Quand il ouvre les yeux, le visage
de Naruto est à quelques centimètres du sien.
Dans les prunelles d'un bleu
impossible se reflètent les siennes –rouges et
tourbillonnantes .
Il retient un mouvement de recul
-fuite- instinctif, et maintient sa position, une main plaquée
contre l'articulation de l'épaule, enfouie et tordue dans
le tissu orange d'une manière qui supprime presque
totalement l'usage du bras ; et l'autre, refermée sur
le poignet droit, l'immobilisant contre la paroi rocheuse.
Il arrache brièvement son
regard du sien, scanne l'adversaire.
C'est bien Naruto.
Mais ce n'est pas vraiment celui
dont il se souvient, celui auquel les rêves-souvenirs-cauchemars
le confrontent encore bien trop souvent.
Celui-là est plus grand, le
visage plus allongé, la courbe de la mâchoire encore
empreinte de rondeurs enfantines, mais déjà plus
marquée, plus dure. Et le regard bleu, s'il est imprégné
de la même détermination, brille aussi d'une colère
froide et immense, si contenue que Sasuke a un instant du mal à
l'associer avec ce visage.
« SASUKE ! JE
SAIS QUE TU ES LA, REPOND MOI SALOPARD ! »
Par contre il est toujours aussi
bruyant.
La constatation incongrue flotte un
instant dans son esprit, comme une bulle d'air chaud qui s'élève
au-dessus de la masse avant de retomber aussitôt et d'être
balayée par les instincts et la rage glacée du dragon.
Sasuke renifle intérieurement
avec dédain, décoche son regard Spécial Naruto
'Je-N'en-Crois-Pas-Mes-Yeux,-Mais–Qu'est-Ce-Que-J'ai-Fait-Pour-Mériter-Ca ?',
et ouvre la bouche pour cracher une réponse pleine de morgue
dans le genre "Je suis là, imbécile.. Tu es
réellement un ninja pitoyable si tu ne réalises même
pas quand quelqu'un te plaque contre un mur..." ou "Peur
d'admettre que tu as perdu face à moi, minable ?"
Au
lieu de cela ou de mots qui y ressemble, c'est un rire rauque qui
passe ses lèvres. Un rire rauque et moqueur, avec un tranchant
froid comme la soie d'une lame. Un rire qu'il a un instant du mal
à identifier comme étant le sien.
« Quelle
obstination aussi admirable que tellement… pathétique,
Naruto-kun… »
Les
mots mordants s'écoulent, comme Sasuke aurait voulu les
dire, blessants et méprisants… Mais ce ne sont pas vraiment
les siens. « Ton professeur ne t'as rien apprit n'est-ce
pas ? Lui aussi s'est battu jusqu'au bout, persuadé
qu'il restait quelque chose à sauver… »
La
main pâle qui est refermée contre l'épaule
bouge un peu, accentuant la pression et la torsion, et à
l'intérieur de lui-même Sasuke hurle de rage et de
frustration, parce qu'il sent jouer ses muscles, et que ce n'est
pas lui qui a donné l'ordre.Il
ne hurle pas de peur.
La
peur est cadenassée très profond à présent.
Il ne craint plus, il est devenu assez fort, il le sait.
Non,
le rugissement du dragon en lui est de courroux pur, d'incrédulité,
et d'indignation, de rage. Pas de peur.
Les
doigts de la main visible de Naruto se recroquevillent sur eux-mêmes,
comme une feuille-morte s'asséchant en accéléré,
et une grimace de douleur tord son visage.
Elle
n'atteint pas les yeux, ou les traverse si vite que Sasuke ne le
réalise pas, occupé frénétiquement qu'il
est à tenter de contrôler le flot de mots qui
s'échappent de sa bouche avec une voix qui n'est pas tout
à fait la sienne.
« Mais
il ne reste rien à sauver, Naruto-kun. »
Les lèvres de Naruto s'entrouvrent dans un râle silencieux quand la main enfoncée dans l'articulation de son épaule bouge de nouveau. Avec une netteté déconcertante Sasuke voit sa gorge se contracter inutilement à la recherche d'un souffle qu'il ne parvient pas à trouver. Il voit sa propre main aussi, celle qui est à demi enfouie dans cet hideux tissu orange. Les doigts trop blancs, longs et effilés, créent des plis étranges, une géologie incertaine de creux et de bosses, d'ombres mouvantes là ou ils disparaissent dans l'étoffe qui s'empoisse lentement. C'est à cause du Sharingan, dit la petite voix analytique à l'arrière de son esprit. Mais même elle ne comprend pas pourquoi il est soudainement si fasciné par cette vision…
La
main bouge de nouveau, et entraîne avec elle une nouvelle
grimace haineuse-douloureuse-défiante de la part de Naruto,
ainsi qu'une nouvelle vague de pani- de rage dans la tête
de Sasuke.
C'est
bien sa main pourtant, il reconnaît la marque fine de la
cicatrice qui zèbre la dextre du poignet à la base de
l'annulaire. Il se l'ait faite à l'âge de cinq
ans, en essayant de s'entraîner avec les kunaïs de son
frère… Il n'avait pas osé s'en plaindre à
ses parents, et le temps que sa mère finisse par s'en
apercevoir, la coupure s'était suffisamment infectée
pour laisser une cicatrice. Son frère avait haussé les
épaules avant de sourire et de murmurer que ce n'était
pas grand-chose, et le soir son père n'avait pas daigné
remarquer le pansement.
C'est
donc sa main, pas de doute. Et elle est exactement là où
il aurait voulu qu'elle soit, à vaincre Naruto.
Mais
ce n'est pas lui qui la contrôle.
Sans
qu'il en soit vraiment responsable, ses yeux ont suivi la ligne de
l'épaule, sont revenu se poser sur le visage de Naruto. Il
sent son propre visage se tendre dans un sourire qu'il ne pensait
pas ses muscles capables de produire –il ne se pensait plus capable
de vraiment sourire tout court.Une
fourmi remonte le mur à droite de la tête de Naruto,
slalomant avec obstination entre les mèches aux reflets de blé
brûlé qui parsèment sa route. Sasuke se concentre
sur elle en espérant vaguement que cela parviendra à
contrer son regard qui examine avec attention le visage de l'Idiot.
Malgré
lui il découvre qu'il ne peut pas faire autrement que de
regarder Naruto droit dans les yeux… Et soudain les muscles sous
ses mains se tendent et le blond décoche un coup de tête
que, Sharingan oblige, il n'a aucun mal à éviter,
mais qui le force à reculer d'un pas, à relâcher
sa prise.
« Sasuke…
Connard… J'arrive pas à croire que tu sois tombé
aussi bas et que tu le laisses faire… »
Il
rit, de nouveau, et Sasuke déteste ce rire.
« Tu
ne comprend donc pas Naruto-kun ? Sasuke a choisi de me
laisser faire. Il n'y a rien que tu puisses contre cela.»
Tout
en parlant ils ont lutté un instant, et Naruto à beau
être rapide, face au Sharingan il ne fait pas le poids. Ses
mains sont de nouveau capturées entre celles de son
adversaire, et 'Sasuke' crochète sa jambe pour empêcher
tout coup de pied vicieux –ce serait tout à fait le genre de
Naruto, et il aurait d'ailleurs l'approbation totale de Sasuke
sur ce coup-là : ça signifierait qu'il se
comporte enfin en vrai ninja et qu'il donne vraiment tout ce qu'il
à, sans céder à ce stupide sentimentalisme a
propos de liens qui n'existent plus.
Il
se sent engourdit, dans ce corps qui ne lui répond pas, et son
esprit tourne en cercle comme le ferait un animal en cage, percevant
tout ce qui ce passe mais refusant d'y prêter vraiment
attention, comme si ça se passait loin, ou de l'autre côté
d'un mur de verre...
« Réponds
bordel, tu ne vas pas te laisser faire... SASUKE, REPOND MOI ! »
Il
n'y a plus seulement cette colère immensément froide
dans les yeux de Naruto, mais aussi une panique grandissante et mal
réprimée, un désespoir pressant et pathétique
tandis que les mots qui confirment une fois de plus qu'il ne
s'adresse pas à son ancien équipier continuent de
couler, moqueurs.
« Vois-tu
ce corps Naruto-kun ? Il est presque parfait n'est-ce pas ?
Jeune et puissant, en bien des points infiniment supérieur à
mes anciennes mues… Et il a cette intéressante et
précieuse faculté de contrer le pouvoir des Bijus… Tu
l'ignorais, n'est-ce pas ? »
« Sas'ke,
bon sang… »
« Tu
es une épine dans le pied ambulante, Naruto-kun. Ton
obstination est divertissante, mais vite lassante. J'aurais du me
débarrasser de toi dès le début, mais il s'est
ensuite avéré que tu pouvais te révéler
utile… Sais-tu pourquoi ? »
Naruto
ne sait pas, et visiblement il s'en fou, parce qu'il continue de
postillonner à plein volume des imprécations, des
insultes et des provocations destinées à Sasuke, visant
à le faire réagir. Avec une torsion brusque il parvient
de nouveau à dégager sa main, et celle ci fini sa
course dans le visage de Sasuke. En force brute il l'a toujours
dépassé, se souvient le jeune homme sans pourtant
ressentir la pointe de jalousie-rancœur-colère à
laquelle il est habitué.
Il
sent la peau se fendre, et le sang poisseux couler, l'étincelle
de douleur se diffuser puis disparaître.
Mais
Naruto n'a pas eu suffisamment d'espace pour armer son coup,
celui-ci manque de force destructrice pour faire vraiment mal…
Sasuke-Orochimaru penche la tête, mais ne fait rien pour
intercepter le poing tandis que Naruto frappe encore et encore.
Il
rythme les coups avec des insultes, des expressions ordurières
qui ne parviennent pas à faire disparaître l'expression
hideuse, à la fois indulgente et moqueuse, que Sasuke sent sur
son propre visage.
« Que
de fougue, que de fougue… » Exactement comme un
professeur qui commente avec une affabilité railleuse les
progrès d'un élève duquel on attend pas
grand-chose mais qui s'accroche malgré tout. « Une
telle obstination aveugle finira par être ta fin, Naruto-kun… »
Une
fraction de seconde cela semble tirer Naruto de sa rage.
« Tu
as de la chance d'être dans le corps de ce salopard de Sasuke
sale Serpent, sinon je t'arracherais la tête. »
Puis : « SASUKE, ESPECE DE CONNARD, JE SAIS QUE
T'ES LA ET QUE TU M'ENTENDS, TU T'EN SORTIRAS PAS COMME CA, JE
TE RAMENERAIS ! »
« Je
vais te dire pourquoi je ne me suis pas soucié de te faire
abattre plus tôt… »
La
voix est douce, soudain, comme la lame d'un kunaï contre une
gaine de velours. Il y a là quelque chose qui semble capter
l'attention de Naruto.« Vois-tu,
tu as quelque chose dont j'ai besoin. Ou plutôt quelque chose
dont Sasuke a besoin… »
De
sa main libre, il récupère quelques gouttes de sang qui
coulent sur sa joue, et les goûte presque pensivement.
Naruto
est muet, comme envoûté par les paroles, cette voix qui
impose l'écoute.
«
C'est singulier, parce que cette chose, dont lui aussi a besoin…
C'est un étrange orgueil, mais il n'a jamais voulu la
prendre. Alors que c'est tout ce dont j'ai besoin pour avoir un
corps réellement parfait, et lui toute la puissance
dont il rêvait…
Tu
sais, d'une certaine façon, tu as raison Naruto-kun. Il est
là, et il t'entend… »
Les
pupilles de Naruto se dilatent et quelque chose d'éperdu les
traverse, mais déjà la voix d'Orochimaru poursuit.
« Mais
il ne peut rien faire, et même s'il avait pu… Crois-tu
qu'il le ferait pour quelqu'un comme toi ? Uchiha
Itachi est plus important que tout. C'est pour cela qu'il a
trahi, c'est pour cela qu'il m'a laissé son corps… Et
même s'il reste des traces de lui… Elles ne seront bientôt
plus suffisantes. Bientôt l'assimilation de mon âme
dans ce corps si parfait sera complète, et il n'y aura plus
rien. »
Naruto
étouffe un son qui semble l'accouplement d'un sanglot et
d'un rugissement de haine pure. Orochimaru recule d'un demi pas,
laissant plus de place entre eux sans pour autant rompre la prise.
« Pour
l'instant il est encore là, Naruto-kun. Peut-être
voudrais-tu le saluer avant la fin ? Parce qu'après
tout, s'il ne restait aucune trace de lui… Te tuer n'aurait
aucun sens. »
Et les yeux de Naruto s'ouvrent, sont bleus, bleus, bleus tandis que le kunaï qui a fait son apparition dans la main gauche de Sasuke pénètre jusqu'à la garde la peau tendre de l'estomac-.
-
-et Sasuke hurle, hurle, hurla, et quand il ouvrit les yeux, sa main était refermée sur la poignée froide d'un kunaï qui lacérait le vide en face de lui.
Un
spasme énorme parcouru son corps, tordant son ventre, et il
parvint à peine à rouler sur le bord du futon avant de
vomir par terre.
Il
resta un long moment ainsi dans l'obscurité, presque à
quatre patte, un avant-bras appuyé par terre et l'autre,
celui qui tenait le kunaï, replié contre son ventre
tandis qu'il se vidait spasmodiquement sur le parquet de sa
chambre.
Même
quand les contractions qui n'expulsaient plus rien eurent cessé
il resta ainsi, les yeux fermés, attendant que le monde cesse
de se convulser sous lui.
Il
se redressa finalement, tremblant et trempé de sueur, pour
rejoindre à tâtons la salle de bain minuscule.
Une
douche bouillante nettoya ses bras, son visage et les mèches
souillées, et quand il émergea ses mains avaient cessé
de trembler.
Il
se sentait toujours aussi… aussi sale, à défaut
d'un autre mot. Toujours aussi souillé.
Il
rêvait parfois son impuissance et sa faiblesse, son incapacité
à faire quoi que ce soit pour les empêcher de mourir,
son incapacité à surpasser Itachi… Mais jamais il
n'avait… piégé dans son propre corps… et Naruto…
C'était
un rêve, un rêve, c'était un rêve…
Même
le mantra qu'il répétait dans sa tête ne
parvenait pas à l'apaiser.
C'était
un rêve, mais il avait été terriblement réaliste.
Ce Naruto plus adulte, les paroles, les actes d'Orochimaru…
C'était
un rêve…
Mais
rêve ou non, c'était quelque chose qu'il voyait fort
bien l'idiot faire, s'obstiner à essayer de le "sauver"
jusqu'au bout, rester a porté d'Orochimaru parce qu'il
espérait un miracle… Imbécile…
Ce
n'était même pas la mo- le meurtre de Naruto
qui le mettait dans cet état, qui provoquait la bouffée
rageuse en lui… C'était le fait qu'il en rêve,
encore et encore alors que seul Itachi aurait dû importer,
alors que c'est de plonger le kunaï dans le ventre de son
frère qu'il aurait dû rêver…
Il
avait laissé Naruto en vie, et pour la peine l'idiot
continuerait à le poursuivre, c'était inévitable.
Il continuait à le poursuivre, jusque dans des rêves
bien trop élaborés et bien trop réalistes…
Cela
le mettait hors de lui.
Ce
lien… il restait trop fort, et lui se montrait trop faible, cette
faiblesse dégoûtante qui l'avait fait hésiter,
qui le faisait rêver… Itachi avait peut-être raison, il
ne le haïssait pas encore assez, si la perspective de donner son
corps pour pouvoir le tuer le mettait dans cet état…
Ce
n'était qu'un rêve, mais… Non pas un rêve
prémonitoire –il ne croyait pas un mot de ces sornettes
superstitieuses-, mais un message de son esprit. Un condensé
de tout ce à quoi il évitait de penser, de tout ce
qu'il craignait… Dégoûtant, dégoûtant…
Mais
il n'avait pas le loisir de craindre, d'hésiter ou de
tergiverser. Il ne pouvait pas se permettre cela : il fallait
qu'il soit fort, qu'il haïsse.
Comment
pouvait-il oser craindre de perdre son corps, de tuer Naruto,
peut-être, si cela lui permettait d'abattre Itachi, de les
venger ?
Lentement,
son regard se focalisa sur sa main. À la lueur blême de
l'ampoule nue, la cicatrice serpentant sur la peau ressortait
faiblement.
Il
porta sa main à sa bouche, et mordit la peau pâle, les
yeux fermés, se concentrant sur la minuscule étincelle
de douleur pour apaiser son esprit… Ce n'était rien,
absolument rien. À peine un inconfort momentané… Ce
n'était rien par rapport aux plaies du dragon à
l'intérieur de lui, ce n'était rien par rapport à
la brûlure incandescente de sa haine…
Il
expira, et laissa retomber sa main. Il avait fait fausse route. Il ne
devait pas s'autoriser à craindre quoi que ce soit, à
redouter les moyens qui pouvaient lui permettra d'abattre son
frère. Ce n'était que faiblesse de sa part.
S'il
devait donner son corps pour cela… Hé bien tant pis. La
haine devait être plus forte que la peur, que le dégoût.
Orochimaru pouvait avoir son corps si cela lui chantait, tant qu'il
accomplissait son but.
S'il
devait tuer Naruto… Ça n'avait pas d'importance, parce
que le lien avec Itachi était le plus fort. Devait être
le plus fort.
Il
devait éliminer toute faiblesse, toute hésitation.
Il devait être fort, et haïr. Le reste n'importait pas.
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Fin
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Cette fois ci c'est la fin, la vrai. ,Reviews ?