Chapitre I –

Le grand échiquier de la vie

Dorcas Meadows n'était ni préfète, ni la plus brillante des élèves et encore moins d'une beauté à couper le souffle. Elle n'était pas non plus très populaire auprès des garçons et ses amitiés féminines se comptaient sur moins que les doigts d'une main.

Bien qu'elle n'était ni n'avait pas toutes ces choses, Dorcas possédait par ailleurs tout ce qu'il faut à une jeune femme de presque seize ans pour être considérée comme quelqu'un d'extraordinaire et de tout à fait unique.

Nous avons dit qu'elle n'était pas d'une beauté mémorable. C'était vrai. Cependant Dorcas avait, comme nous toutes d'ailleurs, ce je-ne-sais-quoi de particulier qui la rendrait un jour exceptionnelle aux yeux de celui qui serait touché par la grâce de ce petit-quelque-chose d'indéfinissable.

Cette touche d'exception qui habitait Dorcas n'avait pas encore été remarquée par aucun garçon. C'est fréquent, mais cet état des choses n'empêchait pas Dorcas de soupirer parfois sur le vide de son existence amoureuse. La majorité du temps, elle était soulagée de n'être intéressée à aucun garçon. La complexité de la chose la décourageait de s'enticher d'un jeune homme. Elle se sentait, par ailleurs, parfaitement bien avec ses amis. Elle n'en demandait guère plus.

Dorcas était en 6ème chez les Ravenclaw. Lors de sa répartition, le Choixpeau avait longuement hésité entre Gryffindor et Ravenclaw et avait finalement opté pour cette dernière maison. Dorcas, bien que possédant une dose considérable de courage, avait une forte tendance à se recroqueviller dans l'étude et la lecture afin d'éviter d'avoir à se confronter à la réalité tangible du monde. Elle étudiait, mais sans amour de l'érudition. Elle préférait nettement lire et les livres lui fournissaient toujours tout ce qu'elle avait besoin de savoir, que ce soit de façon romanesque ou par le biais des documentaires.

Des trois amies que Dorcas avait, Lily Evans était la meilleure. Bien qu'introvertie, Dorcas avait son franc parler et un sens de l'humour très développé. Lily était chez les Gryffindors, mais leur amitié datait de leur premier voyage à bord du Hogwart's Express. Dorcas avait partagé le même compartiment que Lily et Snape qui se connaissaient déjà et, bien que Snape ne lui eut pas accordé d'attention, Dorcas et Lily avaient immédiatement lié amitié. Leur amitié naissante avait tenu bon malgré la répartition en des maisons différentes. Le plaisir de se raconter toutes sortes de choses futiles ou intéressantes était décuplé par le fait qu'elles ne côtoyaient pas les mêmes personnes.

Au fil des ans, deux autres jeunes filles se joignirent à leur duo, formant ainsi un quatuor d'inséparables amies, mais le noyau dur demeurait toujours Dorcas et Lily. Alexandra Bloom de Gryffindor et Joan Smith de Ravenclaw étaient maintenant devenues de bonnes amies, bien qu'elles avaient parfois des échanges corsés parce que d'avis et d'opinions opposés.

Lily était d'origine moldue, comme Joan; Alexandra descendait d'une longue lignée de sorciers qui avaient fait de fréquents mariages avec des moldus. Pour ce qui est de Dorcas, son père était un moldu et sa mère une sorcière. Cela n'avait donc pas été une surprise lorsqu'elle avait reçu sa lettre de Hogwarts à l'été de ses onze ans.

Lily et Joan avaient fréquenté la même école moldue étant petites. Elles ne se rappelaient pas avoir déjà rencontré l'autre, mais ceci suffit à établir un lien entre elles deux. Joan était menue et délicate, très mignonne avec l'ovale parfait de son visage encadré de boucles blondes et ses petits yeux bleu brillant. Sa petitesse était compensée par son caractère bouillant. Alexandra était une fille fière et belle, à la chevelure d'un noir d'ébène et des yeux aussi noirs, mais extrêmement gaffeuse, ce qui avait tendance à gâcher la grâce de son maintien. Elle passait son temps à rigoler, surtout de ses erreurs. Lily était, comme Dorcas, assez grande, et sa chevelure rousse formait un contraste étonnant avec ses yeux émeraude. Elle était sérieuse et moqueuse tout à la fois et prenait très à cœur ses tâches de préfète. Dorcas, quant à elle, avait les cheveux bruns et ses yeux noisette, sous d'épais sourcils, possédaient la touche la plus coquine qui pouvait exister. Elle était droite et ferme, pleine de compassion, mais elle avait un franc-parler redoutable.

La rentrée de l'automne 1976 apportait son lot de nouvelles macabres et angoissantes : à l'extérieur des murs d'Hogwarts sévissait un groupe de mages noirs qui s'étaient donné le nom de Mangemorts et qui torturaient des Moldus, des sorciers issus de familles moldues ou tout autre sorcier qui aurait pu avoir un lien avec le monde des Moldus. La purification de l'espèce était leur unique enjeu, guidé par la folie destructrice d'un puissant sorcier qu'ils appelaient tous avec déférence Lord Voldemort. Le plus inquiétant dans tout cela, c'est que ces mêmes Mangemorts avaient infiltré tous les échelons du Ministère de la Magie et qu'il était à peu près impossible d'en identifier un, sous peine de pointer l'innocent. Leurs ruses étaient parfaites.

À Hogwarts, bien protégés par la vigilance du directeur Albus Dumbledore, les élèves tentaient de ne pas trop se laisser impressionner par toutes ces mauvaises nouvelles. De temps à autre, dans la Grande Salle, un hibou anonyme apportait une enveloppe à un élève dont le visage blanchissait en découvrant le contenu de la lettre. Si ce n'était pas pères et mères, c'était bien souvent frères ou sœurs, cousins ou cousines qui, à cause de leur soi-disant sang impur, venaient de recevoir la visite de ces sinistres Mangemorts.

Mais à Hogwarts, n'est-ce pas, on était encore bien loin de tout cela. La vie continuait avec son cortège de délices et de tourments amoureux, de réussites et d'échecs académiques, d'amitiés qui se font et se défont…

Sur le Hogwart's Express

« Qui veut venir faire un tour avec moi dans le couloir? » demanda Joan Smith à ses amies peu de temps après que le train se fut ébranlé sur la voie ferrée en direction de Hogwarts.

Lily Evans, qui revenait de sa réunion des préfets, poussa un profond soupir où se mélangeaient l'exaspération et la tendresse qu'elle éprouvait pour son amie de Ravenclaw. Alex fit semblant de n'avoir rien entendu et plongea la tête dans son sac bourré à craquer de babioles féminines. Dorcas lâcha aussi un soupir, mais se leva, un peu à contrecœur en posant son livre à l'envers sur son siège afin de bien marquer sa page.

« Je dois aller aux toilettes, alors aussi bien y aller avec toi », dit-elle, magnanime.

« Chouette! » s'écria Joan en sautant sur ses pieds. Debout, elle n'était pas beaucoup plus grande que lorsqu'elle était assise. Elle arrivait à peine à l'épaule de Dorcas qui faisait 5'8. C'est dire combien Joan était petite…

Pleine d'exubérance, Joan ouvrit la porte de leur compartiment et tourna à gauche, mais Lily lui lança :

« À droite, Jo, à droite! Je l'ai vu aller vers la droite! »

« Mais de quoi tu parles? » s'offusqua Jo en rougissant.

« Moi? Mais de rien, de rien…, maugréa son amie avec une pointe d'ironie. Je ne parlais certainement pas d'un certain brun dont tu nous as rabattu les oreilles tout l'été… »

« Lily Evans! »

« Joan Smith! » la singea Lily en lui faisant une grimace.

Alexandra éclata de rire alors que Dorcas leur faisait les yeux ronds. Elle avait hâte que cette tâche soit terminée. C'était son tour après tout!

Dorcas poussa Joan dans le couloir et l'entraîna sans ménagement non loin d'une cabine d'où s'élevaient des cris et des rires. Elles ralentirent le pas en arrivant près de la cabine.

« Tu veux que je te fasse trébucher par hasard? » demanda Dorcas.

« Ça va pas non? J'ai pas envie de passer pour une parfaite idiote devant lui! »

Dorcas marmonna quelque chose.

« Quoi? »

« Oh rien! » fit-elle, l'air d'être plongée dans ses pensées.

Au moment où elles passaient devant la cabine, la porte glissa brusquement et Joan, minuscule comme elle l'était, fut frappée de plein fouet par l'objet de son désir.

« Oups! » s'exclama Sirius Black qui avait à peine senti la collision avec la petite Ravenclawienne. « Pardon! Je ne t'avais pas vue! »

Il aida Joan à se relever. Elle avait l'air parfaitement sonnée et Dorcas, qui ne bougea pas un petit doigt pour l'aider, mourait d'envie d'éclater de rire. Elle s'était adossée nonchalamment contre le mur et regardait avec amusement les têtes curieuses des trois garçons du compartiment.

« Hé Sirius! Déjà prêt à faire tomber toutes les filles? » se moqua un James Potter très à l'aise dans le cadre de porte.

Sirius Black sourit à son meilleur ami.

« Non, celle-là c'était pas voulu! Ça va aller? » demanda-t-il ensuite à Joan.

Celle-ci, incapable de parler, hocha simplement la tête. La blague de Potter lui était allée droit au cœur et son visage virait tranquillement en un splendide pourpre. Sirius avait-il réellement toutes les filles qu'il voulait?

Sirius se tourna et remarqua Dorcas qui souriait paisiblement à toute cette scène. Potter la vit également et s'exclama :

« Vous êtes des amies d'Evans? »

« Si on peut dire », lâcha Dorcas en souriant froidement maintenant.

Elle fit signe à Joan de continuer le chemin, mais cette dernière semblait figée devant Sirius qui tapotait ses propres vêtements froissés par l'altercation avec elle.

« On y va? » Elle appuya sur ses mots, afin que Joan se réveille sans avoir trop l'air gourde.

« Euh…oui! »

« Désolé encore », fit Sirius en lui souriant très gentiment.

En partant, il fixa Dorcas qui ne se gêna pas pour le fixer à son tour. Il esquissa un sourire, mais Dorcas était déjà partie, continuant son chemin vers les toilettes. Joan salua Sirius sans trop balbutier et rejoignit Dorcas en courant.

« Tu aurais pu m'attendre! »

« Pourquoi? Tu veux venir au petit coin avec moi peut-être? »

Dorcas lui tapota l'épaule.

« Alors? Contente? »

Le visage de Joan, dont la rougeur s'était un peu atténuée, redevint vif.

« Tu parles! J'ai eu l'air parfaitement ridicule! »

« Moi, j'appellerais plutôt cela une rencontre fulgurante! »

Joan éclata de rire.

« Mouais, ben c'est vrai que c'est déjà un petit quelque chose… Tu crois qu'il va me reparler? » demanda-t-elle sur un ton plein d'espoir.

« Je ne sais pas, avoua Dorcas. Mais sait-on jamais? »

Elle ne voulait pas offrir de fausse espérance à son amie, mais ne voulait pas non plus lui casser tout espoir.

Très satisfaite de ce début finalement, Joan décida de retourner à leur compartiment et de raconter aux filles ce qui venait de se passer.

Alors qu'elle s'aspergeait le visage, Dorcas songea à une chose qui la dérangeait. L'expression de Potter au moment où il leur demandait si elles étaient les amies de Lily. Elle ne pouvait dire pourquoi, mais cela la tracassait.

Elle sortit des toilettes et tomba face-à-face avec le visage blême de Severus Snape qui la regardait hargneusement.

« Qu'est-ce que t'as Snape? T'as la berlue? Tu viens de voir ton propre reflet dans le miroir? »

« Meadows, tu n'es qu'une… qu'une… »

« Qu'une quoi? »

Au lieu de répondre, Snape tourna les talons et repartit dans l'autre direction. Étonnée de ne pas recevoir une pluie d'injures de celui qui l'avait un jour appelée affectueusement « la grosse galoche » (elle lui avait marché sur un pied), Dorcas secoua sa tête bouclée et retourna vers son compartiment. En repassant devant celui des quatre gryffondors, Dorcas ne put s'empêcher de capter quelques-unes de leurs paroles et ce qu'elle entendit fut très loin de lui plaire.

« Quoi? s'exclamait la voix de Black. Tu crois qu'elles sont venues faire du repérage pour… James? »

« Ben oui, fit le petit Peter Pettigrew. J'ai déjà entendu des filles – elles savaient pas que j'étais là vous imaginez – parler de ce type de truc qu'elles font quand un gars leur plaît. »

«Tu délires Wormtail! » fit Sirius, mais James était toutes oreilles.

« Alors tu crois que les amies de Lily passaient pour voir où j'étais? »

« Ça me semble logique non? » répliqua faiblement Pettigrew.

« Et si elles ne faisaient que passer tout simplement? » suggéra Black au sommet de l'exaspération.

« Peut-être qu'elles venaient pour toi Sirius », dit Remus Lupin.

« Pourquoi pas après tout? répliqua Sirius, plutôt moqueur. Je suis beau mec non? »

Dorcas avait été stoppée net dans son élan vers son compartiment. Voilà que Potter se mettait en tête que Lily en pinçait pour lui! Elle fila tout droit pour raconter cela aux filles.

« Ah! Te voilà toi! s'exclama la noire Alexandra. C'était agréable aux toilettes? »

« Euh…? Écoutez! »

Puis elle leur narra ce qu'elle venait d'entendre. Alexandra se marrait.

« C'est la meilleure celle-là! Potter est vraiment dingue de toi Lily! » dit-elle en pouffant de rire.

« Il est surtout trop sûr et imbu de lui », rétorqua Lily avec un mince sourire aux lèvres.

« Je suis désolée Lil , s'excusa Joan. Je ne pensais pas… »

« Laisse tomber Jo, n'est-ce pas Lil? dit Dorcas alors que Lily acquiesçait. Bon tu as le béguin pour Black, ce n'est un secret pour aucune d'entre nous. Que tu veuilles le voir ne fait de mal à personne. Si Pettigrew n'admirait pas tant Potter, il ne se serait pas mis des idées farfelues dans la tête à ce propos. Tout le monde doit nécessairement en baver pour cet être sublime voyons! »

Les filles éclatèrent de rire.

« Sublime? Potter? Trouvez l'erreur! » dit Alexandra qui, comme Lily, était chez les Gryffindors et se serait bien passée des pitreries de ces quatre marioles.

« Oui, mais si maintenant Sirius croit que j'ai un faible pour lui…? » fit Joan d'une toute petite voix.

« Mais… mais! Mais c'est vrai! Ce n'est pas ce que tu veux? » éclata Lily.

« Ben oui, mais pas de cette façon. »

Les filles la regardèrent sans trop bien comprendre. Puis, brusquement, elles changèrent de sujet. Il valait mieux ne pas insister.

« Je crois qu'on ferait bien de se changer, dit Lily, nous sommes près d'arriver. »

Quelques vingt minutes plus tard, les lumières d'Hogwarts apparurent dans le ciel nocturne. Dorcas soupira d'aise.

« J'ai l'impression de revenir chez nous! »

Les filles hochèrent la tête. Non loin d'elles, dans un autre compartiment où discutaient avec animation quatre jeunes hommes considérés comme turbulents, la même pensée flottait dans l'air.

« Cher Hogwarts! s'exclama Sirius Black à ses amis. Prêts pour une autre année pleine d'aventures? » demanda-t-il à ses copains en se détournant de la fenêtre.

« Oh oui! » s'écrièrent en chœur ceux qu'on avait surnommé les Maraudeurs.

Ils firent leur signe secret, une espèce de poignée de mains fort compliquée puis attendirent en silence que le train cesse son mouvement.

Hogwarts les attendait et eux y retournaient avec plaisir.