L'Exaltation du vide
Stingmon renaît de ses cendres…enfin, pas forcément pour longtemps. Je vais essayer d'être brève, mais il y a une ou deux choses que je me dois de dire avant de commencer :
Tout d'abord, évidemment, m'excuser auprès de mes anciens lecteurs pour ma disparition de près d'un an, et pour avoir lâché d'une manière franchement égoïste mes fanfictions précédentes. Je ne peux pas fournir d'excuses valables pour mon comportement, sinon mon inconstance naturelle, et peut-être le fait que j'essaye d'écrire des nouvelles depuis un certain temps, ce qui m'amène à tenter de m'écarter de Je vais peut-être essayer de m'expliquer un peu plus en détails dans mon profil. En attendant, je m'excuse vraiment, mais je ne peux pas promettre de poursuivre mes fanfictions inachevées, ni même de mettre celle-ci à terme. Je commence à me connaître.
Ensuite, je tiens à avertir le lecteur que je viens de me lancer sur une corde raide, c'est-à-dire que j'ai commencé ce chapitre par pure frustration, et que je ne sais pas précisément où tout cela va me mener. J'ai bien un scénario, mais il paraît si étrange que j'hésite…
Quoi qu'il en soit, il ne me reste plus qu'à espérer que cette histoire vous plaira. Je la classerai « T » en raison de thèmes profondément morbides (au sens étymologique, « morbus », la maladie) et peut-être de quelques autres choses assez sombres. Pas de sexe. Fans de porno, condoléances. Je ne sais pas trop quoi dire d'autre sur cette fic, alors je vous souhaite une bonne lecture en espérant que cette introduction ne vous aura pas trop agacés. Le machin sous le titre du prologue s'appelle un épigraphe. Ma grande sœur Nadramon en met aussi. :-)
Prologue : Ci gît Deidara
No light, only suffocating dark
Deep, burning pain
I'm losing everything I am
Remember nothing of my past
Now it's all gone
And I fear the game is over
(Pas de lumière, juste les ténèbres suffocantes
Profonde, ardente douleur
Je perds tout ce que je suis
Ne me souviens de rien de mon passé
A présent, tout est perdu
Et je crains que les jeux ne soient faits)
Sonata Arctica, The world's forgotten, the words forbidden (CD Unia)
Il gisait là. Cela faisait des heures, des jours peut-être, pour ce qu'il en savait. Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? Il n'y avait pas de jour, ici. Juste ces ténèbres poussiéreuses qui desséchaient sa gorge, mais il n'avait pas même la force de se lever et de boire. Immobile, ne s'occupant que de sentir la sourde brûlure, à chacune de ses inspirations, la brûlure qui se propageait dans tout son corps. Depuis combien de temps n'avait-il plus ouvert les yeux ? Et à quoi bon ? Il n'y avait rien à voir, alentour, rien à voir que cette fichue grotte obscure, refuge provisoire des membres désoeuvrés et de ceux qui, comme lui, étaient incapables d'accomplir leurs missions en raison de leurs blessures.
Non, vraiment, rien à voir. Pas son bras droit, gisant à son côté comme l'aile brisée d'un oiseau mort, parcouru de filaments creux et rougeâtres qui commençaient à atteindre son avant-bras.
Ce membre, c'était Kakuzu qui l'avait remis en place, supposant avec une science toute relative que « si ça recolle Hidan, ça devrait recoller les autres » et qu'il n'y avait aucune raison de craindre une réaction de rejet. Deidara laissa échapper une sorte de toux, le seul soupir exaspéré qu'il fût encore capable d'émettre, mais qu'est-ce qu'il pouvait l'emmerder ce connard. Il fallait croire que le zombi avait perdu la main, ou alors qu'il était plus doué pour amasser du pognon que pour mettre sur pied des élucubrations scientifiques, car son opération, toujours impeccable sur son coéquipier, avait abouti en une semaine à une infection de l'épaule. Elle s'étendait toujours. On avait marmonné que la vie du jeune criminel n'était pas en danger, son état devrait se stabiliser au bout de quelques jours. En attendant, ça faisait un bras pratiquement inutilisable, mais pour ce que les membres en avaient à foutre…
Sans réaction, il écoutait le flux et le reflux de la douleur dans ses veines, brûlant son épaule et se propageant jusqu'à ses doigts au rythme de ses battements de cœur. Les mâchoires dans sa paume étaient entrouvertes, desséchées, sans trace du chakra poisseux qu'il mêlait à son argile pour se battre, et que l'on prenait parfois pour de la salive.
Rien à voir non plus en tournant les yeux vers son bras gauche. L'aspect en était plus effrayant encore. Ici, c'était l'œuvre du chef. Il avait fallu le faire régénérer artificiellement, vu ce que le réceptacle de Shukaku en avait laissé. Deidara sourit à ce souvenir, en dépit de toute la douleur ressentie cette nuit-là, car ce qui revenait toujours à son esprit, c'était le reste, la bataille, le vent sec et glacé fouettant ses cheveux, griffant son visage, le parfum sauvage du désert qui dansait dans le vide, le fracas des explosions, vibrant dans le silence nocturne, et son adversaire, le jeune démon debout dans le ciel, qui le fixait de son regard farouche. Une bataille magnifique. Mais dont il n'était pas sorti sans séquelles : le chef de l'organisation n'avait mis à sa disposition qu'un sortilège instable, n'étant pas spécialiste des jutsu médicaux et ne désirant pas gaspiller son savoir-faire pour un jeune subordonné, un peu plus téméraire et sauvage que les autres.
Tout s'était bien passé, d'ailleurs, du moins les premiers jours. Son bras gauche s'était reformé sans problème notable, sinon la douleur, mais la douleur n'était pas un problème notable aux yeux de l'Akatsuki et, bordel de merde, certainement pas du point de vue de Deidara. Une bouche avait même commencé à percer sa paume, et il avait été capable de se battre à nouveau, jusqu'à ce que les sceaux ne perdent de leur stabilité. Avaient suivi des périodes aléatoires de guérisons et de rechutes, durant lesquelles la peau de son bras gauche devenait d'une blancheur d'ivoire, maladive, tandis que le membre lui-même, sec et osseux, sans force, semblait prêt à tomber en poussière. Cela s'arrangeait, parfois, et puis ça empirait de nouveau. En ce moment, il traversait une assez mauvaise période, et ce qui s'accrochait à son épaule ressemblait davantage au bras d'un squelette, où les symboles du sortilège grouillaient comme autant de larves sur la peau blanche et parcheminée, qu'à un organe vivant.
Non, vraiment, il n'y avait rien à voir.
Ca tombait bien, car il ne voyait plus rien.
Depuis deux jours déjà, la fièvre de cette double infection le laissait épuisé et aveugle. Son sommeil était parcouru de délires, dans lesquels d'immenses tâches de lumière envahissaient sa vue, il faisait froid comme dans un tombeau, ses membres le déchiraient, se couvraient de flammes grises, tombaient en cendres, il avait oublié comment ouvrir la bouche et hurler de douleur, il n'avait plus même la force de jurer à voix basse, comme il le faisait autrefois pour tuer le temps. Il restait là, des heures entières, inerte, le visage brûlant, le souffle empoisonné, laissant passivement la douleur l'envahir, par vagues irrégulières qui ne faisaient plus même frissonner son corps.
Il n'entendait pas les autres membres, et ne devinait leur présence que de manière confuse. Il avait également cessé de sentir les regards éteints qu'ils dirigeaient sur lui de temps à autres, avant de se tourner à nouveau, mornes et neutres, vers les parois poussiéreuses. Et ces regards prévenaient, un peu las, complètement désintéressés, ils prévenaient simplement le malade qu'il y avait déjà eu nombre de morts à l'Akatsuki, Sasori, Hidan, Kakuzu, Orochimaru, on ne se donnait plus la peine de les compter, ils avaient été pour la plupart plus efficaces que le jeune artiste trop téméraire, gisant sans force, sans vie semblait-il. Ils avertissaient, sans passion aucune, que c'était aux membres, pas à l'organisation, d'assurer leur propre survie, qu'en un mot, s'il ne trouvait pas la force de guérir lui-même, on le laisserait à son agonie, allongé dans ce caveau obscur, personne ne s'occuperait ne serait-ce que de déplacer son cadavre. Et le malade, bien qu'il ne sentît plus ces regards, les emmerdait tout de même.
Comme s'il n'était pas déjà au courant…
Une grande lassitude envahissait Deidara, le plongeant dans une dépression terne, où pointait encore un peu de frustration. Cela devait venir de ce qu'il était resté trop longtemps sans créer la moindre sculpture explosive, trop loin des griffures du vent et de la lumière du jour. Oui, sans doute. D'un geste lent, pénible et saccadé, il déplaça son bras droit et appliqua le dos de sa main, encore intacte, contre son front en sueur. De la bague qui enserrait son pouce émanait une étrange chaleur, bizarrement réconfortante, comme si l'artiste eût tenu entre ses doigts une créature vivante. Il sentait même, résonnant contre son visage, une pulsation régulière, apaisante, une pulsation qui ne pouvait appartenir à un petit animal, profonde comme le souffle d'un démon assoupi, on eût dit que le cœur qui battait de la sorte régulait un sang plus riche et plus dense que ne contenait ordinairement le corps humain. Mais on ne pouvait pas exactement dire que le réceptacle de Shukaku l'Ichibi, le jeune Kazekage Sabaku no Gaara, fût ordinaire.
Il n'aurait plus manqué que ça, d'ailleurs. Ca avait demandé suffisamment de mal de mettre la main dessus. Deidara aurait dû voir ça venir : avec la réputation de tête brûlée d'avant-garde qu'il s'était faite à l'Akatsuki, on lui refilait souvent des missions ingrates, vaguement déguisées en travail de routine. Celle-ci n'était pas supposée être beaucoup plus subtile que pour les autres réceptacles, à l'origine : capturer vivante la bestiole, la tuer au cours d'une extraction (qui avait tendance à s'allonger à chaque réceptacle en raison des membres qui tombaient tous comme des quilles, mais passons). Il avait sous-estimé son adversaire et perdu un bras, c'était son problème.
Là où c'était devenu mesquin, c'était lorsque le chef lui avait placidement ordonné de s'arranger pour que l'équipe de secours envoyée par Suna et Konoha récupère le cadavre du Kazekage, quitte à agir de manière inconsidérée et à mimer une défaite cuisante. Un autre bras en moins. Sasori, lui, y était passé. Il n'avait laissé qu'un petit cylindre de chair, de la taille d'un rouleau de techniques de l'académie maximum, tout ce qui lui restait, et ça avait quelque chose de ridicule de crever pour ce minuscule morceau de chair peinte.
Par la suite, sans se départir de son ton posé, sans timbre, bizarrement lisse dans cette voix déformée par le sort de communication, l'hologramme avait daigné s'expliquer.
Et, il fallait le reconnaître, le plan n'était pas stupide.
Il ne faisait aucun doute que le réceptacle serait ranimé par l'équipe de secours. En fait, cette équipe n'était d'aucune utilité, puisque Sabaku no Gaara se serait éveillé quelles qu'eussent été les soins fournis, sous terre si la situation l'avait exigé, ne gardant qu'un souvenir un peu flou de l'extraction, un peu raidi les premières heures, et un peu incertain les premiers instants. On pouvait comprendre ce bref regard égaré de la part des réceptacles, quand ils se réveillaient de leur courte mort, sachant qu'ils avaient été arrachés d'une manière assez sauvage et radicale à leur démon, et à ce qui y était lié, à ce qui intéressait réellement l'Akatsuki, davantage que les monstres incontrôlables, à savoir leur source de chakra, leur énergie vitale, leur volonté…
Ou, pour employer un terme plus large, leur âme.
Cet état d'égarement ne durait pas plus de quelques secondes, après quoi l'esprit, machinalement, conformément au sortilège, reliait au corps l'âme lointaine, et le réceptacle recommençait à vivre normalement, comme le faisaient les espions ensorcelés de Sasori, n'attendant qu'un signe pour perdre à nouveau le contact avec eux-mêmes et redevenir des pantins sans volonté. Ils étaient des traîtres innocents, dissimulés derrière leur propre vertu et leur propre intelligence ; des traîtres indétectables, diablement efficaces.
D'ordinaire, on asservissait le réceptacle dès son réveil, et la membre, dont on ignorait le nom et que les autres appelaient entre eux la « seconde » en raison de la place particulière qu'elle semblait occuper auprès du chef, Deidara soupçonnait avec quelque mépris un recours à la prostitution, bordel de merde, ça lui foutrait la migraine de se faire greffer trois grammes de dignité dans la cervelle ? la membre donc se chargeait de les entraîner pour leurs missions futures.
Gaara, cependant, avait ceci de spécial qu'il était seigneur du vaste pays de Suna, leur principal adversaire avec Konoha, qu'il semblait même s'être attiré la dévotion de la grande majorité de son village, et plus intéressant encore, qu'il entretenait une relation de confiance avec Konoha et le réceptacle y résidant, Naruto Uzumaki.
Il aurait été dommage de manquer une occasion pareille.
Deidara avait par conséquent rempli cette nouvelle mission, tant bien que mal, et le jeune démon se trouvait présentement dans l'enceinte de Suna, sain et sauf, en possession même de l'intégralité de son pouvoir, toujours étroitement lié qu'il était à Shukaku, travaillant avec sérieux à la tête de son cher village, sans se douter qu'il suffisait à l'Akatsuki d'un geste minuscule, à peine l'esquisse d'un sort très simple, pour qu'il tombe définitivement sous leur emprise, pour qu'il ordonne à ses subordonnés de déclarer la guerre à Konoha, pour qu'il tue ses proches, pour qu'il mette, par ses directives, les armées de Suna en déroute, pour qu'il capture lui-même le réceptacle de Kyûbi.
On attendait.
Les battements de cœur résonnaient doucement, réguliers et sereins, emplissant son corps rongé par la fièvre. Le créateur d'explosifs avait mis du temps à s'habituer à cette pulsation, et à la chaleur corporelle que la bague s'était mise à diffuser dès le réveil du jeune démon dont, à présent, elle détenait l'âme. Egaré dans un demi-sommeil douloureux, peuplé de délires, il lui arrivait de prêter l'oreille à ce son paisible, l'écoutant des heures entières, puisant une sorte de réconfort dans ce fragment de chaleur humaine, bizarrement soulagé de savoir cet être quelque part à l'air libre, si loin de la grotte empestée, dehors dans le désert immense, comme si les battements de cœur contre sa tempe devaient faire passer le vent de Suna dans son propre sang.
Il se demandait parfois, confusément, quand il était trop excédé par l'immobilité de la grotte obscure, l'immobilité de l'air empoussiéré, sa propre immobilité de cadavre, ce que l'adolescent faisait au même instant, ce qu'il voyait, ce à quoi il pouvait bien penser, là-bas, à l'extérieur. Son rythme cardiaque, lent et immuable, ne lui donnait que de maigres indices, mais parfois le jeune artiste enterré croyait entrevoir une lumière aveuglante, incendiant l'air, les dunes de sable doré, leur parfum sauvage soulevé par le soleil, et le vide, le vide infini fouetté par les rafales qui faisaient bruisser le désert entier, mais peut-être, peut-être n'était-ce qu'une nouvelle hallucination de son cerveau malade, rompu de douleur et de fatigue.
Et le temps passait.
Son corps était lourd, inerte et insensible, on l'eût dit couvert de brouillard. Deidara ne tentait plus de remuer, ses paupières elles-mêmes semblaient s'être changées en pierre. Un voile noir de songes alourdissait son esprit, se déformait lentement devant ses yeux clos, bourdonnait à ses oreilles. Il n'entendit pas le pas étrangement glissant d'un membre qui s'approchait, et ne sentit son regard que lorsqu'il prit la parole, dans un murmure rauque qui ne soulevait pas d'écho :
-Il ne bouge plus.
Silence
-Tu crois ? Reprit-il.
La phrase atone ne ressemblait pas à une question.
-Non, il ne bouge plus. Et il n'a rien bu aujourd'hui.
Toujours la même voix morne. Deidara sentait le regard asymétrique examiner sa silhouette sombre et immobile, et en se concentrant au point de se donner le vertige, il entendait une respiration rauque, ainsi que le bruissement d'une plante carnivore qui brassait l'air poussiéreux en s'ouvrant et se refermant. C'était Zetsu.
-C'est vrai. Il ne bouge pas.
La voix sans timbre ne lui parvenait que faiblement, imprécise, c'était pénible de se concentrer pour en comprendre le sens. L'artiste voulut lui ordonner d'aller se faire foutre et de continuer à papoter avec son côté gauche dans un autre coin de la grotte, mais pas un muscle de son visage ne remua.
-Il est faible, continuait la voix, un peu sifflante. Il est malade. Il va bientôt mourir.
Son corps s'était-il réellement changé en pierre, s'était-il fondu avec la poussière froide jonchant le sol, pour être incapable même de desserrer les lèvres ? Le dialogue morne et solitaire du criminel, debout dans le noir, lui donnait à chaque mot prononcé une désagréable sensation de froid courant le long de son dos, qui l'agaçait prodigieusement. Il faisait très froid dans la grotte, un froid de tombeau qui engourdissait son corps en sueur, il n'y avait que la chaleur de la bague contre son front. Un temps, ce fut le silence, et puis Zetsu reprit la parole. Sa voix était basse, éteinte, seule sa respiration rauque et saccadée trahissait son excitation :
-Mangeons-le.
-Nous n'avons pas le droit, continua-t-il plus raisonnablement, ne dis pas des choses stupides. Deidara est un coéquipier, et il n'est pas encore mort. C'est interdit.
-Il ne se relèvera plus. Il a déjà capturé un réceptacle. Il est faible. L'Akatsuki n'a plus besoin de lui.
Il faisait de plus en plus froid, mais il n'avait pas la force de frissonner. Sa peau ne se couvrait plus de chair de poule, le froid était comme une poigne immobile et glacée qui pénétrait jusqu'à ses os, un froid cadavérique. Il ne sentait plus son corps, il ne pouvait pas ouvrir les yeux, cette voix sans timbre lui tapait sur les nerfs, merde, qu'il s'en aille.
-Non, c'est une mauvaise idée. Il n'y a plus beaucoup de membres. Hidan et Kakuzu sont morts, et nous pouvons être attaqués à tous moments. Le chef sera furieux si nous le mangeons. Il est jeune. Peut-être survivra-t-il…
-Il ne survivra pas, reprit-il sans changer de ton. Il est en train de mourir. Le chef s'en moque, il laissera les sortilèges le ronger, il laissera son corps pourrir dans le noir. Il a les réceptacles. Il n'a plus besoin de lui.
Zetsu hésitait. Sa respiration s'était accélérée, le regard insistant qui tombait sur le jeune criminel faisait courir des frissons glacés le long de son échine. Il voulait ouvrir les yeux, mais de la poussière semblait s'être accumulée sur ses paupières closes, il voulait lui crier de foutre le camp, mais sa gorge desséchée n'avait plus de voix, ses lèvres craquelées étaient soudées ensemble par une mince pellicule de sang coagulé. Son corps ne répondait plus, il ne restait que ces vagues glacées, ce froid de cave contre sa peau brûlante qui ne le faisait même plus frémir, inerte, qu'il s'en aille, qu'il s'en aille…Ses battements de cœur s'étaient accélérés, exacerbés par son impuissance, qu'il s'en aille, dans le brouillard douloureux qui s'était formé dans son esprit, une unique pensée surgissait.
Avait-il peur ?
-Regarde, il est malade, il ne peut plus bouger. Le chef ne dira rien. Il sait que nous sommes de mauvaise humeur. Nous n'avons pas mangé. Hidan est mort, et nous n'avons pas pu le manger. L'infection sur son bras va encore s'étendre. Dévorons-le maintenant.
Avait-il peur ? Il n'avait jamais craint Zetsu auparavant.
-Si nous ne le mangeons pas, il se détruira lui-même. Il ne restera rien pour nous. Il est faible. Il est en train de mourir. Tu sais que nous avons faim.
Il n'avait jamais eu peur des autres membres, pas même à son arrivée, alors qu'il n'avait pas treize ans, déjà grand pour son âge, maigre comme une liane, le visage et le corps couverts de charbon, la voix éraillée d'avoir avalé trop de cendre, ses cheveux brûlés atteignant tout juste ses oreilles, le regard fiévreux, exalté par la beauté des explosions.
Même à cette époque, il n'avait pas eu peur d'eux. En fait, il les avait à peine remarqués, tant sa vision était envahie de flammes. Aussi s'était-il jeté crânement, enthousiaste et inexpérimenté, au milieu de ces criminels taciturnes. L'organisation le couperait de ses attaches, et c'était ce qu'il voulait. Il serait un criminel, libre de tout remords, il serait un traître, libre de tout étendard. Il serait un artiste. L'Akatsuki lui donnerait ce dont il avait besoin.
Alors, songeait confusément son esprit malade, miné par la fièvre, alors, que se passait-il ? A quel moment les choses avaient-elles perdu leur sens ?
-J'ai faim…Admit lentement le criminel aux yeux pairs.
-Oui, tu as faim. Moi aussi. Nous pouvons manger, maintenant, le chef ne dira pas un mot. Deidara ne vaut plus rien. Tu vois ? Il meurt. Sasori non plus, nous n'avons pas pu le manger. Il n'y avait rien, rien que ce minuscule morceau de chair vidée de sang. Mais lui, il ne pourra pas s'enfuir, nous le mangerons…
L'allusion à Sasori l'agaça. Cet enfoiré de cannibale ne pouvait-il pas simplement la boucler et disparaître ? Cependant il ne put réagir, son corps était trop lourd, il ne restait plus que ce froid de sépulcre qui achevait de le paralyser, ainsi que ses pensées, aliénées par la douleur, qui désordonnaient son rythme cardiaque et lui donnaient le vertige.
La mort de Sasori…C'était peut-être ça, ce qui s'était passé. Il ne s'habituait pas à cet attardé de Tobi, grotesque et strident, stupide à se fracasser la tête contre un arbre, au point que le créateur d'explosifs s'était surpris à regretter le silence buté de son ancien partenaire.
Sa mort avait déçu le jeune artiste. Non pas qu'il ait cru un instant aux divagations du déserteur sur l'immortalité. Mais il l'avait considéré comme un grand personnage, quelqu'un qui, s'il ne forçait pas l'admiration, était du moins digne d'un certain respect. Il avait été le seul membre de l'Akatsuki à prononcer le mot « art », à voir quelque chose au-delà de ce monde étriqué, tâché de sang et de boue, dans lequel étaient confinés les autres shinobi. Il voyait mal, mais il voyait.
Et il était mort. Et ça n'avait strictement rien changé. Deidara avait vu son cadavre, le même corps vide, de la même couleur terne, le même visage neutre, les mêmes yeux éteints, dépourvus de regard. Juste ce fichu cylindre de chair desséchée, percé en son centre, et c'était tout.
Même avant cela, de toute manière, il avait cessé de vivre. A quel moment, le jeune criminel n'aurait su le dire, mais il s'était éteint. Ses discours sur l'immortalité de l'œuvre, et de l'artiste à travers elle, avaient commencé à sonner creux, n'avaient plus servi que de voile masquant sa fuite de la mort, cette mort qui l'avait déjà quittée depuis longtemps, imbécile, partie en même temps que ta vie et la lueur dans ton regard. De l'artiste, il ne restait qu'un néant poussiéreux, une négation perpétuelle de la fin, Deidara ne l'appelait plus « Maître » que par habitude. Sa mort ne lui avait rien pris, il n'y avait plus rien à prendre, que ce ridicule morceau de chair peinte. Quand ce changement s'était-il opéré ? Il l'ignorait.
-Il est malade, lui parvint la voix hésitante de Zetsu. Ses deux bras sont infectés. Nous ne pourrons pas les manger.
Frisson glacial. Le criminel changeait de position. La partie affamée, la gauche peut-être, ou la droite, mais putain, qu'est-ce qu'il pouvait s'en foutre pour le moment, gagnait du terrain sur l'autre. C'était mauvais signe.
-Il y a encore le reste. N'attendons pas que la maladie se propage. Sa chair semble tendre. Davantage que celle des autres.
Son sang se glaça.
-C'est vrai, murmurait le cannibale, sa chair semble plus tendre que les autres. Plus que celle d'Itachi, peut-être. Je me demande…
Merde.
Ce fut tout ce à quoi il pût songer. Il ne sentait pas son corps.
Bordel de merde. Se pouvait-il que…
Inconsciemment, il (il, bon sang, il) tenta de porter une main à son torse. Pierre. Ses doigts ne pouvaient pas bouger. Silence, douleur, ténèbres, si lourdes. Son cœur battait à tout rompre, irrégulier, en contretemps avec la pulsation paisible du réceptacle, contre sa tempe. Au-dessus de lui, la créature, mi-humaine mi-plante, commençait à trembler. Sa voix était de plus en plus rauque, sa respiration plus saccadée que jamais.
-Il est vivant. Son cœur bat plus vite. Il a peur, tu le vois ? Il va mourir, dévorons-le maintenant. Je le vois. A-t-il vraiment peur ? Il a peur. Mangeons-le, n'est-ce pas ? Oui…
Sa tête tournait, la douleur le laissait brisé comme une épave, immobile, son esprit enfiévré haletait confusément il sent ta peur, tu deviens une proie, il faut que tu sois calme, ta peur l'excite…Il faisait mortellement froid, tout était immobile, mort, n'avait jamais vécu, néant poussiéreux et glacial de tombeau (pourquoi n'était-il pas dehors ?), il ne restait plus que les battements de cœur réguliers du jeune seigneur, si loin d'ici, la chaleur apaisante contre son visage.
Les paroles du criminel lui parvenaient dans un brouillard, il n'en comprenait plus le sens, et il lui semblait, dans son état de faiblesse, que cette voix était creuse, comme altérée. Il se dessèche, il est en train de mourir. Dans son cerveau malade, envahi d'hallucinations, plongé dans un état d'inertie proche du songe, cela paraissait mystérieusement évident et inexorable. Ils mouraient, lui et les autres. Les réserves de chakra de Kisame se tarissaient. Itachi devenait aveugle. Hidan s'affaiblissait à chacun de ses sacrifices, il avait fini par mourir. Tous, ils tournaient leurs regards éteints vers les parois obscures, fuyaient la mort, mais il n'y avait déjà plus de vie, l'Akatsuki s'effondrait, les sorts tombaient en poussière, ça n'avait pas de sens, à quoi pensait-il ? Sa gorge était sèche, son cœur emballé lui faisait mal, calme-toi ou il te bouffera pour de bon.
Peut-être finit-il par saisir le sens des signaux désespérés qu'émettait son esprit malade, car il se força à respirer régulièrement. L'air poussiéreux brûlait son nez et sa gorge à chacune de ses inspirations. C'était un air mort, immobile et froid, dépourvu d'oxygène, qui ne faisait qu'ajouter à sa panique une oppressante sensation de claustrophobie. Pourquoi n'était-il pas à l'extérieur ? Il n'arrivait pas à se souvenir. Ses repères tranchés, Deidara se mit à écouter la pulsation sereine contre son visage, oubliant tout le reste, la grotte sombre et empestée, les divagations macabres du criminel debout devant lui, son corps paralysé dont les bras se décomposaient, comme s'il n'y avait rien d'autre au monde que les battements de cœur réguliers d'un jeune homme, quelque part dans l'immensité désertique. Le martèlement paisible résonnait à ses oreilles, se répercutait dans tout son corps vide, rongé par la souffrance, semblait vibrer sous sa peau, son propre cœur en imitait peu à peu le rythme posé.
Que pouvait-il bien faire, le jeune réceptacle d'Ichibi ? Sans doute rien de bien passionnant, les diverses tâches d'un Kazekage, dont il assurait toujours la fonction avec sérieux, réunions, paperasse, tout ce qu'on a pu inventer d'assommant en politique, mais bon, si ça le faisait marrer…
Peut-être, cependant, peut-être ne faisait-il rien, et se contentait-il de contempler son désert, comme lors de ce crépuscule sanglant où il avait aperçu, tournoyant dans le ciel assombri, un grand oiseau blanc qu'il ne reconnaissait pas.
Le jeune artiste s'efforçait de se figurer ce paysage, tel qu'il l'avait vu pendant leur combat, les dunes teintes d'un or sanglant le soir, les falaises dentelées, le vent glacial, le village fouetté par les rafales nocturnes, dont il avait survolé les ruelles vides. C'avait été un beau combat, le désert mouvant, docile aux ordres de l'adolescent immobile, le sol lui-même s'élevant vers le ciel, et il n'y avait plus de limite, nulle part, rien qui pût altérer la beauté dramatique des explosions dans le silence de la nuit, éclairant brièvement leurs visages. Et plus le jeune artiste se remémorait cette bataille, les battements de cœur de son adversaire s'amplifiant dans son corps creux, plus il se demandait ce qu'il fichait là, enterré vivant dans une grotte sans oxygène, pourquoi il n'était pas à l'extérieur.
Et il ne trouvait aucune réponse.
Un souffle glacé sur son visage lui donna un haut-le-cœur. Il y avait une respiration rauque, sifflante, à quelques centimètres de son oreille, ainsi que le soupir glauque qu'exhalait l'air poussiéreux, brassé par les énormes mâchoires d'une plante carnivore. Zetsu s'était approché. Sois calme. C'était pas comme s'il pouvait faire un geste, bordel. Gaara, lui, conservait un rythme cardiaque profond et régulier, d'une sérénité de moine bouddhiste méditant dans la position du lotus, ça avait quelque chose de franchement frustrant, d'assez drôle, et aussi, surtout, de stupidement rassurant. La pulsation lente dominait toutes ses sensations, désormais, étouffant jusque sa fatigue et sa souffrance. Deidara aurait été incapable de distinguer ses propres battements de cœur. Il s'en foutait pas mal.
Incapable de frémir, il sentit le contact, froid et répugnant, de doigts flasques qui appuyaient légèrement sur son épaule, sur son avant-bras encore intact, sur sa tempe. L'espion de l'Akatsuki parlait. Sa voix amorphe, un peu sifflante, semblait hésiter.
-Sa peau est brûlante. Il est malade. Ce n'est pas bon à manger. Aucune importance, dévorons-le maintenant. Tu crois ? Il a peur. Il est faible. Mangeons-le…
Sa voix mourut sur ses lèvres. Le cannibale réfléchissait. Ses doigts n'avaient pas quitté la tempe de son coéquipier, en éprouvant la chaleur fiévreuse avec concentration. Le contact était écoeurant contre le visage du jeune artiste, froid et poreux, un peu flasque, semblable à la peau d'un champignon de cave. Cela ne faisait qu'ajouter à l'exaspération de son cerveau malade, uniquement tempérée par la pulsation du jeune seigneur émanant de la bague, à force il avait dû lui éviter un arrêt cardiaque.
-Je ne suis pas sûr qu'il ait peur. Il ne bouge pas. Mangeons-le tout de même. Je ne sais pas…
Les doigts poreux descendirent jusqu'à son cou, appuyant légèrement entre l'os et la carotide, surveillant son rythme cardiaque, mais Deidara lui-même avait oublié à quelle vitesse battait son cœur. A demi conscient, aliéné par la douleur, le fil de ses pensées s'embrouillait, Zetsu était en train de mourir, l'Akatsuki s'effondrait, pourquoi n'était-il pas dehors, les battements de cœur réguliers du réceptacle, qui semblaient ne jamais devoir s'arrêter et régulaient sa propre respiration, les regards éteints, le cylindre de chair peinte, vidée de son sang, les parois poussiéreuses, l'air immobile, le contact répugnant des doigts flasques contre sa peau, les regards sans vie des membres qui attendaient, et toutes ces questions dont il ne trouvait pas la réponse.
« Bon sang…Mais qu'est-ce que je fous là ? »
-Il est calme, murmura Zetsu. Il dort.
Il y eut un long silence.
-Mangeons-le.
La voix n'était plus sifflante, encore un peu rauque tout de même, mais surtout terne, atone, ne soulevant pas d'écho dans la grotte dépourvue d'air.
-Non, reprit-il enfin. Nous n'en avons pas le droit. Il dort. Peut-être est-il en train de guérir.
-Nous avons faim.
Le criminel se redressait lentement, son large manteau noir effleurant la poussière du sol avec un léger froissement. Les mâchoires végétales, de part et d'autre de sa tête, ne s'agitaient presque plus.
-Nous attendrons. Ils finiront par mourir, lui ou un autre. Alors, nous les mangerons. Le chef nous l'a promis. Bientôt…
La voix s'éloignait, de plus en plus étouffée entre les parois poussiéreuses de leur refuge. Aveugle, Deidara écouta son pas un peu glissant qui s'estompait, jusqu'à ce qu'il ne reste plus, dans la grotte obscure, que le silence. L'épuisement de ses nerfs douloureux le recouvrit comme une vague, et il manqua de s'évanouir. D'immenses tâches de lumière se déformaient devant ses yeux clos. Pendant quelques secondes, il ne pensa plus à rien.
L'idée lui vint, au bout d'un temps qu'il aurait été incapable de mesurer, que ce serait franchement idiot de crever de soif au fond d'une grotte, après avoir survécu de justesse à un certain nombre de situations inconfortables, dont la liste venait de s'allonger. A présent que Zetsu n'était plus au-dessus de lui à le dévisager comme un morceau de steak, cela parut presque simple de se redresser en s'appuyant sur son seul bras gauche, dont les filaments rougeâtres semblaient le brûler jusqu'à l'os, et de se traîner vers le récipient de terre cuite à moitié vide, placé non loin. L'eau avait un goût de poussière et de sang, allez savoir qui avait bu là-dedans avant lui, mais il n'était pas en état de s'en apercevoir.
Alors que le jeune artiste s'allongeait de nouveau, éreinté, et qu'il replaçait contre son front brûlant le dos de sa main, les battements de cœur de Gaara, dont la bague reproduisait le martèlement étrange, se désordonna quelque peu, reprenant à un rythme plus rapide et irrégulier. Deidara, c'était dire à quel point il s'emmerdait, trouva le phénomène plutôt amusant.
Il laissa sa tête glisser sur le côté, ses cheveux blonds souillés par la poussière dissimulant ses yeux clos, et murmura d'une voix fêlée, un léger sourire ironique sur ses lèvres craquelées :
-Eh…qu'est-ce qui t'arrive ? Hm…
Save me
Save me
Save me
Take me away
Away from this time
But where lies my home ?
(Sauve-moi
Sauve-moi
Sauve-moi
Emporte-moi, au loin
Loin de cette époque
Mais où serai-je chez moi ?)
(idem)
Merci à Nadramon pour ses conseils, nos coups de gueule ( 8D )et son expérience en matière de traduction de l'anglais, nettement supérieure à la mienne.