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Le Renard et le Furet.

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Draco Malefoy se demandait souvent quand et comment exactement il était passé de la situation de riche-héritier-d'une-digne-et-noble-famille-étoile-de-Serpentard à celle de fils-de-Mangemort-pupille-du-Ministère. Dans ces moments, il repassait mentalement sa vie.

Tout avant commencé à foirer quand son père s'était jeté aux pieds du lord monomaniaque. L'idée que Lucius soit à présent gratuitement logé à Azkaban lui laissait un goût amer dans la bouche. Pas à l'idée de Lucius lui-même, non – il n'avait toujours éprouvé que peu de tendresse pour l'homme qu'il apercevait, depuis sa naissance, au mieux deux fois par mois. Non, de l'amertume pour le nom des Malefoy. Pour les parents que certains avaient et qu'il n'avait jamais connus. De l'amertume pour lui-même, aussi. Il n'avait jamais eu le choix.

Snape lui avait demandé – une semaine environ après la chute du Lord Noir, le lendemain de la condamnation de Lucius, le soir où Draco avait vidé sa première bouteille de FireWhiskey – si avoir le choix était réellement une bonne chose. Parfois, le maudit Maître des Potions – son cher parrain – ressemblait bien trop à Dumbledore, certes, dans un style différent, mais tout de même. Draco avait convenu qu'il n'avait aucune idée de la façon dont il se serait comporté au moment où il aurait eu le Choix – Voldemort ou Dumbledore, le Mal ou le Bien, l'Avada Kadavra ou les lapins roses. Mais, Foutu Merlin, il aurait choisi. Il n'aurait plus eu l'impression de faire partie du décor dans toute l'histoire.

Mais Potter avait détruit l'Ennemi trop tôt. Potter gâchait toujours tout.

Oh, il avait toujours son héritage. Son nom. Mais, comme une grande partie des Serpentards, plus de parents et plus de réputation. Et surtout, plus de bases solides et fermes sur lesquelles construire quelque chose.

S'il envisageait un temps soit peu sa vie future, il se voyait dans son grand manoir à vider l'exceptionnelle cave de ses ancêtres. Seul.

Ce qui était très réjouissant.

Aucun adulte débile n'avait essayé de lui tapoter l'épaule en lui conseillant de se faire des amis et de vivre pleinement son existence. Même Crabbe et Goyle avaient jeté un regard dur et froid aux employés du Ministère qui avaient tenté d'être gentils avec eux en leur annonçant la mort de leurs pères. Serpentard était devenu une maison taciturne, sans aucun esprit belliqueux mais sans désir d'apitoiement non plus. Ils savaient que tout se tasserait: la pitié qu'on éprouvait pour eux, le murmures de dégoût sur leur passage. On les oublierait et ils termineraient tranquillement leur vie. Seuls.

C'était chiant, comme idée. Mais Draco ne voyait vraiment pas quelle autre alternative s'offrait à eux – à lui.

Le renard fut son premier choix.

Bon, honnêtement, il faillit continuer son chemin vers le terrain de Quidditch sans un deuxième regard à la boule de poil roux, son esprit retournant déjà à ses contemplations morbides. Les Malefoy, exceptés les chiens de race et, à la rigueur pour les membres féminins, les chats aux pedigrees aussi longs que l'histoire de la famille, ne s'encombraient pas d'animaux familiers. Draco Malefoy jeta donc un regard distrait et légèrement dégoûté à l'animal plein de boue et de feuilles mortes qui lui faisait les yeux doux, songea que la bestiole ne survivrait pas longtemps dans la Forêt Interdite, et continua son chemin.

Dix pas plus loin, il poussa un cri de douleur et un chapelet de jurons quand les dents pointues de l'animal s'enfoncèrent dans son mollet.

Sautillant d'une manière peu digne en se tenant la jambe, Draco chercha l'animal des yeux avec l'intention de lui envoyer un bon coup de pied… ou un sort vicieux, ce qui serait moins douloureux. Le renard s'était assis sur son arrière-train et, la tête penchée sur le côté, le regardait fixement. Draco crut voir un éclair goguenard passer dans les yeux dorés, envoya son imagination se faire chier, et dut convenir que l'animal était très mignon.

Le renard – presque encore un renardeau, en fait – fit un adorable petit bruit en laissant apparaître sa petite langue rose, et c'était trooooooop mignon. Il se laissa faire quand Draco s'approcha et lui gratouilla prudemment le menton, lui léchouilla la joue quand il le prit dans ses bras, et Draco choisit alors de l'emmener avec lui.

Il lui fallut arriver aux portes du Château, gagatifiant et caressant la petite bête, pour songer distraitement qu'il était plein de boue et qu'il avait peut-être attrapé la rage.

Aucune importance.

Et c'est ainsi que tout commença.

Le renard remporta un succès immédiat.

- Oh, il est trop chou! piailla Pansy en essayant de lui gratouiller les oreilles.

L'animal lui montra sauvagement les dents, et elle recula prestement sa main. En plus, la bestiole était intelligente, songea Draco avec satisfaction.

- Tu l'as trouvé où? demanda Blaise d'un air curieux.

- A l'entrée de la Forêt Interdite.

- Tu vas le garder?

La question prit Draco par surprise. Le garder, le garder… Le garder comme dans "m'occuper-de-lui-nettoyer-ses-crottes-le-nourrir-trois-fois-par-jours-jusqu'à-ce-que-la-mort-nous-sépare"?

- Oui, je pense, s'entendit-il répondre. Il n'a pas l'air sauvage…

Le renardeau se blottit plus confortablement dans ses bras avec un ronronnement, sous les "Oooh!" et les "Aaah!" ravis des demoiselles présentes. Puis les murmures se turent et les regards se tournèrent vers MacGonagall, qui traversait la Grande Salle dans leur direction.

- M. Malefoy, fit-elle sèchement en arrivant à leur hauteur, puis-je connaître vos intentions concernant cet animal? Vous n'êtes pas sans ignorer que le règlement stipule que seuls les chats, chouettes et crapauds sont acceptés dans les dortoirs. Sans parler que son origine me semble des plus… (Elle fit la grimace en jetant un coup d'œil à l'animal qui, avouons-le franchement, était dans un état répugnant.)… douteuses.

Voilà qui acheva de persuader Draco qu'il allait le garder.

Plan A.

- Mais Madame, il va mourir si on le relâche dans la Forêt, fit-il d'un ton convaincant avec juste ce qu'il fallait de trémolos dans la voix.

La femme sembla fléchir. Oui… oui…?

- Dans ce cas, confiez-le au professeur Hagrid, fit-elle fermement.

Non.

Plan B.

- En fait, on pensait en faire notre mascotte…

Draco pouvait presque voir les pensées cheminer dans le cerveau de son professeur. Un renard, la mascotte de Serpentard, c'était tout de même bien mieux que ce maudit boa constrictor, mort le mois dernier, qui s'échappait tout le temps et terrorisait les Premières Années! Un renard, c'était presque… gryffondoresque!

- S'il vous plaît, Madame! intervint à ce moment Pansy, vigoureusement approuvée par le reste du groupe. Il est tellement mignon!

- On s'occupera du tatouage et des vaccins, approuva Blaise avec son bon sens pratique.

Les yeux de cette brave Pansy scintillaient d'étoiles.

Les yeux de Blaise scintillaient d'étoiles.

Les yeux du renard scintillaient d'étoiles.

Merlin, les yeux de Vincent et Gregory scintillaient d'étoiles.

Draco, dans un immense effort, fit scintiller ses yeux d'étoiles.

- D'accord, soupira finalement MacGonagall. Mais au moindre incident…

Elle s'éloigna, laissant planer sa menace dans l'air.

Les Serpentards s'en foutaient royalement. Réunis en rond autour de la bestiole qui lapait avec enthousiasme le fond d'un bol de lait, ils rivalisaient d'idées.

- Et si on le dressait à attaquer les Gryffondors?

- Et si on le dressait à se glisser dans les vestiaires de Quidditch et à bouffer les tenues des Gryffondors?

- Il faudrait des chiffons rouges et jaunes pour s'entraîner.

- On pourrait lui apprendre à venir nous prévenir quand Rusard est dans les parages?

- Ou à chaparder pour nous dans les cuisines?

- On pourrait lui faire porter des lettres d'amour?

- Ta gueule, Pansy.

- Et si on le lâchait dans la Volière?

- Ou parmi les Scroutts de Hagrid?

- Et si…

Draco réalisa qu'il y avait bien longtemps qu'ils ne s'étaient autant amusés.

Aussi fit-il profondément ennuyé quand, le petit-déjeuner terminé, le renard lui sauta des bras, fila par la grande porte, et disparut dans les labyrinthes de Poudlard, malgré (ou peut-être à cause de) les cris que poussèrent ses nouveaux maîtres. Draco jura. Il ne restait que dix minutes avant le début du prochain cours, dix minutes qu'il avait pensées employer à emmener la bestiole et la boucler dans la salle commune. Passant d'ennuyé à contrarié quand il réalisa que MacGonagall ne se priverait pas de le demander dans son bureau si l'animal faisait quoi que ce soit, il ravala sa mauvaise humeur et s'approcha du concierge.

- M. Rusard, j'ai un service à vous demander, s'adressa-t-il à l'homme d'une voix froide.

Une lueur malsaine brilla dans les yeux de ce dernier.

- Mon renard se promène quelque part dans le château. Si vous le rencontrez, pourriez-vous le récupérer et le déposer dans ma chambre. Mon père m'a laissé une jolie collection de chaînes et de menottes dont j'aimerais me débarrasser, ajouta-t-il avant que l'homme n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche. Peut-être connaîtriez-vous un acquéreur…?

- Pas de problèmes, M. Malefoy. Je vous le laisserai dans vos appartements si je le trouve, grommela Rusard.

Draco s'éloigna, essayant de ne pas imaginer les raisons pour lesquelles le concierge adorait tellement les chaînes et les menottes. Il ne voulait pas savoir.

La journée se passa sans qu'il ne revoie la bestiole. Rusard n'en avait aperçu aucun signe de vie. Dommage, songea-t-il en se résignant à ne jamais la revoir. Il l'aurait bien lâchée sur Potter et Weasley. Après le dîner, il partit en direction des cachots de Serpentard, plus morose que jamais.

Sa chambre, petit privilège de Préfet en Chef, était située dans un couloir un peu à l'écart. Et une petite boule de fourrure rousse grattait à sa porte en poussant les couinements rageurs. Draco se demanda à peine comment il était possible qu'un renard ai repéré au beau milieu du plus grand château du monde la chambre d'un humain qu'il avait rencontré pour la première fois le jour-même ni même pourquoi ledit animal était à présent propre, il le prit sous les pattes et fourra son nez dans son ventre tout doux. Le renard, avec un ronronnement, lui ébouriffa les cheveux à petits coups de pattes.

Ils s'endormirent roulés en boule l'un contre l'autre.

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Harry était le seul encore dans la chambre (Les trois autres étaient partis en glosant sur l'absence du rouquin.) quand Ron revint au petit matin. Son ami abordait un visage immensément satisfait que Harry ne connaissait que trop bien – après tout, il avait abordé le même ces dernières semaines.

- Est-ce que je veux des détails? demanda Harry à voix haute. Non, je ne veux pas de détails.

- C'était fabuleux, souffla Ron, les yeux dans le vide, en se laissant tomber sur lit sans l'écouter. Il m'a gratouillé sous le ventre et derrière les oreilles et je n'avais jamais rien ressenti d'aussi bon.

Harry leva les yeux de son livre, songea à son Maître des Potions en train de le gratouiller sous le ventre et derrière les oreilles, et gloussa.

- Mais quand même… se reprit-il. Malefoy?

- Tu peux parler, fit sobrement Ron.

Oui, bon, vu comme ça…

- C'est incroyable d'être un Animagus – sans parler d'être un Animagus papouillé, continua Ron d'une voix rêveuse. On entend tout, on sent tout, on voit tout, tout a plus de goût et tout paraît grand. J'ai pourchassé une sauterelle et c'était ce qui m'était arrivé de mieux de toute ma vie, sur le moment.

Ils restèrent un moment silencieux.

- Bon, on a cours dans cinq minutes, dit finalement Harry en saisissant ses affaires.

- Mmmmh.

- Si tu as un soir de libre, ajouta-t-il en souriant, un de ces quatres, je t'emmènerai dans les cachots, il y a des souris succulentes.

- D'accord, fit Ron d'un air intéressé.

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Les journées se passaient ainsi: quand Draco se réveillait, le renard avait déjà disparu. Il ne l'apercevait pas de la journée et si, au départ, il s'inquiétait un peu des endroits où il pouvait traîner, il finit par s'en désintéresser, du moment que l'animal l'attendait devant sa porte quand il regagnait sa chambre le soir après manger. Ils passaient ensuite la soirée ensemble, soit à échanger des papouilles, soit à travailler – enfin, Draco travaillait, le renard perché sur le bureau regardant attentivement tout ce qu'il faisait. Puis ils s'endormaient bien au chaud.

Les autres Serpentard avaient d'abord protesté, prétendant qu'il se le réservait pour lui tout seul. Bon. Il se le réservait pour lui tout seul. Et il les envoyait chier. Pour une fois qu'il pouvait profiter d'un être vivant qui ne le saoulait pas de paroles, et qui ne le regardait ni avec mépris ni avec pitié. Et il adorait les petits bruits contents que faisait la bestiole.

- Il te faudrait un nom, lui dit-il sérieusement un soir, environ une semaine après leur rencontre.

L'animal montra les dents.

- Foxxie? proposa Draco.

Il évita un coup de dents vicieux.

- Goupil? Pilou? Poil de Carotte?

La bête essaya de lui sauter à la gorge.

- Bon, on laisse tomber le nom, fit Draco en s'étranglant de rire. Pour l'instant… marmonna-t-il.

Il pouffa quand le renard dressa l'oreille et le fixa l'air de dire "Je t'ai parfaitement entendu, Ducon.".

La rumeur que Draco Malefoy s'était trouvé un animal de compagnie circula rapidement dans l'Ecole. Les regards qui le suivaient depuis la condamnation de Lucius se firent plus curieux et sympathiques. Quelques personnes vinrent même lui demander s'ils pouvaient voir le renard – et il les rembarra sèchement en leur disant qu'il ignorait lui-même où se trouvait la satanée bestiole la plupart du temps.

Dumbledore lui avait tapoté l'épaule, ses yeux scintillant plus que jamais.

Il s'attendait à ce que Granger se mette à pérorer sur la cruauté d'enfermer et d'asservir des animaux à l'origine sauvage, mais l'insupportable fille ne pipa mot, se contentant de hausser les épaules. Weasley et Potter, du diable s'il savait pourquoi, avaient l'air amusés en le regardait – ce qui l'enerrrrrrvait depuis toujours. Malheureusement, dès que Draco montrait un chiffon rouge à Foxxie en l'encourageant à le déchiqueter sauvagement, l'animal s'endormait. Tant pis.

Mais la réaction la plus étrange fut peut-être celle de Snape.

- Un renard, Draco? demanda-t-il un soir où le jeune homme était resté pour l'aider à mettre un peu d'ordre dans la salle, dévastée par les derniers exploits de Londubat.

- Oui, et il passe ses journées à se balader partout, je ne le vois que le soir –

Draco se tut. Il devenait incroyablement bavard dès qu'il s'agissait de cette sale bête, réalisa-t-il.

- Oh. Je vois.

Quelque chose dans la voix de l'homme fit relever les yeux au jeune homme. Et là… Snape souriait. Enfin, il tentait de réprimer un sourire en pinçant les lèvres, mais Draco voyait clairement qu'il était amusé – il aurait peut-être même dit hilare, s'il n'avait parlé de Snape.

- Soit gentil avec lui, ajouta ce dernier en refermant la porte de la dernière armoire.

Draco trouva seulement à dire quelque chose comme "Hu", prit son sac, et se dirigea vers la porte. Il allait sortir quand un chat noir se glissa entre ses jambes à l'intérieur. Il y prêta à peine attention, partant vers sa chambre à grands pas.

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Harry était étalé de tout son long sur le lit de son professeur de Potions. Ce dernier laissa sa main parcourir le ventre exposé, puis lui caressa le sommet du crâne. Harry ronronna et l'homme sourit.

- Je n'en reviens pas que tu aimes ça même sous forme humaine.

Harry se redressa, passa ses bras autour du cou de son maître, et l'embrassa.

- C'est à cause de tes mains, prononça-t-il quelques minutes plus tard, hors d'haleine. Est-ce qu'on pourra faire ça sur le tapis, un jour? enchaîna-t-il tandis que leurs caresses se faisaient plus précises. J'adore m'y rouler en chat, j'aimerai essayer comme ça…

Après un long ébat torride sur le tapis, ils se retrouvèrent pelotonnés devant la cheminée, enroulés dans un couvertures.

- Il y a quand même des choses que je préfère te faire sous cette forme-là, fit paresseusement l'homme.

- Ah bon? bailla Harry.

- Et j'espère que Weasley sait ce qu'il fait, ajouta Snape sans changer de ton.

Harry se retransforma en chat et se frotta affectueusement contre lui.

- Tricheur, sourit Snape.

Harry aussi espérait foutrement que Ron savait ce qu'il faisait.

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Trois couloirs plus loin, un renard et un Préfet dormaient.

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A suivre.