Où était passée toute cette force… Elle aurait bien voulu le savoir car, ne lui restait à présent qu'une étrange ivresse.

Baignant dans sa satisfaction, elle n'avait pas pu suivre toutes les notes et s'était noyée dans la danse. Pourquoi avait-elle l'impression, épanchée sur les lèvres de son meurtrier, de goûter à la divine ambroisie… À peine une poignée de questions étaient-elles résolues qu'une nouvelle flopée de mystères fleurissait dans ces yeux.

Qu'était l'inconnue de son équation ?

Trop grand pour les homme et trop impatient pour les dieux ; où était passée la pièce manquante du puzzle qui définissait un tel être ? Dans quelle salle blanche s'était-elle perdue ? Et si elle la retrouvait, saurait-elle la lui rendre ? La laisserait-il remonter assez haut pour la replacer ?

Et, s'efforçant de rattraper la mélodie, elle avait senti l'ivresse descendre.

Elle s'était attachée. À qui la faute ?

Pas à la main qui effleurait cette peau diaphane, ni aux lèvres voulant sceller des mots sur sa bouche.

Elle se releva un peu le temps nécessaire pour eux deux à retrouve leur souffle.

Comme s'éveillant, elle entrouvrit les yeux et trouva sa propre vision voilée. Ses cils chassèrent ses larmes.

Elle posa les mains sur sa cage thoracique et, comprenant alors les nouvelles larmes qui arrivaient, referma les paupières…

Un tremblement imperceptible la berçait doucement.

Descendant encore vers lui, elle ne voulait pas rencontrer son regard avant qu'il ne s'habitue à la mélodie.

Les réminiscences de l'ivresse s'estompaient lentement.

Rêveuse lucide ayant déjà tout perdu trouvait n'en trouvait l'ivresse que plus douce.

Lorsque la glace se briserait tout à fait, que resterait-il ?

Une seconde détruirait un espoir mal construit, et une seule nuit, un rêve vide.

Elle releva lentement son visage, détachant ses doigts des filaments d'argent et il détourna le regard pour lui donner congé.

« Va dormir. Il est tard. »

Mais elle leva une main à l'encontre de sa tempe, hésita, puis la toucha doucement. Elle demeura là, au dessus de l'Endymion qui refusait d'ouvrir les yeux.

De sa vie, elle avait rarement écouté les ordres des vivants, alors…

« Vous pourriez douter un peu d'elle aussi… »

Ces mots distraits firent réapparaître les iris effilées.

Le regard perplexe la questionnait avec quelque chose d'amer.

« Comment à-t-elle mérité toute cette confiance ? »

Il ouvrit ses lourdes paupières pour la trouver penchée sur son visage. Son regard le traversait, voguant dans un vide méditatif.

« Ne te fis pas aux apparences. Dors. Dors avant que la fatigue ne te brouille les idées. »

Aeris fronça les sourcils. « Comment pourriez-vous le savoir ? Elle laissa glisser ses émotions au profit d'un faciès neutre.

Des mains gantées la soulevèrent et le retournèrent violemment mais hésitant subtilement, l'une se plaça sous sa tête en la déposant.

Rallongé à son tour, fermant ses yeux, il refoula brutalement une vague de tristesse échappée de son inconscient.

Aeris pinça les lèvres.

Si elle regardé le mouvement de son buste, le va et vien de son souffle, elel savait qu'elle s'abandonnerait.

Elle glissa la main, discrete, le long de son bras, puis la glissa dans la sienne pour voler ces morceux d'intimité. Ce semblant de sécurité.

Le ciel noir fut tâché d'une encre rose qui alla incendier l'horizon. La lumière ne tardèra pas à frapper aux fenêtres de leurs paupières.

Elle laissa son regard s'attarder sur lui. Sur l'adulte, déjà prêt à plier bagage, alors qu'elle s'éveillait à peine.

De longues bottes noires entourant les mollets de deux bandes claires ; dessin sommaire, mais sur lui, superbe surélévation. Son port de taille était magnifié par le trench-coat, et son poitrail, offert à la vue derrière le cuir qui s'entrecroisait.

Les lignes épurées de son dos étaient savamment tranchées par la cascade d'argent fine et fascinante qui attendait le moindre souffle pour s'animer de vie.

Le personnage contrastait somptueusement avec les tons de sa garde-robe. Seuls les arcanes de ses yeux et sa lame abreuvée de sang présentaient, de l'aigue-marine au rouge vermeille, des tons tranchants. Le reste de sa personne était un agencement de nuances de gris.

Tableau envoutant.

Et plus en profondeur ? Dans ce coeur ?

Pour ce qu'elle en avait vu - moment fascinent que celui de son sommeil - des notes diférantes s'y confrontaient perpetellement : rouge sang et rouge colère, ocre amertume d'une vie d'infortune, blanc attendant, par le moyen de noirs desseins, d'embrasser violet ou marron, les nouvelles vanités d'une illusion.

Y restait parfois tapissé ce vert qu'elle admirait. S'y diffusait depuis peu, malgré sa résistance, en butte avec son enfance, un bleu merveilleux.

Elle aimait les couleurs qui caressaient son cœur. Lorsqu'elle y naviguait, il lui était facile d'oublier…

Il était ce qu'il y avait de plus sombre et de plus lumineux chez l'être humain. Quoi qu'il en dise ; quoi que la Calamité lui invente, il présentait la totalité du caractère humain ; ni plus ni moins. Sinon peut-être… plus passionnément.

Lorsque Rammurh faisait danser les filaments clairs autour de son visage, elle voyait toutes ces couleurs raconter leur histoire. Chacune à sa manière, imprégnant tout l'ensemble du piège de soie, ou se le partageant en elles…

Durant la magie d'un de ces moments Aéris commença à soupçonner la chose.

Un seule mot la définissait.

Obsession.

Et elle ne savait pas encore si cela était un problème. Elle n'en était pas sûre.

De toutes les façons, il lui ne resterait qu'à apprendre à la canaliser en espérant que le temps calme ce agitation mal venue.

Mais il en était à douter d'elle. Que d'ironie…

Que de chance.

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Ils avaient marché longtemps. Il ne comptait plus les jours. Quelle utilité ? Il n'y avait pas de mesure pour l'espérance de sa compagnie. Rien n'étant éternel, il arriverait bien au pied du mur. Mais pour l'instant, compte tenu de ses pouvoirs il avait encore du temps…

Lorsqu'il baissait les yeux sur elle, pouvant l'observer à son insu grâce à sa taille, il lui fallait d'abord repousser le souvenir de la douceur de ses lèvres, puis expliquer à un cœur hermétique au bon sens que cela ne s'était jamais passé. Enfin, c'était en redoublant d'attention à chaque secondes (les secondes étaient les plus fourbes) qu'il lui fallait éviter des idées nouvelles et farfelues pour finalement atteindre son objectif ; lui adresser la parole.

Ils ne communiquaient pas souvent...

Progressant d'un pas que la martyre pouvait suivre, ils arrivaient à Ajit.

Mère avait du mal à s'exprimer dans la forêt gorgée de magie cetra.

La dernière de ses colères l'avait sensiblement fatigué. Il savait que Mère désapprouvait les délais qu'il se donnait. Elle était ostensiblement nerveuse, comme si chaque seconde lui faisait redouter une épée de Damoclès. Mère le lui avait expliqué avec ses mots voilés, ses ficelles à elle. Mais il décela que ce danger la visait seule.

Et elle refusait de justifier son appréhension.

N'aie aucune inquiétude, Mère. Notre règne viendra très bientôt. Rien ne peut nous arriver. Et elle restait muette.

Repassant ces choses en mémoire, il fronça les sourcils. Pourquoi ne lui parlait-elle pas… Pourquoi Mère cachait-elle ses craintes ?

Il sentit des doigts s'immiscer timidement dans la paume de sa main et son esprit fut balayé de ses réflexions. Les sangs figés, il se raidit quelques secondes. Malgré la fermeté de ses paumes, il perçut plus que jamais le titillement de ces doigts qui caressaient doucement ses phalanges.

Son attention se porta alors sur l'expression distraite qui masquait son regard ; comme dans un état second, elle dessinait d'un index innocent une ligne de feu sur sa peau.

Incapable de retirer sa main, il la referma sur la sienne pour faire cesser le mouvement.

« N'entendez-vous pas le chant ? Gémit-elle doucement dans le silence enchanté d'Ajit. Le chant de la brume qui plane sur la ville abandonnée. » Elle inspira et ferma les yeux.

« Il apaise la rumeurs des roues lointaines. Les doyens murmurent des mots de quiétude. Qui les écoute affronte son coeur. Seule la vérité peut éclairer l'âme qui croise leur route. »

Il porta son autre main à la garde du Masamune et ausculta les alentours.

En vain.

Ce qu'elle semblait répéter était une légende locale courant sur la forêt selon laquelle ceux qui s'y aventurent doivent posséder la Harpe d'Or.

Juste une légende qui n'avait jamais gêné ses voyages... Ou peut-être avait-ce été Ajit qui, redoutant les flammes, préférait laisser cheminer l'autre légende en paix…

L'épéiste baissa les yeux sur elle.

« Une mélodie d'or peut éclairer le chemin d'une âme sans lumière. Et qui fuit s'y perd. »

Il tira un peu sur la main qu'il tenait encore, afin d'attirer son attention. Il n'était pas vraiment prévu qu'elle trébuche en sortant de sa transe, mais son visage buta contre sa poitrine. Silencieux, il se reprit avant de faire un pas en arrière. Puis elle poussa un cri surpris et douloureux avant de rencontrer le sol sous ses yeux.

En un instant recors, il fut accroupi à son côté, un peu surprit de sa propre réaction.

Il allait pour soulever une de ses paupières comme elle se redressa, portant les mains à son visage, manifestement en hyperventilation.

« Cetra. »

À sa voix, elle sursauta et leva vers lui un de grands yeux désorientés. Pendant une seconde, il eut peine a respirer face à la détresse qui s'y lisait.

Elle était si pâle…

« Aeris… » Il tendit une main vers sa joue. A peine le cuir eut-il effleuré sa peau, qu'elle frémit, encore plus blême, s'empressant de crapahuter hors de sa portée.

Il sentit quelque chose fermer boutique en lui, givrant ses derniers gestes sur place. Et il lui fallut un moment avant de réaliser ce qu'il venait de faire. Il regarda sa main d'un air passif, en spectateur et puis n'ayant rien à faire d'autre avec, l'abaissa. Il chassa aisément le tumulte soudain qui naissait dans ses propres yeux. Ses prunelles mincirent et son regard trouva quelque chose de froid. Un peu perdu, son esprit retrouva rapidement ses repères un fois ayant rendossé son faciès intrinsèque. Il se releva et fixa le regard sur un point imaginaire au dessus de l'épaule de la cetra. De là, il haussa un sourcil notoirement impatient.