Disclaimer: tout est à Pratchett, et c'est tant mieux! A part le biniou chantant: je crois que c'est une vague réminiscence de l'Eldoradingue de Turk et De Groot.

Avertissement: la fin m'a complètement échappé. En fait, ces histoires d'objets, c'est pas marrant du tout. Une chaise qui saute par la fenêtre, ce n'est pas franchement amusant du point de vue de la chaise. Je me fais donc un post-it pour les suivantes: ne plus jamais prendre le point de vue des objets martyrisés...

Sinon: 24 décembre 2010, joyeeeeeeux z'anniversaaaaaire Leïa!

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Objection n°9

Miracles du Porcher.

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Le facétieux étudiant de l'U.I., suivant la tradition séculaire, sortit le biniou de sous sa robe et le suspendit au réverbère de la ruelle, déjà chargé de mannequins du Porcher. Puis il prit une inspiration pour lancer sa formule: pas celle que les crétins sans originalité utilisaient chaque année depuis plus d'un siècle, non. La sienne, plus puissante, tirerait du biniou un lamento sans précédent.

Quelques étincelles d'octarine plus tard, c'était fait. Bon, il ne fallait pas chercher la précision avec ce genre de sort, il frappait dans un large rayon, mais qui s'en souciait... Et il dégarpit, tandis que la complainte du biniou s'élevait, plus poignante que jamais dans la nuit du Porcher. Dans l'obscurité, Quelque Chose fut pris de pitié.

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« J' vous jure, patron, cette fois c'est pas des craques! J'ai même eu la trouille de ma vie, pire qu'à l'armée quand le sergent était en fait encore vivant! »

Vimaire tâchait, à trois heures du matin, de rester à flot dans le déluge de paroles chicardien.

« Le sergent, caporal?

- Ouais, un troll, patron. L'avait des bottes sympas, et puis un mort qu'est-ce qu'il en aurait fait? Bon l'était pas clamsé, l'a bien fallu que j'y laisse ses grolles, je tenais à mes arpions et mes bijoux d'famille et ma vie et... et nom des dieux patron! C'était pas moi cette nuit, j' vous dis! »

Vimaire se renversa dans son fauteuil. La nuit du Porcher abondait suffisamment en Incidents Divers, allant du cadavre farci aux marrons (1) ou au couteau (2), au biniou perché dans un réverbère lançant une complainte insupportable (3); il n'avait pas besoin en plus d'un Chicard jouant les innocents lutins du Porcher (4). Les plaintes affluaient en nombre, il pourrait difficilement couvrir le caporal cette fois s'il n'en apprenait pas plus. Il tenta de le prendre par les sentiments:

« Ecoutez Cecil... »

Le caporal s'effondra en sanglots (5).

Et merde.

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Côlon et Petitcul étaient venus ramasser une masse chicarde tressautante et dégoulinante, lâchant à intervalles réguliers: pas moi, pas moi, gargl, pas moi, snnnnnurfl, pas moââââââ...

Il relut le rapport de Fred Côlon. On voyait d'étranges choses à Ankh Morpork, mais ceci gagnait le podium sans peine (6).

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Appel au lecteur: un misérable logiciel de traitement de texte ne saurait rendre justice à un authentique (donc pittoresque) rapport de police morporkien. Même les plus soignés finissent par être victimes du passage de la division aéroportée (7), de la poigne du sergent Detritus (8) ou des rhumes du petit dragon que l'agent Visite ne pouvait se résigner à laisser seul chez lui. Parmi les incidents les plus courants, bien sûr. Donc, ô lecteur, figure-toi un dossier ayant eu à subir toutes les contingences morporkiennes (neige, chute dans la boue, pluie de grenouilles, chute sur l'Ankh, rencontre avec une saucisse de Planteur, etc) cumulées à celle du Guet.

C'est bon, tout le monde y est? Euh, non, pas trop quand même: que le rapport reste lisible.

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Ankh Morpork, 10e année du Requain, nuit du Porcher.

Objet: événements étranges (9)

Ce soir-là, je patrouillais avec le caporal Chicque dans le quartier des Petits Dieux. On s'est arrêté un moment au Tambour Rafistolé pour vérifier que l'agitation qui y régnait n'avait rien d'anormal (Vimaire leva les yeux au ciel: pour se faire offrir une portion de dinde et une saucisse du Porcher, tiens). Après on a continué dans la rue rue des Filigranes. On a fait un petit détour par la brasserie de Vrille pour s'assurer qu'il n'y avait aucune bagarre (Vimaire calcula: 5 kilomètres, le petit détour. En même temps, ils servaient une sacrée bière, là-bas). En sortant on a discuté avec le nommé Planteur (oh, oui, Chicard était un des seuls morporkiens à encore oser acheter les sandwiches du vendeur ambulant) qui prétendait avoir vu des choses étranges (pas plus loin que son étal, pour sûr: certains affirmaient que ses saucisses du Porcher se faisaient parfois la malle hors de leur petit pain) mais il est apparu qu'il n'y avait rien d'inhabituel (même pas une fumerolle quand la moutarde dégoulinait sur le pavé? Ou une saucisse faisant de l'oeil au consommateur? Planteur se faisait vieux).

On a continué notre patrouille jusqu'à la rue de la Fosse-aux-catins. Et là, le caporal Chicque a eu un pressentiment. Minuit approchait, plus un bruit, l'obscurité inquiétante nous entourait (par une nuit de pleine lune... Vimaire maudit le jour où Angua avait prêté un mauvais polar à Côlon: depuis, il tentait régulièrement de 'faire du style'). Nous étions seuls, à part les mannequins du Porcher suspendus aux fenêtres, tous estampillés de leur certificat d'arrimage (10). Nous avancions difficilement sur les pavés glissants de verglas (Vimaire aurait plutôt attribué les pertes d'équilibre à la petite bière de chez Vrille). Un bruit inhabituel (à Ankh Morpork? Tout était inhabituel...) plus loin dans la rue m'a incité à partir en éclaireur, tandis que le caporal Chicque sécurisait le périmètre (soit: 'la bière et le sandwich Planteur ne faisaient pas bon ménage et j'allais cuver ça dans un coin; Chicard faisait le guet, des fois qu'un gradé aurait débarqué). Bon, au fond de la rue, il n'y avait rien, mais lorsque je suis revenu, c'était pire que la bataille de Koom. Le caporal Chicque était recouvert de lambeaux rouges et blancs. Et... »

Vimaire reposa le dossier. Il connaissait ce passage presque par coeur, mais avait vraiment du mal à le visualiser.

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Chicard attendait, peinard, que Fred ait vidé les écluses (trop de bière, il lui avait dit pourtant), quand une mélodie insoutenable (même pour un agent aux goûts musicaux hautement discutables comme Chicard) s'éleva. Ah tiens, ils étaient pile dans la rue du biniou. Cette fois, le Guet n'allait pas courir toute la ville à la recherche de l'instrument infernal. Il était accroché au réverbère. Trop haut. Chicard tira son épée, visa, lança: touché! Mais le truc continuait. Il recommença deux ou trois fois, rien à faire. Il chercha autour de lui une arme plus tranchante. (11)

Le bruit sourd d'une masse atterrissant dans la neige se fit alors entendre. Il se retourna: un mannequin du Porcher. Les certificats d'arrimage n'étaient plus ce qu'ils étaient. Il haussa les épaules: pour verbaliser, il fallait sortir un crayon, ôter les gants... trop froid.

* Pof * Quoi, un autre?

* Pof * * Pof * * Pof * * Pof * * Pof * * Pof * * Pof *

Chicard s'adossa au mur. Merde. Il était cerné de mannequins du Porcher barbus et ventrus d'un mère à un mètre cinquante, affalés dans des positions grotesques, le fixant de leurs yeux de verre. C'était quoi encore, cette embrouille?

« Freeeeeeeeeeed! »

La neige assourdissait sa voix. Pour la première fois de sa vie, Chicard brandit son épée d'agent du Guet (qui jusque là n'avait servi qu'à percer des binious et éplucher divers... 'comestibles'). Les mannequins se levèrent. Et la rue retentit de sinistres: HOHOHO.

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Résultat: Vimaire avait désormais sur les bras une quinzaine de plaintes pour dégradation (massacre) de mannequins du Porcher, presque deux quintaux de tissu rouge haché menu et rembourrage indistinct dans le même état (sans parler des yeux de verre qui trainaient dans le tas),et un Chicard hystérique. Il se frotta les yeux et décidé d'expédier le tout:

- les plaintes sur son bureau, près de son omniscope portable (c'est là qu'elles avaient le plus de chance de prendre feu) (12)

- les immondices dans les égouts (les gnomes seraient ravis du tissu)

- Chicard chez lui.

C'était ça, les miracles du Porcher: régler les affaires du Guet simplement et efficacement.

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A l'aube, dans une ruelle déserte des Ombres, une silhouette obèse titubait lourdement, portant délicatement un drôle de sac gémissant. Elle finit par tomber à genoux sous le seul réverbère allumé du quartier. Le mannequin du Porcher éventré tapota doucement le biniou expirant; l'instrument haletait encore malgré les taillades infligées par l'épée ébréchée du caporal Chicque.

« Hohoho? »

Le biniou se souleva péniblement, exhala une courte mélodie et retomba, définitivement silencieux.

« Hohoho... »

Le mannequin s'affaissa à son tour dans la neige.

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« HUM... UN NOUVEL ARRIVANT POUR LE PARADIS DES BINIOUS...

- Hohoho?

- VOUS? JE NE SAIS PAS. VOS CONFRÈRES PRÉCÉDEMMENT ARRIVES SE SONT TOUS RÉUNIS AU PALAIS DU PORCHER. J'AI CRU COMPRENDRE QU'IL Y AVAIT ABONDANCE DE SAUCISSES.

- Hohoho.

- C'EST VOUS QUI VOYEZ. MAIS VOUS SAVEZ, IL Y A DÉJÀ 167 BINIOUS LA-BAS, ET PAS UN SEUL MANNEQUIN DU PORCHER. VOUS ALLEZ VOUS SENTIR SEUL. »

L'esprit du biniou protesta avec vigueur.

« Pwoueeeeeet!

- Hohoho!

- BIEN. ON Y VA, ALORS. »

Bigadin, nimbé de sa lumière habituelle, prit son envol au-dessus des pavés crasseux, deux étranges esprits montés en croupe.

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Tandis que le soleil se levait, une drôle d'étoile s'éleva et disparut au-dessus d'Ankh Morpork: la nuit du Porcher s'achevait, et ses miracles avec.

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Notes:

(1) Dans les rues d'Ankh Morpork, on sert au Porcher les traditionnelles saucisses, mais aussi d'étranges créatures vendues sous le terme générique de « dinde du Porcher ». Leurs seuls points communs sont d'être farcies et de feindre une allure comestible - à part les 'dindes' de Planteur: trop d'écailles ou de poils pour être crédibles.

(2) Spécialité morporkienne à toute époque de l'année, mais en recrudescence au moment du Porcher, période des réunions familiales et petits différends afférents.

(3) Les étudiants de l'U.I. aiment s'amuser pour le Porcher. Et certains d'entre eux avec les binious. C'était du moins l'enseignement de l'expérience: Vimaire devait chaque année envoyer un agent déloger l'instrument troublant l'ordre public. D'après les archives du Guet, la petite blague durait depuis 167 ans.

(4) Pour voir en Chicard Chicque un 'innocent lutin du Porcher', même métaphorique, il faut être:
- un Econome, ou
- un Deux-Fleurs, ou
- un doux-dingue n'entrant pas dans les catégories sus-nommées, ou
- un commissaire divisionnaire du Guet très très fatigué.

(5) Personne n'a appelé Chicard par son prénom depuis 30 ans, à part:
- une stripteaseuse décérébrée
- une petite troupe de femmes klatchiennes qui le prenaient lui-même pour une femme.
Forcément, ça fait un choc.

(6) Le récit lui-même, pas le rapport: le résultat graphique que Côlon nommait 'écriture' était fort courant au Guet: après tout, le sergent Detritus cassait en moyenne 7 crayons avant de venir à bout d'une page (lorsque le pauvre papier ne rendait pas l'âme avant)

(7) Vimaire appréciait à sa juste mesure les services rendus par Arthur P'tit Dingue et sa buse, mais la bestiole trainait ses problèmes de transit intestinal de bureau en bureau. Ca faisait tache, au sens propre (enfin, sale).

(8) « Oh pardon monsieur Commissaire, papier froissé, euh déchiré, pas trop important au moins? »

(9) Expression ô combien pléonastique à Ankh Morpork. Mais quant à demander à Côlon de soigner sa sémantique... autant grattouiller un troll sous les aisselles pour le faire rire: il vous aura par mégarde écrasé les mains avant que vous ayez pu lui arracher le moindre rictus.

(10) Aux alentours du Porcher, de nombreux morporkiens trouvent festif de suspendre de pauvres poupées géantes représentant le Père Porcher (version édulcorée), censées amuser les enfants. Suite à quelques incidents malheureux (10 kilogrammes de chiffons rembourrés vous tombant sur le coin de la figure de 15 mètres, ça cause du dégât. Surtout pour les nains ayant abandonné le casque traditionnel), le Patricien a promulgué une loi rendant la vérification des attaches par des spécialistes.

(11) On est à Ankh Morpork. Tout est une arme dans la rue, même la mousse poussant entre les pavés.

(12) Cf le petit One Shot sur le quotidien morporkien (même auteur, même éditeur, même prix ^^)