Disclaimer : …plus le temps passe, plus je me dis que c'est mieux qu'ils ne soient pas à moi…

Titre : Vivre sans lendemain

Auteur : Shirenai (ou Nightmare), jusqu'à preuve du contraire (je tiens cependant à remercier mes chiwies Disaster et Lost Cause qui ont plus ou moins contribué à une petite partie de l'écriture de ce premier chapitre… si vous passez là, les filles…)

Genre : UA, et je ne vois pas vraiment quoi mettre de plus…

Pairing : Je ne sais pas trop si on peut appeler ça un pairing, mais de toute façon je ne vais pas vous le dire dès le début, ça casserait l'intrigue avant le premier chapitre…

Rating : M, ça vaut mieux…

Sur ce, bonne lecture.


Parfois, il m'arrive de me poser des questions étranges, stupides, auxquelles je ne peux bien sûr pas répondre. Par exemple, alors que je travaillais, j'ai regardé par la baie vitrée qui fait face à mon bureau, et je me suis demandé ce qu'il adviendrait de moi après ma mort. Allez comprendre…ce sont toujours des interrogations existentielles, n'ayant pour la plupart aucun rapport avec mon occupation du moment. Je ne doute pas du fait que je ne suis pas le seul, à penser à ce genre de choses, mais au fur et à mesure, je me dis que je perds mon temps à me focaliser sur des détails insignifiants. La vie s'envole sans qu'on ait la possibilité d'en saisir la valeur réelle. Si je n'avais pas conscience de ça, je regarderais mon existence d'un œil morne, et je n'en comprendrais pas le sens. Tout comme les éphémères à l'échelle du monde, nous ne sommes rien ; notre passage sur Terre n'est qu'une fraction de seconde dans l'immensité de l'univers.

Je philosophe, mais il est important pour moi de dire ces choses qui pourtant peuvent paraître évidentes ou stupides ; car quand bien même tous les humains savent que leur destin commun est de naître, vivre puis mourir, rare sont ceux qui ont su agir en conséquence. Les hommes sont de nature changeante, qui plus est variée, et ceux qui ont modifié le cours de l'Histoire sont les premiers à s'être aperçus de l'insignifiance de leur existence. Ils avaient peut-être un rêve, un idéal à grande échelle, et ont tenté de le réaliser. J'admire ces personnes, qui malgré leur conscience du fait qu'elles étaient un jour ou l'autre condamnées à mourir se sont battues, élevées contre leur réelle destinée, jusqu'à gagner. « Les hommes s'élèvent et retombent », mais une poignée d'entre eux demeure dans les livres, les mémoires, les témoignages. De par la rareté et l'exception qu'ils représentent, ils enfoncent les autres, la masse, la plèbe, celle qui reste insignifiante, synonyme d'oubli.

En écrivant ces lignes, je me distingue déjà du peuple moyen qui s'éteindra à jamais. Ce que j'ai vécu m'a fait prendre conscience de ce que je suis, veux et obtiendrai. Il ne m'a fallu qu'une seule phrase, pourtant, et j'ai soudain ouvert les yeux. J'ai compris, et je m'attèle à la réalisation de mon rêve. Je vais marquer les mémoires, arrêter le temps sur moi, et vous qui lisez ça y contribuez déjà. « Une rencontre peut changer une vie », ça fait très cliché, mais « Une phrase peut changer une vie », ça intrigue beaucoup plus, non ? Cependant, la rencontre avec la personne qui a prononcé les mots contribue à changer l'existence, mais passons, on en revient au point de départ…je n'aurais jamais soupçonné un tel type de retournement de situation, et à bien y regarder, c'est vraiment insolite. Mais je n'ai que trop tergiversé ; je vais maintenant faire le récit des événements qui m'ont conduit aux conclusions que j'ai déjà données…

« Mesdames et messieurs, nous interrompons ce programme pour diffuser un flash spécial. »

- Ah ? Qu'est-ce qui a bien pu se passer de si grave ?

« Suite à la réouverture d'un dossier criminel irrésolu, une nouvelle enquête a été commencée… »

- Rah, abrège, c'était supposé être un flash, merde !

« …éléments auraient permis à la police de se mettre sur la piste de l'assassin, encore inconnu à l'heure actuelle. »

- Et donc ?

« …dix ans après le massacre… »

- Bordel, ce que c'est grandiloquent…

« …selon toute vraisemblance, il s'agirait de… »

- Mais qu'est-ce qu'elle me gonfle !

« …cependant, devant le manque d'éléments dont nous disposons, la chaîne recherche des journalistes qualifiés afin de s'investir pour couvrir l'affaire. Si vous avez également une quelconque information susceptible de nous aider, merci d'appeler au numéro qui s'affiche en bas de votre écran. »

- …

Soudainement intéressé, je pris rapidement le papier et le stylo qui me suivaient à peu de choses près partout, et relevai la suite de chiffres. Satisfait, je ne pris pas la peine de regarder la météo, et allai me coucher en bâillant. Demain serait une longue journée, et je savais très bien que j'avais amplement besoin de mes huit heures de sommeil pour travailler de manière efficace –et, accessoirement, éviter de m'emporter au moindre échange de paroles un peu vif avec mes collègues. Vérifiant que mon réveil était activé, je me déshabillai, mis mes vêtements au sale, et enfilai un caleçon avant de me glisser sous les draps. J'eus un court instant l'impression d'avoir oublié quelque chose d'important, mais je ne voyais pas quoi. La vaisselle était faite, la porte verrouillée, les volets clos, mes affaires pour le lendemain prêtes, mes dents brossées…non, je ne parvenais pas à saisir ce qui me chiffonnait.

Me retournant, je tentai de réfléchir de manière plus poussée, mais force m'était de reconnaître qu'après onze heures de travail bien chargées, mon cerveau se mettait automatiquement en veille. Je réalisai cependant quelques minutes plus tard LE détail qui posait problème. Mes cheveux…je ne les avais pas défaits…je grognai, pestant contre ma négligence. S'il y avait en effet un truc qui m'horripilait, c'était bien de me réveiller avec les cheveux dans un sale état. J'y tiens, je n'y peux rien. Je me relevai, traînant des pieds jusqu'à la salle de bains, et une fois devant le miroir mural, je défis l'élastique. J'entrepris ensuite de démêler mes mèches, résolu à ne pas me recoucher tant que ma précieuse chevelure n'aurait pas retrouvé sa douceur légendaire. Par bonheur pour moi et mes heures de repos, la brosse glissait aisément entre mes cheveux. Je pus donc regagner prestement l'obscurité de ma chambre, et m'endormis rapidement, épuisé par la journée de travail que j'avais passée.

Chose curieuse ; je m'éveillai dix minutes avant que la sonnerie stridente de mon réveil n'ait pu me vriller les tympans. Etonnant…moi qui d'habitude traînais au lit jusqu'à me rendre compte que j'étais en retard me retrouvais à me réveiller à six heures moins dix…agréablement surpris, je me levai et allai prendre une douche chaude. L'eau coulait le long de mon corps, réchauffant petit à petit ma peau pâle. Une fois lavé, je terminai de me préparer, et avalai une tasse de café bien noir. L'heure avait tourné, et j'allais presque être légèrement en retard. Attrapant à la volée une veste longue et ma serviette, je courais en tous sens dans mon appartement pour éviter d'oublier mes clés de bureau, de voiture, de maison. Je m'apprêtais à fermer le verrou derrière moi quand j'avisai le papier sur la table basse. Hésitant quelque peu, je revins finalement le prendre, espérant par ce geste que mes horaires me laisseraient l'occasion d'appeler au numéro que j'avais griffonné à la hâte sur le morceau de feuille.

Je sortis, certain cette fois de n'avoir rien oublié. Une fois sur la route, je m'autorisai un soupir de soulagement. J'avais mes petites habitudes, sachant sur le bout des doigts à quelle heure il était plus ou moins judicieux de circuler en véhicule motorisé dans les rues noires de foule de Paris. J'arrivai à mon bureau quand la trotteuse de l'horloge de l'entrée achevait son tour pour indiquer huit heures exactes. Je souris discrètement, satisfait, et dirigeai mon regard vers la pile de travail qui ne semblait attendre que moi. Un soupir franchit mes lèvres lorsque je repensai au fait qu'il fallait que je contacte la chaîne qui avait diffusé le flash de la veille. Je n'en aurais sans doute pas la possibilité…promenant mon regard sur le reste de la pièce, je croisai les yeux d'un collègue. Nous échangeâmes un sourire poli, plus ou moins chaleureux selon notre degré de proximité avant de nous replonger dans nos occupations respectives.

Pour ma part, je devais éplucher une certaine liste d'articles, en récupérer les informations principales ; puis, avec des compléments personnels issus de mes propres recherches, je devais traiter du sujet à ma façon, en écrivant un texte pertinent, cursif et complet. Tout en parcourant les gros titres, je m'étonnai de ne pas encore avoir croisé mon patron dans les locaux. Cet homme énigmatique était en effet très consciencieux, et tenait à ce que la qualité du travail fourni soit optimale. Il n'était donc pas rare de l'entrevoir, surtout pour s'assurer que nous étions tous là, en train de plancher sur nos dossiers ou chroniques.

Il était déjà bien huit heures et demie quand je vis sa silhouette élancée se découper dans l'entrée. Sa mine était étrangement soucieuse ; ou, du moins, devrais-je dire, un peu plus que d'ordinaire, et ses pupilles sautaient nerveusement d'un endroit à un autre. Il avait le teint pâle, ce qui offrait un surprenant contraste avec le charbon de ses yeux. Ses cheveux mi-longs, de la même teinte que son regard, retombaient quelque peu devant son front, zébrant son visage finement dessiné de grandes rayures noires.

Quand il s'aperçut de ma présence, il sembla se calmer légèrement, et m'adressa un discret signe de tête m'enjoignant de le suivre. Intrigué, je me levai silencieusement pour lui emboîter le pas. Marchant dans l'étroit couloir qui conduisait à son bureau, j'étais en proie à une foule de questions toutes plus angoissantes les unes que les autres. Avais-je fait quelque chose de mal ? Mon dernier article n'avait-il pas rempli la commande ? Etais-je en train de vivre mes derniers instants au service de ce journal ?

Trop absorbé que j'étais dans mes interrogations, je n'avais pas remarqué que nous avions atteint la pièce fatidique, et que mon directeur s'était assis en face de moi, me désignant un siège. Il toussa discrètement, puis fixa un peu plus son regard dur sur moi. Je revins à la réalité, m'excusai confusément en marmonnant de manière incompréhensible avant de prendre place sur la chaise.

Mon supérieur appuya les coudes sur la table, et posa son menton sur ses longs doigts entremêlés. Ses deux orbes sombres me sondaient, contenant toujours cette froideur arrogante de l'homme qui domine les autres. Nos relations étaient pourtant d'ordre relativement amical compte tenu du fait que je refusais plus ou moins vivement de courber la tête devant lui. Il avait eu au début beaucoup de mal à obtenir ce qu'il voulait de moi sans concession, et du coup, je m'étais attiré sa sympathie. Malgré ça, à l'heure actuelle, j'avais peur.

De quoi, je n'en savais à vrai dire rien. Une peur maladive me nouait sournoisement les entrailles, serrait et asséchait ma gorge. Le sang me battait aux tempes, tapant furieusement contre mes veines. Une subite migraine me vrillait la tête, et je dus fournir des efforts considérables pour ne pas porter ma main à mon front et garder une apparence neutre. Je soutins silencieusement le regard de mon directeur, me refusant à ciller jusqu'à ce qu'il n'en vienne au fait. Il parut hésiter, chercher ses mots un court instant, puis se décida finalement à prendre la parole, de sa voix placide et mesurée :

- Tu as vu les informations, hier soir ?

- …

Alors c'était pour ça qu'il m'avait convoqué ? C'était prévisible, mais je ne m'y attendais pas à ce moment-là. Mes peurs s'envolèrent plus ou moins ; ce n'était que ça. Enfin, que ça, c'était vite dit. S'il prenait la peine de m'en parler, ça devait bien être pour une raison valable. Oui, j'en étais absolument convaincu. Pourquoi ? Parce que mon patron ne faisait jamais quelque chose sans motif. Le directeur du journal le plus lu de Paris, Sasuke Uchiha, ne supportait pas les actes et paroles inutiles. Me souvenant qu'il m'avait posé une question qui pour l'instant demeurait sans réponse, je dis de la manière la plus neutre possible :

- Oui.

- Bien. Tu as donc pu constater que cette affaire me concerne de très près, je suppose ?

- …oui, murmurai-je en me souvenant du flash télévisé.

- Je vais t'expliquer à présent pourquoi je suis devenu journaliste, et j'en viendrai ensuite à la raison même de cet entretien.

J'opinai silencieusement, quelque peu surpris par sa subite loquacité. Vrai que généralement, il se bornait à des phrases courtes, voire monosyllabiques. Sans que je ne lui montre mon étonnement quant à sa soudaine envie de parler, je le laissai poursuivre, attendant la suite :

- Disons sans foncièrement entrer dans les détails que je cherche à prouver la culpabilité de la personne que tu as vue hier, et, de manière plus générale, faire éclater au grand jour toutes ces affaires que la police n'est pas en mesure de résoudre, celles qui sont inconnues du public. Je me battrai jusqu'au bout pour me venger, mais pas de manière aussi basse que la sienne. Mon nom est déjà souillé par le sang, je n'ai plus rien à perdre. Il m'a tout pris, ajouta-t-il dans un murmure…

- Que viens-je faire là-dedans ?

- Je suis directeur de ce journal, je ne peux pas décemment me permettre de me consacrer à des recherches d'une telle envergure. Tu vas donc enquêter non pas pour le compte de la chaîne, mais pour moi. Tu es mon meilleur journaliste, et tu as toute ma confiance. Qui plus est, je sais que tu as des contacts un peu partout dans la ville, ça t'ouvrira un bon nombre de pistes.

- Pourquoi ne pas faire appel à un détective privé ? Je suis chroniqueur, Sasuke, pas flic…

- Tu as la trempe nécessaire pour ce travail, je ne vois personne d'autre que toi s'en charger…

- Tu as bien dit travail ?

- Evidemment. Tu te doutes que tu vas devoir me pondre un article hors du commun, mais pas bénévolement, c'est naturel. Tu seras donc payé en plus de ton salaire…

- Eh bien, si je m'attendais à ça…

- Alors, tu acceptes ?

- …je ne sais pas, je pense que j'ai besoin de réfléchir un peu. Mine de rien, tu m'en demandes beaucoup…

- Rien de plus que ce que tu ne pourrais faire, répliqua habilement mon employeur. Tu es intelligent, discret, compétent, je ne vois pas ce qui te pose problème…

- …Sasuke, tu es conscient qu'on parle d'un tueur, là ? Ça représente un danger considérable, tu sais ?

- Tu seras prudent, je n'en doute pas non plus.

- Tu y tiens tant que ça, soupirai-je ?

- Si tu ne le fais pas de ton propre chef, dis-toi que c'est un ordre, et que ta place est en jeu. Aurais-tu peur pour ta vie ?

- Je suis journaliste, bordel ! Je suis d'accord pour lutter afin de transmettre l'information, mais tout de même, je ne suis pas inconscient !

- Magnifique. J'étais déjà convaincu que tu étais le plus apte à faire cet article, mais tu viens de me prouver une nouvelle fois que nul autre ne serait envisageable…

Et merde…j'étais vaincu, semblait-il…résigné, las, je soupirai, excédé, et lâchai d'un ton raide :

- …entendu…

- A la bonne heure ! s'enthousiasma Sasuke en se décrispant un peu. Tu t'y mets dès que possible, d'accord ?

- Et j'ai combien de temps ?

- Trois mois et demi.

- De recherche ? demandai-je, plein d'espoir.

- Pour me remettre l'article en main…

- Je te hais…

- Et moi, je t'adore, rétorqua-t-il sans le ton approprié à sa phrase. Maintenant, fais-moi plaisir, et boucle ton travail.

- Tout ?!

- Tu as largement le temps ; il n'y a que les articles des trois prochains mois et quinze jours à écrire…

- Pardon ?

- Vu que tu seras à plein temps sur cette affaire, tu te dois de terminer en avance les textes qui seront publiés. Estime-toi heureux que nous ne soyons qu'un hebdomadaire, ajouta mon directeur en m'adressant un sourire triomphant, ça ne te fait que quatorze articles…

- Sasuke, je ne pourrai pas, et tu le sais…

- Oh que si, tu le peux ; tu as toute la journée, mais aussi la nuit… prépare le café, je pense que tu en auras grand besoin…

- Enflure !

- Mais oui, je t'aime aussi. Allez, dégage, je t'ai assez vu pour les trois mois et demi à venir ! lança-t-il en m'ordonnant de sortir.

Avant que je n'aie le temps de réaliser complètement ce qui venait de me tomber dessus, j'étais dehors, derrière la porte close du bureau de mon chef. Enfoiré de chef, d'ailleurs… maintenant que je m'étais engagé, je n'avais plus foncièrement le choix. Je ne comprenais pourtant pas sa décision sur laquelle il avait fermement insisté. Pourquoi ne pas s'en remettre à une personne vraiment qualifiée, et non pas à un journaliste ? Enfin bon, c'était Sasuke, et Sasuke ne faisait pas souvent les choses dans les normes.

Donc, en adulte responsable, j'allais assumer les conséquences de mes actes, et remonter mes manches, parce que la quantité de boulot m'attendant dépassait les limites du descriptible. Je frissonnai à la simple idée des immenses piles de papiers recouvrant mon plan de travail… effectuant un rapide calcul, je parvenais à un total de soixante-dix heures, sans compter les pauses repas. Cinq heures par article, c'était ma moyenne quand j'étais assez en forme. Là, j'allais devoir réduire grandement mes temps de recherche…la rédaction du texte en lui-même ne me prenait pas plus d'une heure, à partir du moment où je disposais des éléments de base.

Lorsque je regagnai ma place, mes collègues me regardèrent avec inquiétude ; je devais tirer une tête à en déprimer même un aveugle, et pour cause…cependant, brasser mes mauvaises pensées n'allait pas me rédiger mes chroniques, mais me faisait en revanche perdre un temps considérable. Je devais donc rapidement me mettre au travail ; ce n'était pas dans mes habitudes de compter les heures que je passais à plancher sur mes articles…

Les aiguilles de la pendule ornant le mur blanc avaient tourné sans que je n'aie l'occasion de relever mon regard dessus pour en juger. Seule la lumière du soleil qui achevait sa course dans le ciel me donnait une indication plus ou moins significative du temps qui passait. Lorsque j'eus achevé mon dixième texte, je m'accordai un court instant de répit. Promenant mon regard autour de moi, je ne fus qu'à moitié surpris de constater qu'il n'y avait plus personne, et que même la femme de ménage était déjà passée.

Osant risquer un coup d'œil vers l'horloge, je pris conscience du fait qu'il était un peu plus de onze heures et quart…je soupirai, étirant mon corps qui commençait à sentir les effets négatifs d'une immobilité prolongée. Alors que j'inhalais en profondeur, tentant de reprendre le cours du temps là où je l'avais laissé, j'entendis un bruit de pas rapides se rapprocher de moi…ou plutôt de la sortie, pensai-je amèrement. C'était évident, quel idiot sinon moi aurait envie de passer une seconde plus ici à un moment déjà bien avancé de la nuit ?

Les autres avaient une famille, des enfants, un conjoint qui les attendaient à la maison. Pour ma part, mes proches vivaient à l'autre bout de la péninsule, au fin fond de la campagne traditionnelle, et du coup je n'avais personne qui espérait mon retour à la maison. Ceci dit, ça ne me dérangeait pas outre-mesure ; bien au contraire, ça me permettait d'achever mes chroniques sans avoir la tête ailleurs. Pas de copine à laquelle penser, pas de gamins à faire garder ou à récupérer à la sortie de l'école, pas de plante à arroser, pas de poisson rouge à nourrir… rien !

J'étais seul dans mon monde. Monde qui se limitait à mon stylo, ma feuille et mon ordinateur, certes, mais c'était amplement suffisant. Le temps que je m'extirpe de mes réflexions, mon patron était dans le couloir, me regardant avec un vague sourire amusé. Il avança à pas lents vers moi, son sourire se muant au fur et à mesure qu'il s'approchait en un rictus triomphant. Quand il le put, il appuya ses coudes sur la cloison blanche, et me demanda d'un ton beaucoup trop faussement léger :

- Alors, tu t'en sors ?

- Plus ou moins, j'ai bouclé dix articles, mais je ne te cacherai pas qu'ils ne vaudront pas la qualité de ceux qui résultent des cinq heures que je passe sur un seul en temps normal…

- Je te fais confiance, mais n'oublie pas de te reposer un minimum ; trois longs mois t'attendent…

- …qui est-ce qui m'a demandé de faire mes quatorze articles à l'avance ?

- Moi, je crois. Mais qui est-ce qui va t'offrir un verre à ton bar fétiche ?

- Monsieur mon directeur ferait ça pour son pauvre petit employé surmené ?

- Mais certainement, du moment que tu bosses et que tu as terminé dans le créneau imparti…

- Il me restera la nuit, dans le pire des cas…

- Bon, on y va, ou tu as l'intention de camper ici ?

- …sans façon, merci… allons-y.

Rangeant mes affaires avec une lenteur exprimant aussi bien mon épuisement que ma lassitude, je suivis Sasuke tel son ombre à travers le dédale de couloirs et escaliers menant à la sortie. Le temps qui s'écoula me parut interminable. Une fois de retour à la vie civilisée, j'inspirai à pleins poumons l'air frais et grisant de la nuit, promenant mon regard en tous sens, cherchant à fixer ce paysage presque féerique dans mes souvenirs. Devant mon subit émoi, mon supérieur sourit gentiment, cette fois, avant de me faire remarquer d'une voix douce que je ne lui connaissais pourtant pas :

- Sûr que ça change de l'air vicié de nos petits bureaux, hein ?

- …

Je l'observai en silence, surpris par un tel ton qui changeait en effet radicalement de celui dur, hautain et caustique qu'il employait usuellement, puis répondis au bout d'un moment dans un murmure :

- Oui. Je trouve que malgré la pollution, les néons et les immeubles, la nuit reste la même. Elle nous enveloppe, nous protège. C'est beau, rassurant, même…

- …poète ?

- …journaliste…

- Ha ha ! Tu es quelqu'un de bien, je trouve. C'est rare de voir des gens dont l'esprit reste libre et voyageur malgré la société terriblement terre à terre dans laquelle l'évasion n'a plus de place. Tu restes pur, rêveur… comme un gosse qui refuse de devenir grand…

- …était-ce un compliment maladroit ?

- En quelque sorte, admit-il en haussant les épaules. Bon, on va le prendre, ce café ?

- Avec joie !

Nous marchions d'un pas soutenu, et nous mîmes donc en route pour le bar où j'avais l'habitude de prendre un verre en sortant du travail. Un petit vent léger remuait les cheveux de Sasuke, dégageant son visage harmonieux. Je ne me perdis cependant pas dans une observation abusive, et reportai mon attention sur la route. Quelques minutes plus tard, nous arrivions au Carpe Diem. A peine avions-nous franchi la double porte de verre que déjà le patron nous accueillait avec force voix :

- Hey ! Alors, comment vont mes deux tourtereaux préférés ?

- …

- …

Sasuke et moi affichions tous deux un air désespérément blasé, nous retenant de soupirer. Avançant jusqu'au comptoir sous les regards curieux des clients qui nous avaient maintenant repérés, nous nous assîmes ensuite sur deux tabourets, et le barman, toujours aussi enthousiaste, s'empressa de venir prendre notre commande :

- Et qu'est-ce que je leur sers, aux deux amoureux ?

- Désolé de te décevoir, mais Sasuke et moi ne sommes pas ensemble…

- Allez, n'ayez pas honte ; vous êtes aussi beaus et froids l'un que l'autre ! En plus, vous êtes toujours fourrés ensemble, c'est louche. Toi qui ne supportes pas la compagnie, tu as les yeux qui brillent quand il est à côté de toi !

Il me fatiguait, ce triple idiot… toujours en train d'essayer de me caser avec Sasuke… à croire que les mots « célibataire » et « bien comme ça » ne pouvaient pas aller ensemble dans son esprit… fort heureusement pour moi, mon supérieur coupa court au monologue psychédélique du serveur et lâcha d'un ton traînant :

- Sers-nous donc deux cafés, au lieu de débiter tes conneries…

Le jeune homme nous lança un regard entendu, un léger sourire qui en disait long flottant sur ses lèvres, puis retourna s'affairer derrière le comptoir. J'étais néanmoins certain qu'il faisait attention au moindre mot que nous pourrions prononcer. Décidé à ne pas satisfaire sa curiosité mal placée, je le détaillai en me cantonnant dans un silence que mon patron n'osa se permettre de briser. Le barman portait son habituel tablier blanc par-dessus un tee-shirt noir à manches courtes qui mettait judicieusement en valeur sa musculature. Ni trop petit ni trop massif, il était de taille moyenne, mince et bien bâti. Son visage aux traits épurés était concentré sur ce que faisaient ses fines mains. Ses cheveux bruns, dont la sombre couleur rappelait celle de ses pupilles étaient remontés en un palmier serré au-dessus de son crâne. Je me devais de reconnaître qu'il était agréable à regarder. Il avait quelque chose qui lui conférait une aura de bonhomie, et son sourire chaleureux ne faisait qu'ajouter à cette impression.

Lui et moi nous connaissions depuis notre première année d'études, et je le considérais comme l'un de mes plus proches amis. J'appréciais énormément sa compagnie, probablement tout autant que son intéressante conversation. Toujours avec ce magnifique pli au coin des lèvres, il posa les deux tasses en face de nous, son regard intelligent brillant d'une lueur espiègle. Face à une telle luminosité faciale, je me sentis malgré moi lui rendre son sourire en murmurant un petit : « Merci, Shikamaru… ».

J'amorçai un geste pour sortir de quoi payer nos consommations, mais le bras de mon ami m'arrêta. Ses yeux en amande me regardaient, empreints cette fois d'une expression énigmatique. Je ne bougeai pas, figé par son étrange magnétisme. J'étais également quelque peu surpris pas son comportement, mais je recouvrai mon calme quand un sourire idiot vint orner les fines lèvres du serveur. Il s'écarta de moi, reprit sa place derrière le comptoir, et s'exclama tout en attrapant un torchon pour essuyer les verres :

- Puisque ton charmant patron a daigné t'accompagner et boire chez moi, je vous offre vos cafés !

- C'est gentil à toi, fit doucement Sasuke en se tournant avec lenteur vers moi. Il faut qu'on parle un peu, ajouta-t-il d'une voix grave.

- Je vous laisse, j'ai des commandes à prendre ; bonne soirée, messieurs.

Mon employeur le regarda fixement s'éloigner, ne le quittant du regard qu'une fois certain qu'il ne pouvait plus nous écouter. Lorsqu'il en fut assuré, il reporta son attention sur moi, et commença, un peu hésitant :

- Pour en revenir au travail que je t'ai confié…

- Je vais m'y mettre dès demain, ne t'en fais pas.

- Non, je ne pensais pas à ça, répliqua-t-il, agité, mais à l'article qui résultera de ton enquête.

- Tu attends quelque chose de particulier ?

- Plus ou moins. Mais il y a une chose dont je suis absolument certain.

- Laquelle ?

- Cet article sera le clou de ta carrière…

Comment expliquer ce que je ressentis à ce moment précis ? J'étais déstabilisé, mais à la fois flatté de toute la confiance qu'il plaçait en moi. Cependant, la façon dont il avait prononcé ces mots me fit frissonner, et pas de contentement. Les accents qu'avait pris sa voix me faisaient un peu peur, comme s'il avait voulu me dire autre chose, un message caché derrière sa phrase. J'étais fatigué, et j'avais tendance à faire travailler mon imagination plus que ma lucidité ; ça devait être une drôle d'impression venue de mon cerveau exténué, rien de plus. Me ressaisissant, j'acquiesçai en soufflant de manière presque inaudible :

- Je l'espère…

- Ne t'en fais pas, tu as ce qu'il faut pour ce boulot, je te l'ai déjà dit. Je t'épaulerai si tu as besoin de mon aide, mais je sais que tu as l'habitude de faire cavalier seul. Tu t'en sortiras ; je te confierais même ma vie…

- N'en fais pas trop, répliquai-je prudemment, on dirait que tu te moques de moi, là…

- Loin de moi cette idée. Bon, tu as mon numéro, au cas où ?

- Oui oui, je l'ai dans mon téléphone et sur mon calepin, pas d'inquiétude.

- Parfait ! Je te souhaite bonne chance, mais pense à me donner de tes nouvelles assez régulièrement, hein ?

- Oui, maman…

- Je te raccompagne ?

- Si tu veux…

Nous sortîmes sans un mot de plus, et repartîmes chercher ma voiture, que nous avions laissée au parking du journal pour y préférer les rues piétonnes, beaucoup plus agréables à fréquenter que les routes bondées. Durant tout le trajet de retour, nous observâmes un silence que je qualifierais de gêné, oppressant, résultant de notre commun besoin de réfléchir. Quand nous parvînmes à la porte de mon immeuble, Sasuke eut un instant d'hésitation. Indécis moi aussi, je proposai timidement :

- Tu veux monter un moment ?

- …si ça ne te dérange pas, pourquoi pas…

J'étais assez étonné de la tournure que prenaient les choses. Certes, nous entretenions de bonnes relations, mais uniquement en tant qu'employé et employeur. Cette situation me paraissait ambiguë, et quelque peu étrange. Lui comme moi n'aimions pas outre-mesure les gens, nous complaisions dans notre solitude, mais ce soudain accès de proximité me posait question. Tout en le conduisant à mon appartement, je me demandai où tout cela allait nous mener. Allions-nous dépasser les limites que notre profession nous imposait ? Et que ressentions-nous réellement l'un pour l'autre ? L'amitié, l'amour pouvaient-ils naître du silence et du secret ?

Toutes ces interrogations résonnaient encore dans ma tête à l'instant où je fis tourner ma clé dans la serrure, et je n'avais aucune idée de la façon dont je pourrais y répondre. J'ouvris la porte avec une lenteur presque excessive, puis m'écartai pour laisser passer Sasuke. Il entra à pas mesurés, ses grands yeux sombres balayant mon trois pièces. Lui donnant le temps de découvrir mon habitat, j'enlevai mon manteau et le pendis à la patère de l'entrée, ôtant mes chaussures par la même occasion. Quand je revins, mon directeur était toujours en train de détailler le salon, mais il tourna vivement la tête vers moi lorsqu'il m'entendit. Intérieurement amusé, je lui demandai :

- Je te propose un café, ou bien celui du Carpe Diem t'a suffi ?

- Non, merci, c'est gentil. De toute manière, je ne compte pas t'importuner plus longtemps ; tu as encore un peu de travail…

- Merci de m'y refaire penser, répondis-je amèrement.

- C'est tout naturel, dit-il en souriant.

Il se rembrunit très vite, et parut tout à coup tourmenté. La mine contrariée, il marcha jusqu'à moi à pas rapides, s'approcha de mon oreille pour y murmurer :

- Je te présente mes excuses en prévision de ce qui va se passer.

Interloqué, je ne compris pas pourquoi ses lèvres avaient glissé sur les miennes, et encore moins pourquoi ses mains tenaient mes joues. Pétrifié, ne sachant comment réagir, je le laissai poursuivre jusqu'à mon palais, où sa langue caressa doucement la mienne. Puis il se défit promptement de moi. Son regard troublé brillait, il avait le souffle court et les doigts tremblants. Et moi, durant l'espace d'un instant, j'avais perdu toute notion spatio-temporelle. Je ne comprenais pas son attitude pour le moins étrange, et m'apprêtais à lui demander une explication, mais il me devança, et dit d'une voix mal assurée :

- On s'arrête là… ça n'ira pas plus loin. Je suis désolé si tu ne comprends pas, ça viendra avec le temps. Ne m'en veux pas. Au revoir…

Avant que je n'aie la possibilité de tenter quoi que ce soit pour le retenir, il était déjà parti, me laissant avec pour seule compagnie son discret parfum, une brûlure singulière aux lèvres, et ses étranges paroles en tête. Pourquoi diable avait-il agi et parlé de la sorte ? Je n'en savais rien et me le demandais encore. Cependant, je pris conscience du fait qu'il était minuit et demie ; il ne me restait que peu de temps pour achever mes articles, je devais m'y atteler. Ne prenant pas la peine de me mettre à l'aise, je tentai de mobiliser mes facultés, mais il était évident que mon esprit était aux abonnés absents. J'étais encore trop déboussolé pour pouvoir me concentrer sur autre chose que ce qui venait de m'arriver. Pourtant, je faisais preuve d'un professionnalisme qui me serait salvateur, et partis me préparer un bon litre de café noir avant de me remettre à mes chroniques. Le breuvage brûlant dissipa les brumes m'enveloppant, rendant lucidité et vigueur à mon cerveau.

Assis à mon petit bureau, je m'enfonçai dans mes phrases, et parvins à achever mon quatorzième article aux alentours de cinq heures. J'étais épuisé, c'était tout juste si je savais encore où j'habitais. Je partis me coucher d'un pas plus ou moins sûr. Pour une soixantaine de minutes, j'en étais conscient, mais ça me ferait le plus grand bien. Malheureusement, la caféine faisait toujours effet, et malgré ma fatigue accumulée, je ne sentais pas l'engourdissement salvateur du sommeil ; mes paupières ne se fermaient pas. C'était une horrible sensation, pareille à celle d'une insomnie. J'avais beau être mentalement au bout, je ne m'endormais pas. Je restai donc durant les quelques minutes qui me restaient à regarder le plafond, et à réfléchir à toutes sortes de choses. Mon esprit n'avait même plus la force de retenir ce qui me passait par la tête, et je laissai le temps ainsi passer, sans parvenir à trouver le repos.

Puis mon réveil sonna. Ce son tout autant criard que désagréable… je me levai donc à nouveau pour me traîner sous une douche glacée. J'allais commencer mes recherches aujourd'hui, je me devais d'être un minimum capable de tenir sur mes pieds. L'eau était si froide que je sentis ma peau brûler. Les gouttes frappant mes épaules avec violence marquaient leur passage sur mon épiderme par de grosses taches rouges et une étrange sensation d'engourdissement dans mes muscles ankylosés. Après quelques minutes durant lesquelles j'attendis que mon corps daigne sortir de sa léthargie, je sortis et me préparai. Une fois habillé, je partis faire réchauffer le reste de café de la veille, n'ayant pas le courage d'en refaire. Lorsque j'eus bu mon demi-litre qui me serait sans aucun doute très utile pour tenir le coup, je rangeai soigneusement tous mes articles dans ma serviette, non sans avoir au préalable vérifié trois fois de suite que j'en avais bien quatorze.

J'enfilai le même imperméable beige que la veille, et sortis, avec cette fois une bonne heure d'avance. Je décidai d'aller rendre visite à Shikamaru afin de lui parler de toute cette histoire. C'était pour moi l'occasion de mettre à profit les immenses capacités intellectuelles que mon ami avait rangées au placard en devenant barman. Dans ma voiture, les évènements d'hier soir me revinrent en tête. Je ne comprenais pas ce que Sasuke avait voulu faire ou dire, mais il s'était comporté pour le moins bizarrement. Puis soudainement, une question que je n'avais osé me poser me vint : et moi, qu'avais-je ressenti à l'instant où il m'avait embrassé ? Car certes, j'étais resté immobile, mais je ne l'avais pas repoussé pour autant… alors quoi ? Avais-je moi aussi eu envie de ça ? Je ne parvenais pas à me souvenir ; tout avait été si vite…

Les sensations avaient afflué très rapidement, mais elles me revinrent petit à petit alors que je me repassais la scène. Sa peau était douce et chaude ; il avait tenu mon visage avec fermeté, comme s'il avait eu peur que je me rebiffe… pourtant, il ne m'avait pas fait mal, ne m'avait pas brusqué, car son étreinte m'avait parue plutôt douce… je ne saurais dire si j'avais aimé ce baiser ou non, mais dans tous les cas, il était clair que ça me préoccupait grandement. J'espérais pouvoir en discuter avec le principal concerné, mais avant cela, l'opinion d'une tierce personne me permettrait de réfléchir un peu.

Je pénétrai donc dans le bar, l'air contrarié, le pas pressé. M'asseyant au comptoir, j'attendis que Shikamaru vienne me voir, mais quelqu'un d'autre le précéda. C'était une jeune femme au visage rond, bienveillant, orné de deux yeux bleu nuit. Ses cheveux blonds étaient remontés en quatre couettes hautes, et elle souriait de manière détendue. Lorsqu'elle me vit, elle sembla s'illuminer, et me demanda en rangeant les verres :

- Tu es venu voir Shikamaru ?

- Oui.

- Ne bouge pas, je vais le chercher. Tu veux boire quelque chose, en l'attendant ?

- Non, merci Temari, c'est gentil.

- D'accord, je reviens.

Elle me laissa seul un moment, mais je l'entendis crier à son petit-ami que j'étais là et que je voulais le voir. Une poignée de secondes plus tard, le visage blasé et las du patron du Carpe Diem apparaissait derrière le comptoir. S'approchant de moi de sa démarche nonchalante, les mains dans les poches, il soupira, puis engagea la conversation de ce ton traînant et désabusé qui lui était propre :

- Salut…

- Salut.

- Alors, qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

- Tu as du temps ?

- Ça peut se trouver, fit-il en jetant un œil amusé à Temari qui s'énervait contre leur stagiaire. Ce n'est pas grave, au moins ?

- J'espère que non…

- …qu'est-ce que t'as encore fait ?

- Hé, c'est pas moi, cette fois !

- Ah ? Il s'est passé quelque chose avec Sasuke ?

- …

- Oh. J'ai tapé juste, apparemment. Et qu'est-ce qu'il a fait ? Il t'a violé et t'as crié trop fort ?

- Crétin ! C'est pas drôle, en plus…

- Alors c'est ça ?!

- …mais non, enfin !

- Ben raconte, au lieu de bouder !

- …il était bizarre, hier soir…

- Content de te l'entendre dire. Et ?

- …quand tu es parti, il m'a dit quelque chose de gentil, mais d'une façon très étrange. Le pire, c'est que ça ne s'est pas arrêté là.

- Continue…

- Il m'a raccompagné, et il est monté deux minutes. Et arrête avec ce sourire débile, il est reparti presque tout de suite !

- Rah, tu devais être coincé, et du coup, tu l'as fait fuir…

- Bordel mais tu peux pas te la fermer, deux minutes ?! Je te parle d'un truc important, et toi tu délires tout seul comme un con !

- …tu es à cran, toi… qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que tu sois dans un état pareil ?

- J'ai pas dormi de la nuit, et en plus ce truc me prend la tête, ça me gonfle…

- Quel truc ?

- …Sasuke s'est excusé en prévision de ce qui allait se passer, et il m'a embrassé. Puis il est parti…

- Et en quoi est-ce que ça te dérange ?

- …eh bien…

- C'est parce que c'est ton supérieur ? Ou bien parce que tu ne sais pas exactement ce que tu ressens pour lui ?

- Je n'en ai aucune idée…

- Est-ce que tu as apprécié qu'il t'embrasse ?

Je détournai la tête, gêné. Cette question, j'y avais plus ou moins répondu, et il s'était avéré que plutôt deux fois qu'une, oui…

- Je ne sais pas trop non plus. C'était agréable, mais après…

- Tu ne sais pas si tu voudrais que ça aille plus loin ou non…

- Voilà…

- Ecoute, je ne te dis pas ça pour te pousser dans ses bras, mais ça crève les yeux ; il t'aime, et toi, tu es infoutu de le voir. Qui plus est, tu nies l'évidence alors que tes sentiments pour lui sont aussi forts que les siens pour toi. Ce mec est un type bien, il ne te fera pas de mal, j'en suis convaincu.

- …mais nous sommes deux hommes, Shikamaru…

- Et ? Peux-tu me dire ce que ça fait ?

- On ne peut pas s'aimer, ce n'est pas sain !

- Nous y voilà… tu as peur d'être montré du doigt ? Tu crains le regard des autres ?

- Oui… oui, et alors ? Je ne sais même pas si je l'aime, je ne sais pas ce qu'est le fait d'aimer comme les autres le font, parce que je n'ai jamais connu ça.

- Ça t'effraie ?

- …

- Il ne faut pas…je suis là pour toi, si tu en as besoin. Alors fonce, n'hésite pas ! Va lui parler dès aujourd'hui !

- J'y comptais, justement, mais pas forcément pour les mêmes raisons…

- …tout ce que je peux te dire, c'est que tu n'as qu'une seule vie et que tu dois en profiter. Carpe diem, mon ami… sur ce, je te laisse, j'ai du boulot !

- Merci Shikamaru…

- Mais de rien. Tu me raconteras comment ça s'est passé, hein ?

- Je ne sais pas si ça ira dans le sens que tu souhaites, mais oui, si ça peut te faire plaisir…

- Bien. Bon courage !

Je sortis, l'esprit encore plus trouble qu'à mon arrivée. Il avait réussi à semer le doute dans ma tête, et maintenant, je commençais à hésiter. Et si j'avais en réalité des sentiments pour Sasuke ? Non, ça n'était pas possible. Ce n'était pas concevable ; nous étions deux hommes ; amis, certes, mais pas plus. Son comportement m'avait juste un peu troublé, et je devais me reprendre. Point barre. Ceci étant dit, ça ne m'empêcherait pas d'avoir une discussion avec lui, car ça s'imposait… Déterminé, je pris la direction des bureaux. J'étais résolu à tirer cette histoire au clair, et après ça, ma vie reprendrait son cours, avec ou sans Sasuke ; ça m'était à vrai dire bien égal. Je garai ma voiture sur le parking, mais il ne me sembla pas voir celle de mon supérieur. Un petit pincement au cœur me fit tiquer, ne m'empêchant cependant pas de poursuivre mon chemin.

Arrivé dans les bâtiments, je saluai d'un bref signe de tête mes collègues, cherchant à voir le directeur. Je posai mes affaires à ma place, sachant pertinemment que ce n'était pas pour longtemps, et sortis mes articles. Les feuilles sous le bras, je me dirigeai vers le bureau de mon employeur. Cependant, une voix calme et posée m'arrêta :

- Si tu cherches le boss, il n'est pas là…

- Ah, bonjour Gaara. Sasuke n'est pas à son bureau ?

- Non, on ne l'a pas vu pour le moment. C'était important ?

- Euh, plus ou moins. Je devais lui remettre mes articles aujourd'hui…

- Laisse-les à la secrétaire ?

- Oui, je pense que je vais faire ça…

- Tu ne restes pas, demanda-t-il en me voyant ranger mes affaires et remettre ma veste ?

- Non. Je suis sur le terrain pour les trois mois à venir…

- Veinard ! Si je pouvais en faire autant… enfin bref, bon courage !

- Merci. A toi aussi !

Je fis donc demi-tour, et partis pour l'accueil. Une fois que j'eus franchi les nombreux escaliers et couloirs de l'immeuble, je me retrouvai au rez-de-chaussée, face à une jeune femme qui se trouvait être séparée de moi par un grand bureau. Elle me regarda d'un air curieux, semblant me dévisager derrière ses lunettes ovales. Ses cheveux foncés étaient laissés longs, et pendaient de manière désordonnée dans son dos. Elle avait un petit air sauvage, mais beaucoup trop assuré et insolent à mon goût. Qui plus est, elle suivait toujours Sasuke comme son ombre, et lui faisait en permanence des sourires mièvres accompagnés de ses yeux de biche enduits de mascara et fard à paupières. Je ne l'appréciais pas particulièrement, mais bon, je faisais des efforts pour la supporter, même si mon envie de la pendre me venait du fond du cœur. Avec un sourire factice qui respirait l'hypocrisie, je l'abordai :

- Bonjour, Karin.

- Bonjour, répondit-elle tout en tassant une pile de feuilles sans me quitter du regard.

- J'ai quelque chose pour monsieur Uchiha. Donnez-lui ça de ma part dès que vous le verrez, je vous prie.

- Entendu.

- Merci. Au revoir.

Je sentis son regard inquisiteur sur moi pendant que je m'éloignais, mais ne me retournai pas. Je marchai à pas lents jusqu'à la sortie, conscient du fait que je ne remettrais pas les pieds ici avant un bail… une dernière fois je franchis la double porte vitrée, et m'autorisai à poser les yeux sur mon lieu de travail. Je me promenai en pensée dans l'imposant bâtiment, montant ou descendant selon l'endroit sur lequel passait mon regard. Un mince sourire étira mes lèvres. Pour la première fois depuis longtemps, j'avais la sensation d'être libre, de faire ce qui me plaisait, et uniquement ça. J'avais tant attendu ce moment que je peinais à réaliser que j'y étais enfin parvenu. Je disposais de trois mois ; trois mois et demi, même, durant lesquels j'allais me consacrer à ce que j'avais toujours rêvé de faire. Une sentiment de plénitude m'envahit tandis que je marchais, cherchant par où commencer mes recherches…

Fin du chapitre

Note : Je précise qu'il est normal qu'on ne connaisse pas encore l'identité du narrateur, même s'il est assez facile de le deviner.