause de la pluie. Il avait des traits asiatiques. Sa peau très pâle, avec des tâches de rousseur, s'empourpra une nouvelle fois en constatant qu'elle le dévisageait. Il avait des yeux gris-bleu très doux, au milieu d'une figure exiguë et passe-partout. Une petite souris.
Elle lui tendit le portable. Il lui sourit timidement, se cachant toujours sous sa frange, et récupéra son portable. Natasha ne se gêna pas pour le détailler, et se mordit la lèvre inférieure en voyant que son tee-shirt collait à son torse et que, ma foi, la vue était fort appétissante.
« - Euh, ben, euh… Balbutia-t-il, gêné devant ses coups d'œil insistants. Me… merci beaucoup… C'est, euh… Sympa de me l'avoir ramassé et… Euh… »
Il paraissait être le genre de garçon qui s'excusait pour un oui ou pour un non, même lorsque c'était à l'autre de le faire. Natasha ne put s'empêcher de lancer d'une voix incisive :
« - De rien. Tu faisais quoi, perché là-haut ? »
Elle retint un petit ricanement en le voyant se liquéfier sur place. Il s'embrouilla, marmonna quelque chose, hésita, puis soupira et lâcha enfin :
« - Je… J'essayais de… D'obtenir du réseau. »
Elle rit cette fois franchement, ce qui le fit sursauter.
« - Ce n'est pas vraiment la manière dont je m'y serais prise. Tu ne pouvais pas juste marcher un peu ?
- Non, murmura-t-il. Si j'attendais une seconde de plus, ma mère piquait sa crise et… Oh mince ! S'affola-t-il en voyant le message d'erreur. Il ne l'a toujours pas envoyé ! Elle va me tuer ! »
Elle jeta un coup d'œil à sa montre. Il était minuit. Pas si tard que ça, du moins pour elle. Pas assez pour se faire engueuler, du moins. Et le garçon avait l'air plus âgé qu'elle. Mais peut-être sa mère était-elle du genre collante ? Natasha fit la moue rien qu'à l'idée.
« - Tu n'as qu'à aller un peu plus loin. Il y a un cyber-café juste à l'angle de la rue, indiqua-t-elle en désignant l'endroit du doigt. Là, ton SMS passera à coup sûr. »
Le garçon cligna des yeux. Quelques gouttes qui perlaient sur ses cils noirs furent projetées tout autour, et coulèrent sur son visage. On aurait presque dit qu'il pleurait. Cependant, son rougissement s'estompait, et la regardait avec moins d'embarras qu'auparavant, les yeux plus francs, plus directs. Il semblait intrigué.
« - Tu connais bien Los Angeles ? » Demanda-t-il.
Il avait l'air à la fois curieux, et quelque peu gêné de poser la question, comme s'il craignait d'être trop intrusif.
« - Moui, répondit-elle avec prudence, le scrutant attentivement. Ça peut aller. »
Elle préférait ne pas en dire trop sur elle, et où elle habitait. Être élevée par des génies formés aux enquêtes, ça laissait des traces : Natasha était naturellement d'une grande méfiance, malgré sa facilité à communiquer avec autrui quand elle le désirait, et l'exubérance qu'elle déployait lorsqu'elle voulait séduire quelqu'un. Le garçon lui sourit gentiment, retrouvant elle ne savait d'où un peu d'assurance.
« - Je ne t'ai jamais vue par ici, murmura-t-il, ramassant une sacoche qu'il avait posée au pied du lampadaire le temps de son escalade. Pourtant, je passe souvent sur ce chemin en rentrant.
- Tu passes souvent par ce chemin, et tu n'as pas remarqué le cyber-café ? » Objecta-t-elle d'un ton un peu sec.
Sa timidité excessive ne détendit pas Natasha, au contraire. D'un coup, comme si elle avait été plongée dans un bain d'eau glacée, sa vision retrouva toute sa netteté, et une petite sonnette d'alarme se manifesta dans sa tête. Son cœur accéléra un peu, et elle croisa les mains dans son dos, se maudissant d'avoir oublié sa veste. Dans la poche droite, sa bombe anti-agression lui manquait soudain.
Timide, étrange. De drôles de manies, une mère abusive, un discours peu cohérent et une extrême politesse, ça n'était pas juste les caractéristiques d'un type niais et paumé. Ça pouvait tout aussi bien correspondre au profil-type d'un genre d'homme beaucoup plus dangereux. Natasha le savait. Elle avait passé du temps à la Wammy's House malgré son adoption. Et elle avait parcouru tant de fois les dossiers de ses parents en cachette, les plus sanglants, les plus ignobles. Les fiches de détails psychologiques sur les serial-killers étaient imprimées dans sa mémoire, indélébiles.
Le garçon eut une mimique gênée, se frottant l'arrière du crâne. Ses cheveux noirs détrempés se hérissèrent de plus belle sous ses doigts.
« - Non. Non, je ne l'avais jamais remarqué. Je ne fais pas trop attention à ce qui m'entoure
quand je marche, avoua-t-il. Je pense à autre chose. Et en général, je suis trop crevé pour m'intéresser au décor.
- Trop de temps à te déhancher dans les boites de nuit ? » S'enquit Natasha, ouvertement moqueuse.
Il la dévisagea avec stupéfaction, les yeux écarquillés, la bouche entrouverte. Indécis, il ne bougeait plus, la mâchoire prête à se décrocher.
Un instant, la jeune fille crut qu'elle était allée trop loin. Puis, après ce qui lui sembla être une éternité, et à sa très grande surprise, le garçon éclata de rire.
Elle dut contenir un mouvement de recul, autant qu'une expression de fascination. Lorsqu'il riait, l'inconnu se métamorphosait. Ses yeux bridés n'étaient que deux fentes insondables, la timidité s'évaporait, et sa bouche… Elle frémit. Le garçon riait avec la bouche grande ouverte, toutes dents dehors. Un mélange entre le bâillement d'un loup et un rictus dévorateur, ajoutés au rire naturel d'un jeune homme à qui on vient de raconter une bonne blague. Une alliance aussi improbable qu'effrayante, qui lui contracta le cœur avec une force insoupçonnée. Ce type n'était pas un niais imbécile. Ce type était incroyablement, définitivement et viscéralement dangereux.
Une autre suite de frissons lui dévala l'échine, à l'unisson avec les gouttes de pluie qui s'infiltraient de plus en plus nombreuses sous son tee-shirt, collant le tissu à la peau. Le garçon riait de plus belle, visage offert à la pluie et la tempête au-dessus de lui. Canines, molaires et incisives luisaient sous le lampadaire, injures à l'orage qui se déchaînait de plus belle. Défiances aux éclairs qui déchiraient le ciel. L'air de dire qu'il les écharperait.
Lorsque les yeux flous et amusés se posèrent à nouveau sur elle, Natasha était absolument incapable de bouger, tétanisée par la peur autant que par l'adrénaline. Le garçon s'était arrêté de rire, mais lui souriait encore et malgré que ses lèvres reviennent progressivement recouvrir les dents, quelque chose d'animal restait en lui. Elle comprit alors, en constatant que l'embarras du jeune homme le rattrapait, elle sut avec une certitude absolue qu'il n'était lui-même pas au courant de cette sauvagerie qui dormait en lui et ne s'échappait que lorsqu'il riait.
Toute idée de bombe anti-agression l'avait désertée. Elle avait le cœur qui tapait toujours de peur, l'estomac noué, mais une euphorie vorace lui tordait le ventre. C'était très curieux. Elle avait l'impression d'avoir surpris une facette de l'autre qu'il ne soupçonnait pas, d'être libre de la dévoiler ou non. Elle avait la clef. La clef de sa propre survie.
« - Non, finit par dire le garçon, la faisant sursauter, non, je crains de ne pas être très bon danseur. »
Les commissures de ses lèvres tressaillirent à nouveau. Ce fut à son tour de tendre le bras, dans la direction opposée à celle du cyber-café.
« - Je reviens d'un cours de gym, en fait, expliqua-t-il. C'est pour ça que je suis fatigué. Le gymnase est situé là-bas. »
Natasha cilla, surprise. Elle réévalua la silhouette du garçon. Effectivement, sa petite taille l'avait frappée, bien qu'il soit encore plus grand qu'elle. Les gymnastes étaient connus pour ne pas beaucoup grandir.
« - Tu fais de la gym depuis combien de temps ? » Demanda-t-elle, presque machinalement.
Il parut content qu'elle s'y intéresse.
« - Depuis que j'ai six ans, en fait. J'adore ça, je n'arrêterais pour rien au monde. »
Son ton s'était un bref instant enflammé et, craignant d'avoir été trop virulent, il rosit avant de reprendre avec plus de douceur :
« - Enfin voilà, quoi. Et toi, tu t'es déhanchée sur le dance-floor toute la nuit ? »
Surprise, elle rit à cette réplique. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il ait de la répartie. Les yeux flous du garçon la regardèrent rire avec une sorte de fascination, quelque chose de très doux, et qui n'était pas désagréable. Parce qu'il ne pensait pas être capable de la faire rire, ou parce qu'elle avait l'air jolie en riant ? Un peu nerveuse, elle mourut soudain d'envie d'avoir un miroir sur elle, et résista à l'envie de se recoiffer avec les doigts. Sous toute cette pluie, elle devait avoir une tête épouvantable.
Elle prit sa décision en voyant que le garçon, justement, passait une nouvelle fois la main dans ses cheveux, tentant vainement de paraître présentable.
« - Exactement, répondit-elle avec énergie. Mais bof. L'ambiance n'était pas géniale là où j'étais. Donc je rentre. Tu vas vers où ? »
Il bafouilla quelque chose, et elle comprit qu'il était étonné mais aussi ravi qu'elle poursuive la conversation, et pose elle-même des questions personnelles.
« - J'habite à deux rues de là, ça n'est pas très loin. » Dit-il.
Elle nota avec amusement qu'il était aussi évasif sur l'endroit où il vivait qu'elle un peu auparavant.
« - Ça fait longtemps que tu habites Los Angeles ? Moi, je viens juste de ré-emménager là, enchaîna-t-elle avec fermeté. On bouge beaucoup avec ma famille. »
Quand le poisson est ferré, il faut en profiter pour tirer la ligne. Le jeune homme était complètement déconcerté par la rapidité avec laquelle s'enchaînaient les questions. Il était vrai que Natasha n'avait pas eu l'air très engageante au tout début, et voilà qu'elle revirait brusquement. Ou peut-être n'avait-il pas l'habitude de flirter, ou même de se faire si outrageusement draguer. Ça ne l'aurait pas surprise. Il reprit toutefois assez vite ses moyens, même s'il ne paraissait pas encore croire à sa chance.
« - Oh oui, ça fait longtemps que je vis ici, balbutia-t-il. En fait, j'habite là depuis toujours. »
Il hésita un peu, puis demanda :
« - Tu as l'air de bien connaître la ville. Tu es déjà venue ? »
Il était très évidemment fier de lui, et soulagé d'être parvenu à l'interroger davantage. Elle eut envie de rire, mais se surprit elle-même en constatant que ce rire était moins méprisant qu'attendri.
« - Oui, on est venus plusieurs fois ici. »
Ils restèrent un moment face à face, un peu embarrassés, aucun n'osant relancer la conversation. Ce fut le garçon qui reprit l'initiative certes maladroitement, mais au moins était-ce un progrès.
« - Tu t'appelles comment ? »
Elle sourit, mais ce sourire dissimulait une grimace. Donner son prénom était toujours une épreuve, soit à cause de ces fichues paroles qui passaient sans cesse à la radio, soit parce qu'on faisait le lien entre elle et l'interminable procès-Natasha.
« - Natasha. » Soupira-t-elle.
Elle ajouta brusquement, pour couper court à toute remarque :
« - Oui, je sais. Comme dans la chanson. »
Il s'apprêtait à dire quelque chose, mais se tut. Toutefois, il n'avait pas une expression honteuse : il souriait doucement.
« - Je n'allais pas te faire la remarque, dit-il. De toute façon, je n'écoute pas tant de musique que ça. Et j'ai déjà suffisamment de problèmes avec mon prénom à moi. »
Sa curiosité titillée, soulagée qu'il ne puisse la relier à la fille de Mail et Mihael, Natasha demanda :
« - Et c'est quoi ton prénom ? »
Le garçon fourra les mains dans ses poches, la tête baissée. Il regardait ses pieds et les ombres de leurs silhouettes sur le bitume.
« - Gray. »
Il releva des yeux noirs sous sa frange, comme pour la défier de se moquer. Mais Natasha ne se moqua pas. Non, elle fronça les sourcils. Ça… Bizarre. Ce nom lui disait quelque chose. Il lui semblait l'avoir entendu... Dans la bouche de Mihael, non ? Mais impossible de mettre le doigt dessus. Le garçon se méprit sur son geste, et haussa les épaules.
« - C'est aussi à cause d'une chanson, comme toi. California Dreamin'. C'est le refrain qui dit « All the leaves are brown and the sky is gray »… Bref. Je ne te la chante pas, je chante comme un crapaud. »
Elle éclata à nouveau de rire devant sa moue dépitée. Il lui sourit. Son visage pâle ruisselait littéralement de pluie. Natasha frissonna, et croisa les bras pour tenter de trouver un peu de chaleur. Inquiet, il s'exclama :
« - Attend, j'ai… J'ai un parapluie. Quel imbécile, marmonna-t-il plus bas en se débattant avec la fermeture de son sac. Bon sang, j'ai un parapluie et je ne… »
Il trouva ce qu'il cherchait, un tout petit parapluie noir qu'il déplia en un claquement et tendit au-dessus d'eux, se rapprochant d'elle pour l'en faire profiter. Décidant d'utiliser ce moyen jusqu'au bout, elle feignit un gros éternuement. Il parut encore plus paniqué, livide et non écarlate.
« - Je suis désolé de t'avoir laissée sous la pluie, j'ai complètement oublié que j'en avais un, s'excusa-t-il piteusement.
- C'est rien, fit-elle en prenant bien soin d'accentuer son faux reniflement. Tu ne devais pas envoyer de message à ta mère sous peine de mort ?
- Ah oui. Merde, lâcha-t-il, comme frappé par la foudre qui craquait au-dessus d'eux.
- Le cyber-café, c'est par là. » En profita-t-elle pour glisser, posant sa main sur le parapluie pour l'entraîner avec elle.
Instinctivement, ils se mirent tous deux à courir alors que l'orage grondait plus fort que jamais au-dessus de leurs têtes. Natasha se rua dans le cyber-café, délicieusement chaud et à l'odeur réconfortante, alors que Gray repliait le parapluie. Elle l'attendit dans l'entrée, souriante en voyant tous ces ordinateurs. Les chiffres stables et les touches des claviers la rassuraient immanquablement.
L'endroit était bondé. Natasha ne put retenir une pique lorsque Gray arriva et s'ébroua de manière très canine.
« - Je savais que les garçons étaient frustres, mais à ce point…
- Oh, ça va, grommela-t-il (mais il avait encore un sourire au coin des lèvres). J'en connais des pires. Tu veux un mouchoir ? »
Ils s'écartèrent pour laisser passer de nouveaux clients, sans doute plus attirés par l'idée d'un abri que les ordinateurs ou les quelques boissons. Gray tira de sa sacoche un paquet de mouchoir ayant miraculeusement échappé à la pluie, et le lui tendit. Elle se moucha dedans pour de faux, tâchant d'être convaincante. Tous deux s'assirent dans un coin à l'écart, à une toute petite table sans ordinateur, et qui devait habituellement servir à poser des objets divers. Gray profita de ce qu'il la croyait en train de se moucher pour envoyer le fameux SMS. Natasha fut frappée par son air concentré et nerveux devant le téléphone. Il se mordait la lèvre inférieure, appuyant sur les touches avec des précautions qu'elle n'avait pas avec ses propres affaires.
« - Voilà, il est passé, souffla-t-il. Enfin.
- Tu n'as pas l'air d'aimer beaucoup la technologie. » Observa-t-elle.
Il secoua la tête.
« - C'est un enfer, lui confia-t-il alors que son sourire glissait un peu plus vers le dévoilement des dents. Je déteste ça. Je fais planter les ordinateurs dès que je les touche. »
Songeuse, Natasha se laissa aller en arrière contre son siège. Le garçon –Gray- avait vraiment peu de points communs avec elle. D'ordinaire, cela avait tendance à la rebuter, mais elle était curieuse, et avait envie de revoir cette étrange animalité qui couvait sous la surface. Elle proposa d'un ton très sérieux :
« - On n'a qu'à monter une affaire tous les deux : tu fais planter les ordinateurs des gens, et moi je les répare. Cinquante-cinquante, on fera fortune.
- Pas mal, plaisanta-t-il. Tu te débrouilles en informatique ?
- Ça va, oui. » Fit-elle avec un grand sourire.
Elle ne lui mentionna pas le fait qu'elle passait le plus clair de son temps entre un geek au QI monstrueusement élevé et un ancien mafieux génial qui l'entraînait (avec succès) à pirater les ordinateurs du SPK pour exciter la fureur de Near. Gray rangea le téléphone, et fouilla dans sa poche. Bien vite, il fut évident qu'il ne trouvait pas ce qu'il cherchait.
« - Je t'aurais bien offert quelque chose de chaud à boire, pour me faire pardonner, dit-il, penaud, mais je n'ai plus rien sur moi. Désolé.
- Pas grave, soupira-t-elle avec un rien d'exagération, jetant un regard tragique au-dehors. Je vais rentrer. J'attends juste que ça se calme un peu. »
L'orage était visiblement du côté de Natasha, car à cet instant, la foudre tonna avec une telle force que les lumières du café vacillèrent, et la pluie dehors se changea en véritable déluge qui martela le sol de plus belle. Gray eut l'air horrifié, son regard passant de Natasha –qui s'appliquait à paraître la plus petite, misérable et enrhumée possible derrière son mouchoir- aux trombes d'eaux assourdissantes qui se déversaient au-dehors.
« - Je te donne mon parapluie, décida-t-il abruptement. Tu habites loin ? »
Natasha bénit le mouchoir froissé, décidément bien utile pour masquer son sourire.
« - Non, pas trop, minauda-t-elle d'un ton faible qui laissait entendre exactement le contraire. Mais je ne peux pas accepter. C'est ton parapluie, franchement, et puis je ne peux pas te laisser aller dehors comme ça. »
Elle observa avec beaucoup d'intérêt la bataille intérieure qui se livrait sur le visage de Gray. Il était comme un livre ouvert, pour elle qui savait si bien déchiffrer les gens. Elle pouvait presque voir son dilemme inscrit sur sa figure : devait-il écouter sa bonne conscience de jeune homme trop poli –et accessoirement ses hormones qui, si elle en jugeait la rougeur de ses joues, devaient bouillonner furieusement-, et lui proposer de la ramener, ou bien sa maudite inhibition qui lui sifflait qu'elle allait l'envoyer balader ? Histoire de faire pencher plus vite la balance du côté de la politesse et des hormones, Natasha partit dans une série d'éternuements particulièrement bien imités.
« - Je vais te raccompagner, annonça finalement le jeune homme, écarlate mais ferme. Hors de question de te laisser sous la pluie. »
Natasha exultait. Elle toussa légèrement pour le cacher, puis écarta le mouchoir.
« - Merci, c'est vraiment sympa. » Fit-elle, lui dédiant son plus beau sourire.
D'écarlate, il vira au cramoisi, et s'empêtra dans des balbutiements incohérents pour lui dire qu'allons, ça n'était rien, vraiment, absolument rien, quoi de plus normal, et puis, maman peut bien attendre un peu.
Natasha se demanda, alors que Gray déployait à nouveau le parapluie au-dessus d'eux, ce qui était arrivé à son angoisse face à lui, lorsqu'elle avait pris conscience de cette facette dangereuse qu'il pouvait avoir. Cela lui semblait loin. Peut-être même avait-elle rêvé cet étrange rire. Ou c'était la lumière intermittente des éclairs qui avait transformé son visage. Et sans doute l'orage n'y était-il pas pour rien dans la brusque remontée des dossiers de tueurs en série dans sa mémoire. Mais tout de même…
Sa méfiance perpétuelle s'était un peu trop estompée à son goût. Certes elle aimait le risque, mais elle aimait contrôler ce risque, et il lui semblait qu'elle dérapait un peu hors des règles de sécurité qu'elle s'imposait habituellement. Il était beaucoup plus fort qu'elle, agile de surcroit grâce à la gym, et il n'aurait eu aucun mal à la maîtriser. Sa timidité était si excessive qu'elle pouvait tout aussi bien être feinte. Et si elle était tombée sur meilleur comédien qu'elle, qui n'attendait qu'une occasion pour l'attraper, et s'amusait de cette proie qui s'était elle-même jetée dans la gueule du loup ?
« Je me fais des films », songea-t-elle alors que tous deux se mettaient en route. « Gray est inoffensif. »
Mais tout de même, elle était troublée. Discrètement, elle observa le visage du jeune homme alors qu'ils marchaient. Il était pensif, les yeux baissés, la respiration régulière. Il ne tourna pas la tête lorsqu'elle posa son regard sur lui, trop absorbé par la succession de ses propres pas. Sous la frange, elle vit qu'il n'avait presque pas de sourcils, et cela réveilla le soupçon en elle. C'était bête, mais à la Wammy's House, c'était un trait commun à beaucoup d'orphelins. Presque pas de sourcils, Mihael, Mail et elle inclus. Son père avait même plaisanté une fois en disant que c'était un signe génétique de haute intelligence.
Les enfants de la Wammy's House. Si roublards, si menteurs. Les génies meurtriers n'étaient pas tous orphelins, n'étaient pas tous enfermés dans l'établissement. Et si elle était tombée sur l'un d'entre eux ? L'histoire de Beyond Birthday, le sourire crispé de Mail quand on l'évoquait, tout cela lui collait froid dans le dos. Elle n'avait pas éprouvé avec Gray la sensation du jeu intellectuel, celui qui était si compliqué qu'il en devenait labyrinthique, et qu'elle ressentait en face d'autres enfants comme elle. Mais ça ne voulait rien dire. Face à Mail non plus, elle n'avait pas cette impression. Et son père était loin, très loin d'être bête.
Elle était partagée entre l'idée de reprendre la conversation, et celle de l'interrompre définitivement. Entre la réflexion pour trouver une manière pas trop brusque de lui demander son numéro, et son instinct puissant qui lui faisait chercher des rues où elle pourrait le semer en cas de problème, ou des moyens de l'assommer.
Le silence était retombé entre eux, et comme Gray l'avait dit plus tôt, il ne semblait pas prêter beaucoup attention au décor lorsqu'il marchait. Fallait-il en conclure, puisqu'il ne lui adressait pas un regard, qu'elle faisait elle-aussi partie de ce décor ? L'idée l'agaça prodigieusement, réveillant en elle une rage qu'elle ne soupçonnait pas. Les joues brûlantes de cette colère irraisonnée, elle accéléra un peu le pas. Il la suivit sans peine, sans même montrer de surprise, à grandes et souples enjambées. Il n'était pas essoufflé, et elle se rendit compte qu'en fait, il s'était peut-être retenu avant de ne pas aller trop vite pour elle. Les oreilles bourdonnantes, elle allongea encore le pas, à la limite du trottinement, se retenant juste assez pour ne pas courir. Cette fois, il le remarqua.
« - Ça ne va pas ? Demanda-t-il, l'air inquiet. Tu as froid ? Tu veux ma veste ? »
Tant de sollicitude l'aurait flattée en temps normal, mais son humeur la poussa à se dire que Gray se comportait probablement ainsi avec tout le monde. Elle n'était guère que l'une des nombreuses personnes profitant de sa gentillesse. Peut-être même s'était-elle trompée en pensant lire sur son visage tout à l'heure. Si ça se trouvait, il n'avait même pas eu envie de la raccompagner, et le rouge de la gêne était en fait celui de l'agacement. Peut-être s'était-il demandé pour qui elle se prenait, cette fille, avec ses techniques rentre-dedans, mais n'avait-il pas osé refuser, se sentant obligé par son oubli précédent. Trop poli.
A cette éventualité, elle se sentit humiliée, et trancha en faveur de la séparation rapide. Elle ne supportait pas de ne pas savoir ce qu'on pensait d'elle. Elle ne supportait pas de quémander de l'attention. Et s'il y avait bien une chose que Natasha détestait par-dessus tout, c'était n'être pas spéciale, n'être qu'une figure anonyme parmi une foule.
« - J'ai juste hâte de rentrer, lâcha-t-elle d'un ton glacial. Non merci, ta veste doit être trempée de toute façon. »
Il ralentit imperceptiblement le pas, et si Natasha avait regardé à cet instant son visage, elle l'aurait vu non seulement déconcerté comme elle l'attendait, mais aussi déçu, et peiné.
« - Tu as quel âge ? La questionna-t-il maladroitement, au bout d'un long moment de silence tendu.
- Dix-huit. » Mentit-elle sans complexe, d'une voix encore plus dissuasive qu'avant.
S'il ne comprenait pas avec ça, c'est qu'il était bouché. C'était un mensonge si éhonté qu'il ne pouvait que le saisir du premier coup, et se rendre compte qu'il lui fallait arrêter les questions. Mais à sa grande surprise, il ne fut pas douché par son agressivité. Au contraire, il eut l'air de s'enhardir, et poursuivit :
« - Moi j'en ai dix-neuf. Je suis à l'UCLA Gateway.* Et toi ? Tu es à l'université aussi ? Ou… Tu prends peut-être des cours par correspondance, comme tu déménages souvent. »
Souffle coupé, elle s'arrêta net et fit volte-face. Gray était calme, le teint à peine rosé de sa question. Il n'avait pas l'air de quelqu'un qui venait de proférer un énorme mensonge. Pourtant, c'était sans aucun doute ce qu'il venait de faire. Il n'avait pas l'air d'avoir plus de seize ans. Il ne pouvait définitivement pas être plus âgé, se dit-elle avec abasourdissement, jaugeant son visage de souriceau et sa minceur. Mais peut-être que sa petite taille, habituelle pour un gymnase, l'induisait en erreur ?
Il n'y avait pas trente-six solutions. Soit Gray disait la vérité et n'avait absolument pas perçu l'ironie dans sa dernière phrase, parce que lui-même faisait très jeune pour son âge, et avait l'habitude des mines surprises lorsqu'il annonçait avoir dix-neuf ans. Soit il répondait outrageusement à un mensonge par un autre mensonge encore plus gros, et dans ce cas, son hypothèse s'en trouvait confirmée : il était loin d'être si sage et innocent qu'il le paraissait.
Pour une des premières fois de sa vie, Natasha fut incapable de déceler la sincérité ou la fausseté sur un visage. Gray restait impassible, parapluie à la main, la fixant du haut de ses quelques centimètres de plus. Si elle cherchait bien, la seule chose qu'elle pouvait trouver de net, c'était un certain chagrin déboussolé qu'elle l'attaque ainsi.
Mensonge ou pas mensonge, Natasha était à présent furieuse. Furieuse de ne pas comprendre, furieuse de ne plus rien contrôler, furieuse au point de vouloir en pleurer. Ses mains se serrèrent en deux poings tremblants de rage et, le menton haut, les yeux étincelants, elle cracha :
« - Tu te moques de moi ? Tu n'as pas dix-neuf ans. Tu es bien trop petit et timoré pour ça, mon pauvre. »
Son teint déjà livide pâlit encore, et il fit un pas vacillant en arrière. Lorsqu'il parla, sa voix était aussi blanche que son visage décomposé.
« - Si, j'ai dix-neuf ans. En revanche toi, tu n'en as certainement pas dix-huit.
- Noooon, railla-t-elle, de plus en plus hargneuse, de plus en plus mordante. Mais c'est qu'il réfléchit en plus, le petit Gray !
- Au début, je pensais que peut-être tu disais la vérité, continua-t-il d'une voix sourde, indifférent à son interruption. Après tout, il y a des gens qui ne font pas leur âge, moi le premier. Ou tu n'avais simplement pas envie de le donner, et ma question était indiscrète. Mais, poursuivit-il d'un ton qui ne cessait de monter à chaque mot, ça n'est quand même pas la peine de me sauter à la gorge comme ça ! Je ne t'ai rien fait !
- Tu as raison, ta question était indiscrète, acheva violemment Natasha. Puisque tu as du mal à comprendre, je vais la refaire : tu m'indisposes, je n'ai pas envie de te raconter ma vie, j'ai hâte d'arriver pour que tu cesses de me coller. C'est plus clair comme ça ? »
Gray n'était plus pâle, il était blême, crayeux, et ses pupilles sombres avaient pris toute la place dans le bleu-gris de ses prunelles. Natasha entendit la fameuse sonnette d'alarme se réveiller dans un coin de sa tête, plus forte que jamais, mais trop à sa colère et sa sombre satisfaction, elle l'ignora.
« - Tu m'ennuies, asséna-t-elle. Ennuyeux comme la pluie, c'est le cas de le dire. Ennuyeux à mourir, et terne, et mièvre. Tu ne sais pas articuler un mot sans rougir ou bafouiller. Et pour couronner le tout, tu es tellement frustré que dès qu'une gamine de quatorze ans –parce que oui, surprise ! j'ai quatorze ans !- t'aborde, tu te jettes sur l'occasion. Navrée mon vieux, c'est pas encore ce soir que tu vas pouvoir te faire une fille. »
Les dents de Gray se serrèrent à en éclater, et Natasha sursauta, électrisée de la tête aux pieds, lorsque ses dents jaillirent de sa bouche. Elles s'avancèrent si vivement qu'elles paraissaient douées de vie, vouloir la mordre, aiguisées et mauvaises. La violence éclata sur le visage de Gray avec une telle force qu'elle le défigura momentanément, le réduisant à un masque haineux, terrifiant, avide. Natasha s'aperçut qu'elle tremblait si fort que cela ressemblait à des spasmes, mais elle était tout à fait incapable de s'arrêter. Elle avait les yeux rivés, hypnotisés, aux traits distordus du jeune homme, qui s'il tremblait lui-aussi, tremblait de colère et de sauvagerie contenue.
« - Je suis navré, siffla-t-il, venimeux, mais beaucoup plus calme qu'elle ne l'aurait cru. Je pensais rendre service. Désolée si j'ai cru que tu étais une fille sympa, pas une espèce de garce à moitié folle. »
Sa voix grondait, sourde et menaçante, son regard était si méprisant que Natasha ne put que se recroqueviller davantage. Il fit un pas vers elle, elle recula, paniquée, le cœur battant à s'en décrocher. Dans les yeux bridés passa un trouble étrange, entre la pitié devant sa mine éperdue, et une bestialité encore différente de celle d'avant, encore plus abominable. Une avidité morbide, pour le sang qui coulait déjà sur ses genoux, ou pour son corps que moulait le tissu détrempé elle ne savait pas trop.
Natasha dérapa dans une flaque d'eau, gorge palpitante, sang qui lui montait à la tête, et se serait affalée sans la main ferme de Gray qui la rattrapa juste à temps par le bras. Elle poussa un cri aigu sa poigne était de fer, sa cheville s'était tordue dans un craquement.
Grau l'attira plus près, inexorable, ses doigts enfermant son bras. Elle avait le tournis. Il dégageait une odeur lourde malgré la pluie, le résultat sans doute de ses heures de sport. Alors, sans qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit pour se retenir, sans pouvoir rassembler son courage et sa fierté pour une ultime réplique, elle fondit en larmes.
Mains plaquées sur son visage, elle était secouée de sanglots. Immédiatement, la poigne sur son bras se relâcha, et elle entendit Gray prendre une brusque inspiration. Craignait-il qu'elle ne pousse un cri et rameute du monde ? Elle pleura encore plus fort, jusqu'à presque vomir, pliée en deux, hoquetant et pressant les mains sur son estomac malmené par l'alcool.
Elle sentit une étreinte se refermer autour d'elle, protectrice, et la soutenir. Elle sursauta et s'étouffa presque avec ses pleurs, avant de finalement être comprimée par un haut-le-cœur de trop. Elle vomit, misérable en ce bout de rue isolé des grandes artères de la cité des anges, avec une envie désespérée de se blottir dans les bras de Mihael ou de Mail, pendant qu'on lui préparait quelque chose de chaud et qu'on la mettait au lit avec une bouillotte.
La pluie s'abattit sur sa nuque avec une force incroyable, et elle crut un instant que Gray l'avait plantée là. Mais le parapluie fut posé par terre, et les bras du jeune homme la soutinrent pendant qu'elle vomissait. De temps à autre, une main lui tapotait gauchement le dos, et elle entendit, glissés à son oreille, de petits chuchotis de réconfort.
Lorsqu'elle put se redresser, vacillante, un autre mouchoir de Gray plaqué sur sa bouche, elle vit enfin son visage. Il n'avait plus rien à voir avec celui du monstre. Il était accablé, malade pour elle, porteur de tant de chagrin que ses propres larmes repartirent de plus belle.
« - Tu as bu, murmura-t-il d'un ton étrangement ému. Tu as trop bu, il ne faut pas. »
Elle comprit qu'il était soulagé, parce qu'il pensait que ce qu'elle avait dit lui avait été dicté par l'alcool. Elle ne chercha pas à le détromper, au contraire. Quand il la tint par les épaules, caressant timidement ses cheveux trempés, elle s'accrocha fort à lui et hoqueta :
« - Je suis dé… Désolée… Je… Ne pensais pas… Ce que j'ai dit. »
Refoulant tant bien que mal un nouveau sanglot, elle se sentie entourée de sa chaleur. Comme elle l'avait pensé, être plaquée contre lui était loin d'être désagréable. A cette pensée, elle émit un petit rire chevrotant.
« - C'est juste que… Je ne te comprends pas, Gray. Pas du tout. Et ça… »
Elle hésita, sa bouche se tordit plusieurs fois de suite. Sa vision était brouillée, des larmes brûlantes coulaient toujours sur ses joues, la pluie tapotait sur son crâne. Mais elle se sentait mieux.
« - Ça m'inquiète… De ne pas savoir ce que tu penses. J'arrive pas à te lire. J'arrive pas à te comprendre. » Bredouilla-t-elle.
Sans l'alcool, jamais elle n'aurait prononcé les phrases suivantes, qu'elle murmura si bas qu'il dut se pencher pour entendre.
« - Tu me fais peur. Tu me fais vraiment peur. »
Un silence de plomb tomba. Une voiture passa tout près, la musique à fond, ses phares illuminant les deux jeunes gens un instant très bref. Les bras de Gray ne desserraient pas leur étreinte. Il finit par dire, la voix cassée :
« - Tu n'es pas la seule à ne rien y comprendre. Tu es déconcertante. Très jolie. Mais déconcertante. »
La note mutine dans sa voix lui fit relever la tête, pour constater que Gray avait repris son habituel teint rouge cerise. Il souriait toutefois, pour la rassurer, et elle rit tout bas.
« - Je suis jolie alors ? Le taquina-t-elle.
- Très. »
Il avait les yeux fuyants, et quelque chose de l'animal était encore présent chez lui. Dans sa voix basse qui articulait cet unique aveu, dans ses bras qui tressaillaient pour ne pas la laisser repartir. Mais Natasha n'avait plus peur.
« - Tu n'es pas mal non plus. » Fit-elle, curieuse de sa réaction.
Plus vite que si elle avait appuyé sur un bouton, les deux tâches rouges gagnèrent de la place sur ses pommettes. Il rit, un drôle de rire éraillé, un peu confus aussi.
« - Je croyais que j'étais ennuyeux à mourir, terne et mièvre. »
Il la lâcha, et elle se retrouva grelottante sous la pluie qui, heureusement, tombait moins dru. Gray ramassa son parapluie. Son visage qui, un instant plutôt, avait pourtant retrouvé le sourire, s'était à nouveau fermé.
« - Excuse-moi, répéta Natasha en tâchant d'y mettre le plus de sincérité possible. Je ne le pensais pas.
- Bien sûr que si, tu le pensais, soupira-t-il en mettant une main dans sa poche. Comme tout le monde le pense. Le petit Gray qui ne sait pas allumer un ordinateur, le petit Gray si timide que c'en est prodigieusement énervant, le petit Gray qui n'a jamais de copine. Le petit Gray ceci, le petit Gray cela. »
Il étira ses lèvres en sourire bravache, mais il sonnait faux. Natasha resta les bras ballants à le regarder, sans savoir quoi dire. Elle avait mal à la gorge, un goût épouvantable dans la bouche.
« - Et c'est vrai, n'est-ce pas ? Je suis tout ça. Je le sais bien. Mais honnêtement, que les autres aillent se faire voir. Je n'en ai rien à foutre. »
Il paraissait triste, grave, et cette expression n'était pas sans conférer une certaine beauté à son visage. Il se rapprocha à nouveau, et avec une assurance qu'elle ne lui connaissait pas, il écarta une mèche de cheveux du visage de Natasha.
« - Tu habites loin ? Murmura-t-il. Il y a un arrêt de bus pas loin. Tu as l'air malade, il vaut mieux prendre les transports en communs. Tu seras au chaud. »
Elle hésita un peu, puis laissa tomber son envie de mentir encore. Elle était lasse de sans cesse chercher le contrôle sur chaque chose qu'elle allait dire, et haussa les épaules.
« - J'habite juste à l'angle, en fait, avoua-t-elle. Je n'ai que quelques mètres à parcourir. »
Elle lut de la surprise dans son regard, mais avant que le reproche n'en prenne la place, elle ajouta :
« - Je comptais te faire tourner un peu dans le quartier en prétextant que je m'étais perdue, à cause du récent déménagement… (Elle fut prise d'un petit rire amer, qui ressembla à une quinte de toux). Pour qu'on passe un moment ensemble. Mais bon. C'est raté. »
Gray ouvrit la bouche, la referma. Ses yeux brillaient très fort.
« - Donc… (Il avait la voix la plus hésitante qu'elle ait jamais entendu.) Donc je… Tu voulais vraiment… Passer du temps avec, euh… Avec m… moi ? »
Elle leva les yeux au ciel, ne pouvant se retenir de se moquer un peu.
« - Non, bien sûr, je voulais un rencard avec le lampadaire que tu avais l'air de tant apprécier. Je lui aurais volontiers proposé une promenade, mais il a décliné, et comme tu étais là… »
Il ne rit pas. Il paraissait complètement obnubilé par le visage de Natasha, comme elle l'avait été plus tôt par le sien.
« - Oh, fit-il d'une toute petite voix.
- Tu l'as dit toi-même, j'avais trop bu, poursuivit-elle, épuisée. Je voulais passer un moment avec toi, mais je me suis énervée pour rien à cause de l'alcool, j'ai dit n'importe quoi et j'ai tout fait foirer. Tant pis pour moi. Désolée d'avoir gâché ta soirée. Je vais rentrer, maintenant. »
Il resta encore muet un petit moment. Le voyant prendre à plusieurs reprises une inspiration pour parler, elle fut presque sûre qu'il allait lui demander son numéro, mais au dernier moment, il se contenta de hocher la tête. Elle jugula le sentiment intense de déception qui montait en elle. Ce garçon lui plaisait vraiment beaucoup. Mais après tout, elle l'avait insulté, avait changé d'avis comme une girouette : il n'était guère étonnant qu'il ne veuille plus entendre parler d'elle.
L'envie de pleurer l'assaillit à nouveau, mais elle la refoula. Elle ne voulait pas paraître encore plus ridicule et lui poser la question elle-même. Oui, elle avait tout fichu en l'air, et c'était bien fait pour elle.
« - Je te fais vraiment peur ? »
Elle releva les yeux. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il parle à nouveau. Il avait l'air totalement déconcerté. Quitte à paraître folle, autant en avoir complètement l'air. Natasha acquiesça.
« - Quand tu es en colère, dit-elle, ou simplement quand tu ris… Tu changes de visage. Tu deviens un autre. Tu es… (Elle s'interrompit en plein milieu de ce qui commençait beaucoup trop à ressembler à une déclaration à son goût) Très différent. Ça m'a fait peur de ne pas te comprendre. Et tu es vraiment intimidant, parfois. »
Il se gratta à nouveau l'arrière de la tête, perplexe.
« - Tu es sûre ? Demanda-t-il, franchement incrédule. Ça doit être un jeu de lumières. Je ne pense pas avoir quoi que ce soit d'inquiétant. »
Il sourit faiblement.
« - A part pour ma pauvre mère qui garde sans cesse un œil sur moi, d'ici que je me perde ou que je me fasse manger. »
Puis, après une nouvelle inspiration, comme s'il cherchait à se donner du courage, il se rapprocha. Natasha tressaillit lorsque sa main rencontra la sienne. Gray lui déplia très doucement les doigts, et lui mit dans la main la poignée du parapluie. Il lui tint le poignet deux ou trois secondes de plus que nécessaire, puis la lâcha.
Pendant un instant, ils se fixèrent, puis Gray acheva de reculer, la laissant seule, le parapluie à la main. Il lui dédia un sourire qui tremblait un peu trop, comme si lui aussi était au bord des larmes.
« - Rentre bien, dit-il. Et fais attention à toi surtout. Je vais y aller.
- Attend, bafouilla-t-elle. Je… Je ne vais pas te prendre ton parapluie alors que je t'ai insulté comme ça et…
- C'est oublié, la coupa-t-il. Garde-le. J'insiste. Et puis… (Il jeta un œil aux nuages menaçants). Il ne pleut presque plus, et je ne suis pas très loin de chez moi. »
Nouveau sourire tremblant. Il semblait avoir du mal à quitter les lieux, se reculant sans la quitter du regard, et Natasha se raccrocha à cela jusqu'au bout, les deux mains crispées à leur en faire mal sur le parapluie, l'envie de le retenir au bord des lèvres.
Elle ne le rappela pas. Peut-être en fut-il déçu lui-aussi, car un instant avant qu'il ne se retourne et ne se fonde dans le noir, elle aurait juré que son visage se contractait douloureusement.
Elle resta là, comme une idiote, la gorge brûlante, les poumons en feu et sa cheville tordue qui l'élançait.
Elle avait le vague à l'âme. Elle demeura là encore une minute, peut-être avec l'espoir qu'il fasse demi-tour. Puis sa maîtrise d'elle-même reprit le dessus, et la secoua. Allons, elle n'allait pas s'humilier davantage en restant comme ça à l'attendre, tel un chien attaché au bord de l'autoroute. Elle s'était suffisamment mortifiée comme ça. Ce n'était qu'un garçon, elle en trouverait d'autres.
Elle monta donc en clopinant les marches qui menaient à son appartement, le garçon bizarre scotché sur la rétine, et des bribes de la chanson California dreamin' passant en boucle dans sa tête. Seules les quatre premières phrases du refrain lui revenaient, qu'elle fredonna à mi-voix en atteignant son pallier.
« All the leaves are brown and the sky is gray
I've been for a walk on a winter's day
I'd be safe and warm if I was in LA…
California dreamin' on such a winter's day. »
Mais au bout de quelques fois, sa mémoire se bloqua sur la fin de la toute première strophe, et elle murmura en boucle « and the sky is Gray », tout en se demandant si lui, il chantait « Natasha, Natasha » en rentrant chez lui. Elle secoua la tête. Il lui avait dit qu'il n'était pas un connaisseur en musique. Un point de plus éloigné de son univers. Elle soupira, composa le code de la porte, puis poussa le battant.
« All the leaves are brown and the sky is gray
And the sky is gray… »
A cette heure, Mihael était encore assis à la table de la cuisine, et Mail, probablement en train de jouer à la console. Le premier avait endossé son fameux peignoir, une tasse de chocolat chaud à portée de main, et un ordinateur devant lui. L'air détendu pour une fois, il tourna la tête lorsqu'il la vit entrer.
« - Tu es trempée, fit-il pour l'accueillir. Tu ferais bien de te changer au plus vite, ou tu vas attraper froid. C'était bien chez Sophie ? »
Sophie ? Ah, oui. La fille était si éloignée de ses préoccupations qu'elle lui était complètement sortie de la tête. Natasha acquiesça sans parler. Elle aurait pu, d'ordinaire, rétorquer quelque chose sur le fait que Miahel se souciait plus de l'état de ses parquets que de sa fille, et qu'il lui demandait de se sécher pour ne pas tremper la maison, mais ce soir, elle n'avait plus envie de se disputer.
Mihael remarqua immédiatement son manque de répartie cinglante, car il se leva pour la voir alors qu'elle jetait sans gêne ses affaires dans la machine à laver.
« All the leaves are brown and the sky is gray
And the sky is gray… »
« - Ça ne va pas ? Tu as les yeux rouges. Et tu n'as pas l'air bien. Tu as été malade ? Natasha ? »
"And the sky is gray…"
« Ça ne va pas ? Tu veux que je te prête ma veste ? »
Ses yeux la picotèrent, mais elle ne pouvait rien avouer sans se trahir ou fondre en larmes encore une fois. Elle se contenta de dire mollement :
« - C'est rien. J'ai mangé trop de bonbons chez Sophie, ça m'a filé la nausée. Puis on s'est un peu disputées, c'est tout. »
Elle attrapa une sortie de bain bien chaude, et s'enveloppa dedans avec délices. Elle n'avait qu'une envie : aller se coucher. Mais Mihael n'était pas détective pour rien, et n'avait aucune intention de la laisser partir comme ça. Les yeux plissés, il examina sa fille en silence… Et ses yeux scrutateurs s'arrêtèrent sur le parapluie. Natasha fit de son mieux pour ne pas paraître embarrassée ni cacher ledit parapluie et à la place, fredonna de la façon la plus naturelle possible :
« - All the leaves are brown and the sky is gray
I've been for a walk on a winter's day… »
Mihael n'en parut que plus intrigué encore, et la considéra avec les bras croisés, suspicieusement.
« - Tu n'es pas rentrée en bus ? C'est loin pourtant, chez Sophie. »
Elle feignit l'agacement.
« - Si, bien sûr que je suis rentrée en bus, fit-elle du ton hautain que réservent les adolescents à leurs parents incapables de comprendre les subtilités de l'existence. Mais au cas où tu n'aurais pas remarqué, le bus ne s'arrête pas au bas de chez nous. Sophie m'a prêté un parapluie pour ça. »
Ce qui auraient dû être les sourcils de Mihael, et qui avaient été brûlés par l'explosion des années auparavant, se haussèrent comiquement.
« - Et bien entendu, tu as un parapluie mais tu es quand même trempée comme une soupe ? » Demanda-t-il avec une note de sarcasme.
Et flûte. Erreur stratégique. Ce soir, elle était trop bouleversée et épuisée pour élaborer un mensonge qui tienne la route. Et cette fichue chanson qui lui trottait dans la tête.
« And the sky is gray… »
« - A l'allée, je n'avais pas de parapluie, riposta-t-elle.
- Tu es restée cinq heures chez Sophie, tu as bien eu le temps de sécher.
- C'est un interrogatoire ? Cria-t-elle, énervée au possible. Ecoute, lâche-moi un peu, j'ai quatorze ans maintenant, j'en ai marre d'être traitée comme une gamine, j'en ai marre, marre, MARRE ! »
Il parut complètement déstabilisé par son coup d'éclat, et ne chercha pas à la retenir lorsqu'elle fila comme une furie jusqu'à sa chambre. Elle vit à peine la tête rousse de Mail sortir de l'encadrement, demandant ce qu'il se passait elle avait déjà claqué la porte pour s'effondrer sur son lit. Soufflant fort par la bouche, elle attrapa son cahier, et se mit furieusement à aligner les charades.
Mon premier est ce qu'il y a de moins bon et de plus calorique dans la nourriture, mon second est l'avant-dernière lettre de l'alphabet, mon tout est donc un gros idiot qui ne sait pas inviter une fille à sortir et l'avant-dernier des loosers.
(Gras, y : Gray)
Mon premier est le son que font les fauves lorsqu'ils sont en colère, mon second est une exclamation de douleur, mon tout est putain d'effrayant quand on le provoque.
(Grrrr, aïe : Gray)
Mon premier est…
Toc, toc, toc.
Elle aurait dû s'en douter. Mihael n'abandonnait pas. En fait, elle était même étonnée qu'il n'ait pas défoncé la porte pour la disputer. Poussant un lourd soupir, elle clama :
« - Je DORS, je suis CREVEE !
- Pas la peine de hurler, fit tranquillement Mihael en tournant la poignée. Je venais juste te rapporter ça, sinon tu vas l'oublier. Il faudra le rendre à ton amie, c'était gentil de sa part de te le prêter. »
Natasha poussa son cahier. Elle était soupçonneuse. Mihael avait l'air calme, très calme. Trop calme pour une bombe à retardement comme lui, alors que sa fille lui avait claqué la porte au nez. Il avait un drôle de regard, et une drôle de manière de pincer les lèvres, comme s'il avait envie de sourire sans se l'autoriser. Il lui tendit le parapluie, elle le prit sans un mot. Quelques gouttes de pluie virent consteller la moquette. Le père et la fille se dévisagèrent, l'une sur ses gardes, l'autre bizarrement serein, souriant. Finalement, Mihael se pencha et lui embrassa le front, avec une tendresse qui la déstabilisa encore davantage.
« - Tu as l'air gelée, dit-il en la prenant brièvement dans ses bras. Tu veux du chocolat chaud ? Il m'en reste. »
La gorge nouée, elle hocha la tête et s'accrocha aux avants-bras de Mihael, les yeux fermés. Le corps de son père, mince et souple, dégageait toujours une chaleur hallucinante. Comme s'il venait de courir le marathon. Ils restèrent quelques instants l'un contre l'autre, puis il lui caressa la joue et l'aida à se glisser sous la couette. Elle l'entendit sortir et chuchoter quelque chose à Mail, qui gazouilla quelque chose sur « son petit koala des îles à qui il allait immédiatement chercher une bouillotte ». Puis il y eut un des rires de gorge de Mihael, et un bruit doux et humide, un baiser volé.
Le cœur gros, Natasha se renfonça encore davantage sous ses couvertures, avant de se rendre compte qu'elle tenait encore ce fichu parapluie, comme un doudou. Elle voulut le poser par terre, mais quelque chose la retint.
Sur la poignée, il y avait une petite étiquette blanche, à moitié décollée.
Lentement, elle l'approcha de son visage, et ralluma la lumière pour bien voir. Son cœur fit un triple-salto-avant dans sa poitrine un drôle de muscle gymnaste lui-aussi. Et elle eut envie de rire aux éclats.
La mère de Gray, si intrusive, si casse-pied selon Natasha, venait de leur sauver la mise. Comme la plupart de ces mamans excessives et perpétuellement inquiètes, elle avait étiqueté la majorité des affaires de son fils avec son nom complet, et même un numéro où joindre Gray si l'affaire en question était perdue.
L'estomac de Natasha décida de suivre le cœur dans ses acrobaties, lorsqu'elle se rappela l'insistance avec laquelle il avait mis le parapluie dans ses mains, et lui avait demandé de le garder alors qu'elle habitait tout près, et était tellement trempée qu'elle ne risquait plus grand-chose à faire quelques pas supplémentaires. Plein d'incertitude et de manque de confiance en lui, craignant un nouveau revirement de Natasha, il lui avait juste laissé un numéro de la manière la plus discrète qui soit. Pas bête. Même assez subtil, au fond. Peut-être qu'il n'était pas si éloigné d'elle qu'elle avait bien voulu le croire.
Elle s'endormit en se chantant pour la millième fois la même strophe de « California Dreamin' ».
A cet instant précis, dans la pièce d'à côté, Mail grimaçait en écoutant la chanson que Mihael passait sur son ordinateur, la même que sa fille avait fredonné plus tôt. Cette fichue musique était la préférée d'un orphelin de la Wammy's House qu'il aurait préféré oublier. Quoi qu'il prétende, la mémoire de BB ne s'effaçait pas.
Au moment exact où Mail frissonnait et éteignait la fenêtre du lecteur de musique, profitant de ce que Mihael soit monté à l'étage, un téléphone fixe se mit à sonner à quelques rues à peine de la maison de Natasha. Une femme aux longs cheveux noirs ferma la porte de la chambre de son fils, à qui elle était allée souhaiter bonne nuit, et alla décrocher… Pour entendre à l'autre bout la voix familière de Mihael Keehl.
Dans ce même appartement où Mihael appelait la mère de Gray afin de lui annoncer qu'étrangement, le parapluie de son fils se trouvait en possession de Natasha, le jeune homme laissait pour la première fois de sa vie le téléphone allumé pendant la nuit, à portée, sur sa table de chevet.
Juste au cas où.
(Etiquette du parapluie, collé et entouré de petits dessins au feutre, dans le cahier de Natasha)
« Si vous me retrouvez, merci de contacter le :
213 09 06 87 62
Ce parapluie appartient à :
Gray Misora. »
(Trouvé le même soir par Matt sur l'ordinateur de Mihael, imprimé, puis dérobé par Natasha qui n'a pas compris et a décidé de mener sa petite enquête)
Death Note :
How to use it
« Même si la cause de la mort est le suicide ou l'accident, si la mort de la personne désignée peut entraîner celle d'autres personnes, la personne désignée meurt alors d'une crise cardiaque. Cela a pour but d'éviter qu'il y ait une influence sur d'autres vies. »
Mais si la personne désignée est une femme est enceinte, et donc que la vie de l'enfant est liée à la sienne ? Il devient impossible de créer une crise cardiaque sans tuer le bébé.
Donc elle passe entre les mailles du filet.
Bien joué, Naomi.
Notes de l'auteur :
*UCLA, « University of California, Los Angeles », est le campus le plus important de l'université de Californie pour les effectifs, mais un des plus petits par la superficie.
Ce texte était prévu depuis le début, mais étonnamment, il m'a été demandé par plusieurs lecteurs et lectrices de Death File : la rencontre de Gray et Natasha dans le cadre de The Storm, qui est très différent de celui de DF, comme vous le voyez.
C'est fou de voir à quel point les personnages peuvent vous prendre le contrôle du texte. J'avais prévu une dizaine de pages, on termine avec presque trente.
J'en profite pour dire un ou deux mots à l'adresse des lecteurs de DF.
Premier point. Natasha est beaucoup plus « romanesque » et insouciante dans DF, moins acide, moins violente qu'elle ne l'est ici. C'est tout simplement parce qu'elle n'a pas vécu le traumatisme d'avoir perdu ses parents. Tout comme Matt est plus cynique dans DF, Natasha l'est plus dans Storm. Il y a un équilibre. Une partie de notre manière de notre comporter dépend de ce qu'on a vécu. Ainsi, la Natasha de Storm « ne croit pas en l'amour », ça n'est pas tellement le cas de celle de DF, du moins, pas à cette extrémité. Et puis, Sha a rencontré Gray bien plus tôt dans DF, donc elle est plus encline à croire à ces sentiments.
Quand à Gray, eh bien, il est fidèle à lui-même^^. Même si je pense que Naomi lui a révélé la vérité beaucoup, beaucoup plus tôt. Quand il a eu seize ans je crois, encouragée par une lettre de Mello. Il a plus confiance en lui, ça se voit par de tous petits traits ici. C'est en partie parce qu'il en sait plus sur sa propre identité qu'il en est renforcé.
Leur relation est très différente de celle qu'elle est dans DF. Dans DF, ils ont grandi ensemble, leurs liens sont amicaux, et ici… Ici, directement, Natasha est dans un contexte qui favorise le flirt. Elle a cherché de la compagnie toute la soirée. Quant à Gray… Ben, Gray a un peu plus confiance en lui sur ce plan. Et il est plus âgé. Donc ils ont plus de facilité à aller l'un vers l'autre de cette manière-là.
Voilà.
(Devoir de SVT de Natasha)
Sujet : Décrivez les comportements familiaux d'une espèce animale de votre choix.
[…]
3) La puberté.
La peur des deux mâles adultes face à la puberté de la jeune femelle se traduit par différents comportements distinctifs, allant de la nervosité à la panique folle. Face au sang qui s'écoule de manière menstruelle, ils penseront d'abord qu'il s'agit d'une terrible blessure et palperont avec force larmes éplorées le ventre de leur enfant. Puis, pris de terreur, ils appelleront à leur secours deux femelles adultes qui, par leurs gestes apaisants et leurs criaillements (parfois semblables à d'incontrôlables crises de fou-rire), sauront les rassurer.
Cependant, l'arrivée des premières règles n'est rien comparée aux autres comportements de l'adolescence, comme les premières parades nuptiales. L'irruption dans le territoire d'un jeune mâle à la suite de la femelle provoquera des cris d'intimidation et des vols d'objets variés dans le but de le chasser. Par la suite, les deux mâles examineront avec soin le prétendant pour déterminer s'il correspond à leurs critères, et continueront de grogner à chaque fois qu'il s'approche de trop près de leur petite.
[…]
(Le devoir a été récompensé d'un beau 15/20, pour son originalité, son exactitude et son humour.)
(Bulletin de Natasha en 2026, à la toute fin de ses années de collège, après la rencontre avec un certain Gray Misora. Etrangement, ce dernier vint cette année-là aider le professeur de sport pour les cours de gym)
Histoire : 17/20. Excellent travail. Elève attentive, bonne participation. Devrait un peu moins regarder par la fenêtre donnant sur la salle des sports.
Géographie : 15/20. Le nouveau professeur ne comprend pas la fuite du précédent. Elève sérieuse et attentive, même si elle a une tendance marquée à placer Paris sur Le Caire et à rêvasser en contemplant la salle des sports.
Anglais : 18/20. De l'imagination, du vocabulaire, une écriture fluide, excellent trimestre ! Devrait toutefois changer de sujet : tout comparer à M. Misora devient lourd à la longue.
Mathématiques : 11/20. Cas moins désespéré.
Arts Plastiques : 15, 5/20. Considère toujours le cours comme une récréation, mais rend des travaux impeccables. Mention spéciale au tableau « Jeune gymnaste sur barre asymétrique »
Sport : 14/20. Des progrès, surtout en acro-gym. Devrait toutefois éviter de distraire à ce point le nouvel assistant.
SVT : 16/20. Très bon travail, devoirs bien écrits et pertinents.
Chimie : 2/20. ON N'AJOUTE PAS AU HASARD DES PRODUITS TOXIQUES DANS L'EPROUVETTE !
26 juillet 2037 :
(Note de Natasha)
Ça fait très longtemps que je n'ai pas écrit dans ce cahier. Je l'avais oublié en partant en vacances d'été, après avoir fini le collège, et ensuite je n'ai plus pensé à fouiller mes affaires pour remettre la main dessus. Je viens de le retrouver, couvert de poussière, dans mes cartons en plein déballage. Ah, la nostalgie.
(Mail imprimé de Mail à Natasha, datant du même jour)
"De : Mail Jeevas
A : Natasha K-J
Ma puçounette adorée ! (Oui, mon inventivité en matière de surnoms est merveilleuse, je le sais !)
Je suis tout triste de te savoir loin de moa. Même si ce n'est que depuis deux jours, la maison paraît toute vide. Plus de hurlements pour te demander d'aller dîner, plus de batailles avec lancers de casseroles, plus de soirées-pizzas durant lesquelles Mihael proteste mollement que sa ligne va être bousillée. Enfin, comme aurait dit ce cinglé de Beyond, le piaf doit quitter son nid un jour.
Au fait, mon petit oiseau des îles, tu as oublié ton DVD de Harry Potter 3 dans le lecteur du salon. Il faudra que tu passes le chercher.
Comment est ton nouvel appartement ? Question, hum, plutôt bête puisque j'ai passé ma semaine à t'aider à emménager. J'en ai encore le dos cassé, et je râle à outrance pour me faire cajoler par Micha. Malheureusement, mes geignements ne sont que très peu couronnés de succès. Snif snif, je suis un incompris.
Gray ne ronfle pas, ça va ? Il fait bien sa part de corvées ? Il ne met pas de bazar ? Je suis plutôt bien placé pour savoir qu'un garçon est la créature la plus bordélique et malodorante qui existe. J'ai d'ailleurs retrouvé ton vieux devoir de SVT sur « l'espèce animale de votre choix », qui en faisait mention.
Je ne sais pas si tu te souviens de notre arrivée à Los Angeles, tu avais six ans… Il y avait tellement de bazar qu'on ne voyait pas le parquet. Ah. C'était le bon temps. Bref. Fais attention, le bordel, ça se répand plus vite que les céréales derrière un Mel River.
Et je me sens obligé de te dire de la part de Mihael que surtout, si tu veux laisser ce fichu jeune mâle et revenir dans le terrier familial, tu peux toujours.
Tout de suite après, il s'est récrié en disant qu'il était très content d'avoir du calme dans la maison. Ts. Ce faux-jeton. Je l'ai surpris (pour tout t'avouer, j'y étais aussi) dans la penderie où on garde tes vieilles affaires. Il regardait ta robe rose (celle qui nous a coûté les yeux de la tête) à fleurs d'un œil torve. Du coup, comme il était pris en flagrant délit, il n'a rien osé me dire quand il m'a vu pleurnicher sur le cadavre de Lara avec qui on a tant joué, ta poupée Barbie calcinée et une vieille photo de famille.
Tu dois te dire que nous sommes de sacrés vieux croûtons. Désolé. M'enfin, aujourd'hui s'est produite une scène d'anthologie que je ne peux que raconter. Je te joins aussi ladite photo qu'on a retrouvée. Au cas-où.
Je t'embrasse fort.
Ton papa qui t'aime."
Pièce-jointe 1 :
« Prochaine fois »
Ce matin, comme je te l'ai dit, on n'avait pas beaucoup dormi, Micha et moi. Des cernes dignes de ceux de Nathan, et une fâcheuse tendance à regarder ta place vide à la table du petit-déjeuner. Heureusement, Diego était passé pour nous secouer à coups de « bande de limaces apathiques ! », et ça brisait un peu le silence de plomb.
Bref. Mihael avait son joli nez dans le bol de chocolat, l'ordinateur devant lui, et moi je gratouillais ma guitare. C'est sans doute ça qui m'a empêché d'entendre l'horreur en premier lieu. Mais finalement, un drôle de hoquet m'est parvenu aux oreilles, et j'ai relevé la tête, pour voir Micha blême, les yeux exorbités devant l'écran.
Micha : *livide et hébété* Ils n'ont pas fait ça.
Moi : *curieux, je me glisse près de lui* Fait qu…
J'avoue, j'ai explosé de rire. D'après ce que m'a raconté Kimba plus tard, j'ai eu la même réaction que Maya lorsqu'on avait envoyé notre virus. Et justement.
Apparemment, Near et Cie n'ont pas trop apprécié le virus qu'on leur a concocté samedi dernier. Parce que l'écran de Mihael est devenu noir, puis d'abominables petits cœurs roses avec des paillettes se sont mis à luire partout sur le rapport de Roger au sujet des premiers de la Wammy's House. Des cœurs roses avec des paillettes. Traumatisant, et hautement vomitif en soi. Mais c'était pas fini. S'y ajoutent des banderoles qui défilent avec les mots « MIHAEL, TU ES PUERIL ». Et l'ordinateur d'épeler avec la voix nasillarde de notre nain javellisé préféré, et une intense satisfaction : « Pu-é-ril ! »
Mais le pire restait à venir.
Car voilà que la silhouette pixélisée de Kimba s'avance sur l'écran, tout sourire, et qu'elle déclare : « La prochaine fois, c'est moi qui débarque ! »
Et là, elle chante.
Du genre, comme la petite chanson agaçante qu'on s'est amusés tous les deux à créer pour le virus, avec le « on a le contrôle de votre ordinateur. » Là c'était un truc comme : « Mihael est bê-teuuuuh, c'est lui la creveeeee-tteuh ». On reconnaît la patte très subtile de Mel en matière de composition de paroles.
Imagine l'horreur.
Kimberley.
Qui chante.
Sur ces entrefaites, Diego est arrivé, a haussé un sourcil devant un Mello hurlant qui me bourrait de coup parce que je riais, et a lâché :
« - Ah bien, Matt. Les paroles de cette chanson sont déjà plus inventives que ce que tu m'as sorti la dernière fois. Trois « blue, blue, blue » alignés ne font pas un tube, mon vieux ! Il faut te reprendre. »
Puis, en jetant un œil intéressé à l'ordi de Mello, qui je le rappelle était encore ROSE avec des PAILLETTES :
« Ah tiens. J'aime beaucoup ton fond d'écran. »
Je te laisse imaginer le carnage.
Pièce-jointe 2 :
Revanche
Je vais faire court sur celle-là, mais sache que c'était épique.
Bien entendu, pour Mihael, il était impensable de ne pas rétorquer face à pareille attaque. Tu le connais bien. Quand on le provoque, il réplique, et Near réplique à son tour, puis c'est l'escalade. Un vrai concours de puérilité. Bref. Il m'a harcelé pour que je lui concocte un virus encore plus puissant. Entre Diego et lui, c'est tout juste si je ne suis pas surmené. J'ai à peine le temps de me consacrer à Lovely, ma nouvelle console.
Je lui ai donc mitonné un machin qui a mis hors service la totalité des ordinateurs du SPK pendant tout le reste de la journée. Un beau virus, bien résistant, et qui m'a valu la haine redoublée de Gevanni. Le pauvre, en ce moment, il passe son temps à courir dans tous les sens et jure ses grands dieux qu'il va démissionner, et qu'il a hâte que la relève de la Wammy's arrive (je t'ai dit qu'ils étaient deux pour la succession ce coup-ci ? « Luche » et « El », apparemment) pour pouvoir avoir un patron plus responsable.
Je ne lui ai pas dit qu'au vu des rapports de Roger (qu'on a réussi à lire après avoir effacé les cœurs roses, bien que certaines paillettes demeurent), que lesdits successeurs promettent d'être encore pire. Mais nous nous éloignons du sujet.
Mon virus. Devant l'air suspicieux de Mihael, j'ai promis (et en toute modestie, je ne pense pas m'être vanté) que le blocage durerait au moins la semaine, malgré tout ce que Near tenterait comme parade informatique. « A moins qu'il ne parvienne à soudoyer Natasha pour qu'elle règle ça, il n'a aucune chance de trouver ! » Ai-je juré solennellement.
Hem, oui. J'avais raison, après tout. Parades « informatiques. »
Sept heures du soir. Micha prépare un truc à manger, sombrement satisfait, la tablette de chocolat entre les dents comme le mafieux qu'il est. Et la sonnette de l'entrée retentit.
J'ouvre.
Peut-être Mello a-t-il flairé le danger, je ne sais pas. Mais en tous cas il n'a pas eu le temps de me prévenir. Je me suis retrouvé face au visage enjoué de Kimberley.
« Je vous avais prévenus ! » A-t-elle hululé.
Avant que j'ai eu le temps de refermer, le pied de Gevanni, qui affichait un sourire démoniaque à coller froid dans le dos à Kira lui-même (Gevanni, pas son pied) a stoppé la porte. J'ai dégluti : derrière lui, en cercle menaçant, Lidner, Rester et Mel souriaient d'un air sinistre, les bras croisés.
Mello est arrivé en brandissant sa spatule, l'air furibard.
Il n'a eu le temps de rien faire.
Kimberley a… chanté.
L'horreur est indescriptible, je te l'épargnerai donc. J'ai crié grâce au bout d'une minute. J'ai désactivé le virus. Mello est furieux. Il écume de rage à l'idée que Near ait encore gagné. Et cette cacophonie a fait s'évanouir Diego, dont les oreilles sensibles n'ont pu supporter le carnage. Au moins, ça me repousse la deadline, et j'ai encore le temps de composer une chanson un peu plus recherchée.
La morale de l'histoire ?
Kimberley est plus forte d'un de mes bugs informatiques.
Ce qu'ils sont devenus 7 :
De tout ton être
« - Natasha ? »
La jeune femme sursauta, relevant les yeux de son cahier. Elle s'était tellement absorbée dans sa tâche qu'elle en avait oublié le reste. Des fourmillements parcouraient ses jambes. Elle était à genoux sur le sol, penchée sur son lit comme sur une table, ses boucles de cheveux tombant sur les pages. Le tube de glue à la main, elle s'appliquait à lisser le mail imprimé, qu'elle avait collé sur l'avant-dernière page de son cahier. A côté d'elle, retournée sur les draps, la dernière pièce-jointe était encore détachée.
« - Tu pries ? » Murmura Gray, surpris.
Il se tenait dans l'encadrement de la porte, complètement débraillé. Il n'avait enfilé qu'un bas de pyjama, ce qui ma foi n'était pas désagréable, songea-t-elle, amusée, en se rappelant s'être déjà fait à plusieurs reprrises la réflexion, le soir de leur rencontre.
Il sortait de la douche. Ses cheveux sombres et humides, un peu trop longs, lui collaient au visage et voilaient ses yeux. Une frange comme ça, ça n'aurait pas dû être permis, songea Natasha avec amusement. D'ici qu'il ait un accident en voiture. Elle passa sa main dans les épis défiant la loi de la gravité, lorsqu'il s'agenouilla avec elle au pied du lit. Elle lui rendit son sourire.
« - Non, fit-elle en reniflant. Je ne prie pas. Je ne crois pas en Dieu. »
Elle ne savait pas trop pourquoi elle avait dit ça. Peut-être la situation, qui lui rappelait la scène qu'elle avait vécue avec son père des années plus tôt. La ressemblance s'arrêtait là. Il hocha simplement la tête, et resta. Ça n'était pas désagréable, ce silence, même si leur posture était étrange, tous deux à genoux devant le lit, le haut du corps appuyé sur les draps défaits et le matelas, lui les doigts entrelacés, elle les mains croisées sur son cahier. Chacun à moitié vêtu, lui le bas, et elle une chemise trop grande.
Songeuse, Natasha mordit le bouchon de son stylo-plume. Son regard suivait l'échine de Gray, livide sous le soleil matinal, aux muscles noués malgré l'eau chaude et la fatigue. Ils ne s'étaient pas tellement reposés ce matin, cela dit. Elle esquissa un sourire un peu carnassier et lorsqu'il le vit, ses joues virèrent instantanément écarlate.
« - Quoi ? Demanda-t-il, gêné, se trémoussant un peu. J'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?
- Mais non, gloussa-t-elle. Au contraire mon petit Gray, tu as fait absolument tout ce qu'il fallait. »
Elle l'observa avec beaucoup d'intérêt virer à la tomate mure, et rit en s'asseyant à même le sol. Il glissa par terre à son tour, en maugréant.
« - Je ne suis pas petit, râlait-il.
- Oh, rit-elle de plus belle, est-ce que tu fais allusion à ta taille à toi ou bien celle de… »
Contaminé par l'hilarité de Natasha, il étrangla son rire et lui balança un oreiller. Elle rétorqua avec entrain, mais les polochons ayant déjà beaucoup souffert au cours de la nuit, ils ne résistèrent que peu, et déversèrent sur eux une pluie de plumes synthétiques. Devant la mince stupéfaite de Natasha, ce fut au tour de Gray d'être pris de fou-rire. Elle protesta pour la forme, mais sans y mettre trop de colère. Elle se sentait bien, et calla la tête dans le creux de son épaule, blottie contre lui.
Les soubresauts provoqués par le rire finirent par s'espacer, puis s'arrêter totalement. La main de Gray, rugueuse à cause des nombreuses heures de gymnastique, passait doucement sur son genou nu, remontant à la cuisse. Elle tourna la tête pour croiser un regard à la fois timide et espiègle, plus une drôle de lueur un peu animale qu'il n'y avait pas là avant.
« - En voilà un qui n'a pas mis longtemps à se dévergonder, ronronna Natasha.
- J'ai eu un sacré professeur. »
Elle rit, un peu plus doucement, un peu plus tendrement. Et rajusta sa position. Elle le sentit frémir contre son épaule, l'entendit qui avalait sa salive. Satisfaite, elle lui adressa un sourire équivoque.
« - Mais je vois qu'on s'améliore, niveau endurance. »
Ses pommettes se teintèrent de rose, mais Gray releva le nez avec dignité. Natasha se détendit un peu à cette constatation. Gray avait beaucoup de défauts, et de manies agaçantes, mais il était tenace quand il… Aimait quelqu'un. Il avait compris à sa manière que les piques incessantes de Natasha étaient là pour se protéger, et les accueillait de bonne grâce, les saluant de son éternel rougissement. Beaucoup d'autres personnes, même de simples camarades de classe, fuyaient devant cette habitude. Natasha aurait voulu s'arrêter. Elle ne pouvait pas.
Elle préférait prévenir plutôt que guérir une nouvelle plaie, un nouvel abandon.
« - C'est comme la gym, répliqua-t-il. Ça demande juste un peu d'entraînement. »
Et il lui vola un baiser un peu plus langoureux, qui la fit frissonner. Il fut ensuite secoué d'un rire bref, gêné, se grattant l'arrière du crâne. Gray était plus confiant, mais il restait étrangement embarrassé lorsqu'il se laissait aller ainsi. Sans doute avait-il peur du ridicule. Natasha était loin de le trouver ridicule cependant.
« - Partant pour un deuxième round ? Plaisanta-t-elle, un sourcil haussé.
- Oui ! (Il se voûta un peu, craignant d'avoir montré un enthousiasme un peu trop débordant). Par contre, attends juste cinq minutes, je ne suis pas encore… Euh… Opérationnel. » Expliqua-t-il maladroitement.
Elle se rejeta en arrière, la mine faussement outrée, des boucles dans les yeux et les bras croisés sur sa poitrine.
« - Ah je vois ! Mon auguste présence ne te suffit pas !
- Ce n'est pas ça ! S'empressa-t-il de minimiser, visiblement paniqué à l'idée qu'elle le prenne mal. C'est juste que, euh, on vient juste de, euh, finir et euh, avant de recommencer, ben, les garçons ça a besoin de… »
Il se remit à bougonner lorsqu'elle plaqua un oreiller contre son propre visage afin d'étouffer ses gloussements. Elle le piégeait à chaque fois.
« - Rhah c'est malin ! Marmonnait-il. Et eux, dans leur magazine débile, « la vapeur d'eau chaude, ça résout tous les problèmes », qu'ils disent ! Tu parles oui, elle m'a rien fait ce coup-ci, la vapeur d'eau chaude. »
Tous deux finirent à nouveau pris dans un fou-rire monstrueux, à moitié couchés par terre. Gray avait son nez dans ses cheveux et l'enlaçait par la taille. Natasha jouait avec ses boucles éparpillées en auréole sur le parquet. Elle était songeuse.
« - Tu faisais quoi, tout à l'heure, quand je suis entré ? » Demanda Gray au bout d'un moment.
Il jouait avec les boutons de sa chemise, sans doute les invectivant mentalement de le narguer. Elle sourit de plus belle à l'idée.
« - Je regardais dans mes vieux cartons. J'ai retrouvé des tas de choses. Les dossiers du procès d'adoption, et dont Mihael avait fait des copies intégrales, mon vieux cahier que j'ai eu en allant chez eux la première fois… Je voulais le terminer, il ne restait que deux pages. Enfin, juste une, maintenant que j'ai mis les mails de papa. Je veux coller ça, regarde. »
Elle s'assit, repoussant sa tignasse, et attrapa une photo sur le lit, qu'elle lui montra en se rallongeant. Il la leva des deux mains au-dessus d'eux, et eut une expression attendrie.
« - J'avais quatorze ans là-dessus, commenta Natasha, se haussant sur les coudes. C'était juste avant de te rencontrer. Les triplés étaient encore petits. »
Gray fronça légèrement les sourcils, examinant les visages un à un.
« - C'est qui qui fait les cornes à la mère de Mihael ? Commenta-t-il, amusé.
- Ah, c'est l'autre imbécile, là, grogna Natasha.
- Ça veut tout dire, sourit-il. Et la photo, elle est prise par… ?
- Bonne question, répondit-elle plus sérieusement. J'ai un trou de mémoire. »
Elle lui retira délicatement la photo des mains pour la regarder, mais ne parvint pas à se souvenir. Elle était trop occupée par une autre question qui la tracassait, un autre souvenir.
« - Pourquoi tu as cru que je priais ? Demanda-t-elle alors qu'il l'embrassait dans le cou. Je veux dire… Je ne suis pas quelqu'un de religieux. »
Il resta pensif quelques instants avant de répondre.
« - Je ne sais pas. C'est la première pensée qui m'est venue à l'esprit en te voyant.
- Et toi ? Questionna-t-elle en prenant un ton exagérément tragique. En quoi crois-tu, Gray Misora ? »
Il rit doucement de ce timbre d'outre-tombe, mais réfléchit, tournant entre ses doigts une mèche de cheveux châtains.
« - Je ne sais pas, finit-il par répondre. Les dogmes ont tendance à m'énerver. Et j'ai une drôle d'éducation en matière religieuse, avec ma mère qui est japonaise mais qui m'a fait baptiser. En fait, je ne pense pas qu'il y ait quelqu'un au-dessus de nous, qui nous juge, ou qu'on doive prier et vénérer pour recevoir de l'aide. Je ne crois ni au paradis, ni à l'enfer. Ni à Dieu, ni au Diable. Mais je ne crois pas non plus au néant. En tout cas, je ne pense pas qu'on redevienne juste poussière. Je pense qu'on continue. »
C'était nouveau. Pas le point de vue de Mail, ni celui de Mihael. Ni même celui d'Emily ou Kimberley, ou Nathan. Elle trouva rafraîchissant d'avoir à faire encore à une nouvelle possibilité, une autre opinion.
Natasha resta songeuse. A présent, elle jouait avec le collier dont Mihael lui avait fait cadeau. Les perles rouges et vertes s'illuminaient sous la lumière de plus en plus forte, certaines mordillées, d'autres éraflées ou pas parfaitement sphériques. Elle l'avait gardé toute sa vie, du moment où ils avaient emménagé à LA à maintenant. L'avait conservé durant les coups durs, serré dans ses poings pendant les crises et les colères, réchauffé entre ses paumes pendant les nuits d'orage. Sans croire à son symbole, mais sentant au fond d'elle-même que c'était d'importance, que c'était un cadeau inestimable.
« Ceci lui appartient. Nous appartient. »
« T'appartient. »
« - C'est... très précieux. »
Elle contempla la croix de métal, tordue et fondue, avec plus d'incompréhension que jamais. On lui avait dit… Que lui avait-il dit déjà ?
« Tu devineras à quel point quand tu aimeras quelqu'un de tout ton être. »
Elle frissonna. Elle se sentait en colère, soudain, et même avait un peu froid. Une sorte de déception dont elle ne voulait pas imaginer la portée prenait place dans son esprit. Tu as menti papa, avait-elle envie de dire en le serrant dans sa main. Je n'ai pas compris.
Pourtant… Lui.
Elle se tourna vers Gray. Il la regardait en silence, ou plutôt regardait l'ancien chapelet dans ses mains, qui s'étaient jointes comme par instinct tout autour. Il ne faisait pas de commentaire. Un de ses doigts s'approcha finalement, et caressa la peau douce et lisse entre les jointures de Natasha. Elle sentit, comme toujours, son cœur frapper un peu plus fort, un peu plus vivant. Elle avait espéré… Elle avait espéré comprendre, avec lui. Ne sachant plus si elle attendait quelqu'un à aimer pour comprendre les mots mystérieux de son père, ou bien juste quelqu'un tout court.
« - J'ai toujours aimé ce collier. » Dit-il doucement. Tu le portais quand on s'est rencontrés. »
Une part d'elle, affolée par cette sensibilité exacerbée, se défendit par réflexe.
« - Tu te souviens de ça, toi ? »
Il eut l'air un peu peiné de son air moqueur, et prit son menton entre ses doigts, pour que leurs yeux se croisent.
« - Je me souviens, dit-il lentement. Tu saignais aux genoux. Tu étais trempée. Tu avais une jupe, et des santiags, et pas de veste. Je me suis dit « elle doit avoir tellement froid sous la pluie. » Et ton collier dépassait de ton tee-shirt. »
Il paraissait plus sûr de lui, et son teint ne rosit pas. Elle se sentait presque intimidée. D'ordinaire, malgré que ce soit lui le plus âgé des deux, c'était l'inverse.
« - Je te plaisais ? » Demanda-t-elle avec une pointe de défi.
Il sourit. Large. Toutes dents en avant, comme un loup.
« - Oui, beaucoup. »
Sa main glissa sur sa joue, caressa sa tempe, puis vint se poser sur la sienne. Elle ouvrit ses doigts pour qu'il puisse y glisser les siens, et toucher le collier.
« - C'est peut-être pour ça que je t'ai cru en train de prier. Tu ne quittes jamais ton chapelet. Pour manger, pour dormir, pour te laver, aller à l'école, ou dehors… (Il rit) Même avec moi c'est tout juste si tu l'enlèves.
- C'est juste un collier, souffla-t-elle. (Elle resserra sa main sur la sienne, et une branche de chapelet pointa entre leurs doigts). Juste un collier. »
Elle se tut quelques temps, et reprit d'une voix enrouée, quelques mots arrachés à sa peur constante d'abandon.
« - Moi je n'ai pas oublié non plus. Comment c'était ce soir-là. »
Touché, il retint sa respiration, restant immobile. On aurait dit qu'il retenait les mots en même temps que le souffle, et elle se sentit un peu coupable de lui dire si peu souvent qu'il comptait pour elle. Sur une impulsion, elle noua ses bras autour de son l'embrassa, fiévreusement. Le métal entre eux absorbait la chaleur grandissante. Et même s'il ne voulait rien dire pour elle, ce signe… Ce signe, elle le faisait sien. Ce signe, ça n'était pas un dieu, c'était l'héritage de ses parents, c'était un secret dont elle percevait confusément la nature, sans parvenir à mettre exactement le doigt dessus.
« C'est très précieux. »
Elle se détacha de ses lèvres, et nota qu'il haletait légèrement. Souriante, les joues en feu, elle leva le chapelet devant ses yeux aux pupilles agrandies. Elle le fit plusieurs fois aller de droite à gauche, comme un pendule.
« - Tu es jaloux de lui, hein ? Le taquina-t-elle. Avoue.
- Très, gronda-t-il. Surtout quand il nous interrompt. Les vapeurs d'eau chaude ne sont pas si inefficaces que je le pensais. »
Elle éclata de rire. Son geste suivant ne fut pas prémédité le moins du monde. Peut-être même qu'au fond, elle n'avait pas compris. Ou bien son inconscient avait enregistré suffisamment d'indices. Ou bien…
Ou bien elle savait depuis toujours.
Elle souleva ses cheveux, ôta la chaîne, et la passa au cou de Gray. Le jeune homme cilla, surpris, et toucha la croix de fer qui tombait sur sa poitrine.
« - Tiens. » Dit-elle juste.
Elle put voir dans ses yeux troubles que l'émotion remplaçait la surprise. Il la regarda, pinçant les lèvres, et serra fort le chapelet dans sa main.
Il ne demanda pas « Tu es sûre ? »
Il ne dit pas « Je ne peux pas l'accepter. »
Il le laissa là, juste là.
Il le garda. Alors que les perles et la croix s'imprimaient entre leurs corps pressés ensemble. Pendant qu'il mangeait, et se lavait, et durant la visite joyeuse qu'ils firent à Mihael et Mail. Il le garda si longtemps qu'il finit par l'oublier, comme une partie de lui-même. Les joues vaguement rouges devant les regards entendus et surpris des parents de Natasha, mais fier aussi, quelque part. Devinant par instinct à quel point c'était précieux. Arborant avec une fierté mêlée de joie le signe qu'il était celui qu'elle avait choisi.
Elle.
Natasha.
Tu comprendras quand tu aimeras quelqu'un de tout ton être.
Pièce-jointe 3 :
(Froissée, abandonnée sur le lit, puis collée par Gray sur la toute dernière page du cahier de Natasha)
(Photo de famille, visiblement prise par quelqu'un en train de rire aux éclats : l'image est floue)
La photo est prise en extérieur, pendant l'été, dans un jardin luxuriant et très bien entretenu.
Mihael est assis sur une chaise, les avant-bras posés sur les jambes. Il fixe le photographe par en-dessous. Sasha, debout derrière lui, très élégante dans une longue robe de soirée, scrute l'objectif d'un air hautain. Elle tient une cigarette entre l'index et le majeur.
A moitié caché derrière Sasha Wormer, quelqu'un fait des cornes à l'actrice avec ses doigts. On ne peut le distinguer clairement. On ne voit qu'une main mate et zébrée de cicatrices.
A leur droite, Nathan rougit alors qu'Emily l'embrasse sur la joue. Le premier est très bien habillé pour l'occasion, la seconde, en robe légère.
Kimberley râle et tire une manche immaculée pour faire venir Near dans le champ de l'appareil. Accroché au bas de pyjama blanc, un enfant aux cheveux noirs se laisse trainer au sol, ravi. Un petit garçon aux cheveux blond-foncé, l'air placide, est assis aux pieds de Kimberley.
Un peu décalés, pas tout à fait dans le cadre de la photo, une petite fille aux cheveux blancs babille en tressant des fleurs dans les cheveux de Gevanni. Celui-ci boude et supplie Halle du regard. Halle rit tellement fort que Rester doit la soutenir.
Matt est assis au premier plan, à même l'herbe, et rit de bon cœur à une blague que quelqu'un vient de faire. Natasha, assise sur ses genoux, lève les yeux au ciel, mais sans pouvoir cacher son sourire en coin. Elle est toute décoiffée, des fleurs dans les cheveux.
Mais...
Qui l'a prise... Cette photo ?
Du photographe, on ne voit que les doigts qui embuent l'objectif.
(Ici s'achève le cahier de Natasha)
(Dernière) Note de l'auteur :
Il y aura d'autres bonus. Mais pas tout de suite. Pas avant la troisième partie de Death File en tout cas, parce que sinon, il y aurait de gros spoilers.
Pour ceux qui ne lisent pas DF, je voudrais refermer les derniers vides, les dernières interrogations. Mais pour l'instant, je vais vous laisser. J'ai pris beaucoup de plaisir, de rires et de petites larmichettes, au moment de rédiger ces bonus. J'ai mis trois ans, c'est une grosse quantité de texte. J'espère que vous avez aimé les lire.
Soyez sûrs que chacune de vos reviews, chacun de vos messages, a été lu avec beaucoup d'émotion. Cette histoire est de loin celle qui a soulevé le plus d'enthousiasme parmi tous mes textes, et je vous remercie d'avoir fait le voyage avec moi. Cela me touche énormément de voir à quel point The Storm a pris de la place pour certains d'entre vous.
Matt, Mello, Natasha et moi vous saluons, ainsi que ce cher trio d'OC, Near, L, Light, et tous les autres.
Merci infiniment, et à bientôt.
Mauguine.