Douls Jhesus pour votre amour

Renierai tout mon lignage

Soleil violent d'un ciel de printemps métallique. Pas de feuilles encore, les herbes grises, seulement cette dureté dans l'air, la terre semble morte, brulée. Lancelot.

Après tout, je l'ai aimé comme une nonne doit aimer Jésus. Mais il est trop humain pour un amour divin. J'ai aimé parfaitement le parfait en lui. S'il n'eut été humain, je serais sainte. Je dois détacher mon amour du divin de sa personne, car l'amour de lui est péché, puisqu'il me mène au désespoir. Il me fait comprimer sur un seul être l'amour que je dois à toute la Création, oublier Dieu, négliger le bien que je pourrais faire à mes semblables.

J'ai pleuré, le premier soir. Depuis, j'ai les yeux secs, je suis sereine.

Seul l'amour de Jésus saura m'emmener à Dieu ; pour l'amour de Lui, je panserai les plaies de l'humanité.

Douls Jhesus pour votre amour

Renierai tout mon lignage

La mélodie est claire, ouverte, je répète sans cesse cette phrase toute pleine d'un abandon lumineux.

J'irai à l'île d'Iona. Le temps sera clément dans les prochains jours, le voyage sera facile. Mon noviciat sera court, la qualité de mon éducation et ma dévotion parfaite me vaudront sans doute de devenir abbesse avant que l'âge ne m'affaiblisse.

Lancelot.

Je porterai le cilice, qui me rappellera à tout moment la passion du christ, sa perfection qui seule est digne d'adoration.

Lancelot. Mon amour était blasphème, aveuglement. Aimer un homme plus qu'un autre, s'attacher à une chose plus qu'à une autre, c'est se lier, se soumettre à la finitude, à l'absurdité, à l'infinie petitesse de notre condition.

Je meurs au monde. Vivante en Jésus-Christ !

Douls Jhesus pour votre amour

Renierai tout mon lignage

Mon père ne comprendra pas, je ne lui expliquerai rien. Ma mère va pleurer, je la consolerai avec des lettres qui accroitront son chagrin. Je ne les aime pas plus, ni moins que les autres humains. Je renonce, je me détache. Tout le bien qu'ils m'ont fait, comme à mes frères, tout autre, dans des conditions pareilles, l'aurait fait pareillement. Les hommes sont identiques, seules leurs vies peuvent les changer. Je ne suis qu'un humain parmi les autres, mon bonheur, mon plaisir ne sont rien. Dieu m'a conduite sur un chemin qui m'a menée à la lucidité, je lui en serai reconnaissante.

Lancelot. Réussirai-je à l'oublier ? Peu importe, je dois tout tenter.

J'arrête de chanter, mais je continue à jouer sur ma harpe les quelques notes qui accompagnent la mélodie. J'y reconnais l'ombre d'une chanson de mon enfance.

Depuis que Seigneur Geraint

M'a souri d'un air câlin

Mon cœur dit à chaque instant

Peut-on vivre sans amant ?

J'étais pieds nus, couronnée de fleurs, j'avais un gros poney noir, je cueillais des groseilles.

Que pensera-t-il quand il apprendra mon départ ? Cette question m'est inutile et dangereuse. J'espère partir sans le revoir, sans entendre ses pas devant ma porte, ni sa voix dans l'escalier, ne pas voir son cheval dans la cour. Je ne lui en veux pas. Il ne m'a rien fait, il a été humain, par la noblesse de son âme il se rendit digne du respect de tous et de l'amour des dames, mais pas de l'adoration que je lui ai portée.

Lancelot.

Oublier son nom.