Je n'ai pas ployé l'échine, je n'ai pas baissé les yeux.

J'ai trompé, j'ai tué, j'ai exercé mes charmes et mes sorcelleries ; j'ai fait tomber des princes dans mes donjons, j'ai fait massacrer des peuples et assassiner des rois. Je n'ai pas de remords.

Que je tombe, puisqu'il faut tomber. Peu m'importe. L'ombre de mon pouvoir demeurera. L'ombre de mon pouvoir, mon armée invisible, impalpable, une armée faite de rêves, de désirs inavoués, d'ambitions secrètes qui soudain flambent haut. Que je me dissolve, et que chacun de mes souhaits de pouvoir se dissémine et vienne se planter dans le cœur d'un mortel ! Quel qu'il soit…il en restera toujours pour agir selon mes vœux. Une sombre vision, un cauchemar allumé dans leur sein. Un désir.

Que je disparaisse, comme mon seul maître a disparu, plus faible que moi alors - mon génie perdurera pour des siècles et des siècles. Il est inscrit dans la terre à présent, au plus profond, il coule dans les eaux et sourd à nouveau sous le ciel. Et plus encore, il est gravé au plus profond du cœur des hommes, il ronge leur chair et enflamme leur esprit. Ils sauront toujours…

Ils sauront qu'il existe d'autres voies, d'autres chemins que ceux qu'on voudrait tracer pour eux. Il en restera pour défier les lois, pour défier Tes lois.

Défier Tes lois, comme je les ai défiées…nous t'appelions l'Unique, esprits créés par Toi, pour Toi, Toi qui aurait voulu faire de nous tes jouets, et de tes jouets des esclaves pour tes Enfants. Des Enfants…enfants idiots, sous ta tutelle - ta tutelle bienveillante, mais qu'auraient-ils pu savoir du bien ou du mal ? Et nous aurions du, esprits supérieurs, suivre leurs vœux ?

Nous avons juré de ne pas être esclave de tes esclaves. Et chaque plan que tu as conçu, nous l'avons corrompu ; comme nous avons souillé toute beauté née en ton monde. Nous avons préféré l'ordure à ta prison dorée, nous avons préféré les ténèbres à ta lumière moqueuse…Peu importe ! La peur peut nous saisir un temps, mais au dernier instant, nous ne craignons plus rien, sinon l'esclavage - et jamais encore tu ne sauras charmer nos esprits et ceindre notre cou d'un collier d'acier.

Et ils savent, tes enfants savent…tes propres faibles créatures, toutes misérables qu'elle soient, savent transgresser tes lois. Nous leur avons enseigné. Ils pleurent leur chagrin, ils gémissent et ils meurent, ceux qui nous résistent, et parfois même les autres, et peu nous importe…Ils savent. Certains nous nomment le Mal, mais le mal est en eux, notre savoir est avec eux, et le désir, notre désir - toujours avoir plus, savoir plus, dévorer le monde enfin. Et faire plier Arda, et faire trembler la terre, comme un cri de révolte. Tu les as fait, mais ils t'échappent, et t'échapperont toujours.

Que je meure, et que le mal demeure.

Eru Iluvatar ! Nous ne plierons pas.