Il faut toujours écouter sa mère,

elle a toujours raison

Je savais bien, quand je l'ai rencontré, que j'aurais dû partir en courant, mais bon, quand on me connaît, on sait que je ne résiste pas à un beau spécimen du sexe fort. Surtout que ce spécimen assume très bien sa part de féminité. Quand je l'ai rencontré, il portait – il porte toujours, d'ailleurs – un collant vert, à la Robin des Bois. Je dois avouer que ce collant lui sied à merveille. Ma mère m'avait pourtant bien dit que fréquenter un homme qui porte des collants était une erreur, mais, comme d'habitude je ne l'ai pas écoutée. Ce fut ma première erreur. Ma seconde a été de l'épouser. Et oui, maintenant, je m'appelle « Mme Vertefeuille ». Je sais, c'est pas terrible, mais quand on aime, on est capable d'accepter de s'appeler « Ma-pauvre-fille-t'aurais-mieux-fais-de-rester-chez-toi » ou alors « C'est-vraiment-pas-de-bol-il-est-pire-qu'une-gonzesse ». Le spécimen en question s'appelle Legolas, Leggy pour les intimes, ou « tapette blonde » pour les jaloux.

Au début, tout était rose : on ne vivait pas ensemble. Puis, quand on a été mariés, j'ai découvert un autre homme que celui que j'avais connu. Il coûte une fortune en produits de beauté, que ce soit les soins de la peau, ou des cheveux. Il a limite une relation fétichiste avec son arc. Il passe son temps à s'entraîner au tir à l'arc, sur tout et n'importe quoi. Dans l'entrée, on a un magnifique porte-manteau de fabrication artisanale. En fait, il est fait avec des flèches plantées dans le mur, tirées par mon abruti de mari, lors d'une de ses séances d'entraînement. Une chose est sûre, c'est une pièce unique. En tout cas, c'est ce que m'a assuré mon cher et tendre, quand je suis rentré dans une rage folle, et que je lui ai écrasé sur la tête le vase horrible que ma mère m'a offert en cadeau de mariage, et qui ressemble plus à une urne funéraire qu'à un vase. Quand on me demandait ce que c'était, je montrais quelque chose qui pouvait mettre sur la voie : un énorme tournesol peint à la main par mon neveu de sept ans. Je cherchais une occasion de m'en débarrasser, je crois que cette fois-ci, j'avais trouvé.

Ah, oui, et puis cette manie qu'ont les Elfes de construire leurs maisons dans les arbres ! On voit que c'est pas les mecs qui font le ménage ! J'en ai marre, moi, de passer mon temps à ramasser les feuilles mortes qui tombent dans le salon ! Mais, bon, ça, je crois que c'est pas le pire. Non, le pire, c'est mon mari et les produits de beauté. Laissez-moi vous raconter ce qui m'a poussé à partir avec un autre.

Pour ralentir la consommation de produits de beauté, et aider Legolas à se désintoxiquer, j'ai pris l'habitude d'en acheter moins, et de cacher le minimum vital dans une cachette différente chaque jour. Mais, là, avant de partir travailler, j'ai pas eu le temps de changer de cachette. Je suis donc partie travailler. Enfin, si on peut appeler ça travailler. Je suis censée apprendre l'histoire de la Terre du Milieu aux petits Elfes, alors que je suis arrivée en Terre du Milieu il y a seulement quelques mois, et tout ce que je sais de son histoire, c'est ce que m'en a dit Gandalf, entre deux pintes de bière, un soir de beuverie post-bataille contre Sauron. Pour ce que ça vaut… De toutes façons, j'm'en fous, parce que les gamins n'écoutent pas, et mes cours se déroulent toujours dans un joyeux brouhaha. Donc, ce jour là, le cours se déroule comme d'habitude, quand un Elfe déboule comme un dératé en hurlant des choses incompréhensibles. Ce crétin est en train de me parler en Elfique, et la seule chose que je sais dire, c'est : « bonne nuit », et « à table ». J'essaie de le calmer, mais ce con continue de baragouiner en Elfique. Finalement, je lui mets une paire de baffes, et lui hurle :

"Tu peux pas parler Français, comme tout le monde, décorateur d'intérieur moderne et pourri !" (référence aux flèches plantées dans le mur de l'entrée, que j'ai toujours du mal à digérer)

Là, il arrête de brailler, et me regarde, interloqué. Mais, connaissant mon état mental, et mes colères dévastatrices, il décide de ne pas m'interroger sur le nom d'oiseau que je lui ai donné.

"Legolas a fait une rechute", me dit-il.

Je lui laisse mes gamins survoltés et bruyants, que ni l'intrusion de l'Elfe, ni mon éclat de voix n'ont interrompus, et cours jusque chez moi. Là, je trouve Legolas, devant le miroir de la salle de bain, en train d'essayer une énième coiffure, un masque à l'argile sur le visage. Mes yeux se posent alors sur le sol de la salle de bain, ou du moins le peu que l'on aperçoit, sous l'amoncellement de boites de produits de beauté vides. Sous le choc, je ne cesse de répéter :

"C'est pas vrai, bon Dieu, c'est pas vrai…"

Puis, je me mets à hurler :

"LEGOLAS VERTEFEUILLE ! Y'EN A MARRE DE TES CONNERIES ! TU SAIS COMBIEN CA COÛTE TA DROGUE ?"

"Heu… non", répond-il.

"NORMAL, C'EST MOI QUI FAIT LES COURSES, AVEC L'ARGENT QUE JE RAMENE A LA MAISON !"

Mais, enfin, ma chérie, c'est toi qui a voulu travailler. Je ne voulais surtout pas t'empêcher de montrer ton talent extraordinaire.

"FERME-LA ! TU SAIS MÊME PAS CE QUE JE FAIS COMME BOULOT !"

"Avec ta voix, tu peux qu'être chanteuse". sourire flatteur

"Aaaaaaaarrrrgh !"

De rage, je ramasse tout ce qui me tombe sous la main, et lui fait littéralement bouffer. Quand on nous a séparés, Legolas avait avalé de force une bouteille de lotion anti-boutons, un pot de crème anti-rides, la moitié d'un pot de masque à l'argile, du dentifrice pour l'haleine, et du dissolvant pour faire passer tout ça. On l'a amené à l'hôpital, où les médecins Elfes lui ont fait un lavage d'estomac à la mode Elfique. Un jour où je lui rends visite, je lui assène le coup fatal :

"Je te quittes", lui dis-je d'une voix très calme.

"Tu va rendre visite à ta mère ?"

"Non, je pars définitivement. Je suis en train de rompre avec toi, pauvre crétin dégénéré. Les produits de beauté que tu consommes en quantité industrielle ont sérieusement attaqué les deux neurones qui te restent. En plus j'ai rencontré quelqu'un."

"C'est… c'est qui ?"

"La Bouche de Sauron."

"Quoi ? Ce… ce… ce dentier sur pattes !"

"Lui, au moins, ne me ruinera pas en produits de beauté."

"C'est sûr, vu sa tronche…"

Je le regarde, et lui dis, d'un ton perfide :

"A ton avis, tu ressemble à quoi, sans ta tonne de fonds de teint ?"

Je le laisse planté là, ravie de mon effet, parce qu'il ne peut pas se regarder dans un miroir. Les Elfes ont retiré tous les objets dont il pourrait se servir pour attenter à ses jours, ce qui inclue les miroirs. Il trouve une cuillère, et se regarde dedans. Seulement, les cuillères ont un effet déformant, et en se voyant, la tronche allongée, il tombe dans une dépression profonde.

Moi, je prends la première diligence venue (ben, ouais, ils ont pas encore inventé les voitures, en Terre du Milieu !), et pars vers le Mordor, rejoindre l'élu de mon cœur. Quand j'arrive, je ne vois qu'une terre dévastée. Autant dire que le dépaysement est total, parce que j'ai laissé la Forêt Noire, rebaptisée Eryn Lesgalen, où l'herbe est verte, avec des fleurs et des arbres partout, pour trouver… ben, pour rien trouver du tout. Y'a pas d'arbres, y'a rien. Ma mère me l'avait dit : « Tu sais ce que tu quittes, tu sais pas ce que tu trouves », mais comme d'habitude, je l'ai pas écoutée. Je suis amenée à mon nouveau cher et tendre, entourée par deux Orcs baraqués, et qui sentent aussi bon qu'un fromage bien français qui pue, dont la date de péremption est dépassée de quelques années.

Ma vie au Mordor est très différente de celle à Eryn Lesgalen. En même temps, y'a que des mecs, là-bas. Mais, y'a pas que ça : impossible de faire pousser quoi que ce soit. J'ai voulu planter des fleurs, pour égayer un peu le paysage, mais, elles ont crevé dans la seconde qui a suivi leur mise en terre. Et puis, je me suis rendue compte que la Bouche de Sauron - que j'appelle « Béco », ça va plus vite – était un vrai macho. J'ai mon mot à dire pour rien. Evidemment, comme ça me plaît pas, il faut que je la ramène, et un jour, il me dis qu'il part faire une livraison de chemise et d'épée, et il n'est jamais revenu. C'est bien les mecs, ça ! Ils disent qu'ils descendent acheter des cigarettes, et ils ne reviennent jamais, et pendant ce temps, les plats préparés, achetés à Carrefour, mais mis au micro-onde avec amour, refroidissent.

Ma mère me l'avait dit : « J'aurais dû me faire none », mais je ne l'ai pas écoutée. Si je l'avais fait, ça m'aurait évité tous ces déboires.

The End