Just Play Something For Me, My Love.

Une des questions les plus existentielles est sans aucun doute celle du choix. Ceux que nous faisons nous mènent-ils vers le bon chemin ou pas ? Que se passerait-il si l'on empruntait l'autre voie qui nous est proposée ? Devons nous choisir l'objet le plus tentant ou l'ignorer, sachant que cela est sûrement mieux comme ça ? Cependant, il arrive que le regret nous assaille au moment où l'on s'y attend le moins, et nous poursuive pour le restant de nos jours. En fait, aucun choix n'est ni bon ou mauvais. Il faut savoir comment vivre avec, comment le percevoir, et l'assumer. Erreur ou pas, le doute persiste.

J'empoigne la guitare d'une main et me lève pour me diriger vers les écuries. Il n'y a que les chevaux qui m'aient jamais entendu. Mon unique public, muet, ne pouvant critiquer, ne pouvant me déranger. Mais je pense que ça leur plait. Leur manière à chaque fois de se calmer et de porter attention à ce que je suis en train de faire me conforte dans cette idée. Nous y gagnons tous.

Je me jette dans la paille fraîche et propre, au seuil de l'entrée, et me mets d'abord à observer le ciel. Plus les jours passent et plus je me rapproche du Level E. Un jour, je n'aurai ni la capacité de jouer à nouveau, ni le loisir d'observer le ciel, ou…ou de profiter de sa présence à elle. Je l'avais choisie. Pour un court instant, elle était à moi. Jusqu'à ce que ma personnalité humaine disparaisse totalement pour laisser place à un autre monstre. J'avais choisi de découvrir le peu de bonheur qui m'était accordé, pour mieux souffrir ensuite de notre séparation. Mais tant qu'à mourir, autant mourir en ayant connu au moins ça.

Soudainement, mes sens se mettent en alerte pour m'avertir que quelqu'un approche. Un être humain. Dont la façon de marcher m'indique qu'il est du genre féminin. Et son odeur m'indique que cette fille ne peut être que…

-Tu veux rester seul ou je peux te tenir compagnie ? me demande Yuki en s'arrêtant devant moi et en se penchant au dessus de mon visage.

Je lui attrape un bras, puis la taille et la fait vivement basculer sur le foin à côté de moi.

-Tu es toujours la bienvenue à mes côtés, je réponds avec nonchalance, devinant les battements de son cœur plus rapides.

-Je déteste quand tu fais ce genre de choses, lance-t-elle, un brin sonnée.

-Mais je m'arrange toujours pour ne pas te blesser.

-Et tu le fais avec brio. Bravo, tu devrais gagner une médaille. Il n'empêche que ça me surprend toujours à chaque fois. Tu as de la chance que je n'aie pas mangé.

Là-dessus, elle joint les mains sur son ventre et mime une personne en train de vomir. Je lève les yeux au ciel, roule sur le côté et m'appuie sur un coude, pour établir un contact visuel. Elle arrête sa petite mise en scène et me regarde en retour. Puis, lentement, mais sans hésiter, elle lève la main et me caresse la joue. Puis sa main glisse sur ma nuque comme je me penche pour l'embrasser. Ahh. Le contact de ses lèvres, tièdes et douces. La douleur que j'éprouvais face à la perspective de devoir la perdre un jour disparaissait sous le désir d'être avec elle, et je savais bien que ça n'en serait que pire ensuite. Mais aussi ludique que j'étais, je n'avais pas assez de volonté pour arrêter cette relation.

Je descends lentement jusqu'à sa clavicule et lui suçote la peau, veillant à ne pas enfoncer mes crocs dans sa chaire par inattention. C'était arrivé plusieurs fois. Les émotions fortes telles la colère ou le désir me faisaient perdre le contrôle de mon côté…bestial. Yuki ne m'en tenait jamais rigueur mais je me détestais à chaque fois un peu plus. Je l'entends soupirer de bien-être, et je finis par reposer ma tête contre la naissance de sa poitrine, à moitié allongé sur elle maintenant. Sa main vient se balader dans mes cheveux, telle une brise entre les branches d'un arbre. Son autre main vient se poser délicatement sur ma colonne vertébrale et elle entame un doux va et vient du bout des doigts. Je ferme les yeux et me laisse totalement aller, oubliant tout. Le lieu, la raison de ma venue ici, le pays dans lequel nous sommes. J'oublie presque ce que je suis. Pour un peu, je me mettrai à ronronner.

-Zéro…

-Mhmm ?

-J'espère que tu as l'intention de me jouer quelque chose, lance-t-elle d'un ton malicieux et, malgré que je ne peux la voir, je peux jurer que je l'entends presque sourire.

Je me fige légèrement et la mémoire me revient brutalement. Je me rappelle ce que je fous ici maintenant. Je me redresse à moitié pour observer la guitare que j'ai laissée sur le côté, peu avant que Yuki n'arrive. Bordel. J'ai pas envie moi. Je me redresse ensuite totalement et m'assois. Elle fait de même, un petit sourire aux lèvres et instinctivement, je me passe une main sur la nuque.

-Je ne veux pas, je réponds d'un ton ferme.

-Pourquoi pas ?

-C'est embarrassant.

-Tu ne m'avais même pas parlé de ça, me reproche Yuki.

-Et à raisons, je ne suis pas la nouvelle star de demain.

-Tu joues depuis combien de temps ?

-Ptêt deux ans, je réponds en haussant une épaule.

-Tu joues des morceaux complets ?

-Ouais…

-Tu sais en jouer beaucoup ?

-J'ai un p'tit répertoire…

-Alors chante et joue quelque chose pour moi !

-Non !

Je lève vers elle un regard qui se veut sévère mais j'ai à peine le temps de lui balancer mon effet qu'elle se jette sur moi, sans que je l'aie vu venir. Je bascule sur le dos, elle sur mon ventre. Interloqué, je me laisse faire comme une poupée et l'observe se mettre à califourchon sur moi et attraper mes poignets de part et d'autre de ma tête. Elle se tient ainsi, avec un regard de prédateur farouchement déterminé et je finis par hausser un sourcil.

-Tu as l'intention de m'infliger une sorte de punition spéciale ?

-On peut dire ça comme ça.

-Une vraie maniaque. Tu sais que je peux tourner la situation à mon avantage ?

-Je sais, oui. Et je sais aussi que si tu ne chantes pas, tu peux dire adieu à tous tes petits câlins quotidiens pendant un mois. Au moins.

-Tu ne tiendras pas.

-On parie ?

Je roule des yeux une nouvelle fois et plonge mon regard dans le sien. Son expression sérieuse et déterminée me donne envie de rire. Malgré moi j'esquisse un sourire.

-Quel genre ?

-Hein ?

-La chanson. Quel genre te plaît ? je demande, en soupirant.

Cette fois-ci, je devine ses intentions et la laisse se pencher sur moi et m'embrasser sur la joue, débordante de joie.

-Je m'en fiche. Choisis. Ta préférée sera aussi la mienne.

Sur ce, elle me libère et se retire pour s'asseoir plus loin en indien, en bonne spectatrice.

-Je le répète mais, je ne suis pas une star qui pète le feu, je soupire encore, déjà ennuyé.

-Et c'est très bien comme ça.

Je m'assois et la regarde ; elle m'offre un sourire sincère, plein de douceur et d'amour. Elle laisse tellement transparaître ses émotions, à mon instar. C'est peut-être ce qui fait que ça marche, entre nous, d'une certaine manière. Plus motivé, je m'empare de la guitare et me mets en position. J'entame les premiers accords avec assurance ; je connais cette chanson par cœur, elle est celle que j'ai le plus appris et mes doigts glissent naturellement sur les cordes.

She whispers till I'm asleep and I'm
Feeling love I've never recalled and I
Know she's always onmyside

The bluest eyes that always see through me
The gentle girl who's strong when she needs to be
And I still, can't believe she's mine

She tears down my walls and leaves me defenceless
She cradles my heart with her hands
And still to this day she still leaves me breathless
She's always my number one fan

She's perfect,she's selfless
She's all I'd hoped she'd be
She's hopelessly honest
And she's everything to me

And we'll sleep straight through to the afternoon
Her sweet love spell left from her last perfume
And she knows
she's always on my mind

She loves cats and just about everything
I love her voice even though she's afraid to sing
And she knows just how to keep me in line

She carries herself with the greatest respect and
I don't come close to the same
Despite what she's doing I'm never neglected
I still don't know how we became

She's perfect, she's selfless
She's all I'd hoped she'd be
She's hopelessly honest
And she's everything to me

Je n'ai absolument pas regardé Yuki durant toute la chanson. Je me sens malgré moi rougir, comme un parfait imbécile et décide finalement de lever les yeux vers elle. Elle me regarde rêveusement, calme, paisible. J'attends qu'elle ouvre la bouche, ne brisant pas le contact visuel.

-C'est très joli, tu sais. Tu te débrouilles tellement bien. Ca te va mieux que de faire la police tous les soirs à l'académie.

Elle esquisse un sourire, et je ne peux que le lui rendre.

-Merci. C'est la première fois que je joue devant quelqu'un, à part ces chevaux.

-C'est dommage. Je suis sûre que la plupart des élèves tomberaient à la renverse si jamais ils savaient que Zéro Kiriyu jouait de la guitare et chantait !

-Oui ben, vaut mieux pas, je réplique en fronçant les sourcils.

-Ca y est, tu deviens grincheux de nouveau. C'est bon pour les pépés, ça.

J'attrape une bonne poignée de paille avant de la lui lancer en plein visage. Elle riposte immédiatement et m'en envoie le double. Je pose la guitare et me lève, faisant mine de me préparer à la poursuivre. Poussant un petit cri, Yuki se dépêche de se mettre debout et de courir vers le coin empli de verdure. Je la rattrape bien vite et l'attire vers moi par la taille. Je me penche et la fait basculer, la tête en bas, les pattes en l'air. Riant, elle s'agrippe à moi pour ne pas tomber, bien qu'elle sache pertinemment que je ne la lâcherais pas. J'esquisse un sourire avant de l'allonger sur le dos, sur la pelouse, et me positionner de la même manière qu'elle l'avait faite avec moi peu avant dans la paille.

-Et maintenant, qui est en position de force ? je demande, malicieusement.

-Je demande un avocat.

Soudainement, je ressens une atmosphère lourde, qui se rafraîchit, et s'assombrit. Le temps est en train de changer.

-Il va pleuvoir, j'annonce en levant la tête vers le ciel.

-Hein ? Tu es sûr ?

J'abaisse les yeux sur Yuki, qui fronce les sourcils.

-Absolument.

-Encore des trucs de vampire ?

Je hoche la tête, silencieusement. Puis, comme je le sentais venir, il se met soudainement à pleuvoir à verse.

-AAH !

Essayant de me retenir de rire, je me lève et, sans lâcher Yuki, je la remets également sur pieds et nous courons vers l'étable pour nous abriter. La guitare nous y attend bien sagement. Debout, grelottant, nous ne pouvons que regarder la pluie tomber en attendant que ça se calme. Remarquant que Yuki a encore plus froid que moi, je l'attire dans mes bras pour tenter de la réchauffer un peu. Et là, une odeur me monte au nez. Une odeur que je connais terriblement bien, qui répugnerait la plupart des êtres humains à proximité. Mais je ne suis pas un être humain. A mon propre dégoût, je trouve cette odeur affreusement attirante, alléchante, et elle réveille brutalement quelque chose en moi. Délibérément, je m'éloigne de la jeune fille.

-Tu saignes, je lui annonce.

-Quoi ? fait-elle en se tournant vers moi.

Je ne fais que baisser la tête, tentant de me concentrer sur autre chose que cette odeur à la fois infecte et délicieuse. Du coin de l'œil, je l'observe en train de chercher une possible blessure sur son corps.

-Tu as raison…finit-elle par dire. Je me suis coupée à la cuisse.

-Tu devrais vraiment opter pour des pantalons lorsque tu n'as pas cours, au lieu de garder cet uniforme.

Bien que je ne l'aie pas voulu, un ton de reproche était apparu à travers mes mots. Et elle semblait s'en être aperçue. S'éloignant un peu, elle reprend la parole.

-Désolée, je vais aller nettoyer ça. A moins que tu ne veuilles…

-Non !

Je m'éloigne encore plus et pars m'asseoir contre la porte d'une étable. Le cheval qui se trouve derrière ressent alors ma nervosité et mon irritation et commence à s'agiter légèrement.

-D'accord, répond Yuki dans une toute petite voix. On se voit…plus tard, alors.

Elle tente de capter mon regard une dernière fois avant de s'en aller mais je persiste à ne pas lever les yeux vers elle. Alors elle finit simplement par partir vers le Pavillon Solaire. Comme l'odeur du sang disparait peu à peu autour de moi, je m'apaise et réussis à réfréner ma soif naissante. Pour une courte minute. Le souvenir de l'odeur me revient subitement en mémoire, comme un flash, et comme guidé par un coup de folie, je porte ma main à ma bouche et mord brutalement dedans. Le gout de mon propre sang s'écoule sur ma langue et mes lèvres. Mais ça ne me convient pas. Mon corps désire le sang d'un autre être. Je mords plus fort, guidé par la sauvagerie de la bête qui réside en moi. Je sens des gouttes tomber sur ma gorge, à l'intérieur de ma chemise…Je reste comme tel durant encore 3 ou 4 minutes, avant de relâcher ma main. L'examinant, je constate que je me suis quand même sérieusement entaillé la peau. Pathétique.

Je me rends compte que je suis en train de pleurer lorsqu'une brûlure salée se met à lécher ma plaie. Je n'ai pas envie de devenir un monstre. Je me déteste peut-être, mais ça n'aurait jamais été le cas s'il ne m'était pas arrivé ce qui est malheureusement arrivé. Je me remémore étrangement la dernière fois que j'ai pleuré. Ca devait être quelques mois avant le meurtre de mes parents. Je ne sais même plus pourquoi. Tout ce dont je me rappelle, c'est que mon frère m'avait consolé et m'avait serré dans ses bras jusqu'à ce que je m'y endorme. Après ça, j'étais devenu une forteresse. Et voila que je me mets à chialer comme une madeleine. J'ai bel et bien touché le fond.

La pluie commence à s'arrêter, et mes larmes, silencieuses, elles-mêmes disparaissent peu à peu. Je me passe les mains sur le visage, comme pour tenter d'effacer la scène qui vient de se dérouler. Le son des dernières gouttes s'écrasant sur l'herbe éclatante me paraît lointain, comme si j'étais déconnecté de la réalité. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis que je suis resté ici. Je me rappelle à peine où je suis. Soudain, avec faiblesse mais détermination, je plonge la main dans la poche droite de mon jeans, et en ressort une boite de blood tablets. J'en sors quatre et les avale directement. Puis, je repose ma tête contre le bois de l'étable et ferme les yeux, tentant de garder un certain calme et de me détendre, comme si cela allait empêcher le rejet.

Ainsi, quelques minutes après, je ressens une violente contraction au creux de mes intestins et je ne peux m'empêcher de laisser un cri de douleur m'échapper et de m'agripper brutalement le ventre. C'est une douleur aigüe, profonde, et lente. Encore des contractions. Je peux presque visualiser les petites pilules remonter le long de mon œsophage, juste avant de craquer. Je me mets à genoux et recrache ce que j'avais ingurgité un peu plus tôt. Je tousse un peu et m'écrase une nouvelle fois contre la porte. Haletant, et un peu hébété, je sens la douleur s'évanouir peu à peu, et fixe mon regard sur les blood tablets. De la colère naît alors en moi. Je fixe furieusement les petites boules blanches pleines de bave comme si elles allaient réagir à ma soudaine saute d'humeur et aller se planquer sous des brins de paille. J'étais totalement impuissant. Je n'avais plus jamais pu réussir à avaler une blood tablet depuis plus d'un an maintenant. Et je ne pourrai plus jamais. Il fallait que je m'y résigne. Pourtant, j'essaie. Pratiquement tous les jours. C'est vain, et stupide, mais je ne peux m'empêcher d'espérer encore un peu. Cet espoir n'est né que dans le fantasme de pouvoir rester auprès de Yuki au lieu de devenir un monstre totalement dépourvu de sentiments ou de compassion.

Subitement, mon regard se pose sur ma guitare, posée non loin de moi. Sous le coup d'une impulsion, je me penche et l'attrape, avant de revenir à ma position initiale. Je l'installe bien comme il faut sur mes genoux, et entame un morceau. Simplement. Sans paroles. Je me laisse peu à peu bercer par mon propre son et ferme les yeux. La pluie s'est totalement arrêtée dehors, mais je peux entendre les gouttes de la rosée qui roulent sur chaque feuille des arbres, tel quelqu'un qui descend les marches craquantes d'un escalier dans une maison ancienne et branlante.

A/N: D'accord, la fin est plutôt gore sur les bords, mais je voulais absolument, en tant que Zéroinomane, me glisser dans la peau, le plus profondément possible (euh … ?), de ce personnage. Aussi, j'avais plus d'inspi', jusqu'à ce que l'idée de ce OS me vienne comme je me remettais moi-même à la guitare :D (et que contrairement à Zéro, je suis très nulle xD). Merci pour vos commentaires :3 Review !