Trois délicieux repas par jour

Je sais. Vous avez attendu longtemps, très longtemps, trop longtemps. Et pourtant, ça fait des semaines que ce chapitre est en chantier mais qu'il ne trouve pas son chemin vers le mot fin. Est-ce chose faite ? Je vous laisse juge. Reconnaissance éternelle à Alixe qui a été toujours là et à Vert qui a donné l'impulsion finale.

Merci à Dina, Rine et Leia Tortoise pour m'avoir pointé les dernières (?) coquilles

VII. Un conte de Noël, ou presque

Quand Ron rouvrit les yeux, il découvrit immense champ de neige immaculé, qui épousait le flanc rebondi d'une colline, au milieu d'autres collines semblables. Partout où il regardait il n'y avait que blancheur et neige. C'était éblouissant sous le soleil levant rasant de l'hiver. Les yeux plissés, il finit de distinguer, très loin, une forêt et juste avant quelque chose qui pouvait être un bâtiment. Rien ne bougeait. Si Harry et Hermione étaient là, ils étaient bien cachés.

Ron ne put pas se sentir autre chose que déçu. Bien sûr, c'était ridicule. Mais il n'avait pas pu s'empêcher de croire, presque à son insu, que "la lueur" allait l'amener droit devant la tente de ses amis. "Stupide", se jugea-t-il d'autant plus sévèrement que son attente avait été forte. "Comme s'ils pouvaient faire l'économie de se cacher !"

"Mais comment les retrouver ?", s'inquiéta-t-il juste après. La lueur avait disparu, sans un indice supplémentaire. En désespoir de cause, il tira l'éteignoir de la poche et la main un peu tremblante, il actionna le briquet. Mais rien ne se passa. Il n'y avait aucune lumière à éteindre ou à allumer autour de lui. Et cette fois, aucune lueur étrange n'apparut.

"Oui, évidemment, hein, faut pas trop en demander", marmonna-t-il agacé contre lui même, la magie, Dumbledore, ses amis cachés et la guerre.

Ron enfouit l'éteignoir dans sa poche avec un léger sentiment de honte. Il s'était promis qu'il était prêt à faire amende honorable et il était là, à râler dès le premier obstacle à ses désirs. Il allait falloir qu'il apprenne à supporter les contretemps ! Et à agir, s'exhorta-t-il. Rester planter là n'allait rien changer ; retourner au Cottage des Coquillages non plus. Il eut un petit frisson en s'imaginant expliquer à Bill qu'il avait suivi une lueur inconnue qui l'avait planté au milieu de nulle part... Cette fois, il ne faudrait sans doute pas espérer que son frère le couvre ou lui cherche des excuses ; il allait l'envoyer droit à Sainte-Mangouste !

"Il sera toujours temps de faire demi-tour", estima-t-il repoussant cette vision dérangeante. On n'était que le matin, il pouvait prendre le temps de chercher un peu.

Faute de meilleure idée, Ron remonta tout en haut de la colline dans l'espoir d'une meilleure vue. Mais la seule chose nouvelle qu'il découvrit en se retournant, ce fut la double ligne tracée par ses propres pas.

"Génial, je prétends retrouver Harry et Hermione, et c'est moi qu'on peut suivre à la trace comme un lapin !" En plus, il soufflait un vent glacé sur la crête. "Qui planterait une tente à un endroit pareil !? " soupira-t-il, en laissant ses yeux courir sur les reliefs rebondis. Oui, il était bien plus logique de chercher vers le bas.

Fort de ce nouvel espoir, Ron redescendit assez rapidement en suivant ses propres traces dans lesquelles la neige était un peu tassée jusqu'au point où il avait transplané. A partir de là, il progressa plus doucement, cherchant des yeux, un repli de terrain, un bosquet d'arbres qui aurait pu être jugé un bon abri par ses amis. "Quelle idée d'être aller se mettre dans un coin aussi dénudé !" s'agaça-t-il en pataugeant dans la neige poudreuse. "Quel raisonnement tordu Hermione avait pu encore suivre pour les amener là ?" Il sourit rien qu'en y pensant. Il avait tellement hâte de l'entendre de nouveau construire des théories tellement compliquées que ni Harry ni lui ne pouvaient prétendre les contredire !

Ron progressa ainsi bien de cent mètres - c'était difficile à dire sans réel point de repère, sans rien voir qui désignerait un endroit plutôt qu'un autre. Tout était blanc, glacé, étincelant de givre dans la lueur du matin. De nouveau, il sentit le découragement proche et il le repoussa. Il s'obligea à réfléchir avec méthode - comme si la question pouvait se réduire à ça. Mais la logique n'offrait pas beaucoup d'espoirs :

"Ils ont dû planter leur tente", réfléchit Ron, "avec tous les sortilèges nécessaires pour la rendre invisible et indétectable".

Il ne pouvait même pas honnêtement souhaiter la contraire ! Bien sûr, il existait certainement des moyens de contourner ces protections, songea-t-il, en se remettant à marcher au hasard dans la neige poudreuse et élastique, mais il n'en connaissait aucun. Il n'y avait pas à dire, il était un piètre sorcier, qui n'avait appris en six années d'instruction magique que le strict nécessaire pour passer dans la classe supérieure !
Plus deux ou trois autres petites choses, il fallait le reconnaître, dues à la fréquentation assidue d'un certain Harry Potter - et à la propension du susdit à les coller dans des situations exigeant des connaissances non prévues par les concepteurs des programmes scolaires. Il sourit en marchant, malgré l'humidité croissante de ses chaussettes et de ses bas de pantalon. Ron revit le Troll qui avait scellé leur amitié, l'effrayante partie d'échecs géantes, Aragog et ses monstrueux enfants, le Saule Cogneur qui avait détruit la voiture de son père, la Cabane hurlante dans laquelle un énorme chien l'avait traîné sans pitié avant de se transformer en l'ennemi public numéro un -puis en parrain de Harry ; le dragon à qui Harry avait dû voler un oeuf ; les réunions secrètes de l'AD, le survol de l'Angleterre en Sombrals...

Ce n'étaient pas que de bons souvenirs, mais c'était sa vie, Merlin le savait. A se demander ce qu'il lui avait pris de l'oublier, de vouloir s'y soustraire... Ron soupira, baissant la tête contre le vent qui se venait de le saisir par surprise à la sortie d'un repli du terrain. Pouvait-il mettre l'intégralité de cette décision sur l'influence du médaillon ? N'était-ce pas un nouveau mensonge ? Comme il n'arrivait pas à se décider, il laissa son esprit dériver sur les effets généraux du bijou pour arriver à se demander quel impact il avait pu avoir pendant toutes ces semaines sur Harry et Hermione qui, par le fait même de son absence, avaient dû le porter encore plus fréquemment. Ce n'était pas une ligne de pensée beaucoup plus joyeuse que la première. Il revint donc à sa quête et se força à réfléchir logiquement - après tout, il aimait se penser logique.

La logique demandait d'explorer tous les renfoncements du terrain qui se présentaient à lui. Alors il s'y plia. C'était assez décourageant. Repli après repli, il ne trouvait que champs de neige à peine marqués là par les pattes d'un moineau, ici par celles d'un lapin. Aucune semelle, aucune trace humaine, aucune sensation de magie nulle part. Mais Ron refusa de se laisser abattre. C'était sa chance, sa seule et unique chance, il en était persuadé. Il devait les retrouver, il devait retourner à leurs côtés et se battre autant qu'il le pouvait. Imaginer l'avenir, bon ou mauvais, sans Harry et sans Hermione, était impossible. Il le savait; il avait essayé. Bien sûr, ils n'allaient peut-être pas l'accueillir à bras ouverts. Ron ne se leurrait pas. Il lui suffisait d'imaginer l'inverse - encore qu'il n'y parvenait pas. Hermione ne laissait jamais tomber. Jamais. Et Harry, Harry ne savait tout simplement pas fuir.

Mais, peut-être, lui laisseraient-ils une chance, espéra-t-il en remontant le col de sa veste et en soufflant sur ses doigts gourds. Et il ferait tout pour qu'ils ne le regrettent pas, se promit-il résolument. Et il ne se plaindrait pas. Même si ça n'allait pas assez vite à son goût. Même si le ravitaillement restait... spartiate. Il essaierait d'être utile, de poser les questions logiques que ses deux amis semblaient souvent si prompts à éluder. Il n'aurait plus peur, parce qu'il savait maintenant que la seule issue, partout, était le combat. Et il voulait avoir sa part.

Fort de ce mantra, qu'il se répétait et peaufinait à chaque pas, il continua jusqu'en bas de la colline, la traversant méthodiquement de gauche à droite, explorant chaque repli sans prêter attention à sa faim, à sa soif ou à sa fatigue. Sans résultat. Il savait, il sentait, qu'ils n'étaient pas loin. La certitude était presque palpable comme la lueur bleutée qui l'avait amené ici. Il se mit donc à crier leurs noms : "Harry ! Hermione !"

Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Si lui ne pouvait pas les voir, eux pouvaient l'entendre ! Le vent était une concurrence redoutable et il eut bientôt la gorge douloureuse à force de hurler dans l'air froid. Il continua malgré tout, inlassablement, s'autorisant juste une gorgée d'eau chaude pour éclaircir sa gorge. Il refusait d'admettre que c'était inutile - Il en avait fini avec l'inutile ! Parce que la lueur ne pouvait l'avoir amené ici pour rien. Il en était persuadé et ne se permettait pas d'en douter.

Il fallut qu'il trébuche trois fois de suite sur des racines cachées par la neige pour se rendre compte que le soleil devait s'être couché et que sans lumière, il n'avait aucune chance de pouvoir les trouver. A contrecoeur, Ron se mit alors en quête d'un endroit abrité. Sous un arbre couché, il trouva un morceau de sol presque sec où il déroula son sac de couchage et se glissa dedans toute habillé. Il n'enleva que ses chaussures qu'il protégea de son sac à dos. Allongé sur le côté, le dos au vent, il mangea le plus lentement possible deux sandwiches de viande froide et une orange - prenant bien garde de ne pas épuiser toutes ses provisions. Puis, il se pelotonna dans le sac de couchage et essaya de dormir.

Ron fut réveillé par une lueur grise et sale. Et par l'humidité qui transperçait la protection de son sac de couchage. Il suffisait de lever le nez pour voir que le ciel n'allait pas être à court de flocons pour les heures à venir.

"Et la tempête, maintenant !" marmonna-t-il en se redressant dans son sac.

Il en sortit en faisant attention de ne pas faire entrer de la neige et de ne pas mouiller ses chaussettes. Un exercice compliqué et agaçant. Il roula son duvet et s'assit dessus pour boire un peu de neige fondue et manger une orange - piètre petit déjeuner, mais il ne s'y arrêta pas. Il ne fallait pas qu'il traîne. Avec un peu de chance, Harry ou Hermione allait sortir de la tente, aller chercher de l'eau ou de la neige pour préparer leur petit-déjeuner. Peut-être allaient-ils plier bagages ? Il pourrait alors les apercevoir.

Mais malgré ce nouvel espoir, le deuxième jour ressembla au premier. Il marcha sans but précis ; il hurla à s'en enrouer ; il lutta contre le vent et les flocons qui rapidement étaient venus obscurcir sa vue. Vers midi, il arriva à la conclusion qu'il ne les trouverait jamais et il s'assit avec découragement sur une pierre. Il sortit un demi-sandwich de son sac et le mâcha lentement dans l'espoir de caler son estomac. Il pela scrupuleusement une nouvelle orange en guise de dessert et réchauffa magiquement une autre tasse de neige en guise de boisson. Il essayait de rester entièrement concentré sur ces actes quotidiens et anodins pour éviter la question de ce qu'il ferait après.

Tout avait semblé si simple, soupira-t-il, quand la lueur l'avait guidé. Malgré le manque de résultat, il restait convaincu que l'éteignoir ne l'avait pas conduit ici par hasard. Il n'y avait jamais de hasard en magie, encore moins quand cette magie avait été concoctée par un certain Albus Dumbledore. Ça pouvait être compliqué, utiliser des voies détournées, mais ça ne pouvait pas être n'importe quoi. Avec un nouveau soupir moins profond, il sortit l'objet du profond de la poche de son jean humide avec deux jours de marches et une nuit à la belle étoile dans la neige.

"Allez", murmura-t-il en regardant l'éteignoir brillant dans sa main. "Allez, aide-moi !"

Il ferma les yeux, essayant de retrouver la sensation de certitude qui l'avait porté jusqu'à présent, en vain. Est-ce qu'ils avaient pu partir de cet endroit ? Il cliqua le briquet et une nouvelle lumière bleutée apparut. Il soupira une nouvelle fois, moins certain que la première fois, mais avait-il d'autre piste ? Et puis il tendit la main et laissa la lueur l'entraîner dans les méandres de l'espace.

Cette fois, il rouvrit les yeux dans une forêt. Il y neigeait aussi mais les arbres le protégeaient du vent, et la quantité de neige sur le sol était moindre que sur la colline.

"Meilleur choix, les copains", murmura-t-il comme si Hermione et Harry pouvaient entendre son assentiment.

Maintenant, au beau milieu des fourrés, il était difficile de choisir une quelconque direction plutôt qu'une autre. C'était même encore plus compliqué que sur la colline ! Ron sentit l'angoisse qui se glissait sous sa veste et son pull, plus sûrement encore que l'humidité.

"T'affole pas", s'ordonna-t-il. "Ils ne peuvent pas être loin.. réfléchis, réfléchis !"

La logique voulait qu'ils aient sans doute poser la tente dans une clairière. Mais la même logique imposait de se poser d'autres questions : depuis combien de temps étaient-ils arrivés ici ? pouvaient-ils avoir déjà monté la tente ? Ron fut tenté de commencer par les appeler, mais il avait un mauvais souvenir de la dernière fois où il s'était retrouvé dans une forêt. C'était exactement comme un miroir inversé du jour où il était tombé sur un gang de Rafleurs... Il décida qu'il serait toujours temps de crier et se mit à marcher, profitant des dernières heures de jours pour tenter de repérer des chemins et des clairières.

Il tomba ainsi sur une mare gelée, pas très loin d'un chemin assez large et bien tracé. Ça aurait pu être un bon endroit - un peu dégagé, accessible, muni d'eau, mais les berges étaient peu plates et n'invitaient pas vraiment à poser une tente, jugea-t-il finalement. Il prit un moment le chemin plus large, pariant qu'il menait d'une manière ou d'une autre à une clairière. Mais il eut beau battre les fourrés, comme la veille, il ne vit aucune trace, n'entendit aucun son qui pouvaient lui faire croire que ses amis étaient là. C'était désespérant.

Relativement découragé, il retourna vers la petite mare - c'était le seul point d'eau qu'il ait vu, et c'était toujours mieux que de la neige fondue. Ce n'était pas comme s'il était parti avec un réel matériel de camping cette fois. Il n'avait que son duvet et un gobelet de métal. Il n'allait pas tenir longtemps à ce rythme-là. En s'arrangeant un campement de fortune sous un épineux qui offrait quelques protections contre la neige, il décida de se donner vingt-quatre heures supplémentaires. Il serait toujours temps de retourner au Cottage des Coquillages et d'avouer sa défaite.

Il se glissa dans son duvet faute de meilleure idée. Demain, le temps serait sans doute moins mauvais, on pouvait voir des étoiles. Harry et Hermione sortiraient peut-être de la tente pour profiter un peu du soleil.

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C'était trop tôt pour le soleil. C'était trop faible aussi. C'était une lueur argentée, relativement forte - rien à voir avec la boule de l'éteignoir. Ça se déplaçait en plus. Ça venait de la gauche de Ron et ça se dirigeait vers sa droite - en direction peu ou prou de la mare. On ne pouvait pas vraiment dire qu'il avait dormi jusque-là. Il s'était contenté de se réchauffer dans son duvet, faute de mieux. C'était pour cela que le changement de luminosité l'avait tout de suite alerté.

Ron se leva, glissa ses pieds dans ses chaussures gelées. En les laçant, il décida de laisser ses affaires cachées. Il serait plus léger sans son sac - et ça faisait deux jours qu'il lui sciait les épaules. L'idée était d'aller voir ce qu'il en retournait. Qu'elle était l'origine de la lueur ? Constituait-elle un danger ou une piste ? Ron s'assura que sa baguette était bien coincée dans la poche de son jean et se glissa d'arbre en arbre en direction de la lumière argenté. Il devait faire attention à ne pas trébucher sur une racine et se vautrer dans la neige et il progressait lentement.

Plus il s'approchait, plus il avait la conviction qu'il avait affaire à un phénomène magique. Il ne voyait pas comment un moldu ou un animal aurait pu produire une lumière aussi étonnante. Et puis, ça 'sentait' la magie. Au détour d'un talus, Ron entrevit un bref instant ce qu'il suivait : un animal vif, haut sur pattes, à la démarche gracieuse... Le coeur lui manqua. Il devait mieux le voir, il devait être sûr. Est-ce que l'animal l'entendit presser le pas ? D'un bond léger, puissant et silencieux, il avait disparu...

"Harry !", eut-il envie d'hurler, et il lui fallut toute sa maîtrise pour se retenir. "Si c'est Harry... il vaut mieux que je sache d'abord où il est et ce qu'il fait avant de me jeter au cou de son Patronus", raisonna-t-il. "Et puis, ça peut ne pas être Harry", ajouta-t-il presque à haute voix.

C'était tellement difficile de résister à cet espoir, à cette petite voix qui hurlait "Je le savais" dans sa tête ! Mais il se secoua avec beaucoup plus de discipline qu'il ne s'en serait cru capable. Il ne pouvait pas rester là à peser le pour et le contre. Il devait suivre le Patronus avant de le perdre, avant de perdre la seule piste qu'il avait si difficilement trouvée. Il coupa à travers la pénombre, trébucha sur les racines, s'enfonça dans la neige amassée dans les creux, se griffa le visage aux ronciers qui lui barraient le passage. Il se mordit les lèvres pour retenir douleur et juron. Son souffle s'accéléra mais jamais son esprit ne perdit son but unique. Retrouver la lumière.

Il y parvint à la lisière de la clairière où la mare gelée renvoyait la lumière de la lune. La scène était surréaliste. Ce n'était plus le fier Patronus de Harry qu'il découvrait, mais son ami lui même. Impossible de se tromper. Qui d'autre avait un tel épi et des lunettes aussi épaisses ? Ron ne le voyait que de trois quarts et il ne pouvait pas voir ses yeux mais à ses gestes las, il discernait à la fois une grande détermination et presque du désespoir. D'abord Ron ne comprit pas puis il ne put plus douter : Harry, au milieu de la nuit, au bord d'une mare gelée perdue dans une forêt enneigée, se déshabillait. Il ôtait méthodiquement chacun de ses vêtements - ses pulls, son tee-shirt, son pantalon, ses chaussettes. Mais qu'est-ce qui pouvait justifier un truc pareil ? Avant que l'esprit de Ron n'ait pu s'aventurer à avancer un début de réponse cohérente, la scène devint plus étrange encore : Harry s'avança sur la glace, à peine couvert de ses sous-vêtements et armé de sa baguette et lança un sort contre la glace, ouvrant un trou dans la surface de la mare.

Ron ne pouvait pas s'imaginer intervenir et se faire connaître. C'était trop étrange. Comme s'il assistait à un rituel secret voire un peu honteux. Sûrement, Harry lui en voudrait s'il le faisait. La preuve, il n'y avait aucune trace d'Hermione aux alentours. Ce n'était pas parce qu'il n'arrivait pas à trouver un sens à ce qu'il voyait qu'il pouvait s'avancer et tenter la grande réconciliation qu'il espérait. Non, il allait attendre qu'Harry ait terminé et se soit rhabillé, décida-t-il - "Qu'est-ce qu'il doit se geler", fut sa dernière pensée rationnelle. Parce que l'instant suivant, Harry posait à terre sa baguette allumée puis, prenant Ron complètement de court, il sauta dans l'eau dans une grande éclaboussure !

Ron le regarda faire le souffle coupé, l'esprit stupéfixé. Mais que se passait-il donc ? Quelle lubie pouvait pousser son ami à prendre un bain de minuit alors que la température était descendue au dessous de zéro ? La mare n'était pas très profonde et Harry n'avait de l'eau que jusqu'à mi-cuisse. Rien que d'y penser, Ron se sentait geler mais son ami ne s'arrêta pas là. Après avoir un peu pataugé, il se baissa et plongea, la tête la première.

Ron ne voyait plus maintenant que l'onde qui s'agitait sous l'effet des mouvements de plus en plus vigoureux de Harry - à moins que ce fut de plus en plus désespérés... Ça durait. Ça durait trop longtemps, s'affola-t-il. Et, sans se pencher plus avant sur les pourquoi et les comment, son corps décida pour lui : il sortit du fourré en courant, sans plus s'inquiéter de faire du bruit. Avant d'avoir réfléchi à ce qu'il ferait après, il plongea à son tour, tout habillé dans l'eau gelée pour remonter Harry vers la surface. Il agrippa le corps de son ami et le tira en arrière de toutes ses forces. C'était étonnamment difficile. Harry avait toujours été plus petit et plus léger que lui, rien ne justifiait qu'il semble si lourd - les corps n'étaient-ils pas supposés flotter dans l'eau ? L'espace d'un battement de coeur, Ron envisagea avec horreur que la glace en train de se reformer autour de lui retienne son ami dans son emprise ! La raison lui revint et il prit appui sur le sol pour s'emparer du corps de son ami et le jeter de toutes ses forces sur la glace à l'extérieur.

Il ne pouvait pas dire qu'il n'avait pas vu que Harry tenait un objet encombrant dans sa main droite - si le froid n'avait pas été si envahissant, il s'en serait même peut-être étonné. Mais tout était allé trop vite ; l'urgence était ailleurs. Ce n'est qu'en s'extirpant du trou en claquant des dents, que Ron identifia à ce qui pendait au bras titanisé de Harry : une épée, longue, lourde magnifique, ancienne, argentée... Ron ne l'avait jamais vue mais, pourtant, il n'eut aucun doute : c'était l'épée de Gryffondor... A n'importe quel autre moment, il aurait cherché à comprendre comment une épée que tous croyaient à Poudlard se trouvait au fond d'une mare gelée à des kilomètres de l'Ecosse. Il aurait alors pu échafauder des théories : qu'en son absence, Harry ait appris que Dumbledore l'avait cachée là, en était une. Il aurait aussi pu se demander alors ce que Ginny avait essayé de dérober à Rogue quelques mois plus tôt. Sauf que là, dans l'air glacé de décembre, dans la lueur de la lune, trempé jusqu'aux os, il y vit simplement un signe, une évidence. C'était le legs de Dumbledore à Harry... encore un legs de Dumbledore... d'une manière ou d'une autre, ils étaient sur le bon chemin.

Il osa alors un regard timide vers son ami qui gisait encore au trois-quarts nu sur la glace. Harry avait les yeux fermés, le visage dégoulinant et le souffle court. Sa poitrine ne semblait pas trouver assez d'air pour se remplir. Suivant un éclat argenté, Ron discerna, horrifié, le pendentif de Serpentard qui essayait de l'étouffer. La chaine entrait littéralement dans sa chair et le médaillon pressait contre sa glotte. Que pouvait-il faire ? Le temps manquait, il en était sûr. Mais la question emplissait son esprit comme un monstre gigantesque qui prenait toute la place et étouffait toute pensée. Ce fut son corps et son instinct qui, une nouvelle fois, répondirent. Sa main se saisit de l'épée. Il l'arracha sans peine de la main crispée de Harry et son bras se leva, sans trembler. Plus tard, il se demanderait comment il avait su, pour conclure que l'épée elle-même était venue au secours de Harry. D'un geste étonnamment précis, la lame effilée trancha la fine chaine qui s'était transformée en instrument de torture.

Immédiatement, Harry aspira de l'air, et cela fit un bruit curieusement rauque - comme venant d'un très vieil homme et non d'un jeune garçon qui aurait pu encore étudier à Poudlard. Il restait penché en avant, comme surpris que la torture ait cessé. Et Ron n'osait ni faire un geste, ni dire un mot. Il se demandait encore à quoi il venait d'assister, à quoi il avait participé. Un espèce de doute pernicieux s'installa. Est-ce que Harry avait voulu en finir avec sa propre vie ? En quoi prendre un bain dans une eau gelée avec l'épée de Gryffondor pouvait participer à fabriquer l'avenir ? Et pourquoi portait-il ce stupide et dangereux Horcruxe pour le faire ? La colère de Ron fut à la mesure de sa peur.

"Tu... es... dingue, ou quoi ?"

Il n'avait pas pu retenir la question, la protestation. Elle provenait du plus profond de son être.

- "Par tout les diables", ajouta-t-il, haletant, "pourquoi n'as-tu pas enlevé cette chose avant de plonger ? "

Et il l'avait regretté à peine les mots avaient passé ses lèvres. "Qui suis-je pour lui faire des remontrances ?" Mais les yeux de Harry, leur vert intense magnifié par des larmes de douleur, se fixèrent sur lui avec une telle expression de surprise que ses propres remords furent balayés par beaucoup d'émotion. "Je suis la dernière personne qu'il s'attendait à voir ici !" comprit-il sans trop savoir que faire de cette intuition.

Sans le quitter des yeux, Harry sembla petit à petit reprendre vie. Il s'empara de ses vêtements posés sur la berge et les renfila en tremblant. Toutes les secondes ou presque, il regardait Ron à la dérobée comme pour s'assurer qu'il n'allait pas disparaître. Ron se sentit de nouveau très intimidé.

"Alors, c'était t...toi ?" balbutia soudain Harry d'une étrange voix, faible comme une prière.

"Heu, oui", reconnut Ron, sans trop savoir s'il devait immédiatement s'expliquer et s'excuser. Mais ça paraissait plus sage de laisser Harry mener cette conversation, et Ron s'intima de s'attendre au pire.

"La biche... c'était t...toi ?" demanda son ami contre toute attente.

"Quoi ? non, bien sûr que non ! Je pensais que c'était ton Patronus !"

"Le mien, c'est un cerf", le corrigea simplement Harry.

"Ah oui, c'est vrai. je me disais bien qu'il paraissait différent. Pas de ramure", convint Ron, se rendant brusquement compte qu'il n'avait jamais vu assez longtemps l'apparition pour l'étudier. Et peut-être qu'il avait souhaité voir le cerf de Harry plus que toute autre chose. Une biche ? Ron fouilla sa mémoire sans arriver à se rappeler de quelqu'un dans l'Ordre, au Ministère ou dans l'armée de Dumbledore dont le Patronus ait été une biche. Plus ou moins consciemment, il pensa que ça ne pouvait être qu'un ami - il n'arrivait pas à concevoir qu'un Mangemort ou un Rafleur aient eu un Patronus aussi sympathique ! Il aurait pu continuer à dériver ainsi, épuisé par ses deux jours de marche et de jeûn, les émotions violentes et contradictoires qui l'assaillaient et le froid. Ce fut la voix de Harry qui, de nouveau, le ramena au présent :

"Comment se fait-il que tu sois ici ?"

Est-ce que c'était vrai ? La question était naïve mais pourtant elle incontournable. Etait-il vraiment revenu ? Avait-il réellement retrouvé ses amis et vécu toutes ses étranges aventures en l'espace de quelques heures ? Allongé sur un matelas pneumatique inconfortable, au pied du lit d'Hermione qui faisait semblant de s'être déjà endormie, Ron ne pouvait pas ne pas se demander s'il ne rêvait pas, s'il n'allait pas se réveiller ou tomber des nues à une heure plus ou moins proche. Il n'arrivait pas à se dire qu'il avait quitté la Cottage aux Coquillages depuis moins de deux jours.

Pas que son retour se soit passé comme il avait pu l'imaginer - s'il l'avait imaginé ! Il y avait eu tous ces détours, ces marches décourageantes dans la neige. Il ne pouvait même pas dire qu'il les avait retrouvés parce qu'il s'était entêté ou parce qu'il avait fait preuve d'un flair particulier. Il y avait eu cette suite d'évènements incompréhensibles et improbables : un Patronus au milieu de la nuit, Harry nu dans une mare, leur plongeon dans l'eau glacé. Rien que ces trois évènements-là, il aurait eu du mal à croire à leur réalité si ce n'était pas lui qui les avait vécus. Un vrai conte pour Moldus !

Mais ce n'était que le début. Le Horcruxe qu'ils avaient récupéré au Ministère avait essayé de tuer Harry - réellement. Comme quoi même un simple fragment de l'âme de Voldemort contenait en elle assez de mal pour faire une chose pareille. Ce n'était pas étonnant, à y repenser que ce soit le même Horcruxe qui soit venu nourrir ses propres démons intérieurs pour le faire abandonner la quête.., décida le jeune homme, mais cette pensée le dérangea.

"C'est un peu trop simple, non ? Tout ne peut pas être de la faute de Voldemort !"

Ron se retourna dans son sac de couchage, comme pour essayer d'échapper à son propre malaise. Il avait beau être revenu, il ne pouvait pas mettre cette fuite entre parenthèse et faire comme si elle n'avait jamais eu lieu. Hermione avait raison - même s'il avait sauvé Harry, il n'avait aucune raison de s'enorgueillir. D'ailleurs, de quoi s'enorgueillir ?

Il haussa les épaules dans son lit : "Malgré tout. Il l'avait fait, non ?", protestait doucement une petite voix dans sa tête. "Il avait affronté le Horcruxe et il l'avait vaincu". Grâce à l'épée de Gryffondor, bien sûr, mais quand même ! Qu'une telle relique l'ait aidé était en soi un baume sur son orgueil froissé. Mais la victoire avait un goût amer. Rien qu'à y repenser le corps tout entier de Ron se figeait, comme pas totalement certain qu'il soit prudent qu'il se détende. Il avait bien failli se perdre corps et biens ce soir. Plus, il avait été à deux doigts de perdre irrémédiablement son âme en cédant à toutes ses terreurs les plus intimes, en les laissant détruire tout ce qui avait un sens dans sa vie.

S'il n'avait pas réussi à échapper à leur emprise, il aurait été mort - pire que mort. Son meilleur ami y aurait laissé sa vie mais lui aurait été perdu. Jamais plus il n'aurait pu oser regarder qui que ce fut dans les yeux. Il aurait été comme ces coquilles vides dont l'âme avait été aspiré par un Détraqueur dont Lupin leur avait parlé une fois. Il frissonna et instinctivement resserra le duvet autour de lui. Il lui parut soudain absolument inconcevable d'envisager laisser une seule de ses horreurs dans la nature, aussi profond soit-elle cachée, aussi dangereuse et longue soit la quête.

"On va les trouver, Harry, j'te le promets", jura-t-il dans sa tête et il regretta que son ami ne soit pas dans la pièce. Il aurait presque été capable de lui faire le serment à haute voix tant il le pensait profondément.

Et peut-être était-il nécessaire qu'il ait dû affronter et condamner au silence les mêmes démons qui l'avaient fait s'enfuir quelques mois auparavant, ajouta-t-il, une fois cette vague d'émotion passée. Peut-être était-ce inévitable. Peut-être, l'espoir était enivrant, serait-il ainsi durablement débarrasser d'eux ? Il n'osait y croire complètement. Peut-être était-il aussi révélateur qu'il n'ait pu résister que parce que Harry l'avait enjoint de le faire, parce qu'il lui avait offert, sans arrière pensées apparentes, son amitié et sa confiance. Ron ravala sa salive avec émotion. L'amitié et la confiance de Harry étaient plus que ce qu'il méritait...

Parce que le triomphe de ce soir n'avait réussi à totalement lui cacher l'ampleur de la tâche qu'il restait à accomplir :la tente était comme il l'avait laissée, humide et malodorante. Harry et Hermione étaient plus maigres, plus durs et plus résolus que dans son souvenir - Ron frissonnait en pensant aux quelques bribes de ce qu'avait été leur vie sans lui que Hermione lui avait jeté à la tête, aux choses qu'ils avaient dû affronter, aux épreuves qu'ils avaient surmontées... Mais ils avaient semblé sincèrement heureux de les voir - enfin surtout Harry. Hermione... Hermione aussi, il avait envie de le croire. Elle lui reprochait d'être parti, et il n'y avait rien à redire à ça : lui-même se le reprochait depuis trop longtemps.

"Elle se calmera", décida-t-il brusquement.

Il avait été trop loin pour douter maintenant. Il avait trop regretté son absence pour ne pas faire ce qu'il faudrait pour qu'elle accepte son retour - N'avait-elle pas déjà consenti à qu'il s'allonge pas trop loin d'elle ? N'avait-elle pas permis à l'éteignoir de le retrouver en prononçant son nom, après tout ce temps. Il lui laisserait le temps d'évacuer sa rancune, il lui montrerait qu'il avait appris à ne plus se plaindre, qu'il était revenu pour se battre à leur côtés, jusqu'au bout, qu'il n'avait plus ni peur ni doute en lui sur sa place dans cette guerre... C'était peut-être un peu grandiloquent, mais s'il y avait une leçon à tirer de cette fichue soirée, c'était bien que rien n'était impossible ! Et comme un écho à cette pensée optimiste, la première depuis longtemps finalement, en se retournant, Ron vit que Harry les regardait avec une lueur dans les yeux qui ressemblait à un encouragement.

Il décida de l'accepter, de croire à leur complicité revenue et lui fit un clin d'oeil. Et de l'autre côté de la tente, sans doute en chemin vers son propre duvet, comme pour confirmer que les choses étaient redevenues aussi normales qu'elles pouvaient l'être, Harry sourit.

FIN