Le parc était baigné dans la brume légère. Le pâle soleil de ce début de printemps se diffusait à travers les minuscules gouttelettes d'eau, donnant à la scène un aspect irréel. La neige avait fondu, laissant l'herbe tendre et verte recouvrir les terres. Par endroit, on devinait les tâches aux couleurs vives des premières fleurs sauvages. L'air était immobile et rien ne venait troubler le calme absolu du domaine. Près du lac, de longs trous béants s'alignaient sans fin. C'est un jour idéal pour enterrer les morts.
Laurianne se tenait assise devant sa fenêtre, les yeux perdus vers le ciel. Un pli soucieux barrait son front et son expression était amère. La culpabilité la rongeait. Elle ressentait les tombes creusées dehors comme autant de blessures qui ne guériraient jamais. Elle avait été arrogante et trop sûre d'elle-même. Elle aurait dû agir différemment et trouver un autre moyen de vaincre le Mage Noir. Ô ma Dame! Pardonnez-moi !
Elle avait révélé à l'Ordre du Phœnix sa vraie nature et elle avait appelé ses consœurs à la guerre. Il avait appris l'existence des Prêtresses à cause d'elle et avait enlevé Dorilys, et Ginny sans le savoir, pour abuser de leurs dons. Cela aurait dû être moi. Elle avait causé, presque directement, la mort d'Albus Dumbledore. Et tout cela avait mené à une bataille mortelle pour tant de monde. Mais j'ai choisi et je suis donc coupable…
Un bruit presque imperceptible lui fit tourner la tête. Remus était revenu dans leurs appartements et il l'observait, adossé contre le mur, son visage indéchiffrable.
« -Ce n'est pas toi qui les as tués.
-Ils sont pourtant morts par ma faute. »
Remus ne répondit rien. Ils avaient déjà eu cette conversation. Il connaissait ses arguments et ne pourrait la convaincre. Il se contenta de venir la prendre dans ses bras et de la serrer contre lui. Il sentit ses sanglots silencieux et l'humidité sur sa chemise. Il serra fortement les paupières, essayant de chasser ses propres larmes. Il n'avait pas l'habitude des larmes. Un loup-garou ne sait pas pleurer.
Mais était-il encore un loup-garou ? La révélation qu'il avait eue, sur ses vies passées, sur la véritable origine de la lycanthropie, l'avait poussé à travailler longuement sur lui-même. Tous les jours, il s'obligeait à méditer, apprivoisant le loup qu'il devenait chaque mois, se sentant progressivement en harmonie avec lui. Il voulait retrouver l'équilibre qui faisait un Gardien et non plus un loup-garou déchaîné. Lors de la Bataille, il avait déjà prouvé que la transformation pouvait être maîtrisée indépendamment de la lune.
Déjà, certaines limitations propres aux lycanthropes s'estompaient. Le plus troublant pour lui fut de se rendre compte que l'argent ne le blessait plus. Le chaos des combats ne lui avait pas permis de penser au pendentif offert par Laurianne. Et la chaîne autour de son cou était si fine qu'il l'avait oubliée. En passant devant un miroir, il avait aperçu un éclat blanc lumineux et s'était arrêté. Il était resté quelques secondes immobile, stupéfait, avant de sourire largement. La lune ne lui ferait plus peur.
Ils restèrent là, blottis l'un contre l'autre pour chercher le réconfort. Les minutes s'égrenèrent lentement Jusqu'à ce que, à regret, Laurianne se détache de l'étreinte de son fiancé. D'un geste vif du revers de la main, elle essuya ses larmes et composa une expression plus sereine.
« -Il est déjà l'heure ?
-Presque. Remus, je ne sais pas si je pourrai supporter la cérémonie…
-Il faut pourtant que nous leur disions au-revoir.
-Je sais.
-Allons-y, alors. »
Main dans la main, ils descendirent les escaliers du château jusqu'au Grand Hall. Une foule importante était présente. Des officiels du Ministère, les élèves, certains de leurs parents et les survivants de la bataille s'étaient réunis. Si ces derniers affichaient des mines sombres, les autres avaient du mal à voiler leur joie. Pour eux, c'était un jour de fête qui célébrait officiellement la fin du redouté Voldemort. Le couple se fraya un passage avec difficulté. Ils avaient aperçu Dorilys, isolée dans un recoin sombre.
La jeune fille se tenait très droite, ses robes brunes recouvertes en partie par un long voile noir, qui cachait ses cheveux et ombrait son visage. Un lourd médaillon ornementé pesait sur sa poitrine et ses mains crispées étaient bien trop blanches. Laurianne sentit son cœur se serrer. L'adolescente avait été forcée de devenir Haute-Prêtresse à quinze ans, bien avant la fin de sa formation. Jeune, si jeune… trop jeune.
Son calme apparent, lorsqu'elle avait appris la mort de sa grand-mère et seule famille, avait mis tout le monde mal à l'aise. Son esprit était fermé et rien ne filtrait de ses émotions. Je n'arrive même pas à l'atteindre… L'empathie de Laurianne était inutile et elle n'espérait plus vraiment venir en aide à sa jeune consœur. Puisse-t-elle trouver la paix !
La nouvelle directrice de Poudlard prit la parole d'une voix forte, interrompant les conversations. Devant les portes apparurent de nombreux cercueils, ensorcelés pour flotter seuls et couverts de fleurs odorantes. Elle invita tout le monde à former le cortège.
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La cérémonie fut éprouvante. Luna était soulagée que ce fut terminé – elle ne supportait plus de recevoir des condoléances. Elle était encore affaiblie et devait marcher en s'appuyant au bras de Neville. Le jeune homme boitait légèrement mais était autrement remis de ses blessures. Il avait changé. Désormais, nulle trace en lui de maladresse ou d'indécision. Il était plus affirmé et n'avait pas hésité à tenir tête à sa grand-mère, qui souhaitait le ramener chez eux pour sa convalescence. Survivre à une bataille avait parfois cet effet sur les gens.
La jeune fille se demandait parfois si elle avait bien agi. Si sa nature ne la poussait pas à l'introspection, elle ressentait comme une sorte de pincement au cœur, un regret de ne pas avoir prévenu ses amis de ce qui les attendaient au Ministère. Pourtant, même si elle ignorait encore pourquoi, elle savait qu'aucune de ces morts n'avaient été vaines. Cela ne rendrait pas le bonheur aux Weasley ni la sérénité aux autres mais elle devinait que tout cela participait à un dessein plus grand, qui avait permis la mort du Mage Noir.
Plus loin devant elle, elle aperçut Harry, tâche brune au milieu des chevelures rousses. Ginny était blottie dans ses bras, cachant ses larmes dans les robes de son petit-ami. La courageuse Gryffondor s'était effondrée après la bataille. Elle semblait désormais aussi fragile qu'un poussin d'un jour et recherchait la protection. Elle serait longue à guérir. Mais elle s'en remettrait. Ils se remettraient tous, ses visions le lui avaient montré. Même Padma…
Un peu à l'écart, escortée par un homme vêtu des robes de Ste Mangouste, sa condisciple observait les tombes. Les drogues des guérisseurs l'avaient rendue calme et docile. Elle était immobile, faisant face aux tombes côte à côte de sa jumelle et du garçon qu'elle aimait. Elle avait beaucoup insisté là-dessus, poliment, et les médicomages avaient vu là quelque chose de sain. Le début du deuil et l'acceptation. Un pas en avant vers la guérison.
La jeune fille s'était laissé embrasser avec un léger sourire par ses parents, bouleversés de la mort de leur autre fille. Nul n'aurait deviné la haine et les projets de vengeance qu'elle nourrissait en son sein. Padma était intelligente, sans quoi elle n'aurait pas été à Serdaigle. Et elle devait savoir qu'elle ne sortirait pas de Ste Mangouste tant qu'elle montrerait des signes de désordres mentaux.
Luna soupira et se détourna de son amie. Elle devrait suivre sa propre route à présent et trouver la paix elle-même. Neville se redressa soudain et fit signe à quelqu'un, un peu plus loin. Luna aperçut Hermione et ses parents moldus, très pâles. Ils avaient appris les derniers évènements par la Gazette du Sorcier, à laquelle ils étaient abonnés. Lorsque le couple avait réalisé tous les risques que leur fille unique avait courus, il avait très mal pris la chose.
La Serdaigle se souvenait encore de l'arrivée des Granger à l'infirmerie de Poudlard, grâce à un portoloin offert par le Ministère. Luna savait maintenant que les moldus n'avaient pas besoin de magie pour imiter une beuglante. La mère d'Hermione possédait une voix pénétrante et le don d'appuyer là où ça ferait mal. Ses parents lui avaient passé un savon magistral, allant du chantage affectif jusqu'aux menaces de séquestration à vie, avant de la prendre dans leurs bras pour la consoler lorsqu'elle avait éclaté en sanglots hystériques.
Luna revint au présent pour sourire doucement à Hermione, qui guidait ses parents vers eux. La Gryffondor avait les joues marbrées par les traces de larmes. Elle avait pleuré ses amis avec dignité et essayait de faire front, pour les autres. Elle était très courageuse, Hermione. La jeune fille cachait autant que possible son sentiment de culpabilité. Elle était persuadée qu'elle aurait pu sauver Ron. Mais elle était raisonnable et Luna espérait qu'elle comprendrait vite qu'elle n'avait rien à se reprocher. Le petit groupe discuta un moment avant de se séparer.
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N'ayant miraculeusement pas été blessé pendant les combats, Severus Rogue avait été réquisitionné par l'infirmière. Il avait assisté à l'intervention des parents de Granger et avait apprécié la colère des deux moldus. Bien que cela le dégoutte d'approuver des non-sorciers… Une fille aussi intelligente aurait du être la voix de la conscience et empêcher ses amis de se jeter – encore une fois – dans la gueule du loup. Il oubliait volontairement que cela avait permis de mettre fin au règne de Lord Voldemort.
A l'arrivée du couple moldu, il était occupé à soigner Nymphadora Tonks. Il avait tout fait pour ne pas s'en occuper mais Mme Pomfresh ne lui avait pas laissé le choix. La jeune femme avait pris un sort dans le dos. A sa place. Elle s'était stupidement interposée entre lui et un mangemort déterminé à éliminer le traître. Il haïssait se sentir redevable envers quelqu'un. Il haïssait se sentir coupable. Et il haïssait plus que tout le sentiment qui lui nouait le ventre en voyant ses blessures. Il n'admettrait jamais qu'il s'inquiétait pour elle.
Par contre, il aurait aimé pouvoir faire souffrir le coupable. Longuement. Grinçant des dents, il commença à neutraliser les effets les plus dangereux du sortilège, avant de nettoyer les plaies. La guérison serait lente. Il allait encore devoir soigner la jeune femme. Plongé dans d'étranges souvenirs, il passa plus de temps que nécessaire à installer les bandages sur son dos. Elle se passerait de potion au radis cette fois. Le professeur habituellement impassible avait les joues empourprées, soudainement.
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Dorilys se sentait glacée à l'intérieur. Depuis sa capture, elle n'était plus vraiment elle-même. Trop de souffrance, trop de choses brisées. Jamais plus elle ne sentirait le parfum de sa grand-mère lorsqu'elle venait la border, tard dans la nuit, alors qu'elle pensait la trouver endormie. Jamais plus elle ne pourrait agir avec insouciance. Son enfance était définitivement partie. Et, dans son esprit, elle entendait le Chant de la Terre. Elle n'avait pas fini sa formation ; elle n'en avait pas eu le temps. Et pourtant, elle avait tous les pouvoirs, tous les dons de la Haute-Prêtresse de la Terre. A quinze ans.
Elle entendit un léger bruit de pas derrière elle et reconnut la présence silencieuse. Elle réprima un mouvement de recul lorsqu'il posa une main sur son épaule. Elle ne supportait plus aucun contact, physique ou spirituel. L'adolescente s'obligea pourtant à se détendre et fit face à Sirius Black. Elle cilla. Elle ne s'y habituerait jamais. Elle distinguait clairement l'éclat particulier de son aura, l'aura de quelqu'un touché par le divin. Elle avait un peu peur de lui aussi. Il semblait encore si… sauvage. Comme s'il avait du mal à s'adapter de nouveau aux conventions sociales.
L'Avatar de Dana se racla la gorge.
« Tu ne devrais pas rester seule, petite. »
Dorilys voulut lui répondre vertement qu'elle était presque aussi grande que lui mais s'interrompit brusquement, les mots mourant sur ses lèvres. Il ne parlait pas de rester seule ici. Il parlait de la solitude dans laquelle elle s'enfermait volontairement pour ne plus souffrir. Si elle ne laissait personne la toucher, alors elle n'aurait plus jamais mal. Elle croisa son regard et se mit à balbutier une protestation maladroite, le dos rigide.
Sirius détourna les yeux. Elle avait la même attitude que lui. Quand la vie la blessait, elle se fermait et rejetait tout le monde. Il avait fait pareil, à Askaban, après la mort de son presque-frère. A son âge, ce n'était pas sain. Il reprit la parole, sans la regarder.
« -Tu devrais parler à quelqu'un, aussi. Ca te fera du bien.
-Je n'ai besoin de rien et certainement pas de parler à qui que ce soit. Ma vie ne vous regarde pas.
-Malheureusement pour toi, on m'a bien fait comprendre que si. Tu vas devoir me supporter un moment, fillette. Je vais apparemment devenir plus ou moins ton tuteur. »
L'adolescente ouvrit la bouche comme un poisson hors de l'eau. Un tuteur ! Mais elle ne voulait pas de tuteur ! Elle ne pouvait pas être d'accord avec cette décision.
« Et au cas où tu songerais à contester cela, sache que cela vient de Dana elle-même. Je n'ai aucune idée du pourquoi ça me retombe dessus. Mais j'ai ordre de te remettre d'aplomb. Non, parce que si tu continues comme ça, tu vas finir en vieux machin aigri et tout desséché, comme Rogue. »
Dorilys gloussa et cacha sa bouche de ses mains, surprise de s'être laissé distraire si facilement.
Sirius se tourna à moitié et sourit narquoisement. Il avait toujours su faire rire les filles. Et la gamine en avait bien besoin.
« -Allez, viens. Les autres doivent nous attendre. Apparemment, le Ministère a prévu une remise de médailles et un banquet. J'ai toujours rêvé d'avoir une médaille ! Tu crois que je pourrai la porter en collier ? Ca m'irait bien, un gros collier en cuir rouge, avec une médaille à mon nom…
-Pardon ? Je ne suis pas certaine que ce soit de très bon goût. Euh… On fait ça surtout pour les chiens, d'habitude. »
Sirius partit d'un grand rire et refusa de lui expliquer, laissant la jeune fille s'interroger sur sa santé mentale.
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La remise des médailles fut une épreuve pour tous. Le Ministre Fudge déclama un discours interminable et soporifique avec une bonne humeur déplacée pour l'occasion. Il s'était un peu trop bien remis de ses épreuves récentes. Il réussit l'exploit de laisser croire que tout avait été soigneusement planifié par ses soins. D'après lui, il avait du se résigner à disparaître un moment pour organiser les choses et sauver le monde magique. Quelques ricanements cyniques se firent entendre parmi les invités. Il manquait un peu de crédibilité.
La réception se prolongea longuement. Les gens se pressaient vers les buffets dressés par les elfes de maison dans la Grande Salle. Le Ministère avait confirmé l'attribution de terres aux prêtresses de Dana, à la limite de Poudlard, pour y dresser un temple. Le monde magique mourait de curiosité envers ses femmes. Sous l'assaut des questions incessantes des journalistes et des badauds, la plupart des religieuses et des médaillés se retirèrent précipitamment. Aucun d'eux n'avait vraiment envie de décrire les détails sordides de leur combat et ils choisirent de laisser la foule avide d'héroïsme trouver d'autres proies.
Parmi les premiers à partir, un petit groupe se retrouva dans la Salle Commune de Gryffondor. Luna critiquait abondement les différences avec sa propre Salle Commune, arrachant des protestations de plus en plus vigoureuses à Ginny. Harry eut un pauvre sourire en comprenant ce qu'elle faisait. Elle était fine, Luna, bien plus qu'on ne le pensait, et elle aimait aider les gens. Un sanglot étouffé le tira de ses réflexions. Il vit Hermione essuyer vivement des larmes sur ses joues. Elle surprit son regard et souffla doucement alors qu'il lui pressait la main.
« Il devrait être avec nous. Mais ça va aller. Il va juste nous falloir du temps… »
Laurianne était blottie dans les bras rassurants de Remus et luttait contre la sensation nauséeuse qu'elle ressentait depuis la bataille. Elle avait très envie de pleurer, là, tout de suite. J'ai toujours envie de pleurer, en fait. Elle fit la moue, s'agaçant de sa propre faiblesse. Elle sentit l'amusement dans les pensées de Remus. Depuis qu'elle avait formé un lien avec lui pour lui servir de source magique, ils étaient toujours l'un avec l'autre.
Elle se tourna vers lui, énervée et siffla dans un murmure.
« -Je peux savoir ce qui t'amuse ?
-Rien, rien. Juste une idée qui m'a traversé.
-J'ai l'impression que tu me caches quelque chose, depuis quelques jours...
-Ne t'en fais pas. Tu sauras dans quelques temps, je t'assure. Et puis, je suis sûr que tu aimes les surprises. »
Laurianne se mit à bouder et lui tira la langue. Elle était bien trop curieuse pour les aimer, les surprises…
Sirius observait en silence, un léger sourire aux lèvres, Dorilys à ses cotés. La petite se tenait toujours très droite, inexpressive, mais semblait déjà moins renfermée que tout à l'heure. Une première victoire pour lui. Il avait bien compris, lui la fameuse surprise de Remus. Il s'étonnait d'ailleurs que Laurianne ne le sache pas. Elle brillait littéralement. Il sentit Dorilys s'agiter un peu sur le sofa. Jetant un coup d'œil, il vit son regard plissé de concentration, puis le léger écarquillement. Le premier vrai sourire joyeux depuis la mort de sa grand-mère s'épanouit sur ses lèvres. Elle se tourna vers lui et lui chuchota.
« Elle est enceinte, c'est ça ? »
