Troisième partie
Complétant son tour de garde au Département des Mystères, Remus se demandait s'il avait déjà été plus ravi de pouvoir transplaner. Il était physiquement épuisé d'être resté debout toute la nuit, mais il était encore plus épuisé mentalement d'être resté debout toute la nuit à penser. Son tour de garde nécessitait seulement d'être attentif à son environnement, permettant à son esprit de vagabonder. Si seulement l'esprit de Remus avait été capable de vagabonder; il était plutôt fixé sur la conversation qu'il avait eue avec Tonks, qui avait mené leur relation naissante à une fin désastreuse. Il ne voulait rien de plus à ce moment que de retourner au douze, Square Grimmaurd le plus rapidement possible, de s'effondrer sur son lit et s'endormir pour mettre fin à cette torture que de revivre leur querelle.
Toutefois, même lorsqu'il tapait sa baguette pour défaire les sorts qui verrouillaient la porte du manoir des Black, il songea que, même s'il n'avait jamais pensé que cette histoire durerait bien longtemps, il n'en avait pas anticipé une fin aussi déplaisante. Toutefois, peu importe l'angle selon lequel il examinait la dispute, il ne pouvait imaginer ce qu'il aurait pu dire autrement. Il n'avait pas voulu parler d'Ombrage, mais Tonks l'avait poussé à révéler des pensées équivoques qui auraient mieux fait de rester cachées. Bon – beaucoup plus sage de mettre fin à la relation maintenant, même sur une note acide, que de trop s'avancer avec elle. Moins de douleur à long terme pour les deux personnes impliquées. Il le savait. Pourquoi ne pouvait-il arrêter de ruminer?
Il retint son souffle lorsqu'il entra et il marcha sur la pointe des pieds sur les planchers grinçants. Le son le plus léger aurait fait hurler Mrs. Black et il se sentait suffisamment maussade, même sans l'aide des qualificatifs lui rappelant les raisons pour lesquelles il n'aurait jamais dû considérer être heureux avec Tonks.
Après avoir dépassé le portrait de façon sécuritaire, il accéléra l'allure vers les escaliers. Il fut distrait de son but par un rayon de lumière émanant de la porte du petit salon, qui était entrouverte. Son sens du devoir l'enjoignit de vérifier qui était à l'intérieur de la pièce.
Tonks aux cheveux bruns était étendue sur le divan. Remus fut si saisi de la voir qu'il recula contre la porte. La collision fit suffisamment de bruit pour faire bouger l'Auror. Ses yeux ensommeillés s'entrouvrirent mais lorsque son regard se posa sur lui, elle se réveilla complètement et changea ses cheveux pour le rose qui lui était familier.
"Pourquoi n'es-tu pas à ton appartement?" demanda Remus, même s'il connaissait la réponse.
"Salut, Remus," lui parvint la réponse irritée de Tonks. "Moi aussi, ça me fait plaisir de te voir."
Remus avança davantage dans la pièce et il ferma la porte, afin qu'ils ne réveillent pas les autres résidents. "Est-ce que tu sais à quel point il est tard?"
"Qu'il est tôt, tu veux dire." Tonks ramena ses jambes contre elle et les pressa contre sa poitrine. "Je t'attendais. Nous avons une discussion à terminer."
Remus réussit en quelque sorte à ne pas gémir à haute voix, mais il ne put toutefois se retenir de serrer les poings avec force. Ne pouvait-elle rien laisser tomber?
"Je suis désolée," dit Tonks. "Tu n'aimes pas ressasser tes problèmes. Je ne comprends pas ça car je suis plutôt du genre à me vautrer dedans. Mais j'aurais dû te respecter. Je n'aurais pas dû te pousser."
"Merci,"dit Remus, ému par sa sincérité. "Excuses acceptées."
Un long silence suivit au cours duquel Tonks le contempla avec une expression d'attente.
Remus marcha sur place et demanda finalement d'une voix enrouée, "Est-ce que nous avons terminé?"
Avec une expression presque de défi, Tonks dit, "Il faut être deux pour se battre, Remus."
"Je -" commença Remus mais il se fit silencieux. Ses mains détendues pendaient à ses côtés. Il lui avait rejeté tout le blâme, mais Tonks avait raison; il avait également eu tort. Il aurait simplement souhaité savoir de quelle façon.
"Tu as été injuste envers moi," dit Tonks. "Quand je t'ai demandé à propos de…du fait que tu ne pouvais pas te marier…" Elle l'évita du regard et elle resserra ses mains autour de ses jambes. "Tu as pensé que je parlais de…nous." Elle prit une grande inspiration, puis le regarda dans les yeux. "Tu m'attires beaucoup, Remus. Beaucoup." Sa voix se fit plus confiante. "Mais je ne pense pas comme ça actuellement. Je ne suis pas comme Fleur Delacour qui n'a que pour seule ambition de se trouver un mari."
Remus se demanda s'il avait déjà été plus idiot. Comment avait-il pu être aussi prétentieux? Ou si injuste, comme Tonks venait de lui mentionner? Il traversa la pièce en quelques grandes enjambées et s'assit à l'autre bout du divan.
"Je suis désolé," dit-il. "J'ai parlé avec trop d'émotion. J'en ai pris ombrage alors que tu ne voulais pas me blesser."
À sa surprise, les lèvres de Tonks s'étirèrent en un léger sourire. "Elle porte assez bien son nom, qu'en penses-tu?"
Le retour de ce jeu de mot atroce fit baisser la tension entre eux. Le soulagement déferla en Remus : les choses étaient bien entre eux de nouveau, mais il se souvint de sa conclusion précédente. "Je ne crois pas que j'avais tort de te dire ne pas perdre ton temps avec moi."
"Je ne veux pas cesser de te fréquenter," dit Tonks, se rapprochant de lui.
Remus se raidit et s'appuya contre le bras du divan dans le but de garder le plus de distance possible entre eux. "Tonks -"
"Ce ne sera jamais du temps perdu pour moi," continua-t-elle. "On en retirera beaucoup tous les deux. J'admire comment tu ne veux pas t'attarder sur le mal que les gens te font. Je me suis montée la tête aujourd'hui à force de trop penser à Ombrage."
"J'imagine qu'il y a un équilibre," dit Remus. "Je suis habitué de garder tout pour moi, et oui, je pense aux choses négatives." Il fit une pause, se souvenant tout ce que, à Poudlard, James et Sirius avaient réussi à tirer de lui, autant que Tonks l'avait fait ce soir – mais avec de meilleurs résultats, car il n'avait pas résisté autant à ses amis qu'à elle. Le temps et l'expérience l'avaient changé : pourrait-il redevenir cet autre Remus Lupin un jour? "Je parlais plus avant."
Il s'attendait à ce que Tonks le questionne par rapport à ce qu'il venait de dire, mais elle sourit simplement et se rapprocha encore plus de lui. "Tu vois?" Son bras reposait contre le sien et elle appuya sa tête contre son épaule, "On apprend déjà des choses l'un de l'autre."
Même s'il savourait la sensation de la sentir appuyée contre lui, Remus se tourna de façon à ce qu'elle soit forcée de se redresser et de lui faire face. "Cela peut se produire sans liaison amoureuse, tu sais."
Tonks secoua la tête. "Pas pour nous."
"Pourquoi pas?"
"Parce qu'on s'attire mutuellement," dit-elle avec franchise. "Ça serait mal si on essayait d'oublier ça. On aurait des silences terriblement embarrassants." Comme pour supporter ses propos, Tonks prit sa main. "Nous ne perdrons pas notre temps, même si notre relation ne fonctionne pas."
Remus examina leurs doigts entrecroisés alors que des pensées contradictoires se faisaient la guerre dans son esprit. Il ne voulait pas que leur relation ne fonctionne pas. Évidemment, elle ne fonctionnerait pas un jour, c'était inévitable, même si les arguments de Tonks paraissaient logiques en ce moment.
"Je n'ai rien à t'offrir au sens matériel." La main de Remus desserra son étreinte autour de celle de Tonks, mais cette dernière maintint sa prise.
"Je ne t'ai rien demandé," répondit-elle. Pour un moment, elle étudia son visage sérieusement, son front se plissant comme si elle essayait de résoudre une énigme. "Remus, qu'espères-tu gagner en te rabaissant? De la pitié? Ce n'est pas moi qui t'en donnerai. Je t'apprécie comme tu es."
"Je ne veux pas de pitié," dit Remus d'une voix bourrue – en se rappelant la façon dont elle l'avait regardé plus tôt. "Et tu as pitié de moi."
Les sourcils de Tonks se froncèrent. "Qu'est-ce qui t'a donné cette idée?"
"Je l'ai vu dans tes yeux quand je t'ai dit que je ne pourrais jamais soutenir une famille."
"Tu n'es pas un très bon Legilimens, n'est-ce pas?" grommela-t-elle. "Si tu as vu de la pitié dans mes yeux, c'est que tu as attrapé ton reflet où tu te prenais en pitié toi-même." Son ton de voix direct fit grimacer Remus. Immédiatement, Tonks s'adoucit et serra sa main. "J'ai été surprise de constater que tu voyais ta vie comme ça. Je me demande comment un sorcier aussi intelligent que toi a des idées de ce genre à propos lui-même. C'est assez fou."
"Est-ce que c'est vraiment fou, Tonks? Cela me fait sentir si…" Il voulait éviter son regard, mais ses yeux décidés et bons retinrent les siens : il vit que maintenant, son expression ne contenait pas une trace de pitié. "Je me sens moins qu'un homme, faible," poursuivit-il doucement. "C'est pourquoi je n'aime pas parler de cela."
"Mais tu ne devrais écarter les possibilités d'avoir une famille." Tonks libéra sa main et sourit en avançant sa tête près de la sienne. D'un ton conspirateur, elle dit, "Tu pourrais toujours être un de ces sorciers modernes qui s'occupe de la maison et qui prend soin des enfants."
"Personne ne me décrirait comme moderne."
"Ça t'est égal de faire la cuisine, tu es très ordonné et tu aimes les enfants." Tonks compta les points sur ses doigts. "Ne me dis pas que tu n'apprécierais pas la vie domestique tranquille et la poursuite de tes intérêts de recherche."
Remus essaya de ne pas visualiser ce que Tonks lui dépeignait, car il le voyait – avec une clarté qui le surprenait. Apprécier était un terme trop faible pour ce que ce genre de vie lui ferait vivre. S'attendant à éprouver un profond désir pour cette vie, il tenta de bannir ce rêve qui ne pourrait jamais se réaliser. Il se rendit compte qu'il ne le pouvait pas.
"Tu rends tout cela très faisable," dit Remus.
"C'est faisable." Le sourire de Tonks s'élargit.
"Peut-être," dit Remus lentement. "Cela ne change en rien le fait que je me transforme en créature des ténèbres chaque mois."
"Une fois par mois, et jusqu'ici, ta petite amie le gère bien."
En vérité, Tonks n'avait pas précisément géré ses transformations. Il n'y avait pas eu de pleine lune depuis qu'ils avaient commencé à sortir ensemble. Avant que leur relation ne tourne à la romance, elle avait accepté sa demande de ne pas être dans la maison lors de ces moments, comme la plupart des membres de l'Ordre. Pour le moment, toutefois, Remus ne s'embarrassait pas des détails. Tonks s'était désignée comme sa petite amie. Il lui paraissait étrange de se voir dans une relation aussi intime avec une sorcière, mais il sourit malgré tout.
"Tu le gères très bien," dit-il, portant brièvement la main de Tonks à ses lèvres, "mais ce n'est pas comme de vivre avec un lycanthrope."
"C'est là que nous aurons sans doute des problèmes," dit Tonks. "Tu vas penser que je suis une vraie souillonne. Ou que mes goûts musicaux sont insupportables à tes oreilles." Elle sourit largement alors qu'elle faisait un geste pour montrer son t-shirt des Bizarr'Sisters, mais elle reprit son sérieux rapidement. "Des couples se séparent tout le temps et c'est rarement la lycanthropie le problème."
Remus aurait pu s'obstiner avec elle sur ce sujet jusqu'à en perdre le souffle – autant au sujet du rôle des finances dans les problèmes de couple – mais il savait que Tonks ne voudrait rien entendre. Et il n'avait pas particulièrement envie d'argumenter. Le point de vue de Tonks était très sensé. Elle voulait être avec lui et cela, il le voulait énormément. Mais il y avait un point qu'il souhaitait rendre parfaitement clair pour elle.
"Es-tu certaine que tu veux continuer cette relation sans promesse de…quelque chose de plus?" demanda Remus. "Parce que je ne peux rien te promettre pour l'avenir, Tonks. Je ne peux vivre qu'une journée à la fois."
"C'est la seule façon de vivre, Remus. Particulièrement dans des moments comme maintenant. Mais c'est bien de rêver. De vouloir."
Remus caressa sa joue avec le dos de ses doigts. "À quoi rêves-tu?"
Elle s'étira pour récupérer sa baguette magique sur la table basse. L'agitant paresseusement en direction de la porte, elle dit, "Accio mémo."
Un moment plus tard, une feuille de parchemin glissa dans l'ouverture sous la porte et vola dans la main de Tonks. Ombrage n'était plus seulement une caricature de sorcière, mais était désormais pleine de trous. Sirius avait dû suivre la suggestion de Tonks et l'avait utilisée comme cible pour fléchettes.
"Je rêve de Dolores Ombrage qui devient verte," dit Tonks.
Alors qu'ils riaient, Remus glissa son bras autour de ses épaules et l'attira près d'elle. Pendant quelques minutes, ils restèrent assis dans un silence plaisant pendant lequel Remus s'émerveilla de la taille parfaite de Tonks pour se nicher dans le creux de son bras. Elle était juste assez grande afin qu'il puisse appuyer sa tête contre la sienne.
Enfin, Tonks dit, "Je rêve à toi qui pourrait enseigner de nouveau un jour."
Quelque chose de profond en Remus – un nœud qu'il ignorait avoir – se défit. Tonks avait rêvé pour lui. Pas parce qu'elle avait pitié de lui, mais simplement parce qu'elle lui accordait de l'importance. Elle le soutenait mais sans le faire sentir faible. En fait, il se s'était pas senti aussi fort depuis…il ne pouvait se souvenir du moment.
Même en train d'assimiler ces nouvelles sensations, Remus reconnut que Tonks n'avait pas révélé aucun de ses rêves personnels. Alors qu'une partie de lui souhaitait follement qu'elle n'avait rien dit parce qu'il faisait partie de ces choses qu'elle voulait, il croyait ce qu'elle avait dit plus tôt : à ce point-ci, elle n'avait pas pensé à lui de cette façon. Son image personnelle ne s'était pas gonflée au point de croire qu'une chose pareille pourrait arriver. De toute façon, ce n'était pas le moment de lui laisser voir à quel point elle l'avait ému profondément
Il releva son bras pour l'appuyer sur le dossier du divan et se tourna vers elle avec une expression taquine. "Comment le poste de professeur de Défense contre les forces du mal deviendra-t-il disponible de nouveau? Est-ce qu'Ombrage démissionnera quand son visage deviendra vert?"
"Naturellement," dit Tonks. "Il jurerait terriblement avec son cardigan rose."
"Peut-être que tu pourras servir de professeur intérimaire, pendant que je militerai pour les droits des loups-garous auprès du Ministère. Tu es une Auror, après tout. Parfaitement qualifiée."
Le visage de Tonks s'étira en une grimace. "Je trébucherais sur le bureau et je perdrais tout le respect des étudiants dès la première minute du cours. De plus, mes cheveux ne font pas très professeur."
"Dumbledore n'est pas très exigeant au sujet des cheveux des professeurs. Sinon, il n'aurait jamais laissé Severus à garder cette tignasse graisseuse."
Alors que leur hilarité s'apaisait, Tonks demanda tout en bâillant, "Sais-tu ce à quoi je rêve maintenant?"
Le bâillement était contagieux. Couvrant sa bouche, Remus demanda, "De dormir?" Il réalisa que le soleil avait commencé à se lever; la lumière tamisée s'infiltrait entre les rideaux de dentelle jaunie. Arthur et Molly seraient debout bientôt et les membres de l'Ordre arriveraient à la maison pour prendre leurs ordres pour la journée. Tonks devait travailler.
"Pas de dormir." Tonks glissa ses bras autour du cou de Remus et s'approcha suffisamment de lui afin que leurs nez se touchent. "Je rêve de toi qui m'embrasse pour me faire oublier cette dispute. Et peut-être pourras-tu m'aider à décider si je préfère me faire embrasser sur les lèvres plus que sur les oreilles ou dans le cou."
Remus n'eut pas besoin d'être incité davantage pour se pencher vers elle et pour réaliser ce rêve particulier de Tonks. Mais il s'arrêta tout juste au moment où ses lèvres effleurèrent sa joue. "Promets-moi de ne pas te métamorphoser en Dolores Ombrage au moment où je t'embrasserai."
Fin
