CHAPITRE 1


La meilleure façon de m'attirer votre sympathie aurait sans doute été de commencer cette histoire par la célèbre formule « il était une fois ». Les histoires de princesse, ça fait vendre. Rajoutez-y quatre crétins adulés de tous, et voilà qu'elles se hissent au rang de best-seller. Oui, sans doute. Mais les romans dégoulinant de mièvrerie ne sont pas mon truc. De plus, a-t-on jamais vu conteur retracer la vie de la méchante sorcière ?

- Tu es horriblement séduisante ce matin, le sais-tu?

Dans mon dos, cette voix si familière résonnait à mes oreilles, sans doute adressée à quelque blonde écervelée s'étant imposée sur le canapé voisin du sien, accompagnée de ses gloussements et, dans quelques rares cas, de ses amies. J'entends déjà vos cris de protestations, du genre « Mais voyons, peut être s'adressait-il à toi ! », auxquels je ne saurais répondre que ceci :

Ha. Ha.

Soyons honnêtes et réalistes, je n'ai rien d'une fille, du moins physiquement parlant. A la rigueur, s'il avait dit « Tu es horriblement horrible ce matin », j'aurais sans hésité pris cela pour moi.

Sur le plan de la génétique, Dieu merci, je pense encore être porteuse du Chromosome X, mais c'est bien là la seule chose permettant de ne pas me jeter du haut d'un pont en maudissant Merlin de ne m'avoir donné aucune identité sexuelle. Mes cheveux n'ont pas la lisse fluidité de toutes ces filles posant sur les magazines feuilletés par mes camarades, ni à la rigueur l'ondulation parfaite admise lorsque le sort de lissage de cheveux est la victime d'un trou de mémoire. Ni roux, ni noirs, ni même du blond brillant des filles de sixième année, tellement lumineux que j'ai souvent pensé à mettre mes lunettes de soleil sur mon nez avant de les regarder, mes cheveux sont d'une couleur indéfinissable, mélange de châtain et de blond délavé.

Mes yeux, loin d'avoir la forme et le contour de celui d'un chat, étaient tout ce qu'il y a de plus normaux, ni trop grands pour paraître constamment étonnés, ni trop petits pour ne pas à ressembler à un hibou mal réveillé. Voilà bien la seule chose équilibrée de ma personne, des yeux tout ce qu'il y a de plus banals. Ils n'étaient pas d'un vert étincelant, ni d'un bleu à vous donner de vous noyer dedans comme ma voisine de table Miranda, ni même d'un subtil mélange entre la douceur d'une noisette et le liquide profond du chocolat. Ils étaient gris, bêtement gris. Et encore, pas du gris chaud et merveilleusement fondant de la personne assise là, quelque part derrière moi, tout simplement du gris dont on peint les murs des salles de retenues ou les cadres des miroirs pour qu'ils aillent avec tout. Un gris banal. Ma peau n'a pas l'apparence de celle d'un bébé a peine sortie du lavage, elle est saine, sans bouton, mais n'a pas ce petit plus qui fait de vous un être merveilleusement beau et intelligent car, comme tout le monde le sait, le physique entre en première ligne dès que l'on veut juger les capacités mentales d'un individu. Une peau banale.

En soi, ma personne en elle-même était banale, mais j'ai eu le mérite de m'en rendre compte dès mon plus jeune âge. D'autres avant moi se sont crues belles et désirées, sans prendre réellement conscience que, malgré un charmant visage et un corps tout ce qu'il y a de normal tant en minceur qu'en taille, elles n'avaient aucune chance de faire partie des princesses de Poudlard. Il aurait fallu pour cela qu'elles renoncent à toute forme de dignité.

Serpentard. Beaucoup penseraient que je dois d'y être grâce à telles ou telles capacités reconnues pour en êtres symboles, mais non. Je ne suis ni rusée ni même ambitieuse, je veux simplement qu'on me laisse tranquille et cela peut importe la maison. Mais si je n'y étais pas allée, mes parents m'auraient tuée. Et puis, de toute façon, je n'ai ni la hardiesse des Gryffondor, ni l'intelligence des Serdaigle, et je n'ai même pas les moyens d'atteindre une maison telle que Poufsouffle. Si je n'avais pas supplié le Choipeau d'entrer chez les vert et argent, je me serais retrouvée où ? Dans la cuisine ?

Cela dit, relativisons, il y a toujours une solution : je pourrais mettre fin à ça tout de suite, sans même réfléchir. Comme ça, rien qu'en sautant de la Tour d'Astronomie, comme l'ont fait, le font et le feraient des dizaines d'élèves désireux, comme moi, d'en finir avec leur vie merdique et d'aller tenter de trouver un endroit où les gros, les binoclards et les intellos seraient respectés. Un rêve bien utopique, si vous voulez mon avis. Oui, se jeter du haut d'une immense tour. Une fin banale pour une fille banale. En somme, la mort parfaite.

Mais, après coup, en y réfléchissant tranquillement dans ma chambre elle aussi banale, je me suis demandé ce que ca changerait à ma vie. La seule fois ou j'ai tenté d'en parler avec ma petite sœur, voilà ce qu'elle ma répondu: « Tu disais ? Ce n'est pas que je me fous complètement de tes problèmes, mais il se trouve que je sors avec des amies, ce soir. Tu permets que j'aille me changer ? » Ma sœur avait un an de moins que moi, la beauté que je n'avais pas mais avait en revanche un foutu caractère qu'heureusement, je n'avais pas non plus. Enfin, je ne crois pas. Disons que même si j'avais été un dictateur dans une autre vie, j'aurais été plus inoffensive qu'elle.

Mais revenons-en à moi, voulez vous. Ne me gâchez pas l'immense bonheur de savoir qu'il y a ici une personne, voire même plusieurs, prenant la peine de se renseigner du peu d'intérêt que peut procurer ma maigre expérience de la vie. J'étais à demi couchée sur une pile épaisse de parchemin, depuis tellement longtemps que je me demandais si les mots écrits à l'encre n'allaient pas traverser le papier et venir s'installer sur la peau de ma joue. Mais, fort heureusement pour moi et ma peau, cela ne se fit pas, car entendre cette voix si près de moi m'a fait sursauter si fort que j'en ai détaché mon visage de mon oreiller moelleux. Mais personne n'a semblé le remarquer. Je relevais donc le nez, regardant discrètement derrière moi afin de distinguer la « conquête du jour » de Sirius Black. Certains restaurants servaient des plats du jour, lui c'étaient les filles, chacun son truc. Je faillis vomir en voyant la fille se coller à lui de plus en plus. Je pensai aussitôt à une moule s'accrochant désespérément à son rocher afin de ne pas être emportée par la marée. Pitoyable non, lorsqu'on savait qu'elle ne serait qu'un souvenir dans quelques jours ? Mais la joie et l'euphorie l'empêchait de s'en rendre compte, et ce serait alors trop tard. Bah, à part quelques rires de la part des groupies qui n'étaient pas « passées à la casserole », je voyais mal une personne avoir pitié d'elle, ce qui résout le problème.

Voilà peut-être la seconde raison pour laquelle cette phrase n'aurait pas pu s'adresser à moi. Je suppose que vous avez déjà tous deviné, et je vous en félicite du fond du coeur. Sirius Black est en effet un Gryffondor, et suite à mes supplications très poussées, j'étais une Serpentard. Avez-vous déjà vu un rouge et or adresser la parole à un membre de la maison ennemie ? Surtout si cet élève s'appelait Sirius Black. Aussi étais-je assise à ma table, dans la bibliothèque si silencieuse que j'en entendais même le bruit des baisers qu'échangeaient sûrement cette fille et lui.

Au bout de quelques minutes, et comme le bruit ne s'arrêtait pas, je me levai sans bruit et me dirigeai vers le couple qui, comme je l'avais prédit, était caché dans un angle de la salle, au rayon Charmes et Maléfices. Et puis quoi encore ? Mon humeur n'était déjà pas forcément au beau fixe avant cela, mais elle avait atteint son maximum en un temps record. Cependant, par égards envers la bibliothécaire qui détestait qu'on élève la voix dans ce lieu saint, je murmurai :

- Vous avez besoin d'aide ou vous voulez que je vous enlève des points tout de suite ?

Oui, j'avais oublié de le préciser. Malgré mon évident manque de popularité et mon physique loin d'être parfait selon les dires des autres filles, j'avais été promue préfète de Serpentard. Un poste qui ne m'avait pas été envié, étant donné qu'il fallait souvent faire des heures supplémentaires, et que cela aurait laissé moins de temps à une fille pour se maquiller et à un joueur de Quidditch pour s'entraîner.

Même pour cela, je n'avais pas réussi à déclencher une vague de jalousie.

Ils ne faisaient même pas attention à moi, continuant de se bécoter comme si un trésor avait été caché au fond des amygdales de l'un et l'autre. La carte était-elle offerte en kit ? Je toussai très fort, mais rien n'y faisait. Finalement, je me suis dit « Au diable la bibliothécaire, au diable les livres, au diable le règlement », et j'ai élevé la voix.

- Oh, je vous parle.

En voyant Black lever vers moi un regard étonné, comme s'il venait de se rendre compte que j'existais, j'ajoutai mentalement une chose à ma petite litanie. Au diable la bibliothécaire, les livres, le règlement, mais également Sirius Black. Surtout Sirius Black, à bien y réfléchir.

- Tu disais quelque chose?

- En effet Black, je te disais de t'en aller vite avant que je n'appelle la bibliothécaire.

Moi qui pensais avoir utilisé un ton étonnamment agressif, il ne fit qu'en rire, le bougre. Etait-ce parce qu'il était beaucoup plus grand que moi, ou parce que tout simplement je ne faisais pas figure de menace avec mon petit mètre cinquante-sept? Je pouvais comprendre qu'avec mon visage qui, malgré tous mes effort, ressemblait à celui des poupées en porcelaine de ma tante Christine, ma petite taille et mon poids plume qui était bien la seule que l'on m'enviait un tant soit peu chez les autres filles de Serpentard, je ne pouvais décemment pas être prise au sérieux s'il m'arrivait, comme maintenant, de m'énerver. Mais était-ce une raison de se moquer de moi, nom d'un hibou péteux? Abandonnant l'idée de tenter de m'imposer, je croisai les bras sur ma poitrine et je réfléchis. Oui, mon cerveau bouillonnait. En cet instant, je me demandais si, après avoir assassiné Sirius Black et sa copine à coup de livres traitant des blessures pouvant être soignées grâce à des sortilèges de guérison, j'aurais le temps de sortir rapidement de la bibliothèque sans me faire repérer, et regagner la salle commune afin d'être lavée de tout soupçon. Malheureusement, mes calculs se révélèrent négatifs, je ne serais jamais assez rapide. Et merde.

- Voyons Tomson, on ne t'as jamais dit de ne jamais parler à des inconnus?

Voix suave et doucereuse. J'aurais reconnu cette intonation à des kilomètres et parmi une dizaine de filles différentes. Angélina McGrégor, Serdaigle de sixième année, et faisant partie de la congrégation des garces de Poudlard. Bien qu'il n'y ait pas de groupe des garces à proprement parler, on pouvait tout de suite savoir si un élève s'entendait bien avec tel ou tel autre, et ainsi définir son inclinaison. Pour ma sœur, je l'ai définie dès que j'ai été en âge de comprendre qu'elle ne mordait pas mon doigt parce qu'elle éprouvait de forts sentiments pour moi. Pour Angélina, cela avait dû être pareil, à peu de choses près.

Curieux d'ailleurs que ce soit moi et non Angélina qui aborde en ce moment l'insigne des Serpentard, alors qu'elle l'aurait beaucoup plus mérité que moi. Elle était le genre de fille que vous avez envie d'étrangler à chaque fois que vous la voyez, non seulement pour sa méchanceté mais également pour sa beauté. Car on ne pouvait décemment pas dire le contraire, même en lui souhaitant d'être bouffée par un hippogriffe, ce serait faire preuve de mauvaise foi. Vraie blonde, j'entends par cela d'une couleur qui ne mélange pas plusieurs tons de jaune, des yeux noisette à vous donner envie de les arracher à la petite cuillère, des lèvres pulpeuses et un corps à damner un saint. Non, en voyant Angélina McGrégor, on ne peut pas lui vouloir autre chose que la mort dans d'atroces souffrances, c'est impossible. Mais je ne me laissai pas ébranler par cette attaque voilée.

- Etant donné que je connais vos noms à tous les deux, et que même si je ne les connaissais pas, les accumulations de conquêtes de Black et tes coups de vache m'auraient suffit pour que vous ne soyez pas des inconnus, je me permets de te dire que ce que tu dis est inexact. De parfaits abrutis, peut être, mais pas des inconnus.

Peut-être était-ce pour cela que j'avais finalement été acceptée à Serpentard, finalement. Je crus que la situation allait s'arrêter là, étant donné que j'avais réussi à clouer le bec de cette petite peste. Oui, mais non. C'est là que j'ai eut un choc, chers lecteurs. Je m'attendais à tout, absolument à tout, vraiment. Mais pas à ça. Sirius Black éclata de rire. Non pas contre moi, mais bel et bien pour ce que j'avais dit. Je pris un regard blasé. Les crétins, ça me connaissais, après tout : j'en côtoyais tous les jours dans ma salle commune.

- C'est la blague que Potter t'as racontée la semaine passée qui te fais rire, Black ?

Et je tournai le dos afin de partir, avant de revenir sur mes pas. Dans une parfaite imitation du ton suave d'Angélina, j'ajoutai :

- Et ce sera vingt points en moins pour chacun de vous, pour actions louches dans un lieu public.

Affichant un mince sourire, je me retournai et allai chercher mes affaires afin de quitter la bibliothèque. J'avais à peine mis mon sac sur mon dos que je sentis des mains se poser sur mes épaules et me retourner en un tour de main. Comme je le disais, avoir la corpulence d'une feuille de papier n'est pas vraiment un avantage. C'est fou, n'est ce pas, de savoir que la nature, peu satisfaite des défauts qu'elle m'avait déjà accordé, ait eu l'idée géniale de rajouter « plate comme une planche à pain ». En plus d'être moche, aigrie et sans personnalité, il fallait que je fasse du bonnet A. Oui, car je reste persuadée qu'une fille moche, aigrie, sans personnalité mais au bonnet C aurait plus de chance de se faire remarquer que moi, c'était évident.

Je me retournai donc, bon gré mal gré, levant les yeux vers la personne en face de moi. Une grimace vint se placer sur mon visage. Et merde. Que me voulait-il, celui-là?

- Qu'est ce que tu me veux Black ? Que je t'enlève encore des points ?

J'avoue que cela se révélait assez amusant de savoir qu'il y avait un domaine sur lequel j'avais irrémédiablement la victoire, quoi qu'il puisse tenter. Ah, jubilation intense, il aura fallu que je vive seize ans avant de connaître une telle explosion de bonheur. Mais il ne me laissa pas le temps de m'appesantir sur cette pensée.

- Pourquoi nous as-tu enlevé des points?

- Tu me demande ça à moi, alors que tu explorais la gorge de cette fille au milieu de livres ayant été écrits bien avant ta naissance et par des gens plus intelligent que ta foutue personne ? Est-ce que tu te rends compte de la stupidité des paroles que tu profères, Black, ou as-tu besoin d'aide?

Je me vengeais à la fois de lui, des filles avec qui il sortait, et... de lui, pour être aussi beau alors qu'il n'est rien d'autre qu'un crétin fini. Comment pouvait-on à la fois incarner la perfection masculine et le summum de la connerie?

Loin de se vexer, ce qui était tout de même le but escompté de ma réplique, il eut un léger rire. Ses mains qui tenaient toujours mes épaules bougèrent et je ressentis des frissons me parcourir. Brusquement, je me dégageai de cette emprise et remis mon sac sur mes épaules, lui envoyant un coup dans le torse au de moi l'idée d'avoir fait exprès de me positionner de cette façon, évidemment, mais le hasard fait bien les choses. Peut-être après tout que cette putain de fée qui m'a dotée de tant de qualités à ma naissance avait ressenti une brusque bouffée de remord et de culpabilité, m'envoyant alors une aide précieuse afin de me libérer de ce fléau.

Sans même me retourner, je courus de toute la force de mes jambes et je réussis même à rattraper l'escargot ailé qui se déplaçait tranquillement de tableau en tableau dans le couloir menant aux dortoirs des Serpentard. Quelle performance : dépasser un animal dont la capacité motrice équivalait à celui d'une pâte à la crème, c'est tout bonnement merveilleux.

J'entrai dans la salle commune après avoir donné le mot de passe, pour tomber sur une grande conversation entre les filles de mon année. Lindsay, Mélanie et Charlotte, toutes trois aussi belles que de parfaites petites pestes. Enfin, petites... Du haut de leur mètre soixante-quinze et des poussières, disons.

- Zack n'est vraiment pas mon style, commença Lindsay.

- Qu'est ce que tu veux dire? demanda Charlotte en se remettant une couche de vernis à ongles.

- Eh bien, le problème avec les mecs canons, c'est qu'ils sont incapables d'apprécier la beauté cachée qui se trouve en chacune de nous. Tu ne trouves pas ça dingue?

- Autrement dit, tu l'as dragué et il t'a jeté, continua Charlotte, imperturbable.

- Pas du tout !

Je ne savais pas s'il fallait que j'éclate de rire ou que je pleure, vraiment. Je les regardai d'un œil tout aussi blasé que lorsque j'avais fait face à Black, les mains dans les poches. Voilà donc les sujets de conversations de jeunes filles de seize ans, se vantant d'avoir le sang pur et d'être à Serpentard. Critiquer les Sang Impurs ne me posait aucun problème, personnellement, mais il a été prouvé qu'eux, au moins, avaient des sujets de conversations plus intéressants.

- Il n'en vaut pas la peine, Lindsay, tu devrais te trouver un autre cavalier pour le bal de la Saint Valentin, autrement tu va complètement briser ta réputation, tenta Mélanie.

- Que veut-elle dire par là? demanda Lindsay en plissant le nez.

- Je ne sais pas, elle dit souvent des choses incompréhensibles, tu ne trouve pas? dit précipitamment Charlotte, qui voulait manifestement se faire bien voir de cette grande perche.

Je me dirigeai alors vers les escaliers, persuadée que jamais pire spectacle ne se déroulerait devant moi, et trouvant par ailleurs que le sujet de conversation devenait de plus en plus futile. J'avais autre chose à faire dans la vie, comme... trier mes chaussettes, par exemple.

Arrivée dans le dortoir, je m'étalai sur mon lit, les bras en croix. Le bal de la Saint Valentin. Je l'avais complètement oublié, celui-là. Avec la chance que j'avais, la présence des élèves était obligatoire et je devrai y aller seule, sans cavalier à mon bras. Misérable, laide et seule. Oui, vraiment poignant et réaliste. Les yeux fermés, je réfléchissais à tout ça depuis quelques minutes, lorsque le sommeil me gagna. Alors, doucement, je rentrai dans les profondeurs de ma couette et fermai les rideaux. Avec un peu de chance, je me réveillerai demain plus grande de dix centimètres, d'une taille de bonnet supplémentaire et trouverai au pied de mon lit un petit ami fou amoureux de moi et si beau que toutes en auraient le souffle coupé. Je laissai échapper une exclamation de mépris pour moi-même : nous n'étions pas dans un conte de fée.

oOoOo

- Et n'oubliez pas de verser votre potion dans la fiole qui se trouve sur votre bureau. Vous pouvez commencer.

- Heu... Tomson ?

A côté de moi, ma voisine Miranda tentait de me faire sortir de mes pensées, sans succès. Elle finit par abandonner, allant chercher sans plus de cérémonie les divers ingrédients essentiels pour la fabrication de la potion d'aujourd'hui. Moi, je fixai le mur d'en face, la main supportant le poids de ma tête par l'intermédiaire de ma joue. J'entendais derrière moi le chuchotis des filles de mon année qui s'échangeaient les meilleures adresses, selon elles, pour se procurer la tenue parfaite pour la Saint-Valentin. Je soupirai.

Un bal. Pour la Saint Valentin. Car, comme tout le monde le sait, ce n'est pas tout au long d'une relation que l'on prouve à quelqu'un qu'on l'aime. Non, ce serait bien trop facile, ou du moins inenvisageable pour la quasi totalité des personnes de Poudlard. Allons, ne serait-ce pas des plus fatiguant de dire « je t'aime » plus de deux ou trois fois à sa petite amie? Trop de mots, trop de paroles à prononcer, bref, trop d'efforts, n'est ce pas? L'habitude de la gente masculine poudlarienne était bien plus simple : se comporter comme de parfaits sans-coeur tout au long de l'année et risquer, en cette fameuse journée, un découvert sur son compte Gringotts afin d'offrir à sa chère et tendre moitié, si bien sûr elle n'a pas changé en cours de route, un bijou beaucoup plus lourd que le poids de son corps tout entier.

Un bal. Pour la Saint Valentin. Je me répète, et alors? Je suis arrivée à un tel état de choc que je me moque bien de vos avis, et ce n'est d'ailleurs pas comme si je m'en souciais avant. Rappelez-moi pourquoi je l'avais complètement oublié, ce foutu bal? Du rose partout, des angelots voletant dans vos assiettes et renversant vos verres sur vos genoux. Oui, myope. Car comme tout le monde le sait, Cupidon a toujours du avoir un problème de vision : sinon, il aurait pitié des filles grosses, laides ou rejetées, et les feraient sortir avec des canons de beauté.

En résumé, un évènement attendu par quatre-vingt-dix-neuf pour cent des filles du collège, moi étant le un pour cent restant. Et aussi... du rose, de nouveau, à croire que cela est en passe de devenir la couleur nationale. Je hais le rose, je hais la Saint-Valentin, et je me hais de haïr autant de choses que j'aurais dû aimer, faisant tout de même partie de la classe féminine de l'humanité. C'est normal?

J'étouffai un bâillement tout en jetant un œil à ma voisine qui faisait tout le travail. Bah, après tout, c'était une Serdaigle. Elle aurait tout fait pour avoir des bonnes notes, et m'avait dit tout de go dès le premier jour de notre collaboration qu'elle préférait faire le travail tout seule plutôt que de risquer un T. Inutile de vous dire que je l'avais prise au mot. J'avais été éveillée à l'aube, comme chaque matin, par les cris de mes camarades qui se disputaient la salle de bain, et je n'avais vraiment pas la force de faire autre chose que me maintenir dans un état demi-larvaire. Quand on pense qu'elles gaspillent tant de forces dès le matin pour se mettre un mélange d'écailles de poissons et de graisse de bœuf sur le visage, mieux vaut faire comme moi et remettre la tête sous l'oreiller. Moche ? Peut-être. Mais j'avais encore une chance de ne pas être ridée comme un pruneau à vingt ans. Il m'avait suffit d'attendre une dizaine de minutes, et j'avais eu tout le dortoir pour moi. Voilà bien un avantage à considérer la salle de bain comme un lieu pour se laver et non exécuter de mystiques célébrations visant à mettre le maquillage sur le trône de l'univers. D'ailleurs, pour votre information, aucun changement notoire n'a été répertorié à ce jour. Je n'ai ni petit ami parfait à mes pieds, ni dix centimètres de plus, ni même une malheureuse taille de bonnet supplémentaire.

La cloche sonna, m'interrompant dans mes pensées. Miranda Adams avait apporté la fiole de notre potion au professeur qui nous avait complimentées, disant que nous formions une remarquable équipe. Quel naïf. Deux semaines, voilà le temps qu'il me restait avant mon pire cauchemar. Je ramassai mes affaires avant de me diriger vers la Grande Salle. J'ouvris la porte, m'assis et, quelques secondes plus tard, je fus accueillie par un vacarme étourdissant. Du moins pour moi, car j'imagine que pour Eux, rien ne peut exister de plus beau. Des gloussements, des tas de gloussements, tellement que j'ai cru qu'ils allaient nous en servir en plat de la semaine en cuisine. Et tout ca pour quoi? En détournant la tête de mon verre d'eau, je ne vis que quatre parfaits crétins traverser la Grande Salle, un sourire made in colgate sur leurs lèvres. Bon, certes, je me devais d'avouer que les yeux de Lupin brillaient beaucoup plus car il semblait moins fatigué. Potter avait l'air moins débile que d'habitude avec sa tignasse un peu coiffée. Peter N'en parlons même pas, nous dirons qu'il faut de tout pour faire un monde. Et Black... Black était parfait, dans la mesure où j'avais tourné la tête pour ne pas l'apercevoir et qu'il n'entrait donc pas dans mon champ de vision et de critique.

Mais pourquoi portait-on aux nues des abrutis dans leur genre? Pourquoi ne pas vénérer un parfait génie en Potions, un surdoué des sortilèges informulés ou même, en cas de dernière nécessité, un élève ayant obtenu Optimal en Histoire de la Magie? Tout, mais pas eux. Qu'ont-ils fait de si extraordinaire dans leur vie, à part barbouiller les salles de classes de têtes de morts qui chantaient l'hymne de Poudlard à chaque fois que le professeur prenait la parole? Qui chantaient faux, de plus. Mais allons, arrêtons de parler de ça, où je vais vraiment finir par vomir dans ma soupe. Je me levai brusquement, mettant mon sac sur l'épaule. En passant près de la table des Gryffondor, je sentis le regard de Black sur moi, et je faillis me prendre les pieds dans un sac laissé à terre. Mes joues s'enflammèrent un dixième de seconde, jusqu'à ce que je reprenne une attitude impassible, au prix d'un grand effort, je dois l'avouer. Avec toute la dignité dont j'étais encore capable, je me redressai et je sortis de la Grande Salle. Fort heureusement, je n'entendis pas le rire de Black.

Direction, les cours. Oh jubilation, oh joie intense. Après les Potions, voilà que je me dirigeais vers l'Histoire de la Magie. Heureusement pour moi, à défaut de n'avoir reçu ni la beauté ni l'hypocrisie de ma famille, j'ai hérité de l'intelligence, et c'est sans remord que je me permettais un petit somme de temps en temps, lorsque j'estimais vital pour moi de reposer mon esprit afin de ne pas assassiner le pauvre professeur en face de moi. Passible d'un temps indéfini à Azkaban et par la punition de ne plus voir personne (bien que j'avoue que cette possibilité soit séduisante), tuer quelqu'un et être coupée du monde m'empêcherais de continuer à critiquer ceux qui m'entourent. Or, à part critiquer tout et n'importe quoi, pouvez-vous me dire ce que je peux faire? Oui, certes, m'adonner à la pêche, au cerf volant, au vélo. Et pourquoi pas danser en équilibre sur les deux mains, un tutu rose sur la tête et une pastèque accrochée sur les jambes, histoire de faciliter la tâche?

J'étais en pleine réflexion lorsque la sonnerie retentit, me tirant de mes pensées. Décidément, je ne m'arrange pas avec l'âge, et dire que ma pauvre maman avait fondé tant d'espoirs en moi. Laissez-moi rire, tiens. Jaune. Elle n'a d'yeux que pour ma sœur, ce petit scorpion en jupon qui n'a de cesse de me pourrir ma vie, histoire de la rendre encore plus misérable qu'elle ne l'est déjà. Si petite, et déjà si teigneuse. Je crains pour son prochain petit ami, figurez vous. A quoi me fait-elle penser déjà? Ah, voilà. Une mante religieuse. L'intelligence en moins, et la couleur verdâtre aussi, mais mis à part ces détails, Cassandra est une véritable peste. Cela dit, il fallait bien qu'une des deux filles se charge de succéder à la famille, n'est ce pas?

Mais revenons au sujet. La sonnerie, donc. Je sortis rapidement de la salle de classe, respirant avec un bonheur non dissimulé l'air frais qui arrivait du couloir, comparé à la moiteur de la salle exactement semblable à celle présente durant les cours de Potions, à la différence près qu'elle émanait dans le premier cas des élèves et dans l'autre des potions. Certains aiment ça, comme par exemple Severus Rogue. Grand bien lui fasse, je lui en laisse l'exclusivité. De plus, ce n'est sûrement pas ça qui lui a permis de se constituer une vie sociale décente, aussi à quoi bon me bousiller les poumons en faisant semblant d'humer avec délice les relents d'un chaudron vieux d'un demi siècle?

Le couloir était étrangement sombre et silencieux. J'accélérai le pas. Ce n'est pas que je craigne le noir, enfin moins que je ne crains les idées de ma soeur en ce qui concerne ma mort future, mais il n'a pas non plus le don de me rassurer. Au détour du couloir, tandis que je maudissais l'absence de lumière, l'absence de bruit, bref, que je m'adonnais à l'une de mes activités favorites, je heurtai quelque chose de plein fouet. Je me relevai tant bien que mal, frottant mon derrière endolori, avant d'apercevoir un élève de Poufsouffle qui continuait d'avancer droit devant lui, sans même m'aider à ramasser mes affaires tombées à terre. Je hais les Blaireaux. Qui a dit que les élèves de cette maison étaient serviables? Qu'ils étaient loyaux? Ah, non, en fait ils sont loyaux. Mais à eux-mêmes seulement. Cela dit, ce n'est déjà pas mal, ne leur en demandons pas trop.

Maugréant des paroles dont j'épargnerais le sens à de possibles yeux innocents se trouvant en train de lire ces lignes, je remis les feuilles de parchemins dans leur pochette et le sac retrouva sa place sur mon épaule. Bien, en route. Ma prochaine heure était libre, mon professeur de soin aux créatures magiques étant absent. Mordu par un scroutt à pétard, ou je ne sais quelle autre bestiole répugnante dont je n'essaierais même pas de trouver le nom. Plusieurs minutes se passèrent, et je voyais déjà le moment où je poserai mes fesses dans un des gros et moelleux canapés de la salle commune, devant un énorme feu de cheminée. Je tournai à droite après avoir descendu les escaliers, raccourcissant de quelques mètres encore la distance me séparant encore de ma salle commune, lorsque de nouveau un choc me fit vaciller puis tomber a terre. Et là, ce fut le drame.

- J'ai souscris un abonnement aux chutes ou vous le faites tous exprès, nom d'un hibou? hurlai-je d'une voix suraiguë en constatant que le contenu de mon sac était de nouveau étalé sur le sol.

- Je tiens d'ailleurs à préciser que tu n'as pas encore payé la totalité du second mois d'abonnement, me répliqua une voix grave et amusée.

Attendez deux minutes, je reconnaissais cette voix. Venais-je de rêver? Ou Sirius Black venait de me rentrer dedans? Restant à terre, je relevais juste la tête et, à mon grand désespoir, oui, je venais de me heurter à cet asticot décérébré. Pitié, qu'on m'apporte une corde. Un tabouret aussi à bien y réfléchir, car ce n'est pas avec ma corpulence similaire à une tige de roseau que j'arriverais à atteindre ne serait-ce que le nœud de la corde. Avais-je déjà dit que je n'avais pas de chance?

- Quel humour Black, non vraiment. Précise-moi le moment où je dois rire, je crains de ne pas le trouver toute seule.

En le voyant éclater de rire à nouveau, je sus que jamais, jamais, je ne parviendrais à atteindre mon objectif principal, à savoir le vexer. Étais-je si nulle que ca? Ou bien devais-je en conclure qu'il était un extraterrestre non identifié à ce jour?

- Te préciser le moment? Tu ne serais donc bonne qu'à enlever des points? me répliqua-t-il avec un rictus moqueur, faisant sans doute allusion aux 20 points perdus par sa faute à Gryffondor. Je n'ai qu'une chose à dire, bien fait.

Capacité intellectuelle répertoriée en ce jour: quasi nulle. A peine atteignait-elle celle d'une patate bouillie. Non seulement il était à Gryffondor, mais en plus il était mentalement inférieur à ma cousine de deux mois. Merlin, sauvez moi. Ah, non, c'est vrai, Merlin est en grève de mon côté, ce n'est pas la peine d'espérer quoi que ce soit. Bon, tentons quelque chose.

- Black, regarde-moi.

Surpris, il baissa la tête et me regarda. Je me levais avec le peu de grâce qu'il me restait après avoir tâté deux fois de la dureté du sol. Puis je lui pris le menton en faisant tourner son visage de gauche à droite sans aucune once de gêne, je n'étais pas et ne serais jamais une de ses groupies. D'ailleurs, qu'avait-il de si séduisant, à part.. tout? Mais bref, j'ai toujours préféré le mental au physique, moi. Bien que j'avoue que son menton était diablement bien dessiné.

- C'est bien ce que je pensais.

Faussement pensive, je lâchai son menton.

- Et que pensais-tu, si je puis me permettre?

- Tu n'es pas victime d'un sortilège par hasard? demandai-je.

- Je ne crois pas, répondit-il sans comprendre et en doutant sans doute de ma santé mentale.

- Ni d'une maladie incurable? continuai-je.

- Non plus.

- Rien qui puisse justifier que tu sois un abruti alors?

Il me regarda un moment, en silence. L'aurais-je enfin touché? Puis-je crier le « Victoire! » que j'attendais depuis des années? Je me disais aussi, je ne peux pas être totalement nulle, il fallait bien une chose dans laquelle j'ai un minimum de capacité. Puis je vis ses épaules tressaillir, signe d'un rire contenu.

- Tu es préfète, c'est ca?

Sans rire, c'est qu'il est fort. Très fort. Je venais de lui enlever des points, et il me demandait si j'étais préfète. Décidément.

- Je te félicite pour ta perspicacité Black. Non, vraiment, c'est un véritable exploit que tu as réalisé là.

Il eut un sourire amusé et répliqua:

- Je ne sais pas ce que je t'ai fait, mais tu n'as pas l'air de me porter dans ton coeur.

- Ne cherche surtout pas, tu risquerais une surchauffe du cerveau, ce serait mauvais pour toutes ces greluches qui te tournent autour.

Bien que je ne pense pas que ce soit son cerveau qui les intéresse.

Puis, sans autre forme de commentaire, je ramassai mes affaires avec un exécrable sentiment de déjà-vu, et je lui tournai le dos afin de rejoindre le chemin dont il m'avait détourné. Non mais. J'entendis sa voix honnie derrière moi.

- Attends un peu.

- Va crever, Black, et laisse-moi en paix.

Malheureusement, ce n'est pas un géant comme lui qui va obéir à une naine comme moi, et il me rattrapa aisément en quelques enjambées. Foutu physique et foutues grandes jambes.

- Qu'est ce que tu veux? demandai-je d'une voix fatiguée à l'avance.

Il ne répondit pas, se contentant de me fixer.

- J'ai un bouton sur le nez?

Sans en dire plus, je me retournais et le laissais seul, planté comme un crétin qu'il était au milieu du couloir. Je crois que je le déteste. Non, mieux, j'en suis sûre. Je rejoignis ma salle commune, jetai mes affaires sur le lit et décidai de faire une sieste. Mais l'émotion devait m'avoir épuisée plus que je ne le pensais, car je me réveillai le lendemain sans avoir seulement bougé un seul de mes bras. Mais trop dormir est mauvais pour moi, car j'avais en cet instant un mal de tête affreux, et le bruit qui régnait dans les couloirs alors que je cherchais un endroit de suffisamment tranquille pour y mourir en paix n'y aidait pas.

Le bal approchait de plus en plus. Je ne sais pas comment je me suis débrouillée pour ne pas m'exiler du dortoir, en vu de tous les problèmes que ce bal m'apporte. Je ne me suis jamais souciée d'être seule la plupart du temps, du moment que j'étais tranquille. Et le coin le plus tranquille restait la bibliothèque.

Jusqu'à hier.

Maintenant, les tables sont toutes occupées par des filles cherchant la recette des plus fortes potions d'amour, afin d'aller au bal avec l'élu de leur coeur. De l'élu de leur coeur, mais accompagné de son porte feuille. Oui, car sinon ce n'est pas drôle. Un homme beau et intelligent n'est pas parfait s'il n'a pas un compte en banque suffisant. Je dirais même qu'il en est moins beau et moins intelligent. Bien, alors plus de bibliothèque. Le second endroit était le parc, idéal pour la méditation, pour son calme, bref, parfait.

Jusqu'à hier.

Maintenant, le moindre centimètre carré d'herbe est occupé par des couples passant les trois quart de leur temps à s'embrasser. Tout simplement écœurant. Plus de parc non plus. Mais où allais-je pouvoir être tranquille, hein? Mon dortoir me semblait la meilleur solution, jusqu'à ce que je découvre le pire spectacle qui soit, me forçant à m'enfuir avant d'être touchée. C'est sûrement contagieux, il y a trop d'adeptes. La totalité des filles de Serpentard en proie à une fièvre du maquillage intense, combinée avec une fixation sur les tenues contenues dans leurs armoires, avait envahi ce qui était censé être mon havre de paix. Malédiction. Et elles commençaient à se préparer une semaine avant le grand jour. 7 jours. 168 heures. Et je vous épargnerais le nombre de minutes, il faut que j'aille me pendre. Comme s'il fallait autant de temps pour se barbouiller le visage et enfiler un bout de tissu.

C'est en sortant de la Grande Salle que j'ai eu un choc, chers lecteur, un immense choc. Une fille m'attendait, moi. Et pas n'importe laquelle. Ma soeur. Mon dieu, mais où va le monde, je vous le demande? Pour sa défense, elle n'avait nullement l'air ravie de me voir, et regardait de chaque côté afin qu'elle puisse détaler avant qu'on ne la voit en ma compagnie. Cela dit, je ne me suis fait aucune illusion en la voyant.

- Qu'est ce que tu fais là, Cassie ?

Cassie. Quel surnom idiot, vous ne trouvez pas? Je le pense aussi. Seulement, sachant à quel point il insupporte ma soeur, je continue à l'appeler comme ca. Une petite vengeance personnelle, mesquine mais terriblement soulageante, vous n'imaginez pas à quel point. Comme je l'avais prédis, elle plissa le nez à l'entente du nom, mais ne releva pas, ce qui était inhabituel. Il fallait vraiment que ce qu'elle ait à me dire soit important.

- Tu vas au bal de la Saint Valentin la semaine prochaine?

- Bien sûr que non.

Pourquoi est-ce que je tiendrais compagnie à des greluches et des Dom Juan en puissance?

- Evidemment, répliqua-t-elle avec un sourire mauvais.

- Tu y trouves quelque chose à redire, peut-être?

Je commençais déjà à perdre patience, au bout de trois minutes seulement. D'habitude, il m'en faut six.

- J'avais parié avec des amies que ma soeur était trop coincée pour aller à ce genre de fête, et apparemment j'avais raison. Désires-tu un pourcentage des Gallions que je vais empocher ?

Je suis coincée? Moi?

- Je n'ai pas envie d'y aller, c'est tout.

Mon ton sonnait dangereusement calme, trop calme même.

- Mais oui, répliqua-t-elle avec un geste évasif de la main, voulant dire "n'essaye-pas-de-te-justifier-je-sais-très-bien-que-ce-que-je-dis-est-vrai".

Je fulminai sur place. Ma soeur était bien la seule personne capable de me faire sortir de mes gongs, et je ne sais toujours pas pourquoi. Alors comme ça, je suis coincée, moi? Et elle va gagner des Gallions grâce à moi? Elle tournait déjà le dos et partait dans la direction opposée à moi. Je me mordis violemment la lèvre inférieure, réfléchissant à toute vitesse. Puis je mis mes mains en porte-voix autour de ma bouche, et je hurlai dans sa direction:

- Prépare ta monnaie pour payer tes amies, parce que je vais y aller à ce bal, tu m'entends?

Elle ne me répondit pas, se contentant d'éclater d'un rire narquois. C'est ça ma petite, ricane, mais ricanera bien qui ricanera la dernière. Redressant les épaules, un air digne sur le visage, je partis vers mon prochain cours. Je suis géniale. Enfin je crois.

C'est en m'asseyant sur ma chaise que j'ai brusquement pris conscience de la situation. Le bal. Pour la Saint Valentin. Du rose et des angelots. Des gloussements partout. Et Black, Black dans mon champ de vision, inévitablement. Avais-je seulement une robe pour l'occasion, ou devrais-je y aller en jean et basket? Je me pris la tête entre les mains, désespérée. Merlin, dans quoi venais-je de m'engager?