Recueil d'OS
Résumé : La guerre fait rage, et un drame éclate au sein de la famille Weasley après que Bill ait tué Percy. Harry, de par sa situation particulière au sein de la famille, est pris entre deux feux et tente de faire le lien. Quand deux solitudes se croisent au détour d'un cimetière, y'a-t-il une chance pour que leur histoire ait un avenir ?
Couple : Harry/Bill
Rating : R
Disclaimer : En réalité, je suis blonde, anglaise, je m'appelle Joanne et je m'amuse à dévoyer mes personnages parce que j'en ai marre d'écrire des livres pour enfants. Et si vous avez cru à ce que je viens d'écrire, je vous conseille de reposer immédiatement ce que vous êtres en train de fumer (ou de boire).
Avertissement : Ceci est un slash, à savoir une histoire mettant en scène des relations homosexuelles (en l'occurrence, ici, des relations homosexuelles masculines). Si c'est pas votre truc, je ne saurai que trop vous inciter à quitter cette page. Egalement : présence de lemon (bon, pas vraiment décrit, certes), donc, âmes chastes, fuyez !
Note de l'auteuze : Quatrième OS de mon recueil, cette histoire est particulière à mes yeux parce que c'est une commande de la part de ma meilleure amie (eh oui, c'est ça d'être fauchée et de ne rien pouvoir offrir d'autre à ses amis pour leur anniversaire, on se fait extorquer des fics par d'infâmes garces sans scrupules, huhu). Inutile de vous dire que j'ai eu énormément de mal à composer avec ses exigences et celles du scénario que j'ai choisi…Et je le poste maintenant sinon je sais que je ne le ferai jamais. J'espère en tout cas que ce one-shot vous plaira. Bonne lecture !
Dédicace : A Eva, ma meilleure amie. Joyeux anniversaire ma grande, j'espère que ce cadeau sera à la hauteur de tes espérances.
Remerciements : A POL, pour m'avoir soufflé l'idée du scénario, à Bady et BN pour leurs corrections et leurs judicieuses suggestions, et sans qui cette histoire aurait été bien plus mauvaise qu'elle ne l'est.
o0O0o
ET PEUT-ETRE…
o0O0o
Dès qu'il entendit les hurlements des sirènes moldues trafiquées pour l'anti-transplanage d'Arthur Weasley, Harry sut avec certitude, à la seconde même où il se réveillait en sursaut, que cette nuit serait une mauvaise nuit.
Il y en avait eu tellement, de ces nuits angoissantes où l'on se réveillait en hâte, baguette à la main avant même d'allumer la lumière, les sens en alerte avant même d'avoir ouvert les yeux, qu'il ne les comptait plus depuis très longtemps. Pourtant, à chaque fois, c'était la même peur, c'étaient les mêmes questions qui revenaient.
« Qui est mort ? Il y a eu une attaque ? Où ça ? A-t-on prévenu Minerva ? Quels sont les ordres ? A-t-on appelé les renforts ? »
Oui, c'était toujours la même chose, et ce depuis plus d'un an – depuis qu'Albus Dumbledore était mort et que Hogwarts, l'école de sorcellerie dont il était le directeur, avait été fermée, depuis cette nuit fatidique où Harry avait compris ce à quoi lui et le monde sorcier étaient réellement confrontés, depuis cette nuit après laquelle plus rien n'avait été pareil.
Cette nuit-là avait vu s'envoler les dernières traces de naïveté qui persistaient chez l'adolescent et ses amis – ou plutôt, elle les avait arrachées, ces dernières bribes qui s'accrochaient à eux avec de moins en moins de force. En vain, bien entendu. Seuls restaient quelques irréductibles parcelles de l'innocence propre à la jeunesse, et l'espoir que peut-être, un jour, tout ceci prendrait fin, d'une manière ou d'une autre.
A la fin de sa sixième année à Hogwarts, Harry était rentré chez les Dursley. Il y était resté deux semaines exactement, pas un jour de moins, pas un jour de plus. Juste le temps nécessaire pour que la protection du sang de sa mère fasse effet une dernière fois. Puis il était parti sans un regard en arrière, et il s'était installé au 12, Grimmault place. Une fois encore, juste le temps d'y déposer ses maigres affaires et de nettoyer sommairement l'ancien manoir de la famille Black, avec l'aide réticente de Kreacher.
Puis, la veille de son anniversaire, les Weasley au complet avaient débarqué chez lui et l'avaientemmené au Terrier pour y fêter sa majorité. Un bien triste anniversaire en vérité, entaché du souvenir encore douloureux d'Albus Dumbledore, mais ils étaient tous là, tous ceux qui comptaient pour Harry. Remus et Tonks, Neville et Luna, les jumeaux, Bill et Fleur, Molly et Arthur, Charlie, Ginny…Ron et Hermione. Qui semblaient enfin avoir compris que l'heure n'était plus aux enfantillages et que dehors, la guerre faisait déjà rage. Qu'il n'était plus temps d'attendre, sous peine de laisser passer quelque chose de trop précieux pour être ignoré.
Harry était resté au Terrier jusqu'au mariage de Bill et Fleur, une semaine après son anniversaire. Là encore la fête avait été gâchée par la morosité ambiante, et le jeune homme avait eu la désagréable impression que tout sonnait faux autour de lui. La romance plus qu'improbable entre Remus et Tonks, qui s'accrochait à son nouveau compagnon comme si elle craignait qu'il s'enfuie. Les sourires forcés de Molly et Arthur Weasley. Et même l'expression de bonheur qu'affichaient les mariés lui avait semblé factice ; les plaies à peine cicatrisées de Bill le défiguraient encore atrocement, son rictus gêné donnait le sentiment qu'il ne savait pas ce qu'il faisait là, et les sourires nerveux que lui lançait Fleur paraissaient plus justifiés par sa crainte de passer sa vie avec un homme enlaidi que par la peur de sa nuit de noces.
Mais peut-être que Harry se trompait, après tout. Peut-être ce mariage était-il réellement heureux, peut-être le soleil qui brillait ce jour-là était-il un signe de bon augure. Peut-être était-ce simplement sa tristesse qui salissait tout. Il s'en savait rien, et à vrai dire, il n'avait pas cherché à savoir.
Après le mariage, il était rentré au square Grimmault, accompagné de Ron et d'Hermione. Il avait l'intention d'y vivre et d'y poursuivre les recherches de Dumbledore à propos des Horcruxes – en compagnie de ses deux meilleurs amis, puisqu'il n'était pas parvenu à les convaincre de rester en dehors de cette affaire. Il n'était d'ailleurs pas certain de le vouloir, alors il les avait laissés faire. De toute façon, Hogwarts ayant fermé, aucun d'entre eux n'avait d'autre idée sur quoi faire en septembre. Ils s'étaient donc accordé un mois de répit, durant lequel ils avaient entrepris de rendre la maison habitable, avant de continuer les recherches.
Depuis plus d'un an, ils partageaient leur temps entre le manoir Black et le Terrier, partaient de temps en temps sur les traces d'un artefact, revenaient parfois blessés, participaient épisodiquement à des combats contre des Mangemorts qui attaquaient de plus en plus fréquemment – des endroits stratégiques tels que des filiales de Gringotts, ou sans raison apparente, comme des foyers isolés.
C'était presque devenu une routine, tant la monotonie de leur vie leur pesait. L'euphorie des débuts, lorsque Hermione avait enfin découvert l'identité du fameux R.A.B qui avait dérobé le Horcruxe que Dumbledore cherchait juste avant sa mort – il s'agissait en réalité tout simplement de Regulus Black, le défunt frère de Sirius, et le Horcruxe avait bel et bien été détruit – cette euphorie avait rapidement laissé la place à un sentiment grandissant de fatigue et de lassitude morale. Ils avaient même renoncé à poursuivre Severus Snape et Draco Malfoy, en fuite depuis la nuit de la mort du professeur Dumbledore – ils n'en n'avaient pas le temps, il n'y avait plus de place chez personne pour les intérêts personnels, et l'effroyable routine les avait déjà rattrapés. Car oui, c'était toujours la même chose. La même peur, la même incertitude, la même impatience de voir la fin arriver.
o0O0o
C'est pourquoi, lorsque les sirènes retentirent cette nuit-la, Harry ne fut pas surpris, et il se demanda simplement, avec une vague curiosité détachée, quelle serait la nouvelle catastrophe qu'on leur annoncerait. Il se redressa dans son lit – celui de Percy, dont il utilisait régulièrement la chambre depuis que ce dernier avait quitté la maison près de trois ans auparavant – et, sa baguette déjà en main, murmura un bref Lumos afin de retrouver plus facilement ses lunettes. Ses yeux fatigués d'une nuit trop courte, une fois encore amputée, et troublée, comme à son habitude, des cauchemars que Voldemort lui envoyait régulièrement – il en était arrivé à un stade où les visions apocalyptiques ne lui inspiraient plus qu'un bref frisson de dégoût une fois réveillé. Ses vêtements étaient pliés sur une chaise près de son lit, aussi s'habilla-t-il silencieusement, avec la rapidité que confère l'habitude. Puis il sortit de la chambre et traversa furtivement le couloir sombre, frappant par réflexe quelques coups discrets sur chacune des portes en enfilade.
C'était le signal – quoique inutile étant donné le bruit insupportable causé par les alarmes anti-transplanage – mais également un signe de reconnaissance. Quelques secondes à peine s'écoulèrent, et un par un, Ginny, Ron et Hermione sortirent en silence de leurs chambres, chacun d'entre eux sa baguette à la main et déjà habillé. La mécanique était bien huilée.
La cuisine était illuminée lorsqu'ils parvinrent au rez-de-chaussée, mais nulle effervescence n'y régnait. Au contraire, le hurlement des sirènes s'était brusquement tu, et un silence pesant alourdissait l'atmosphère. Monsieur et Madame Weasley étaient assis autour de la table en compagnie de Kingsley Shacklebot, et lorsque Molly releva vers eux un visage baigné de larmes, Harry sentit une sueur glacée couler le long de son dos. Un horrible pressentiment venait de naître au creux de sa poitrine et lui comprimait violemment le cœur.
– Que s'est-il passé ? s'écria Ron, paniqué, prenant Harry de vitesse.
– Où sont les jumeaux ? Est-ce que Charlie va bien ? ajoutèrent Hermione et Ginny en même temps.
Toujours les mêmes questions. Mais cette fois-ci, Harry savait avec certitude que les réponses seraient encore pires. Puisqu'elles concerneraient directement les Weasley. Arthur releva la tête à son tour, et Harry eut le souffle coupé en voyant son visage ravagé. En cet instant, il ne lui avait jamais semblé aussi vieux, et il se souvint, brutalement, que ce père de famille rêveur et débonnaire avait près de cinquante ans maintenant.
L'homme se racla douloureusement la gorge et déclara d'une voix tremblante :
– Charlie et les jumeaux vont bien. Ils arrivent.
– Papa, que se passe-t-il ? le pressa Ginny, ses doigts tremblants crispés sur sa baguette. Est-ce que…Bill, comment va Bill ?
– Bill va…bien.
Puis le silence retomba comme une chape de plomb sur la pièce et ses occupants. Inconfortable et tendu, et lourd d'une menace que personne n'avait envie d'entendre. Et l'arrivée brutale de Charlie, puis quelques secondes plus tard des jumeaux, dont le visage inhabituellement fermé n'augurait rien de bon, ne fit qu'accentuer le malaise ambiant durant un instant pendant lequel personne n'osa bouger.
Puis Molly se leva brusquement de sa chaise et se précipita vers Charlie.
– Tu as pu le voir ? demanda-t-elle d'une voix brisée que Harry ne lui avait jamais connue – ou peut-être une seule fois.
Le jour où, dans une pièce abandonnée de la maison des Black, il l'avait retrouvée recroquevillée sur le sol devant un épouvantard qui prenait successivement l'apparence de tous les membres de sa famille – lui inclus. Alors, il comprit, comme une gifle en plein visage : un Weasley était mort, et comme ce n'était pas Bill puisque Arthur avait assuré qu'il allait bien…
– Percy est mort, articula-t-il soudain d'une voix blanche.
Arthur et Kingsley hochèrent lentement la tête, et le silence recouvrit tout de nouveau. Etrangement, Harry s'étonna de ne rien ressentir. Bien sûr, il était profondément choqué et compatissait à la peine des Weasley – Ron était devenu livide, les taches de rousseur sur ses joues jurant avec le blanc de sa peau, et il s'était laissé tomber sur la première chaise qu'il avait trouvée, une expression hagarde sur le visage. Bien sûr, c'était une nouvelle terrible. Mais Harry n'éprouvait pas le moindre chagrin. Sans doute était-ce parce qu'il n'avait jamais été proche de Percy, et que ce dernier n'avait pas hésité à trahir sa famille pour entrer dans les bonnes grâces du Ministre Fudge à l'époque du retour de Voldemort. Néanmoins, il pensa qu'il aurait dû être un peu plus peiné qu'il ne l'était, et cela le mit mal à l'aise de se rendre compte que la mort de Percy le laissait totalement indifférent, n'eût été la douleur que cela causait aux Weasley. Alors, afin de dissiper sa gêne, il osa formuler la question que tout le monde devait se poser intérieurement.
– Comment est-ce arrivé ?
Tous les regards convergèrent vers lui et il lui sembla soudain que la température avait baissé de plusieurs degrés. Il regretta immédiatement d'avoir ouvert la bouche tant l'expression de Molly lui parut douloureuse – pourtant, il voulait savoir ce qui s'était réellement passé. Arthur se racla la gorge une nouvelle fois.
– Gringotts a été attaquée, commença-t-il difficilement. Un coffre en particulier, qui détenait des plans d'un département du Ministère qui intéresse beaucoup le Seigneur des Ténèbres. Percy est mort lors de l'attaque.
– Je ne comprends pas, bredouilla Hermione. Que faisait Percy là-bas ? C'est Bill qui aurait dû s'y trouver, normalement…
Hermione avait raison. L'explication d'Arthur était embrouillée et parcellaire – et surtout, elle ne tenait absolument pas debout. Harry s'apprêta à demander plus de précisions, mais un sanglot étouffé de Molly l'en empêcha.
– Percy était en train de cambrioler le coffre, énonça soudain Kingsley Shacklebot d'un ton grave. Le Priori Incantatem sur sa baguette révèle qu'il a utilisé des sorts de déverrouillage et d'attaque juste avant de mourir. Des Impardonnables, plus précisément. On suppose qu'il était sous l'influence d'un Imperio, mais il n'y a aucun moyen de le prouver, malheureusement.
– Evidemment qu'il était sous l'influence de l'Imperio, siffla dangereusement Molly Weasley. Vous n'imaginez tout de même pas que mon fils aurait pu se laisser corrompre par V – Vous savez qui !
Bizarrement, cela ne paraissait pas impossible à Harry – et plus étrangement encore, il lui sembla que tout le monde à l'exception de Molly partageait son opinion. Après tout, Percy avait toujours été réputé pour son incroyable ambition, il n'y aurait rien eu d'étonnant à ce qu'il se laisse bercer par les chimères du pouvoir, fût-il apporté par Voldemort. Cependant, ce n'était clairement pas la chose à dire en ce moment – ni même plus tard, à la réflexion – et chaque personne présente dans la pièce en était consciente. Et puis, même si c'était une possibilité, cela ne changeait rien à la souffrance des Weasley. Kingsley secoua doucement la tête.
– Bien sûr que non, Madame, dit-il d'une voix apaisante. Personne ne pense que votre fils ait pu agir de son plein gré.
Il y avait parfois des mensonges qui valaient mieux que la vérité. D'autant que Harry sentait confusément qu'il n'avait pas encore entendu toute l'histoire. Et Hermione devait probablement penser à la même chose que lui, car il la vit commencer à s'agiter inconfortablement sur sa chaise. Mais avant même que lui-même ou Hermione aient pu prononcer le moindre mot, Ginny les prit de vitesse.
– Où est Bill ? demanda-t-elle d'une voix brusque et inquiète. Il était censé être à Gringotts cette nuit. Que s'est-il passé ? cria-t-elle encore hystériquement, faisant sursauter Arthur.
Le malaise s'accentua un peu plus, si c'était possible. Ron était plus pâle que jamais, et l'on n'entendait plus que les pleurs de Molly. Harry se rendit compte qu'Hermione avait brusquement blêmi, et ses lèvres tremblaient comme si elle s'empêchait de toutes ses forces de parler. Le jeune homme devina qu'elle avait compris quelque chose. Quelque chose de terrible puisqu'elle ne pouvait pas se résoudre à parler – contrairement à son habitude. Il porta son regard vert sur Kingsley, et celui-ci détourna les yeux, gêné. C'était bien la première fois que l'homme à la peau sombre se montrait nerveux en sa présence, et cela déstabilisa Harry – la situation devait réellement être très grave.
– Bill va bien, se décida-t-il enfin, à contrecœur. Il est au quartier des Aurors en ce moment, pour y subir un interrogatoire. C'est lui qui a tué Percy.
D'accord, pensa Harry, les choses pouvaient difficilement être pires. Les sanglots de Molly avaient redoublé d'intensité, et il semblait que rien ne pourrait jamais les endiguer. A présent, Ginny tremblait de tous ses membres et agrippait sa baguette comme si ce simple morceau de bois était le seul élément stable de son univers – et c'était peut-être vrai, songea Harry ; le monde venait réellement de s'écrouler pour les Weasley. Hermione elle-même paraissait désorientée, et sur le point de s'évanouir. Quant à Ron…Harry préféra ne pas regarder dans sa direction, et reporta de nouveau son attention sur Kingsley.
– Percy a-t-il attaqué Bill ? demanda-t-il à l'Auror, d'une voix dont le calme le surprit.
Ce dernier acquiesça.
– On le pense, oui, répondit-il d'un ton qui avait retrouvé son professionnalisme. Il a probablement dû agir en légitime défense, cependant une enquête préliminaire est nécessaire.
Kingsley se leva de sa chaise, puis ajouta :
– Je dois y aller. Je vous contacte dès que j'ai du nouveau.
Harry hocha lentement la tête, mais hormis cela, seul le silence lui répondit. L'Auror salua brièvement Molly et Arthur avant de pénétrer dans la cheminée et de disparaître au milieu des flammes vertes.
Puis, au bout de ce qui sembla une éternité à Harry, Arthur se leva à son tour, provoquant une montée de panique chez son épouse qui s'accrocha à lui avec force.
– Reste avec moi, chuchota-t-elle d'une petite voix.
Arthur pressa une main qui se voulait rassurante sur l'épaule de Molly – mais sa main tremblait et il avait l'air d'avoir du mal à tenir debout.
– Calme-toi, Molly, murmura-t-il. Les enfants, poursuivit-il plus haut, allez vous coucher. Il n'y a rien que nous puissions faire pour le moment. Nous aviserons demain…s'il vous plait, ajouta-t-il d'une voix implorante lorsqu'il vit que ni Ron ni Ginny ne semblaient capables de bouger.
Comme au ralenti, Harry vit Hermione se lever et prendre Ron par le bras. Celui-ci, hébété, se laissa faire sans résister et la suivit dans l'escalier. Alors avec un soupir, le jeune homme brun empoigna gentiment mais fermement Ginny pour la ramener à sa chambre.
– Lâche-moi, cracha la jeune fille en se dégageant sèchement, le regard mauvais. Je peux marcher toute seule.
Harry n'insista pas. Ginny était bien trop fière pour accepter de se laisser réconforter, même – et surtout – si elle en avait besoin. Il savait qu'elle ne craquerait véritablement qu'une fois à l'abri, dans sa chambre, et sans personne pour la regarder. Surtout pas Harry. Il était conscient des efforts qu'elle faisait pour se montrer forte en face de lui – mais il savait qu'elle n'avait pas réussi à surmonter leur rupture. Harry avait voulu s'éloigner d'elle pour ne pas la mettre en danger, mais les Weasley ne lui avaient pas laissé le choix et s'étaient imposés naturellement dans sa vie, de la même façon qu'ils s'étaient imposés sept ans auparavant. Ginny avait suivi, et elle était toujours aussi exposée que lorsqu'ils étaient ensemble.
Harry aurait pu renouer avec elle dans ces conditions, puisqu'il n'avait pas eu le courage d'éloigner les Weasley de lui, mais il s'était vite aperçu qu'il n'en avait pas envie. Il avait beaucoup de respect pour elle, et même de l'admiration, car c'était réellement une fille formidable. Et il la trouvait toujours aussi jolie. Mais le désir s'était échappé sans qu'il ait eu la possibilité ni même la volonté de le retenir. Aujourd'hui, Harry ne ressentait plus rien pour elle hormis une vague culpabilité, ce qui l'effrayait, car il avait l'impression de devenir de plus en plus insensible avec le temps.
Il ne dit donc rien quand Ginny passa rapidement devant lui, son menton tremblant levé en signe de défi. Il se contenta de la suivre dans l'escalier et de rejoindre sa chambre. Lorsqu'il passa devant la porte de Ron, il entendit clairement la voix d'Hermione essayer de le réconforter – ils allaient probablement passer une nuit blanche, et Harry se demanda si lui-même parviendrait à dormir. Il hésita un instant à entrer, mais se ravisa avec regret. Il sentait que ce soir, il n'était pas à sa place dans la chambre de son meilleur ami.
Dire qu'il avait fêté ses dix-huit ans la veille…le jeune homme brun soupira et secoua la tête de dépit.
o0O0o
Aussi étonnant que cela puisse paraître, Harry ne se réveilla qu'au matin. Il mit un peu de temps avant de se remémorer les événements de la veille, mais lorsqu'il eut réalisé ce qu'il s'était vraiment passé, son cœur sombra dans sa poitrine.
Il ne parvenait toujours pas à éprouver du chagrin pour Percy, et cela le mettait mal à l'aise. A vrai dire, cette nouvelle ne l'affectait que dans le sens où elle accablait les Weasley – en dehors de cela, l'annonce de la mort du jeune homme ne lui faisait ni chaud ni froid. C'était dérangeant, car il savait qu'il aurait dû au moins se sentir choqué – mais il ne l'était pas, ou du moins, il ne l'était plus. Plus dérangeant encore, il se sentit vaguement ennuyé à l'idée de devoir supporter les funérailles et les pleurs de Molly Weasley – et cette pensée l'horrifia. Il était absolument incapable d'empathie envers Molly, et il se demandait même s'il en serait capable avec Ron.
En revanche, il ressentit une bouffée d'angoisse à l'idée que c'était Bill qui avait tué Percy. Il ne savait pas comment réagir à cette information.
Il avait toujours bien aimé Bill. S'il était honnête avec lui-même, il aurait même dit qu'il l'admirait exagérément depuis le jour où il l'avait rencontré. Bill était si…cool. Il était la personnification de ce que Harry aurait appelé un homme bien. Le genre de type qui n'a aucun défaut, et qui réussit à ne pas se faire détester ou jalouser pour cela. Il était la gentillesse et le respect même, faisait un métier dangereux et valorisant – pas aussi extraordinaire que celui de Charlie, mais suffisamment pour impressionner n'importe qui – avait voyagé à peu près partout dans le monde…Il était beau, il le restait même après avoir subi l'attaque de Fenrir Greyback. Et surtout, il ne se prenait pas au sérieux, et il n'y avait aucune arrogance chez lui. En résumé, Bill Weasley était quelqu'un d'admirable – et Harry l'admirait, immodérément, comme la plupart des gens qui le connaissaient.
Il lui semblait impossible que Bill ait pu tuer Percy de sang-froid. La théorie de Kingsley selon laquelle il n'avait fait que se défendre lui paraissait la plus probable…Cependant, il lui semblait encore plus étrange que Bill n'ait pas réussi à contrôler sa magie. Tuer quelqu'un avec un sort autre qu'un Impardonnable était quasiment impossible, et Harry n'arrivait pas à croire que Bill se soit abaissé à cela pour simplement se défendre. Il espérait que Kingsley leur donnerait des informations le plus vite possible.
Il y avait autre chose, aussi. Quelle serait la réaction des Weasley ? Leur fils aîné avait tué un autre de leurs fils. Même s'il s'agissait d'un accident, même si Bill n'avait fait que se défendre, il avait commis un fratricide…Harry doutait que Molly puisse supporter cela. Car aussi aimable que fût Bill et aussi détestable que fût Percy aux yeux de Harry – aux yeux de tous – rien ne pourrait excuser le fait que l'un avait tué l'autre. En outre, cela ferait sans doute de Percy un martyr, l'une des trop nombreuses victimes de Voldemort. Et de Bill un bourreau. Harry ne voulait pas cela.
Il se leva en soupirant. Il ne lui servait à rien de se mettre à réfléchir à tout ça maintenant, alors qu'il n'avait aucune précision sur ce qu'il s'était réellement passé. D'ailleurs, quoi qu'il se fût passé, le résultat, il le sentait, serait le même : Percy serait toujours mort, et Bill toujours un meurtrier.
o0O0o
Ron et Hermione étaient déjà là lorsque Harry entra dans la cuisine. Ginny, en revanche, n'avait toujours pas quitté sa chambre – Harry se demanda s'il la verrait aujourd'hui. Les yeux de ses deux meilleurs amis étaient cerclés de cernes profonds et violacés. Ils n'avaient manifestement pas dormi de la nuit, et Harry sentit dans sa poitrine la désagréable piqûre de la culpabilité. Il se dit que, finalement, il aurait peut-être dû rester auprès de Ron cette nuit, mais un pauvre sourire de la part de ce dernier le rassura – juste un peu.
– Comment tu te sens ? demanda Harry, d'une voix mal assurée.
– Comme quelqu'un qui n'a pas fermé l'œil, répondit Ron avec un sourire forcé. Mais ça va. Je crois.
– Je n'arrive pas à croire que Bill ait pu tuer Percy, murmura Hermione. C'est…c'est complètement surréaliste.
– Attendons le rapport de Kingsley, conseilla Charlie, qui venait d'entrer dans la pièce. Ca ne sert à rien de se perdre en conjectures pour le moment…Papa est déjà parti au Ministère pour se tenir au courant et essayer de voir Bill.
Il avait les traits tirés, et Harry devina que lui non plus n'avait pas dû beaucoup dormir. Le jeune dresseur de dragons agita nonchalamment sa baguette et la bouilloire se mit rapidement à siffler. Un matin normal au Terrier – sauf que Molly n'était pas là, et qu'elle ne criait pas après ses enfants pour les faire venir déjeuner. Cette absence, plus que tout le reste, témoignait de la gravité de la situation.
Quelques minutes plus tard, ce fut au tour de Fred et George de pénétrer dans la cuisine. Et, tout comme Ron et Charlie, leurs visages accusaient le coup d'une trop grande fatigue, leurs taches de rousseur contrastant violemment contre leur peau excessivement pâle. C'était presque dérangeant de les voir autant ravagés par le chagrin – comme si tout le ressentiment qu'ils éprouvaient envers Percy de son vivant s'était mué en regrets. Harry pensa qu'il n'était pas le seul à se sentir coupable.
Ils burent leur thé en silence, mais aucun d'entre eux ne parvint à avaler la moindre bouchée de nourriture. C'était la première fois depuis bien longtemps que le Terrier ne résonnait pas de cris et de rires, et Harry se rendit douloureusement compte de combien ce bruit lui manquait. Et, irrationnellement, égoïstement, il se mit à haïr Percy pour avoir gâché la paix relative qui régnait habituellement au Terrier. Pour s'être laissé influencer, de quelque manière que ce fût, et pour avoir forcé Bill à le tuer.
C'était injuste, bien sûr. Il était d'ailleurs probablement le seul à penser de telles choses. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Et lorsque Arthur arriva enfin, le visage dur et fermé, tout ce que Harry fut capable d'éprouver était de l'inquiétude pour Bill.
– Où est Ginny ? demanda Arthur en prenant place autour de la table.
– Dans sa chambre, répondit Hermione en se levant maladroitement. Vous voulez que j'aille la chercher ?
– Ce ne sera pas nécessaire, fit l'homme avec un sourire fatigué. Nous lui dirons plus tard…
– Alors ? l'interrompit George d'une voix pressante. Est-ce qu'on sait enfin ce qu'il s'est réellement passé ?
– L'enquête a conclu à un accident, murmura Arthur sur le ton de l'évidence – mais Harry sentit la tension de ses propres muscles se relâcher brusquement sous l'effet du soulagement. L'Expelliarmus que Bill a lancé a projeté Percy contre un meuble, ce qui lui a…brisé la nuque. Il est mort sur le coup.
– Et pour Percy ? demanda Fred. Est-ce qu'on sait quelque chose de plus ?
– Non, répondit Arthur en secouant la tête. L'enquête continue mais je ne pense pas qu'elle aboutira à quoi que ce soit d'intéressant. Maintenant qu'il est…mort, il n'y a plus aucun moyen de détecter s'il a été soumis à un sortilège ou non.
– Bien sûr qu'il a été soumis à l'Imperio, s'écria George. Percy n'aurait jamais suivi V-Voldemort de son plein gré…
– Voldemort non, mais quelqu'un d'influent comme Lucius Malfoy, peut-être, murmura Charlie, qui était resté silencieux jusqu'à présent.
– Malfoy est à Azkaban, objecta Hermione d'une petite voix. Qu'aurait-il eu à lui proposer ?
– C'est ridicule, chuchota soudain Ron en relevant la tête. On est tous là, à parler de Percy et à essayer de savoir si c'était un traître…Putain…mais on n'en a rien à foutre ! Il est mort, c'est tout. Le résultat est le même…
Il n'ajouta pas « …et c'est Bill qui l'a tué », mais il sembla à Harry que chacun dans la pièce avait entendu la fin de cette phrase. On aurait dit que pour lui aussi, la douleur avait annihilé toute la rancœur que Ron avait pu accumuler envers Percy depuis trois ans – il n'aimait pas cela, mais il n'était pas à sa place…pouvait-il réellement l'en blâmer ?
– Pour quand l'enterrement est-il prévu ? demanda-t-il dans l'espoir de changer de sujet.
Ce n'était pas exactement changer de sujet, certes. Mais au moins, ils cesseraient de parler de la supposée culpabilité de Bill – ou de celle de Percy.
– Ce dimanche, répondit doucement Arthur en se levant. Il faut que je contacte Minerva pour les préparatifs. Les garçons, prenez soin de Ginny et de votre mère, ajouta-t-il en se dirigeant vers le salon.
Après son départ, le silence retomba comme une chape de béton sur tous les occupants de la pièce. Harry se sentait de trop, mais il n'osait pas laisser les Weasley à leur chagrin – il avait envie de fuir, mais s'il le faisait, il se sentirait probablement encore plus mal, se ferait l'impression de les abandonner. Il fit la seule chose qu'il pensait être juste.
– Ron, mon vieux, dit-il timidement. Est-ce que tu veux qu'on prenne les balais et qu'on aille faire un tour ?
Ron leva les yeux vers lui et sourit avec reconnaissance.
– Bonne idée, souffla-t-il. Je vais chercher mon balai.
Harry hocha doucement la tête, et lorsqu'il sortit de la cuisine, il glissa à l'oreille d'Hermione :
– Va voir comment s'en sort Ginny, s'il te plait.
C'était tout ce qu'ils pouvaient faire : s'assurer qu'aucun des Weasley ne resterait seul, et s'occuper d'eux du mieux qu'ils pouvaient. Charlie et les jumeaux devaient prendre soin de leur mère et seraient sûrement assez forts pour cela, mais Ginny et Ron…non, il n'y avait rien d'autre à faire.
En sortant dans le jardin, et alors qu'il avisait Ron qui fixait le ciel d'un air absent, Harry se demanda comment allait Bill. Serait-il à l'enterrement ?
o0O0o
La semaine s'acheva dans une ambiance des plus moroses.
Harry n'était pas retourné au manoir Black comme il en avait eu l'intention juste avant l'annonce de la mort de Percy. Il y avait bien trop à faire au Terrier, et Molly ne semblait supporter qu'aucun de ses enfants – fussent-ils biologiques ou « adoptifs » – s'éloigne d'elle de plus de cinquante mètres. Il restait donc auprès d'elle, comme le reste de ses enfants…à l'exception de Bill.
Arthur lui avait demandé d'être le sixième homme qui porterait le cercueil jusqu'au cimetière. Ce rôle aurait normalement dû être dévolu à Bill, mais Molly avait refusé. Ce refus avait occasionné une violente crise de larmes et de rage de la part de cette dernière, et rien n'avait pu la persuader de changer d'avis. Harry avait donc été désigné pour être celui qui remplacerait Bill aux côtés d'Arthur, Charlie, Ron et les jumeaux.
Il ne voulait pas. Tout d'abord parce qu'il n'était pas un Weasley, et que cela le gênait terriblement. Mais surtout, parce que cela voulait dire que Bill était considéré désormais comme un paria au sein de sa propre famille. Bien sûr, la réaction de Molly était compréhensible, et il aurait sans doute été mal vu que le meurtrier – même involontaire – de Percy porte le cercueil…
Mais Molly avait également refusé que Bill assiste à l'enterrement. Là encore, c'était compréhensible, mais cela voulait dire que Madame Weasley considérait Bill comme un assassin – et elle était incapable de pardonner, au point de ne plus l'accepter chez elle. De ne plus l'accepter comme un membre de sa famille. Harry et Hermione avaient leur place sur le tableau qui représentait les Weasley, mais Bill avait disparu de la peinture, comme si on l'en avait chassé. Cela, plus que tout, révoltait Harry. C'était tout de même leur fils, bordel ! Il ne comprenait pas que Bill fût renié aussi facilement, à cause d'un accident.
Néanmoins, lorsqu'il vit que ses protestations n'avaient aucune influence, il se tut et accepta de mauvaise grâce la demande d'Arthur. Le pauvre homme était tellement gêné et tellement malheureux que Harry ne pouvait lui refuser une telle faveur. Il serait toujours temps, plus tard, lorsque les tensions seraient un peu apaisées, de tenter quelque chose pour raisonner Molly.
En attendant, il fallait se plier et courber l'échine devant la douleur d'une mère. Encore une fois, il n'y avait rien d'autre à faire pour le moment.
o0O0o
Puis le jour de l'enterrement arriva.
Un dimanche pluvieux, comme une caricature. Harry n'arrivait pas croire que ciel pleurait pour Percy alors qu'il ne l'avait même pas fait pour son vieux mentor.
– Dire que le soleil brillait à l'enterrement du professeur Dumbledore, murmura-t-il furieusement.
– Harry, tu es injuste, lui chuchota Hermione en retour.
Elle avait raison, bien entendu. Harry était profondément injuste, et il en avait parfaitement conscience. Mais la situation l'était également, pour tout le monde. Injuste pour les Weasley, qui avaient perdu un fils et en perdaient volontairement un autre. Injuste pour leurs enfants qui devaient lutter entre le chagrin dû à la mort de l'un de leur frère et l'amour qu'ils éprouvaient pour son meurtrier. Injuste pour Hermione et Harry qui étaient pris entre deux feux sans pouvoir y faire quoi que ce fût.
Minerva MacGonagall prononça l'éloge funèbre. Un éloge qui sonna creux aux oreilles de Harry, tant il était convenu et dépourvu de la moindre chaleur. Oui, Percy avait été un garçon intelligent, un étudiant brillant, un homme sérieux et travailleur. Un frère attentif et aimant, peut-être. Harry se souvenait que Percy avait été malade d'inquiétude lorsque Ron s'était retrouvé au fond du lac de Poudlard lors de la deuxième épreuve du Tournoi des trois sorciers, durant sa quatrième année.
Evidemment, Minerva avait passé sous silence son ambition dévorante et sa trahison envers sa famille – sa trahison envers la cause qu'elle-même défendait depuis tant d'années. Et Harry se doutait que personne ne retiendrait cette dernière partie de sa vie. C'était peut-être mieux ainsi, mais si cela devait se faire au détriment de Bill…tout cela l'écœurait au plus haut point. Bill valait tellement mieux que Percy. C'était un homme tellement meilleur.
Harry se fit l'horrible réflexion que c'était lui, Bill, qui aurait dû se trouver dans ce cercueil. Si tel avait été le cas, il n'aurait pas rechigné à porter la lourde bière d'ébène, il n'aurait sans doute pas éprouvé un tel sentiment d'injustice. Il aurait pu haïr Percy de toute son âme sans se sentir coupable d'éprouver de tels sentiments. Il aurait pu pleurer la mort de Bill et réellement partager la peine des Weasley.
Mais il ne voulait pas que Bill meure, bien entendu. Il n'aurait même jamais dû penser une telle chose. Alors il se tut encore une fois, fit taire ses pensées incohérentes, et se leva lorsque Arthur lui fit signe. Il se plaça derrière Charlie, et souleva le cercueil en réprimant le haut-le-cœur qui lui soulevait la poitrine. Et il marcha jusqu'au cimetière, celui situé près de Poudlard, celui-là même où Albus Dumbledore avait été enterré.
Dans la tombe, les fleurs blanches qui recouvraient le cercueil lui parurent incroyablement grises et sales, à cause de la boue, et de la pluie qui tombait toujours. Mais à la réflexion, n'importe quel ornement lui aurait paru déplacé dans la tombe de Percy Weasley. Il soupira, et jeta lui aussi le lys gorgé d'eau qu'il tenait à la main et qu'Arthur lui avait donné.
En sortant du cimetière, il aperçut, du coin de l'œil et alors que personne d'autre que lui n'y prêtait attention, une longue silhouette vêtue de noir qui se tenait un peu en retrait de la lourde grille de fer forgé. De la capuche qui recouvrait son visage, Harry put voir dépasser une longue mèche de cheveux roux.
Puis Bill disparut dans un « pop » discret.
o0O0o
Après l'enterrement, les choses reprirent lentement leur cours.
Du moins Harry, Hermione, Ron et les autres se forcèrent à reprendre une activité normale. C'était évidemment difficile, surtout pour la famille Weasley, mais personne n'oubliait qu'au-delà de leur cocon de douleur, il y avait une guerre qui continuait, avec ou sans eux. De plus en plus violente, de plus en plus meurtrière. Alors ils s'étaient tous remis au travail, chacun usant de ses capacités pour influer à sa mesure dans les événements à venir.
Tous, sauf Molly, qui paraissait incapable de se ressaisir et passait ses journées enfermée dans sa chambre à pleurer. Arthur avait bien essayé de la réconforter, ses enfants passaient autant de temps qu'ils le pouvaient auprès d'elle. Mais cela ne suffisait pas. Rien ne semblait pouvoir la consoler, et Harry en vint à penser, un peu cruellement, que Molly était surtout incapable de surmonter sa propre culpabilité. De ne pas avoir su retenir son fils trois ans plus tôt lorsqu'il avait quitté la maison, de ne pas avoir essayé de le raisonner. De ne pas avoir cherché à savoir ce qu'il faisait et comment il vivait après sa désertion. Ils étaient tous responsables, bien sûr, mais elle semblait la seule à ne pas accorder son libre-arbitre à Percy. C'était forcément la faute de quelqu'un d'autre.
D'ailleurs elle rejetait toujours la responsabilité sur Bill, qui n'avait plus remis les pieds au Terrier depuis l'accident. Les Aurors l'avaient relâché après un interrogatoire serré au Véritaserum qui avait révélé les circonstances exactes de la mort de Percy. Il avait été établi de manière irréfutable que l'homicide était totalement involontaire, et comme Bill était un membre actif et précieux de l'Ordre du Phénix, il n'y avait pas eu de suite à l'enquête.
Tout le monde en avait été secrètement soulagé, mais cela n'avait absolument rien changé à la situation. Bill était toujours persona non grata au Terrier, et à vrai dire, personne ne faisait réellement d'efforts pour l'y accepter de nouveau. Harry et Hermione avaient tenté, les premiers temps, de jouer les intermédiaires auprès des Weasley et de leur faire entendre raison. Mais si Charlie et les jumeaux avaient été plutôt réceptifs à leurs arguments, Molly, Ginny et Ron n'avaient rien voulu entendre, trop perdus sans doute dans leur souffrance. Quant à Arthur…il ne pouvait tout simplement pas prendre parti contre sa femme, alors peu importait au fond ce qu'il pensait véritablement.
Hermione avait donc abandonné et se contentait à présent de soutenir Ron du mieux qu'elle pouvait, tout en poursuivant avec acharnement ses recherches sur les Horcruxes et comment s'en débarrasser. En dehors de Nagini, le serpent de Voldemort, et Voldemort lui-même, ils avaient tous été détruits, et la jeune femme savait que la fin était proche. Le serpent serait sans doute tué au cours d'une violente bataille, probablement la dernière – il n'y avait guère d'autre moyen, puisque depuis la trahison du professeur Snape, l'Ordre n'avait plus d'espions dans les rangs de Voldemort. Hermione cherchait donc de toutes ses forces une solution pour détruire Nagini avant que Harry ne tue le Seigneur des Ténèbres.
Mais Harry persistait à vouloir réhabiliter Bill auprès de ses parents. Il ne savait pas lui-même ce qui le poussait à agir de la sorte. Après tout, il aurait pu laisser tomber – il n'avait jamais été très proche de Bill, et n'avait pas revu le jeune homme depuis son mariage avec Fleur un an plus tôt. Que pesait l'innocence de Bill face à la douleur d'une mère ? Que lui importait la situation de l'aîné des Weasley ? Et puis, il restait un assassin, quand bien même il ne l'avait pas fait exprès.
Pourtant, sans qu'il sût s'expliquer pourquoi, Harry essayait toujours de tempérer Molly, de faire entendre raison à Ron et Ginny. Sans doute était-ce ce perpétuel sentiment d'injustice qui l'animait, et que Hermione nommait son « complexe du héros ». Ou peut-être était-ce à cause de son ressentiment pour Percy. Peut-être était-ce aussi parce que lui-même était destiné à devenir un assassin, qu'il le veuille ou non. Ou bien encore était-ce tout autre chose, il n'en savait rien. Quoi qu'il en fût, Harry essayait toujours, parfois usant de diplomatie, parfois provoquant de violentes disputes entre Ron et lui.
Mais il semblait que ce fût peine perdue.
o0O0o
La lourde porte d'entrée du manoir Black se referma dans un grincement sinistre et Harry soupira lourdement. En face de lui, Hermione ranima d'un mouvement de baguette le feu qui commençait à mourir dans la cheminée du salon faiblement éclairé.
– Je ne comprends pas pourquoi tu t'obstines, murmura-t-elle tout en fixant les flammes. Ron va encore te faire la gueule pendant des jours, maintenant…
– Je ne sais pas, répondit Harry en prenant place dans un fauteuil à côté d'elle. C'est juste que…je ne sais pas, je trouve tout ça tellement injuste ! Bill ne mérite pas ça. Putain, ce n'est pas comme s'il l'avait fait exprès !
– Je sais bien, soupira Hermione, toujours sans le regarder. Mais que veux-tu y faire ? C'est désolant à dire, mais Mrs Weasley ne lui pardonnera jamais ce qu'il a fait, à moins qu'il ne meure lui aussi. Pour beaucoup de gens, s'il survit à la guerre, il restera celui qui a tué son frère, peu importe ce qu'il a fait avant et ce qu'il fera après.
– C'est dégueulasse, chuchota Harry. Ce n'est pas juste, Hermione – je veux dire, merde ! C'était un accident…
– Tu oublies le fait que c'est surtout un fratricide, objecta la jeune femme d'une voix fatiguée. Et puis, il y a le fait qu'il porte encore les marques de l'attaque de Greyback…Même si tout le monde sait qu'il n'a pas été contaminé, il reste un doute et il passe quand même pour quelqu'un de dangereux – en fait, je pense même que si les Aurors l'ont laissé partir, c'est parce qu'il est un élément précieux de l'Ordre. Si ça n'avait pas été le cas, il était bon pour Azkaban. Les gens ont peur de ce qu'ils ne peuvent pas maîtriser…
– Génial, grommela Harry. Tu crois que si j'arrive à tuer Voldemort et à survivre à ça, on m'enfermera aussi ?
– C'est bien possible, répliqua Hermione avec un petit gloussement – mais son sourire n'atteignait pas ses yeux. Ta puissance fait déjà peur à pas mal de monde, tu sais. De toute façon, ne te fais pas d'illusions, ce sera ça, ou alors on te considérera comme un dieu vivant. Il n'y aura pas de demi-mesures.
– Merci de ruiner définitivement mes perspectives d'avenir, s'esclaffa Harry – mais là encore, le cœur n'y était pas.
C'était un rire douloureux, le genre de rire que l'on pousse lorsqu'on ne veut pas pleurer. Car Hermione avait raison, Harry le savait, et il se rendait compte à présent que c'était bien pour cela qu'il tenait tant à réhabiliter Bill. Parce que bientôt, il serait dans le même cas que lui. Bien sûr, les circonstances seraient différentes, en tuant Voldemort il libérerait des millions de gens du joug d'un monstre – mais il serait lui aussi un assassin. Le sorcier vivant le plus puissant au monde, un homme dangereux que tous craindraient. Même si c'était la dernière chose dont il voulait.
– Tu fais ça pour toi, n'est-ce pas ? demanda Hermione. Pas pour Bill.
Elle avait compris, bien évidemment – l'extraordinaire sensibilité qu'elle avait développée depuis quelques mois étonnait toujours autant le jeune homme.
– Oui, répondit-il doucement. C'est nul, hein ?
– Non, dit-elle avec un sourire. C'est compréhensible. Je pense que j'aurais fait pareil à ta place…Je vais rentrer au Terrier, ajouta-t-elle en se levant de son fauteuil. Je n'ai pas envie de laisser Ron tout seul, surtout après votre engueulade de ce soir…Ca va aller, toi ?
– Oui, fit Harry avec un sourire rassurant. Ne t'en fais pas. On se voit demain ?
La jeune femme acquiesça silencieusement et jeta de la poudre de cheminette dans l'âtre, avant de plonger résolument dans les flammes.
Harry resta quelques instants à fixer le feu d'un air absent. Mais il n'avait pas envie de rester enfermé ce soir. Même nettoyée et débarrassée de ses trophées macabres, la maison de Sirius restait bien trop sinistre pour qu'il y passe une soirée en solitaire – et il ne parviendrait pas à dormir, trop énervé par sa dispute avec Ron.
Il faisait encore doux dehors, bien plus que dans le manoir plongé en permanence dans l'obscurité, toujours froid et humide malgré ses efforts. Le mois d'août touchait à sa fin, et Harry se fit la réflexion que c'était peut-être le dernier été qu'il verrait avant de mourir.
Et il voulait en profiter, de quelque façon que ce fût ; alors il se leva de son siège et se vêtit de sa cape d'invisibilité – une petite promenade dans la fraîcheur du soir était tout ce qu'il souhaitait sur l'instant.
o0O0o
Il avait renoncé à parcourir les rues de Londres. Qu'il fût dans les quartiers moldus ou sorciers, il y aurait toujours trop de monde à son goût, et surtout, il ne voulait prendre le risque de se faire reconnaître – ou effrayer un moldu – si jamais il heurtait quelqu'un par inadvertance. Il transplana donc dans le seul endroit où il était certain de ne croiser personne.
Poudlard.
Bien que la vieille école restât occupée après sa fermeture, plus aucun de ses habitants ne s'aventurait hors de ses murs – hormis Hagrid, mais le demi-géant faisait essentiellement ses rondes dans la Forêt Interdite. Et Harry n'avait pas l'intention de pénétrer dans le bois ; le parc et ses alentours lui suffiraient amplement – il voulait juste marcher jusqu'à être assez fatigué pour s'endormir à peine rentré chez lui.
Il nota distraitement que la lune était pleine ce soir, et eut une pensée furtive pour Remus – il espérait que le dernier des Maraudeurs ne souffrait pas trop de sa transformation et que Tonks le soutenait dans cette épreuve.
Ses pas le menèrent inconsciemment vers le vieux cimetière situé en bordure de l'immense parc. Harry ne savait pas bien pourquoi il avait marché jusqu'ici, mais mû par une impulsion inexplicable, il décida soudain de franchir les grilles entrouvertes et de se rendre sur la tombe d'Albus Dumbledore.
La pierre tombale était d'une blancheur immaculée qui semblait légèrement iridescente sous la lumière de la lune. Harry remarqua qu'au contraire de bien des tombes qui l'entouraient, celle-ci était remarquablement bien entretenue, comme si quelqu'un s'y rendait tous les jours pour la nettoyer et y changer les fleurs avec un soin méticuleux, à la limite de la maniaquerie – peut-être Minerva McGonagall avait-elle lancé un sort permanent dessus, songea-t-il.
Harry frissonna imperceptiblement. Le bref été écossais touchait déjà à sa fin. Les heures les plus froides de la nuit étaient arrivées à présent, et un vent un peu trop frais soufflait sur sa peau en s'engouffrant sous les pans de sa cape. Le jeune homme se lança un bref sortilège de réchauffement et enleva sa cape – il était seul ici, il ne lui servait à rien de rester caché plus longtemps.
Il soupira – un soupir d'une infinie lassitude.
– Professeur, chuchota-t-il, je voudrais tant que vous soyez encore là…Ici-bas, les choses vont de mal en pis. J'ai peur de ne pas être à la hauteur.
Il n'obtint aucune réponse – évidemment. Le dernier directeur de Poudlard avait beau avoir été le plus grand sorcier de son époque, il ne reviendrait pas d'entre les morts pour conseiller Harry – ne restait que son portrait, et il se voyait mal entrer par effraction dans le bureau du défunt professeur. Le jeune homme le savait – ça ne l'empêchait pas de se sentir irrationnellement déçu. Il y avait trop longtemps qu'il se sentait seul et que même la présence de ses meilleurs amis ne l'apaisait plus comme elle aurait dû le faire. Et il avait désespérément besoin de s'appuyer sur quelqu'un, juste un instant.
Ginny aurait pu le faire. C'était lui qui ne voulait plus. Et contrairement à ce qu'il s'obstinait à croire, il savait très bien pourquoi – il n'avait juste pas envie de le reconnaître et s'inventait toutes sortes d'excuses pour ne pas y penser.
Son attention fut attirée par un mouvement furtif sur sa gauche – une ombre qui se mouvait dans l'obscurité. Harry remit en hâte sa cape et, serrant sa baguette un peu plus fort entre ses doigts, entreprit de suivre la silhouette noire qui se dirigeait vers le fond du cimetière. C'était peut-être Hagrid, ou n'importe quel autre habitant de l'école, mais cela semblait assez invraisemblable et Harry avait appris à devenir méfiant avec le temps.
L'ombre, de stature indéniablement masculine, se déplaçait avec agilité, mais le jeune homme n'eut aucun mal à la suivre – qui que ce fût, il n'avait pas l'air pressé et semblait savoir exactement où il allait. Les cimetières sorciers avaient ceci de particulier que l'emplacement des tombes ne semblait obéir à aucun agencement logique – les membres d'une même famille se retrouvaient ensemble, mais en dehors de cela, l'ordre alphabétique ou chronologique n'était absolument pas respecté.
Malgré cela, Harry reconnaissait parfaitement les allées qu'il parcourait silencieusement à la suite de l'homme ; il les reconnaissait pour les avoir parcourues peu de temps auparavant, lors de l'enterrement de Percy – la silhouette se dirigeait vers le caveau des Weasley, sans aucun doute possible. Et quand l'homme s'immobilisa enfin, devant la dernière tombe à y avoir été creusée, et qu'il abaissa lentement sa capuche en libérant une cascade de cheveux roux, longs et lisses, Harry sut qu'il ne s'était pas trompé.
Bill.
Qui portait encore les traces de son chagrin sur le visage et qui contemplait la tombe de son frère assassiné avec une expression de regret. Harry se sentit tout à coup désagréablement déplacé – il n'avait rien à faire ici, à observer Bill et son visage douloureux. Il se faisait l'impression de n'être qu'un vulgaire voyeur.
Pourtant, il ne s'éloigna pas, et au contraire, s'approcha un peu plus de l'homme qui lui tournait le dos.
Il voulait savoir – ce qui s'était réellement passé ce soir-là. Il n'avait pas eu une seule fois l'occasion de voir Bill, de lui parler. Etrangement, il sentait que s'il ne le faisait pas cette nuit, il ne le ferait jamais – non qu'une occasion pareille ne se reproduirait plus, mais simplement parce qu'il ne savait pas s'il en aurait le courage. Après tout, il ne connaissait que très peu le jeune homme roux – moins encore qu'il ne connaissait Charlie – et il ne savait pas bien comment trouver le moyen de lui parler. A vrai dire, Bill l'impressionnait.
Harry retira doucement sa cape, puis s'avança calmement, mais sans plus chercher à dissimuler sa présence – et aussi pour donner le temps à Bill de se rendre compte qu'il n'était plus seul, et peut-être, se recomposer une expression impassible. Lorsqu'il le vit se tendre légèrement, sans pour autant se retourner, il vint se placer à ses côtés. Sans le regarder.
– Avec ta robe noire, j'ai failli te prendre pour un Mangemort, déclara-t-il d'une voix tranquille, qui dissimulait parfaitement son tremblement intérieur – il y avait quelque chose de curieusement intimidant à se retrouver aussi près du jeune homme alors qu'ils étaient seuls dans cet immense cimetière silencieux.
Bill émit un petit rire sans joie, mais ne se retourna pas.
– C'est l'effet que je me fais aussi quand je me regarde dans une glace ces derniers temps, répondit-il d'une voix amère, basse et rauque, comme abîmée par le chagrin. Qu'est-ce que tu fais ici, Harry ? Encore une insomnie ? Voldemort te mène la vie dure, hein ?
– Je me suis dit qu'une petite ballade au clair de lune dans un cimetière convenait bien à mon marasme émotionnel actuel, fit Harry avec humour – mais le cœur n'y était pas, là non plus. Comment ça va, toi ? demanda-t-il en se tournant enfin vers lui, après une légère hésitation.
Il regretta immédiatement d'avoir posé une question aussi idiote. Il était évident que Bill n'allait pas bien – comment aurait-il pu ? Et lui, il apparaissait comme ça, au beau milieu d'un cimetière où l'autre s'était cru seul pour pleurer son frère, et il lui demandait stupidement, comme un cheveu sur la soupe, comment il allait…Comme pour confirmer sa bêtise, le jeune homme roux secoua la tête en ricanant faiblement.
– Ca va aussi bien qu'on puisse aller dans de telles circonstances, je suppose, souffla-t-il. Mais je n'ai pas envie de t'ennuyer avec ça, ajouta-t-il gentiment. Tu n'as pas à t'en faire pour moi.
– Bien sûr que je me fais du souci, protesta doucement Harry. C'est normal. Après tout, ce n'est pas comme si tu l'avais fait exprès.
– Ca n'excuse rien, répliqua Bill, et son ton était sans appel.
Harry aurait voulu lui prouver le contraire. Mais les circonstances jouaient contre lui – après tout, il semblait être le seul à considérer que Bill n'était pas vraiment responsable de la mort de Percy. Et Hermione, mais la jeune fille avait laissé tomber, alors il ne restait plus que lui. Alors, encore une fois, il essaya de faire entendre son point de vue.
– Bien sûr que si, ça excuse tout, murmura-t-il. C'était juste un accident, tu n'y pouvais rien…
– Et je n'ai pas pu le sauver non plus, remarqua Bill d'une voix étrange, aux intonations presque détachées – absentes. Je pense que c'est pour ça que maman m'en veut tellement. Je ne peux pas lui reprocher, cela dit.
– Tu n'es pas médicomage, dit Harry. Et je ne pense pas que tu aies eu le temps de viser lorsque tu as dû te défendre contre Percy. Ce n'est pas ta faute.
– Si, ça l'est. Mais ce n'est rien, soupira le jeune homme roux. C'est gentil de vouloir me remonter le moral, Harry, mais c'est inutile. Il va falloir que j'apprenne à vivre avec la culpabilité.
– Et accepter d'être un paria juste à cause d'un accident ? demanda Harry d'une voix douce. Je…merde, Bill, je sais que ça va te paraître étrange, mais depuis que je suis gamin et que je t'ai vu pour la première fois, tu es une sorte de héros pour moi. Ca n'a pas de sens ce que tu dis…Je veux dire, tu es quelqu'un de bien, vraiment, je ne comprends pas pourquoi tout d'un coup tout le monde semble l'avoir oublié à part moi…et Fleur, bien entendu, acheva-t-il, d'une voix aux accents interrogateurs.
Bill eut encore ce petit rire sinistre et sortit une petite pipe à herbe des replis de sa robe, qu'il alluma d'un sort en tirant de longues bouffées du mélange sorcier. Il la tendit à Harry qui l'accepta sans un mot, attendant sa réponse – même s'il n'était pas certain qu'il y eût vraiment quoi que ce fût à répondre à sa tirade.
– Fleur aussi semble l'avoir oublié, finit par dire Bill en levant ses yeux bleus vers Harry. Elle est partie peu après l'enterrement de Percy.
– Pourquoi ? s'écria Harry, abasourdi.
– Pour réfléchir, répondit Bill en esquissant un rictus désabusé – cela ne lui allait pas du tout et Harry grimaça imperceptiblement. Elle a dit qu'elle ne savait plus si elle m'aimait encore, qu'elle ne se faisait pas à l'idée de finir sa vie avec quelqu'un capable de tuer son propre frère. Si tu veux on avis, je pense surtout que c'est parce qu'elle cherchait un prétexte pour me quitter et qu'elle a sauté sur l'occasion.
– Comment ça ? Je ne comprends pas, murmura Harry, déstabilisé.
Le couple que Bill formait avec Fleur lui avait certes toujours semblé incongru, mais force était de reconnaître qu'ils étaient merveilleusement beaux ensemble – même après que Bill eut été blessé par Greyback – et que tout le monde s'accordait à le penser. Harry avait du mal à s'imaginer Fleur quitter Bill.
– Je crois qu'elle ne supportait pas bien de me voir défiguré après l'attaque de Poudlard, répondit finalement Bill en haussant les épaules – un peu comme s'il s'y était toujours attendu.
– Je comprends encore moins, rétorqua Harry en fronçant les sourcils. Je me souviens parfaitement bien de sa réaction à l'infirmerie, après, et ça n'avait pas l'air de la gêner – en plus, excuse-moi, mais si tu penses que tu es défiguré, fais-moi plaisir et va te regarder attentivement dans une glace. Ce ne sont pas quelques cicatrices qui vont te rendre laid.
– Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, dit Bill alors que Harry s'étouffait avec la fumée des herbes sorcières et lui rendait sa pipe en toussant. Mais ça n'a pas d'importance, ajouta-t-il avec un petit sourire.
– Oh. Désolé si je t'ennuie avec mes questions, marmonna Harry.
Il avait parfaitement conscience à présent de ce que ses interrogations avaient de déplacé – Bill n'avait sûrement pas envie de discuter de tout cela avec lui. Mais l'aîné des Weasley lui fit un sourire encourageant et répondit :
– Tu ne m'ennuies pas. C'est juste que Fleur…disons qu'elle veut bien faire et je crois honnêtement qu'elle voulait sincèrement ne pas attacher d'importance à des choses aussi futiles. Seulement, elle n'a pas pu faire autrement, simplement parce que pour elle, c'est très important, qu'elle le veuille ou non. Elle est pétrie de bonnes intentions, mais elle ne peut pas lutter contre sa nature.
– Sa nature ? Qu'est-ce que tu veux dire par-là ? demanda Harry, confus – il avait du mal à croire que Bill puisse dire de sa femme que c'était dans sa nature d'être une pimbêche superficielle.
– Eh bien…tu sais qu'elle a une ascendance Vélane, n'est-ce pas ? Les Vélanes choisissent en général leur compagnon selon des critères très précis mais très subjectifs. Fleur pensait qu'il n'y avait pas assez de gènes Vélanes en elle pour que cela influe sur ses choix – mais elle s'était trompée, et je sais qu'elle ne reviendra pas. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir.
– Tu veux dire qu'elle t'a quitté parce que tu ne correspondais plus à celui que la Vélane en elle avait choisi, c'est ça ?
– C'est ce que je crois, oui, fit Bill en haussant les épaules. Même si le sang de Greyback n'a pas été assez puissant pour me contaminer entièrement – encore heureux, sinon nous ne pourrions certainement pas discuter ensemble en ce moment, remarqua-t-il distraitement – il a induit des changements en moi…plus profondément que je ne le pensais. Ce n'est pas la faute de Fleur, elle n'y peut rien, et Merlin sait qu'elle a essayé de passer outre, mais les cicatrices sur mon visage lui rappelaient sans cesse à quel point j'ai changé.
Harry se demanda brièvement si les changements auxquels Bill faisait allusion étaient responsables d'un manque de contrôle de sa magie, et si c'était la raison pour laquelle son Expelliarmus avait été violent au point de briser la nuque de Percy lorsqu'il avait heurté ce meuble à Gringotts. Mais il s'abstint de poser la question, car il n'était pas sûr de vouloir s'engager sur cette voie, et chassa ces pensées parasites de son esprit.
– Elle aurait quand même pu attendre un peu avant de partir, marmonna-t-il. Et te soutenir, même si elle ne t'aime plus.
– Comprends-la, soupira Bill – mais lui-même ne semblait que peu convaincu par ses paroles. J'ai tué mon frère, et Merlin seul sait si je ne serais pas capable de recommencer un jour sous le coup de la colère, de la peur ou de l'énervement.
– C'était un accident, Bill, chuchota désespérément Harry – pourquoi ne pouvait-il pas admettre que c'était le cas ? songea-t-il tristement.
– Tu ne comprends pas. Ca ne serait jamais arrivé si j'avais pu me contrôler – ma magie, je veux dire.
C'était donc ça – Harry ne s'était pas trompé, le sang de Greyback perturbait sa magie. Mais Bill poursuivit :
– Elle a peur que je devienne violent, un jour – que je ne puisse plus me contrôler. Il ne faut pas lui en vouloir, tu sais. C'est normal
C'était étonnant de voir l'énergie qu'il mettait à la défendre, se dit amèrement Harry. Il devait encore beaucoup l'aimer – ou chercher à se convaincre lui-même de ce qu'il disait. Dans les deux cas, il n'aimait pas le tour que prenait la conversation, et Bill dut le sentir car il lui adressa un petit sourire désolé et remit sa capuche.
– Ne parlons plus de ça, dit-il. Je n'ai pas envie de t'ennuyer avec mes problèmes alors que tu en as d'autres bien plus importants à régler, et il est tard – nous devons tous les deux travailler demain. Ca m'a fait plaisir de discuter avec toi, Harry.
Une façon polie de lui rappeler qu'il avait un monde à sauver, et qu'il n'avait plus envie de lui parler. Harry soupira, résigné. Il ne savait pas bien pourquoi, mais il se sentait étrangement déçu – alors qu'il aurait dû s'attendre à ce genre de réaction. C'était toujours la même, de toute façon. C'est gentil Harry, merci de t'inquiéter pour moi, mais n'oublie pas que tu n'es rien d'autre que le foutu prétendu Sauveur du monde sorcier, alors concentre-toi un peu sur ta tâche au lieu de vouloir sympathiser avec les gens. Toujours la même rengaine. Il n'était pas vraiment surpris, mais il avait espéré que Bill serait différent – ce qui manifestement n'était pas le cas. Il se rendait bien compte également que sa propre réaction était tout sauf logique – après tout, il ne voulait pas poursuivre la conversation, lui non plus.
Mais Bill le surprit en lui serrant la main juste avant de transplaner.
– Si tu veux, passe un de ces jours chez moi, lui dit-il. Ce serait sympa qu'on bavarde un peu.
Harry acquiesça silencieusement, trop surpris pour répondre, et Bill transplana dans un « pop » discret.
Etait-ce lui ou… ?
Avant qu'il ne disparaisse, il avait cru percevoir quelque chose dans les yeux de Bill. Quelque chose comme de la détresse mêlée à de l'espoir.
Peut-être Bill se sentait-il plus seul et désemparé qu'il ne voulait bien le montrer…
o0O0o
Quelques semaines s'étaient écoulées après son étrange rencontre avec Bill dans le cimetière de Poudlard, et Harry y repensait encore régulièrement. Il avait eu énormément de travail suite à cette conversation, et n'avait pas eu le temps de se rendre chez l'aîné des Weasley comme ce dernier le lui avait proposé. S'il avait été honnête avec lui-même, il aurait reconnu qu'il n'avait pas osé. Mais Harry avait effectivement des problèmes autrement plus importants à régler – qu'il le voulût ou non, l'issue du combat avec Voldemort devenait peu à peu inéluctable, et un sentiment d'urgence s'était emparé de toute la population sorcière, en particulier chez les Aurors et les membres de l'Ordre du Phénix.
Hermione avait trouvé, au prix de longues nuits blanches à compulser des ouvrages dans diverses bibliothèques, un moyen de tuer Nagini ; ce que tout le monde appelait pompeusement la Bataille Finale se rapprochait à grands pas – ce n'était plus qu'une question de jours à présent. Et chacun se préparait du mieux qu'il pouvait, rassemblait ses forces et comptait ses alliés, avec pour tout le monde, cette boule d'angoisse qui se faisait chaque jour un peu plus présente au creux du ventre.
Harry avait aperçu Bill plusieurs fois à des réunions au manoir Black, mais ils ne s'étaient que très peu adressé la parole, hormis pour échanger rapidement des informations. Et aussi parce que Bill ne venait jamais s'il savait que le reste des Weasley serait présent, ce qui ne leur laissait finalement que peu d'occasions de se croiser. Deux ou trois fois cependant, ils avaient eu le temps de boire une bièraubeurre ou un Whiskey pur feu ensemble sur un coin de table, avant que les autres membres de l'Ordre n'arrivent à leur tour.
Harry regrettait que ces occasions se fissent si rares. A chaque fois, ils parlaient très peu, et de sujets communs, presque banals compte tenu de la situation. Pourtant, échanger quelques mots avec le jeune homme roux lui faisait du bien, et il avait le sentiment que Bill appréciait ces instants de calme autant que lui – ou peut-être était-ce parce qu'il aurait aimé qu'il les apprécie. Quoi qu'il en fût, il était heureux de passer ces moments avec lui.
Un peu trop, peut-être – le reste de la famille Weasley le savait, peu importait comment, bien qu'il ne s'en cachât pas vraiment de toute façon. Et même s'ils ne le lui reprochaient pas ouvertement, chacun de leurs regards faisait peser sur lui le poids de la culpabilité. Il avait le sentiment de fraterniser avec l'ennemi, et cela le rendait mal à l'aise autant que cela le mettait en colère, car il savait très bien qu'il n'aurait pas dû ressentir cela. Alors il en voulait à Ron, à Ginny, à Molly de le rendre honteux de quelque chose dont il n'aurait pas dû avoir honte, puis se flagellait mentalement d'avoir pu les haïr pour cela, ne fût-ce qu'un instant.
Il lui arrivait souvent de ricaner amèrement tout seul, en se disant que c'était ce que l'on appelait vulgairement « avoir le cul entre deux chaises ». L'expression ne pouvait pas mieux s'appliquer à sa situation. Néanmoins, il n'avait pas envie de renoncer à l'amour des Weasley, pas plus qu'il ne voulait renoncer à la relation qu'il avait avec Bill – ne fût-elle simplement qu'une vague amitié. Il se disait de plus en plus souvent qu'il mourrait peut-être bientôt, et n'avait pas envie de se mettre à dos les gens qu'il appréciait – même si, plus le temps passait, et plus il se rendait compte de combien il était seul, au fond…c'était d'ailleurs peut-être la vraie raison. Il trouvait seulement dommage que les Weasley ne l'eussent pas compris – après tout, ils étaient dans le même cas que lui.
Que tout le monde.
o0O0o
Un soir, Bill s'attarda chez Harry après une réunion de l'Ordre – à laquelle les Weasley n'étaient pas venus, évidemment. Ou plutôt, ils étaient venus, mais étaient repartis dès que Bill avait fait son apparition. Il s'était passé presque trois mois depuis la mort de Percy, et pourtant Molly ne semblait toujours pas capable de pardonner à son fils aîné. Ginny et Ron non plus, d'ailleurs.
Harry avait eu une violente explication quelques jours plus tôt avec son meilleur ami, et ce dernier avait fini par lui cracher à contrecœur qu'il ne parvenait tout simplement pas à accepter la mort de celui de ses frères qui tenait le plus à lui, et ce malgré son attitude détestable de son vivant. Il admettait encore moins que ce fût Bill le responsable de cette mort – Bill, le plus charismatique et le plus doué de ses frères, le plus éloigné de Ron en âge, et avec qui il n'avait jamais été réellement proche. Paradoxalement, il ne parvenait à lui pardonner ni son ancienne perfection, ni ses nouvelles faiblesses
Harry lui avait alors demandé si cela valait la peine de perdre un autre de ses frères alors qu'il n'était même pas sûr de survivre à la guerre. Ron n'avait pas répondu, et s'était contenté de quitter la pièce sans un mot. Harry n'avait plus insisté depuis, même s'il regrettait infiniment l'état d'esprit de son meilleur ami. Il ne pouvait pas comprendre, il n'avait jamais connu et ne connaîtrait jamais une telle situation. Néanmoins, il lui semblait qu'il pouvait concevoir pourquoi Ron réagissait de cette manière – la culpabilité, évidemment. Il n'avait donc rien dit.
Il s'était alors résigné à ne plus tenter quoi que ce fût pour inciter les Weasley à changer d'avis. Et lorsque Bill fit son entrée ce soir-là dans la cuisine du 12, Grimmault place, et qu'ils se levèrent tous comme un seul homme pour sortir du vieux manoir sans un regard pour leur aîné, il se contenta de secouer la tête d'un air désolé. Et de ressentir une immense peine en voyant l'expression douloureuse de Bill.
Mais il ne pouvait rien faire pour résoudre le problème.
Rien, à part servir un verre de whiskey à Bill et s'asseoir en face de lui lorsque tous les autres furent partis et qu'il resta attablé devant sa tasse de thé, le regard dans le vague et l'air absent. Deux solitudes qui ne faisaient que se croiser trop peu souvent, trop peu longtemps, pourtant, Harry se sentait bien – presque…heureux. Il soupira imperceptiblement. Il se sentait un peu pathétique malgré tout.
– Reste ici ce soir, proposa-t-il soudain alors qu'ils buvaient leur whiskey en silence depuis de longues minutes.
Plus le temps passait, et plus les longues soirées seul au manoir lui pesaient. C'était désormais l'automne, et il semblait à Harry qu'un voile gris avait soudain recouvert le monde. L'arrivée de la saison froide en plein cœur de Londres n'avait rien d'agréable, et un sentiment presque permanent de mélancolie s'était emparé de lui à mesure que la température baissait. Il ne voulait définitivement pas rester seul chez lui ce soir, avec pour seule compagnie une bouteille de whiskey et un maigre feu de cheminée.
Bill hocha lentement la tête et se leva silencieusement pour suivre Harry qui se dirigeait vers le salon.
Ils parlèrent peu, échangèrent des banalités, quelques propos pessimistes sur la guerre – pourtant, cela sembla juste bien à Harry. La simple présence de Bill à ses côtés l'empêchait de ressasser des idées trop noires, et il avait l'impression que la réciproque était vraie. Du moins, il l'espérait.
Bill dormit dans une chambre rénovée non loin de la sienne – Fleur n'était pas revenue de France, et l'un comme l'autre, ils savaient qu'elle ne reviendrait plus. Le jeune homme roux semblait presque indifférent lorsqu'il lui avait annoncé la nouvelle, mais Harry savait que tout était justement dans ce « presque ». Il était encore amoureux d'elle, et cela lui faisait de la peine – pour Bill. Peut-être aussi pour lui-même. Avant d'aller se coucher, Bill avait laissé entendre qu'il comptait revendre leur maison de Londres et se trouver un logement plus petit, et moins chargé de souvenirs – dans le cas, peu probable, où Voldemort perdrait la guerre. En attendant, il détestait rester chez lui le soir et y passait le moins de temps possible – Harry se demanda brièvement où il passait ses nuits si ce n'était ni chez lui, ni chez ses parents, et grimaça en se rendant compte que ce qu'il imaginait ne lui plaisait pas.
C'était une autre raison pour laquelle il appréciait que Bill dormît chez lui ce soir – il n'avait pas envie de réfléchir, et s'il avait été seul, il n'aurait pas pu s'en empêcher.
Et il ne voulait vraiment pas – parce qu'il connaissait déjà la réponse à ses interrogations, et qu'il n'avait tout simplement pas envie de l'admettre pour le moment.
Cela ne servirait qu'à le faire souffrir, de toute façon.
o0O0o
La veille de Halloween, le visage d'Hermione apparut dans la cheminée de Harry. Ses traits accusaient le coup d'une fatigue intense et d'une peur mal maîtrisée, mais ses yeux brillaient d'un éclat déterminé que Harry ne lui connaissait que trop bien – il y aurait bientôt une bataille, il en avait la certitude profondément ancrée dans ses entrailles. Il faisait déjà nuit, et le jeune homme frissonna un peu dans l'obscurité de son salon.
– Demain soir, énonça-t-elle sans préambule. Il va attaquer.
– Où ? demanda simplement Harry – il était évident que Voldemort ne résisterait pas à la tentation de provoquer un massacre la veille de la fête des morts, il n'était donc même pas surpris par l'annonce d'Hermione. A vrai dire, il ne voulait même pas savoir pourquoi, ni comment l'information avait filtré ; c'était inutile.
– Là où tout a commencé, répondit Hermione sur le ton de l'évidence. Pour toi, bien entendu. Godric's Hollow. Il y a encore énormément d'habitants dans le village. Et pour la symbolique, c'était la deuxième hypothèse à laquelle nous avions pensé.
– Logique, murmura Harry pour lui-même. Il aurait pu faire ça dans un endroit isolé, comme le manoir Riddle, mais non, il veut qu'il y ait des témoins, des gens qui meurent avec lui…ou avec moi.
– Ne dis pas ça.
– Tu sais très bien que je ne suis pas prêt, Hermione, soupira Harry. Les probabilités pour que je meure demain sont largement plus élevées que pour la mort de Voldemort.
– Je déteste t'entendre parler comme ça, chuchota douloureusement la jeune femme. On dirait que tu pars perdant…
– Je ne pars pas perdant, Mione, la rassura Harry. Je peux te jurer que je ferai tout pour l'emporter avec moi, et dans le meilleur des cas, survivre. Mais il faut se faire à l'idée, tu sais ?
– Je sais, murmura misérablement son amie. Je ne veux pas, c'est tout…
– Moi non plus, sourit Harry. Et je ne veux pas que tu y ailles, pourtant, tu vas le faire, n'est-ce pas ?
– Bien sûr. Personne ne t'abandonnera, Harry.
– Tu vois, dit-il sur un ton léger, il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien. Par exemple, je suis sûr que tout le monde, quelle que soit l'issue du combat, va l'appeler la Bataille Finale. C'est un nom ridicule, tu ne trouves pas ?
La jeune femme émit un petit rire triste et secoua la tête de dépit.
– Oui, dit-elle, c'est un nom idiot. Nous pouvons remercier la Gazette du Sorcier pour cette ineptie…Viens au Terrier avec moi, ajouta-t-elle brusquement. Ne reste pas seul. Ne rentre pas avec n'importe qui ce soir – ne nie pas, je sais que tu le fais. S'il te plait.
Harry lui adressa un sourire tendre. Il n'avait jamais rien su cacher à sa meilleure amie, il ne s'étonnait même pas du fait qu'elle sût qu'il ramenait régulièrement des conquêtes éphémères pour tromper sa solitude – et se voilait la face en s'éloignant de plus en plus de ceux qui comptaient pour lui. Alors qu'il aurait pu revenir vers Ginny – c'eût été tellement plus simple ; sauf que, encore une fois, il n'en avait pas la moindre envie. Pourtant, ce soir, il lui semblait impensable d'aller ailleurs que chez les Weasley.
– Bien sûr, répondit-il. Tu n'imaginais tout de même pas que j'allais passer une telle soirée sans ma famille ? Donne-moi juste deux minutes pour prendre mes affaires, et j'arrive.
– Je t'attends.
Harry ne se retourna pas lorsqu'il pénétra dans la cheminée. Il n'avait jamais vraiment considéré le manoir Black comme sa véritable maison – juste un lieu tranquille qui lui appartenait et où il pouvait dormir, parce qu'il n'avait pas voulu chercher un autre logement. L'endroit ne lui manquerait pas, quoi qu'il se passât le lendemain.
Il suivit Hermione sans un regard en arrière.
o0O0o
– Qu'est-ce qu'il fait là ? siffla Ron. Je ne veux pas le voir ici.
Harry tourna machinalement son regard vers la petite fenêtre qui donnait sur le jardin du Terrier. Dehors, Arthur, une expression gênée sur son visage fatigué, était en train de parler à Bill qui se tenait légèrement en retrait, n'osant pas lever les yeux sur son père.
Harry, sans cesser de regarder les deux hommes dans le jardin, porta sa tasse de thé à ses lèvres et but une gorgée du liquide brûlant. Il n'avait pas envie d'écouter les jérémiades de son meilleur ami et de supporter sa rancœur envers son frère. Hermione soupira discrètement, mais ne fit aucun commentaire – ce fut Charlie qui s'en chargea.
– Ron, dit-il sévèrement. Tu ne crois pas que ça suffit, maintenant ? Demain soir, on va tous se battre. Lui aussi, et au cas où tu l'aurais oublié, il sera de notre côté. Si ça se trouve, c'est la dernière fois que nous passons une soirée ensemble. Tu veux vraiment partir au combat en te disant que tu as refusé de parler à Bill alors que tu le pouvais encore ?
Ron ne répondit pas et se renfrogna, s'enfonçant plus profondément dans le vieux fauteuil défoncé qui faisait face à ce lui de son frère aîné. Son attitude butée arracha un soupir d'exaspération à Charlie, qui se leva de son siège.
– Très bien, fit-il un peu sèchement. Je n'ai pas envie de me disputer avec toi, ni avec maman. Si tu as envie de regretter toute ta vie – du moins ce qu'il en reste – libre à toi. Moi, je vais dehors parler à Bill, et j'espère bien qu'il passera la soirée avec nous. C'est notre frère, après tout.
– Je viens avec toi, dit Harry en se levant à son tour. Tu sais ce que j'en pense, Ron, ajouta-t-il lorsque son ami lui lança un regard blessé et trahi. On s'est déjà suffisamment engueulés à ce sujet. Ce n'est pas parce que je ne te dis plus rien que j'ai changé d'avis.
Lorsqu'ils arrivèrent à leur hauteur, Harry put voir un sourire résigné étirer presque imperceptiblement les lèvres de Bill et Arthur. Il haussa les épaules et secoua la tête – ce n'était assurément pas en une seule soirée que tout pourrait se régler, mais il espérait au moins qu'une trêve serait accordée à Bill. Plus personne n'avait le temps de s'attarder sur les ressentiments, désormais.
Charlie enlaça brièvement son frère aîné, puis se tourna vers Arthur.
– Est-ce que tu veux que j'aille chercher maman ? demanda-t-il.
– Si tu parviens à la convaincre, répondit son père en hochant la tête. On ne va tout de même pas passer la nuit dehors, ajouta-t-il dans une piètre tentative d'humour, mais les trois jeunes gens autour de lui sourirent discrètement, comme pour l'encourager.
Charlie retourna dans la maison, et Harry tourna son regard vers Bill, plantant ses yeux verts dans les siens.
– Je suis heureux que tu sois là, dit-il simplement, et à cet instant, il se rendit compte qu'il n'avait peut-être jamais été plus sincère.
– Moi aussi, répondit Bill en souriant. J'espère juste que maman me laissera entrer…
– Au pire, on fera un sitting dans le jardin, plaisanta Harry, et le jeune homme roux en face de lui étouffa un petit rire.
Lorsque Charlie réapparut dans le jardin quelques minutes plus tard, il y avait un sourire joyeux sur son visage, et Bill poussa un soupir de soulagement. Apparemment, Molly s'était laissée fléchir. Restait encore à savoir si Ron et Ginny céderaient, eux aussi.
o0O0o
On ne pouvait pas vraiment dire que l'ambiance était chaleureuse – mais elle n'était pas vraiment hostile non plus. Si Harry avait dû choisir un mot pour qualifier l'atmosphère du Terrier après que Bill fut finalement entré dans la maison, il aurait sûrement opté pour « gênée ». Il supposait que c'était le mieux qu'il puisse espérer, même s'il le déplorait. Mais enfin, Ron et Ginny avaient accepté de rester au salon, et Molly, si elle évitait de parler à Bill, ne l'ignorait pas complètement non plus.
Quant aux autres…eh bien, les jumeaux avaient semblé un peu réticents au premier abord, mais à présent ils discutaient tranquillement avec Bill et Charlie de leur affaire de farces et attrapes, dont ils espéraient étendre l'activité après la guerre. De temps en temps, Hermione levait le nez de son livre et participait à la conversation, tandis qu'Arthur naviguait ente les membres de sa famille avec l'air heureux d'un patriarche qui a enfin toute sa tribu autour de lui. L'image était un peu forcée, peut-être, mais cela faisait chaud au cœur de le voir ainsi.
Harry, lui, se sentait un peu comme Arthur, dans le sens où il avait le sentiment d'être enfin en paix, avec les gens qu'il aimait tout autour de lui. Une paix toute relative, certes, mais c'était justement cette fragilité qui la rendait encore plus précieuse à ses yeux.
Il était juste assis, un peu en retrait dans un fauteuil près de la cheminée, à siroter un grog pour se réchauffer, et sourire de temps à autres à une phrase qu'on lui lançait au hasard des conversations.
Et son regard, qui se posait de plus en plus souvent sur Bill. Et celui de Bill, qui se posait de plus en plus souvent sur lui, et qui lui irradiait le ventre de chaleur.
Il aurait voulu lui parler, lui aussi. Etrangement, la présence d'autres personnes dans la pièce le dérangeait – soudain, il n'osait plus être aussi familier qu'il l'avait été avec Bill depuis qu'ils avaient discuté au détour d'une allée du cimetière de Poudlard. Comme si, brusquement, leur relative intimité avait été déplacée – inappropriée – au milieu des membres de la famille Weasley. Bill semblait ressentir la même gêne – il l'avait vu plusieurs fois tenter de se rapprocher de lui, puis se raviser au dernier moment, laissant ses yeux s'attarder un peu trop longtemps sur Harry.
Et l'arrivée inattendue d'autres membres de l'Ordre, tels que Tonks et Remus, n'aidait en rien à arranger cette sensation dérangeante qu'éprouvait Harry. Soudain, et bien qu'il fût heureux de les avoir eux aussi près de lui, il lui semblait qu'il y avait trop de monde dans la petite pièce, qu'il ne pourrait pas dire ce qu'il avait besoin d'exprimer en cet instant – même s'il ne savait pas précisément de quoi il s'agissait.
Lorsqu'il fut finalement l'heure d'aller se coucher et que tout le monde se sépara à regret, Harry avait le sentiment de passer à côté de quelque chose d'important.
De crucial.
Allongé dans le lit de Percy, il fixait le plafond repeint de blanc, des pensées incohérentes tournant et retournant sans cesse dans son esprit – de la même façon qu'il se serait tourné et retourné dans son lit s'il avait essayé de dormir.
Mais il savait qu'il n'y parviendrait pas, aussi longtemps qu'il continuerait de penser à Bill. Et qu'il n'aurait pas trouvé les réponses à ses questions, qu'il se posait depuis quelques semaines désormais, et auxquelles il avait refusé de réfléchir.
Que ressentait-il exactement pour le jeune homme ? Des tas de choses, assurément, mais tout lui paraissait si flou…Bill lui manquait, cruellement – comme un ami, un frère ou un amant, il ne savait pas vraiment.
Et il était si proche.
Il suffirait simplement qu'il se lève de son lit et qu'il sorte de la chambre de Percy – qu'il fasse quelques pas et qu'il franchisse une porte.
Alors, peut-être, il saurait.
o0O0o
Il ne s'attendait pas à tomber sur Bill dans le couloir. Littéralement. Et lasensation de son corps sous le sien le déstabilisa bien plus qu'il n'aurait voulu le montrer.
Chaleur.
Trouble.
Désir ?
– Pardon, bredouilla Harry en tentant maladroitement de se dégager. Je ne t'avais pas vu.
– Ce n'est pas grave, répondit doucement Bill en l'aidant à se relever. Qu'est-ce que tu faisais dans le couloir à cette heure ? Tu n'arrives pas à dormir ?
Harry hésita. Il aurait pu s'en tirer avec une pirouette, un mensonge banal. « J'avais soif, je voulais prendre un verre d'eau dans la salle de bain », par exemple. Il aurait pu retourner dans sa chambre et attendre l'aube avec toujours les mêmes questions qui tournaient dans sa tête. Et peut-être que si une bataille n'avait pas eu lieu le lendemain, c'est ce qu'il aurait fait.
– Je voulais te voir, répondit-il à la place, effrayé par sa propre hardiesse. Et toi, ajouta-t-il précipitamment, qu'est-ce que tu faisais ici ?
– Je voulais te voir…chuchota Bill, et Harry pouvait presque sentir le petit sourire qui étirait ses lèvres.
Plutôt que de le soulager, cet aveu de la part du jeune homme roux ne fit qu'accentuer la tension de ses muscles, et il recula légèrement pour mettre un peu de distance entre lui et son vis-à-vis. Harry expira lentement, pour se calmer.
– J'ai soif, bafouilla-t-il. Je vais me chercher un verre d'eau à la cuisine, tu veux quelque chose ?
– Je vais faire un tour dans le jardin, dit simplement Bill. Tu n'auras qu'à m'y retrouver quand tu auras fini.
Il y avait encore du monde en bas. Charlie fit un petit sourire à Harry et lui proposa un verre de whiskey, alors qu'Arthur fronçait les sourcils de désapprobation. Harry sourit et secoua la tête.
– Non merci, dit-il, je prendrai juste un verre d'eau. Vous n'arrivez pas à dormir ? demanda-t-il ensuite aux deux hommes.
– On nous a signalé des raids de Mangemorts dans la région, répondit Mr Weasley. Même si je ne pense pas que nous serons attaqués à cause de la bataille de demain, je préfère que quelqu'un monte la garde. Kingsley et Tonks viendront bientôt prendre la relève.
– Est-ce que je peux me rendre utile ? demanda Harry, par acquis de conscience – il savait très bien qu'on lui conseillerait d'aller se reposer en prévision du lendemain, et ainsi qu'il le pensait, Arthur hocha négativement la tête.
– Ne te tracasse pas, fit-il gentiment. Tu devrais remonter dans ta chambre.
Sa chambre. Et non plus celle de Percy – c'était étrange de constater qu'il avait fallu la mort de ce dernier pour que ses parents admettent enfin qu'il n'occuperait plus jamais cette pièce à l'étage. Harry haussa les épaules.
– Je n'ai pas très sommeil, marmonna-t-il. Je crois que je vais aller prendre un peu l'air dans le jardin.
– Couvre-toi, conseilla Charlie. Il fait froid, je pense qu'il va neiger. Et dis à Bill de ne pas trop s'attarder à l'extérieur.
Harry acquiesça silencieusement et attrapa sa cape sur la patère près de la porte de la cuisine. L'air glacial du dehors lui lacéra le visage dès qu'il mit les pieds dans le jardin et il resserra frileusement les pans du vêtement tout autour de lui. Charlie avait raison. Le ciel était bas, couvert de nuages alourdis par la neige, et quelques flocons voletaient çà et là, flottant dans l'air immobile. Pas une étoile n'était visible sous l'épaisse couche nuageuse où se reflétait faiblement la lumière de la lune ascendante.
Tout semblait figé, comme en attente de quelque chose. Et Bill n'était nulle part en vue.
Harry soupira et se décida à faire quelques pas en direction de la clôture qui entourait la maison. Puis soudain, sur sa gauche, il le vit. Appuyé sur la barrière, ses cheveux détachés coulant librement sur ses épaules, Bill contemplait d'un air absent la lande écossaise qui s'étendait sous leurs yeux, et peut-être aussi la forêt qui bordait le jardin sur sa droite. Harry pouvait distinguer deux minces cicatrices sur sa joue et rêva brièvement d'y passer doucement ses doigts.
Le jeune homme roux fumait encore de cette herbe sorcière au goût étrange, et ne semblait pas avoir remarqué la présence de Harry à quelques mètres de lui. Pourtant, lorsqu'il se rapprocha encore, Bill se retourna lentement, le visage presque impassible – à peine ses lèvres esquissaient-elle un sourire imperceptible. Incertain, eût-on dit.
Harry obéit à l'impulsion qui lui commandait de se diriger vers lui, et sans vraiment savoir comment, il se retrouva en face de Bill – si proche, que leurs torses auraient pu se toucher s'il avait fait un pas de plus. Alors, sans réfléchir, Harry s'avança encore et posa ses lèvres sur celles, froides et sèches, de Bill, qui soupira légèrement contre sa bouche.
– Pourquoi ? demanda-t-il doucement, un peu tristement, en frissonnant lorsqu'ils se séparèrent.
– Je ne sais pas, murmura Harry, déstabilisé. J'en avais envie, ajouta-t-il ensuite avec un peu d'hésitation.
Comme Bill ne répondait rien, et le regardait avec une expression indéfinissable, entre la surprise et l'incrédulité, Harry l'embrassa de nouveau, plus franchement cette fois-ci. Les lèvres de Bill s'étaient réchauffées à son contact, et elle étaient douces contre les siennes. Incroyablement douces, et le jeune homme brun gémit sourdement – il semblait bien qu'il ait trouvé la réponse à sa question.
Désir.
Bill s'était accroché à lui, ses mains crispées sur sa lourde cape, et répondait à présent à son baiser – avec une sorte de désespoir qui laissa Harry pantelant sous la violence de l'assaut. Il grogna de frustration en prenant conscience des épaisses couches de tissu qui les séparaient. Il voulait – tellement – sentir son corps contre le sien, peu importait comment. Un baiser ne suffisait pas – ne suffisait plus – et bientôt, il serait trop tard.
Il enlaça Bill de ses bras, et transplana jusqu'au Square Grimmault.
o0O0o
Il ne sut pas bien comment ils atterrirent sans s'effondrer au sol, ni comment ils avaient réussi à ne pas rompre leur baiser durant le transplanage – mais, enfin, ils étaient quelque part dans le manoir Black, probablement dans le salon, la bibliothèque ou une chambre. Harry eut vaguement conscience d'un feu de cheminée ronflant sur sa gauche, et décida qu'ils étaient très bien là où ils se trouvaient.
Il n'avait pas le temps – ni l'envie – de réfléchir.
– Je suis désolé, murmura-t-il pourtant. J'ai – j'avais envie. Je…
Merlin, il ne savait plus ce qu'il disait.
La bouche de Bill sur la sienne lui coupa la parole. Et ses mains, qui défaisaient fébrilement sa cape – et sa langue, qui poussait contre ses dents, redessinait les contours de ses lèvres, jouait avec sa propre langue, et son corps qui se pressait furieusement contre le sien.
Harry cessa définitivement de penser et entreprit de déshabiller Bill, maladroitement – aussi maladroitement que Bill le déshabillait, et avec autant de précipitation. A vrai dire, ils s'y prenaient tellement mal que le jeune homme étouffa un petit rire en se demandant par quel miracle ils étaient parvenus à se retrouver nus l'un en face de l'autre. Certains de leurs vêtements devaient sans doute s'être déchirés, et gisaient en tas informe tout autour d'eux.
Mais ça n'avait pas d'importance. Bill était debout en face de lui, un peu sonné.
Nu – l'éclat rougeoyant des flammes de la cheminée qui se reflétaient sur sa peau pâle, la chair qui se hérissait sous le souffle froid du courant d'air qui traversait la pièce.
Le sexe tendu – vers lui.
Fragile – étonnamment.
Aussi vulnérable que lui – peut-être plus.
Désemparé – tout comme Harry l'était, et le jeune homme put lire dans les yeux de Bill toute la détresse qui s'y trouvait. Et le désir, aussi. Il n'était pas certain qu'il lui fût entièrement adressé, mais…cela n'avait pas d'importance. Pas pour le moment.
Harry jeta un coup d'œil autour de lui. Une petite chambre isolée du manoir et dont il n'avait pas le souvenir – une gigantesque cheminée devant laquelle ils se trouvaient, un lit étroit recouvert d'épaisses couvertures, placé contre une fenêtre sur le mur opposé. La pièce était sombre, seulement éclairée par le feu ronflant furieusement dans l'âtre – et le lit était si loin.
– Accio couvertures, murmura-t-il en plongeant de nouveau ses yeux dans ceux de Bill.
Le jeune homme roux semblait tellement perdu que Harry sentit son cœur se serrer convulsivement. Il avait envie – il ne savait pas. De le consoler, de lui prouver qu'il n'était pas seul, pas ce soir. De l'embrasser encore – et il le fit, avec une brusquerie qui trahissait sa propre incertitude et son propre désarroi, entraînant son compagnon sur le sol.
Les lèvres de Bill étaient désormais brûlantes contre sa bouche – et Harry gémit, sans pouvoir se contrôler, en s'accrochant au cou de son aîné.
Les couvertures étaient douces et chaudes sous son dos – le corps de Bill incandescent sur le sien. Et leurs bouches, de plus en plus affamées, qui se cherchaient encore et encore sans s'arrêter, exhalant des soupirs de plus en plus impatients. Et leurs mains qui caressaient fébrilement, partout, partout où la peau se faisait brûlante et frissonnante à la fois – Harry se sentait comme asphyxié, mais il ne voulait surtout pas s'arrêter. Pas maintenant, pas tout de suite.
Pourtant, Bill finit par s'interrompre, le souffle court et les yeux brillants – il tremblait violemment, nota Harry.
– Ha – Harry, attends, haleta-t-il. Tu es sûr que c'est bien ce que tu veux ?
– Comment ça ? demanda Harry, déstabilisé – bien sûr que c'était ce qu'il voulait !
– Je – ce qu'on s'apprête à faire, reprit difficilement le jeune homme roux, tu as bien conscience que ça risque de changer des tas de choses entre nous ?
Bien sûr. Bien sûr que Harry en avait conscience – justement. Justement. Peut-être avait-il envie que les choses changent. Peut-être fallait-il cela pour que les choses changent, d'une manière ou d'une autre, au risque de tout gâcher.
– J'en suis conscient, répondit-il en enlaçant fermement Bill de nouveau. Mais, ajouta-t-il en déposant des baisers furtifs sur les cicatrices de son visage, de toute façon…on ne sait pas ce qu'il va se passer demain. Je – je veux dire…
Le jeune homme brun s'interrompit et gémit de frustration. Il ne parvenait pas à exprimer le sentiment d'urgence qui s'était emparé de lui – oui, demain, peut-être, ils allaient mourir, il serait alors trop tard pour savoir ce qui aurait pu exister entre eux. Si c'était un simple désir, un besoin de réconfort ou quelque chose d'autre. Alors il ne voulait plus perdre de temps. Il voulait Bill – maintenant, et il s'empressa de lui prouver avec ses lèvres, ses mains, son corps tout entier, puisqu'il n'était pas capable de le lui dire avec des mots.
Il avait le sentiment que Bill en avait besoin, désespérément – peut-être plus encore que lui. Et il voulait – oh, comme il voulait ! – lui faire du bien, lui montrer qu'il était là, qu'il ne le laisserait pas. Pas comme Fleur, pas comme sa famille, pas comme tous ces gens qui ne voyaient que le meurtrier avant l'homme, la bête avant l'être humain.
« Je suis là », semblaient murmurer ses mains qui griffaient le dos du jeune homme roux.
« Je suis là », criaient ses dents qui mordaient la chair pâle.
« Je suis là », soufflaient ses lèvres sur l'érection douloureuse de Bill.
« Je ne t'abandonnerai pas », hurlait son corps qui plaquait celui du jeune homme sur le sol.
Et peut-être…
« Reste avec moi » suppliait son cœur contre celui de Bill – deux solitudes qui battaient furieusement dans leurs poitrines.
Quand Harry s'enfonça lentement en lui, Bill grogna de douleur et ils se raidirent tous les deux, essoufflés. Bien sûr. Ils étaient maladroits, ne savaient pas comment faire, ni l'un ni l'autre ne l'avait jamais fait de cette façon – ils n'avaient rien, juste ce besoin de donner et de recevoir du réconfort. Harry voulut se retirer, pour ne plus lui faire mal, mais Bill le retint, fermement. Comme si…comme s'il avait peur qu'il l'abandonne à son tour.
– Vas-y, chuchota-t-il difficilement. S'il te plait.
– Tu es sûr ? demanda Harry. Je vais te faire mal…
– Ce – ce n'est pas grave, souffla Bill. J'en ai besoin – bouge, s'il te plait.
Alors Harry obéit – et c'était incroyable. Il poussa ses hanches en avant, profondément, et gémit de détresse, arrachant un soupir douloureux à Bill. Il lui faisait mal, il le sentait – mais Bill le retenait contre lui, s'accrochait violemment à ses cuisses, si fort qu'il en aurait sûrement des bleus le lendemain. Et c'était si bon, trop pour qu'il arrête – et Bill ne le voulait pas, et Bill tremblait en balbutiant des mots sans suite, alors Harry poussa encore, plus loin et plus fort, faisant céder toutes ses barrières en même temps qu'il sentait celles de Bill céder.
– Bouge – encore, murmura Bill, et sa voix se brisa sous l'effort.
Alors Harry bougea encore – brutalement, parce qu'il ne pouvait plus se retenir et que Bill le lui demandait avec des sanglots dans la voix. Et que lui-même tremblait si fort sous l'effet du plaisir – si fort qu'il en avait mal, partout dans ses muscles qui se crispaient de plus en plus fort.
– Bill, soupira-t-il doucement, en le serrant convulsivement contre lui. Bill, je…
Il ne put pas continuer sa phrase – d'ailleurs il ne savait même plus ce qu'il voulait lui dire, parce que le jeune homme roux avait contracté ses muscles autour de lui et que ce mouvement involontaire venait de lui arracher une longue plainte étouffée – de douleur et de plaisir mêlés, un plaisir tel qu'il ne se rappelait pas s'il l'avait déjà éprouvé auparavant.
Puis Bill lui ordonna de bouger plus vite et Harry obéit encore une fois, parce que c'était tout ce qu'il voulait à cet instant – parce que Bill gémissait à présent, qu'il lui disait que Harry lui faisait du bien, et parce que Bill faisait du bien à Harry. Et il bougea encore plus vite sous les injonctions du jeune homme – et il se sentait comme s'il allait mourir entre ses bras. Parce que lui aussi en avait besoin, et qu'il venait tout juste de s'en rendre vraiment compte. Parce que demain, peut-être, il n'y aurait plus rien et qu'il ne voulait pas que ça s'arrête, il voulait juste rester comme ça et creuser les reins de Bill, et sentir la friction de son sexe dressé contre son ventre jusqu'à en mourir.
Et alors, peut-être…
Mais Bill se tendit brusquement entre ses bras, les yeux douloureusement fermés et la respiration hachée, comme si sa propre jouissance lui était insoutenable – et Harry jouit à son tour, sans même avoir eu le temps d'en prendre conscience.
Il eut froid lorsqu'il rabattit les couvertures sur eux et qu'ils s'endormirent à même le sol, chacun se serrant contre l'autre pour conserver encore un peu de chaleur humaine.
Alors que Bill s'endormait lentement, sa tête appuyée sur son épaule, Harry frissonna et ferma les yeux, en regrettant de ne plus avoir la vie devant lui pour recommencer encore et encore ce qu'ils venaient de faire.
o0O0o
Le lendemain, le soleil, bien que caché par de lourds nuages bas et sombres, était déjà très haut dans le ciel lorsque les deux hommes furent réveillés par du bruit au rez-de-chaussée.
– Merde, marmonna Harry en s'enroulant dans une couverture. Reste là, je vais voir ce qui se passe, dit-il gentiment à Bill qui grogna en enfouissant son nez dans les draps refroidis.
Il s'habilla rapidement avec ses vêtements de la veille – de toute façon, il ne savait même pas dans quel endroit du manoir il se trouvait exactement – et descendit rapidement pour accueillir l'importun.
Hermione se tenait dans sa cuisine, assise en face d'une tasse de thé fumant. Elle lui adressa un bref sourire et poussa une deuxième tasse devant lui.
– Tu es là depuis longtemps ? s'enquit Harry, mal à l'aise.
– Une petite demi-heure, répondit placidement la jeune femme, le visage impénétrable. Il y a du thé pour Bill, aussi, précisa-t-elle, et Harry se sentit tout d'un coup incroyablement gêné.
– J'imagine que ça a fait le tour du Terrier ? grommela-t-il.
– Bien sûr, fit Hermione en haussant les épaules. Charlie et Arthur vous ont vus transplaner après vous être embrassés, tout le monde a compris que vous alliez passer la nuit ailleurs.
– Formidable, soupira Harry. Je suppose que Ron me hait et que Molly a fait une crise cardiaque ?
– Pas vraiment, gloussa doucement Hermione. Ron ne semble pas avoir encore très bien réalisé, et Molly est sous le choc, mais ça va à peu près. Et Ginny te déteste, bien sûr – mais elle semble avoir compris pourquoi tu ne reviendras plus jamais vers elle, désormais.
– Et pour Bill ? demanda le jeune homme. Qu'est-ce qu'ils ont dit ?
C'était cela qui l'inquiétait le plus – après tout, Harry avait l'habitude de ne jamais correspondre aux attentes de son entourage, mais pour Bill, la situation risquait d'être un peu plus compliquée. Voire de s'aggraver encore un peu plus.
– Personne n'a rien dit, répondit Hermione, et Harry soupira lourdement – de soulagement ou de résignation, il ne savait pas très bien. Mais tu sais, ajouta-t-elle sérieusement, je crois qu'en ce moment, les gens pensent plus à ce qui va se passer ce soir…
– Evidemment, murmura Harry. Ce n'est pas comme si quiconque avait pu oublier…
– Tu es prêt ?
– Non, toujours pas, répondit Harry en haussant les épaules. Je crois qu'on n'est jamais prêt pour ce genre de choses. Mais je ferai ce que je peux, et plus encore s'il le faut, ne t'inquiète pas.
– J'ai confiance en toi, répliqua Hermione avec un petit sourire triste.
Elle se leva.
– Je vais vous laisser le temps de vous dire au revoir, dit-elle en ramassant sa cape. On se retrouve à Godric's Hollow.
Harry hocha silencieusement la tête, et la jeune femme ajouta, après un temps d'hésitation :
– Quoi qu'il arrive…n'oublie pas qu'il y a des gens qui t'aiment, Harry. Reste en vie, s'il te plait – avec Bill, ça te fait une raison supplémentaire, non ?
Le jeune homme acquiesça en souriant. Une raison – et qui sait ? Peut-être une force. Ce n'était sûrement pas vrai…mais il fallait au moins qu'il s'en convainque – juste pour ce soir.
Oui. Partout autour de lui, il y avait des gens qui l'aimaient – pour ce qu'il représentait, mais aussi et surtout pour ce qu'il était. Des gens qui avaient besoin de lui, pas seulement pour les sauver tous, mais aussi parce que sa mort leur serait insupportable.
Lorsque Hermione quitta la pièce, il soupira longuement, les yeux dans le vague. Puis il se saisit de la bouilloire et servit deux tasses de thé sur un plateau.
En montant à l'étage pour retrouver Bill, il se sentait serein – presque.
Aujourd'hui n'était pas la fin, il s'en faisait le serment. Demain matin, il serait encore vivant, et avec lui, ceux qui comptaient vraiment, il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que cet espoir soit réalisable.
Et ensuite, lorsque tout serait fini, il pourrait penser à l'avenir. Penser à lui – et s'autoriser à penser à Bill. Se dire que, peut-être, ce qui s'était passé dans cette chambre à l'étage pourrait avoir une suite, même s'il en doutait. Que ce qui les avait animés hier soir n'était pas que du désarroi. Il fallait qu'il y croie – juste pour quelques heures, il fallait qu'il y croie maintenant, juste pour pouvoir l'envisager plus tard.
Et alors, peut-être…
o0O0o
FIN
o0O0o
Et voilà. Ce n'était qu'un OS vilement extorqué pour un anniversaire, mais j'espère tout de même qu'il vous aura plu. D'ailleurs, pour me dire ce que vous en pensez, vous connaissez le principe : le petit bouton en bas à gauche (j'accepte aussi les chèques et toute autre forme de reconnaissance éternelle - non, je déconne...quoique...ahem).
Et d'ici la prochaine fois, pensez à faire un tour sur mon blog (lien dans mon profil) histoire de vous tenir au courant de ma vie trépidante (ahah). Je vous aime !