10. Le Refus de Chloëlle
Deux semaines s'étaient écoulées depuis l'enterrement de Melchior et Delvin ne parvenait pas à chasser de son esprit l'image du brasier qui avait réduit son père à l'état de simples poussières emmenées par le vent. Malgré la douleur, ce souvenir agissait à l'instar d'une piqûre de rappel, renforçant sa détermination à démasquer les responsables de cet acte ignoble. Delvin étant, comme en étaient persuadés Dumbledore et Nalia, la cible d'une machination, alors c'était que quelqu'un au sein même de Poudlard y était assurément mêlé. L'elfe à l'oreille coupée devait probablement être son serviteur ; Delvin enrageait de l'avoir laissé s'échapper. Il n'aurait reculé devant aucun stratagème pour lui faire avouer l'identité de son maître et tout alors se serait déroulé différemment. Melchior aurait été épargné…
Suivant les conseils de Dumbledore, Delvin passait ainsi un maximum de temps à la bibliothèque, le plus souvent en compagnie de Chloëlle, pour collecter des informations sur Merlin. Mais la tâche se révéla plus ardue que prévu tant les ouvrages traitant du célèbre sorcier étaient nombreux et contradictoires. Ses origines, ses pouvoirs, le rôle qu'il joua dans les légendes arthuriennes et même l'époque à laquelle il vécut étaient sujets à débat. Delvin concentra donc ses recherches sur les personnages qui avaient côtoyé le magicien, espérant également y trouver le nom de Malebranche. Le roi Arthur figurait évidemment en bonne place, ainsi que ses chevaliers tel que Tristan, Gauvin, Lancelot ou encore la Dame du Lac. Parmi tous ces protagonistes, une sorcière retint particulièrement son attention pour avoir été la rivale de Merlin : Morgane la Fée. Demi-sœur du Roi, elle avait juré la perte du sorcier qui avait usé de sa magie pour duper sa mère et ainsi donner naissance à Arthur. Morgane abusa son frère en retour grâce à ses pouvoirs et enfanta Mordred, leur fils incestueux. Bien des années plus tard, et à l'aide de la magie de sa mère, Mordred rassembla une immense armée en vue de renverser le Roi, son père. Au cours d'une terrible bataille où la terre demeura longtemps rouge du sang versé, Arthur, mortellement blessé par Mordred, transperça néanmoins l'armure de son fils avec Excalibur et le tua. Arthur mourut peu après. Son épée retourna à la Dame du Lac et ce fut la fin des temps aventureux. C'est aussi à cette époque que les moldus délaissèrent les vieilles légendes pour se consacrer au culte de leur Dieu unique. La Magie n'alimenta plus que les contes pour enfants, les fées furent petit à petit oubliées et le fossé qui séparait le monde des sorciers et celui des moldus ne cessa de se creuser.
Quant à Merlin et Morgane, un combat les opposa également et il fût si terrifiant que la terre en trembla jusque dans ses fondements, déchaînant le feu, les cieux et les eaux. Au terme de cette lutte infernale, Merlin vainquit sa rivale qui disparut à jamais. Le sorcier devait s'évanouir à son tour, emprisonné par l'amour que lui portait la fée Viviane.
Dans tous les ouvrages qu'il avait consultés, Delvin nota, à de très rares occasions, qu'il était fait référence à un grimoire dans lequel Morgane aurait consigné tout son savoir magique. Comme Poudlard détenait une importante bibliothèque où les livres traitant de magie s'accumulaient depuis un millénaire, Delvin pensa qu'il y avait une petite chance pour que le grimoire s'y trouvât. Dans la réserve, l'étagère consacrée à Morgane était située au niveau le plus haut et la poussière accumulée sur le rebord et sur les volumes témoignait qu'elle n'était pratiquement jamais visitée. Or, une trace récente prouvait qu'un livre avait été retiré et l'espace crée entre les ouvrages établissait qu'il n'avait pas été remis en place.
M. Lerah, le bibliothécaire, après avoir vérifié ses fiches de sortie, affirma qu'aucun exemplaire de la réserve n'était censé se trouver en la possession d'un élève. Si un livre était manquant, c'est qu'il avait donc été volé.
- Quelque chose ne va pas ? interrogea Chloëlle en sortant de la bibliothèque, sa main dans celle de Delvin. Tu as l'air soucieux.
- Pour ne rien te cacher, je soupçonne ton frère d'avoir volé ce livre…
- Pourquoi lui ? répliqua-t-elle aussitôt en retirant vivement sa main. Dès qu'il y a un mauvais coup, Vladimir est derrière, c'est ça ?
- Lui, Cruor, ou encore un de ces types de Serpentard avec qui il traîne constamment.
- "Types de Serpentard", répéta Chloëlle avec un mélange d'incrédulité et de colère. Ce que tu peux être méprisant en disant cela ! Tu oublies un peu vite à quelle maison j'appartiens ! Ça ne te gêne pourtant pas, toi, de "traîner" avec une Serpentard. Tu penses que vous, les Serdaigles, êtes meilleurs ?
- Je n'ai jamais dit ça, répliqua froidement Delvin en la fixant de ses yeux gris.
- Alors pourquoi l'accuses-tu ? Il n'a rien fait ces temps-ci, me semble-t-il.
- Parce qu'il est étroitement surveillé, et qu'il le sait. Les professeurs, les préfets, et mêmes certains fantômes ont pour consigne de garder un œil sur lui. Au moindre faux-pas, c'est l'exclusion, avec en prime un séjour indéterminé à St Mangouste…
Le ton de Delvin était glacé, tranchant même. Chloëlle recula d'un pas, comme pour mieux observer la personne quelle avait devant elle. Elle cherchait désespérément à reconnaître le jeune homme qu'elle pensait bien connaître, sinon qu'elle aimait.
La bouche fermée, sans ciller du regard, Delvin ne paraissait pas même respirer. Pourtant un flot de colère le submergeait, déversant en lui des sentiments de douleur, de frustration, de peine, de désespoir. Tout ce qu'il avait accumulé ces jours derniers semblait vouloir jaillir d'un seul coup, sous forme d'une haine aveugle. Cette même haine que l'on aimerait pourvoir rejeter sur quelqu'un, ou quelque chose, pour se venger de l'injustice qui vous a été faite.
Mais si la vengeance laisse croire qu'elle soulage, elle ne guérit rien. C'est ce que semblaient vouloir dire les yeux effarés de Chloëlle. Après quelques-unes de ces secondes interminables, Delvin inspira profondément et c'est un peu plus calme qu'il reprit la parole.
- Si je suspecte ton frère, c'est parce qu'il voulait que le jeune Gryffondor qu'il a martyrisé dérobe pour lui un livre de la réserve.
- Simple coïncidence, dit Chloëlle sur la défensive.
- Certaines coïncidences sont troublantes, tu ne trouves pas ? répondit Delvin avec ironie.
- Il y a des milliers de livres dans cette bibliothèque. Vladimir voulait probablement un grimoire de potions rares, sûrement pour faire une crasse, je te l'accorde, mais ce serait vraiment un hasard si…
- Je ne crois au hasard que lorsqu'il fait bien les choses, coupa-t-il. Tu n'as qu'à lui demander, tu seras fixée…
- Il ne me répondra pas, fit Chloëlle en haussant les épaules. Il ne me parle plus depuis que je sors avec toi !
- Alors fouille ses affaires ! Tu dois pouvoir le faire, non ? Si je me suis trompé, je te présenterai mes excuses. Mais attends-toi à être déçue.
Mais pour toute réponse, Chloëlle tourna les talons et s'en fut d'un pas vif. Delvin la regarda s'éloigner avec regret. Elle devait affronter le mépris de son frère à cause de ses choix et elle en souffrait manifestement ; Lui n'avait trouvé qu'à rejeter sur elle des rancoeurs dont elle n'était pas responsable. C'est ainsi plongé dans ses réflexions qu'il vit le loup dont ils venaient de parler.
- Tss-tss, siffla Vladimir avec mépris, la langue entre les dents. Non seulement tu ennuies ma sœur, mais tu la pousses à m'espionner. Tu es vraiment un minable, Malbranche.
- Venant de toi, répondit Delvin dont la main se porta instinctivement sur sa baguette, je prends ça pour un compliment.
- Fais donc le malin… pendant que tu le peux. Je te le dis, un jour, je te ferai payer ton arrogance, et aussi d'avoir souillé Chloëlle de ton sang impur.
- Ne fais pas de promesses que tu n'es pas certain de pouvoir tenir, Durbois, répondit Delvin avec condescendance. Quant à mon sang impur, il m'a bien gardé de la dégénérescence consanguine dont tu es le parfait exemple. Merci.
- Oh, oh ! On cherche à me faire sortir de mes gonds ? Voudrais-tu que je t'agresse afin que l'on m'expulse ? Non, désolé, très cher. Je ne vais pas te donner ce plaisir. Car vois-tu, ma consanguinité ne m'a pas privé d'intelligence.
A la manière d'un fauve qui tourne autour de sa proie, cherchant le meilleur moment pour bondir, Vladimir faisait des allers-retours d'un pas lent. Il semblait attendre quelque chose... Delvin ne le quittait pas des yeux, se demandant à quel moment il allait agir. Mais contrairement à lui, son ennemi n'avait rien dans les mains et se retrouvait ainsi en position de faiblesse. C'est alors que Delvin comprit. Il se retourna vivement en pointant sa baguette devant lui, persuadé qu'il allait être attaqué par derrière. Mais il ne vit rien d'autre qu'une alcôve obscure, toutefois assez grande pour abriter quelqu'un.
- Lumos ! dit-il d'une voix forte, projetant sur le mur un cône de lumière blanche.
Dissimulée dans l'ombre, une silhouette immobile semblait observer la scène. Delvin, sur le qui-vive, fit quelques pas dans sa direction.
- Sors de là, Cruor !
Mais le jeune homme à l'allure faussement frêle ne répondit pas, et demeura figé. Delvin s'approcha un peu. Il reconnu bien le comparse violent de Vladimir, mais ce dernier avait été métamorphosé en une statue de bois, paralysé alors qu'il était manifestement sur le point de lancer un maléfice. Delvin se tourna vers Vladimir, dont les yeux étaient exorbités de stupéfaction. Avant qu'il eut le temps de l'interroger, ce dernier fit volte-face et s'enfuit à toutes jambes. Delvin rangea sa baguette dans une poche de sa robe, et prit la direction de la salle commune des Serdaigles. Il ne tenait pas à s'expliquer ce qui venait de se passer. En chemin, il sentit Nalia, invisible, se poser sur son épaule.
- Merci, dit Delvin à voix basse. Je ne sais pas ce qu'ils m'auraient encore fait sans ton intervention.
- J'ai fait la promesse de te protéger, répondit la fée. Je crois que Vladimir va maintenant réfléchir à deux fois avant de te tendre une embuscade. Il doit se demander comment tu as fait.
- Cruor va rester combien de temps dans cet état ?
- Je pourrais le laisser ainsi jusqu'à ce que les termites le réduisent en un petit tas de bois vermoulu. Mais je pense qu'une petite heure fera l'affaire.
Excepté la quantité de travail qui demeurait importante, les semaines qui suivirent furent tout à fait calmes, un peu à l'image du morne climat chaque jour un peu plus froid. Une certaine fraîcheur s'était également installée entre Chloëlle et Delvin qui ne s'étaient plus rencontrés qu'au détour d'un couloir ou pendant les cours qu'ils avaient en communs. Delvin était trop préoccupé par le décès de Melchior pour souffrir véritablement de cette situation. Néanmoins, il ne put empêcher son cœur de battre la chamade, lorsqu'un matin au petit-déjeuner, un jeune élève de Serpentard lui apporta une lettre. Mais ce qu'il avait pris pour un rendez-vous avec Chloëlle était en fait le signalement que ses leçons privées avec le professeur Sangfrousse commenceraient le soir même, après le dîner.
Delvin arriva essoufflé, à cause d'un escalier qui l'avait contraint à faire un détour, avec plusieurs minutes de retard devant le bureau du professeur Sangfrousse. Il frappa à la porte et fut aussitôt invité à entrer. C'était la première fois que Delvin visitait l'univers du professeur de Défense contre les Forces du Mal et l'atmosphère oppressante tranchait pour le moins avec le caractère sympathique du personnage : Sur tous les murs étaient accrochés des dizaines de photographies et de gravures animées d'individus qui, à l'exception de quelques uns, affichaient un visage inquiétant ou menaçant.
- Ah, bonsoir Delvin ! Donne-moi quelques minutes, le temps que je range ces papiers et nous pourrons commencer.
- Bonsoir, monsieur, répondit machinalement Delvin dont le regard s'en retourna instinctivement vers les portraits. Pardonnez-moi, mais, ces visages sur vos murs, ce sont les mages que vous avez arrêtés ?
- Par la barbe de Merlin, non ! Ce sont ceux qui n'ont pas encore été arrêtés. Il s'agit de la plupart des sorciers recherchés par les aurors, ou leurs équivalents, partout à travers le monde. Certains nous échappent depuis plusieurs dizaines d'années. Quelques uns sont même probablement morts.
- Pourquoi ne pas retirer leurs portraits, dans ce cas ?
- Parce qu'il n'est pas exclu qu'ils aient trouvé le moyen d'allonger l'espérance de vie déjà considérable des sorciers. La Pierre Philosophale n'est pas un mythe, pas plus que ne le sont le sang de licorne ou les fées sylvestres ; Et je ne parle pas des expériences dont nous ignorons tout.
- Qu'avez-vous dit ? interrogea Delvin qui se désintéressa aussitôt des portraits.
- Je disais que certaines expériences de magie noire…
- Non, au sujet des fées sylvestres.
Guilbert Sangfrousse dévisagea l'adolescent avec circonspection avant de poursuivre.
- Pourquoi cette question ? Tu es bien jeune pour te soucier d'immortalité, demanda le professeur avant de se servir un grand verre d'eau fraîche.
- C'est juste que j'ai lu quelque chose à leur sujet, il y a peu, improvisa Delvin d'un air détaché.
- En fait, je ne sais pas grand-chose. Les fées sylvestres ont le pouvoir de conférer à un humain une longévité exceptionnelle mais personne ne sait précisément comment. Pour cette raison, elles ont été pourchassées pendant des siècles par des sorciers peu scrupuleux qui voulaient percer à jour leur secret. Aujourd'hui, il est extrêmement rare d'en rencontrer…
Delvin songea qu'il était plus sage de ne plus poser de question à ce sujet pour ne pas trahir son trop grand intérêt pour les fées et l'existence de Nalia.
Pendant les heures qui suivirent, Sangfrousse lui enseigna le sortilège qui interdisait à tous sorcier de transplaner. Pour la simple raison qu'ils étaient les seuls êtres à pouvoir le faire dans l'enceinte de Poudlard, Sangfrousse fit venir Mustle, l'elfe au regard bicolore, que Delvin avait rencontré quelques semaines plus tôt. Delvin se sentait condamné à n'apprendre dorénavant que des sorts d'une extrême complexité car il eût beaucoup de difficulté à empêcher l'elfe de se volatiliser d'un simple claquement de doigt ; Ceci n'était pas sans induire d'ailleurs un sentiment de culpabilité chez la petite créature. Il y eut donc un sentiment partagé de grande satisfaction quand Delvin parvint à s'exécuter plusieurs fois de suite.
- Excellent ! s'enthousiasma Sangfrousse. Vraiment très bien.
- Bravo, Monsieur ! ajouta la petite créature.
- Merci, répondit Delvin en réprimant du mieux possible un bâillement.
- Puis-je disposer, messieurs ? demanda l'elfe.
- Bien sûr, Mustle. Merci pour ton aide.
Mustle disparut avec un petit claquement sonore. Le professeur Sangfrousse posa sa main sur l'épaule de Delvin pour le retenir quelques instants.
- Avant de partir, j'aimerais t'enseigner un petit secret de mon invention qui m'a sauvé la vie par deux fois. J'ai eu cette idée un jour en regardant un spectacle de prestidigitation moldu. L'artiste faisait disparaître des pièces de monnaie dans la chair son bras. Ma version permet de cacher ta baguette dans ta cuisse. Tes adversaires pensent que tu es désarmé et c'est par conséquent un avantage décisif. Je vais te montrer.
Le professeur plaqua sa baguette le long de sa jambe et prononça :
- Carnis Dissimulare !
La baguette finement ouvragée sembla s'enfoncer discrètement dans les plis de la robe et disparut rapidement.
- Et voilà ! fit Sangfrousse. La formule inverse est : Extrahere. Entraîne-toi d'abord avec de petits objets ; il ne faudrait pas que tu te blesses. L'idéal aussi serait que tu saches le pratiquer sans prononcer la formule. Mais ça, ce sera l'objet de notre prochaine leçon. File te coucher maintenant, tu es épuisé. Bonne nuit, Delvin.
- Bonne nuit, monsieur.
Sur le chemin qui le menait à son lit à baldaquin, Delvin s'arrêta, devant une fenêtre dont le givre avait envahi les angles, pour observer un rideau dense de flocons de neige qui tombaient avec légèreté. Un épais manteau recouvrait déjà le parc et contraignait les arbres à plier leurs branches sous son poids. Une sortie à Pré-au-Lard était prévue le samedi suivant et Delvin décida de faire un détour par la volière pour y retrouver Fulgur, maintenant rétabli. La plupart des oiseaux étaient partis chasser les quelques rongeurs qui devaient se risquer au dehors pour dénicher de maigres racines à grignoter. Sur le sol, les fientes des rapaces avaient gelé tant il faisait froid. Delvin ferma le col de sa robe car il grelottait déjà. Puis il repéra le volatile qui, lui, dormait profondément. Il écrivit un rapide petit mot sur un bout de parchemin et héla son faucon. Fulgur plongea aussitôt en piqué, déploya ses ailes à la dernière seconde et se posa avec douceur sur l'épaule de son maître.
- Je veux que tu donnes ce message à Chloëlle à un moment où elle sera seule, dit Delvin en grattant doucement le cou de l'oiseau. C'est important qu'on ne te voie pas, d'accord ?
Fulgur le fixa un instant et prit son envol pour retourner sur son perchoir.
La plupart des élèves qui se rendaient à Pré-au-Lard ce jour-là profiteraient de cette sortie pour effectuer leurs achats de Noël. Céleste et Phil avaient décidé de rester au Château pour vérifier que la préparation de la potion, qui rendrait à ce dernier sa condition première, se déroulait normalement. Delvin s'était couvert chaudement car une bise soufflait avec force. Le trajet jusqu'au village fut assez fatiguant car la couche de neige était épaisse il était fréquent de s'y enfoncer jusqu'au genou. Néanmoins, le vent avait chassé les nuages et le soleil faisait scintiller la neige comme autant de minuscules diamants. Emmitouflé dans ses vêtements, Delvin déambulait dans les rues commerçantes quand il s'arrêta devant la vitrine d'une librairie. Son regard se posa sur un livre dont le titre le fit sourire : L'élevage des Dragons à l'usage des courageux et des inconscients par Norbert Cramoisi. C'était là sans nul doute le cadeau idéal pour Hagrid.Il entra dans la boutique qui paraissait surchauffée en comparaison avec l'extérieur et paya les deux Gallions que coûtait l'ouvrage. Plus tard, il trouva pour Phil un recueil de sorts d'améliorations pour balais et choisit pour Céleste une balance de très haute précision qui, si elle avait contribué à délester Delvin d'une bonne partie de son argent, lui servirait néanmoins toute sa vie. En sortant de la boutique de l'apothicaire, Delvin remarqua un détail insolite : la petite fée sylvestre était très légèrement visible !
- Qu'est-ce que tu fais, Nalia ? j'arrive à te voir.
- Comment ? balbutia-t-elle. C'est impossible… je ne dois pas…
- Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu vas bien ?
C'était comme si le corps de la fée se matérialisait progressivement. Delvin se mit à l'écart pour ne pas être vu. Nalia, posée dans le creux de sa main, se concentrait pour se rendre à nouveau invisible mais tous ses efforts furent vains.
- Es-tu en train de perdre tes pouvoirs ? s'inquiéta Delvin.
- D'une certaine façon, oui. Je crois que le changement s'opère.
- Quel changement ?
- Je n'en suis pas certaine. Je vais retourner à mon arbre et consulter mes sœurs. Je te rejoins dès que possible, ajouta Nalia en prenant son envol.
- Sois prudente ! dit Delvin en regardant la fée s'éloigner à toute vitesse.
Delvin attendit l'heure de son rendez-vous avec inquiétude. Il avait choisi une cascade gelée durant l'hiver qui se trouvait à quelques minutes de marche du village. Cette année-là, un artiste sorcier avait sculpté la glace sur toute sa hauteur et le résultat était aussi magnifique que saisissant. L'œuvre représentait la plupart des créatures qui peuplaient la Forêt interdite : il y avait des licornes, des centaures, des nymphes mais aussi des créatures plus inquiétantes comme des loups géants, des liches ou des manticores. Delvin aurait pu observer la sculpture des heures durant tant elle fourmillait de détails mais Chloëlle arriva bientôt. Malgré l'épaisseur des ses vêtements, elle se déplaçait sur la neige avec légèreté et une grâce peu commune.
- Je suis content que tu aies pu venir, dit Delvin avec une légère maladresse. Vraiment.
- Je n'aurais raté ce rendez-vous pour rien au monde… Tu me manques.
Les mots que Delvin avait préparés se perdirent dans sa gorge et étaient de toutes façons inutiles. Il la regarda dans les yeux et ils se prirent dans les bras. Après s'être embrassées longuement, il se demandait pour quelles raisons idiotes ils avaient pu être si distants l'un envers l'autre. Il glissa une main dans une de ses poches et en ressortit les deux petits anneaux d'or qu'il avait emportés avec lui. Les yeux de Chloëlle brillaient de joies et d'incrédulité.
- Ces anneaux ont appartenu à mes parents. Ce sont des anneaux de Télès. Ils nous permettront de ressentir ce que l'autre ressent et même de communiquer à distance. Peut être que comme ça, il n'y aura plus jamais de malentendus entre nous. Je voudrais que tu en portes un.
Une ombre passa sur le beau visage de Chloëlle. En guise de réponse, elle enserra Delvin avec autant de force que de tendresse. Quand elle relâcha son étreinte, Delvin remarqua que des larmes avaient coulé le long de ses joues.
- Je ne peux pas accepter, finit-elle par dire.
- Mais pourquoi ?
- A cause de Vladimir. Il va remarquer ce bijou et comprendra que ça vient de toi.
- Et alors ? Tu m'as dit que tu te fichais bien de ce qu'il pouvait penser. Qu'est-ce qui a changé ?
- Il a parlé de notre relation à notre père. Il est furieux et il m'a ordonné de ne plus te voir. Sans quoi, il a menacé de me retirer de Poudlard… Vladimir croit que nous ne sommes plus ensembles. Si j'accepte ton anneau, il saura.
- Je comprends. C'était une mauvaise idée.
- Non, au contraire. Je suis heureuse que tu me l'aies proposé. Merci.
- Que va-t-on faire, maintenant ? demanda Delvin avec inquiétude.
- On va continuer à se voir, mais il faudra redoubler de vigilance.
Delvin et Chloëlle ne se quittèrent qu'en fin d'après-midi et rentrèrent séparément au Château. Pendant le retour, Delvin contemplait les deux anneaux dans le creux de sa main avec amertume. Il se consola un peu car il avait le sentiment que son histoire avec Chloëlle était loin d'être terminée, bien au contraire. Un jour, ils n'auraient plus à se cacher et cette pensée le réconforta quelque peu.
Le dortoir des sixièmes années était vide quand Delvin y entra pour déposer ses achats. Alors qu'il séchait ses vêtements l'aide de sa baguette, il entendit de très faibles pleurs qui venaient de son lit. Il s'approcha lentement et découvrit Nalia, recroquevillée, posée sur son oreiller. Delvin remarqua avec horreur que ses ailes à l'allure de feuilles étaient tombées. Sa nudité n'était plus la même et ne paraissait plus aussi naturelle. Elle mettait Delvin mal à l'aise.
- Qu'est-ce qui t'arrive ?! demanda Delvin paniqué.
- Je n'ai pas pu arriver jusqu'à mon arbre. Je sentais que je ne pourrai bientôt plus voler. Il était préférable que je rentre au plus vite au Château. Mais je sais ce qui m'arrive.
- Mais c'est quoi ?
- Je me transforme, Delvin. Je vais perdre mes pouvoirs pour progressivement devenir humaine. Je deviens mortelle.
- Comme ça ? Pour quelle raison ?
- Il y a une raison mais elle importe peu. C'est ainsi. Je ne suis pas malheureuse. J'ai juste… peur.
- Ne t'en fais pas, Nalia, la rassura Delvin. Je suis là. Dis-moi ce que je peux faire.
- Pourrais-tu me trouver des vêtements s'il te plaît. J'ai froid.
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