La pièce où Bellatrix avait été emmenée était d'un confort tout spartiate : une table, trois chaises, quelques étagères où trônaient de volumineux dossiers et des têtes en bocaux du temps où l'on décapitait encore les prisonniers qui le voulaient. Un feu brûlait dans une cheminée miteuse, et même lui semblait atteint par la morosité qui se dégageait de l'endroit. Bellatrix considéra le décor avec une mine dégoûtée, adressa un salut ironique aux têtes de ses prédécesseurs, puis décida de s'asseoir en attendant le gardien.
Elle l'attendit longtemps. Les minutes passèrent, puis les heures, sans que personne ne vienne s'inquiéter d'elle. C'étaient comme s'ils l'avaient complètement oubliée. Bellatrix eut un moment l'espoir de pouvoir tenter de s'enfuir, mais la porte, fermée magiquement, refusait de s'ouvrir. Elle s'ennuyait profondément.
Le soir tombait lorsque la porte pivota enfin sur ses gonds, laissant le passage au gardien-chef. Celui-ci, effectivement, avait l'air plutôt sombre.
Sans prononcer un seul mot, il s'avança jusqu'à Bellatrix, qui n'avait en rien modifié son attitude décontractée à son arrivée, affalée de manière provocante sur l'une des chaises. Il se plaça juste en face d'elle, à moitié perché sur un coin de la table. « Trop près », pensa Bellatrix, « beaucoup trop près. »
Il l'observa longuement, et la jeune femme fit de son mieux pour ne pas laisser paraître le léger malaise qui l'avait saisie. Il y avait quelque chose de différent, elle le sentait, mais elle ne savait quoi. Enfin il prit la parole :
« Tu sais avec qui j'étais, Lestrange ? »
Il ne l'appelait plus « ma beauté ». C'était déjà un progrès. Bellatrix se contenta de hausser les épaules.
« C'était aujourd'hui le jour de la visite annuelle du ministre de la Magie, figure-toi. J'ai passé la journée avec lui. »
« Fascinant. »
« Ne fais pas ta grande gueule ! Donc je disais que le ministre de la Magie était là. Le seul jour où je peux avoir un contact avec l'un de mes supérieurs. Je comptais demander une augmentation, tu vois. »
Il la fusilla soudain du regard, et Bellatrix se retint à grand peine de hausser une nouvelle fois les épaules. Elle ne comprenait vraiment pas où il voulait en venir. Elle se força à demander :
« Et alors ? »
« Alors j'avais les papiers en main, j'allais les lui présenter, et là…tu piques une nouvelle crise contre Black. On a entendu les cris jusque dans le réfectoire. Cela a indisposé le ministre. Il a cru qu'on torturait nos pensionnaires. »
Bellatrix réprima un sourire. Si au moins elle était parvenue à emmerder le gardien-chef, sa journée n'avait pas été complètement perdue.
« Donc vous n'avez pu obtenir votre augmentation. J'en suis tellement désolée… »
Son ton dégoulinait de sarcasme, mais cela n'affecta pas l'homme devant elle. Soudain il se pencha vers elle, son visage à quelques centimètres à peine du sien, et lui murmura :
« Je vais te poser une question, Lestrange : qu'est-ce que tu pourrais bien faire qui me convainque de ne pas te faire payer pour cette journée ? »
Bellatrix observa avec un mélange d'incrédulité et d'horreur la main du gardien se porter à sa chevelure et prendre entre ses doigts une de ses longues mèches noires. Elle rêvait. Elle devait avoir mal compris. Il ne pouvait pas vouloir dire ce qu'elle croyait. Non, non, non. Mais pour qui se prenait-il ? Est-ce qu'il savait seulement qui elle était ?
Le regard qu'il lui jeta leva néanmoins ses doutes. Il voulait bien dire ce qu'elle croyait. Pendant une infime seconde, le dilemme se posa dans toute sa clarté : la question était de savoir si elle allait écouter son bon sens, ou son envie.
Sur ce point, Bellatrix avait toujours été assez faible. Chez elle, le désir l'emportait généralement sur la raison. Cette fois ne fit pas exception. Bellatrix prit sa décision, en remettant son sort aux mains des divinités. L'occasion de l'humilier était vraiment trop belle.
Elle éclata de rire.
La gifle qui suivit l'envoya à terre. Un goût de sang emplit sa bouche. Un peu sonnée par la violence du coup, elle n'entendit même pas le gardien prononcer le Doloris. Mais elle le sentit. Son corps se tordit sous la soudaine décharge, alors que la sensation bien connue qu'on l'écorchait vive, qu'on lui brisait tous les os s'emparait à nouveau d'elle. Elle ne put retenir son cri. La douleur s'arrêta soudain.
Le gardien se tenait à plusieurs pas d'elle, la baguette à la main, un rictus mauvais sur les lèvres. Bellatrix lui jeta un regard venimeux.
« Me regardes encore comme ça et tu vas le regretter. T'as pas encore compris qui est le maître, ici ? »
Bellatrix continuait de le fixer ; sa haine semblait palpable, comme si elle chargeait l'air d'électricité. Il allait ouvrir la bouche pour la menacer une nouvelle fois.
Ce qui se passa alors, même elle ne l'avait pas prévu.
Il fut soudain projeté avec violence contre le mur par une sorte de vague d'énergie qui émanait d'elle. De la magie instinctive, comme celle que les enfants en font parfois. Ils étaient tous deux aussi surpris l'un que l'autre. C'est alors que le regard de Bellatrix tomba sur la baguette, que le gardien avait lâchée.
Il y eut un moment d'hésitation des deux côtés, puis soudain ils se jetèrent en avant. Bellatrix y était presque. Sa main n'était plus qu'à quelques centimètres de la baguette. Elle allait la saisir…
Mais le gardien surgit tout à coup devant elle. Sa botte entra en contact avec le visage de la jeune femme, et elle entendit distinctement son nez craquer de manière sinistre.
Elle se retrouva une nouvelle fois à terre, le gardien s'acharnant sur elle, lui envoyant des coups de pied dans les côtes alors qu'elle se tordait sur le sol.
Soudain les coups cessèrent, et elle entendit les pas s'éloigner un peu. Elle se força à rouvrir les yeux : le gardien était maintenant près de la cheminée. Elle le vit se baisser, mais ne put identifier l'objet qu'il saisissait qu'une fois qu'il fut relevé. Un tisonnier.
Par Merlin. Elle n'allait jamais y survivre.
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Ce fut la douleur qui réveilla Bellatrix.
Elle ne put retenir un gémissement. Tout son corps était douloureux. Le moindre mouvement lui était une souffrance. Elle prit le parti de rester allongée.
Un simple coup d'œil avait suffi à lui apprendre qu'elle était de retour dans sa cellule. Un autre lui indiqua que Sirius était avachi sur sa couche, la marque d'un profond ennui imprimée sur ses traits, totalement indifférent à son sort.
Il aurait pu tout de même s'inquiéter, pensa Bellatrix. Après tout, elle était sa voisine de chambrée. Sur qui pratiquerait-il ses sorts, si elle n'était plus là ? Mais peut-être ne s'était-il pas rendu compte qu'elle était réveillée…
La jeune femme poussa donc un gémissement. Puis, comme il n'y avait aucune réaction, elle en poussa un second, un peu plus audible. Elle s'agita un peu sur sa couche. Mais rien n'y fit : son cousin ne lui adressa pas même un regard.
Elle se redressa soudain, oublieuse de son corps martyrisé. Il n'allait pas s'en tirer comme cela. Elle lui lança d'un ton acerbe :
« Tu pourrais au moins t'inquiéter de mon état de santé. »
Sirius lui lança un regard qui semblait sincèrement étonné :
« Pourquoi ? Qu'est-ce que ça peut bien me faire ? »
Sa réponse porta un coup à Bellatrix. La haine était un sentiment qu'elle savait gérer. L'indifférence, par contre…elle lui donnait l'impression de ne pas exister, d'être considérée comme une bagatelle sans importance. Elle ne supportait pas l'indifférence.
« Je pensais que tu serais au moins intéressé de savoir si tu allais être débarrassé de moi. Que tu étais impatient de te repaître du spectacle de mon agonie. Ce genre de choses ? »
« Tu confonds, Bella. »
Il poussa un soupir, puis pour la première fois prit la peine de la regarder dans les yeux :
« Que tu sois là ou pas, pour moi, c'est la même chose. »
Bellatrix ne pouvait y croire. Elle insista :
« Tu n'es même pas curieux de savoir ce que le gardien-chef me voulait ? »
Il haussa les épaules :
« Je suppose que ça pourrait faire passer le temps. »
« J'ai plus envie. »
« Tu es complètement infantile aujourd'hui, Bella. J'espère que ce n'est pas du à un dommage irréparable fait à ton cerveau. Tu étais une véritable peste quand tu étais petite. »
Bellatrix eut un sourire amusé :
« Tandis que maintenant, je suis beaucoup plus supportable ? C'est la première fois que tu me fais un compliment, Sirius. Je ne sais pas si mon cœur va tenir le coup. »
Là, normalement, il aurait du lui répondre quelque chose comme : « dans ce cas, je ne vais pas me priver », ou une quelconque autre remarque sarcastique. Mais il ne le fit pas. Bellatrix perdait pied.
« Tu es bizarre, aujourd'hui, Sirius. Je te tends des perches et tu ne les saisis même pas. »
« Je m'ennuie, Bella, c'est tout. Même toi tu m'ennuies à mourir. »
C'était bien la première fois que Bellatrix s'entendait dire qu'elle était ennuyeuse. Cruelle, ignoble, vile, monstrueuse, oui, d'accord. Elle prenait même ces insultes comme des compliments. Quelque part, cela lui fit mal. Cela lui fit d'autant plus mal de se rendre compte que son avis lui importait. Elle s'était habituée à son cousin ; c'était le seul être vivant qu'elle allait voir pour le reste de ses jours. Elle avait besoin de ce contact humain, même avec une personne qu'elle détestait. Il ne pouvait pas lui dénier cela…
Elle exprima sa pensée tout haut :
« Tu sais, moi je t'aurais appelé. Rien que pour pouvoir me repaître de ta souffrance. Ce n'est que de la courtoisie élémentaire, après tout. »
Il lui adressa un sourire entendu :
« Pourquoi est-ce que j'aurais pris cette peine, puisque je savais très bien que tu allais finir par m'appeler ? »
« Qu'est-ce qui te fait dire cela ? »
« Tu finis toujours par m'appeler. Tu as besoin de contact humain. Au fond, tu es une grande sentimentale. »
Bellatrix lui demanda agressivement :
« Et toi tu n'en as pas besoin ? »
Il laissa échapper un rire :
« Il faudrait encore que je te considère comme un être humain. »
« Venant d'un demi cabot, la remarque est assez ironique. »
Ils se turent tous deux. Ils n'avaient plus envie de parler. Bellatrix avait l'étrange sensation d'avoir perdu. De fait, elle avait perdu l'illusion que son cousin ne lui était pas nécessaire. En vérité, elle avait besoin de lui. Ce n'était pas quelque chose qu'elle pouvait facilement admettre.
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C'est la nuit. Mais ici, nuit et jour se confondent. Il n'y a plus que des heures qui passent, interminables. J'entends Bellatrix qui se retourne sur sa couche, en face. Nous ne parvenons même plus à dormir. Même cela nous est enlevé. Cinquante ans à moisir ici, c'est déjà long lorsque l'on dort la moitié du temps. Si l'on reste éveillé…
Peut-être que je devrais adopter la technique de Bella. Me mettre l'un des gardiens à dos. Peut-être qu'un jour, à force de me taper dessus, il finira par me tuer. En tout cas, je suis persuadé que ma chère cousine ne survivra pas très longtemps. Elle ne m'a pas raconté ce qui s'était passé avec le gardien-chef, mais celui-ci a un regard meurtrier à chaque fois qu'il la voit. Il lui a promis qu'elle paierait pour tout. Je ne sais pas ce qu'il voulait dire, Bella n'a rien voulu expliquer, mais vu l'état dans lequel ils l'ont ramenée à sa cellule, je m'étonne qu'elle n'ait pas déjà payé suffisamment pour l'année à venir. Il faut croire que le gardien est un homme rancunier. Pas que cela m'inquiète. Elle peut aller au diable si elle veut.
Soudain, un bruit attire mon attention. Même à l'état humain, mes sens gardent quelque chose de ceux d'un chien. Un bruit de pas. Plusieurs personnes. Elles avancent dans le couloir. Vers nous.
Bellatrix aussi l'a entendu. Nous nous levons tous deux. Dans un bel ensemble, nous nous rapprochons des barreaux pour voir qui s'amène. Dans cette foutue prison, la moindre chose inhabituelle prend l'allure d'évènement. Pitoyable.
Le groupe s'est maintenant suffisamment rapproché pour que l'on distingue une femme d'une cinquantaine d'années, à l'expression dure et résolue. Son visage me dit quelque chose. Je me tourne vers Bellatrix. Elle aussi a les sourcils froncés, comme pour essayer de se souvenir. La deuxième personne, c'est ce bon vieux gardien-chef. La visite doit être pour Bella. Il ne se déplace presque que pour elle seule, désormais. Sa haine tourne à l'obsession.
Je devine Bellatrix se tendre. Elle se prépare à bien l'accueillir. C'est-à-dire qu'elle remet son masque de froideur dédaigneuse en place. Après plusieurs mois à vivre côte à côte, nos moindres réactions, celles que d'habitude on ne remarque pas chez les autres, ne nous sont plus inconnues. Nous sommes comme un livre ouvert l'un pour l'autre.
Effectivement, le gardien-chef prend son trousseau de clef pour ouvrir la grille. Lui et la femme pénètrent dans la cellule. Bellatrix a un air d'ennui inscrit sur son visage. Elle attaque tout de suite. Elle n'a jamais supporté de rester dans l'incertitude. Il lui faut des réponses :
« Que me vaut l'honneur de cette visite ? »
Je devine le sourire du gardien. Ca se présente mal pour elle.
« Cette dame voulait avoir un entretien avec toi. Je n'ai pas cru devoir refuser. »
« Et vous êtes ? »
La voix de la femme est coupante comme un rasoir. Il y a une autre personne qui la hait dans cette pièce, il faut croire. Au moins autant que le gardien-chef.
« Emilie Londubat. Je suppose que mon nom vous dit quelque chose ? »
Bellatrix a un sourire, qui me parait forcé. La pauvre. Elle risque de passer un sale quart d'heure.
« Effectivement. Maintenant que vous me le dites, je ne peux que constater la ressemblance avec votre fils. »
La femme frémit. Bellatrix n'aurait jamais du mentionner Franck. Elle le sait probablement. D'ailleurs, elle continue. Cette fille est vraiment une tordue.
« Puis-je m'enquérir de son état de santé ? Après tout, c'est parce qu'il n'était pas encore mort que j'ai échappé au baiser du Détraqueur. Je me sens une certaine dette envers lui. »
La voix de Mme Londubat, jusque là si froide, tremble maintenant de colère contenue. Mais elle tient à conserver le ton de conversation mondaine que Bella a donné à cet entretien.
« Vous serez donc heureuse de savoir qu'il n'est toujours pas mort, et ce malgré vos efforts. Il est en ce moment à Ste-Mangouste. »
Bella s'étire. Elle en a assez de ce jeu.
« Je suppose que vous êtes là pour le venger ? Pour me faire payer pour toutes les souffrances que j'ai causées ? Et bien sûr, vous n'acceptez pas les excuses… »
« Vous me présenteriez des excuses ? »
« Bien sûr que non. Ma phrase n'avait qu'une valeur rhétorique. »
La femme sort sa baguette. Bella l'aura bien cherché.
« Puis-je vous demander quelque chose ? »
Elle se tourne vers moi, et me regarde droit dans les yeux. Je ne sais pas ce qu'elle va dire, mais je devine que je ne vais pas aimer.
« Mon cher cousin ici présent est un peu sensible à la vue du sang. Vous ne pourriez pas faire en sorte que notre petit règlement de compte reste privé ? »
Je fronce les sourcils. Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? Elle ajoute à mon intention :
« Tu ne croyais tout de même pas que j'allais te laisser profiter du spectacle ? »
La femme hésite, puis hoche la tête. Avant que j'aie pu l'esquiver, je reçois un sort qui me rend complètement aveugle. Le noir total. Mon tibia heurte le coin en fer de ma couchette. Je jure. Ca fait mal. Demain, quand tout cela sera fini, elle va me le payer.
C'est alors que j'entends le premier hurlement. Pas les hurlements que pousse Bellatrix d'habitude lorsqu'elle revient de chez les Détraqueurs. Ceux-là, j'y suis habitué maintenant. Non, ce sont de véritables hurlements de douleur. Mes cheveux se dressent sur ma tête. Je n'ai jamais entendu un cri comme ça. En plus, je suis aveugle. Là, tout de suite, je voudrais voir. Je ne supporte pas de ne pas savoir.
Les hurlements ne cessent pas. Ils sont déchirants. Je n'en peux plus. Je me colle à la grille, et je crie :
« Bella ! »
Plusieurs fois je l'appelle. C'est stupide, j'en suis conscient. Comme si elle allait répondre et me hurler en retour : « Sirius, au secours ! ». Pathétique. Nous ne sommes pas un couple de série B.
Je ne l'appelle jamais d'habitude. Je n'ai pas besoin d'elle.
Elle crie toujours. Je ne le supporte pas.
Je ne devrais pas l'appeler. Je n'ai pas besoin d'elle. Mais je le fais quand même.
Au matin, lorsque je recouvre la vue, la cellule d'en face est vide. Je suis de nouveau seul.
OooO
Avant que vous ne me lynchiez tous de frustration, je tiens à préciser que BELLA N'EST PAS MORTE!
Donc voici la fin de cette belle aventure...J'espère que ça vous aura plu! Merci à tous ceux qui m'ont laissé des reviews, et un grand merci à Philomoon en paticulier! biz à tous