Titre : Vent d'Est

Auteur : Mokoshna

Manga : Naruto

Crédits : Naruto est la propriété de Masashi Kishimoto.

Avertissements : AU, Yaoi, Yuri, Het. En outre, étant donné la différence d'éducation de certains et suite aux événements qui ont suivi le départ de Naruto, des personnages peuvent paraître OOC.

Blabla de l'auteur : Voilà, pour faire simple, on va rajouter tout pleins d'autres personnages et encore plus d'intrigues politiques, ce sera drôle ! Des fois, même moi, je me dis que je devrais arrêter, ça commence à être un poil compliqué. Et ce qui me frustre, c'est que je ne peux même pas tout faire, sinon ça me prendrait un temps fou à écrire et vous à lire.

Sinon, bonne lecture !


Chapitre 19 :

Moments de transition

Après des semaines passées en tant qu'invité d'honneur dans la Cité Interdite de Bai Jin, Kabuto s'était fait à une certaine idée du luxe. Tout au palais n'était que ravissement : les mets, délicats et raffinés, les vêtements, taillés dans la soie la plus chère et décorés des ornements les plus précieux, le langage même, qui se devait d'être aussi fin que les bijoux portés par tous les courtisans, femmes comme hommes. Au moindre mot de sa part, les plus belles femmes, les hommes les plus vigoureux se jetaient dans son lit, assouvissaient ses moindres désirs, quels qu'ils fussent. C'était une vraie vie de pacha, une existence oisive tournée vers la recherche du plaisir.

En apparence tout du moins. Kabuto n'était pas dupe : il avait beau être un invité de marque, il savait qu'on le surveillait étroitement, que ses moindres faits et gestes étaient rapportés à la garde impériale. Cela le faisait rire, au fond : les intrigues, c'était son petit plaisir avec sa « médecine ». Il n'était pas un Cathay, et encore moins un Russian : il était Japonin, à peine plus qu'une bête aux yeux de ces beaux courtisans habitués à la seule présence de leurs semblables. Que son langage devait leur paraître grossier, ses manières affectées, comme les gestes mimés par un singe ! Kabuto respectait leurs usages, mais en rajoutant une note personnelle qui devait être bien scandaleuse aux yeux de ces gens qui suivaient une bienséance carrée, fruit de siècles d'éducation sévère.

Même ses quartiers dénotaient la richesse cathayse, et pourtant il était loin d'être logé dans la meilleure partie du palais. Ses draps étaient en soie délicate et étaient changés tous les jours. Chaque matin, un serviteur venait s'enquérir de ses besoins, allumait de l'encens pour faire disparaître les effluves de la nuit, débarrassait au besoin si Kabuto avait reçu de la visite la veille. La moindre étape de la journée était reproduite scrupuleusement jour après jour, en un cérémonial strict qui ne souffrait aucun accroc. Telle était la manière de vivre des Cathays de la Cité Interdite ; et Kabuto, en tant qu'invité étranger, se devait de suivre les us et coutumes sans rechigner au risque d'offenser gravement ses hôtes.

Tous les repas, sans exception, étaient pris en présence de l'Empereur, le Vénéré, Celui Dont Le Nom Ne Peut Être Prononcé En Vain. Kabuto faisait partie des rares privilégiés qui avaient le droit de s'asseoir à sa table (quand on savait que celle-ci faisait presque cinq cent mètres de long, avait plus de mille places soigneusement numérotées et que Kabuto occupait le siège 1025, la notion de « rare » n'avait plus le même impact. Il n'empêche, c'était quand même quelque chose : mille et quelques sur il ne savait combien de millions de personnes qui vivaient au palais et ses environs immédiats, ce n'était pas si énorme). Chaque repas durait plus de deux heures, suivait un protocole très strict et se devait de contenir plus de mille plats différents. Kabuto eut l'impression de prendre une bonne dizaine de kilos à chaque fois, du moins au début. Au bout de de deux jours, il s'aperçut que peu de gens consommaient tous les plats qui étaient étalés devant eux ; le plus souvent, ils se contentaient d'un peu de soupe, de riz et de légumes, et c'était tout. Il fallait garder la ligne pour rentrer dans ses habits hors de prix et surtout pour faire bonne impression devant l'Empereur (ce qui était une précaution ridicule aux yeux de Kabuto : tous les courtisans ou presque étaient attifés de la même manière, à quelques petites différences près. Et ils avaient tous cet air pincé qui les faisait ressembler à des renards japonins).

Quel gâchis de nourriture pour un homme qui avait connu les affres de la guerre étant enfant ! Quel luxe inutile, quelle prétention ! Kabuto repensa aux paysans faméliques qu'il avait croisés sur le chemin du palais, et cela le fit rire. Pour leur faire honneur (et dégoûter les courtisans au régime les plus proches de sa place), il mangeait toujours à sa faim, mais sans excès. Un bon ninja se devait de rester en forme et de garder une ligne impeccable (sauf quand on s'appelait Akimichi).

Le matin était fait de réunions culturelles, assommantes et insipides. Kabuto restait des heures à écouter un poème sur les fleurs du magnifique jardin impérial ou sur les couleurs éclatantes d'un papillon que le poète du jour avait croisé lors de sa promenade du soir. Puis, on dissertait sur l'utilité d'ajouter un trait à tel ou tel symbole afin d'améliorer la glorieuse écriture cathayse, on s'enthousiasmait sur tel ou tel spectacle qui se donnait en ville, on s'indignait au sujet d'un tel qui avait violé les règles établies sur la forme d'un vers. Kabuto voyait arriver le déjeuner avec soulagement : au moins, pendant le repas, les ragots qui circulaient étaient infiniment plus intéressants que ces coquilles ronflantes et inconsistantes que l'on appelait l'art et la culture à Bai Jin. En outre, beaucoup de ces histoires, bien que souvent farfelues, possédaient un fond de vérité qui lui était bien utile. C'est ainsi qu'il apprit que tel haut dignitaire avait trompé son épouse, une fort belle femme d'ailleurs, avec un soldat quelconque, que l'une des mille concubines de l'Empereur avait eu un fils à la peau noire comme la nuit et que le Grand Scribe, détenteur de la connaissance et arbitre des textes de lois, venait de fêter en grande pompe le quinzième anniversaire de son petit-fils préféré (sans surprise, Kabuto n'avait pas été invité). Sur le moment, l'information n'était souvent pas très utile, mais on ne savait jamais...

L'après-midi était un peu plus agité, mais guère plus passionnant : on se promenait dans les jardins impériaux, on prenait le thé à l'ombre des grands arbres de la Forêt du Rossignol, on se prélassait dans les grandes barques (quasiment des navires) qui traversaient l'immense lac artificiel qui se trouvait au beau milieu de la Cité Interdite. Kabuto s'efforçait de faire la cour à tous ceux qu'il croisait : après tout, il avait une réputation à entretenir. Chaque petit serviteur dans le palais savait que Kabuto Yakushi, l'envoyé des Japonins, l'enfant de Russian aux doigts si fins, était un séducteur notoire au talent bien rodé. Il en riait et prenait une autre victime dans son lit, pour l'oublier sitôt celle-ci partie.

Avec un tel emploi du temps, on aurait pu croire que Kabuto n'avait pas une minute à lui. Pourtant, il y avait bien un court laps de temps, après le départ de sa conquête d'un soir et avant l'arrivée du serviteur venant nettoyer sa chambre, où il disposait d'une certaine liberté, où personne n'était là pour l'observer ou lui demander de rendre des comptes.

Personne ? Pas tout à fait. Ou peut-être que si. Un bon ninja s'arrangeait toujours pour ne pas être vu ; et si son visiteur du jour n'était sans doute pas le meilleur, il était quand même loin d'être le pire. Kabuto se cala un peu plus confortablement dans son lit en l'entendant arriver dans son dos.

— Elle ressemblait à rien, ta dernière poule, siffla une voix grave de femme. Où t'as trouvé ce phénomène ? Elle avait tellement de poudre de riz sur la face qu'on aurait dit un pré sous la neige !

Kabuto rit doucement, amusé. À chaque visite, Anko trouvait toujours à redire sur ses conquêtes. Non pas qu'elle eût des vues sur lui : outre qu'il était du mauvais sexe, elle ne supportait pas son caractère fourbe et ses manières hautaines, si éloignées de la simplicité des gens qu'elle fréquentait de son plein gré en temps normal. Non, ce qui la gênait, c'était que Kabuto change autant de partenaires au vu de tout un peuple alors qu'elle ne pouvait même pas voir la personne qu'elle aimait sans que cela ne provoque un scandale.

— Comment va Orochimaru ? demanda Kabuto, bien décidé à l'agacer davantage.

— Bien, grommela-t-elle. Il se repose.

Cela voulait dire n'importe quoi. Kabuto s'étira dans son lit, satisfait. Même s'il n'avançait pas beaucoup dans ses missions, au moins vivait-il la belle vie, aussi ennuyeuse fût-elle. Il ne doutait pas qu'il s'en lasserait d'ici un mois à peine, mais en attendant, il en profitait bien. Anko s'empara d'un gâteau qui restait de la veille et le croqua avec morosité.

— Konoha est tombée, fit-elle brusquement. Le Kyûbi est revenu et a tout détruit ou presque. Quand je suis partie, Jiraiya était entre la vie et la mort. Qui sait, il est peut-être mort à l'heure qu'il est. J'ai dû faire un détour sur le chemin.

— Voilà qui va réjouir Orochimaru, dit Kabuto sans s'émouvoir. Et le Conseil ?

— Morts. En quelque sorte, ta mission de ce côté-là est fichue. On s'occupe des survivants. J'ai vu Tsunade se mettre sur l'affaire.

— Je vois.

Konoha détruite, il ne lui restait plus qu'à adopter un visage de circonstance aux yeux de ses hôtes. Une telle nouvelle leur parviendrait tôt ou tard ; Kabuto se devait de feindre le choc lorsqu'un messager le lui apprendrait, en bon citoyen de Konoha qu'il était. Comment serait-il traité ? Le renverrait-on chez lui ou le garderait-on, persuadé qu'il serait encore plus docile en sachant qu'il ne pouvait plus trop compter sur son soutien au pays ? Il sourit rien que d'y penser. Cela présageait un bel embrouillamini en perspective.

— T'es bien logé, ici, dis donc, fit Anko. Et ta mission avec nous ? Ça avance ? Orochimaru veut des résultats.

— Je n'ai pas réussi à approcher Qiu Ji Wu, mais j'ai appris que son fils était cloué depuis des mois au lit à cause d'une maladie inconnue. Bien entendu, personne ne l'a vu pour en témoigner.

— Bien entendu.

— L'Empereur est un vieil homme paisible qui se délecte de litchis devant ses sujets. Quant à l'Impératrice, elle est si énorme qu'il faut cinq serviteurs pour la soulever jusqu'à son siège. Le Prince Impérial est un jeune homme à la voix nasillarde, mais bien sûr, personne n'irait le lui faire remarquer.

— Tu crois que je suis venue pour que tu me jettes des évidences à la face ? grommela Anko. Et ce soit-disant dieu ? Tu l'as trouvé ?

— Selon la croyance populaire, l'Empereur lui-même est un dieu devenu homme.

— Ce pépé tout fripé ? Tu te fous de moi ?

Kabuto bailla. En face de lui, Anko était toute tendue ; nul doute que si elle avait eu le choix, elle lui aurait asséné un bon coup dans les côtes pour lui apprendre à lui témoigner un peu plus de respect. Il lui fit un sourire taquin et demanda innocemment :

— Au fait, comment va Hijiri Tsumon ?

Anko devint cramoisie. Rage ou honte ? Cela fit rire Kabuto. Elle était si prévisible !

— Je ne vois pas quel rapport ça a avec la mission ! aboya-t-elle.

Kabuto se lécha les lèvres de manière obscène.

— Dommage. Je voulais aussi te demander des nouvelles de son petit frère. Il avait un tel... potentiel en lui.

— La mission, fit Anko entre les dents.

Kabuto se lassa de ce petit jeu. Après tout, le sort de Hijiri Tsumon, aussi intriguant fût-il, ne le concernait pas. Pas dans l'immédiat, en tout cas.

— Je ne sais pas si Jin Wu est un Dieu-de-Faim comme le pense Orochimaru, mais son existence est auréolée de mystère. Certains racontent qu'il avait un frère jumeau mais que celui-ci a été tué par leur père parce qu'il n'était pas aussi docile que son frère. Et il y a un fait curieux...

— Lequel ?

— D'après un vieux serviteur que j'ai réussi à faire parler, un peu avant que Jin ne tombe malade, Qiu Ji Wu avait paraît-il reçu la visite d'un étrange artiste venu d'Irope. Cela avait fait grand bruit parce que ce dernier aimait, selon le vieil homme, sculpter des figurines de monstres qu'il montrait à l'enfant. Il aurait même reproduit un dragon qui aurait pris vie.

Anko ne parut guère impressionnée.

— En quoi ça nous concerne ?

— Réfléchis. Un artiste qui sculpte des figurines. Et il y a aussi sa description.

— Comment ça ?

— Tout ceux qui l'ont rencontré s'en souviennent. Il avait de magnifiques cheveux d'or et une étrange manière de parler. Il portait aussi un manteau noir et rouge.

— Je vois, grogna Anko. Ils nous ont devancés. Saloperie ! Orochimaru ne va pas être content.

Et sans plus rien ajouter, elle disparut. La seconde suivante, on frappait doucement à la porte.

— Seigneur Yakushi ? fit la voix craintive d'un serviteur. Êtes-vous réveillé ?

L'entrevue avec Anko avait duré à peine cinq minutes. Kabuto bailla et dit au serviteur d'entrer.

o-o-o

Naruto avait l'impression de se retrouver dans un rêve. Sasuke, aussi émerveillé que lui, lui souriait de toutes ses dents, sans se soucier des regards suspicieux que leur lançaient les employés de l'hôtel et celui, plus alarmant, de Sakura. C'était très étrange : comme s'il s'était réveillé dans une autre dimension, un autre espace-temps. Ils n'étaient pas main dans la main, mais c'était juste, et cela faisait comme une brûlure dans le ventre de Naruto rien que d'y penser. Ils passèrent ainsi plusieurs heures presque les yeux dans les yeux, aussi innocents que deux enfants à leur naissance. Puis ils se ressaisirent peu à peu, et leur douce bulle dut bien fondre face à la réalité qui s'imposait.

Une journée ne s'était pas passée que Sasuke décida de repartir. Il avait encore une vengeance à accomplir, même si celle-ci était plus ténue et ne l'obsédait plus autant qu'avant. Mais avant tout, il voulait comprendre. Comprendre ce qui était passé par la tête de son frère lorsqu'il s'était attaqué à sa famille tout en épargnant son petit frère, comprendre pourquoi Kakashi lui avait apposé cette marque, pourquoi Konoha semblait être devenue folle avec l'arrivée de Naruto. Comprendre pourquoi Naruto ne l'avait pas encore tué, et que ses ancêtres le pardonnent, pourquoi lui-même n'avait pas la force d'essayer de le tuer alors qu'il représentait une telle menace pour l'humanité.

Bien entendu, l'annonce de son départ imminent ne réjouit pas Naruto.

— Pourquoi te venger ? Cette affaire remonte à longtemps. Viens plutôt te recoucher.

D'un geste, il lui désigna le futon qu'ils avaient décidé de partager en commun, les draps frais qui ne réclamaient que sa présence en leur sein. Sasuke soupira, indécis, avant de s'asseoir aux côtés de son ami, le regard cloué au sol.

— Je ne sais plus quoi faire, murmura-t-il. Entre ce qui s'est passé pendant ma mission vers Cathay, la destruction de Konoha, les retrouvailles avec mon frère... Naruto, qui dois-je croire ? Que dois-je faire ?

Jamais Naruto ne l'avait vu dans cet état. La bête qui était en lui, le dieu à la faim constante, lui hurlait de le dévorer sans attendre, avant que l'étrange attachement qu'il éprouvait envers cet enfant humain ne le paralyse davantage. L'humain, lui, lui chuchotait doucement de le prendre dans ses bras, de lui dire que tout irait bien, qu'il serait toujours là pour lui, car ils étaient amis et le resteraient quelles que soient les épreuves qu'ils auraient à traverser. Il opta pour un compromis, plus proche de l'humain toutefois : il se jeta contre lui, les faisant tomber à terre en une masse de membres gourds et lui mordit l'épaule avec rage sans aller jusqu'à faire couler le sang. Sasuke se dégagea avec un grognement et un regard exaspéré.

— Ce n'est pas le moment de jouer !

— Qu'est-ce que tu veux que je fasse, alors ? ricana Naruto. Tu veux que je me réveilles définitivement comme à Konoha et que je croque ton frère pour toi ? Ou que je me mette à t'attaquer pour que tu trouves enfin une voie à suivre ?

Sans surprise, Sasuke parut horrifié. Il se mordit la lèvre, jeta un regard hésitant vers Naruto avant de se prendre la tête entre les mains.

— Je ne veux pas me battre contre toi...

— C'est pourtant ce que tu devras faire quand j'accomplirai ma destinée. Ce n'est qu'une question de temps. Je suis né pour détruire ce monde.

— Tu ne peux pas... changer d'avis ?

Naruto éclata de rire.

— Changer d'avis ? Tu crois que c'est aussi simple ? Je suis un Dieu-de-Faim ! Ma seule existence tient sur le fait que je doive rayer toute existence de la carte ! N'as-tu pas entendu ce que Sakura t'a raconté ?

— Si, mais...

Sasuke avait l'air profondément malheureux. Naruto eut pitié de lui et colla son front contre le sien.

— Ce n'est pas immédiat, tu sais. Je dois d'abord trouver mes compagnons et désigner un nouveau Hijiri Tsumon.

— Un nouveau quoi ?

Le rire de Naruto était sincère. Il oubliait parfois que les humains avaient une existence très brève et donc qu'ils perdaient au fil du temps toutes les connaissances les plus élémentaires.

— Oh, une vieille tradition. Tout comme le Paladin Blanc, mon ennemi juré, doit avoir un Ivan-tsarévitch à ses côtés pour le guider et écarter ses ennemis, chaque Dieu-de-Faim se doit de posséder un Hijiri Tsumon afin de transmettre sa volonté au monde qu'il doit détruire.

— Chacun d'entre eux ?

— Sans exception. C'est une pratique si ancienne que personne ne pense à la discuter, et de toute manière, c'est assez pratique.

— Oh.

Sasuke parut réfléchir.

— Et... moi, je ne pourrais pas faire l'affaire ? Je ne pourrais pas devenir ton Hijiri Tsumon ?

Naruto secoua la tête.

— Non.

— Pourquoi ? Parce que je ne suis pas assez fort ? Parce que j'ai vécu sous le coup d'une malédiction pendant plus de sept ans ?

— Ça n'a rien à voir. Fort ou faible, peu importe : en devenant Hijiri Tsumon, la personne désignée acquiert des pouvoirs qui dépassent tout ce qu'il possédait auparavant, même s'il n'en a pas conscience. Mais crois-moi, une fois éveillé à son Dieu-de-Faim, chaque Hijiri Tsumon est capable de dévier la course des étoiles s'il le voulait. Encore faut-il qu'il soit suffisamment lié à son dieu et qu'il en ait la volonté.

— Dans ce cas, pourquoi pas moi ? Ainsi, nous pourrions rester ensemble !

— Accepterais-tu de tuer pour moi tous ceux de ton village, ton oncle et tes amis y compris ? De fendre la terre en deux et de plonger ce monde dans les flammes ? Car c'est mon rôle, moi le Chasseur de soleils, le Kyûbi. Le pourrais-tu, enfant perdu ?

Lentement, Naruto leva la main et caressa les cheveux de Sasuke, sans montrer le moindre signe de sentiment. Sasuke baissa les yeux. Son cœur battait à tout rompre.

— Je ne sais pas.

— Tu as ta réponse. Si tu doutes déjà maintenant, c'est que tu n'es pas fait pour être mon Hijiri Tsumon.

— Alors, que suis-je pour toi ?

Cette dernière question troubla Naruto. Qui était Sasuke pour lui, réellement ? Il se l'était déjà demandé sans trouver de réponse satisfaisante. Il était le Kyûbi ; il ne pouvait s'encombrer d'un humain à la force si limitée et à la durée de vie si dérisoire. Sasuke, qui avait traversé la moitié de son pays pour se venger de son frère et qui l'avait trouvé, lui. Sasuke, qui le regardait comme s'il tenait son univers entre les mains, et pas seulement parce qu'il était le Kyûbi. Il sentit ce qui lui servait de cœur se serrer ; l'expression triste de Sasuke lui arracha un soupir.

— Je ne sais pas, répondit à son tour Naruto. Nous voilà bien, hein ?

Sasuke se coula contre lui. Ils étaient déjà si à l'aise l'un avec l'autre ! Naruto trembla, un peu, rien qu'un peu.

— Je ne veux pas que tu détruises ce monde, dit Sasuke, pas vraiment. Mais je ne veux pas devoir t'affronter pour lui éviter de disparaître. Qu'est-ce que je dois faire ?

— Je ne sais pas.

Ils se serrèrent un peu plus contre l'autre.

o-o-o

Ils s'affrontaient du regard depuis des heures, ou du moins cela leur semblait des heures. Chacun à un bout de l'immense table de banquet ; chacun assis sur un siège si rembourré qu'ils sentaient à peine le bois de pin massif qui en constituait la base. Leur posture était aussi différente que leur personnalité : Neji se tenait droit, les bras longeant les accoudoirs avec dignité, tandis que Shikamaru, coudes posés sur la table et bas du visage dissimulé par ses mains entremêlées, donnait l'air de sortir d'un roman de quat'sous avec ses vêtements à la coupe flamboyante et son impressionnante chevelure d'un blanc éclatant que n'aurait pas renié un héros de romance fantaisiste. Neji le trouvait changé, et pas seulement à cause de son apparence. Il semblait plus alerte, plus conscient de sa propre personne, jusqu'à l'excès. Le moindre de ses gestes paraissait affecté, faux ; et quand il parlait en russian (fait qui avait jeté le trouble dans l'esprit de ce pauvre Lee la première fois qu'il leur avait montré), ses mots étaient nettement découpés, comme s'il tenait à être parfaitement entendu et compris.

Neji n'avait qu'une connaissance partielle de la langue. Où qu'il se tournât, il se heurtait à la rude mentalité russianne et cela le déconcertait, lui qui était habitué à la subtilité japonine et aux non-dits allant jusqu'à la préciosité. Il avait été élevé comme cela ; on lui assénait chaque jour dans son clan qu'une attitude effacée était un gage de respectabilité. Et voilà qu'il se retrouvait au milieu de ces Russians, des bons-vivants qui riaient à la moindre occasion et parlaient fort comme si leur vie en dépendait ! Neji n'avait pas l'habitude ; il n'avait même pas envie de s'adapter à ces coutumes pour le moins... barbares.

Lee n'avait pas tant de scrupules de son côté. Il évoluait comme un poisson dans l'eau malgré son ignorance de la langue et des coutumes ; c'en était passablement énervant. En ce moment, il riait à gorge déployée avec des nobles de la cour, faisait le pitre sur la table, amusait la galerie avec ses effets spéciaux et ses discours que personne dans l'assemblée ne comprenait à part ses compatriotes japonins.

Le banquet organisé par le tsareï Nicolas II en l'honneur de l'arrivée d'Ivan-tsarévitch et de son compagnon de voyage était déjà bien avancé. L'alcool coulait à flots, les mets étaient étalés sur la table, n'attendant que d'être dévorés. Ce que ne se gênaient pas de faire une bonne partie des convives, et ce pas toujours dans les bonnes manières les plus élémentaires. C'était bien simple, Neji était écœuré. Entre les hommes qui mâchaient la bouche ouverte des cuissots entiers de viande sans se soucier de la sauce qui leur coulait sur la barbe, ceux qui se délestaient de leurs vêtements pour montrer leurs muscles et ceux qui, déjà ivres, laissaient leurs mains errer sur les robes des dames qui ne protestaient pas le moins du monde, ou alors avec des œillades amusées du plus mauvais effet, il était servi. Le peuple russian était si mal élevé, si rustre ! Pourquoi l'avait-on choisi, lui qui n'arrivait pas à entendre un Russian roter sans que cela le fît grimacer ?

— Tu ne manges pas, ça ne va pas ? demanda Ino en lui tendant un morceau de pain que Neji accepta machinalement.

— Je n'ai pas très faim. Ça doit être le voyage.

— À d'autres. Lee et toi êtes arrivés un jour avant nous. Si moi je suis déjà d'applomb, alors pour toi, le génie des Hyûga, ça ne devrait poser aucun problème.

— Je n'ai pas voyagé dans un carrosse, contrairement à certains.

Ino se contenta de rire de sa remarque. Non loin d'eux, Iruka tentait tant bien que mal de suivre la tirade de son voisin de table, un homme de plus de deux mètres aux joues roses et au regard étonnamment bleu. Il paraissait très mal à l'aise. Neji ne se gêna pas pour l'observer longuement : dans un tel capharnaüm, son attitude passerait inaperçue sans problème.

— Cet homme est-il digne de confiance ?

— Pour autant que j'ai vu, oui. Il est dévoué à notre pays.

— Il vient pourtant d'Anglica...

— Ce n'était qu'une couverture. Sa loyauté est toute tournée vers Konoha.

Neji hocha la tête, peu convaincu. Seul l'avenir leur dirait si Ino avait raison. Pour l'heure, il préférait réfléchir à ce que son travail impliquait.

— Je n'ai pas beaucoup vu Shikamaru depuis que nous sommes arrivés. Il me semble avoir... changé.

— Bah, il s'est sorti les doigts du cul avec tout ce qui lui est tombé sur la gueule, c'est tout.

— Ino ! s'indigna Neji. Depuis as-tu un tel langage ?

La jeune fille lui fit un sourire taquin.

— À Bai Jin, fais comme les Bai Jin. Je ne fais qu'essayer de respecter la mentalité russianne. Ils sont très fiers de leur générosité, tu sais. Rester aussi coincé ne fera que les énerver. Détends-toi un peu, on dirait que tu assistes à un enterrement au lieu d'un banquet à ton honneur !

— Comme si l'on pouvait se le permettre ! siffla Neji entre les dents. Aurais-tu oublié la raison de ma venue ici ? Ce qui s'est passé au village ?

Ino lui fit un sourire rayonnant.

— Je ne l'oublie pas une seule seconde, dit-elle d'une voix enjouée qui donna à Neji l'envie de vomir. Mais nous sommes des invités d'honneur, ici. Si tu fais mauvaise figure, on va croire que tu es mécontent de l'accueil.

Neji serra les accoudoirs de son siège avec rage.

— Là n'est pas la question ! As-tu écouté ce que je t'ai dit !

— Oui, fit-elle, toute joyeuse. Le destin du monde est sans doute entre nos mains, je ne sais pas si ma famille va bien ou s'ils ont péri sous la patte du Kyûbi, nous perdons notre temps dans ce banquet stupide mais tu sais quoi ? Tout cela est nécessaire. Je ne veux pas prendre le risque de perdre des alliés précieux ou de me tromper en me précipitant vers une guerre dont je ne sais rien, tout ça parce que je n'ai pas su prendre mon mal en patience.

Son ton gai était en total désaccord avec les larmes qui perlaient au coin de ses yeux, et qu'un observateur moins attentif que Neji aurait pu prendre pour un effet de la lumière. Il se tut, confus, et réfléchit à ce qu'Ino venait de lui dire. Des alliés précieux, les Russians ? Sans doute. C'était là la patrie de Baba Yaga, les origines même de sa famille. Shikamaru évoluait dans ce faste, au milieu de ces êtres rudes et imprévisibles, avec une facilité déconcertante. Neji en était-il capable, lui qui avait toujours été, même de son propre avis, un être rigide au comportement guindé ?

— Je... je vais essayer d'être un petit peu plus patient, fit-il, gêné.

Ino lui fit un sourire un peu plus sincère.

— Je vais voir si je peux tirer Shikamaru de ses contraintes de cour. Je crois que ça ne lui ferait pas de mal ; il n'a jamais été très réceptions mondaines.

— Pas comme toi, hein ?

Le rire franc d'Ino fit sursauter une dame qui se trouvait à sa droite ; puis, voyant qu'elle ne faisait que s'amuser comme tout le monde, celle-ci lui tendit un verre rempli d'un liquide jaune à l'odeur entêtante qu'Ino engloutit d'une traite. Les deux femmes rirent ensemble.

— Il sera content d'être un peu seul avec toi, dit Ino en japonin. Il ne l'a pas dit, mais ça se voyait bien que tu lui manquais.

Pour la première fois depuis très longtemps, Neji se surprit à rougir.

o-o-o

Au fil des jours et des efforts fournis par ses habitants, Konoha reprenait de l'allure, se reformait en douceur. Les premiers bâtiments dont on s'occupa furent l'hôpital et les habitations ; on ne pouvait pas laisser les gens sans toit et sans moyen de se soigner. Puis on réarrangea les bâtiments administratifs, on redressa les portes du village, on remit un peu d'ordre sur le monument des Hokage qui avait été fortement endommagé lors de l'attaque du Kyûbi (notamment le visage du Quatrième qui avait été défiguré au-delà de toute reconnaissance. Fort heureusement, il restait assez d'experts en doton pour arranger tout ça). Les quartiers commerciaux furent peu à peu remis à neuf, le tout au milieu des cris des ouvriers venus directement de Suna et des enfants qui surveillaient les travaux d'un œil attentif (c'était mieux que de les laisser s'occuper des blessés ou de les envoyer sortir les corps de leurs proches de sous les gravats). L'un dans l'autre, cela avançait bien.

Avant que les travaux ne débutent, Jiraiya et Tsunade s'étaient enfermés de longues heures dans l'un des bunkers encore intacts pour discuter. Ils avaient permis à Sai de rester avec eux, étrangement. Quand ils sortirent, près de vingt-quatre heures plus tard, ils arboraient chacun des expressions différentes : neutralité mêlée d'une pointe d'inquiétude difficile à détecter pour Sai, lassitude pour Jiraiya, triomphe teinté de rancœur pour Tsunade. Aussitôt, Jiraiya annonça à tous la nouvelle : à savoir, qu'il cédait son titre de Hokage à Tsunade. Celle-ci devenait ainsi le Rokudaime Hokage, chef de Konoha et de son armée de ninja. Elle avait orchestré la reconstruction d'une main de fer, s'associant avec le Kazekage qui avait gracieusement proposé son aide, faisant appel à tous ceux qui leur devaient des services à des kilomètres à la ronde. Elle ne permit pas à l'économie locale de souffrir de leur revers de fortune puisqu'en quelques jours, elle assembla suffisamment d'hommes et de femmes valides pour s'occuper des missions encore à faire tandis que tous les autres, enfants et vieillards y compris, devaient mettre la main à la pâte pour restaurer leur village. Elle mit tant d'autorité dans ses ordres, tant de conviction à redresser ceux qui doutaient encore ou se complaisaient dans leur désespoir, que les travaux débutèrent en un rien de temps.

Et Jiraiya ? Il resta bien confortablement dans un lit d'hôpital à se rétablir, sous les soins jaloux de son fils adoptif et de son fidèle assistant Hijiri Tsumon qui était revenu depuis peu de mission. Personne n'eut le temps de réfléchir à sa démission avec tout le travail qu'il y avait à faire et de toute manière, Tsunade n'était pas un si mauvais choix puisqu'elle était infiniment plus crédible dans le rôle de chef.

— Sale histoire, quand même, grommela Hijiri qui avait trouvé sa place au chevet de Jiraiya. Vous croyez qu'on reverra le Kyûbi ?

Sai, qui était occupé à peler une pomme pour son père, leva la tête.

— Oui.

— T'as l'air bien sûr de toi.

— C'est le Chasseurs de soleils. Cet endroit est son territoire. Il reviendra.

— Ah ouais ? Bah, c'est pas grave. Cette fois-ci, on sera prêt à l'accueillir, croyez-moi. On va lui faire voir que les Japonins sont pas des lopettes !

Elle montra ses dents, ce qui fit grogner de concert ses chiens à ses pieds. Hijiri leur flatta le dos, un par un, avant de se tourner vers Jiraiya.

— Eh, le vieux, c'est quoi ton plan ?

— Un peu plus de respect, fillette, veux-tu ? grommela Jiraiya dans sa barbe.

— J'avais du respect pour le Hokage. Tout ce que je vois, c'est un vieux pervers qui s'est fait ratatiner par un renard géant.

Jiraiya fit la grimace. Il est vrai qu'il n'avait pas fière allure, en ce moment : les mains et le corps coincés dans d'épais bandages, le dos raide et un affreux mal de crâne par-dessus le marché, il était loin du fier Sannin craint par ses ennemis.

— Tu n'es pas tendre avec tes aînés, dis-moi !

— C'est pas en étant tendre qu'on fera avancer les choses. C'est quoi le plan alors ? Pourquoi as-tu donné ton titre à Tsunade ? C'est pas que je la respecte pas, mais tu m'avais pas dit que t'avais encore des choses à faire avant de rendre ton tablier ?

— C'est fait, sourit Jiraiya. Sai est en sécurité à présent, et je fais entièrement confiance à Tsunade pour redresser le village. Il est temps que je prenne une retraite bien méritée.

— Mouais... qu'est-ce que tu veux dire, par « en sécurité » ?

— Le Conseil n'est plus, pas plus que Danzô. Tsunade m'a promis de tout faire pour protéger ce garçon, et je sais qu'elle tiendra parole. Au pire, j'envisage de faire un long voyage une fois que je serai suffisamment rétabli.

— Tu vas partir de Konoha ? s'étonna Hijiri.

— Pourquoi pas ? Avant qu'on ne me demande de devenir le Godaime, je sillonnais le continent à la recherche d'aventures. Ça me manque, tout ça. Et maintenant que j'ai récolté d'un fier acolyte, ce sera encore mieux !

Il fit un sourire radieux à Sai qui lui rendit un semblant de rictus en guise de réponse. Hijiri y sentit néanmoins une pointe de chaleur qu'elle n'avait jamais remarqué jusqu'ici chez Sai ; comme s'il avait appris à mettre un peu d'émotion dans ses sourires factices. Malgré elle, elle en ressentit un vif plaisir. Elle les aimait bien, au fond, ces deux-là, même s'ils n'arrêtaient pas de lui attirer quantités de déboires dont elle se serait bien passée.

— Mais bon, continua Jiraiya avec un soupir, c'est bien beau de faire des plans d'avenir et tout ça, mais c'est pas demain la veille que ça va arriver. Si le Kyûbi réussit à rejoindre ses compagnons et à provoquer la fin de notre monde, on sera un peu dans les choux.

— On pourrait me tuer, fit Sai sans s'émouvoir. Et tuer tous les contenants.

Jiraiya et Hijiri grimacèrent d'un même accord.

— Je préfèrerais pas, dit Jiraiya en lui prenant la main. Comment je pourrais parcourir le monde avec mon fier acolyte si celui-ci n'est plus de ce monde ? Et je me vois mal m'attaquer au Kazekage. Ce ne serait pas très juste pour lui.

— Ni pour son Hijiri Tsumon, intervint Hijiri.

Deux paires d'yeux se tournèrent vers elle.

Son Hijiri Tsumon ?

Hijiri rosit légèrement.

— Je... Vous allez trouver ça ridicule.

— J'en doute, soupira Jiraiya. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as appris quelque chose sur ta nature ?

— Appris, je ne dirais pas ça, mais... Tu as bien dit que Sai a essayé de libérer le dragon durant l'attaque du Kyûbi ?

— Oui, et alors ?

— Ben, si on en juge par le moment, c'est à peu près quand j'ai eu cette drôle de crise.

— Quelle crise ? De quoi tu parles, gamine ?

Hijiri hésita. Avait-elle le droit d'en parler, elle qui était si peu sûre ? Pourtant, d'eux tous, Jiraiya était celui qui connaissait le plus Sai, il saurait s'il y avait quelque chose d'étrange.

— J'ai eu une sorte d'envie... non, de besoin. Comme s'il fallait absolument que je sois avec Sai. Être loin de lui m'était insupportable. Je ne comprends pas pourquoi...

— C'est pour ça que tu es rentrée aussi vite ?

— Oui. Ça me faisait presque mal, à force. Je me suis sentie mieux quand je l'ai vu.

Jiraiya garda le silence. Puis...

— Je ne suis pas certain de ce que j'avance. D'après les textes que j'ai consultés sur les Dieux-de-Faim, ceux-ci ne sont pas seuls. Jusqu'ici, je pensais que les auteurs voulaient dire qu'ils étaient plusieurs dieux. Maintenant, je n'en suis plus si sûr.

— Tu veux dire...

— C'était très vague, mais après déduction j'ai compris que ceux qui accompagnaient ces dieux n'en étaient pas forcément eux-mêmes.

— Hijiri Tsumon... croassa Hijiri.

— Peut-être. Peut-être pas. Vous cherchez tous quelque chose sans savoir quoi. C'est Gaara et son Hijiri Tsumon, comme tu dis, qui m'ont mis la puce à l'oreille. Certes, c'était bien pratique que ce type ait de quoi arrêter l'Ichibi, mais il n'avait pas besoin de devenir Hijiri Tsumon pour autant. Et c'est celui qui l'était avant lui qui a forcé la chose. Comme s'il savait comment amadouer ce dieu.

— Ce qui veut dire...

— Va savoir. Si ça se trouve, je suis complètement à côté de la plaque. Le mieux, ce serait peut-être de voir avec l'autre Hijiri et Gaara.

Hijiri et Sai s'échangèrent un regard.

Deux Dieux-de-Faim et leur Hijri Tsumon. Cela promettait d'être intéressant.

o-o-o

Cadwalader O'Brien était par nature un homme posé aux convictions profondes quoique souvent dissimulées au commun des mortels. Neville le connaissait depuis l'âge de quatre ans ; leur première rencontre, organisée de main de maître par leurs parents afin de forger entre eux une amitié propre à former la future élite qu'ils seraient, s'était pourtant déroulée dans les pires conditions possibles. Profitant du bal organisé par les Derwyddon, un groupe extrémiste composé d'Ires aux revendications obscures avait lancé un attentat qui avait bien failli coûter la vie à l'héritier O'Brien. Fort heureusement, l'intervention rapide des Sithes de la famille leur avait assuré la victoire. Les terroristes n'avaient jamais été arrêtés, mais jusqu'à ce jour, Neville gardait une hargne farouche envers tous ceux originaire de l'Île d'Ires.

Leur amitié née de l'épreuve qu'ils avaient traversée ce jour-là n'avait jamais déclinée et s'était même transformée avec les ans en affection physique. Il n'y avait pas la moindre once d'amour romantique : ils étaient trop raisonnables et trop ambitieux pour cela. O'Brien était marié à l'une des cousines de la Reine et profitait bien évidemment de sa dot et de l'ajout de notoriété que lui avait valu une telle union. Quant à Neville, il n'avait pas encore trouvé chaussure à son pied, tout simplement parce que son nom n'était plus aussi reluisant qu'il l'avait été lors de sa jeunesse. Du reste, il ne se sentait aucune inclination particulière envers le beau sexe, bien qu'il sût qu'il lui faudrait tôt ou tard donner un héritier à sa famille.

Pour l'heure, il se trouvait dans un cab qui l'emmenait au manoir familial des O'Brien, situé en périphérie de Landers. Bien entendu, O'Brien possédait ses propres quartiers au palais mais il détestait y résider si aucun problème urgent ne requérait sa présence. Neville connaissait au détail près l'emplacement de la moindre cabane appartenant à son vieil ami ; eût-il eu un Sëregird sous la main, il eût pu le guider les yeux fermés afin qu'il le transporte sur les lieux, car il avait eu le loisir de visiter chaque lot avec O'Brien.

Le cab arriva en début d'après-midi, alors qu'une neige fine tombait sur l'allée pavée devant la porte. Neville descendit en toute hâte ; un domestique tenait le parapluie qui l'empêchait de se mouiller tandis qu'un autre déchargeait ses bagages. Ils furent accueillis par une bonne minuscule dont les oreilles étaient dressées en pointe ; sans doute une Sithe mineure dont le manque de statut l'avait obligé à se chercher un emploi auprès des humains. Neville lui jeta un regard condescendant.

— Bonjour, monsieur, fit-elle d'une voix flutée.

— Bonjour, dit Neville qui ne voulait pas perdre de temps. Je suis Neville Derwyddon. Sir O'Brien est-il là ?

— Non, monsieur. Il est parti déjeuner chez Lady Malrose. Il sera de retour vers quinze heures.

Neville consulta sa montre : quatorze heures. Il avait encore une heure à attendre.

— Eh bien, je resterai là. Servez-moi un porto. Je meurs de soif.

— Mais...

— Quoi ? Vous ne comprenez pas l'anglican ?

La domestique baissa les yeux, trembla de tous ses membres.

— C'est-à-dire... Je ne sais pas si je peux...

Neville se fâcha.

— Comment ! Quelle impudence ! Savez-vous qui je suis ?

Pauvre enfant ! Elle recula d'un pas, mais Neville n'avait que faire de sa terreur apparente : il avait passé une trop mauvaise semaine pour se soucier du bien-être d'une petite bonne de rien du tout. Il s'apprêtait déjà à lever la main pour la frapper quand une voix dure se fit entendre.

— Ça suffira comme ça, Kalleen. Vous pouvez disposer.

Apparut alors le majordome, Henry. Neville reprit son calme : il ne tenait absolument pas à provoquer l'ire de cet homme, quel qu'en fût la raison. Kalleen disparut derrière lui.

— Bonjour, Mylord, dit Henry. Avez-vous fait bon voyage ?

— Affreux. Je disais justement à cette jeune personne que je désirais m'entretenir d'une affaire délicate avec le Grand Chambellan.

— Mylord n'est pas là pour l'instant. Désirez-vous l'attendre dans le salon d'agrément ?

— Ce sera parfait.

Henry le conduisit à travers le vestibule de son pas égal, si semblable à une marche militaire. Tous les domestiques de la maisonnée le craignaient, non sans raison : il avait en effet fait partie du Service du Mieux dans sa jeunesse. Neville frissonna rien qu'à l'évocation de cette organisation. Qui en Anglica ne connaissait pas le Service du Mieux ? Sous ce nom quelque peu naïf se cachait la pire organisation royale du pays. C'était bien simple, les membres n'étaient ni plus ni moins les larbins du pourvoir en place, des professionnels spécialisés dans l'assassinat qui œuvraient au moindre signe de la Reine Elaine et avant elle, de son père Richard V. Que les O'Brien aient pu acquérir les services si prisés d'un de leurs membres était un signe de leur puissance, qui pour certains bien informés n'était pas loin d'égaler celle de la Reine même si leur rôle en surface était moins évident.

Que pensait Elaine II d'un tel arrangement ? Neville l'ignorait et à vrai dire, il n'était sans doute pas près de le savoir. Depuis qu'il avait été exclus de la haute sphère du pouvoir, peu de portes lui étaient encore ouvertes. Elaine le considérait avec mépris ; il avait pu le constater lors du dernier dîner officiel auquel il avait assisté, et qui datait bien de six mois. Elle n'était pas la seule à le considérer comme de la paille pour chevaux : au vu de la mine affichée par les officiers présents lors de son passage-éclair au bureau d'O'Brien juste avant que celui-ci ne lui remette son ordre de mission, il ne valait pas mieux que la petite piétaille qu'ils envoyaient se faire tuer sur les champs de bataille. Dieux que la vie était injuste ! Sa famille auparavant si respectée était tombée bien bas en quelques années, et tout ça à cause d'une stupide erreur de jeunesse ! La société anglicane bien-pensante était si rancunière, si peu apte à pardonner !

Le salon d'agrément était une vaste pièce circulaire décorée à la dernière mode. Neville s'installa dans le meilleur fauteuil tandis qu'Henry allait chercher le porto dont il avait tant envie. Par la fenêtre, il pouvait voir que la chute de neige fine de tantôt s'était transformée en une véritable tempête ; les flocons s'écrasaient sur la vitre en formant un amas blanc sur le sol. Soupirant de plaisir, il se cala un peu mieux dans son siège tandis que le bas de son pantalon séchait tranquillement.

Henry revint à peine deux minutes plus tard avec un plateau. Il y avait non seulement l'alcool mais aussi quelques amuse-gueules que Neville dévora avec délice. La bibliothèque du salon regorgeait de livres ; il en prit un sur l'Histoire des appareils volants et se mit à lire.

Une heure plus tard, la porte s'ouvrit pour laisser passer O'Brien. Il était aussi imposant que dans les souvenirs de Neville : les traits aristocratiques, le maintien digne malgré sa silhouette relativement menue pour un Aigre-Marin, il émanait de lui cette prestance propre aux nobles habitués à commander. Neville lui fit un sourire de circonstance.

— Bonjour, mon ami ! s'écria O'Brien en lui tendant la main.

Ils se saluèrent selon l'usage entre amis proches, puis O'Brien prit place dans le fauteuil faisant face à celui de Neville.

— Des nouvelles ?

— Rien que tu ne dois savoir déjà, dit Neville. Sauf peut-être ceci.

Et sans plus attendre, Neville sortit sa carte secrète : des clichés qu'il avait pris en cachette du navire volant dans lequel Iruka Umino avait disparu le temps de ramener l'Ange Céleste. Il avait eu beaucoup de mal à se procurer cet appareil photographique portable mais les sommes qu'il avait investies en valaient la peine : devant eux, captés sur papier, se déployaient l'Ange Céleste et le formidable vaisseau qui leur avait permis de remplir leur mission, aussi incomplète fût-elle. O'Brien observa d'un air curieux les clichés tandis que Neville attendait son verdict, le cœur battant.

— Jolies prises, dit O'Brien d'une voix neutre.

— Il n'y a aucun trucage !

— Je n'en doute pas.

— Les clichés sont véridiques, fit alors une troisième voix.

Neville sursauta, regarda dans tous les coins sans voir la moindre trace de cette troisième personne. Avait-il rêvé ?

— Cela nous complique les choses, si le peuple de Mü est encore capable de se défendre, fit de nouveau la voix.

Et, surgissant du sol, apparut l'être le plus étrange et le plus effrayant que Neville eut jamais vu. Très grand, engoncé entre deux crocs végétaux gigantesques qui étaient eux-mêmes entourés d'une cape rouge et noire, un homme au faciès noir et blanc lui jeta un regard vide.

— Vous êtes en retard, constata O'Brien sans s'émouvoir le moins du monde.

C'est à cause de votre fichu temps ! Zetsu n'aime pas ça !

— Un engagement est un engagement. Vous m'aviez dit être là à quinze heures tapantes. Il est quinze heures quinze.

— J'en suis confus, dit encore le monstre, d'une voix qui sembla différente à Neville. Je n'ai pas l'habitude de vos climats.

O'Brien balaya son excuse d'un revers de main.

— Enfin passons. Nous avons du travail en perspective, si ces clichés sont effectivement ceux d'une flotte mü. Neville, que peux-tu me dire d'autre là-dessus ?

Neville ne répondit pas. Au lieu de cela, il tourna de l'œil et s'effondra lourdement sur le tapis.

À suivre...


Teaser :

Iruka ne comptait plus les heures à essayer de maîtriser le sort qu'il devait jeter sur Naruto, afin de contenir le monstre qu'il était. Shino l'aidait de son mieux avec ses faibles connaissances de l'art des Pampelune, mais bien sûr, c'était loin d'être suffisant au vu de la tâche qui les attendait. Blanche leur avait heureusement offert une espèce de manuel qu'elle avait rédigé de sa main en un temps record, manuel que Shino s'efforçait d'apprendre par cœur et de reproduire presque les yeux fermés. En moins d'une semaine, il avait déjà assimilé le sort en question et manipulait la chaîne d'or comme s'il était né avec ; signe qu'il était bien un héritier des Pampelune. Pour Iruka, ce fut plus dur : non seulement il ne disposait pas du sang de cette lignée, mais sa nervosité naturelle faisait disparaître toute trace de magie qu'il pouvait produire.

Merci de votre fidélité et à bientôt dans le Chapitre 20 : « Science et magie » !