Ceci sera un jour, du moins je l'espère, un recueil de fanfics sur la série Yoko Tsuno, entre amitié plus moins ambiguë et femslash/shôjo ai, sur des personnages et couples divers et variés. Mais toujours des filles :)


Titre : Belle aux flots dormant
Auteur : ylg
Fandom : Yoko Tsuno ; Les Archanges de Vinéa, Les exilés de Kifa
Personnage/Couple : Hégora, Hégora/Yoko
Rating : PG / K+
Disclaimer : Roger Leloup

Thèmes : "pardon" et UST pour 31 jours, « Tu ne perds rien pour attendre » pour Yuri-à-tout-prix

oOo

Attendre, la reine Hégora n'a semble-t-il fait que cela de son existence. Attendre que les enfants qu'on lui a confiés grandissent, attendre de venger la Cité de leurs parents, attendre de pouvoir mener et gagner cette guerre que les Archanges lui refusent.
Son attente est un état permanent. Son corps mécanique est construit pour durer indéfiniment. Quand, par accident, il se brise au-delà de toute réparation possible, elle le remplace entièrement sans se poser de question.
La première fois qu'elle a dû effectuer ce transfert, Tryak l'a tancée, lui rappelant qu'elle n'était pas immortelle et que le nombre de ses réincarnations était limité. Elle a négligemment repoussé ses remontrances ; elle avait encore bien assez de copies de rechanges pour tenir encore des millénaires, et si ça n'était que ça, elle prendrait un peu plus soin de son second corps. Un accident stupide comme celui qu'elle venait de subir ne se reproduirait plus. Intérieurement, elle s'inquiétait tout de même un peu : et si elle disparaissait ?
Craintes erronées, estima la copie neuve en émergeant de son container : l'esprit est identique, la coquille aussi, et surtout, le but reste le même. Rien n'avait changé. Elle n'avait perdu que quelques minutes de mémoire, et pas des plus importantes.

Hégora n'existe que pour accomplir la vengeance de la Cité qui l'a créée, quand bien même ses adversaires de jadis sont déjà tous anéantis. Elle est programmée ainsi : elle n'abandonnera pas ce projet, n'oubliera pas la revanche à prendre. Si elle n'a plus d'ennemi à abattre, plutôt que d'oublier la rancune du passé, elle se trouvera un nouveau but à conquérir.
Il faut juste une armée. Si ces stupides Archanges ne tentaient pas d'entraver ses projets… Enfin, ils peuvent essayer de garder les enfants en léthargie, mais ne pourront jamais les détruire ni revenir en arrière. Ils ne font que retarder l'inévitable, et à force de patience, elle obtiendra d'eux ce qu'elle souhaite, de gré ou de force. Ils ont tout leur temps.

La planète a des millions d'années encore à vivre, et si les Archanges sont immortels et peuvent suspendre la vie de leurs petits protégés, ils ne sont que vingt, sans possibilité de renaître en cas de destruction.
Vingt entités identiques coexistant simultanément ; si l'une venait à disparaître, cela ne changerait apparemment rien à leur groupe, mais de diminution en diminution, il finirait par s'éteindre. Ses incarnations à elle, au contraire, se succèdent dans le temps. Au final, dans le pire des cas, elle leur survivra et sera libre de faire ce qu'elle veut de sa Cité et de son peuple.

Les humains trouveraient peut-être l'idée de ces androïdes dérangeantes. Des entités physiques distinctes partageant le même mode de fonctionnement, les mêmes pensées, jusqu'à une apparence similaire… Hégora, elle, ne se pose pas de question sur leur identité.

Du moins, jusqu'à l'arrivée de la Terrienne. Cela, n'était prévu dans aucun de ses programmes. Et de l'imprévu, cette fille d'un autre monde en a amené beaucoup…

Aucune des incarnations précédentes de la reine Hégora n'a jamais vécu cela : être encore en animation, même suspendue, alors que la suivante prenait vie. Du fond de sa torpeur, elle entendit sa propre voix invectiver Tryak et Yoko… elle comprit qu'elle avait transmis sa propre soif de vengeance à sa copie, et, avec sa force retrouvée, celle-ci s'apprêtait à faire le vide autour d'elle. Cela incluait sa propre carcasse…
C'était complètement illogique à ses yeux, mais elle n'avait plus la capacité de s'en étonner : la Terrienne protégea son corps actuel de ses intentions destructrices, « Hégora II » rabattit de plus belle sa fureur sur elle. Yoko d'abord, elle reviendrait achever le rite de succession ensuite. Pour la première fois de son existence, elle craignit pour sa vie. Attendre de mourir, attendre de renaître, c'était la même chose pour elle.

Était-ce cela que les humains appelaient rêver, savoir qu'une partie de soi agissait seule ailleurs, quand son corps restait immobile et comme endormi, impuissant ?

Sa copie vaincue, elle ne pouvait retrouver ses facultés pour autant. Au lieu de l'aider, au contraire, Tryak la dépouilla de sa connexion mentale à sa cité, les Vinéens lui firent adjoindre un bloc de cristal en guise de mausolée. Pour le souvenir des générations futures. Yoko refusait que l'on détruise son corps, il fallait qu'elle reste un symbole pour sa cité, même morte.
Mais elle n'était pas morte. Juste en état de veille profonde, prisonnière de son propre château de résurrection. Elle n'avait plus de corps neuf où se transférer, son corps actuel abîmé ne se réparerait pas seul, mais ses programmes se reconstruisaient lentement. Peut-être avec une certaine corruption, certains ayant été irrémédiablement endommagés, mais l'essentiel était là.

Elle avait également gagné une certaine notion d'individualité. La copie qui lui avait échappé, pour ce qu'elle en déduisait, avait tenté sans doute de tuer Yoko et avait été finalement détruite, et cela avait mené Tryak à supprimer les autres et retirer à la notion même de « la reine Hégora » sa souveraineté. Cette copie, elle ne la considérait plus comme partie d'elle-même. Elles fonctionnaient selon les mêmes programmes, la nouvelle héritait de la mémoire et ses intentions des incarnations précédentes… mais elle se considérait désormais comme des êtres distincts. Les Archanges qu'elle méprisait tant se définissaient-ils ainsi ? Qu'en savait-elle, et que lui importait à présent…
Car enfin, depuis que Tryak avait offert sa cité à Yoko –en punition envers ce qu'il appelait sa folie des grandeurs ?- guidée par le nouveau lien ainsi créé, la Terrienne était destinée à revenir un jour vers elle.

Hégora a perdu sa cité et ses rêves de gloire, mais il lui reste encore quelque chose à attendre : l'espoir de ce retour. Et elle a toujours l'éternité pour cela devant elle s'il le faut, l'immobilité ne change rien à sa durée de vie. Celle de la Terrienne au contraire, est limitée, mais Hégora fait confiance à cette fille pour décider avant longtemps que le temps presserait et qu'il lui faudrait la revoir.
Cette Yoko lui a déjà tout pardonné. Hégora en a ainsi la certitude : un jour, quelque chose la ramènera à elle. Elle l'attendra. Elle a tout son temps.

Mise en veille, captant une source d'énergie limitée mais juste suffisante, ses programmes tournant au ralenti, Tryak veillant à ce que rien ne lui arrive… le temps ne signifie rien pour elle.
Elle n'a plus rien à perdre, plus rien à gagner non plus, mais elle a l'espoir de retrouvailles. Elle attend de pouvoir entendre la Terrienne lui dire de vive voix qu'elle lui a pardonné. Elle attend de pouvoir en dire autant.

Tu me reviendras, petite Terrienne émotive. J'ai tout mon temps. Toi non. Tu reviendras me voir. Tu chercheras à me revoir. Tu ignores encore tout ce que tu viens de gagner… tu auras besoin de revenir me voir pour le savoir. Un jour… Va, je t'attends.

Il le faudra bien. Personne avant Yoko n'avait osé s'opposer ainsi à Hégora. Avant son arrivée, jamais aucun Archange ne s'était ouvertement rebellé. Jamais Tryak n'aurait pensé à lui désobéir. Et jamais elle n'avait tant désiré châtier et briser quelqu'un se dressant contre elle.
Alors, maintenant que Hégora est enfin vaincue, que leur querelle n'a plus lieu d'être, Yoko ne peut pas disparaître en laissant le travail inachevé. Il reste encore des mots qu'elle doit lui dire. Au sujet de la Cité et de sa transmission… et d'autres.

Le temps ne lui est rien, l'attente la porte. Mais pour la première fois, du fond de son cercueil de cristal, Hégora se prend à trouver le temps long…