LA COURSE AU CHIEN SAUVAGE
Disclaimer : Tout appartient à JKR, sauf mes quelques OC.
Epoques traitées : 1993/1994 (tome 3) & 1977/1978 (temps des Maraudeurs)
Structure de l'histoire : un chapitre par époque
Personnages traités : Sirius Black, James & Lily Potter, Peter Pettigrow, Remus Lupin, Regulus Black, Alice & Frank Londubat, Amélia Bones, Nymphadora Tonks, Cornélius Fudge, Dolores Ombrage, Kingsley Shacklebolt, Hestia Jones, Emmeline Vance, Arthur Weasley (& sa famille), Dean Thomas, Neville Londubat, Ernie Macmillan & une flopée d'autres...
Merci à Marijuane, pour avoir relu avec patience le début de ce monstre et j'espère, la fin ! *o*
Bonne lecture !
PROLOGUE - Miracle canin à Hartlepool
En vingt ans de pratique de la pêche, James « Cook » Hoober avait récolté bien des 'trésors' ; si l'on osait nommer ainsi tout ce qui atterrissait dans son filet troué par endroits et que ses finances ne lui permettaient pas de remplacer par un neuf. Dans un coin de son embarcation, s'entassaient une bonne centaine de chaussures esseulées, abandonnées sans leur paire dans les tréfonds de la Manche. Les bouteilles, en plus grand nombre encore que leurs amies les chaussures, venaient elles aussi alourdir très souvent, trop souvent, le contenu de sa récolte. De bière ou de vin généralement, et que les jeunes de Hartlepool se défiaient de balancer le plus loin possible depuis le ponton du petit port, quand ils venaient y finir leurs soirées trop arrosées.
Des poissons, « Cook » n'en pêchait finalement que très peu. Devait-il blâmer son filet défectueux ou son éternel infortune ? Il n'en savait fichtrement rien.
Près de dix ans après avoir acheté un bateau flambant neuf, qui paraissait quelque peu décrépi aujourd'hui, le vieil homme au crâne dégarni et au nez proéminent avait fini par admettre que la pêche, activité ô combien amusante, était aussi une activité assez peu lucrative. Pour une raison qui échappait à tous ceux qui avaient un jour jeté l'ancre près du vieux port auquel Hoober était si attaché, les poissons étaient, sinon inexistants, du moins fuyants. Quand un marin chanceux réussissait à mettre la main sur une poignée de gros bars aux nageoires élimées, ces derniers s'avéraient, sinon morts, du moins dégoûtants. Les yeux vides, ils se débattaient à peine lorsque leurs petits corps secoués de soubresauts touchaient le sol en bois de l'embarcation et s'avéraient, la plupart du temps, immangeables.
Hoober, pourtant, n'avait jamais voulu quitter cet 'emploi', qui ne lui rapportait plus rien. Sa femme, Iona, ne cessait de lui rabattre les oreilles avec ces histoires de crise, d'enfants, de sous, mais rien à faire, Cook n'en démordait pas. Chaque jour il prenait son bateau et chaque soir, il rentrait bredouille, prêt à affronter les réprimandes de sa moitié.
Ce soir-là cependant, les choses tournèrent mal. Plus mal encore que les fois précédentes.
Il y eut des mots durs, des bouts de verre cassés et Cook, excédé, avait repris le chemin du port, prêt à naviguer plus loin encore que d'habitude, dans l'espoir de trouver ne serait-ce qu'un poisson. Peureux, cependant, il ne s'aventura pas trop près de ce que l'on appelait, ici, le « cercle d'Hartlepool ». D'après la légende, quiconque s'approchait de ce sillon de brume lointain et glacial était appelé à périr, de tristesse et de désespoir, avalé par les créatures féroces qui y nageaient. Cook laissait généralement ces affabulations aux bonnes femmes, mais, dans le doute...
Il vogua toute la nuit, somnola quelques heures, flottant au beau milieu d'une traînée d'eau rendue noire par le reflet du ciel faiblement étoilé. Alors que le teint rosé de l'aube naissante commençait à poindre, ce fut le bruit grinçant de la corde frottant la poulie qui le réveilla en sursaut. Quelque chose de lourd, de plus lourd qu'une chaussure en tous cas, avait touché le fond de son filet qui, peu habitué à fonctionner, faisait état de sa présence à son propriétaire. Celui-ci sauta sur ses jambes fatigués avec la vigueur d'un jeune matelot faisant ses premières armes, grisé à l'idée d'avoir enfin pêché une poignée de poissons susceptibles de donner tort à sa femme et de lui faire entendre raison.
Il tira avec toute la force de ses cinquante ans sur la corde pour découvrir, la patte empêtrée dans l'un des accrocs du filet, ce qui ressemblait à un... chien.
Noir, le poil long mais flétri et manifestement sous-alimenté.
Lorsque son corps tremblant heurta le sol, Cook crût qu'il était mort. Après tout, à cette distance-là du port et dans un tel état, il aurait dû l'être. Foncièrement déçu par cette trouvaille pourtant peu commune, le pêcheur décida d'aller libérer la patte du pauvre animal, qui rejoindrait le cimetière improvisé que ses enfants, des tueurs d'animaux de compagnie en puissance, avaient improvisé dans l'arrière-cour de leur jardin.
En s'approchant de l'animal pour s'acquitter de cette basse besogne, il perçut cependant comme un sifflement provenant de sa truffe. Les quatre pattes en l'air, l'animal semblait respirer ; il semblait même tenter de reprendre sa respiration. Intrigué, Cook s'approcha plus près. Assez près pour discerner les efforts faits par le chien. Trop près, sans doute, puisque ce dernier, percevant probablement sa présence, ouvrit de grands yeux et montra les crocs, dans un grognement.
— Tout doux le chien ! s'écria le vieil homme en reculant précipitamment. Tout doux.
L'animal n'eut pas l'air de l'entendre, et paraissait même prêt à lui bondir dessus, mais son corps emprisonné par les mailles du filet l'empêchait de bouger. De réguliers sifflements s'échappaient désormais de sa gueule grande ouverte, comme s'il était enrhumé. Bon Dieu, ce chien avait dû passer la nuit dans l'eau ! Aux sifflements s'ajoutaient des grognements hargneux. Peut-être avait-il la rage et son propriétaire, apeuré, l'avait jeté à l'eau pour s'en débarrasser ? Cette pensée arracha une grimace à Cook qui, après un instant d'hésitation à observer le chien se débattre, décida de s'approcher.
— Je te libère, et tu promets de ne pas me mordre, hein ? marchanda-t-il bêtement, en se baissant pour libérer la bête.
Curieusement, cette dernière se calma et tendit même une patte décharnée vers le vieux Hoober pour montrer sa bonne volonté. A force de se débattre, elle n'avait fait que s'enrouler encore davantage dans les mailles, si bien que le pêcheur mit un peu plus de cinq minutes à l'en extraire. Chaque os de l'animal que les doigts du vieil homme touchaient semblait saillant et de drôles d'ecchymose balayaient ce qui lui servait de torse.
— On t'a battu, pas vrai ? marmonna l'homme en sentant la peur s'envoler et la colère la remplacer. Battu et balancé à l'eau !
Libre, le chien se laissa tomber sur le sol en tremblant et mue d'une soudaine sollicitude, Cook l'attrapa dans ses bras avec autant de douceur que possible pour le descendre dans la minuscule cabine qui l'accueillait quand la tempête se déchaînait et qu'il avait pris le large. La pièce était froide, inhospitalière mais, dans un coin, un lit de fortune était dressé et une couverture, rêche et pelucheuse, y traînait. James déposa délicatement l'animal sur le matelas fin et rugueux avant d'enrouler le corps frêle dans le drap. Il ne pesait pas grand-chose et semblait lutter contre quelque chose, les mâchoires serrées avec faiblesse.
— Les enfants seront bien contents d'avoir un nouvel animal de compagnie, commenta-t-il simplement en caressant le museau de la bête, qui roula sur le côté.
Et sur ces paroles, il monta rapidement l'escalier droit pour rediriger son embarcation vers les côtes toutes proches, laissant son nouvel invité seul.
Ce qui se passa par la suite dans la cabine, il n'en sut jamais rien.
Trop occupé à manœuvrer son bateau à l'étage, il n'assista pas aux transformations répétées, incontrôlables, de Sirius Black qui, épuisé par cette traversée, avait fait un effort considérable pour ne pas reprendre forme humaine jusqu'ici. Pendant de longues minutes, il fut incapable de contrôler les flux magiques qui bouillonnaient dans ses veines et qui lui procuraient cette drôle de sensation de vie qu'il croyait avoir perdu, bien des années auparavant. Il passa ainsi de chien à homme puis d'homme à chien plus d'une quarantaine de fois, jusqu'à reprendre le contrôle.
Tremblant, mais parfaitement éveillé, il profita un instant du plaisir de ne pas voir de barreaux l'entourer et de ne pas sentir, persistant, le froid glaçant et caractéristique d'Azkaban. Il était hors de question, pourtant, de s'endormir. Conscient du danger qu'il courrait et de la nécessité de ne pas montrer son véritable visage à ce vieux bougre qui l'avait sauvé d'une noyade certaine, l'homme reprit forme animale et se pelotonna, quelques instants encore, contre cette couverture râpeuse. Lorsque le bateau eut un soubresaut, signe qu'il venait d'arriver à bon port, le chien sauta sur ses pattes avec une souplesse qui semblait naturelle, plus que jamais prêt à reprendre la route.
Cook fut étonné de le trouver ainsi, jappant vigoureusement depuis sa couche.
Comment cet animal, vulnérable et titubant encore dix minutes plus tôt, lui échappa ? Il n'en sût jamais rien. Il était prêt à parier, cependant, que la bête ne survivrait pas plus de trois jours dans un tel état.
Ce sur quoi, évidemment, il se trompait lourdement.
CHAPITRE 1
Évasion pionnière
L'horloge venait de sonner dix heures et j'étais confortablement installée sur le canapé trônant au milieu de mon salon, encore en pyjama et les yeux rivés sur une liasse de parchemins débordant d'inscriptions écrites à l'encre noire, quand Clide Chambers, l'assistant que le Ministère m'avait assigné près d'un an plus tôt, avait débarqué.
Ou, plus exactement, quand sa tête s'était brusquement matérialisée au beau milieu de l'âtre qui me faisait face, dans un crépitement irritant qui me fit sursauter.
Jusqu'ici appuyé contre le bord de la table basse, l'un de mes pieds nus alla heurter une tasse de café encore pleine posée dessus et dont le liquide sombre vint bientôt se répandre sur le tapis aux motifs persans que mon oncle Sam m'avait envoyé de Turquie, à mon déménagement.
Je ne pus retenir un juron.
— Désolé, s'empressa de s'excuser le jeune homme d'une voix contrite, se composant une expression embarrassée que j'aurais sans doute trouvée convaincante, s'il n'avait pas eu la mine aussi grave et les sourcils si froncés. Je ne voulais pas te déranger.
Le dernier mot s'accompagna d'un regard insistant, qu'il laissa couler sur l'intégralité de mon corps, s'attardant sans doute trop longtemps sur ma tenue pour être véritablement innocent ; mal à l'aise, je me rassis rapidement à ma place, saisissant de ma main droite les conclusions que j'étais en train d'étudier avant son arrivée, attrapant, de la gauche, ma baguette magique posée sur le divan.
— Qu'est-ce que tu fais là, dans ce cas ? demandai-je d'un ton que j'espérais sévère, sans toutefois parvenir à l'effet désiré, secouant d'une main négligente le morceau de bois pour nettoyer le tapis. L'audience préliminaire pour le procès Wildsmith n'est que cet après-midi. Je pensais arriver au ministère une petite heure avant.
Il me dévisagea comme si le nom de notre cliente du moment, héritière contestée de l'inventrice de la poudre de Cheminette qui lui avait permis de s'introduire dans mon salon sans prévenir, ne lui disait rien.
J'aurais pourtant juré que l'étude de l'arbre généalogique de la famille, composée d'un trop grand nombre de noms suite aux mariages, divorces et remariages qui avaient ponctués cette lignée, l'avait marqué pour un bon moment ; déchiffrer les runes moyenâgeuses inscrites sur le parchemin défraîchi sur lequel Ignitia Wildsmith était censée avoir posé son testament avant sa mort en 1320 était une tâche que je ne risquais pas d'oublier, pour ma part.
— Depuis quelle heure est-ce que tu es réveillée ? me demanda-t-il pour toute réponse.
J'aurais certainement pu lui indiquer, pédagogue, que répondre à une question par une autre question était généralement contre-productif mais je ne pus que froncer les sourcils, perplexe : la question semblait trop futile, car sans intérêt, pour ne rien cacher.
— Depuis près de deux heures, répondis-je tout de même en étalant sur mes jambes croisées les parchemins que j'avais l'intention de finir d'annoter avant cet après-midi. Pourquoi ?
— Tu n'as reçu aucun hibou du ministère ? Aucun appel de cheminée avant le mien ?
Me désintéressant de mon travail, je baissai un œil désormais suspicieux vers lui.
— Non, l'informai-je du bout des lèvres. Pourquoi ?
Il pinça légèrement les siennes, son visage affichant maintenant un air franchement étonné.
— Tu n'écoutes pas la radio ? insista-t-il lourdement. Tu ne lis jamais la Gazette ?
Agacée, je levai les yeux au ciel.
— Pas depuis que le hibou qui me livrait a failli m'arracher l'index pour récupérer les quelques mornilles qu'il me restait pour déjeuner, grognai-je avec lassitude.
Il m'observa avec circonspection, hésitant visiblement entre rire et s'assurer que je ne plaisantais pas.
— J'étais encore étudiante et je ne voulais pas risquer de mourir de faim tous les midis pour lire les dernières nouvelles alors je me suis désinscrite, précisai-je lorsqu'il se décida pour la première option. Il y a toujours un exemplaire qui traîne au ministère et je n'ai jamais pensé à me réabonner une fois certaine de ne pas mettre aux enchères mon pouce ou mon annulaire.
Son ricanement ignare persista encore quelques secondes, avant de s'achever dans un mouvement de tête.
— Tu risques de t'en mordre les doigts, commenta-t-il bientôt, avec une ironie qui ne m'échappa pas. La une d'aujourd'hui vaut vraiment son pesant de gallions.
Je roulai des yeux, excédée par la bassesse de son humour, et l'incitai d'un regard stoïque à lâcher le morceau.
— Ton audience pourrait être reportée à une date ultérieure, consentit-il à révéler d'une voix mystérieuse, ménageant visiblement son effet. A cause de...
— Quoi ? l'interrompis-je en me levant brutalement, emportant dans mon mouvement ma pile de parchemins.
Le souvenir des deux nuits passées à bachoter sur les fameuses runes pour déposer le dossier dans les temps était encore trop prégnant et m'empêcha même de me demander pourquoi.
Clide n'eut cependant pas l'air de remarquer que mon « quoi » était moins curieux que scandalisé, tout occupé à révéler au goutte à goutte les informations apparemment précieuses qu'il détenait. Ses yeux, même au milieu d'un âtre enflammé, brillaient d'une lueur étrangement excitée.
— Le ministère est sens dessus-dessous, continua-t-il, en secouant doucement la tête. Et au vu du nombre de coups de cheminette que tu as reçu au bureau depuis ce matin, je m'étonne que tu sois encore en pyjama chez toi et que personne n'ait pensé à venir te déranger directement ici. Notre département est complètement dépassé par les événements.
Je ne perdis pas de temps à lui expliquer que la cheminée du bureau depuis laquelle il m'appelait faisait partie des rares âtres auxquels mon réseau était encore raccordé. La façon dont il s'était invité chez moi était une preuve de plus que les réseaux de cheminette méritaient une petite amélioration, question garantie de la vie privée.
— Quels événements ? grinçai-je avec impatience, à la place. Arrête de tourner autour du pot !
Il répondit par un soupir et, avant de m'avoir fourni la moindre réponse, disparut quelques secondes de mon champ de vision, me laissant seule, debout au milieu de la pièce, un tas de parchemins froissés abandonné à mes pieds.
Moins d'une minute plus tard, il était toutefois de retour et s'étonna à peine de me voir agenouillée devant ma cheminée, piquée par la curiosité ; esquissant un sourire crispé, il me tendit à travers les flammes un exemplaire de la Gazette du sorcier, probablement datée d'aujourd'hui.
— Cet événement-là, dit-il en insistant sur le singulier. Celui dont tout le monde parle depuis ce...
Je ne l'écoutai cependant déjà plus ; les yeux arrondis par la stupeur, le cœur désormais battant, et la bouche devenue sèche, je déglutis bientôt avec difficulté.
En première page du journal que je venais de déplier s'étalait une photo qui, par sa grandeur, occupait l'essentiel de la page.
Pâle et cadavérique, les os de son visage désormais saillants et ses yeux devenus globuleux tournoyant follement dans leurs orbites, Sirius Black, ou plutôt l'ombre du déchet qu'il était devenu après douze ans de vie en prison, semblait m'observer. Plus encore que sur la photographie de cet homme méconnaissable, mon attention se focalisa sur les mots auxquels si peu de place avait pourtant été laissée. La lecture du titre, écrit en lettres capitales noires sur fond blanc, me fit l'effet d'un électrochoc, ajoutant aux battements désordonnés de mon cœur contre mes côtes et au tremblement incontrôlable de mes mains devenues moites, un sentiment ressemblant vaguement à de l'effroi :
QUAND SIRIUS BLACK REALISE L'IMPOSSIBLE
ET ECHAPPE A LA VIGILANCE DES DETRAQUEURS
Fermant les yeux l'espace d'une seconde, sentant la tête me tourner sous le choc, j'ignorai le regard devenu inquiet que Clide faisait peser sur moi et tentai, vainement, de reprendre le contrôle de ma respiration irrégulière. Il n'en fallut pas plus pour qu'une vague de souvenirs que je croyais oubliés ne me frappe, faisant se crisper mes mains autour du parchemin que je tenais toujours. J'y coupai court en rouvrant de grands yeux et, osant à peine sourciller désormais, reportai toute mon attention sur les quelques lignes faisant office de chapeau, sans pouvoir m'empêcher de lancer régulièrement un coup d'œil au visage aminci qui me faisait face.
Jusqu'ici tristement célèbre pour avoir tué treize personnes, dont douze moldus, dans une rue de Londres au lendemain de la chute de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, Sirius Black, bientôt trente-trois ans dont douze passés en cellule a, hier, réalisé l'impossible en s'échappant de la forteresse d'Azkaban jusqu'ici inviolée. Adepte de magie noire, né d'une lignée de sang-purs influents et bras droit du sorcier le plus redouté du 20ème siècle, Black est considéré comme extrêmement dangereux, et son évasion, en phase de devenir l'événement le plus catastrophique des dix dernières années, interroge.
J'avisai d'un regard la liste des articles listés à la suite : en pages 3 et 4 semblaient s'étaler un récit détaillé des événements survenus la nuit dernière, alors que la majorité des sorciers britanniques dormaient tranquillement, bercés par l'illusion d'être en sécurité. Les pages 5 et 6, « La question que tout le monde se pose : comment ? », faisaient concurrence aux pages 7 et 8, « Celle que personne n'ose réellement se poser : pourquoi ? ». Enfin, « Ce que vous avez toujours voulu savoir sur Sirius Black » laissait entendre que Skeeter s'était emparée de l'information, clôturant, en page 12, cette édition presque entièrement consacrée au sujet.
La nausée n'attendit pas plus longtemps pour me saisir l'estomac, faisant remonter le long de mon œsophage les restes du petit déjeuner que j'avais avalé au réveil.
— Mackenzie ? tenta Chambers, légèrement interdit, au moment où je me forçais à ne pas vomir sur mon tapis et d'une voix suffisamment forte pour supplanter le bourdonnement sourd qui résonnait désormais dans mes oreilles. Est-ce que ça va ?
La note d'inquiétude dans sa voix m'aurait arraché un sourire un autre jour mais sur le moment, ses paroles réussirent uniquement à me sortir, brutalement, de ce moment de léthargie. Je secouai doucement la tête, arrachant difficilement mon regard toujours médusé de la première page, et tentai de reprendre contenance.
Clide m'observait désormais avec suspicion, les sourcils étonnamment hauts.
— Quand est-ce que c'est arrivé ? m'enquis-je en contrôlant de façon particulièrement convaincante, expérience oblige, le tremblement de ma voix.
— Dans la nuit, probablement, m'informa-t-il avec un brin d'excitation. Le directeur de la prison s'en est rendu compte en faisant un tour de garde, les Détraqueurs n'avaient pas semblé remarquer la disparition.
Je déglutis de nouveau.
— Ils sont aveugles, précisa-t-il encore.
— Je sais ça, répliquai-je d'une voix sourde.
— Ce qui étonne le plus Heather c'est qu'ils auraient dû sentir son absence, continua-t-il, les yeux brillants, visiblement impatient de s'épancher sur les théories expliquant cette évasion. La surpopulation carcérale devient un vrai problème, Mackenzie.
J'arquai un sourcil devant cette érudition toute nouvelle mais plutôt que de débattre avec lui d'un tel sujet, je me contentai de demander :
— Heather Smith, du Secrétariat général du Département ?
Il confirma d'un signe de tête.
— Ton dernier béguin ? ajoutai-je alors, plus perfide.
Son raclement de gorge et le rose qui sembla lui monter aux joues m'arrachèrent un sourire légèrement crispé ; visiblement, le journal que je tenais toujours entre mes doigts avait également un effet sur la capacité des muscles de ma mâchoire à se détendre.
— Bones voulait te voir, s'empressa-t-il de bougonner, avec un regard noir. Smith est simplement venue me prévenir.
L'étonnement supplanta rapidement mon besoin de me moquer. D'aussi loin que je me souvienne, mes visites dans le bureau d'Amélia Bones avaient été rares, depuis mes débuts au Ministère près de neuf ans plus tôt ; ou plus exactement, au cours de ces six dernières années, lorsque, du statut d'assistante de la Directrice du Département de la justice magique, j'étais devenue substitut [1].
J'adressai donc mon regard le plus interrogatif à Clide, qui en oublia immédiatement de m'en vouloir, lui que le partage de ragots ravissait plus que tout.
— C'est le bordel au Département, expliqua-t-il d'une voix vive, en s'animant de nouveau. Le Bureau de l'Administration pénitentiaire a besoin d'un coup de main, les Aurors et la Brigade de police magique sont en ébullition et une réunion d'urgence est organisée incessamment sous peu. Tous les hauts responsables au sein du Département y sont attendus et... et tu fais partie des heureux gagnants.
L'excitation dont était teintée son dernier bout de phrase ne fit toutefois qu'accélérer les battements de mon cœur, qui cogna contre ma cage thoracique avec une force telle qu'il menaçait de s'en échapper.
En tant qu'avocate générale au sein de la Cour de justice magique [1], chargée de représenter le Ministère dans les affaires pénales et de présenter mon avis dans les affaires civiles, l'intérêt de ma participation à la chasse à l'homme qui allait se mettre en place avait quelque chose de suspect ; en tant qu'ancienne élève de Poudlard, relativement proche de Black du temps de sa scolarité, cependant...
Inspirant profondément, je m'obligeai pourtant très vite à reprendre contenance, rejetant ses pensées au loin.
— A quelle heure est la réunion ? demandai-je finalement, un œil sur ma montre.
— Dix heures trente tapantes, dans la salle de réunion du deuxième étage.
Le regard de reproche avec lequel j'accueillis l'information le fit secouer la tête doucement.
— Tu n'étais au courant de rien, se justifia-t-il, ses deux mains apparaissant pour donner plus de force à son propos. Je ne pensais pas à avoir à t'informer de l'évasion de Black !
Les derniers mots firent repartir de plus belle les battements de mon cœur contre mes côtes mais j'abandonnai l'idée de le réprimander pour mieux le congédier et rejoindre ma salle de bains. Attendue dans dix minutes à l'autre bout de Londres, je ne pus m'attarder trop longtemps sur la pâleur du reflet que me renvoya mon miroir et m'empressai de me glisser dans une robe propre, les pensées s'entremêlant sournoisement dans mon esprit.
-O-
Une dizaine de minutes plus tard, je sautai dans ma cheminée, après y avoir préalablement jeté une poignée de poudre verte, atterrissant en quelques secondes dans l'un des âtres du Ministère de la magie. La foule dense qui me happa, le pied à peine posé sur la terre ferme, semblait occuper le moindre mètre carré de l'Atrium, et je fus incapable de distinguer ne serait-ce que les visages de ceux qui m'entouraient.
Habituée à arriver tranquillement par l'entrée des fonctionnaires, à une heure suffisamment matinale pour que le trafic humain en soit proportionnellement affecté, je ne me souvenais pas avoir un jour vu tant de personnes réunies dans cet espace, qui me parût soudain bien trop étroit. Bientôt, l'image du gala de charité auquel mon père m'avait traîné l'année de mes douze ans, à l'époque où il avait été nommé Langue-de-Plomb au département des Mystères, s'imposa à mon esprit : même dans ces conditions, le cortège m'avait semblé bien plus aéré mais le fait d'avoir passé la moitié de la soirée à regarder uniquement les pieds des invités défilés depuis la table sous laquelle je m'étais réfugiée, avec mon grand frère Adrian, n'y était probablement pas pour rien.
Alors que je me surprenais à repenser à la personne qui nous avait rejoint en fin de soirée, au moment des discours, un homme visiblement aussi perdu que je ne l'étais me bouscula brutalement, m'arrachant à mon souvenir.
Le soulagement me dénoua la gorge.
— Vous travaillez ici ? m'interrogea-t-il aussitôt, en fixant ma poitrine avec curiosité.
J'aurais certainement pu y voir une ouverture potentielle ou un pervers peu discret, mais seul le blason du Ministère le motivait sans doute à reluquer mes seins.
Machinalement, je resserrai ma cape pour l'empêcher de trop s'y attarder.
— Oui. Vous cherchez quelque ch...
— Pour quel département ? me coupa-t-il abruptement, en tirant de sa poche un carnet et ce qui ressemblait à une plume ayant malencontreusement voyagé dans une poche trop étroite. Et comment vous appelez-vous ?
Je le fusillai instantanément du regard, comprenant que la meute autour de moi était composée, pour l'essentiel, de journalistes à la recherche d'un scoop sur l'affaire Sirius Black.
A supposer que la communication avec la presse soit l'une de mes compétences, ce qui n'était absolument pas le cas, révéler à cet homme mon nom et mon poste au sein du Ministère équivalait donc à signer mon arrêt de mort ; pour peu que le journal pour lequel travaillait mon interlocuteur soit l'un de ces chiffons susceptibles de retracer tous les faits marquants de ma vie avant la fin de la journée, c'était même ma réputation que je risquais. J'avais eu de la chance, mine de rien, de ne pas tomber directement sur le spécialiste en scandales judiciaires de la Gazette, qui ne manquait jamais une occasion de me harceler.
Sans accorder plus d'attention au sorcier, dont les yeux perçants continuaient de me détailler, je me frayai un chemin parmi les autres journalistes, employés et simples curieux venus s'informer à la source sur l'événement qui venait de faire exploser la tranquillité de notre monde magique.
En jouant des coudes, évitant tant bien que mal d'être arrêtée de nouveau, je réussis à atteindre les ascenseurs ; avant d'avoir pu mettre un pied dans l'un d'eux, un colosse que je n'avais encore jamais vu dans les parages me barra toutefois le passage, la mâchoire serrée, les yeux colériques, visiblement excédé par la situation.
— Vous ne pouvez pas passer, grogna-t-il en usant de sa tête de plus de moi pour tenter de m'effrayer du regard.
— Je travaille ici, répliquai-je, d'un ton pareillement agressif. Et j'ai une réunion à laquelle je suis déjà en retard.
Visiblement mieux préparé que je ne l'imaginais, il sortit de la poche de sa robe un rouleau de parchemin et aboya :
— Nom et département ?
— Mackenzie Atkinson, soufflai-je, lasse. Département de la Justice magique, bureau administratif et judiciaire de la Cour de justice.
Il scruta un instant la feuille et je devinai, en voyant son expression s'adoucir, qu'il venait de tomber sur mon nom, en tête de liste. S'excusant du bout des lèvres, il s'écarta, me laissant accéder à l'élévateur qui nous faisait face. La montée des deux étages, rapide, me permit de me composer une mine un peu plus détendue, mais à peine la machine se fut-elle arrêtée et la porte ouverte, qu'un nombre impressionnant de notes de service violettes me foncèrent dessus. Je me baissai pour éviter celle qui s'avançait droit vers mon œil et me dirigeai, d'un pas rapide et décidé, vers le bout du couloir, où était situé mon bureau.
Ma progression fut cependant ralentie par le nombre de personnes qui circulaient, de façon inhabituelle, entre les différentes pièces ; l'entrée de chaque bureau était anormalement ouverte, et l'ébullition qu'avait décrite Clide, clairement perceptible.
Avant même que je n'atteigne mon but, ce dernier apparut d'ailleurs brusquement devant moi, l'air agité, une pile de parchemin à la main. Après les avoir fourrés dans mes bras, il me saisit par le poignet et s'engagea dans le sens opposé.
— Tu es déjà en retard de cinq minutes, me rappela-t-il fiévreusement en tentant maladroitement de dénouer la cape que j'avais jeté sur mes épaules. Ce sont les circulaires prises au sujet de Black au cours des trois dernières heures, ajouta-t-il en désignant les rouleaux que j'avais désormais en main. Tâches de te faire toute petite en entrant !
Je ne fis aucun commentaire sur sa façon de me materner, alors même que j'avais l'âge d'être sa grande sœur, au mieux – sa mère, au pire.
A la place, je l'interrogeai rapidement :
— Qui est présent à cette réunion ?
Haussant les épaules, il murmura un « surprise » fébrile, épousseta ma tenue d'un geste de sa baguette, passa un doigt sur mon visage pour en retirer de la suie, avant de me pousser vers la porte de la salle de réunion, que je savais suffisamment grande pour accueillir la moitié des fonctionnaires du ministère de la Magie.
En entrant cependant, je constatai qu'une quinzaine de personnes seulement avaient pris place autour d'une table ronde, et tous, sans exception, tournèrent un visage grave vers moi en m'entendant tourner la poignée. D'un regard navré, je m'excusai, repérai une place m'étant probablement réservée entre Bones, l'air excessivement sévère, et Rufus Scrimgeour, directeur de la section des Aurors, le regard aigu comme à son habitude.
Cornelius Fudge, le Ministre de la Magie, était lui-même assis à l'extrémité de la table, sur ma droite, tandis que l'autre bout accueillait, sur ma gauche, Albus Dumbledore, le seul dans la salle à être désormais debout.
Entre eux, quelques autres visages me semblèrent familiers, parmi lesquels Terrence Savage, récemment nommé à la tête de la Brigade de Police magique, et l'un de ses meilleurs tireurs de baguette magique d'élite, Newton Brown.
Tout près, se tenait Arnold Peasegood, un des Oubliators du service des catastrophes magiques du troisième étage, et je reconnus également quelques membres du Magenmagot à leur robe couleur prune, ainsi que Barty Croupton, directeur actuel de la Coopération magique internationale, connu pour avoir envoyé Sirius tout droit à Azkaban, le jour de sa capture, sans se préoccuper de lui organiser un procès.
Harvey Oddpick, directeur de la prison, était évidemment présent, le teint excessivement pâle, comme sur le point de vomir le petit déjeuner qu'il n'avait probablement pas pris et Dolores Ombrage venait parfaire ce tableau de fortes personnalités, son sourire hypocrite s'étant visiblement fait la malle en même temps que Black.
C'était la première fois que je la voyais d'ailleurs ainsi, pâle et silencieuse. En d'autres circonstances, ce grand bouleversement dans la physionomie de la sous-secrétaire d'État m'aurait fait glousser ; sur le moment, je me contentai pourtant de détourner les yeux, sans un mot.
Ma présence ici, au milieu de ces figures utiles, était finalement aussi étrange que celle d'Arthur Weasley, raidi par l'inquiétude qui se lisait clairement sur ses traits, assis à deux chaises de Dumbledore. Même son bronzage, qui m'indiquait qu'il était revenu en catastrophe – et peut-être même seulement temporairement – de ses vacances en Egypte, semblait terni.
— Comme j'étais sur le point de vous en faire part avant l'arrivée de Miss Atkinson, reprit le directeur de Poudlard en m'adressant un sourire succinct, la lueur pétillante qui brillait habituellement dans son regard bleu clair légèrement tari, nous avons des raisons de penser que Sirius Black cherche à s'infiltrer à Poudlard et que la raison de son évasion a toutes les chances de se trouver dans le château.
Pour masquer le drôle de bruit qu'émit ma bouche à ces mots, je ne trouvai rien de mieux que de renifler bruyamment. Si Croupton et Bones me réprimandèrent du regard, Dumbledore, lui, ne commenta pas, se contentant de poser sur moi un regard perçant qui, en s'attardant une seconde à peine, me sembla pourtant durer une éternité.
J'en fus d'autant plus mal à l'aise que je devinais ce qui devait probablement lui passer par la tête en me voyant assise à cette table.
— Et quelles sont ces « raisons » qui pousseraient Black à agir de la sorte ? interrogea Scrimgeour, un de ses sourcils broussailleux haussé sur son visage fatigué.
Weasley, que je pouvais observer facilement de là où j'étais, s'agita soudain sur sa chaise, l'air aussi mal à l'aise que moi.
Dumbledore resta impassible.
— Il n'y en probablement qu'une seule, en réalité, répondit-il d'un ton presque léger, en caressant distraitement sa longue barbe. Le jeune Harry Potter y débutera sa troisième année dès le premier septembre.
Cette fois-ci, tout le monde réprouva du regard ma soudaine, bruyante et incontrôlable quinte de toux.
Elle ne s'en calma pas pour autant, l'entente du nom du défunt meilleur ami de Sirius m'empêchant de respirer de façon tout à fait normale. Plus encore, c'était le prénom de Harry, que je n'avais plus entendu depuis quelques années, qui me surprit le plus. A vrai dire, j'eus l'impression d'entendre Black lui-même me le crier aux oreilles, comme au jour de sa naissance où, excité comme un gosse le jour de Noël à l'idée d'avoir un filleul, il avait informé qui voulait bien l'écouter du prénom du nouveau-né.
Le souvenir me fit l'effet d'un coup de poing dans l'estomac et, sentant mes yeux me piquer, je me forçai à secouer la tête et à baisser les yeux, en mordillant avec acharnement ma lèvre inférieure.
Alors que je reportais mon attention sur l'un des parchemins que Clide m'avait donné pour me redonner contenance, Oddpick prit la parole pour expliquer ce qui leur laissait à penser que Black avait l'intention de tuer Harry. Le mot utilisé résonna plusieurs fois en écho dans mes oreilles, et je n'entendis que très partiellement ce qu'il raconta sur les dernières nuits agitées du prisonnier et ses rêves à propos de Poudlard.
Le rôle des Aurors, de la Brigade de la Police magique et la présence envisagée de Détraqueurs autour de l'école de sorcellerie furent ensuite âprement discutés entre Fudge et Dumbledore. Personne n'osait réellement se mêler de cet échange musclé et seul Oddpick, pour des raisons de logistique évidentes, eut à intervenir. Le débat, au bout de vingt minutes, se révéla sans issue mais Fudge n'abandonna la partie que lorsqu'il obtint, de la part du directeur de Poudlard, un « accord de principe » ; bref, du vent juridiquement mais quelque chose de plutôt consistant, si l'on se fiait à la morale irréprochable du vieux barbu.
Je me permis une intervention uniquement lorsque les discussions tournèrent autour du traitement de l'affaire par la presse.
— Il faudrait commencer par faire le ménage dans l'Atrium, fis-je remarquer, l'air de rien, encore agacée de m'être fait hameçonnée par un journaliste.
Bones me lança un regard en biais, du calibre de ceux dont elle m'avait couvée pendant mes premières années au Ministère. J'avais tout intérêt à mesurer mes mots, semblait-elle vouloir me dire et, de fait, Fudge venait de poser ses yeux inquisiteurs et inquiets sur moi. Je n'étais toutefois pas certaine de pouvoir, aujourd'hui, supporter les conséquences de ses désillusions.
— Qui va s'occuper de tous les journalistes entassés en bas ? reformulai-je donc, après m'être raclée la gorge. Ils gênent la circulation.
Un sourcil se haussa sur le visage du Ministre.
— Pourquoi pas vous ? proposa-t-il.
J'étais trop peu familière avec les hautes sphères pour déceler dans son ton l'ironie ou le sarcasme qu'il y avait sans doute mis ; ses traits tirés par la gravité du moment donnaient malheureusement à son visage une expression extrêmement sérieuse.
Hésitant une seconde à lui rétorquer une bêtise du même acabit, je me rétractai en constatant que rien ne me venait.
— Ce n'est pas dans mes compétences, lâchai-je seulement, polie. Hier encore, je m'occupais uniquement de la Justice magique.
Bones leva les yeux au ciel tandis que Fudge pinçait les lèvres ; aucune insulte, pourtant, ne venait profaner ce petit bout de vérité.
— Vous avez raison, admit le Ministre avec fatalisme. Je vais me charger des journalistes, et vous vous chargerez du reste.
Pour la deuxième fois en moins d'une heure, je faillis m'étouffer avec ma propre salive ; encore quelques minutes ici à crachoter mes poumons sur cette table de bois lisse, songeai-je avec amertume, et je pouvais dire adieu au respect relatif dont je jouissais encore dans le bâtiment.
— Du reste ? répétai-je, en tentant de paraître moins indignée que curieuse – en vain. Quel reste ?
Je ne faisais jamais les restes ! aurais-je voulu ajouter, dans un grognement. Le brin de dignité qu'il me restait à défendre me dictait de ne pas laisser Fudge gagner du terrain sur ce sujet-là mais, fidèle à sa réputation, le Ministre s'était déjà tourné vers Bones, prêt à déléguer.
Il ne le faisait que lorsque ça sentait mauvais ; et de préférence à une personne susceptible d'avoir l'ascendant sur son interlocuteur mécontent.
— Les audiences du jour sont reportées à lundi, intervint cette dernière, du bout des lèvres.
Elle papillonna des paupières, visiblement réticente à l'idée de continuer, et je me raidis, presque malgré moi ; comme un enfant que sa mère aurait appelé d'un ton trop calme pour ne rien cacher et qui, incertain, se dirigeait vers elle en se demandant quelle avait été sa bêtise.
— L'ensemble du calendrier judiciaire sera décalé en conséquence, ajouta-t-elle après une seconde, et du même air circonspect.
J'hochai la tête en signe d'assentiment, avec prudence.
Quand Bones prenait son temps, c'était toujours pour mieux m'assommer. A ce jeu-là, elle était diablement efficace et tout le monde, autour de cette fichue table, le savait. Sentant leur fébrilité et tous les regards tournés vers moi, je me forçai à ne pas rougir.
— Après la première audience de l'affaire Wildsmith, vous transmettrez le reste de vos dossiers en cours à Davis et Wiggleswade, conclut-elle bientôt, non sans une légère hésitation.
Ma mâchoire qui se décrocha dénotait à elle seule de mon étonnement : Allen Davis et Dempter Wiggleswade, travaillant pour le même service que moi, n'avaient jusqu'ici été que mes substituts.
— Tous mes dossiers ? me fis-je confirmer, d'une voix étrangement sourde.
Elle acquiesça, laconique, et mon pouls s'accéléra.
— C'est une mise à la retraite anticipée ? J'avais pourtant l'impression d'être assez jeune pour gérer plusieurs centaines de dossiers, avant de me faire gracieusement virer par votre successeur.
Ma boutade ne trouva public amusé qu'auprès de Dumbledore, dont les lèvres s'étirèrent en un sourire. Fudge, de son côté, me lança un regard âpre du plus bel effet et l'adolescente recroquevillée profondément en moi ne put s'empêcher de rougir, m'obligeant malgré toutes mes convictions à reculer le dos sur ma chaise.
Il prit cette réaction pour ce qu'elle était – un mouvement de repli – et esquissa un air satisfait.
— Le dossier Black sera votre unique priorité, jusqu'à ce que je décide du contraire, m'annonça-t-il alors avec assurance, et d'une voix plus ferme que jamais. Vous coordonnerez l'action commune de tous les services concernés ainsi que de Dumbledore ici présent.
Il échangea ensuite un regard avec ce dernier, dont je ne compris pas la teneur ; à vrai dire, je me souciais moins de l'étrange lueur dans les yeux de Dumbledore que de la nouvelle qui venait de me tomber dessus.
Black. Unique priorité.
Je me forçai à ne pas secouer la tête avec dérision ; ou pire, avec désespoir.
Dans ces conditions, mon silence fut interprété comme un acquiescement et bientôt, la conversation reprit, comme si de rien n'était. Quelques mots furent échangés à propos du traitement public de l'affaire – faire profil bas, ne jamais parler de Harry –, du nombre de personnes susceptibles d'être déployées à travers le pays pour entreprendre les investigations – une importante partie des effectifs du Ministère – et de la nécessité de prévenir le Premier Ministre moldu et les chefs de gouvernements magiques étrangers.
Je ne participai plus, m'interrogeant intérieurement sur les raisons qui avaient pu pousser le Ministre de la magie à me désigner comme l'une des responsables de cette affaire. Leur inexistence, en vérité, occupa mon esprit durant les dix dernières minutes de discussion et ce ne fut que lorsque le bruit des chaises se fit entendre, raclant le sol autour de moi, que je sortis de ma rêverie. J'échangeai une poignée de mains avec toutes les personnes se trouvant sur mon passage, m'avançai délibérément vers Dumbledore pour serrer la sienne et échanger quelques banalités de rigueur avec mon ancien directeur avant de sortir d'un pas mal assuré.
A peine me fus-je laissée tomber sur le fauteuil installé en face de mon bureau avec lourdeur, que Clide me tomba dessus, au sens presque littéral.
— Alors ? me lança-t-il, ses yeux verts brillants, en posant ses fesses plates sur l'accoudoir de ma chaise.
J'haussai les épaules avec lassitude, soudainement consciente du travail qui m'attendait, mais pas certaine d'avoir réalisé ce qui le motivait de prime abord. Une série de dossiers s'entassaient sur la surface plane de mon bureau, en attente. Je remarquai d'un coup d'œil qu'un nouveau document trônait au centre, avec le nom de Black gribouillé en plusieurs endroits.
Clide, étonnamment rapide, devait probablement se douter de quelque chose.
— Transfert des dossiers en cours à Davis, résumai-je d'une voix traînante, en me massant les tempes. Black est notre nouvelle priorité.
Il accueillit la nouvelle avec un sourire euphorique quelque peu inadéquat dans ces circonstances. Je ne pus m'empêcher de le fusiller du regard alors qu'il secouait sa tête blonde de droite à gauche.
— Quoi ? se défendit-il, en se levant pour commencer à déblayer mon bureau du trop plein de classeurs inutiles qui l'encombrait désormais. C'est l'équivalent d'une promotion, Mackenzie. Tout le monde tuerait pour prendre part à cette affaire. Le type s'est évadé d'Azkaban et risque de zigouiller le Survivant à mains nues !
Je me sentis pâlir face à ce résumé, invitant du regard mon assistant à la fermer. Chambers était sans aucun doute excellent dans son métier mais, pour des raisons évidentes, son ressenti sur ce genre d'affaires sordides était de trop, aujourd'hui tout du moins.
Bien sûr, il était encore jeune, et n'avait connu le monde magique qu'après la guerre, ses souvenirs les plus marquants se limitant donc à une période de calme relativement reposante.
De surcroît, ses parents étaient tous deux d'origine moldue et aucun membre de sa famille, proche ou lointaine, n'avait subi les conséquences de la guerre, ou n'aurait pu lui raconter avec force détails lugubres, les années les plus sombres qui avaient précédé l'arrestation de Black.
Et surtout, contrairement à moi, Clide n'avait jamais connu Sirius, en tant que camarade et ami. Et c'était sans doute la raison qui m'empêchait, plus encore que la perspective du dur labeur qui m'attendait, de me réjouir avec lui de cette « promotion ».
-O-
Au cours des trois heures qui suivirent, les émotions manquèrent de me submerger et les souvenirs de littéralement m'enterrer.
Après avoir rédigé un courrier à l'attention d'Elaine Wildsmith, l'informant du report de son audience, et avoir chargé Clide de dupliquer la missive, en modifiant le nom du destinataire pour en envoyer un exemplaire à chaque personne concernée par ce changement de calendrier, je fus forcée de me plonger dans le dossier qui venait de m'être arbitrairement attribué.
Les tenants et aboutissants de mes nouvelles fonctions étant encore quelque peu obscurs à mes yeux, je m'attelai d'abord à ce que mon expérience juridique m'avait appris de plus basique : lire la circulaire « Black » que mon assistant m'avait transmis à mon arrivée au Ministère.
Et le moins qu'on puisse dire, c'était qu'il s'agissait de la pire idée possible. J'eus l'impression que chaque nouveau mot me glaçait le sang encore davantage, que toutes ces phrases mises bout à bout allaient manquer de me faire suffoquer.
En assistant dévoué, et probablement mortellement curieux, Chambers avait insisté pour s'installer en face de moi, guettant mes traits tirés, simulant une prise de notes qui ne trompait personne. Il cherchait sans doute uniquement de quoi impressionner Heather et le reste de ses amis, mais sa présence eut l'avantage de me distraire des atrocités notées sur le morceau de parchemin. La grande tasse de thé qu'il m'avait apporté avant de s'asseoir me permit par ailleurs de cacher plus ou moins maladroitement mes réactions, mais les longues gorgées du liquide que j'avalais à chaque nouvelle découverte finirent par me brûler la langue et l'œsophage.
S'il en avait appris plus sur la nature de mes relations passées avec le prisonnier au cours des nombreux aller-retour à travers le département que je lui fis faire, Clide ne fit aucun commentaire. Ma paranoïa avérée me conduisit à l'envisager à chacune de ses questions cependant, et plus particulièrement lorsque, revenant d'une halte rapide pour le déjeuner, il fit irruption dans le bureau, essoufflé, et lança :
— Black était ami avec Potter ?!
Le ton de sa voix était outré et me fit tressaillir. En prenant une inspiration pour paraître impassible, et l'empêcher d'entrapercevoir la panique qui commençait doucement à monter de mon estomac à ma gorge, je levai la tête.
— Oui, décidai-je de répondre, jugeant inutile de passer par quatre chemins pour délivrer une telle information. Qui t'a dit ça ?
— Tout le monde en parle, grinça-t-il, indigné. Tu aurais pu me le dire !
J'haussai les sourcils, perplexe, devant ce ton clairement récriminant. Peut-être s'était ridiculisé devant la fameuse Heather ? Cette pensée manqua de m'arracher mon premier sourire de la journée.
— Et pour quelle raison est-ce que j'aurais fait ça ? soupirai-je. Ça n'est absolument pas pertinent dans le cadre de ce qu'on me demande de faire.
Il me répondit d'un ricanement mauvais, qui hérissa les poils de mes avant-bras.
— Tu es trop sérieuse, commenta-t-il, en se rasseyant à sa place. Cette histoire n'est pas seulement l'un de ces dossiers bidons où une famille s'étalant sur cinq générations décide de contester la paternité d'un ancêtre ayant vécu au treizième siècle ! C'est de la vie d'Harry Potter dont on parle !
Sur ce point au moins, Clide ne paraissait pas différent des autres sorciers de sa génération. Élevé dans le mythe du Survivant depuis ses onze ans, il prenait avec un sérieux excessif tout ce qui concernait la sécurité du garçon. Les sentiments qui me serraient le cœur et l'estomac à l'évocation de ce prénom étaient, de mon côté, si différents des siens, que je me demandai une nouvelle fois si Fudge n'avait pas perdu la tête en décidant de me nommer à ce poste.
Interprétant mal mon silence pensif et n'envisageant probablement pas de laisser cette conversation se tarir, Chambers ajouta d'une voix pleine de gravité :
— Ce malade cherche à tuer le fils de son meilleur ami. Son filleul.
Il me fallut inspirer profondément pour faire face à la nouvelle vague de bourdonnements à mes oreilles. Les mots malade, tuer, filleul, avaient encore du mal à acquérir le sens que tout le monde voulait bien leur donner ; douze ans à tenter d'éradiquer les souvenirs de ma mémoire, pour les remplacer par ces faits cliniques, n'avaient finalement été que trop peu.
— Je sais tout ça, répondis-je simplement, en tentant d'en avoir l'air certaine.
Il m'observa quelques secondes avec intérêt, puis suspicion. Ses yeux, une seconde auparavant pareils à de petites fentes, s'arrondirent progressivement, exprimant quelque chose ressemblant finalement à de la stupeur.
— Tu les connaissais ? demanda-t-il soudain, sa voix montant dans les aigus.
Une boule se forma dans ma gorge, tandis que mes mains, sous l'effet des battements de mon cœur, se remettaient à trembler.
Il venait de poser la question que je redoutais, celle à laquelle répondre équivaudrait à lâcher au milieu du département la commère que j'avais engagé en tant qu'assistant ; celle que tout le monde finirait par se poser, pensai-je avec fatalisme, et à laquelle je n'aurais pas toujours l'occasion d'échapper.
Les picotements au bout de mes doigts m'obligèrent à poser ma tasse de thé, alors que la bouche de Clide s'arrondissait à son tour.
— Tu les connaissais ! affirma-t-il cette fois dans un claquement de langue choqué. Tu connaissais Sirius Black !
L'accusation dans sa voix m'était tellement familière, avait été si blessante, que je ne pus m'empêcher de rougir, aussi humiliée et écorchée que du temps où elle revenait fréquemment polluer les paroles que l'on m'adressait et les regards que l'on m'accordait.
— Nous étions ensemble à Poudlard, répliquai-je au bout d'un moment, réticente. Il était en deuxième année à Gryffondor quand je suis entrée en première année à Serdaigle. C'était un simple camarade.
Sceptique, il fit peser son regard sur moi et je n'eus d'autre choix que de l'affronter, tentant de ne pas sourciller. Heureusement, des années à confronter des témoins hésitants m'avaient appris à contrôler mes émotions et il finit par soupirer.
— Et tu connaissais James et Lily Potter également ?
— Au même titre que Black, mentis-je, avec un aplomb que je ne me connaissais pas. Lily Evans, devenue Potter, était préfète-en-chef quand j'étais en sixième année. Elle m'a accompagnée à l'infirmerie, une fois, si tu veux tout savoir.
J'eus peur, pendant quelques secondes, qu'il me demande si j'avais connu Harry avant le décès de ses parents et l'emprisonnement de son parrain. Rationnel, et visiblement prêt à me croire sur parole, Chambers n'avait cependant pas les mêmes idées que moi en tête.
— Ils étaient donc réellement inséparables ? s'enquit-il de sa voix étouffée. Black et les Potter, je veux dire ?
Je me forçai à garder les yeux ouverts pour ne pas laisser l'image de Sirius et James m'assommer.
— James Potter était son meilleur ami depuis leur première année, lui offris-je, amère. Je crois qu'il a eu quelques différents avec Lily mais que les choses ont fini par s'arranger avec le temps...
Il accueillit ma réponse avec un reniflement écœuré.
— Les choses ont fini par s'arranger avec le temps ? répéta-t-il en tendant le sandwich qu'il m'avait ramené de sa pause déjeuner. Pas suffisamment, apparemment.
Et alors qu'il se replongeait dans son travail, je saisis l'en-cas avec hésitation, la gorge nouée, me sachant incapable d'avaler quoique ce soit après une telle constatation.
[1] Pour les non-initiés, un avocat général est l'équivalent d'un Procureur, et représente le Ministère qui défend la société dans les procès ; un substitut est une espèce d'assistant du Procureur.
D'après mes petites recherches, Dempster Wiggleswade est un personnage créé par JKR, travaillant au département de la Justice magique et répondant à la rubrique problèmes légaux de la Gazette (source Encyclopédie HP).
Le chapitre 3 - suite directe de celui-ci - s'appellera "Les vingt-quatre premières heures sont les plus importantes"
Bref, un avis ? =)
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