Bonjour à tous et bienvenu. Merci de votre intérêt pour ma nouvelle histoire. Quelques mots avant de commencer. Pour l'instant, les chapitres sont cotés T, mais la cote va monter à M assez vite. Si vous pensez être dérangés par un tel contenu, s'il vous plaît, ne lisez pas.
Pour ceux et celles qui ont décidé de poursuivre, je dois vous avertir que j'écris lentement et que parfois je n'écris pas du tout. Les ajouts de nouveaux chapitres risquent donc d'être très espacés.
La valse du coeur et de la nuit est la suite de mon histoire Pour briser la glace, mais peut être lue seule. J'apprécie beaucoup les commentaires et la critique constructive.
Tous les personnages et les endroits reconnaissables appartiennent au professeur Tolkien. Les erreurs sont miennes.
Chapitre 1
Estel huma l'air frais du matin automnal. Les étoiles s'éteignaient à l'est. Autour de lui, les feuilles rousses du vieux chêne soupiraient avec le vent. Les glands, invisibles dans l'obscurité, s'entrechoquaient avec de petits bruits secs. Estel s'étira. La nuit passée dans l'arbre s'était révélée magique, mais son corps s'obstinait à lui dire le contraire. Le garçon regarda l'orient blêmi par les prémices de l'aurore. Il était temps.
Avec des mouvements sûrs et silencieux, il glissa de branche en branche. Il connaissait cet arbre par cœur et n'avait pas besoin de lumière pour descendre. Estel balança sur un rameau et s'accroupit avec un bref sourire. Il se rappelait ses six ans, comment Elladan et Elrohir avaient enfin cédé à ses demandes et l'avaient amené ici, au pied de ce chêne. Jeune et maladroit, il avait imité les gestes d'Elrohir jusqu'à la troisième branche où, dans son excitation et inexpérience, il avait manqué d'équilibre. Elrohir avait pivoté un instant trop tard et l'enfant avait basculé dans le vide… pour atterrir dans les bras d'Elladan. Estel avait ri, car il avait aimé cet instant de vol. Puis, il avait vu le visage livide de sa mère et avait éclaté en sanglots.
Estel secoua la tête. Il avait douze ans maintenant, et ce chêne était son ami. D'ailleurs, sa mère était partie en Eriador depuis trois jours pour visiter les siens. Le garçon culbuta et ses pieds retrouvèrent la terre humide de rosée avec un bruit feutré. Il se figea, tout son être tendu dans l'écoute, mais pas un son ne venait de la demeure d'Elrond. Quelques lumières scintillaient çà et là, comme toutes les nuits.
Une maison elfique éteinte est une maison morte.
Estel déglutit, surpris par la pensée jaillie de nulle part. Un frisson lui parcourut l'échine, puis l'instant passa et il tendit l'oreille de nouveau. S'il manquait la venue de ses frères, ou de qui que ce soit d'autre, son escapade serait condamnée.
Il avait tout planifié la veille lorsque le retour d'un éclaireur elfe avait fait chavirer la routine établie. Le seigneur Elrond, qu'Estel considérait comme un père, avait confié ses leçons à Lindir. Le garçon n'avait pas revu le maître d'Imladris de la journée. Le soir sa décision était prise. Aussi versé dans la connaissance des traditions du passé Lindir fut-il, Estel lui préférait encore le vol de faucons et les senteurs de la forêt.
Rassuré que la voie était libre, le garçon s'accroupit près du buisson aux larges feuilles duveteuses. Le panier préparé depuis hier l'attendait dans une petite tanière tapissée d'herbes minces. Une famille de renards avait habité là. Mais les petits avaient grandi et la renarde au poil fauve strié d'argent était partie et n'était pas revenue.
Estel souleva la toile safranée sur les pommes, le fromage et le pain au miel. Il pensa avec regret au lembas qu'il avait vu lors de son raid dans la cuisine. S'il avait osé, il en aurait pris pour ressembler encore plus à un voyageur. Ou à Mithrandir, le pèlerin gris, qui était venu à Fondcombe deux étés auparavant.
Le garçon secoua la tête avec un rire silencieux. Il savait que jamais il ne deviendrait comme l'envoyé de Manwë, l'Ancien Roi qui avait les grands aigles pour hérauts. Sous ses apparences de vieil homme, le Maiar allait et venait à travers les âges.
La nuit fuyait. Estel prit son panier sous le bras et disparut dans la futaie. Leste comme un félin, il marchait sur les racines des arbres et sur les pierres, plutôt que sur la terre humide qui retiendrait ses marques de pas. Fidèles à leur jeu tacite, Elladan et Elrohir le suivraient le matin venu, et il ne voulait pas leur faciliter la tâche. Car les jumeaux lui apprenaient à connaître la forêt et, dès qu'une possibilité se présentait, Estel leur démontrait ses progrès.
La nuit avait été dégagée, mais la clarté croissante amena les nuages. Les oiseaux chantaient des voix assourdies. Une lourdeur moite entourait les arbres et le ciel semblait reposer sur leurs branches. Estel était reconnaissant qu'il ne pleuvait pas. Il marcha une bonne partie de la matinée - dans la lumière grise, il était difficile de marquer le passage du temps - mais finit par se lasser. Le panier, chargé de victuailles pour trois, devenait pesant. Estel quitta les sapins sombres pour la rive de la Sonoronne à sa droite, déposa sa charge et s'étira avec félicité. Il s'était rendu plus loin que toutes les fois précédentes ; le repos était bien mérité.
Sa soif apaisée, le garçon s'étendit sur la terre brune, les bras repliés derrière la tête. Ses paupières étaient lourdes. Lorsqu'il rouvrit les yeux, il était couché sur le côté et la rivière scintillait comme du mithril liquide. Estel bâilla, puis s'assit avec un haut-le-corps. Il s'était endormi! Décidément, son corps n'avait pas apprécié la nuit passée dans l'arbre. Estel sourit, amusé et attristé en même temps. Il savait depuis l'âge de sept ans qu'il n'était pas un elfe, mais il avait espéré que la différence ne serait pas aussi grande.
Le vent s'était levé pendant son sommeil. Le soleil, qui regardait par une brève éclaircie, penchait déjà vers l'ouest. Estel retourna sur le bord de la rivière. Il s'agenouilla, les yeux rivés sur les eaux opaques. Les éclairs d'argent sur les vagues le faisaient penser aux yeux de deux hommes qui étaient venus à Imladris pour raccompagner sa mère. Presque aussi hauts que les elfes, ils s'étaient inclinés en voyant Estel. Le garçon avait rendu le geste, confus ; il s'inclinait devant les adultes, pas le contraire. Leurs regards l'avaient suivi même lorsque sa mère s'était approchée.
Le ciel se couvrit de nouveau. Les reflets s'éteignirent sur la Sonoronne, ramenant Estel à la réalité. Il ramassa quatre pierres plates et retourna auprès de son panier. Un carré de toile blanche, retenu aux coins, arborait bientôt les vivres divisés en trois parts. La journée tirait à sa fin ; Estel n'avait encore jamais réussi à éviter ses frères aussi longtemps. Mais, connaissant leurs habilités, il savait qu'ils ne tarderaient pas à le rejoindre.
Le garçon soupira. Il n'avait rien mangé depuis la veille et le pain, blanc-rose de fraîcheur, sentait le four, le beurre et… Estel déglutit avec effort. Il ne commencerait pas sans Elladan et Elrohir. Une branche craqua dans son dos et Estel sourit.
"Enfin! s'exclama-t-il sans se retourner. Ça vous en a pris du temps!"
Le silence suivit son appel. Le vent gémit dans les arbres et la rivière frissonna. Le soleil se découvrit à cet instant et, sur la toile d'un blanc immaculé, Estel vit une ombre tordue. Son cœur tressaillit, puis se précipita. Une créature de nuit et de cauchemar tendait vers lui une main difforme. Estel bondit debout et les griffes noires lui écorchèrent la joue. Les pommes roulèrent dans la rivière. Estel dégaina son épée ; la bête grogna lorsque le reflet du soleil sur la lame lui frappa les yeux. Le garçon trébucha sur le panier, se redressa. Elladan et Elrohir lui apprenaient le maniement d'armes et autres techniques de combat. Il se rappelait leurs leçons. Lorsque l'orc leva sa masse, Estel bondit de côté, puis en avant. Son épée, la toute première en métal, un cadeau d'Elrond, plongea dans les entrailles de son adversaire. L'orc hurla de rage. Il voulut avancer, mais Estel, son souffle inégale et saccadé, retira la lame. L'orc grogna de nouveau, cracha du sang et s'écroula parmi la nourriture écrasée.
Estel resta immobile, incapable de détourner son regard des intestins verdâtres qui frissonnaient sur la toile. C'était donc ça, un orc. Parmi les livres de son père, il avait vu des dessins de ces êtres hideux, mais une image ne pouvait jamais transmettre le goût âpre de la peur, la pestilence et le sang noir qui couvrait ses mains. Estel se plia en deux et vomit. C'était donc ça, la mort. Il se redressa en tremblant et se figea. Le soleil était caché et dans la grisaille, une troupe d'orcs avait quitté l'ombre de sapins et s'avançait vers lui.