Le p'tit mot d'Owlie :
Quand je pense qu'en postant Novembre, j'envisageai ce chapitre comme une simple formalité. Je me trompais. Depuis plus d'un an, Décembre a triplé de volume. Beaucoup de choses s'y passent, certaines changent. La réécriture et la correction ont été compliquées. Mais il est là désormais. Depuis le temps que je suis dessus, j'ai du mal à y croire, pour tout vous avouer. Et je flippe un peu (beaucoup), comme à chaque fois.
Merci à tous pour vos reviews, vos messages sur ce site ou sur LJ. Sans, ma motivation se serait éteinte depuis bien longtemps je crois. J'ai normalement répondu à tout le monde (avec beaucoup de retard parfois, il faut me pardonner) sur ce site pour les membres connectés ou sur LJ pour les commentaires anonymes.
Mille mercis à Sundae Vanille (sur ce site) qui a eu la lourde tâche de supporter mes crises de doutes et d'affronter par morceaux ce chapitre encore à l'état sauvage. Sun, sans toi et tes précieux conseils (ça ne se voit peut-être pas, mais je t'ai écoutée!), j'aurais mis encore dix ans, je crois ! (si tu relis le chapitre, tu me dirais si certaines choses apparaissent maintenant que tu sais).
Il n'est pas impossible qu'il reste malgré tout des coquilles et des fautes de frappe (sans compter sur ce site qui mange les mots parfois). J'espère que votre lecture n'en pâtira pas.
Le chapitre est vraiment long. N'hésitez pas à faire des pauses dès que vous apercevez ça: oOoOo
Disclaimer : L'univers d'Harry Potter appartient à JKR. Il se cache dans ce chapitre une référence à Wakfu, propriété d'Ankama, et à l'anime Cowboy Bebop. "It's coming home" est une référence à "Three lions", qui était l'hymne de l'Angleterre pour le championnat d'Europe en 1996 et le mondial 1998 (je vous interdis de dire que vous n'étiez pas né(es) à ce moment là!), plutôt sympa à écouter. La citation sur la normalité est attribuée à Van Gogh.
Décembre : La nouvelle June
Dès les premiers jours de décembre, la pluie laissa définitivement place à la neige. Et malgré mes efforts, je dus, comme nombre de mes camarades, retourner auprès de Mme Pomfresh chercher de la Pimentine. Le changement de temps n'est sûrement pas le seul à blâmer. Traîner dans la tempête le jour du match (Andy, grippée et contrainte de garder le lit quelques jours n'a pas manqué de m'en accuser !), puis réitérer (même sous un parapluie) le week-end suivant n'a pas dû aider. Pas plus que les cours en extérieur. Autant, dans la serre, nous étions plutôt protégés (du temps uniquement, pas des foudres du professeur Chourave, les nerfs mis à vif par les pétrifications et le développement de ses Mandragores). Autant en Soins, c'était plus compliqué.
Le professeur Brûlopot nous avait demandé de prêter main forte à Hagrid pour inspecter la lisière de la forêt puis construire et poser des pièges afin de protéger ses poules. Un renard (mais notre garde-chasse avait envie d'y voir une créature un peu plus spectaculaire) avait sûrement décidé d'en faire son garde-manger. Et selon Brûlopot, il n'y avait pas de basses besognes. C'est en nous expliquant cela qu'il se donna un coup de marteau sur le doigt et se couvrit d'un pansement supplémentaire.
Sa proposition fut loin de déclencher l'enthousiasme des foules. Pour notre défense, il était à peine huit heures du matin, l'aube était encore grise et glacée, les températures négatives et nous avions à peu près tous frôlés la mort en descendant les pentes givrées et glissantes menant à la maison d'Hagrid. Néanmoins quand quelques minutes après, aux aboiements de Crockdur, aux froufroutements des plumes, suivis des cris d'Hagrid, nous avons compris qu'une évasion massive était en cours du côté du poulailler, il y eut plus d'un volontaire pour se saisir d'un des marteaux et se proposer de tout réparer.
Et selon une répartition a priori aléatoire, mais au fond terriblement sexiste, les garçons furent chargés du gros œuvre (boucher le trou sous la clôture et monter les pièges), alors que la gente féminine se lança à la poursuite des volatiles.
Enfin, à une exception près.
— Tu ne devrais pas rester avec eux ? ai-je demandé à Patch alors qu'il m'avait emboîté le pas au moment où je m'éloignais du groupe à la recherche d'un des poulets fugueurs.
Les mâles des quatre maisons s'étaient mis au travail, quittant virilement leurs manteaux et jouant de la scie et du marteau avec plus ou moins d'habileté. Le départ du Poufsouffle n'avait échappé à personne et avait provoqué quelques moqueries.
Egal à lui-même, emmitouflé dans sa doudoune, ses deux écharpes et son bonnet, Patch haussa les épaules et laissa échapper un sourire.
— Libre à eux de faire étalage de leur virilité, dit-il dans un bâillement avant de s'étirer. Mais pour moi, hors de question de rester à proximité de Brûlopot et d'un marteau ! Je tiens encore à la vie.
Un reniflement amusé m'échappa. L'un d'entre eux s'en mordrait sûrement les doigts (s'ils n'en perdaient pas un non plus d'ici là !). Patch ne manqua d'ailleurs pas d'ajouter que lorsqu'ils seraient tous blessés, morts ou affreusement mutilés, lui et sa chasse au poulet seraient reconnus comme le summum de la virilité.
Pour être honnête, j'aurais moi aussi pu rester à l'atelier bricolage (Dorys, sous Pimentine, y avait été contrainte), mais il y avait encore dans les environs des personnes que je préférais éviter… Mieux valait balader fraîchement (mais tranquillement) que de bricoler en mauvaise compagnie.
Que ce soit clair, Journal, j'étais toujours aussi déterminée à ne plus me laisser impressionner ou influencer par Olivier. L'ennui, c'est que je ne pouvais pas dire si lui était prêt à en faire autant. Résolue à ne pas m'y intéresser, j'en étais réduite à ce que les filles me disaient à ce sujet, à savoir qu'il n'avait pas l'air de digérer mon dernier coup d'éclat (comme à peu près tout le monde, j'ai l'impression, puisque chacun semblait avoir, à ce propos, son opinion).
La Nouvelle June avait beau être forte de ses résolutions, elle pouvait toujours compter sur Stupide Olivier pour ses… eh bien, ses stupidités. Autant ne pas m'y risquer.
Cela dit, notre mission n'était guère enviable. Crockdur s'étant fait un plaisir de courir après les poules à peine échappées, elles s'étaient éparpillées sur les pelouses de l'école, trouvant également refuge dans les fourrés de la lisière de la Forêt. Nous avions interdiction formelle d'utiliser la magie, histoire d'éviter de les blesser et d'un peu plus les traumatiser.
— Hé Tierney, je peux chasser avec toi ?
Surprise, je fis volte-face pour découvrir Patch, quelques mètres derrière moi, un épais panache de fumée s'échappant de sa bouche dès qu'il expirait.
Pour une raison qui m'échappait (et qui défiait toute logique puisqu'il m'avait plus habituée ces dernières semaines à me fuir qu'à rechercher ma compagnie), le préfet avait continué à me suivre alors que je m'éloignais du poulailler. Je mis quelques secondes à répondre, délai dont il profita pour me rejoindre en quelques foulées. En fait, je n'ai même pas eu à le faire. Comme si l'Univers lui-même validait l'idée, un caquètement tout proche m'en a empêché.
Que ce soit clair, courir derrière des poulets, dans le froid d'un matin glacial de décembre et la neige fraîchement tombée, n'est pas franchement le meilleur moyen de commencer la journée. Et si au début nous avions ri de l'interdiction de faire usage de la magie (avec les années, grâce à Brûlopot, on avait vu bien pire qu'une poula vulgata), au bout de quelques tentatives ratées qui se sont soldées par autant de chutes dans la poudreuse ou les buissons enneigés, nous avons fini par le regretter.
Rien n'y a fait. Patch et moi avons tout essayé. La course, les dérapages, les changements de directions intempestifs, le rabattage, les manœuvres d'encerclement… Honnêtement, Lord Nelson n'aurait pas mieux fait.
Pour tout te dire, Journal, nous pensions même tenir la solution en essayant d'assommer cette maudite volaille à coups de boules de neige. Je ne me souviens plus comment ou pourquoi, mais à un moment, ça nous a paru être une grande idée. Jusqu'à ce qu'Hagrid nous voie et nous passe un savon. De là, je dois reconnaître que les choses ont légèrement dégénéré (en bataille de boule de neige notamment) quand, en voulant prouver à notre garde-chasse que ses poules ne craignaient rien (du moins, c'est ce qu'il a prétexté), Patch m'en lança une justement. De boule de neige, j'entends. En pleine tête et à bout portant.
Au bout de vingt minutes, il nous a fallu reconnaître l'évidence : Patch et moi étions de piètres chasseurs, d'encore plus mauvais stratèges (même si je nous soupçonne de nous être lancés à la poursuite du cerveau du poulailler, sûrement la cocotte à avoir initié la grande évasion). Mais au moins, nous nous amusions. Un peu trop puisque nous étions la seule équipe à revenir le souffle court, les joues rosies, trempés, le sourire aux lèvres, et les mains désespérément vides.
— Lâchés dans la nature, on ne ferait pas long feu, reconnut le Poufsouffle alors que nous repartions en quête de notre poule, sous les railleries de ses camarades de maison. Bon, assez plaisanté, Tierney ! reprit-il avec sérieux, enfonçant un peu plus son bonnet sur sa tête. J'ai un honneur à sauver !
Avec un sourire, j'acquiesçai d'un hochement de tête et m'approchai d'un des bosquets. Dans l'action jusqu'ici, je n'avais pas eu le temps d'y penser, mais je réalisai que malgré notre incompétence manifeste à mettre la main sur cette satanée poule, Patch semblait apprécier ma présence.
Et contrairement au côté solennel qu'il souhaitait donner à cette nouvelle tentative de chasse, il n'arrêtait pas de rire et de plaisanter. Ce n'était pas arrivé depuis ce fameux jour où, devant l'infirmerie, j'avais deviné (ou cru deviner) pour lui et ma meilleure amie.
— Tu ne sors pas avec Andy, pas vrai ?
Oui, je sais. Ce n'est pas ce que j'ai fait de plus subtil et de délicat. L'embarras me fit pincer les lèvres. Tant pis, je l'avais fait. La Nouvelle June en avait marre des secrets. La Nouvelle June avait décidé de ne plus se laisser piétiner. La Nouvelle June comptait confronter les gens aux mensonges qu'ils proféraient.
Cela dit, la Nouvelle June n'avait pas encore trouvé le courage d'aller s'en prendre aux principaux concernés (elle n'avait surtout pas encore le courage de s'avouer que ça puisse être vrai, avec tous les mensonges, les non-dits, les trahisons que cela impliquait). Alors elle préférait pour l'instant écarter toutes les autres possibilités. L'ami préfet avait, pour une fois, choisi ma compagnie de son plein gré et ne paraissait pas déterminé à prendre la fuite à chaque instant… Autant en profiter.
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne l'avait pas vu venir ! Sortant la tête du buisson enneigé dans laquelle il l'avait plongée, il s'arrêta net, ahuri, et m'observa avec de grands yeux, avant d'éclater de rire.
— J'en connais une qui a dû se prendre un coup de marteau… Comment tu t'es débrouillée ? On n'y est pourtant pas restés longt…
— Patch, je ne plaisante pas !
La note grave dans ma voix le désarçonna. Le Poufsouffle me dévisagea un instant, alors que son éternel sourire s'évaporait lentement.
— Merlin, non ! grimaça-t-il épouvanté, constatant que j'étais on ne pouvait plus sérieuse. Tierney, ça va pas ! Pourquoi ?
Maintenant que je l'avais formulé à haute-voix, avec ce que j'avais découvert sur ma meilleure amie, je me doutais que j'avais fait fausse route depuis le début. Mais quand même… sa réaction était presque vexante.
— Tu te parfumes pour une fille, ai-je expliqué, un peu pincée. Et Andy a l'air amoureuse !
— Heureusement pour moi que Percy n'a pas l'air amoureux ! s'exclama Patch en me lançant un regard de travers. Tu nous aurais sûrement déjà mariés !
Fier de sa répartie, il se mit à ricaner. Pour le coup, je ne partageais pas son hilarité. Déjà parce qu'il existait tout un tas d'autres raisons d'imaginer que lui et Andy puissent avoir une idylle. Sur l'instant, j'ai même regretté d'avoir eu de la peine pour lui quand j'ai su ce que ma meilleure amie faisait avec Flaherty.
Ensuite parce que j'aurais très bien pu lui faire ravaler son sourire moqueur en lui expliquant que Percy était amoureux. Il ne le disait pas à la principale intéressée qui en souffrait réellement, mais il l'était, c'était évident.
— Vous iriez bien ensemble, ai-je simplement expliqué en redressant fièrement le menton, froissée, avant d'aussitôt préciser. Je veux dire toi et Andy !
Pas lui et Percy, même s'ils formeraient sûrement un couple très mignon ! Une légère grimace m'a toutefois échappé quand j'ai imaginé ce couple improbable de préfets. Principalement parce que, dans mon esprit, Patch se retrouvait affublé de la longue chevelure de Penny.
Que le Poufsouffle éclate de rire (et va savoir ce que lui avait en tête !) m'arracha à cette étrange pensée.
— Et tu n'as aucune idée de qui Andy pourrait être amoureuse ? ai-je demandé, d'une voix moins assurée et moins détachée que je ne l'aurais souhaitée.
Prêt à en rire, Patch haussa les sourcils d'un air entendu (si quelqu'un devait savoir de qui était amoureuse Andy, c'était, a priori, sa meilleure amie !) mais il se ressaisit en posant les yeux sur moi. Je ne plaisantais pas. J'attendais sa réponse, réellement.
S'il savait pour Dean et Andy (et le connaissant, il serait forcément au courant), il ne me mentirait pas. Il n'oserait pas. En tous cas, je me rattachais à cette idée. Le Poufsouffle soutint mon regard avant de secouer la tête. Une seconde me fut nécessaire pour comprendre qu'en cet instant, je ressentais du soulagement. Non, Patch ne savait pas. Soit ils s'étaient montrés discrets, soit… soit je m'étais trompée, encore une fois. C'est ce que je me suis répétée en tous cas, alors que lentement mais sûrement, ma gorge se serrait.
Sentant que Patch m'observait désormais avec intérêt, je me dirigeai vers un autre bosquet.
— Et je suppose que tu ne me diras pas non plus de qui tu es amoureux, toi… ai-je repris d'une voix traînante.
Le Poufsouffle ne fut pas dupe cette fois, et ne se laissa pas attendrir.
— C'est légal ? ai-je fini par tenter d'un air innocent.
— Tierney !
Ce fut à mon tour d'esquisser un sourire.
— C'est légal, reprit Patch avec un sérieux amusé. Et ce n'est pas Andy ! Pas plus qu'une autre des tes amies !
Je levai les yeux au ciel, le croyant à moitié. Il ferait mieux de me dire la vérité, je finirai bien par trouver.
— Et pendant qu'on y est, ce n'est pas toi non plus !
Le préfet mit quelques secondes et quelques buissons à réaliser que je m'étais arrêtée. Choquée, les yeux écarquillés, figée. Son éclat de rire me sortit de ma stupeur.
— Ah ben, merci ! fit-il d'un air exagérément renfrogné. Ça fait plaisir !
Piquée, je m'ébrouai et me remis à marcher. Pour ma défense, cette possibilité ne m'avait jamais traversé l'esprit. J'adore Patch, mais pas dans ce sens-là. Je ne l'ai jamais vu, jamais envisagé comme ça. Patch est juste Patch, il se comporte comme ça avec tout le monde, pas juste moi. Et je sais que lui aussi ne me voit pas de cette façon. Pour le coup, il n'y avait pas de doute à avoir, aucune ambigüité. C'est justement pour ça qu'il peut parfois se permettre quelques comportements déplacés. Comme à cet instant précis se tourner vers moi toutes lèvres dehors. Pas de séduction, juste l'envie de me chambrer.
Il n'y avait d'ailleurs guère plus de séduction dans le coup sur l'épaule que je lui décernai.
Je reconnais cependant que je ne suis pas réputée pour mon discernement en la matière. La dernière fois que j'ai senti un semblant de séduction dans une discussion, c'était avec Darren. Et pas de ma part à moi. En fait, la discussion était tellement dégoulinante de séduction que j'en avais sûrement eu ma dose pour les vingt prochaines années.
Prêt à ajouter quelque chose, Patch ouvrit la bouche avant de soudainement s'interrompre. Immobile, il leva la main pour me demander de faire de même. Je tendis l'oreille. La neige étouffait tous les sons, le silence seulement rompu par le craquement de la croûte glacée sous nos pas, et les bruits lointains du groupe des bâtisseurs. J'allais insister pour avoir des explications quand mon ami préfet posa son index sur sa bouche, m'intimant de garder le silence encore un instant. Et c'est là que je l'ai entendu. Un faible caquètement, provenant d'un buisson à proximité. A pas de loups, nous avons contourné l'arbre qui nous en séparait.
Notre proie était là, les pattes enfoncées dans la poudreuse.
— Je fais diversion pendant que tu l'attrapes, proposa le préfet dans un chuchotement.
Un léger ricanement m'a échappé.
— Non, je n'y touche pas, désolée.
— Et pourquoi ? demanda Patch surpris.
Je ne pouvais décemment pas dire la vérité. A savoir que je n'avais jamais touché une poule en vrai et que j'avais bien l'intention de continuer (ma malédiction, un bec, des pattes pointues… et ce sont les poules d'Hagrid, va savoir avec quelle créature il les a secrètement croisées !).
— Cat va me faire une crise de jalousie s'il sent l'odeur d'un autre volatile. Même d'un poulet. Donc, non merci.
Sur le point d'éclater de rire (oui, j'admets, l'excuse était moisie), Patch se reprit cependant avant de se tourner vers moi, le regard pétillant.
— Et question Catapulte et jalousie, tu t'y connais, pas vrai ? répliqua-t-il d'un air entendu.
C'était facile et loin d'être drôle. Le mieux à faire était de ne pas répondre. La Nouvelle June était passée à autre chose.
Et que ce soit clair Journal, Cat vivait effectivement très mal la situation. Même lui se rendait compte que les choses avaient changé. Parfois, à sa façon de sautiller sur la table du petit-déjeuner en hululant, j'avais l'impression qu'il cherchait Dubois.
Encore que, à mon avis, c'est surtout Llewellyn, sa chouette, qui lui manquait. Ça me peine de l'admettre mais Cat est une sorte de Darren version hibou.
Patch pouvait tourner en dérision mon refus de toucher la cocotte, il n'était guère plus rassuré et plus à l'aise que moi à l'idée de la prendre dans ses bras. Pour autant, il n'en dit rien et s'armant de courage, bondit en direction du poulet.
Trois essais lui furent nécessaires. Et au dernier, il a presque assommé la poule en lui tombant dessus. Mais elle était bien vivante quand il s'est relevé, battant des ailes frénétiquement et hurlant tout ce qu'elle savait.
A bout de bras, la tenant aussi loin de lui qu'il le pouvait, Patch ouvrit la marche, et nous sommes retournés à la cabane d'Hagrid en courant.
Ce n'était peut-être pas le retour triomphant dont mon ami Poufsouffle avait rêvé (il n'y avait rien de très virile dans la façon dont il tenait sa proie) mais son honneur de chasseur était sauf. Enfin, jusqu'à ce qu'Hagrid se fende d'un éclat de rire sonore.
— C'est une poule, pas une bombe, déclara-t-il en libérant enfin le préfet.
Patch laissa échapper un rire un peu jaune avant de soupirer de soulagement, pas mécontent d'enfin pouvoir relâcher la bête. De ce que nous avons vus, les autres n'avaient pas vraiment fait mieux (et ça risquait de faire la journée de notre garde-chasse). La relève de la nation sorcière parvenait à soigner et tripatouiller tout un tas de bestioles magiques, mais s'était retrouvée mise à mal par quelques poulets.
— Je suis blessé ! se défendit le Poufsouffle, froissé, exhibant l'une de ses mains.
Personne n'était dupe. Il n'avait échappé à personne qu'il le faisait principalement en réponse à la remarque d'Hagrid. Mais l'index serré dans son poing, Patch n'en démordit pas et me prit à témoin.
— Je saigne, ajouta-t-il, brandissant sa blessure sous mon nez.
Levant les yeux au ciel, je repoussai loin de moi son doigt presque violet désormais où une petite goutte de sang avait perlé (à force d'appuyer dessus, il avait réussi à faire saigner une microcoupure).
— C'est la poule, geignit Patch. Elle m'a mordue !
— Pincé ? ai-je rectifié.
— Non, mordu !
Nos camarades, réunis autour du poulailler, éclatèrent de rire. Mais Patch ne voulut rien entendre, recevant de la part de Brûlopot un soutien inattendu.
— Vous l'ignorez peut-être, fit notre enseignant avec sérieux, se tournant vers nous un marteau à la main, mais il aurait existé dans certaines régions de Chine une variété de poule, la pulla mortitia, surnommée « poule tueuse » et réputée pour être mangeuse d'hommes.
Le silence se fit soudainement, et les regards dérivèrent lentement en direction du poulailler.
— Réputée seulement, reprit avec enthousiaste Brûlopot, car il s'agirait cependant plutôt de pullae dentaliae qui, elles, existent réellement et s'attaquent plutôt, et bien volontiers, aux membres isolés de troupeaux, le plus souvent des moutons, parfois des vaches quand elles en ont l'occasion. Et comme leur nom l'indique, elles sont dotées d'une certaine dentition…
Du coin de l'œil, je vis Patch observer d'un regard nouveau son petit bobo.
— Comment y parvenaient-elles, me direz-vous ? Eh bien, elles sécrétaient un poison redoutable, via leurs canaux dentaires, qui leur permettait de ramollir et liquéfier les chairs de leur proie, de telle façon que…
A ce stade, le Poufsouffle n'avait plus besoin de poison redoutable pour se liquéfier. Il était évident que les poules d'Hagrid n'étaient pas des pullae dentaliae. Mais Brûlopot (imperturbable et satisfait d'avoir toute notre attention et de nous apprendre quelque chose), décrivant par le menu les atroces souffrances que la morsure d'une poule à dents provoquait, était parvenu à instiller le doute en lui (et chez certains autres qui s'écartèrent discrètement mais suffisamment de la clôture tout juste réparée).
— Hagrid, vous ne possédez pas de pulla dentalia ? ai-je demandé en me tournant vers notre garde-chasse, alors que Patch était en train de changer de couleur.
Un grognement amusé échappa à Hagrid, qui répondit par la négative. Quelque chose me disait toutefois qu'il aurait bien aimé. Sans ajouter un mot, il se pencha pour attraper la boîte à pharmacie et me la tendre. Le cours de Soins était le seul où nous disposions d'une infirmerie portable. Et la plupart du temps, elle était à l'usage unique de notre enseignant. L'ouvrant, je me saisis d'une potion désinfectante et d'un pansement.
— Je vais mourir, Tierney ! fit Patch catastrophé, alors que je le rejoignais et retirais à mon tour mes gants. Avec ta malchance, c'est forcément une pulla dentalia, pas vrai ?
Haussant un sourcil, je faillis lui rappeler que ma malédiction n'était pas contagieuse, mais je préférai m'abstenir. Pour une fois que j'étais épargnée (même d'une petite égratignure de rien du tout), je ne voulais pas prendre le risque de m'en vanter.
Alors qu'un peu plus loin, Brûlopot venait de conclure son exposé improvisé, je secouai la tête et désinfectai la plaie, avant d'y mettre un pansement. « Trop serré », selon un Patch gémissant, je dus toutefois le retirer.
Ce fut le coup de grâce pour les autres élèves du cours (les Poufsouffles et les Serpentards en tête), qui se firent une joie de se moquer du douillet préfet.
— Tu ne veux pas non plus un bisou magique ? ricana Walken acide.
Sa pique provoqua l'hilarité de ses camarades de maison, toujours les premiers dès qu'il s'agissait de ridiculiser quelqu'un, même une cible aussi facile que Patch.
Loin de se vexer (et c'est quelque chose que j'admire sincèrement chez lui, de ne pas faire attention aux autres, aux moqueries et à ce que les gens peuvent penser), le préfet se tourna vers moi, la bouche en cœur.
— Tu sais, c'est Dorys qui se charge des bisous magiques d'habitude…
Récupérant son doigt couvert d'un pansement (parfaitement ajusté, merci Tierney !), Patch se fendit d'un demi-sourire et m'adressa un regard de défi.
— Un gallion que je vais lui demander.
— Deux qu'elle t'en met une !
Il me jaugea du regard un instant avant de finalement tendre la main vers moi. Un gallion ? La mise était élevée. Pourtant, sans hésiter, j'acceptai le pari et serrai résolument sa main blessée.
Un éclat de rire sonore m'échappa quand je le vis tourner aussitôt les talons, et se mettre en quête de Dorys, assise au calme, un peu plus loin. Je suivis des yeux sa progression, l'observant slalomer entre les élèves et les pièges, ricanant à l'idée qu'il puisse effectivement gagner un gallion. Ça en vaudrait chaque Noise !
— Crétin ! ai-je lâché, secouant doucement la tête, amusée.
Va savoir pourquoi, dans le groupe d'élèves présents, tous installés devant moi, c'est à cet instant qu'Olivier s'est tourné dans ma direction, étonné.
La Nouvelle June ne faisait plus attention à lui. La Nouvelle June arrivait à évoluer en cours, dans la Salle Commune en faisant abstraction de sa présence, sans même se forcer (enfin, presque). Mais même la Nouvelle June ne pouvait l'ignorer en cet instant. Pas plus qu'elle ne pouvait ignorer que d'autres élèves, à l'instar de Sean, l'avaient aussi remarqué.
Je ne sais pas combien de temps ça a duré, pas plus de quelques secondes, mais ça m'a paru être une éternité. Je l'ai simplement regardé, les sourcils froncés, me demandant ce qu'il avait, ce qu'il attendait. Avant de réaliser, à l'expression presque familière qu'il arborait à cet instant, qu'il avait peut-être cru que je l'appelais.
Parce que « crétin » était un terme que j'aimais utiliser, notamment à son encontre, par le passé. C'était presque affectueux. De la même façon que lui maniait les mots « fan de Flaquemare » comme une insulte.
Non seulement, là, ça ne le concernait pas, mais en plus, même un simple « crétin », il ne le méritait pas.
Semblant le réaliser (et que Sean, jetant sur lui autant que sur moi un regard inquiet, lui donne un coup de coude dût l'aider), semblant enfin prendre conscience que non, je ne lui parlais pas, et qu'il était clairement en train de s'afficher, il baissa la tête, avant de se détourner.
Encore un peu, et il rougissait.
Par chance, grâce à Patch, je n'ai pas eu le temps, ni l'occasion, de m'interroger sur ce qui venait de se passer.
J'ai perdu un gallion. L'ami Poufsouffle n'a pas eu son bisou. Il a juste récolté une flopée de jurons (et en optant pour la stratégie du « je t'aurai à l'usure », il s'était lourdement trompé).
Brûlopot est un enseignant plutôt cool et sympa. Mais ça nous a quand même coûté dix points.
oOoOo
Décider de changer, d'aller de l'avant, était la meilleure décision que je pouvais prendre. J'ignorais seulement que ça s'annoncerait plus compliqué que je ne le pensais. Il était hors de question de revivre les épreuves du mois dernier. A vrai dire, je me reconnais à peine quand je relis tout ce que je t'ai confié. Ce n'est pas moi, je ne suis pas comme ça. Je refuse de traverser ça de nouveau, de le subir autant que de me l'infliger.
Alors, c'était décidé ! J'allais changer, j'allais redevenir heureuse. J'allais redevenir moi. Je le pouvais, je le sentais. La Nouvelle June se devait d'être une fille forte, confiante qui ne se laisserait plus déstabiliser ou déprécier par personne. Et surtout pas par Stupide Olivier.
Je n'avais aucune idée de comment y parvenir. Mais j'étais déterminée.
Parce qu'il faut bien commencer quelque part, j'ai essayé de tenir compte le plus possible les remarques du professeur MacGonagall. Principalement parce que je ne pouvais pas prendre le risque qu'elle contacte mes parents.
La Nouvelle June avait donc l'intention d'être plus sérieuse dans son travail. Honnêtement, avec Dubois hors de ma vie, j'avais tout le temps de m'y consacrer à présent.
Je n'étais pas stupide au point de croire que, comme par un petit miracle, tout pourrait s'arranger, et que je pourrais rattraper des semaines de « Euh… je comprends pas là !», de « Pitié, pitié, ne m'interroge pas ! », ou encore de « Bon, tant pis, et sinon, y a quoi ce soir au dîner ? » d'un coup de baguette magique.
Mais par petites touches, et peut-être un peu plus d'application en classe, je pouvais prouver ma bonne volonté. Il n'existait pas de sortilège, ni de potion pour que je me retrouve au petit matin plus intelligente et douée (et oui, j'ai cherché). Je n'étais guère plus brillante les autres années, mais pourtant, avant, ça passait. Il me suffisait de retrouver cet état d'esprit là et de mettre mes soucis de côté. C'était dans ma tête que tout se jouait.
Etre plus attentive, plus sereine, plus souriante. Tenter ma chance pour certaines réponses (même si j'étais souvent sûre de tomber à côté). Gagner quelques points par-ci par là, reprendre confiance. Pour l'instant, c'étaient les seuls objectifs que je me donnais. Attention, Journal. Pas partout. Il y a des matières (enfin, une en particulier) où je n'ai guère d'espoir. Mais il en restait beaucoup d'autres où faire mieux était à ma portée. Ou du moins, en faire l'effort l'était.
Et je crois que mes enseignants (et mes camarades) ont vu la différence.
Je me levais plus tôt. Je bossais. Je révisais, j'essayais de lire d'autres bouquins. Mes manuels étaient mes livres de chevet. C'est triste à dire mais je devais me changer les idées. Je n'ai jamais été une tête mais me mettre à fond dans le travail m'évitait de penser. Et j'ai eu la joie de découvrir qu'on foutait la paix aux gens qui travaillaient.
Ces heures de labeur avaient l'autre avantage de m'éviter d'avoir à parler sérieusement avec Andy. Je ne la fuyais pas (ce qui aurait été pour le coup injuste et plutôt lâche, et pas du tout Nouvelle June, de ma part), je ne lui en voulais pas (même si je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir un certain malaise), j'arrivais même (en l'appréciant) à discuter de tout et de rien avec elle. Je préférais simplement éviter que nous soyons seule à seule pour le faire. Maintenant que je savais que Patch ne l'aimait pas, et qu'il ne sortait pas avec elle, les chances pour que ce que j'avais vu et que Dorothy m'avait rapporté ne soit qu'un immense malentendu s'étaient amenuisées. Et les rares fois où nous nous sommes retrouvées seules toutes les deux, c'est de Dubois qu'elle a essayé de me parler !
Pour le coup, que ça vienne d'elle ou d'un autre, c'était une chose que je refusais. Olivier s'était condamné tout seul, en agissant comme il l'avait fait. Je me foutais que les autres lui trouvent ou non des circonstances atténuantes. Peu importait que mon choix les ait tous surpris ou choqués. C'était ce qu'il y avait de plus sain à faire, pour lui comme pour moi.
Je devais l'effacer, bâtir entre nous un mur d'indifférence. Les premières briques avaient été posées dans la douleur. Les fondations étaient encore fragiles, mais chaque jour, je m'efforçais d'y travailler.
Alors oui, Journal, je sais ce que tu penses, la Nouvelle June aurait dû être assez courageuse pour confronter Andy et la mettre face à ce qu'elle avait fait et ce que j'éprouvais. Sauf que la Nouvelle June trouvait pour l'instant plus facile de rattraper presque trois mois de P en Potions. Je venais de chasser Olivier de ma vie, j'avais le droit de me reposer un peu avant d'envisager la suite.
La Bibliothèque était mon nouveau repaire. Je n'y étais jamais vraiment seule, mettant à profit chaque instant pour apprendre (voir, dans les bons jours, comprendre). Il y avait toujours quelqu'un pour m'expliquer ce que je n'avais pas saisi. Du moins, pour essayer. Benton, Dorys, Percy, un Serdaigle, parfois même un septième année… Bon, je ne dis pas que je trouvais du premier coup. Ni que les gens étaient forcément ravis de m'aider. Mais j'avais envie d'essayer.
Pour te dire, il m'arrivait même de lire à l'avance les potions que nous devions préparer (oui, je sais, c'est la base, mais je n'y avais pas songé avant). Si ça n'est pas la preuve que les choses pouvaient changer !
Je concentrais mon énergie et mon attention en Sortilège et en Soins aux créatures magiques, mes deux priorités (là où, vraisemblablement, j'avais le plus de facilités), où mes efforts ne tardèrent pas à payer et mes notes à remonter.
Et avoir les compliments du professeur Flitwick, même si ce n'était qu'en aparté et que tout le monde n'a pas pu l'entendre, m'a fait sincèrement chaud au cœur. C'est idiot, assez enfantin, mais pour moi, ça comptait. Bien sûr, je n'ai pu réitérer l'exploit à chaque fois. J'avais toujours un léger problème de dosage, qui me suivait depuis… depuis toujours, en fait. Mais au moins, j'étais dans ce cours-là dans le haut du paquet. Même si la théorie me paraissait parfois absconde et complexe, en pratique, tout s'est progressivement décanté. Et quelque part, réaliser que certains continuaient à galérer, comme moi je pouvais le faire dans tous les autres domaines, alors que j'étais presque déjà passée à autre chose, avait quelque chose d'extrêmement réconfortant. Et gratifiant.
Tout ce qui pouvait faire remonter mon amour propre dernièrement était le bienvenu !
Grâce à Hagrid et ses poules fugueuses, les cours de Soins étaient redevenus vivables. Agréables. Et ce malgré le froid glacial et le danger toujours inattendu mais presque constant. Mon dossier sur les dragons était au point mort. C'est le problème des échéances à long terme, on s'y met au dernier moment. Avec tout ce que j'avais à gérer, je le reconnais, je l'avais totalement mis de côté.
En même temps, cela impliquait de renouer avec mon groupe de travail. Et vu que je ne parlais pas à un quart, que l'autre quart ne me parlait pas par solidarité au premier quart et que le troisième quart refusait de jouer les messagers, autant auprès du premier quart que du deuxième, et pas seulement par solidarité envers moi, cela s'annonçait plus que compliqué. Aussi motivée que soit la Nouvelle June, c'était encore trop tôt pour m'y atteler.
Le professeur Lockhart, lui, décida de me laisser en paix. Depuis l'incident de l'Epouvantard, il prenait un soin réel à ne pas m'interroger, autant sur les aspects pratiques, théoriques qu'artistiques de ses cours. MacGonagall avait eu raison : d'une certaine façon, je lui avais aussi sauvé la mise. Et j'imagine qu'en tant qu'Ordre de Merlin troisième classe, membre honoraire de la Ligue de Défense contre les Forces du Mal, aventurier et auteur à succès, voir simplement même en tant qu'adulte, c'était plutôt dur à encaisser. J'étais désormais la Gilderette maudite. Reniée. Honnêtement, je ne m'en plaignais pas.
Ma stratégie fonctionnait. Au fil des jours, j'ai doucement retrouvé confiance. Ça s'est remarqué, les profs l'ont constaté. Mes notes se sont légèrement améliorées. Les cours sont devenus plus agréables. Toujours aussi obscurs pour certains mais vivables. Je n'avais plus l'angoisse constante d'un Troll ou d'un Piètre au dessus de moi. Mes résultats n'étaient pas toujours (voire toujours pas) excellents mais il y avait du mieux.
Au point même de frôler l'exploit, un jour, en Potions. Oui, j'ai failli prouver une bonne fois pour toutes à tout le monde, et surtout au professeur Rogue, que mon E aux BUSE n'était pas une erreur.
Pourtant, ça avait plutôt mal commencé : le Bouclier de Circée était au programme (une variante du sortilège qui a permis à des milliers de sorciers de ne pas périr sur les bûchers de l'Inquisition). J'avais de grandes chances pour que, fidèle à sa parole, notre cher maître des potions cherche à me faire tester ma préparation (essaie d'avoir de l'esprit une fois dans ta vie et Rogue te le fera payer à tout jamais !), et donc de finir avec la main dans le feu de mon chaudron.
Je m'étais endormie la veille au soir avec mon livre entre les doigts. Mauvais signe quand on y réfléchit, je le reconnais. Mais j'étais confiante et concentrée en entrant dans les cachots. Ça n'était pas si compliqué, il suffisait de lire et de suivre le protocole. Je pouvais le faire. Même le fait de voir le professeur Rogue sortir furieux de sa réserve ne m'a pas déstabilisée.
Le hic, c'est qu'il était de mauvaise humeur pour une bonne raison. Un des ingrédients manquait. Et à le voir serrer les mâchoires, il était facile de deviner qu'il s'estimait victime (et nous estimait coupable) du Grand Complot (à savoir qu'un jour ou l'autre, un élève aura la bêtise d'aller se servir dans sa réserve personnelle, faisant par la même occasion ses adieux à la vie).
— Qu'est-ce qu'il veut qu'on foute avec de la peau du serpent du Cap ? marmonna Andy alors que Rogue, d'un coup de baguette effaçait son tableau où le sujet du jour nous attendait.
— Le Bouclier de Circée, visiblement, ricana Dorys (ce que Benton fut loin d'apprécier).
— C'était peut-être un repousse-monstre de la Chambre des Secrets, ai-je soupiré avec un haussement d'épaules.
Plein de choses bizarres étaient échangées sous le manteau en ce moment. Les premières années en raffolaient, persuadés d'être les cibles du monstre, qui s'en était pris au petit Crivey.
Ainsi qu'à un chat.
Mais bon, on n'arrivait pas vraiment à faire le lien entre les deux pour l'instant.
Pour être tout à fait honnête, j'avoue que j'avais moi aussi envisagé de m'en procurer un (parce qu'au fond, on ne savait jamais et que ceux de Daisy Ziegler étaient adorables et les seuls, à ma connaissance, à ne pas sentir affreusement mauvais !). Sauf qu'Andy s'était foutue de moi à l'instant même où je l'ai envisagé (« Tu es Sang Mêlé, Tierney ! Pourquoi le monstre t'attaquerait ? »). Elle oubliait un peu vite ma malédiction en cours qui, je dois le dire, est plutôt efficace dans son genre.
Sèchement, le professeur Rogue nous rappela à l'ordre et dévoila la potion de substitution. Y avais-je gagné au change ? Pas franchement, ai-je remarqué, en jetant un œil à mon livre une fois la bonne page trouvée. Mais la nouvelle June ne comptait pas se laisser impressionner, ni baisser les bras le match à peine engagé.
C'est donc dans un silence religieux que nous avons débuté la confection de cette potion. Et pour une fois, tout se déroulait plutôt bien. Je soignais mes préparations, j'avais réfléchi à l'organisation de mon plan de travail, j'étais presque dans les temps. Et à peu de choses près, le contenu de mon chaudron ressemblait à la description de la page 74. La bonne page, je tiens à le préciser. Pour autant, je ne me suis pas déconcentrée. Ni me suis réjouie ou ai regardé ailleurs ce qui se passait, comme j'avais l'habitude de le faire (que veux-tu ? On est curieuse ou on ne l'est pas !). C'est sûrement pour ça que je n'ai pas vu approcher le professeur Rogue. Ce n'est qu'au glissement de son ombre sur mon plan de travail que j'ai réalisé qu'il m'observait, peut-être depuis un petit moment…
— Mmh… La taille de votre foie pourrait être plus régulière, dit-il à contrecœur. Malgré ça, vous êtes étonnamment sur la bonne voie, Tierney…
Abasourdie, je levai aussitôt les yeux vers lui. C'était la première fois en six ans qu'il me faisait un compliment. Et à voir sa tête, il était évident que lui même avait du mal à s'en remettre. Pour te dire Journal, certains élèves ont même arrêté ce qu'ils étaient en train de faire. Les bruits des couteaux sur les planches de découpe se sont progressivement interrompus.
Le temps lui-même s'est suspendu.
Seul un petit « pschhhh » a troublé le silence.
Manque de bol, il provenait de mon chaudron.
Trop surprise, j'avais cessé de remuer ma potion. Et celle-ci en avait profité pour virer, passant d'un beau noir ébène et volutes bleus à un vert improbable. Du genre impossible à récupérer.
J'aurais pu en pleurer. En fait, j'étais même bien partie pour le faire. J'ai levé la tête vers le professeur Rogue pour me défendre mais celui-ci secouait la sienne, consterné. Mais j'étais presque prête à jurer que ça l'amusait.
— Evidemment…
Dépitée, un soupir de lassitude m'échappa. Foutu, encore une fois. Ce n'était pas faute d'y avoir cru.
— J'y étais presque, ai-je marmonné à l'attention de Percy, de l'autre côté de l'allée, le visage empreint d'une espèce de compassion atterrée, vexante à souhait.
Certes, ce n'est pas ce que l'histoire retiendra. Mais c'était la preuve que, quand je voulais, je pouvais presque y arriver.
Dans la catégorie « raté que la grande Histoire de Poudlard s'empressera d'oublier », notre première séance sur la métamorphose humaine s'était aussi bien classée. Afin de limiter les dégâts et d'appâter les plus frivoles d'entre nous (et bien qu'étudiants en ASPIC préparant leur avenir, nous étions nombreux), le professeur MacGonagall nous proposa de changer la couleur de nos cheveux.
Choix pédagogique qui peut paraître idiot, d'autant plus que les moldus y parviennent assez facilement grâce aux teintures (et je t'épargne le couplet sur les teintures magiques), mais le sort est en fait assez complexe. Plus en tous cas que ce que nous avions imaginé.
Surtout si on n'a pas envie de se retrouver chauve comme un kappa, comme l'a précisé notre directrice de maison. Pour te dire, elle nous a même autorisés à le lancer en formulé. Histoire de mettre toutes les chances de notre côté.
C'est sûrement le double-cours de Métamorphose le plus bruyant, joyeux et agité auquel nous ayons assisté (et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir lâché parfois plus ou moins consciemment un certain nombre d'objets animés et d'espèces hybrides improbables entre les murs de cette classe).
Le danger restait capillairement présent mais finalement assez bénin, même s'il y en a quand même eu pour réussir à ne plus avoir de cheveux du tout (aux hurlements qu'elle a poussés, tout le château a dû croire que Faye Valentine avait été attaqué par le monstre de la Chambre des Secrets !). Malgré ça, c'était vraiment amusant. Même le professeur MacGonagall devait prendre sur elle pour garder son sérieux.
Le blond était à la mode. Et il y a des gens à qui cette couleur ne va définitivement pas : Patch (il l'a affreusement mal pris mais cette vision nous hantera tous toute notre vie !), Peregrine Derrick (et c'est un choix esthétique que les Serdaigles feront regretter au batteur de Serpentard, lors du prochain match), Dorys...
Oui. Dorys.
Mademoiselle Cleath a troqué l'espace de quelques minutes sa longue et belle chevelure de jais qui fait pâlir de jalousie la moitié des filles de l'école contre une autre nettement plus… jaune. Et le blond ne lui va pas. Pas si bien que ça (mais après avoir éclaté de rire en la voyant, j'avoue que la nuance a eu du mal à passer).
Les teintes naturelles étaient les plus dures à obtenir. Par-ci, par là, certains élèves s'étaient laissés tenter par des couleurs plus franches. Vert, bleu, rouge, violet. Souvent de manière plus ou moins volontaire.
C'était bizarre en fait. La couleur de cheveux passe en général pour un simple détail, mais elle changeait du tout au tout. Autant pour certains cela relevait de l'accident industriel, autant pour d'autres, c'était une véritable révélation. Walken Tête-de-furet, à Serpentard, qui a la peau presque diaphane, avait choisi un blond gris qui lui allait superbement (quoi qu'en dise Dorys, de mauvaise foi devant sa rivale, surtout après sa métamorphose ratée). Sean, lui, avait opté pour un bleu aussi improbable qu'intense, et ne s'en sortait franchement pas mal.
Pour ma part, le choix s'était avéré un peu plus compliqué.
— Joli ! nota Andy surprise, un sourcil haussé.
Intérieurement ravie, je haussai les épaules d'un air dégagé.
J'avais longuement hésité quant à la teinte à choisir. Au départ, je voulais être blonde. Parce que je suis brune, dans tout ce qu'il y a de plus banal et presque traditionnel, et que, soyons honnêtes un instant, c'est une couleur passe-partout et qui ne présente pas grand intérêt. Les blondes sont plus attirantes, elles font plus rêver. A en croire Benton (qui adore se jeter des fleurs parfois), c'est la rareté qui pousse les garçons à s'y intéresser. Une vague histoire d'instinct et de génome.
Puis, j'ai réalisé pourquoi cette teinte de cheveux en particulier m'intéressait. Qui aimait les cheveux blonds. Qui n'était sorti qu'avec des blondes. Je me suis mentalement giflée d'avoir pensé à lui (plus exactement, j'ai mentalement giflé ma partie consciente dans l'espoir d'avoir mon inconscient par ricochet), d'avoir fait un instant vaciller ma muraille anti-lui. Puis j'ai opté pour une autre couleur. De l'inédit pour une Nouvelle June ! Dans le genre changement radical, il n'y avait que celle-là.
— Je suis à moitié irlandaise, ai-je rappelé, attrapant une mèche de cheveux pour admirer le résultat.
Il m'avait fallu plusieurs essais mais j'étais parvenue au bon mélange de rouge et d'orange, délibérément et soigneusement inspiré du seul modèle que j'avais sous les yeux.
— Très Weasley, ricana Cleath dont les cheveux avaient repris leur couleur d'origine.
Lui offrant une grimace pour toute réponse, je suis partie faire la queue devant l'un des miroirs que le professeur MacGonagall avait mis à disposition dans la salle. Ça leur faisait mal de l'avouer mais le roux m'allait ! Surtout après que ma directrice de maison m'ait conseillé de réserver le même traitement à mes sourcils (opération plus compliquée, le raccord n'était pas parfait… l'un a viré abricot sans que je n'ai pu le maîtriser).
Je n'étais pas la seule à avoir fait ce pari osé. Pénélope s'y était risquée. Et le contraste absolu avec la teinte presque ébène qu'elle arborait d'habitude était saisissant. Ses belles boucles couleurs feu mettaient en valeur le bleu de ses yeux. En fait, c'était vers elle que les regards s'étaient tournés. Tout le monde ou presque l'observait. Pénélope conservait un air digne et détaché. Mais le rose de ses joues montrait que ce détail ne lui avait pas échappé. A croire que certains la découvraient...
Et ça n'était pas pour plaire à un certain préfet, qui d'ailleurs ne la lâchait pas des yeux, oubliant dangereusement le soin qu'ils mettaient d'habitude à s'ignorer. Le pauvre Perceval en rata même son propre sortilège et se retrouva avec les cheveux bariolés (qui mirent en valeur, de la plus belle des manières, ses oreilles et sa nuque cramoisies).
— Tu es superbe, Penny ! ai-je dit alors qu'elle nous rejoignait devant le miroir.
— Merci, marmonna-t-elle les yeux baissés.
— Sérieusement, tu devrais penser à la garder !
Elle grimaça légèrement.
— Je préfère ma teinte habituelle, dit-elle avec un sourire en coin.
M'assurant que personne ne nous écoutait, je me suis approchée pour chuchoter.
— En tous cas, j'en connais un qui a l'air d'apprécier…
Pénélope ravala son sourire, avant de grimacer.
— Tu parles, avec le bol que j'ai, c'est à sa mère que je dois ressembler.
J'allais me mettre à rire avant de réaliser que c'était sûrement vrai. La génétique étant ce qu'elle était, Pénélope devait à l'instant peut-être ressembler à une version jeune et éloignée de Mrs Weasley.
Les deux heures sont passées trop vite et nous avons presque regrettés de lever les sortilèges et devoir partir. Le professeur MacGonagall, globalement satisfaite de notre première incursion dans le dangereux monde de la métamorphose humaine, a quand même tenu à nous donner une dissertation à rendre à ce sujet. Je crois que le fait qu'on ait (sûrement trop) lourdement insisté pour qu'elle-même s'essaie en blonde a dû l'agacer.
oOoOo
Le jeudi 8 décembre devait rester une date gravée à jamais dans l'histoire du Quidditch anglais. Soit ce jour verrait la délivrance de toute une nation, soit il nous infligerait la honte suprême d'être hôte de la Coupe du monde sans même pouvoir y participer.
Dans le sport moldu, le pays organisateur est directement qualifié. Pas chez les sorciers. Mais j'avoue qu'au fil des défaites, et à l'approche du grand match, ce qui était au départ une véritable fierté a fini par devenir un regret et l'un de nos fervents souhaits.
A cause du décalage horaire, le coup d'envoi a été sifflé durant le petit déjeuner. Entre deux tartines, j'ai adressé une prière silencieuse à nos joueurs, à l'autre bout du globe, en train de se battre pour notre honneur.
Seuls quelques buts avaient été marqués, des deux côtés, lorsque la cloche pour les premiers cours a sonné, selon les informations que nos enseignants ont bien voulu nous donner. A la récréation, les températures glaciales et le très, très (voir trop) mauvais temps mettaient à mal notre équipe. Les Coréens menaient au score, mais la barre du Vif n'avait pas été franchie (tant qu'un écart de cent-cinquante points n'est pas atteint, tout reste encore possible).
C'est en fulminant que j'ai rejoint le cours suivant. Un orage de mousson ? En décembre ? Mais de qui se moquait-on ? La Fédération et le Ministère de la magie coréen avaient plutôt intérêt à enquêter ! Parce qu'autrement, j'allais m'en charger !
Avant d'entrer en classe, j'eus une pensée émue pour mon père, présent dans le stade, et nos joueurs, en proie avec les éléments, interrompant un bref instant mes ruminations. Ici, un léger blizzard s'était levé, nous glaçant jusqu'aux os. De ce que la RITM, par la voix de leur nouveau commentateur, Anton Bennet, avait annoncé, ce n'était qu'une petite bise comparée à ce que les joueurs et les spectateurs subissaient là-bas.
Les heures de cours s'égrainèrent avec lenteur, tout comme la pause du déjeuner (toujours plus de neige, et selon les radios pirates, après être revenus au score, avoir un court moment mené, nous étions à nouveau à la poursuite des Coréens). En début d'après-midi, il fallut bien finir par se reconcentrer.
Nous étions en Potions lorsque l'écho de hurlements se fit entendre. Quittant nos préparations, tous les regards se tournèrent vers la porte de la classe. Loin de s'éteindre, les cris (et pas du genre de ceux qui échappent quand on se fait surprendre dans un couloir) s'amplifièrent, rendant le silence soudain du cachot encore plus pesant. La tension était presque palpable. Jusqu'à ce que quelqu'un ne puisse s'empêcher de marmonner :
— C'est le monstre de la Chambre des Secrets…
Ce que Rogue fut loin d'apprécier.
— Cinq points en moins pour Serdaigle. Merci M. Taylor de nous prouver que la réputation de votre maison est totalement usurpée !
Les quelques rires qui retentirent étaient toutefois teintés de nervosité. Honnêtement, nous y avions tous pensé. Le raffut gagnait toujours plus en puissance. A ce degré d'agitation, même l'hypothèse Peeves se devait d'être écartée.
Les cachots sont éloignés de tout, dans les sous-sols du château, c'est pour ça que nous n'avons pas immédiatement compris. Mais quand les responsables de ce vacarme passèrent devant les escaliers du Hall, il devint évident que personne n'était en train de mourir, d'être pétrifié ou même en danger. Mais que c'était un « It's coming home ! » fier et enthousiaste qui était chanté.
Tout ce que j'avais en main tomba bruyamment sur mon plan de travail.
L'Angleterre avait gagné. L'Angleterre était qualifiée.
Encore là maintenant, je ne sais pas comment j'ai pu retenir mon cri. L'instinct de survie, j'imagine.
Nous l'avions fait !
Les filles m'adressèrent un regard surpris. Tremblant de la tête aux pieds, je fis mon possible pour me contenir, ne pas exploser. Pour leur expliquer, je crois que je n'ai jamais murmuré aussi fort de ma vie. Mon sourire immense, niais et comblé tétanisa les muscles de mes joues.
Le professeur Rogue roula les yeux vers le plafond avant de lâcher.
— Une minute !
Et nous avons enfin pu exploser.
Ça parlait fort chez les Serpentard aux premiers rangs (où Flint, plus que tout le monde, exultait), ça fredonnait joyeusement dans le fond de la classe (personne ne se serait risqué à effectivement chanter devant Rogue). Percy et Matthew, juste derrière notre rangée, commençaient déjà à parier sur nos chances de victoire. Quant à moi, j'essuyais sans problèmes les moqueries d'une coalition irlando-irlandaise, puisque Penny et Dorys (qualifiées depuis fort longtemps) s'étaient liguées pour me chambrer. Mais je n'en avais rien à faire ! L'Angleterre jouerait !
Revenue d'entre les morts, l'Angleterre, même, triompherait !
Et c'est idiot, mais en cet instant de liesse (dont il ne restait plus que dix secondes, selon le décompte du professeur Rogue), balayant en un rien de temps tous mes efforts, je me suis demandée où était Olivier, et s'il le savait. Mais j'ai pris soin de vite chasser cette idée. La Nouvelle June s'en moquait. Notre qualification était un signe, une récompense du destin pour m'encourager. Relevant les yeux, je croisai alors le regard de Flint, qui m'adressa un léger signe de tête avant de se détourner, sans me laisser le temps de réagir (l'euphorie elle-même ayant ses limites, c'était bien entendu un geste de connivence auquel je n'aurais pas répondu !).
La minute, trop courte, prit fin, et nous dûmes recommencer à travailler.
J'avoue, j'ai malgré tout (et presque malgré moi) fait perdre quelques points à Gryffondor à cette occasion. Autant les reliquats de bavardages furent encore un instant tolérés autant le high five avec Percy était de trop. Surtout qu'il a pris par surprise l'ami préfet, ce qui en fit le high five le plus pourri de l'histoire des high fives.
Au fond, c'était sûrement ça que le professeur Rogue a dû vouloir sanctionner.
Tu te douteras bien, Journal, qu'il m'a quasiment été impossible de faire quoi que ce soit durant le reste de la journée. Au temps pour la Nouvelle June et ses bonnes résolutions. Un T aurait pour le coup été totalement mérité.
Mais c'était juste au-delà de mes capacités. Je ne parvenais plus à me concentrer ! Comment j'aurais pu ? Le match avait duré presque cinq heures, sous un orage plus que suspect (sérieusement, si les autorités compétentes ne s'en chargeaient pas, j'avais bien l'intention de m'en mêler !) et durant ce laps de temps, tout ou presque pouvait arriver. Avec quel score avions-nous triomphé ? Pour quel écart ? Est-ce que nous avions des blessés ?
D'une salle de classe à l'autre, les informations ont doucement filtré tout au long de l'après-midi mais au final, c'est dans la soirée, avec l'arrivée des journaux du soir, et la ruée vers le coin presse de la Bibliothèque, que nous avons pu satisfaire notre curiosité. 370 à 510. Bon signe pour notre attaque, très mauvais pour notre défense.
Et pour rendre la chose plus officielle, Dumbledore fit une annonce durant le dîner, saluée par des vivats et quelques huées.
— Classe, grimaça Andy, secouant la tête, alors que je me rasseyais, après avoir ponctué l'intervention du directeur d'un sifflement perçant.
J'ignorai les regards, les remarques (un groupe de septième année, les mains sur les oreilles, et surtout à grande majorité écossais, n'avaient pas non plus apprécié et se firent un plaisir de me le faire comprendre… en écossais. Manque de bol pour eux, les insultes étaient au programme de la première leçon de la langue des Scots à laquelle nous avais soumis Sean Hataway !), tout comme les railleries.
Il nous avait fallu presque six matchs pour nous qualifier ? Et alors ? Ça n'hypothéquait en rien nos chances. Honnêtement, tant que le sélectionneur retirerait Hastings du sept de départ, nous avions une chance d'y arriver. En tant que fille, ça me gêne de le dire, mais tout le monde ne peut pas se vanter d'être Gwenog Jones. Surtout pas Leah Hastings.
Nous avions presque un an et demi pour nous y préparer. Plus de six mois avant d'attaquer la série de matchs amicaux. Tout était permis, tout pouvait arriver.
Tout le monde pouvait changer. J'étais bien placée pour l'affirmer.
oOoOo
Ça m'a fait de la peine, mais j'ai dû me résoudre à le faire. Quand le professeur MacGonagall passa dans les classes pour relever le nom des élèves restants à Poudlard pour les vacances, il me fallut, pour la première fois en six ans, lever la main et ajouter le mien à la liste.
Faisant un petit crochet avant de rejoindre les serres, notre directrice de maison était passée à la fraîche (littéralement) pendant un cours de Soins, au petit matin. Envoyée par mon groupe au ravitaillement (à savoir ramener des vers pour nos Jobarbilles d'un trou plutôt profond que Brûlopot avait magiquement creusé dans un sol presque gelé), j'avais dû poser le bol et la pelle pleine d'asticots grouillants que je tenais (et certains verraient comme un progrès que j'y ai effectivement pensé, évitant à ceux qui m'entouraient de se retrouver sous une pluie de lombrics) afin de pouvoir lever la main.
Preuve que ça n'était pas anodin, les autres préposés aux vers (qui, comme moi, avaient sûrement eux aussi perdu un pari) eurent l'air assez étonné. C'est comme ça en tous cas que j'ai interprété le coup d'œil presque choqué, en tous cas écarquillé, de Sean qui, de l'autre côté du trou, attendait qu'Urquhart ou moi en ayons terminé.
— Tierney ? s'étonna ma directrice de maison.
Un peu gênée, je confirmai d'un hochement de tête, et pendant qu'elle griffonnait mon nom sur son parchemin, tentai d'ignorer les regards, autant surpris qu'inconsciemment compatissants, tournés vers moi. Je ne sais pas si MacGonagall a eu pitié de moi parce que c'était la première fois ou à cause de ce qui s'était passé, mais elle m'adressa un sourire encourageant avant de passer au suivant.
Mon souffle trembla légèrement quand, après m'être baissée pour récupérer mes affaires, je remplis mon bol d'une dernière pelletée et me redressai, prête à passer le relais à Hataway. Sauf qu'il n'était plus là, déjà de retour dans son groupe, les mains pourtant vides. Découvrir Bole là où je m'attendais à trouver Sean encore peu de temps auparavant me fit sursauter et provoqua une envolée de vers qui s'écrasèrent sur la tête d'Urquhart, toujours dans le trou. Si le Poufsouffle eut la gentillesse de me pardonner et de bien vouloir croire que je ne l'avais pas fait exprès, ce ne fut pas le cas d'autres (dont un préfet) dont ça a fait la journée.
Que ce soit clair, je sais que rester pour Noël n'est pas dramatique. Il paraît même que c'est une expérience à vivre que de passer les fêtes au château, que l'ambiance y est vraiment particulière, que les enseignants sont même détendus (au point d'en devenir embarrassants). Il y a bien pire dans la vie, et on n'en meurt pas.
Mais ça m'avait toujours paru tellement… triste. Je ne dis pas que j'ai apprécié tous les Noëls depuis que je suis à Poudlard. Le premier simulacre de réveillon après le divorce de mes parents, les deux fêtes à une semaine d'intervalle pour des questions de garde partagée, l'irruption d'Edouard au moment où je commençais à m'habituer à la situation… Malgré tout ça, j'appréciais de retrouver ma famille pour les fêtes. Et pour la première fois depuis six ans, j'allais devoir rester à Poudlard. La Nouvelle June avait beau être une grande fille indépendante, elle en avait quand même le cœur serré.
Le couperet était tombé quelques jours auparavant. Cat avait affronté le blizzard et récolté quelques engelures, qu'Hagrid m'avait gentiment aidé à soigner (Hagrid, qui, au passage, a adoré mon hibou et devait bien être la seule personne dans cette partie de l'Ecosse à ne pas savoir que je ne parlais plus à Olivier), pour m'apprendre la nouvelle.
Ça me désole autant que toi, Juni, mais je serai en déplacement la veille et le jour de Noël. Inutile de contacter le journal, c'est la vérité : remplacement au pied levé. Journaliste de terrain ou pas, Connie est enceinte de huit mois, on ne peut pas prendre le risque qu'elle accouche sur le bord du terrain. Même si ça ferait un article sympa !
Et hors de question que tu restes seule à l'appartement durant les fêtes, je préfère encore que tu sois en sécurité à Poudlard, et bien entourée.
Je n'avais pas encore joué la carte de la Chambre des Secrets, dont mon père continuait de tout ignorer, mais ça n'allait pas tarder.
Je suis certain que tu as des amis qui restent pendant les fêtes, ou qui peut-être sont déjà restés les années précédentes et qui te raconteront à quel point l'ambiance y est particulière !
L'autre solution, et je t'engage fortement à le faire, c'est d'écrire à ta mère. Elle est là pour les fêtes et se fera un réel plaisir de t'avoir. Ce sera l'occasion pour toi de montrer que tu as gagné en maturité. La trêve des confiseurs, tu connais ? Et n'essaie pas de monter je ne sais quel plan avec tes amis et Olivier !
J'avais effectivement commencé par penser à ce genre de choses. Andy, voyant ma déception face à ma lettre, avait évoqué l'idée que je vienne à Cambridge. Une fois MacGonagall partie, Patch avait rejoint le trou aux vers de terre pour m'affirmer que « mi casa es su casa ». Et je ne doutais pas que, quelques jours de plus avec mon air malheureux, Cleath m'aurait fait la même proposition.
J'ai un courrier du professeur MacGonagall sur la table de l'entrée et je me ferai un plaisir de l'informer que tu restes à l'école pour les vacances. Oui, à 16 ans, ça pourrait s'avérer pour toi légèrement humiliant.
Un petit gémissement m'avait échappé. Certes, le mois dernier, ma directrice de maison m'avait prévenu. Mais je n'imaginais pas qu'elle mettrait sa menace à exécution et contacterait réellement mon père. Peut-être même mes parents… Et va savoir ce qu'elle avait raconté ! Avec tout ce qui s'était passé depuis trois mois, elle avait l'embarras du choix ! C'était le cœur légèrement battant que j'avais découvert la suite de la lettre.
Estime toi d'ailleurs peut-être chanceuse de ne pas rentrer pour les fêtes parce qu'il va falloir que nous ayons une discussion sérieuse à propos de ton travail, jeune fille. J'aimerais que tu me dises la vérité, au lieu de te contenter de « bof », ou de « ça va » dans tes lettres. Nous ne t'avons jamais mis la pression, June. Tu ne devrais pas avoir peur de nous parler de ce genre de choses. Nous te faisons totalement confiance (et ce « nous » sonna tellement faux), mais ta directrice de maison paraît se faire du souci à ton sujet.
Accroche-toi, Juni, s'il te plaît. J'attends de tes nouvelles. Et ne me force pas à passer un coup de cheminette à Poudlard pour en avoir.
Mon père avait quand même fait l'effort de conclure sa lettre par une petite note de sport, histoire de finir le cœur plus léger (il ne partageait pas mon avis sur la présence désastreuse d'Hastings dans la sélection nationale mais convenait qu'un typhon sans neige par cette température pouvait paraître suspect).
Tout le contraire de ce que je voulais était en train de se produire. J'allais devoir rester à Poudlard, je n'avais plus vraiment le choix.
Il s'avéra au final que si j'étais la première des sixième années à me faire inscrire, je ne serais pas la seule Gryffondor à rester. De ma promotion, en plus de Matthew MacKinnon, il n'y avait guère que Percy Weasley. Notre préfet avait décliné un voyage en Egypte pour passer Noël dans un vieux château enneigé.
— Trop cher, m'a-t-il soufflé lorsque je lui ai demandé comment il pouvait laisser passer l'occasion. Mes parents iront pour voir Bill. Et Charlie se paiera seul le billet.
— Tes frères et ta sœur restent aussi ?
Il opina du chef et soupira. Aspirait-il à un peu de paix loin de Fred et George ? C'est ce que j'ai cru jusqu'à ce qu'il se mette à sourire et à m'expliquer.
— On sera quand même un peu en famille comme ça.
C'est idiot, mais je n'avais pas envisagé les choses de cette façon-là. J'imagine que j'avais projeté sur Percy les peurs et les angoisses que moi-même je ressentais. Pour ma défense, c'était une chose dont j'ignorais tout. A Poudlard, je n'avais ni frère, ni sœur, même pas un cousin ou une cousine, ou encore un ou une Tierney très éloigné(e). Une quinzaine solitaire m'attendait. Mes amis partaient durant les vacances et j'avais renoncé à la relation la plus proche de moi. Mais parce que la Nouvelle June ne voulait plus se laisser abattre, je tentai d'y voir le positif. Salles de bains quasi-désertes, places disponibles près de la cheminée, rab' de desserts… et maintenant avec les jumeaux Weasley, il y avait de fortes chances que ce Noël devienne à tout point de vue mémorable !
— Et puis tu sais, ajouta Percy, son sourire nettement plus rêveur. Poudlard à Noël, c'est… magique !
Son air soudainement lointain prit tout son sens quand je découvris qui, dans les autres maisons, ne rentrerait pas. Et oui, Noël revêtait assurément une autre dimension quand on pouvait le passer avec l'élu de son cœur (je suis prête à parier qu'à chaque fois qu'on utilise cette expression, un ours polaire meurt). Ce qui serait le cas de Percy et de sa Pénélope. La préfète me le confirma durant le cours de Défense contre les Forces du Mal suivant (où le professeur Lockhart nous régalait d'une de ses aventures qui, si on lisait bien entre les lignes, lui avait permis de sauver le Noël de milliers d'enfants sorciers à travers le monde).
— Si ça peut m'éviter la messe de minuit, soupira-t-elle, je veux bien rester autant qu'il le faut.
— Ça va surtout te permettre de passer du temps seule avec Tu-Sais-Qui…
Ses joues rosirent légèrement. Depuis le temps (et qui aurait cru que leur idylle tiendrait aussi longtemps ? Parce que sur le papier, il faut quand même le rappeler, c'était loin d'être gagné mais au final, ça va quand même faire presque un an !), on aurait pu croire qu'elle se serait habituée. Et pourtant… Un léger rire m'échappa.
— Figure-toi que c'est vrai ! finit-elle par répondre, un peu vexée. Récemment, entre le monstre, son rôle de grand frère et le travail que les profs nous demande, c'est tout juste si on arrive à discuter ! Alors trouver du temps juste pour nous deux…
Sans s'en rendre compte, Pénélope avait haussé le ton. Intrigués (et avec Lockhart, l'ennui était tel que tout était matière à distraction), les élèves situés devant nous se retournèrent.
— Excuse-moi, Penny, ai-je marmonné.
— Pas grave, soupira-t-elle. C'est juste que… le secret me pèse. J'en ai assez de me cacher, j'aimerais qu'on puisse faire comme tout le monde. S'afficher.
— Hors des toilettes de Mimi ? ai-je tenté.
J'avais une chance sur deux de me prendre un sortilège. Par chance, de bonne humeur, Pénélope se contenta d'esquisser un sourire.
— Tu n'imagines pas le monde qu'il y a en ce moment dans les toilettes du Mimi, expliqua-t-elle toutefois avec sérieux.
Son air grave et le ton de la discussion me poussèrent à prendre un risque inconsidéré en insistant encore un peu, malgré l'endroit où nous nous trouvions.
— Mais, tout va bien entre vous, non ? ai-je chuchoté. Enfin… Ça va mieux ?
Ses épaules s'affaissèrent.
— Oui, ça va mieux. C'est juste que… je suis un peu frustrée. Il n'est pas franchement bavard en ce qui concerne les sentiments. Parfois, je le frapperais.
Une grimace m'échappa. Pénélope avait déjà évoqué le sujet, mais je pensais que depuis le temps, Percy, tout coincé et handicapé des sentiments qu'il était, se serait lancé. Et c'était idiot, parce qu'il l'aimait, c'est évident (en tous cas, moi, au courant, je le voyais). Mais les mots sont importants, j'étais bien placée pour l'affirmer.
— Je sais que ça ne veut pas dire qu'il ne m'aime pas mais j'ai besoin de l'entendre. Du coup, c'est aussi pour ça que je suis contente de rester pendant les vacances. On va pouvoir…
J'eus un léger mouvement de recul.
— Enfin, tu vois ce que je veux dire…
— Un peu trop, je crois, ai-je dit dans un ricanement.
Loin de se vexer cette fois, Pénélope préféra un autre plan d'attaque.
— Et toi ? Tu as quelque chose de prévu ? Parce qu'il y a de grandes chances que tu ne restes pas seule à Noël ! fit Pénélope en m'adressant un clin d'œil complice.
Pour le coup, je n'ai pas du tout saisi.
— De ce que je sais, tu auras certainement deux de tes prétendants. Darren, commença-t-elle d'un air secret avant de me désigner d'un geste du menton les premiers rangs de la classe, et un certain Serp…
Le regard que je lui adressai suffit à la faire taire. Pour se faire pardonner, elle esquissa un sourire désolé mais satisfait. Passer deux semaines à éviter la compagnie de Flint et du Monstre de la Chambre des Secrets. Pile ce qui me manquait…
oOoOo
Quelques jours plus tard, une surprise nous attendait sur le tableau d'affichage du Hall. Enfin, ça, c'est ce que j'avais dû deviner. La foule compacte m'avait empêchée de m'en approcher. D'habitude, ça ne m'aurait pas gênée. Au contraire, c'était le genre de défi que j'adorais relever.
Mais ce matin-là, j'étais en retard pour le petit déjeuner. Levée plus tôt afin de travailler (ma résolution avait étonnamment survécu à la première quinzaine de décembre), j'en avais profité pour passer à la Volière et répondre à la lettre de mon père, tentant ma chance une dernière fois.
— Un club de duel, m'expliqua Dorys quand je demandais la raison de l'excitation généralisée de la Grande Salle.
— Sérieux ? Cool ! me suis-je écriée en prenant place sur le banc.
— Pas vraiment, soupira Andy, juste à côté, en me tendant le pichet de lait. Vu ce qui se passe en ce moment à Poudlard, ils veulent nous apprendre à nous défendre. Si c'était juste pour tromper notre ennui, un cercle de lecture aurait suffit.
— Et c'est une mauvaise chose, parce que… ?
— Cela veut dire que celui qui a libéré le monstre… ou peut-être même le monstre lui-même puisqu'au fond, on ne sait toujours pas s'il y a bien un monstre ou si c'est juste une métaphore, est l'un d'entre nous. Si ça avait été quelqu'un d'extérieur à l'école, les Aurors auraient ouvert une enquête après l'agression de Colin.
Et si c'était le cas, si Andy avait raison, c'était flippant.
De moi-même, j'aurais sûrement pensé que oui, le club de duel était cool et qu'effectivement, j'avais une chance ou deux d'apprendre un truc qui me servirait en cas de rencontre avec le monstre. De là à en déduire que c'était la preuve que quelqu'un dans cette salle en voulait effectivement à la moitié du monde sorcier… Une fois de plus, je ne pouvais qu'être admirative de l'usage qu'Andy faisait de sa matière grise. D'un sourire, j'ai tenté de le lui faire comprendre.
J'étais en revanche nettement moins fan du fait qu'elle sorte peut-être avec mon ex. Quelque part réconfortée par ce que Patch m'avait confié (ou du moins désireuse de l'être), j'essayais tant bien que mal d'aplanir notre relation. Même si j'éprouvais de temps à autre le besoin de piquer, par amertume et un brin de méchanceté.
Mais bon, avec un peu de chance, tout le monde se trompait. Autant Andy que moi, sur le monstre et sur Flaherty. Un soupir m'échappa.
— La première séance est ce soir, on pourra toujours aller voir.
Moi, l'idée me plaisait, peu importait ce qui la motivait. Parmi tous les clubs existants dans l'école, il y en avait assez peu dans lesquels on pouvait faire usage de nos baguettes (cela nécessite un fort encadrement des enseignants… ou des membres de club responsables, ce qui n'est pas franchement monnaie courante, d'autant plus que la présence d'une baguette fait en général venir des foules, pour le coup pas responsables du tout… et, hélas, je suis dans l'obligation de m'inclure dans cette catégorie). Duels ou pas, j'étais en fait plutôt excitée. Ma joie ne passa pas inaperçue.
— Je savais que ça te plairait, marmonna Benton.
— Et pourquoi pas ? Ça va nous changer les idées !
— Tu n'as pas du travail à finir par hasard ?
Fière de moi, j'exhibai mon devoir de Potions, dont j'étais justement venue à bout le matin-même, grâce à une session intensive de travail, et que je n'avais plus qu'à recopier. Alors que je devais le rendre le lendemain, je tiens à le préciser. Ces trente centimètres de parchemins me vaudraient, je l'espérais, un A. Je pourrais sûrement viser plus haut et mieux faire, mais je n'en avais plus le temps. La journée à laisser décanter, une dernière relecture avant de le recopier dans la soirée, et le tour serait joué !
Les filles n'ont pas eu à le dire, mais j'ai bien vu que mon nouveau sens de l'organisation les a impressionnées.
— Il faut le voir comme des travaux pratiques, ai-je repris enfournant mes parchemins dans mon sac. Une occasion supplémentaire de lancer des sortilèges en informulé !
L'argument aurait dû faire mouche, mais elles ne parurent pas convaincues pour autant.
— Oh, allez, ça va être marrant !
A mon sens, la seule et unique raison (et pour le coup, autant te le dire tout de suite, Journal, marrant, ça l'a été !), pour autant, à leurs yeux, toujours pas suffisante.
Lors du cours de Sortilèges, interrogé par certains élèves, le professeur Flitwick nous fit part de son expérience en la matière. A quelques reprises, par le passé, il avait interrompu ses cours, l'espace d'un instant, pour nous raconter certains de ses combats. Et à la différence des anecdotes personnelles du professeur Lockhart (à qui l'on doit tout de même reconnaître un goût certain pour la performance artistique et la mise en scène), nous ne nous en lassions pas. La rareté peut-être…
— C'est une pratique culturelle que tout sorcier devrait expérimenter un jour. Pour des raisons diverses, d'ailleurs. Lorsque j'étais moi-même à Poudlard… Oui, M. Hataway, c'était il y a fort fort longtemps (quelques rires retentirent), nous avions des cours spécifiquement réservés à cela. Le duel faisait partie intégrante du programme de Sortilèges. Depuis, les choses ont changé…
Il esquissa un léger sourire, presque nostalgique.
— Autres temps, autres mœurs, reprit-il dans un soupir. Il vaut sûrement mieux ceci dit : vous êtes de dangereux petits sorciers !
C'était en tous cas ce que nos enseignants adoraient nous faire croire. Sauf éléments brillants, nous n'étions pas plus mauvais que les autres promotions (pas pire que celles des troisième années en tous cas). Même si depuis le début septembre, avec les sortilèges informulés, les accidents avaient effectivement tendance à se multiplier.
— C'est l'opportunité rêvée pour vous de vous initier au bel art du duel sorcier !
Ce n'était évidemment pas la véritable raison pour laquelle on nous proposait cette activité mais nous l'avons malgré tout prise telle quelle.
— Je vous recommande d'ailleurs d'assister à la première séance. Si cela peut s'avérer quelque peu limité pour vos cadets, en tant qu'élève en ASPIC, ce sera un formidable entraînement, qui, je l'espère, vous poussera à utiliser les sortilèges informulés, ajouta-t-il en nous observant d'un œil sévère.
Quatre mois après la rentrée, nous avions toujours autant de mal à réussir nos sorts. Du moins à chaque tentative. J'imagine qu'avec la menace du sortilège de Mutisme (qui nous pendrait au nez dans presque toutes les matières dès le mois de janvier), effectivement, nos ressources en la matière pouvaient être décuplées.
— Il y a une noblesse presque esthétique, voire romantique (ce qui nous fit franchement ricaner mais ne parut pas le déranger plus que ça) dans le duel qu'on ne retrouve pas dans les affrontements habituels. Tout y est très codifié. Le but n'est pas seulement d'attaquer, mais également de défendre, de contrer. Vous aurez à mobiliser toute vos connaissances pour parvenir à mettre votre adversaire hors d'état de nuire. Cela requiert de l'attention, de la dextérité, de la créativité et une bonne mémoire. Toutes ces choses, dit-il en haussant la voix, que je vous demande de cultiver depuis des années et qui vous font encore souvent défaut ! Vraiment, vous ne perdez rien à essayer. Et qui sait, peut-être que nous avons dans nos rangs de futurs grands duettistes !
Ok, j'étais conquise dès le départ. Mais force était de constater qu'il avait super bien vendu son truc. Les plus récalcitrants (dont Andy) ont fini par se décider à y aller.
— C'est vous qui vous chargerez du club ? ai-je demandé.
Le professeur Flitwick eut un temps d'hésitation, qui se traduisit presque physiquement.
— Nous n'avons pas encore décidé. Peu importe le flacon, c'est la potion qu'il contient qui compte.
Sur cette phrase sibylline (rien de plus qu'un non déguisé), il nous demanda d'enfin ouvrir nos manuels.
oOo
A huit heures ce soir-là, l'école presque entière s'était réunie dans la Grande Salle. Plus que le discours d'encouragement de notre professeur de Sortilèges (d'après les conversations perçues durant les pauses tout au long de la journée, chaque classe y a eu droit), l'envie d'apprendre à botter l'arrière-train du monstre était la motivation première. Même si pour certains, c'était plutôt l'envie de casser des élèves d'autres maisons qui dominaient.
Nous étions tous impatients et très excités. Aussi dois-je être tout à fait honnête, en disant que lorsque le professeur Lockhart a demandé l'attention de tous et qu'il est monté sur l'estrade (et que nous avons compris qu'il n'était pas là juste pour faire admirer sa robe violette… non mais violette !), une vague de déception a traversé les rangs. Nous avions tous eu l'occasion lors de ces quatre premiers mois de douter par moment des compétences de notre enseignant, en plus de subir ses histoires sans fin et ses mises en scène théâtralisées. Autant dire qu'à simplement le voir là, l'enthousiasme est retombé.
Que le professeur Rogue l'accompagne en revanche nous rendit le sourire. Sur le papier, c'était pourtant le plus sûr moyen de nous couper l'envie de participer. Mais le spectacle sous nos yeux, ce duo inédit ainsi que la présentation que Lockhart a fait de son partenaire du jour (et qui relevait pour le coup plus de l'inconscience que du courage) nous ont scotchés. Et rien que pour les voir s'affronter, ça valait le coup d'être descendue et d'avoir mis en pause les devoirs qui me restaient. A mi-voix, les paris ont commencé à fuser.
— Je sais que c'est un vœu pieu, mais j'aimerais bien que Lockhart le mette hors jeu, ai-je soupiré alors que nos deux enseignants prenaient place sur l'estrade.
Dorothy, juste devant en compagnie de nos autres camarades de maison, se retourna pour m'adresser un regard surpris.
— J'ai un devoir à rendre demain, me suis-je justifiée.
Hochant la tête d'un air entendu, elle esquissa un sourire. Encore un peu et mon statut de Gilderette était justifié !
Ce qui arriva par la suite était totalement prévisible. Personne ne pouvait imaginer Lockhart sortir vainqueur de cet affrontement. Absolument personne. Mais nous avons cependant tous été surpris quand, après avoir échangé les salutations d'usage et adopté une position de combat, Lockhart a pris son envol.
Littéralement.
Le sortilège du professeur Rogue l'a frappé en pleine poitrine et, volant par-dessus la foule, il est allé s'écraser misérablement contre le mur du fond. Le cheveu de travers et sa robe violette légèrement remontée.
Le silence de plomb qui a suivi, durant lequel personne n'a osé bouger, a été rompu par quelques applaudissements. Et une espèce de pouffement mouché, sonore et vibrant, absolument pas élégant.
— Dorys ! a grondé Andy, réprobatrice.
Car c'était bien notre Irlandaise, habituée à se la jouer reine des glaces, qui était à l'origine de ce bruit (et je pense même qu'elle en a craché sur l'instant !), tentant, une main sur la bouche, de refreiner son hilarité.
— T… Tu as vu…
Rouge et en train de glousser, Cleath n'a pas été capable d'ajouter quoi que ce soit.
— Ok, j'ai dû boulot qui m'attend en remontant… ai-je marmonné alors que le professeur Lockhart se remettait sur pied, rassemblant tant bien que mal sa dignité.
Et honnêtement, pour être une habituée des humiliations, je dois dire qu'il se débrouillait plutôt bien. Bon, les ricanements de Dorys, qui commençaient à attirer l'attention sur nous, puisque quasiment tout le monde était passé à autre chose, ont eu l'air de légèrement l'agacer mais il est parvenu à bien faire semblant.
— Heureusement qu'il ne voulait que le désarmer, ai-je fini par soupirer.
— Au moins maintenant, on sait que tu n'es pas la seule à avoir des problèmes de contrôle, signala Andy, un sourcil haussé.
J'avoue que, parfois, mes sortilèges ont des effets légèrement plus intenses que je ne le voudrais. Pour autant, c'est quelque chose que je ne décide pas (et parait-il, c'est bien là le problème). Mais pour ma défense, je n'ai jamais fait voler quelqu'un comme ça.
Ce que j'ai évidemment tenu à rappeler à Andy. Cette dernière a bien essayé de répondre mais Cleath, se repassant le film, est reparti dans une nouvelle crise de rire.
Sentant que nous bouillions d'envie de commencer (et que le professeur Lockhart en perde sa baguette n'a pas aidé Dorys à se calmer… et pour le coup, elle risquait, et nous avec, d'avoir vraiment des problèmes), nos enseignants ont décidé d'abréger et de nous mettre en équipe.
Problème : nous étions trois. Encore que l'une d'entre nous, se tenant le ventre et les larmes aux yeux, ne paraissait pas en mesure de se battre.
— Tu devrais avoir honte ! la gronda Benton. Il s'est peut-être fait mal.
Mais l'idée même ne fit que renforcer son hilarité.
Autour de nous, les paires étaient en train de se former. Et les partenaires libres de valeur équitable (nous n'allions pas non plus nous battre contre des premières années) se raréfiaient. Rogue se chargeait de mettre son grain de sel, passant dans les rangs pour faire et défaire les duos déjà formés. Jetant un regard circulaire autour de moi, je vis, à travers la foule, une main s'agiter frénétiquement. Je mis un moment à comprendre que l'appel m'était destiné.
— Jane ! Jane !
Darren. Sa tête émergea la seconde suivante, à quelques mètres de là.
Le petit Serdaigle ne m'adressait plus la parole depuis qu'il s'était mis en tête que je l'avais trahi en sortant avec Marcus Flint (assurément le seul truc positif dans cette histoire). Qu'il cherche à me parler alors que l'école entière était autour de nous, je ne voulais même pas m'y risquer ! Lui tournant le dos, j'ai commencé à battre en retraite. Sauf que ce geste de survie primaire a mal été interprété.
— Pas si vite, Tierney ! déclara le professeur Rogue me faisant tressaillir.
Presque figée, je levai les yeux vers lui. Je ne l'avais pas vu arriver. Dans son dos, Andy soutenait Dorys, toujours en train de rire.
— MacKinnon, vous ferez équipe avec Tierney ! dit-il d'une voix forte à l'attention de Matthew qui, comme d'autres intrigués par l'état de Cleath, avait fait l'erreur d'approcher. Si vous êtes aussi doués en Sortilèges qu'en Potions, vous ne risquez ni l'un ni l'autre pas grand-chose !
Matthew grimaça dans le dos de Rogue puis s'approcha en esquissant un sourire.
— On ne pourra pas être pire que Lockhart de toute façon ! plaisanta-t-il.
Et le hululement qui échappa à Dorys à cet instant nous fit tous sursauter.
— Qu'est-ce qu'elle a ? demanda Matthew inquiet.
Ne pouvant pas vraiment non plus l'expliquer, je me suis contentée d'un haussement d'épaules et d'un laconique « Elle a craqué ! ».
Andy, les joues rougies par l'agacement et un début de gêne (tout le monde les observaient désormais), de fait en équipe avec elle, lui faisait la morale. Mais rien n'y fit. Sean, un peu plus loin, en binôme avec Percy, en était presque fasciné, au grand désespoir de son nouveau coéquipier.
Bizarre, j'aurais pourtant pu parier qu'Hataway se serait mis avec… Bref. Je me morigénai mentalement. Ça ne me regardait pas !
Pourtant, de l'autre côté de la salle, je ne pus les rater. Et j'étais quasiment sûre que Rogue était derrière tout ça. Quoi que Lockhart, idiot comme il l'était, pouvait également avoir fait ce choix. Mettre ensemble Flint et Dubois ? Dans un cours de duel ? Tu parles d'une idée !
— Prête ? me demanda Matthew, me sortant de mes pensées.
J'acquiesçai d'un hochement de tête.
— On y va tranquille, pas vrai ? ajouta-t-il un sourcil haussé. Parce que tu n'es pas si mauvaise en Sortilèges…
Un sourire amusé m'échappa et je me mis en position. Le coup le plus évident était de commencer par un sortilège de Désarmement, classique mais qui avait fait ses preuves. Encore que si Matthew optait lui pour le charme du Bouclier, il pourrait facilement contre-attaquer. Ou alors, je pouvais tester quelque chose d'un peu plus audacieux, sans pour autant être dangereux. L'idée n'a pas été longue à trouver. Créativité, avait dit le professeur Flitwick ? Je comptais essayer.
— Expelliarmus ! s'écria Matthew, me prenant de court.
— Protego !
Ma baguette vibra un instant entre mes doigts mais ne décolla pas. Ma riposte ne tarda pas.
— Aguamenti !
Un jet d'eau, un peu plus puissant que prévu, sortit de ma baguette, me forçant à faire un pas en arrière pour me rééquilibrer. Matthew n'eut pas le temps de contrer mais parvint toutefois à éviter le jet en plongeant sur le côté. Manque de bol, la personne située derrière lui n'y échappa pas. En l'occurrence, Lucian Bole, de chez Serpentard. Le massif Batteur était trempé, et c'était loin de l'enchanter. Dans la seconde qui suivait, un cercle autour de nous s'était déjà formé.
— Désolée, ai-je grimacé.
Furieux et déterminé à se faire vengeance, Bole leva le poing mais fut bousculé de toute part, un chaos sans nom ayant gagné la Grande Salle. Partout, les sorts fusaient, avec des effets souvent aléatoires. Peeves aurait adoré. A vrai dire, il n'y avait guère que Dorys et Andy à n'avoir rien fait, principalement parce que l'Irlandaise continuait à rire en se tenant les côtes. Percy, le visage rouge, criait contre Sean qui envoyait ses sorts en rafale, forçant le préfet à danser de manière plus qu'étrange pour les éviter. Plus loin, Flint et Dubois s'étaient neutralisés, l'un tachant de retenir les flux de morve s'échappant de son nez, l'autre tentant d'échapper aux attaques d'étranges créatures volantes qui, je l'imagine, auraient dû être de petits oiseaux.
Matthew franchit les quelques mètres qui nous séparait en riant, et me poussa pour me faire avancer, alors que je continuais à me répandre en excuses, Bole s'approchant désormais dangereusement. Le semer ne fut pas si compliqué.
Au bout de quelques instants, d'un simple sort, le professeur Rogue annula les nôtres et ramena le calme. Preuve supplémentaire que, même avec un orgueil un peu ébréché, Lockhart s'en était vraiment bien tiré.
Réalisant leur erreur (sûrement avaient-ils surestimé nos talents en la matière), nos enseignants choisirent deux élèves pour une démonstration. Malefoy et Potter. Deux Attrapeurs, joueurs plus ou moins clé de leurs formations, qui en plus se détestaient cordialement. Grande idée, pas vrai ?
De vives protestations s'élevèrent de l'autre côté de la salle. Et je te laisse deviner de qui elles provenaient… Qui donc pourraient craindre pour leurs Attrapeurs ?
Attirés par le spectacle, nous nous sommes tous agglutinés autour de l'estrade. Pour ma part, ce fut en retrouvant les filles, tout en restant à une distance raisonnable de Bole (être en ASPIC et ne pas connaître le sortilège pour se sécher… on peut en parler ?). Dorys continuait à ricaner bêtement, ce qui mettait à chaque seconde un peu plus à vif les nerfs d'Andy. Mais pour le coup, voir la Grande Salle et les rangs des élèves dévastés ne l'aidait pas vraiment à se calmer.
Sur le point de craquer (Benton avait hâte d'être en vacances et de rentrer, elle-même le disait… autant dire que coincée ici, j'appréciais), le sort lancé par Malefoy la prit de court. Un serpent jaillit de sa baguette (assez cool, je dois l'admettre) et un hoquet de surprise presque collectif monta de la foule. Personnellement, j'aurais retourné la balle à l'envoyeur d'un petit sort de projection. Mais Potter, désarçonné, ne réagit pas immédiatement. Ce n'est que quand le serpent s'est tourné vers l'immense garde-manger qu'il avait face à lui (et pour le coup, je n'étais pas mécontente de ne pas m'être trop approchée) qu'il se décida à bouger. Sans sa baguette.
— Merde !
Je ne sais pas vraiment qui l'a dit. Mais nous l'avons tous pensé.
Potter était un Fouchelang. Evidemment.
Rien que ça. Survivant, dieu du Quidditch, tueur de chat et Fourchelang.
Ce n'était pas le genre de détail qui pouvait nous échapper, ou jouer en sa faveur. Alors qu'il était presque exfiltré de l'endroit par ses amis, les discussions s'enflammèrent. La seconde d'après, nous fûmes jetés à la porte de la Grande Salle et sommés de regagner nos salles communes.
— C'est pas un truc de Serpentard ça ? soupira Dorys, pour le coup dégrisée, alors que nous remontions à la Tour. En tous cas d'adepte de la magie noire ! Tu cherchais son héritier, tu l'as trouvé !
Parler aux serpents (parce que c'était ce à quoi nous venions d'assister) n'était pas vraiment un don courant et qui se transmettait seulement dans certaines lignées.
— Miss Teigne, passe encore… Mais pourquoi dans ce cas s'en prendre à Crivey ? ai-je objecté, ayant malgré tout du mal se faire à cette idée.
Le petit Colin n'était pas bien méchant. En admettant qu'Harry soit derrière tout ça, pourquoi l'attaquer alors qu'il voulait gentiment lui apporter un peu de raisin ?
— Il passait son temps à le suivre, répliqua Andy. Et à le photographier. Imagine que ce soit… Darren.
Oui, je voyais tout à fait.
Mais quand même.
Au ton des conversations qui nous entouraient, il était facile de comprendre que nous n'étions pas les seules à y penser.
— J'espère qu'on pourra recommencer, ai-je soufflé en franchissant le tableau de la Grosse Dame.
Les filles, passées les premières, se retournèrent et m'adressèrent un regard surpris.
— Oh, allez, c'était une super soirée !
Et c'était vrai. Malgré l'incident reptilien, cela faisait longtemps que je ne m'étais pas autant amusée.
Bon, je reconnais que devoir rejoindre directement le dortoir pour recopier mon devoir en paix (impossible à faire dans une Salle Commune bondée et surexcitée) n'était pas le moyen idéal de finir cette soirée. Mais si j'en juge par le degré de fureur atteint par Benton quand elle monta se coucher à son tour, j'avais bien fait de ne pas m'éterniser.
Et il n'y avait même pas à poser la question quant à la raison de tout ça. J'en reconnaissais parfaitement les signes.
Elle avait parlé avec Dubois. Pire encore, elle avait cherché à lui faire entendre raison.
— T'as pas fait ça… ai-je marmonné atterrée.
— Il s'est mêlé de la conversation, se défendit-elle. Il doit avoir un radar ou quelque chose comme ça.
Je n'ai pas cherché à la contredire, c'était une théorie à laquelle je souscrivais volontiers. Dubois était capable d'entendre à distance la moindre évocation de son Attrapeur, même de très loin et face au vent (il avait toutefois l'ouïe à géométrie variable, incapable d'écouter une simple explication dès qu'une certaine personne était mentionnée). Parler de Potter avec lui, c'était le suicide assuré. Essayer de le convaincre, un suicide annoncé. Ma consternation l'agaça un peu plus.
— Je disais simplement que ça commençait à faire beaucoup pour un seul sorcier ! Et que des gens capables de parler aux serpents, il n'y en avait pas de masses dans ces hauteurs-ci du château.
— Tu as eu tort au moment où tu as osé diffamer Potter, ai-je fait remarquer un sourcil haussé.
— J'ai eu tort au moment où j'ai prononcé le mot « Serpentard », répliqua-t-elle vertement.
J'avoue, je l'ai un peu pris pour moi. Plutôt que de me vexer ou de rentrer dans ce débat là (on n'allait pas non plus me faire croire que j'avais traumatisé à ce point Olivier !), j'ai préféré choisir de m'en moquer. La Nouvelle June peut être amie avec des personnes de toutes les maisons (et ça comprenait aussi les Serpentards… même si clairement, c'était loin d'être le cas), sans avoir de compte à rendre ou à se justifier.
— Dommage que Potter ne se soit pas contenté de papoter avec les oiseaux, ai-je plaisanté. Il est idiot, ai-je ajouté, voyant qu'elle allait protester. Ignore-le !
Benton parut vouloir ajouter quelque chose mais renonça.
— Tu ne prends pas sa défense ? demanda-t-elle, méfiante.
— Je ne comprends pas pourquoi tu essaies encore de lui parler !
Elle prit une inspiration, prête à répliquer, mais je ne lui en laissai pas l'occasion. Je connaissais en fait parfaitement la raison pour laquelle elle le faisait mais je n'avais pas envie de l'entendre. Pas maintenant, alors que je commençais à lui pardonner (à elle) et à l'oublier (lui).
— Andy, ai-je repris avec autant de douceur que je pouvais, me penchant en travers de mon lit pour attraper un nouveau parchemin. J'ai passé une très bonne soirée. Alors ne la gâche pas, s'il te plaît.
Elle hésita une fois de plus (comme quoi, ça la démangeait vraiment) mais je ne me départis pas de mon air souriant et déterminé. Je refusai de perdre encore du temps et de l'énergie à parler des Serpentards et d'Olivier. Sachant pertinemment en associant les deux ce qui reviendrait encore sur le tapis.
— T'es vraiment passée à autre chose, pas vrai ?
La note étrange de sa voix me fit lever les yeux dans sa direction. Il y avait quelque chose que je n'ai pas su identifier. Malgré tout, elle souriait, peut-être un peu tristement. Je répondis d'un hochement de tête. Pourtant, ce n'était pas vrai. C'était encore trop fragile, je le sentais. Je montais mon mur, ajoutant chaque jour des briques. L'ensemble menaçait encore de s'écrouler. Un rien y suffirait. Mais j'avançais. La Nouvelle June, en tous cas, essayait.
— Dorys n'est pas avec toi ? ai-je demandé, après m'être éclaircie la voix.
— Non, elle doit être en train de ricaner quelque part…
Ça, je le croyais volontiers. Y repenser m'arracha un sourire.
— Je crois qu'en six ans, je ne l'avais jamais vu comme ça, ai-je avoué.
Et honnêtement, ça me faisait plaisir, autant que ça me déroutait. Cette Dorys-là était tellement loin de la fille un peu froide à l'esprit hyper affûté à laquelle nous étions habitués. Les autres ne s'y étaient pas trompés. Beaucoup étaient venus lui demander ce qui l'amusait, ce qu'elle avait bien entendu été incapable d'expliquer.
— Je t'ai rarement vu autant travailler, nota Andy d'un air badin.
La remarque aurait presque pu être vexante si elle n'avait pas été vraie. Il y a quelques mois, j'aurais sûrement été une des dernières à monter, préférant passer ma soirée à me moquer du professeur Lockhart avec les autres dans la Salle Commune. Là, je me retrouvai à travailler sur mon lit, seule dans mon dortoir, entourée d'une mer de parchemins. Comme quoi, tout pouvait arriver.
Quand Dorys nous a rejoints, plus tard dans la soirée, Andy et moi étions toujours en train de discuter. Sereinement. Naturellement. Ce qui n'était pas arrivé depuis une éternité. Avec un pincement au cœur, j'en ai pris conscience.
Je pouvais y arriver.
oOo
Sans surprise, le club de duel n'a pas survécu à cette épique première séance. Si la plupart des élèves (et l'intégralité du corps enseignant) sont tombés d'accord pour dire que c'était une bonne chose, ça n'a pas été mon cas.
Ok, on avait frôlé la catastrophe (et finalement le petit incident entre Potter et le serpent n'était que la partie émergée de l'iceberg). Mais renoncer si tôt et pour cette simple raison était à l'opposé même de ce que nos enseignants essayaient de nous inculquer : ne pas s'arrêter à la première difficulté, persévérer… On réussit rarement d'un seul essai.
On ne peut pas prêcher le goût de l'effort et du travail durant des années et renoncer au seul truc marrant qui nous soit accordé depuis des semaines. Surtout en ce moment.
— Il n'y avait que toi pour trouver ça « marrant », signala Andy, deux marches au-dessus de moi, alors que plusieurs jours après, nous avions pour la quinzième fois au moins cette conversation.
— Pas du tout ! ai-je protesté, m'écartant pour laisser passer un troupeau de première années, dévalant l'escalier. Nous avons été nombreux à…
Un simple regard entendu suffit à me réduire au silence. Bon, j'admets, de nos connaissances, j'étais la seule à ouvertement regretter ce club.
— Dorys s'est amusée ! ai-je malgré tout rappelé, pour la forme.
Et ça, pour le coup, personne ne pouvait le nier. Surtout pas la principale intéressée, qui, bien que prête à répliquer, au simple souvenir de cette soirée, se contenta d'un petit ricanement.
— C'était dangereux et…
— Andy, je t'en prie ! Si le club est annulé, c'est simplement à cause de ce que Potter a fait.
— C'était une idée de Lockhart, rétorqua-t-elle les sourcils froncés. Tout est dit !
Et pour le coup, ça ne lui avait pas franchement réussi. Dorys dût suivre le même chemin de pensées puisqu'elle pouffa dans la seconde qui suivit.
— Si ça te manque tant que ça, suggéra toutefois cette dernière, se reprenant rapidement, tu n'as qu'à demander à le remonter. Je suis sérieuse, ajouta-t-elle alors que je levais les yeux au ciel.
J'avais surtout vu ça comme une façon élégante de me suggérer de laisser tomber.
— Tu passes ton temps à chercher à nous prouver que c'est important, reprit-elle alors nous arrivions au palier menant au département de Métamorphose. Que c'est dans l'esprit de Poudlard, et blablabla. Va donc le dire aux principaux intéressés !
Ok, en fait, c'était une façon élégante de me suggérer de leur foutre la paix. Pour autant, j'ai considéré l'idée.
— Arrête, grogna Andy à l'attention de Dorys, tout en gardant un œil inquiet sur mon air soudainement songeur. Les profs refuseront. Avec les ASPIC, June a sûrement mieux à faire !
— Ça lui coûterait quoi de demander ? sourcilla Cleath. Je trouve au contraire, que c'est une bonne idée. Ça lui ferait un beau projet ! Tu es la première à dire qu'elle a besoin de se changer les idées !
Là, j'avoue, j'ai tiqué. Parce que si Andy l'avait fait, je ne m'en souvenais pas. Ce qui signifiait probablement qu'elles parlaient de moi quand je n'y étais pas. Chose qui n'aurait pas dû me surprendre. Enfin, en théorie…
Ignorant mon trouble et convaincue par l'argument, Andy fit la moue et hocha la tête, lentement. Ce détail réglé, toutes deux se tournèrent vers moi, et récoltèrent un regard noir du plus bel effet.
Que ce soit clair, la Nouvelle June n'avait pas besoin de se changer les idées. Cela dit, la Nouvelle June aimait la perspective de nouveaux défis et de nouveaux projets. Aussi ai-je pris le temps par la suite d'y repenser.
Je n'avais jamais vraiment été attirée par les clubs existants, mon temps libre entièrement consacré au Quidditch et à mes amis. Si certains avaient, lors de ma première année, réussi à attiser ma curiosité, ça n'avait pas été le cas pour Andy et Olivier, mes tous premiers amis (des années après, nous ne sommes toujours pas parvenus à nous mettre d'accord sur ce que le terme « intéressant » recouvrait). Et y aller seule, à l'époque, c'était moins marrant.
La possibilité de pouvoir en créer un en revanche ne m'avait jamais effleuré l'esprit.
— Tu n'as peut-être pas de temps à perdre cette année avec ce genre de paperasses, soupira Andy, alors que nous rejoignions les autres élèves devant la salle de classe.
— Monter un club ne doit pas non plus être si compliqué, ai-je répondu avec un haussement d'épaules.
En fait, si, ça l'était, comme me l'a appris le professeur MacGonagall quand, dès la fin du cours, une fois les derniers élèves partis, je suis allée me renseigner.
— Un club ? répéta-t-elle en croisant les mains sur son bureau. Vous voulez monter un club ?
Autant dire que c'était plutôt mal engagé. La gêne m'a rapidement gagnée.
— Dans la simple hypothèse où… Il faudrait quoi ?
Mon air détaché n'a pas franchement eu l'air de la convaincre. Elle prit quelques instants pour me dévisager. Je me suis efforcée de soutenir son regard, le sourire aux lèvres, et sans ciller.
— Il vous faudrait le parrainage d'un des enseignants, finit-elle par soupirer. Ainsi qu'un dossier dûment rempli, et autant vous avertir Tierney, il est long ! Vous devrez le remettre à votre directeur de maison, c'est-à-dire moi, le but étant de justifier le club que vous créez. Il faudra également remplir une demande pour le lieu que vous souhaitez occuper, selon vos activités, qui devra être adressée au directeur ainsi qu'à notre concierge.
Je fis mine de ne pas paraître plus impressionnée que ça. Ce qui n'a bien entendu pas marché. Malgré mes efforts, mon rictus était sûrement plus proche du « Hein ? Quoi ? Tout ça ? » que du « Ah bon ? Rien que ça ? ».
— Nous vous demanderons par la suite d'autres documents en fonction des activités que vous viserez…
Plutôt normal, quand on y réfléchissait. Un faible mouvement de la tête me permit de le lui montrer que j'avais saisi.
— Pourrais-je savoir de quel club il s'agit ? demanda-t-elle avec méfiance.
Quelque chose, l'instinct sûrement, m'a soufflé que si je lui disais la vérité, elle ferait tout pour me décourager. A la place de ça, j'étais vraiment tentée de répondre par une plaisanterie. Par exemple, le club des victimes de Stupide Olivier. Avec Flint, elle et moi, nous comptions déjà nos trois premiers membres !
Pas certaine que ça puisse l'amuser, je me suis abstenue. Après la discussion que nous avions eue dans son bureau le mois dernier, c'était peut-être un peu risqué.
— Rassurez-moi, ce n'est pas un club de supporter ? demanda-t-elle me sortant de mes pensées. Parce que pour ne rien vous cacher, mes collègues et moi-même avons déjà suffisamment de mal simplement avec nos joueurs…
Un sourire m'échappa. Cela dit, ça pouvait aussi être une idée ! Je me voyais parfaitement organiser et participer à des thés entre supporters de Flaquemare ! Je ne pouvais pas être la seule personne de bon goût, la seule à vénérer cette équipe dans cette école.
— Et… pour le dossier ? ai-je demandé.
Elle hésita un instant.
— Je préfère vous mettre en garde, Tierney. Un club est un véritable investissement. Et je ne suis pas certaine qu'en ce moment, vous…
— Mon travail n'en pâtira pas, je vous le promets.
Ma directrice de maison haussa les sourcils, surprise. Mes résultats scolaires n'étaient visiblement pas ce qu'elle avait en tête à cet instant. La voyant prête à préciser sa pensée (et je sentais gros comme un Pansedefer ukrainien un « pas certaine que vous soyez à la hauteur ! »), je m'empressai d'ajouter.
— Je veux juste y jeter un œil…
Ma diversion n'eut pas l'air de la convaincre. Après s'être accordée un instant de réflexion, elle finit par se résigner et accepter. D'un mouvement de baguette, elle fit apparaître sur sa table le fameux dossier.
MacGonagall n'avait pas menti. Il était plutôt épais.
oOo
Les filles avaient vu juste, cette histoire de club ne me laissa guère le temps ou l'énergie de penser à quoi que ce soit d'autre. Je m'étais un peu avancée en affirmant à MacGonagall que mon travail n'en souffrirait pas. Plus chronophage que la paperasserie, il n'y avait pas. Le dossier avait au moins un bon milliard de feuillets, avec autant d'annexes à détailler. Alors difficile de continuer à travailler (voire à vivre) sérieusement à côté.
Le parrainage d'un enseignant était finalement (et bizarrement) ce qui m'avait demandé le moins de temps. Le professeur Lockhart, plus abordable que ses estimés collègues, s'était empressé d'accepter, à l'instant-même où j'avais abordé le sujet. Malgré mon statut de Gilderette maudite et sans ressentir le besoin d'entendre mes arguments. Il avait la réputation de signer à peu près tout ce qu'on lui présentait. Par chance, il n'y a pas dérogé. Alors oui, je sais. C'était la solution de facilité et je n'en tire aucune fierté. En fait, je ne suis pas vraiment certaine qu'il a bien compris ce à quoi il s'engageait.
Ma première idée avait été de demander au professeur Flitwick. Dans l'absolu, c'était le candidat parfait. Il était calé en duel et en sortilèges, je n'étais pas non plus trop mauvaise dans sa matière (ce qui m'éviterait certains commentaires). Et surtout, il n'avait pas traversé la Grande Salle en volant. On ne pouvait pas meilleur choix.
Mais quand j'avais essayé d'évoquer le sujet avec lui, alors que, comme à son habitude, il enchantait le sapin qu'Hagrid venait d'amener dans la Grande Salle avant qu'on serve le dîner, il ne s'était pas franchement montré enthousiaste. Bien moins en tous cas que lorsqu'il avait cherché à nous convaincre de donner sa chance au club quelques jours auparavant.
Surtout quand j'ai fait l'erreur de mentionner le professeur Lockhart (pour amener le sujet sans vraiment me dévoiler, je lui avais laissé entendre que nous avions, en cours, évoqué avec lui l'avenir du club de duel). S'il s'était montré ravi de mon intérêt évident pour son domaine d'enseignement, il m'avait bien fait comprendre que ce genre de club serait, selon ses propres termes, « trop complexe ».
Je sais bien qu'il parlait certainement de la période que nous vivions, pas vraiment propice à tout ça (merci encore Harry Potter !), mais je n'ai pas pu m'empêcher de le prendre pour moi. La Nouvelle June pouvait faire des efforts et se répéter que ça irait, en attendant, la vraie June continuait à faire comme si, loin d'être encore à la hauteur.
C'est principalement pour ça que je tenais à garder tout ça secret. Autant ne rien dire et éviter les commentaires, tant que le oui ou le non n'était pas décidé.
Je sais que les filles me charriaient (enfin, je l'espérais) en disant que le projet m'occuperait, mais c'était vrai, je ne voyais plus le temps passer. Pour tout te dire, je n'ai aucun souvenir de ce qui s'est passé durant ces quelques jours, et encore moins de ce qu'a pu faire ou dire Olivier.
Grâce à ma nouvelle organisation (et à la fin d'année approchant, qui avait, inconsciemment, fait lever le pied à certains de nos enseignants), j'arrivais à me dégager un peu de temps libre pour m'y consacrer. Comme ce soir-là, dans la Salle Commune, où les distractions ont pourtant défilé !
Comme la majorité de la maison, Andy et Dorys étaient parties travailler à la Bibliothèque. Dubois étant pris par son entraînement, j'étais libre de profiter un peu de l'ambiance plus détendue (et plus douillette, grâce à la belle flambée ronflant doucement dans la cheminée) de la Salle Commune, que j'avais désertée depuis quelques temps.
J'avais à peine eu le temps d'étaler devant moi mes documents que Dorothy, elle aussi désœuvrée à l'approche des vacances, était rapidement venue me rejoindre, déterminée à tromper l'ennui en partageant avec moi ses derniers potins et en pratiquant son passe-temps préféré (nous utiliser comme des têtes à coiffer). Sauf que pour le coup, les problèmes de Mélanie et ses amies ne m'intéressaient absolument pas. Pas plus que la dernière fois. En convaincre la préfète fut très compliqué, persuadée qu'elle était que je ne savais pas ce dont je parlais et que j'allais vite changer d'idée. L'irruption de Dubois dans la Salle Commune, en tenue complète, prêt à descendre s'entraîner, joua étrangement en ma faveur, la faisant enfin changer de sujet. Et Dorothy étant Dorothy, si elle avait eu des scrupules à évoquer l'ex d'Olivier en sa presque présence, elle n'en eut aucun à aussitôt médire sur son Attrapeur. A croire qu'elle ignorait lequel des deux était encore le plus risqué !
Son chignon tressé exécuté, la préfète ne s'était pas attardée, repérant une autre victime en la personne de la petite Weasley.
J'étais plongée dans la rédaction du règlement du club depuis presque une heure quand Borys Lewosky (soucieux et les bras chargés) et Matthew MacKinnon (franchement amusé), les camarades de dortoir de Sean et Percy, vinrent s'asseoir à ma table.
Déconcertée, je relevai la tête vers eux.
— Tierney, tu peux m'aider ? demanda Borys, presque suppliant.
— Qui ? Moi ? ai-je répondu le front plissé.
Je sais que c'est idiot, mais j'avais besoin de m'en assurer. Je n'étais pas vraiment la personne à qui on venait demander de l'aide pour le travail. Pour d'autres choses oui (encore qu'en fait, non, on venait rarement me demander des conseils en vérité), mais pas pour le boulot.
Ma méfiance les surprit un instant. Si MacKinnon se mit à rire, Lewosky se reprit vite et hocha la tête, très sérieux.
— Je n'arrive pas à finir ma traduction, soupira Borys avant de jeter un regard noir en direction de son meilleur ami. On n'est pas d'accord sur la traduction de « Dazkar ». Matthew soutient que ça veut dire « flotte », ce qui est vrai, littéralement. Mais dans le contexte, c'est… c'est idiot !
Miles, notre professeur d'étude des Runes, avait eu la brillante idée de nous faire tirer au sort nos sujets. Ce qui m'avait amenée à me débattre de longues heures durant avec des caractères cunéiformes qui, que ce soit clair, sont absolument tous les mêmes, mais présentent l'avantage de pouvoir être traduit littéralement. Les runes nordiques, en revanche, laissaient la place libre à toutes sortes de licences poétiques.
— Tu devrais demander à Percy… ai-je grimacé, désolée. C'est lui le spécialiste.
— Oui, mais j'en aurai pour trois heures, marmonna-t-il abattu. Il ne voudra pas simplement me donner la réponse ou me laisser copier. Il va m'expliquer jusqu'à ce que je comprenne, sauf que je ne vais pas comprendre et je vais me sentir encore plus bête.
Je ne pus m'empêcher de sourire. C'était tout à fait Percy. Plutôt que de nous donner à manger, notre préfet était du genre à vouloir nous apprendre à pêcher.
— C'est plutôt gentil, ai-je tenté.
— C'est plutôt très chiant !
Le soulagement de Borys, quand j'ai posé ma plume, signe que j'allais jeter à un œil à son devoir, manqua de me faire éclater de rire. Mon amusement s'évanouit cependant rapidement, lorsque je découvris l'extrait en question.
— Mmh… je vois, ai-je dit, penaude. Demande à Percy, désolée.
Résigné, Borys soupira, les épaules basses.
— Weasley !
Son cri fit sursauter l'ensemble de la Salle Commune, Matthew et moi les premiers. Mais curieusement, pas notre préfet qui s'était installé dans le canapé, face au feu (comme un papi, s'étaient moqués ses frères avant de descendre s'entraîner) pour bouquiner.
— Laisse tomber Lewosky ! grogna-t-il, sans même se tourner vers nous. J'ai tout entendu !
— Oh, allez, ne te vexe pas ! répondit Borys, levant les yeux vers le plafond. Tu sais que tu es mon préféré ! Tu l'as toujours été !
La tête de Percy, quand il se tourna vers nous, était impayable. Un autre que lui aurait sûrement répondu à Borys d'un geste obscène. Mais pas notre préfet. Il était trop bien élevé. Lewosky en profita pour en rajouter.
— J'ai choisi Matthew uniquement parce que je ne peux pas t'avoir, toi !
Consterné, Percy ne trouva rien à répliquer. Interprétant son silence comme un « oui, très cher, je serai ravi de t'aider », Borys rassembla d'un grand geste ses petites affaires et partit le rejoindre, sous nos yeux amusés.
— Tout est vrai, soupira Matthew, faisant basculer sa chaise pour se balancer. Je ne suis que son lot de consolation.
Sur le point d'éclater de rire (avec Sean, et malgré Olivier, ces trois-là devaient vraiment s'amuser dans leur dortoir !), je me repris toutefois en entendant Matthew renifler. Déstabilisée, je n'ai pas su quoi dire, jusqu'à ce que MacKinnon se mette à pouffer. L'espace d'un instant, il m'avait presque faite douter.
— Oh, on t'avait peut-être dérangée ? demanda-t-il, gêné, avisant soudainement les multiples parchemins étalés sur la table que j'occupais. Pardon, je vais te lais…
— Non, t'inquiète, ça va ! l'ai-je interrompu en m'étirant légèrement (une pause ne pouvait pas me faire de mal). Toi, en revanche, tu risques d'avoir des problèmes si on te voit parler avec moi…
Comprenant ce que cela impliquait, Matthew grimaça un sourire coupable.
— Borys est occupé, il ne s'en apercevra même pas ! me confia-t-il en se penchant vers moi.
A vrai dire, je pensais surtout à Olivier, qui risquait certainement de faire payer à son camarade de dortoir le fait de me côtoyer, sans y être obligé. Quitte à en être « sali ». Je ne pensais pas un instant à Borys. Lui aussi m'en voulait ? Dubois et ses stupidités avaient sûrement réussi à le contaminer. Il avait pourtant été amical et gentil, quelques secondes encore auparavant.
Confuse (et légèrement attristée), je n'ai pas su quoi répondre. Ce n'est qu'en voyant le sourire de Matthew que j'ai compris qu'il me faisait marcher.
— Ça risque de ne pas plaire à Dubois, ai-je toutefois pris le soin de préciser.
La Nouvelle June pouvait plaisanter avec ça. Mais la June actuelle avait encore un peu de mal à assumer. C'est comme ça, en tous cas, que j'ai interprété la sensation de malaise qui m'avait gagnée.
— Remarque, ça ne changera pas, soupira Matthew, en équilibre sur sa chaise, ne se retenant à la table que du bout des doigts. Il est infect, et ça dure depuis des semaines, reprit-il, indifférent à mon trouble. Tu n'imagines pas ! Toujours à se plaindre, toujours à…
Semblant réaliser à qui il parlait (à savoir, rien d'autre que la cause de tout ça), il baissa la tête et se gratta le nez, embarrassé, avant de marmonner.
— Enfin, tu vois…
Non, en fait, je ne voyais pas. Je savais ce dont j'avais été victime, pas ce que Dubois faisait ou pensait quand il n'était pas en train de s'en prendre à moi. Certains avaient essayé de me faire croire qu'il n'allait pas bien, qu'il était malheureux. Et je crois qu'il y a peu, une partie de moi aurait tout donné pour savoir si c'était vrai. Pour que ce soit vrai.
Aujourd'hui, ce n'était plus le cas.
— Même si j'avoue qu'il va quand même mieux depuis…
De nouveau, il laissa sa phrase en suspens et m'adressa un regard entendu. Là encore, je n'avais pas idée de ce dont il parlait. Même si honnêtement, il ne fallait pas chercher bien loin sur ce qui pouvait remonter le moral d'Olivier : l'arrivée des vacances, la qualification de l'Angleterre, ou le fait que je lui ai dit de ne plus jamais chercher à me parler.
— Bref, je prends le risque. Au pire, il me fera la gueule toute la soirée, plaisanta MacKinnon, reposant doucement au sol les pieds de sa chaise, avant de réaliser. Merlin, en fait, c'est une super idée !
Je ne savais pas trop comment le prendre, mais je pouvais aussi comprendre qu'on puisse avoir envie que Dubois nous foute la paix. Si je pouvais rendre service… même juste pour ça.
— Tu bosses sur quoi ? reprit Matthew, bras croisés sur la table. Potions ?
Un simple regard me suffit à lui répondre. J'avoue que malgré mes résolutions, j'avais un peu jeté l'éponge. Lui était bien placé pour connaître le naufrage dans lequel j'étais embarquée.
— Tierney… fit-il, légèrement hésitant. Tu regrettes de l'avoir pris en ASPIC parfois ?
Surprise, je le considérai un instant. C'est drôle, personne ne m'avait jamais vraiment posé la question. Pour chacun, et c'était une chose à laquelle je souscrivais, je l'avais voulu, je l'avais eu. Je devais assumer. A quoi bon perdre son temps en regret ? Mais finalement, Matthew se retrouvait dans la même situation que moi. Pour presque les mêmes résultats.
— J'en sais rien, ai-je avoué. Je n'y prends pas vraiment du plaisir mais…
Un haussement d'épaules fut en cet instant ce qui exprimait encore le mieux le fond de ma pensée.
— Ouais, souffla-t-il. C'est un peu pareil pour moi. Mais pourquoi tu as accepté dans ce cas ?
Ça, pour le coup, ça n'était pas tout à mon honneur.
— Un sursaut d'orgueil, je crois. Et toi ?
Il s'accorda une seconde le temps de la réflexion.
— Je ne sais pas encore ce que je ferai plus tard, finit-il par expliquer. Alors, je crois que je préfère mettre toutes les chances de mon côté.
Ce qui était sûrement la meilleure des raisons, tout compte fait. J'adressai à Matthew un sourire encourageant. Avec une voie toute tracée dans le milieu du sport, un plan monté depuis ma première année (même si je m'en tiendrai à une version sans Olivier désormais), je n'avais pas tant de questions à me poser. Enfin, ça, c'était si j'y parvenais.
Une bouffée d'angoisse me comprima soudainement la poitrine. J'étais toujours partie du principe que ça devait arriver, que d'une certaine façon, c'était ma destinée. Mais au fond, qu'est-ce que j'en savais ? Il me restait moins de deux ans d'études, et après…
Est-ce que moi aussi j'avais mis toutes les chances de mon côté ? Parce que mes parents, mon père en particulier, ne manquaient pas une occasion de me dire que cette carrière là était compliquée. J'aurais peut-être déjà dû commencer à m'en inquiéter, à me renseigner. Cibler les langues les plus parlées dans le milieu, les apprendre, démarcher des journaux, acquérir de l'expérience, me former. La passion ne suffirait sûrement pas, pas plus que quelques mois passés à faire ma plume en écrivant dans mon journal intime.
Et si je me trompais ? Et si je n'y parvenais pas, si je ne suffisais pas ? Je ferai quoi ? Ce n'était un secret pour personne, j'étais loin d'être douée…
Comme un tourbillon, un vif sentiment de panique menaça de m'aspirer. Indifférent à tout ça, MacKinnon reprit la parole, me faisant tressaillir.
— En tous cas, avoua Matthew en se balançant de nouveau sur sa chaise, je trouve ça plutôt cool que tu suives ce cours !
— Ça te fait toujours quelqu'un de moins bon que toi, c'est ça ?
Il éclata de rire, mettant un bref instant à mal son équilibre. Mais pour autant, ne démentit pas. Ce que je comprenais totalement. Je donnerais cher parfois pour ne pas être la plus mauvaise du cachot !
— Sur quoi tu t'acharnes, alors, si ce n'est pas pour Rogue ? demanda-t-il, sa curiosité visiblement piquée.
La prudence aurait dû me retenir de dire la vérité. Personne n'était vraiment au courant. Si je ratais, ça passerait inaperçu, personne ne le saurait… Je secouai aussitôt la tête, me ressaisissant mentalement. Quand j'allais réussir ! Si je ne commençais pas par croire en moi, personne ne le ferait !
— Je vais essayer de remonter le club de duel…
Les mots m'échappèrent, avant même que je n'aie le temps de le réaliser. Surpris, Matthew ouvrit des yeux ronds, laissant retomber sa chaise sans douceur.
— Vraiment ? fit-il, sceptique. Les profs vont te laisser faire ?
— Pour l'instant, ils ne sont pas vraiment au courant. Et si ça se trouve, je ne vais pas y arriver, ou ça va tomber à l'eau, et puis franchement, c'est affreusement compliqué alors, j'évite un peu d'en parler et…
Je dus m'arrêter, à bout de souffle. Songeur, Matthew hochait distraitement la tête. Un bref silence s'installa, seulement troublé par le léger bruit de quelques autres conversations et par les explications, un brin agacées, de Percy Weasley.
— Remarque, on s'était bien amusés la dernière fois, finit par reconnaître Matthew. Bole était furax !
Le Batteur de Serpentard continuait à m'adresser un regard noir lorsqu'il m'arrivait de le croiser. Il ne l'avait visiblement toujours pas digéré.
— A ce qu'il paraît, il ne se douche qu'une fois par an, ajouta-t-il sur le ton de la confidence.
Un léger rire m'échappa.
— Le pauvre, il gardait probablement cette douche pour les grandes occasions !
— En même temps, Noël n'est pas dans si longtemps…
J'aurais sûrement dû continuer la plaisanterie (rien ne disait que Lucian « Cracra » Bole voulait se doucher pour Noël !), mais une autre pensée venait de me traverser l'esprit.
— Tu restes pendant les fêtes ? ai-je demandé, de but en blanc.
— Oui, répondit Matthew sans se formaliser du soudain changement de sujet et en opinant du chef. Et toi ? C'est la première fois ?
Il avait en fait parfaitement compris ce dont je voulais parler. C'est idiot, mais je n'ai pas pu m'empêcher de ramener mes yeux vers mes parchemins, un peu gênée.
— Tu verras, me rassura-t-il. C'est plutôt sympa. On mange bien, y a carrément moins de monde. Et puis comme nos parents culpabilisent un peu, en général, on a plus de cadeaux.
Pour le coup, je n'avais pas pensé à ça. Même si je doutais fortement que ça puisse être mon cas. Mais peut-être qu'il avait raison, comme les autres. Peut-être que ça ne serait pas si terrible que ça. Il y aurait Percy, Penny. Matthew aussi était sympa.
— Fred et George restent aussi apparemment, ai-je ajouté, avec un sourire. Ça promet !
Et pour le coup, MacKinnon s'empressa d'acquiescer, avant de penser à quelque chose et se mettre à pouffer.
— Tu sais comment ils ont rebaptisé la Cellule ?
Non, pour le coup, je l'ignorais. J'en avais, de fait, été mise à l'écart depuis ma dispute avec Olivier. Je me doutais bien que le dispositif tenait toujours, que les réunions avaient encore lieu (je pense en avoir surpris une dans la Salle Commune en rentrant un soir après la fermeture de la Bibliothèque), mais je n'y étais plus conviée, et aucune directive n'avait été transmise à l'agent double qu'aux yeux de tous, j'étais devenue.
Si au départ, j'en avais presque été peinée, j'avais vite réalisé que j'avais bien d'autres choses à penser.
Les yeux de Matthew pétillaient, se régalant à l'avance de sa plaisanterie. D'un sourire, je l'encourageai à me l'expliquer.
— La Cellulite…
Un éclat de rire m'échappa. Ils avaient osé ? Du génie, tellement Fred et George Weasley ! En revanche, il y en avait un qui n'avait pas du tout dû apprécier. Tout ce qui avait trait au Quidditch ou à son équipe était sacro-saint pour Olivier.
— Ça a le don de le rendre din… me confirma Matthew, devinant ma pensée, avant de soudainement se figer.
Intriguée, je suivis son regard et sentis à mon tour mon sourire lentement s'évanouir.
Devant la cheminée, en train de parler à Borys et Percy, se tenait justement Olivier.
Un mauvais pressentiment m'étreignit.
Il était seul, sans ses coéquipiers. Depuis combien de temps ? Il nous avait entendus parler ? Je m'efforçai cependant de me calmer. De rares flocons fondaient encore sur son équipement, signe qu'il venait sûrement d'arriver.
Et puis même ? Qu'est-ce que ça faisait ? Je me moquais totalement de ce que pouvait croire ou penser Olivier.
A la façon dont il dévisageait son camarade de dortoir, le regard sombre, il avait forcément entendu qu'on parlait de lui. Bien évidemment, il ne posa pas un instant les yeux sur moi. En tous cas, il s'y efforça, repoussant (de manière presque ridicule) au loin son regard dès que je le sentais glisser dans ma direction.
De quelques mots plutôt brusques (je l'ai senti même de là où j'étais), il répondit sèchement à Percy qui, indifférent à tout ça, continuait à lui parler, même lorsqu'il tourna les talons et monta quatre à quatre les marches menant à son dortoir.
Son attitude ne parut pas désarçonner plus que ça les garçons (l'habitude, certainement) qui échangèrent un regard entendu, avant de se tourner vers nous. J'étais bien plus mal à l'aise pour ma part.
— C'était bizarre… ai-je marmonné.
Gênant était sûrement plus approprié. Mais la Nouvelle June se devait de se détacher de tout ce que pouvait provoquer Stupide Olivier.
— Il va te tuer ! déclara avec gravité Borys à l'attention de son ami.
Haussant les épaules, Matthew se remit à se balancer.
— Faut savoir ce qu'il veut !
Ricanant, Borys était prêt à objecter, mais Percy en décida autrement, lui rappelant que certaines personnes avaient autre chose à faire, non sans m'adresser un regard, entre l'appel au secours et un vague soutien.
Une culpabilité injustifiée me serra le ventre. D'une certaine façon, Matthew avait sûrement trahi je ne savais quel pacte d'honneur et de loyauté en venant me parler. A tous les coups, Dubois allait lui reprocher de ne pas être resté de son côté. Débile à souhait, je sais. Mais peut-être que si Dorys ou Andy avaient passé du temps à rire avec lui, moi aussi, j'aurais…
— Désolée, ai-je soupiré.
Surpris, Matthew me dévisagea un moment, avant de laisser retomber sa chaise bruyamment sur ses pieds.
— De quoi ? dit-il avec un sourire. Ce n'est pas parce qu'il n'a plus le droit de te parler, qu'on doit tous faire pareil !
Sauf que le droit n'avait rien à voir là-dedans. Personne n'avait pas interdit à Dubois de m'adresser la parole.
Enfin, à part moi. Mais depuis quand est-ce qu'il faisait ce que je lui demandais ?
Matthew se trompait. A l'écouter, c'était presque une sorte de punition qu'on avait infligée à Olivier. Alors qu'en fait, il s'était arrogé ça tout seul, comme un grand, et depuis plus d'un mois. Prête à éclaircir ce point, je laissai finalement tomber. C'était de l'énergie que je ne devais plus gaspiller.
— Qu'il boude, reprit finalement MacKinnon en s'étirant. Pendant ce temps-là au moins, j'aurais la paix !
Et pour le coup, c'était quelque chose que je pouvais comprendre. Matthew attrapa un de mes parchemins pour y jeter un œil.
— De ton côté, ça a l'air d'aller mieux en tous cas… dit-il d'un ton badin.
Auquel j'aurais cru s'il n'avait jeté un rapide coup d'œil dans ma direction par-dessus le parchemin.
— Ça n'a pas été facile tous les jours, ai-je reconnu, mais je vais de l'avant. Enfin, j'essaie.
Cette fois, Matthew me regarda franchement.
— Ça se voit.
Avec un sourire, il me rendit mon parchemin.
— Tu crois que vous vous reparlerez ?
La question n'était pourtant pas compliquée. Oui, non, je ne sais pas. Pour autant, j'étais incapable de me décider. C'est idiot, mais je me rendais compte seulement depuis peu que ce n'était pas un cauchemar que je traversais, qu'aussi bizarre que tout soit devenu, c'était la réalité. Une fois ce fait accepté, j'avais compris que je devais faire avec, et avancer. Je pouvais y arriver. Ne sachant pas quoi dire, j'ai préféré en plaisanter.
— Ça me paraît mal barré, ai-je dit en désignant d'un coup d'œil l'escalier par lequel il s'était échappé.
Ne pouvant affirmer le contraire, Matthew grimaça et prit appui sur la table pour se lever.
— Allez, j'arrête de t'embêter. Ces deux là vont s'entretuer, expliqua-t-il, alors que j'allais protester.
Et effectivement, sur le canapé, Borys et Percy semblait sur le point d'en venir aux mains. Il ne fallait jamais sous-estimer le pouvoir d'une rune mal interprétée. Sur le point de partir, Matthew se tourna vers moi, une dernière fois.
— Bon courage pour le club. Si ça marche, on viendra. C'était plutôt marrant l'autre fois !
Marrant, c'était bien ça. Dommage que les filles n'aient pas été là !
oOoOo
Je pensais sincèrement qu'après ces semaines mouvementées, nous pourrions finir l'année dans le calme et la douceur. Evidemment, comme (j'imagine) bien d'autres, je me trompais.
Nous en avons tous eu la preuve au moment où les choses commençaient à s'arranger, au moment où nous nous y attendions le moins en vérité. Je crois qu'au fond, c'est comme ça que le malheur aime frapper, de manière improbable et souvent inattendue.
Pour nous, en plein après-midi, au cœur même du château.
La journée avait pourtant bien débuté. Un furieux blizzard levé la veille avait provoqué l'annulation des cours en extérieur. Ce qui ne pouvait qu'être une bonne chose puisque le professeur Chourave était d'une humeur de chien dernièrement (aussi grincheuse et irritable que ses Mandragores en pleine crise d'adolescence), et que d'après les échos que nous avions, une nouvelle brèche avait été percée dans le poulailler d'Hagrid, notre garde-chasse étant désormais déterminé à ensorceler l'ensemble de la clôture avec l'aide de Brûlopot…
Et tu imagines parfaitement, Journal, le potentiel catastrophique de la chose.
Une journée banale en somme, presque paisible. En tous cas, trop pour le monstre qui décida de passer à l'acte.
Un fantôme et un Poufsouffle. Si les paris avaient été ouverts, c'est une combinaison sur laquelle personne n'aurait jamais misé. Je crois que c'est ce qui a rendu le tout encore plus traumatisant.
Pour tout te dire, même Peeves a flippé. Un esprit frappeur. Effrayé. Pour l'avoir entendu hurler, je te peux t'assurer que c'est vrai !
Depuis que nous étions en ASPIC, le professeur MacGonagall ne parvenait plus à obtenir un silence de cathédrale entre ses murs qu'en deux occasions : lorsqu'elle avait quelque chose à nous faire noter, ou lorsqu'elle nous interrogeait. Comme ici sur les variables d'un sortilège Protéiforme appliqué à deux tasses et un crapaud. Autant dire qu'elle avait face à elle un océan de têtes baissées (fuir le contact visuel dans ces cas-là ne relevait même plus d'une quelconque stratégie mais d'un véritable instinct de survie). On pouvait presque entendre le battement du cœur de notre directrice de maison via la veine palpitant sur son front. Alors, pour ce qui était d'entendre quelqu'un hurler…
Glacée, je me suis aussitôt redressée.
Cette fois, le doute n'était pas permis. Ce n'était pas de cris victorieux dont il s'agissait (et de toute façon, en Europe ou dans les îles britanniques, aucun match n'était joué).
A Poudlard, il existait une multitude de raisons pouvant pousser une personne à hurler, Peeves étant souvent à l'origine d'une bonne moitié. Donc ce n'est pas vraiment ce qui nous a inquiétés. Comme sculptée dans le marbre, MacGonagall était d'ailleurs l'exemple même de l'impassibilité.
Ce n'est finalement que lorsqu'elle se mit en mouvement, rejoignant la porte la baguette à la main, que nous avons compris que le pire était certainement de nouveau arrivé.
— Ne bougez pas ! nous ordonna-t-elle. Ne sortez pas ! Weasley, fermez derrière moi !
Elle quitta la pièce sans un regard pour nous. Durant une seconde de flottement, encore tous surpris par sa sortie, nous n'avons pas bougé. Percy, assis le plus près de la porte, la bouche légèrement bée, hésita à se lever, ne sachant pas s'il fallait véritablement fermer.
— C'est le monstre ! finit par dire Taylor, brisant le silence (et qui pour le coup, cette fois, disait sûrement vrai).
Le frottement des chaises sur le carrelage fut étourdissant.
Levée parmi les premiers, j'étais à la porte en quelques foulées, bousculant Percy et manquant de peu de percuter Olivier. Ce dernier se stoppa net et me laissa passer. Et je t'avoue que, même si je m'en contre-fiche totalement, je n'ai pas su comment interpréter son mouvement de recul, motivé (au choix) par un dégoût et un refus évidents de m'approcher, ou par galanterie. Mais ne t'y trompe pas Journal, avec un monstre dans les couloirs, ça n'était rien d'autre pour lui que l'assurance de ne pas se faire attaquer le premier.
Quoi que le fait que je déboule face à lui, ma baguette magique à la main, ne doive pas être écarté du champ des possibilités.
En rang désordonné, guidés par les cris qui avaient redoublé, nous avons finalement tous désobéi et nous sommes lancés, à des vitesses bien différentes, à la poursuite du professeur MacGonagall. Ce qui, maintenant que j'y pense, était sûrement ce qu'il y avait de plus idiot à faire puisque si le monstre était bel et bien de sortie, nous venions de l'inviter à la partie de chasse rêvée.
Nous n'étions pas les seuls à avoir eu cette mauvaise idée. De nombreuses salles de classe, portes grandes ouvertes, s'étaient vidées. D'autres étaient en train de le faire, nous forçant désormais à ralentir et marcher. En jouant des coudes, nous avons malgré tout pu rester dans le sillage de notre directrice de maison et continuer à avancer.
Prise dans une bourrasque glacée venue de nulle part, je frissonnai.
Le couloir était plein. Les torchères anormalement éteintes rendaient presque impossible de voir distinctement ce qui se passait. Ce qui n'arrangeait en rien le sentiment de panique presque palpable.
Les adultes présents hurlaient en vain pour nous appeler au calme, ne faisant qu'alimenter un peu plus la confusion ambiante. Entre ceux qui souhaitaient s'éloigner de Peeves (flottant un mètre au-dessus de la mêlée et toujours en train de s'égosiller) et de ce que pour l'instant nous ne discernions toujours pas, et ceux qui (comme moi) voulaient s'en approcher, un mouvement de foule se créa rapidement et m'emporta, manquant de me faire tomber. De justesse, Andy me rattrapa et me remit sur pied.
La détonation que produisit la baguette du professeur MacGonagall nous fit tous sursauter. Le silence se fit soudainement, seulement troublé par le sifflement du blizzard qui s'infiltrait par un carreau cassé.
— Retournez en classe ! s'écria l'Ecossaise d'une voix forte. Maintenant !
Si certains essayèrent malgré tout de traîner encore un peu, un regard de notre directrice de maison suffit à leur faire rejoindre les rangs. Peu à peu, dans le brouhaha inquiet des conversations, les lieux se vidèrent, nous permettant enfin de comprendre ce qui s'était passé.
Un hoquet surpris m'échappa.
Je n'avais encore jamais eu l'occasion de voir quelqu'un de pétrifié (désolée, mais Miss Teigne ne comptait pas). Dans mon esprit, je m'étais presque attendue à voir une statue. En marbre, en pierre brute, d'une couleur uniforme et minéralisée. Je crois que j'aurais préféré.
Là, en posant les yeux sur le garçon gisant au sol, à l'expression pâle et effrayée, il m'était difficile d'oublier que c'était d'un véritable être humain qu'il s'agissait, et que c'était à ça, dans les premiers instants, que la mort devait ressemblait.
Cette fois, ce ne fut pas le froid qui me fit frissonner.
Fascinée autant qu'horrifiée par ce spectacle, je ne parvins pas à m'y arracher. Ce ne fut que lorsqu'Andy m'attrapa le bras, plantant presque ses ongles dans ma chair que j'y parvins. Juste à côté du corps étendu, flottait une vague fumée noire, au ras du sol, couchée, à l'horizontale…
C'est idiot, mais je n'avais jamais vu de fantôme allongé.
— Merde ! ai-je dit d'une voix étranglée.
Mon cœur eut un raté.
Ce n'était pas juste un fantôme, c'était le nôtre.
Soudainement vaseuse, je fis mon possible pour refreiner un haut-le-cœur. Mes doigts se crispèrent sur la baguette que je tenais toujours devant moi.
Les cris de Peeves se comprenaient parfaitement désormais.
L'attaque avait fait deux victimes. En plein jour, dans un couloir très emprunté. L'Héritier et son monstre n'avaient plus peur de rien.
Nos enseignants visiblement ébranlés semblaient hésiter sur la conduite à tenir. Plus personne n'osait parler, Nous nous sommes contentés de regarder silencieusement la scène de crime, ses deux victimes (une pétrifiée et l'autre… Merlin, est-ce qu'il existait seulement un mot pour décrire ce qui était arrivé à Nick ?)…
Et son principal suspect.
Aux premières loges désormais, nous n'avons pas pu le rater.
Même Oliver ne trouva rien à dire pour le défendre, se contentant de l'observer, plus concentré que jamais. Je le sais, je n'étais pas loin. J'ai vérifié.
— Qu'est-ce que… fit MacGonagall se tournant vers nous (puis semblant se souvenir qu'elle était censée être avec nous, elle ajouta). Retournez en classe ! Vous aussi !
Mieux valait ne pas s'attarder, nous l'avons bien senti. A notre tour, nous avons rejoint notre salle, en groupe serré et bizarrement sans traîner. Même avec Potter entre de bonnes mains, le monstre était peut-être lui aussi encore dans le coin.
Patch et ses camarades de maison nous apprirent rapidement l'identité du garçon pétrifié. Finch-Fletchley, un deuxième année, gentil et discret selon notre ami préfet visiblement touché. Si ses parents étaient moldus, le gamin ne s'en était jamais vanté.
Les théories et les conjectures allaient bon train, mais je ne parvenais pas à m'y intéresser, mon esprit revenant sans cesse sur le sort de Nick.
Alors oui, ça peut paraître égoïste (en fait, ça l'est, on me l'a confirmé quand on m'a finalement demandé, face à mon silence inhabituel, à quoi je pensais), mais c'était notre fantôme. Un fantôme ! Qu'est-ce qui pouvait être assez puissant pour atteindre les morts ? Qui pouvait être assez cruel pour s'en prendre à un mort ?
Malgré toute l'horreur que pouvait inspirer ce qui était arrivé au petit Justin, ces questions là et les réponses qu'elles impliquaient étaient autrement plus inquiétantes.
C'est pour ça, qu'à mon sens, l'hypothèse d'un Potter serial killer (tout Fourchelang qu'il était) ne tenait pas. En admettant qu'il puisse en vouloir à Miss Teigne, Colin, et ce Finch-Fletchley, il n'aurait jamais essayé de s'en prendre à Sir Nicholas.
Notre fantôme était un peu sensible dès qu'on abordait le sujet de sa décapitation ratée, mais le reste du temps, il était adorable. Il avait même accepté de mentir pour me sortir d'un mauvais pas (et vu son inquiétude dans les heures qui avaient suivies, je sais que ça lui en avait coûté).
Repensant à ce moment, je cherchai des yeux Dorothy. La préfète, contrairement à ses habitudes, n'était pas en train d'échanger avec les autres ses derniers potins (et Merlin sait qu'elle devait avoir des choses à dire sur Finch-Fletchey, Potter et ce carreau cassé !). Installée de l'autre côté de la classe, elle était calmement et silencieusement assise à sa table, perdue dans ses pensées.
Me levant pour la rejoindre, je n'eus pas le temps d'aller bien loin. Après avoir sûrement livré Potter aux autorités compétentes (à mon avis, le directeur, mais selon certains, une troupe d'Aurors dépêchés par le Ministère en urgence), le professeur MacGonagall entra dans la pièce, la mine sombre. Un simple regard lui suffit à nous faire rejoindre nos places, sans moufter.
Je dus attendre la fin des cours et le rapatriement de tout le monde dans la Salle Commune pour pouvoir enfin l'approcher.
Mettant à profit le retour de Potter (finalement gardé peu de temps par Dumbledore, preuve à mon sens qu'il jouait peut-être aussi de malchance), je faussai compagnie aux filles en pleine discussion avec quelques-uns de nos cadets et rejoignis Dorothy, assise par terre, sous une fenêtre.
Que les choses soient claires, rien ne m'y obligeait. Je ne le faisais pas pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Même si elle m'avait sortie d'un sacré mauvais pas, et que je continuais à l'en remercier. J'étais inquiète, pour de vrai. Une fille comme Dorothy aurait dû être à la fête, présente dans toutes les discussions, distillant avec soin ses informations. Là, elle était assise dans le calme, les genoux serrés contre sa poitrine, jetant un regard presque absent à toute cette agitation. Ça ne lui ressemblait pas. Peut-être que ne pas avoir été vraiment moi un certain temps m'avait rendu plus sensible à ça.
— Sacrée journée, ai-je soupiré en me laissant tomber à ses côtés. Je crois que je ne serai pas contre quelques potins, tout compte fait !
Relevant les yeux vers moi, Dorothy esquissa un sourire presque triste, avant de secouer doucement la tête. Ce qui, pour le coup, fut loin de me rassurer. Elle m'avait tannée durant des jours entiers pour me raconter les petits drames des Serdaigles en dernière année, chose que jusqu'ici, j'avais esquivée. Et là, elle refusait ? Alors que j'étais prête à faire semblant de m'y intéresser ?
— J'ai pas trop la tête à ça, s'excusa-t-elle, embrassant l'effervescence de la Salle Commune du regard, avant de finalement le poser sur nos camarades, en train de discuter un peu plus loin.
Des ragots ou de la situation générale, je n'ai pas su dire ce dont elle parlait. Certainement les deux, tout compte fait.
— C'est à cause de Nick, pas vrai ?
Voyant Dorothy retenir son souffle et se figer, je craignis un instant d'avoir gaffé. Elle baissa finalement de nouveau le visage et soupira.
— C'est moche ce qui lui est arrivé.
J'acquiesçai d'un hochement de tête. Si même les morts étaient touchés, plus personne n'était à l'abri. A en croire les échos parvenus jusqu'à nous, des employés du Bureau des esprits s'étaient déplacés. L'incident avait même accompli l'exploit de sortir Binns de sa lassitude et de son éternelle placidité.
Grâce aux Mandragores, nous avions bon espoir de ramener Miss Teigne, Colin et Justin à la vie. Mais pour Nick, intangible de son état, ça s'annonçait bien plus compliqué.
Je n'ai pas su quoi dire pour la rassurer.
— Vous aviez l'air de bien vous entendre.
— Pas tant que ça, en vérité… C'est juste que moi, j'adore parler, expliqua-t-elle en me jetant un regard entendu. Et j'imagine que l'éternité doit être parfois un peu dure à meubler. Mais, ajouta-t-elle après un instant, il est plutôt cool, tu sais.
Cool n'était pas forcément le premier qualificatif qui venait quand on parlait de notre fantôme de maison, plutôt à cheval sur le respect des règles et sur notre réputation. Ma surprise n'échappa à Dorothy.
— Cool pour un fantôme, s'empressa-t-elle de préciser.
Un sourire me suffit cette fois à approuver. Nick avait ses défauts et sa petite susceptibilité, mais pour rien au monde, nous ne l'aurions échangé (même si, à en croire Patch, le Moine Gras était l'hilarité incarnée). Absorbées l'une comme l'autre par nos pensées, nous avons laissé le silence entre nous s'installer.
Entendant son reniflement amusé, je l'interrogeai du regard.
— J'étais en train de me dire que, même si je l'adore, je n'avais jamais vraiment pris mon rôle de préfète au sérieux, avoua-t-elle un peu gênée, avant de grimacer en se tournant vers le canapé. En tous cas, pas autant que Weasley…
Percy y était justement en train de s'adonner à son passe-temps préféré, à savoir empêcher sa petite sœur de respirer. Déclarée par son frère aîné « traumatisée » par les évènements, Ginny, pâlichonne et ébranlée (comme nous tous en vérité), ne parvenait pas à s'en dépêtrer.
— Personne ne peut prendre plus au sérieux son rôle de préfet, ai-je rappelé, un sourcil haussé.
Un sourire faible échappa à Dorothy. Je n'avais pas dit ça pour la consoler, c'était une vérité presque mondialement reconnue.
— Certainement pas moi en tous cas, reprit-elle doucement. Et c'est drôle parce que Nick, lui, n'est qu'un fantôme. Il n'a pas vraiment de rôle. Mais il le prenait hyper au sérieux.
Dorothy disait vrai. Un fantôme de maison n'avait pas de réelles attributions, quelque part entre le mentor et l'objet de décoration. Mais Nick veillait sur chacun de nous, à sa façon. D'un mot gentil, d'une remarque, d'une attention. Nous nous moquions de ses manières datées, et de sa tête à moitié-décapitée, négligeant peut-être un peu trop souvent son importance dans la vie de la Maison.
Ma gorge s'est doucement serrée. Ça ne faisait que rendre plus triste encore ce qui venait de se passer.
— June, toi aussi, tu crois que c'est Potter ?
La voix réduite à un chuchotement, les sourcils légèrement froncés, la préfète me posait la question, pour de vrai. Comme tout le monde, elle y avait pensé. Mais contrairement aux autres, elle avait eu vent d'un anniversaire de mort (concept logique certes, mais glauque à souhait !) qui ne s'était pas idéalement passé. Est-ce que le fait d'avoir été utilisé par Sir Nicholas pour se faire mousser pouvait pousser Potter à vouloir se venger, même plusieurs semaines après ? Aussi peu crédible et léger qu'il était, c'était d'un mobile qu'il s'agissait.
Pour autant, je n'y croyais toujours pas. J'étais incapable d'expliquer pourquoi. Même sans preuve, sans moyen de réfuter les arguments que les autres avançaient, je ne parvenais pas à me faire à cette idée. Alors, j'ai préféré en plaisanter.
— Crois-moi, ai-je doucement soufflé. Si Potter devait vraiment se venger, sa première victime aurait dû être Olivier !
Ma remarque lui arracha un véritable sourire cette fois. Je m'empressai de l'imiter.
Sauf qu'au fond de moi, ça ne m'amusait pas.
Avant même que je ne le réalise, mes yeux ont dérivé vers Dubois, adossé contre un mur à l'autre bout de la Salle Commune, les épaules voûtées et les mains enfouies dans ses poches. La mine sombre, il ne se donnait même plus la peine de feindre de s'intéresser à la conversation que ses camarades de dortoir avaient. Il s'était précipité vers MacGonagall quand la cloche avait sonné (selon Dorys, sûrement pour demander si Potter pourrait sortir d'Azkaban pour jouer) et depuis, avait gardé la bouche fermée.
Pas que j'y ai forcément prêté attention, hein ? Mais il n'avait pu échapper à personne que pour la première fois, il s'était abstenu de prendre la défense de son Attrapeur.
Pour une raison inconnue (quelque part entre le mauvais hasard et le radar à pensées désobligeantes formulées à son égard), il trouva aussitôt mon regard, relevant à cet instant les yeux dans ma direction. La Nouvelle June aurait sûrement dû pouvoir le soutenir sans problème jusqu'à ce qu'il finisse par se détourner. La vraie June avait passé (comme tout le monde) une mauvaise journée et, rougissant d'avoir été surprise en train de l'observer, baissa immédiatement les yeux, tout en se maudissant de l'avoir fait.
— Tu vas rentrer ? demanda Dorothy, me sortant de ce moment d'embarras (qui, je l'espérais sincèrement, lui avait peut-être échappé).
Dès la découverte des corps du Poufsouffle et de Sir Nicholas, la psychose s'était emparée de toute l'école, provoquant une ruée sur les dernières places du Poudlard Express. Hors de question de passer quinze jours dans un château où même les morts n'étaient plus à l'abri ! Il ne s'agissait plus seulement d'une histoire de sang (aux dernières nouvelles, Nick était partiellement décapité mais totalement sorcier) ou de Maison. Parce que oui, il y en avait toujours pour croire qu'il s'agissait d'un complot anti-Gryffondor, sorte de punition d'ailleurs pas totalement imméritée… Puisque, paraît-il, nous avons tendance à agacer.
Désormais, chacun se sentait concerné. Même les Serpentards n'en menaient plus si large en vérité.
Gryffondor ou pas, je n'étais sur ce point guère plus brave que les autres.
Dès que la voie serait libre et sécurisée, j'avais l'intention de me rendre à la Volière et d'écrire à mon père. S'il ne découvrait pas dans la presse ce qui se passait, tant pis, j'aurais à le lui révéler. Et dans le doute, je comptais quand même réserver mon billet.
— En tous cas, ai-je marmonné, je vais essayer !
Et bien entendu, mon père a refusé.
Encore que, son non n'était pas définitif. Il m'a simplement fortement conseillé (en lettres capitales et soulignées) d'écrire à ma mère. Il avait également précisé qu'il était hors de question que j'aille chez Tante May comme je l'avais suggéré, et que le prétexte de renouer avec mes racines ne marcherait jamais.
Rien n'était sorti dans les journaux, pour une raison que nous n'avons toujours pas compris. Il s'agissait de la deuxième agression dans l'école. On ne parlait plus d'un accident ! A en juger par le flux et les rotations presque constantes des chouettes et des hiboux dans les jours qui ont suivi, tous les élèves en avaient parlé par courrier à leurs proches et amis. Pourtant, la presse est restée silencieuse à ce sujet.
Ce qui n'a fait que renforcer le malaise ambiant et l'idée qu'il s'agissait d'un complot (Andy en tous cas en était persuadée).
Pour l'instant, j'étais donc toujours coincée.
Je savais qu'il aurait fallu que je demande d'abord à Tante May.
oOoOo
Si certains ont cru que les cours seraient banalisés suite à l'agression, ils se sont lourdement trompés. Bien au contraire, nos enseignants semblaient persuadés que le mieux pour nous était encore d'avoir l'esprit bien occupé. Aussi se sont-ils fait un véritable plaisir de nous submerger de travail avant deux semaines de repos bien méritées.
Pour être tout à fait honnête, par « nos enseignants », j'entends principalement le professeur Rogue.
Les derniers devoirs que nous avions rendus n'avaient pas été extraordinaires. Pour une fois, j'étais loin d'être la seule à ne pas m'être particulièrement illustrée.
— Peut-être que si vous consacriez plus d'énergie à votre travail et non dans de stupides projets, vous pourriez espérer atteindre la moyenne d'ici la fin de votre ASPIC, Tierney ! avait sifflé Rogue en lâchant d'un air pincé mon devoir sur ma table.
Il avait fondu ensuite sur sa victime suivante (en l'occurrence le pauvre Matthew), me laissant les oreilles vrombissantes et pour le moins interloquée. Je n'eus pas à chercher longtemps pour comprendre ce qu'il entendait par « de stupides projets ». Comment est-ce qu'il savait ?
Il n'y avait pas mille personnes à pouvoir le mettre au courant. Puisque Lockhart avait signé les papiers sans même les regarder, cela voulait dire que MacGonagall l'avait fait. Au fond, cela n'aurait pas dû m'étonner (les adultes de Poudlard étant en minorité, ils devaient bien à un moment ou à un autre se parler !). Pourtant, je m'en suis sentie profondément trahie.
Une soudaine vague de rancœur, dirigée autant contre Rogue et sa remarque que contre ma directrice de maison, m'a gagnée.
Je n'étais pourtant passée la voir que le matin même, apprenant durant le petit-déjeuner que les places dans le Poudlard Express se raréfiaient (ma directrice de maison me l'avait d'ailleurs confirmé). Décidée à faire d'une pierre deux coups, mon dossier enfin bouclé sous le bras, j'avais tapé à sa porte, pas vraiment rassurée. Par un petit miracle, j'étais parvenue à rester impassible lorsqu'elle avait commencé à le feuilleter.
— Vraiment, Miss Tierney ? avait-elle lâché les sourcils froncés, découvrant l'intitulé sur la première page.
Je savais bien ce qui se cachait derrière ce « vraiment ». Que ce n'était peut-être pas le moment, que ce n'était peut-être pas la meilleure des idées. Toutefois, je m'étais efforcée de conserver mon sourire confiant et mon air innocent.
Ce qui avait été d'autant moins facile quand, la dernière page tournée, elle avait relevé les yeux vers moi, presque consternée.
— Vraiment ?
Une autre façon de me faire comprendre qu'elle venait de découvrir à quel enseignant j'avais demandé.
Poussant un soupir, elle avait posé le dossier sur son bureau et s'était appuyée contre celui de son fauteuil.
— Je vais être honnête avec vous, je ne pense pas que…
— Vous savez, j'y ai beaucoup travaillé, l'avais-je coupé, moi-même surprise par mon audace (et à son air étonné, j'avais vite compris que je n'étais pas la seule). Je vous promets, j'y ai réfléchi et… Prenez le temps de le regarder, avant de refuser.
Sans me quitter des yeux, elle avait semblé peser le pour et le contre. Avant de finalement soupirer, presque résignée.
Bon, ça s'annonçait compliqué. Je le savais depuis le début, mais je pensais malgré tout qu'une petite chance me restait. Mais à en croire la réaction de Rogue, voir même le simple fait que MacGonagall lui en ait parlé, à lui, je m'étais visiblement trompée.
Pour autant, j'avais vite chassé cette idée. Pour l'instant, même avec très peu de chance, ma demande n'avait pas été officiellement refusée. Et je disposais de trois semaines pour rendre à Rogue ce devoir sur la notion d'éthique dans la confection de potions et lui prouver que j'étais capable de m'investir dans le milieu associatif comme dans celui des chaudrons !
C'était donc de mauvaise humeur que j'avais faussé compagnie aux filles après le déjeuner, espérant pouvoir passer à la Bibliothèque avant le début du cours de Sortilèges. Avec le bol qui me caractérisait, quelqu'un allait emprunter Amortentia, Felix Felicis : étude de ces potions qui changent une vie pour les vacances alors que j'en avais désespérément besoin pour mes quarante centimètres de parchemins. Quitte à être coincée dans la Salle Commune pendant deux semaines (m'étonnerait que le monstre respecte la trêve pour Noël), autant en profiter !
Pressée, je choisis de prendre le chemin le plus court. Une fois les marches de l'escalier dévalées et le rez-de-chaussée atteint, je passai le bureau de Rusard sans croiser personne, évitant ainsi la foule de la fin du déjeuner. D'ici dix minutes, l'endroit serait bondé. Pour un peu, je me félicitais presque d'avoir eu autant de nez.
Sauf qu'à l'angle du couloir, je découvris qu'une troupe de Serpentard occupaient bruyamment les lieux. Ce qui aurait sûrement été anecdotique s'il n'avait pas été question de Marcus Flint et sa cour, un mix étrange de septième et sixième années, en train de rire à l'histoire que Tobias Adler, fidèle à sa réputation, racontait d'une voix forte et à grands renforts de geste.
Juste assez pour me faire rêver !
Refusant de prendre le moindre risque, je faillis revenir sur mes pas (honnêtement, je n'étais pas d'humeur et n'avais même pas envie de leur parler), quitte à finalement risquer la cohue et devoir faire un détour.
Ma seconde d'hésitation fut de trop, puisque durant ce court laps de temps, ils m'aperçurent. Impossible de faire demi-tour désormais. C'aurait été fuir, et ils ne se seraient pas privés de me le faire remarquer. Je n'avais strictement aucune raison de le faire. Il me suffisait de passer. Sans m'arrêter, sans les écouter. Indifférente et détachée. Très Nouvelle June en fait.
Dans le doute, j'ai quand même pris soin de sortir ma baguette.
Au début, j'ai vraiment cru que ça marcherait. Mais à quelques mètres d'eux, j'ai senti le volume de leur conversation commencer à baisser, les regards dans ma direction se multiplier. En surprenant un coup de coude et un clin d'œil, j'ai compris que non, ils n'avaient pas l'intention de simplement m'ignorer.
— Tiens, tiens ! fit Bole (à qui sa douche avait vraisemblablement donné un peu d'esprit). Dis donc, Flint, ce ne serait pas ta petite chérie ?
Trop consternée pour être gênée, je lui adressai un regard noir. Rire à ses propres blagues (nulles en plus) était le comble du pathétique. Là, nous fûmes trois à ne pas partager leur hilarité. Moi, Flint et Tête de furet, jusque-là dans l'ombre des garçons. Cette dernière s'avança pour me détailler de haut en bas.
— Ça ? fit Walken écœurée. Pitié… Vous avez vu comme elle a grossi ?
Bim ! Prends-toi ça dans les dents, Tierney ! C'était gratuit et absolument pas mérité ! Enfin, pas totalement mérité. J'avais effectivement pris un peu de poids dernièrement, rendant difficile la fermeture (et parfois même l'insertion) de certains (la majorité) de mes pantalons. C'est tout le problème de se soigner avec le chocolat ! Je n'avais pas grossi. Je m'étais un peu arrondie.
Même à distance, je crois qu'ils m'ont vue m'empourprer.
— Foutez lui la paix, soupira Flint adossé contre un mur.
Loin de l'écouter, les autres s'approchèrent, ne souhaitant pas rater une occasion de s'amuser, et se massèrent au milieu du couloir, me barrant définitivement le chemin.
Face à la muraille qu'ils formaient désormais, je ne me suis pourtant pas laisser impressionner.
— J'aimerais passer, ai-je dit d'une voix que je m'efforçais de rendre assurée.
Ils échangèrent un regard moqueur. Adler, s'autoproclamant porte-parole, s'avança d'un pas.
— Oh, mais il va falloir le demander autrement…
Je n'avais vraiment eu l'occasion (ou même l'envie) de côtoyer Tobias « Ferme la ! » Adler. Jusqu'à aujourd'hui, je savais juste qu'il était le genre de type qui aurait eu sa place à Serdaigle (son adorable petite sœur, tout son opposé, y avait d'ailleurs été envoyée à la rentrée) sans sa propension à toujours vouloir la ramener et ses rêves de grandeurs (à savoir dans son cas, concurrencer Percy et devenir Ministre de la Magie… quitte à épouser la Reine, si ça pouvait aider, comme lui-même aimer le clamer… Bien que ce soit juste dégueu et sans aucun rapport !). Je savais aussi que Dean le détestait (ce qui, en fait, aurait pu jouer en sa faveur).
Mais son irritante réputation ne semblait pas être usurpée.
— Dégage, abruti ? ai-je proposé avec un sourire ingénu.
Cette fois-ci, ce fut à mon tour d'amuser la galerie. Loin de mal le prendre, Adler sembla plutôt s'en amuser. Je l'ai aussitôt regretté. J'aurais préféré affronter la colère ou un ego froissé. S'il souriait, c'est qu'il avait envie de jouer. Un mauvais pressentiment m'étreignit.
— Tu ne devrais pas faire ta maline, Tierney, signala Walken un sourire mauvais aux lèvres. Tes petits copains ne sont pas là pour te défendre cette fois.
Me défendre de quoi ? Elle voulait me faire croire qu'il allait se passer quoi ? La pauvre fille déraillait totalement.
Et que je sache, ce n'était pas à mon secours qu'on avait volé la dernière fois, loin de là !
Déterminée à ne pas me laisser impressionner, je l'ignorai et rajustai d'une main la lanière de mon sac sur mon épaule, ma baguette dans l'autre.
— Je suis pressée, ai-je répliqué. Je n'ai pas de temps à perdre.
— T'es pas marrante, se plaignit Adler, faussement déçu. Reste un peu discuter avec nous ! Tu sais, nous on adore les Gryffondors, ajouta-t-il sur le ton de la confidence. Surtout les filles de Gryffondor…
Ignorant le « parle pour toi ! » dégoûté de Tête-de-Furet, il se tourna vers ses camarades pour les prendre à témoin.
— Du sang frais avec un petit goût d'interdit… Sans vouloir te vexer, Walken, conclut-il en se tournant vers la seule fille présente.
Raté pour le coup. Véritablement froissée (ce qui n'échappa à personne, puisque les garçons ricanèrent bêtement), cette dernière redressa toutefois le menton fièrement et alla se placer à côté de son capitaine de Quidditch adoré.
— Dis plutôt que tu cherches la facilité, répliqua-t-elle cinglante.
Les autres ne relevèrent pas. Frappée par l'insulte (et je voyais plutôt bien à quoi elle faisait référence), je sentis mon visage s'embraser. Adler feignit de peser le pour et le contre, une moue aux lèvres et les yeux levés, avant de finalement à nouveau me regarder. Je répondis d'un rictus écœuré.
— On adore surtout les filles de Gryffondor qui aiment bien les Serpentards. Et c'est ton cas, pas vrai, Tierney ?
Surprise, j'eus un léger mouvement de recul. Loin d'être la plus fine, j'étais souvent lente à percuter. Mais le sous-entendu ne m'avait pas échappé. Il était sérieux ?
— C'est ce qu'on t'a raconté ? ai-je demandé, jetant un regard mauvais en direction de Flint.
Est-ce que ce crétin était aussi allé raconter n'importe quoi sur moi ? Qu'il le fasse à cause d'Olivier, pour des raisons qui (en plus) m'échappaient, c'était nul mais à la rigueur, je voyais l'idée. Mais à d'autres ? Qu'est-ce que Flint cherchait ? Se faire mousser ? Dire que j'avais presque fini par penser que je l'avais mal jugé…
Comme un aveu, celui-ci se détourna. Un brin amère, j'espérai sincèrement pour lui qu'il ne l'avait pas fait. Des capitaines de Quidditch, j'en avais déjà matés. L'espèce était loin de m'impressionner. D'une manière ou d'une autre, il me le paierait.
— Y a pas eu besoin qu'on nous raconte, répondit Adler avant de susurrer en s'approchant. Tu as perdu ton temps avec l'autre naze à Poufsouffle et ce gamin dans les toilettes du train… C'est pas plus mal pour toi que maintenant, tu t'intéresses aux Serpentard, aux mecs, aux vrais.
Etre une fois de plus définie par mon ex et ce qui s'était passé dans le Poudlard Express me fit bouillir (encore qu'on m'avait épargné la trinité magique en faisait aussi référence à Olivier !). Je ne voulais pas de Serpentards, je ne voulais pas de mecs. Ni les faux, ni les vrais. Je voulais simplement passer !
— Ferme la ! ai-je rétorqué, la colère faisant battre le sang dans mes tempes.
Je tentai de les bousculer pour me frayer un chemin en force mais me fis facilement repousser.
— Grrrr, reprit Adler hilare, imitant un grognement de félin. Tu vois, c'est ça que j'aime chez les Gryffondors. Allez, ajouta-t-il en tendant la main vers mon visage. Tranquille, Tierney…
J'eus un mouvement de recul, suffisant pour qu'il ne me touche pas.
— Tu aurais tort de faire ta difficile ! ricana Walken. Je te signale, Princesse, que tu n'es plus non plus au summum de ta popularité !
La remarque était insultante, pour lui comme pour moi (non mais sérieux, qu'est-ce que je lui avais fait ?). Pourtant Adler choisit de l'ignorer. J'aurais aimé pouvoir en faire autant, mais ce ne fut pas le cas. Le mur que la Nouvelle June avait mis tant de soin à monter a légèrement vacillé.
Touchée, je serrai les mâchoires. Je n'étais rien ici, ok ! Je n'avais besoin de personne pour me le rappeler et me rabaisser. J'étais déjà passée par là, et je luttais pour ne pas y retourner.
Comprenant que répondre frontalement à la provocation ne m'apporterait rien, je choisis un autre angle.
— Tu ferais mieux de rappeler tes petits chiens, fis-je à l'intention de Flint, jusque là spectateur silencieux.
Il me dévisagea un instant avant d'esquisser un sourire.
— Et comment va ce cher Olivier ?
C'était tout ce qu'il avait à dire ? C'était la seule chose à laquelle la situation le faisait penser ?
— Va te faire foutre ! ai-je répliqué.
La grossièreté lui fit hausser un sourcil. Il savait forcément ce qui se passait, où j'en étais avec Olivier. Il savait aussi qu'il était à l'origine de tout. Au temps pour moi, j'avais cru une seconde qu'il pourrait m'aider.
Flint laissa échapper un reniflement méprisant. Ses camarades éclatèrent de rire.
— Hé, mais t'es pas mal en fait ! s'étonna à mi-voix Adler, qui avait profité de l'échange pour approcher, me forçant à faire un écart. On pourrait aller se promener et… discuter. Pour commencer…
Maintenant encore, je n'arrive pas à décider dans ces deux phrases ce qui est le plus vexant. Sûrement le fait qu'il se soit imaginé que j'allais accepter.
Reculant encore d'un pas, mon sac toucha le mur derrière moi. Déjà ? Le sentiment d'être acculée fit naître en moi une panique irraisonnée. Une décharge électrique parcourut l'ensemble de mon système nerveux.
— Plutôt crever, ai-je craché, interposant ma baguette magique entre nous deux.
Lorsqu'il l'aperçut, le septième année perdit un peu de sa superbe. Mais les sifflets de ses camarades qui m'encouragèrent à faire feu le firent se reprendre.
— C'est que la petite lionne montrerait les griffes, se força-t-il à ricaner.
Les autres l'imitèrent. A l'exception de Bole qui, déjà passé par là, s'écarta légèrement.
— Et tu vas faire quoi, Tierney ? articula Adler, les sourcils froncés et un sourire moqueur aux lèvres.
Je fis mine de réfléchir. En vrai, je n'en avais aucune idée. Mais l'effrayer me paraissait un bon début.
— Au choix, ai-je répondu les mâchoires serrées.
A la base pointée vers son ventre, j'inclinai légèrement ma baguette. Une lueur inquiète traversa son regard.
— Le jet d'eau, je t'avoue, j'ai encore du mal à le maîtriser. Mais je peux geler tout ça, le faire brûler ou… Oh, pourquoi pas te le coller ailleurs ? ai-je proposé avec toute la candeur que je pouvais. Le problème, c'est que certains sortilèges sont tellement compliqués à maîtriser.
Enfin, j'étais parvenue à le déstabiliser. Des plaques marbrèrent aussitôt ses joues. Ravalant son sourire, il porta immédiatement la main à sa poche. J'étais prête à lancer le sort (et je partais définitivement sur un jet d'eau) quand une aide inespérée me parvint.
— A ta place, je déconnerais pas, Tobias ! soupira Flint, l'air profondément ennuyé. A défaut de briller dans d'autres matières, elle gère en sortilège informulé. T'aurais sans doute même pas le temps de le voir arriver.
Est-ce l'argument lui-même, le fait qu'il vienne de leur chef de meute, ou peut-être que même Walken ne dise le contraire ? Toujours est-il qu'il fit son petit effet. Haussant un sourcil et esquissant un sourire, Adler recula et, levant les mains, accepta les moqueries et les huées de ses camarades.
— Une autre fois ! me lança-t-il avec un clin d'œil, s'éloignant.
Alors que le reste de la troupe l'accompagnaient en continuant à rire, je fis mon possible pour ne pas laisser ma respiration me trahir et rester placide. Peu importait ce que cet abruti sous-entendait par-là, il ne m'impressionnait pas.
Passant devant moi, Walken me fusilla du regard et vint se suspendre au bras de Flint. Celui-ci lui demanda de rejoindre les autres. Elle protesta mais n'obtenant pas une seconde supplémentaire d'attention, elle dut se résigner et rattrapa ses camarades de maison, non sans prendre le soin de m'adresser une autre œillade furieuse.
Comme si j'allais sauter au cou de son… en fait, je ne savais même pas quelle relation ces deux-là entretenaient ! Quittant son mur, Flint attendit qu'elle soit à une distance suffisante (ici, l'autre bout du couloir) pour parler.
— Les écoute pas, marmonna-t-il en se grattant la joue. Ce sont des conneries. Il ne te fera rien.
— Sérieusement ? me suis-je écriée avec amertume. Tu me rassures !
Etonné par ma réaction (il s'attendait à quoi ?), il arqua un sourcil et enfonça les mains dans ses poches.
— Au fait, reprit-il en me tournant le dos, tu diras à ton cher Olivier que c'est un connard fini !
— Déjà fait !
Par-dessus son épaule, il m'adressa un regard surpris, avant de se fendre d'un sourire en coin. Sans rien ajouter, il rejoignit d'un pas lent son groupe d'amis qui riait bruyamment (et j'imaginais, toujours à mes dépends).
La baguette dans ma main se mit à trembler. Pas par peur. Pas en contrecoup de ce qui venait de se passer. C'était la fureur qui me secouait. Qu'est-ce qu'il s'imaginait ? Je n'avais pas besoin qu'on vienne me rassurer ! Je n'avais pas besoin que Marcus Flint se soucie de moi !
Puis j'ai compris que c'était surtout contre moi que j'étais remontée. Ils m'avaient fait douter. En quelques mots, quelques frappes bien ciblées, ils avaient touché et remué ce que la Nouvelle June s'efforçait d'enterrer. Mes fanfaronnades passées, je pris conscience de ce qui venait de se passer. Les choses auraient pu mal tourner. Tant si Adler et les autres avaient insisté que si j'avais lancé ce sort comme je l'avais imaginé. J'avais presque honte de l'admettre, mais la situation m'avait effrayée, même un bref instant.
M'ébrouant légèrement, je chassai cette idée. Hors de question d'avoir honte, peur ou de me laisser à nouveau ridiculiser. Je refusais qu'on me parle de la sorte, personne n'en avait le droit ! Surtout pas une espèce de guignol en septième année ou une fille complexée. J'aurais dû être plus forte que ça, j'aurais dû… je ne sais pas. J'aurais peut-être dû les frapper, en vérité !
De nerf, j'ai serré les mâchoires et ai senti mes yeux me brûler. Non contente d'en avoir pris pour mon grade (en gros j'étais une moins que rien, grasse et doublée d'une traînée dont personne ne voudrait), de ne toujours pas avoir mon livre et de me retrouver potentiellement en retard, j'étais bonne à présent pour faire un détour. Hors de question de les suivre et de prendre le risque que cette « discussion » puisse continuer. Je n'étais plus en mesure de lutter. Pas après ça.
Avec lenteur, je fis glisser ma baguette dans mon sac et le remis sur mon épaule, avant de faire demi-tour. Et de découvrir que nous n'étions plus seuls dans ce couloir. A l'approche de la reprise des cours, la foule commençait à affluer.
A quelques mètres de là, un groupe de filles m'observaient. Découvertes, elles détournèrent rapidement le regard mais, sans même faire l'effort de dissimuler leurs sourires, se remirent aussitôt à chuchoter.
Espérer qu'elles n'aient rien entendu était inutile. A cette distance et vu leur attitude (sérieusement, des Serdaigles en dernière année n'avaient pas plus important à faire que cancaner ?), c'était forcément le cas. Toutefois, si elles n'étaient pas venues à mon aide (elles seraient intervenues autrement, elles ne m'auraient pas laissé seule face à...), c'est que le pire leur avait échappé (enfin, je l'espérais). Avec un peu de chance, elles n'avaient probablement rien compris. Elles aimaient peut-être simplement chuchoter en regardant les gens avec insistance.
Une fraction de seconde, je suis parvenue à m'en convaincre. Les restes de cette seconde, des sifflets et des rires aussi équivoques qu'entendus s'élevèrent depuis l'autre bout du couloir, où le roi Flint rejoignait vraisemblablement sa cour. Attirant à eux l'attention du flot d'élèves en train d'arriver.
Si la rumeur renaissait de ses cendres, cette fois, je saurais d'où ça viendrait.
Ignorant les coups d'œil, qui passaient de moi à l'autre bout du couloir, je redressai la tête et me mis à avancer.
Pour être tout à fait honnête, mon plan était de m'arrêter auprès des dindes gloussantes pour aboyer un « Un problème ? » retentissant (elles n'avaient pas autre chose à faire, du genre, chercher Mélanie qui devait, si j'en croyais Dorothy, être encore en train de sangloter dans un coin ?). Malheureusement, je n'étais pas en état d'encaisser ce qu'elles me répondraient. Les foudroyant du regard, j'accélérai le pas et pris dès que possible un chemin détourné.
Pas assez vite cependant pour échapper à la nouvelle vague de sifflets, ni au « Vos gueules ! » retentissant que Flint venait de lâcher. Pas assez vite pour ne pas voir qu'Olivier, en compagnie d'autres camarades de maison venait d'arriver. Ignorant son air soudainement blême ou le léger rire que les Serdaigles venaient de lâcher, je m'esquivai.
La Nouvelle June se contrefichait totalement de Stupide Olivier. La vraie June avait les nerfs légèrement éprouvés et ne tenait pas plus que ça à se retrouver dans ce couloir entre deux capitaines de Quidditch bornés.
Ce foutu livre était ma priorité.
oOo
Dans la queue qui s'était formée devant le bureau de Mme Pince, je me suis sincèrement demandée à quoi avaient servi les quelques secondes que j'avais prises pour me ressaisir avant d'entrer dans la Bibliothèque quelques minutes auparavant.
A la base, je voulais éviter de faire une entrée fracassante dans les lieux, toute fulminante que j'étais, et de prendre le risque que Pince me ressorte illico, sans me laisser une chance de pouvoir mettre la main sur mon bouquin.
A la place de ça, j'avais longuement inspiré, chassant Flint, Adler et le spectre de Dubois de mon esprit, et m'étais efforcée de pousser les portes avec douceur, de traverser les lieux avec élégance et légèreté, jusqu'au rayonnage qui m'intéressait. J'avais même demandé avec calme et bienveillance aux élèves de quatrième année présents et en train de se papouiller, de bien vouloir dégager pour que je puisse passer (bon, je ne l'ai pas présenté comme ça, mais dans l'esprit ça y était). Plus que ma politesse, je crois que c'est mon regard meurtrier (que, pour le coup, je n'ai pas réussi à maîtriser) qui a fait effet.
Finalement, sans cri de victoire ou de jubilation, mais avec un soulagement évident, j'avais enfin pu récupérer mon livre et m'étais dirigée vers la banque de prêt, très exactement deux minutes avant que les cours ne reprennent.
Et c'était là que les choses avaient dérapé.
Evidemment, il y avait du monde, alors qu'au moment de ma traversée gracieuse et aérienne, il n'y avait absolument personne. Et nous étions tous bloqués, à cause d'un élève en train de se faire passer un savon pour une page déchirée (et qui en plus faisait l'erreur de tenter de se justifier). On ne plaisantait pas avec les soins à réserver aux livres. Mme Pince, en tous cas, ne le faisait pas.
Mais plutôt que de serrer les dents et se mettre sur le côté pendant que les élèves ayant cours après puissent passer (et vu les regards qu'on m'a adressés quand j'ai suggéré l'idée, j'ai bien cru que c'était de ma faute si ce livre avait été déchiré), il est resté au milieu et a tout bloqué.
La cloche a sonné le début des cours, et l'élève a fini par accepter la réprimande. J'ai vraiment pensé que je pourrais m'en sortir (en courant, je pouvais encore rejoindre la classe de Flitwick avec un retard très limité). Sauf que le tortionnaire de livres a finalement demandé si malgré ça, il pouvait quand même emprunter.
Une brève seconde, j'ai bien cru que Pince allait elle-même relâcher le monstre de la Chambre des Secrets.
C'est finalement une bibliothécaire ruminante et furieuse qui a enregistré mon prêt, marmottant et maudissant les sauvages qui maltraitaient ses petits protégés. Histoire de me la mettre dans la poche (et négocier une prolongation de la période de prêt… en vain, bien sûr, elle l'a refusée), j'ai vigoureusement approuvé.
Il n'y avait plus grand-chose d'aérien ou de gracieux dans ma façon de quitter les lieux, une fois ma mission accomplie. Guère plus que dans ma course échevelée les portes à peine franchies.
Après une courte hésitation, j'empruntai un raccourci pour rejoindre le Département de Sortilèges, coupant par le premier étage pour rejoindre un autre escalier. La probabilité de faire une autre mauvaise rencontre (la dernière étant Flint, puis presque Dubois… je voyais mal comment je pouvais battre ça) étant infime, je pris le risque et suivis le couloir surplombant le lac, dont les eaux sombres tranchaient avec le blanc immaculé qui recouvrait les pentes et ses rives, tentant ma chance.
Alors, oui, Journal. Je sais.
Quand les cris me parvinrent, je crus sincèrement que ma dernière heure était arrivée et que, forcément, après Flint, quasi-Dubois, je ne pouvais que tomber sur l'évadé de la Chambre des Secrets.
Ma baguette fermement serrée dans ma main, je posai au sol mon sac que les livres avaient rendu trop lourd afin de ne pas être entravée dans mes mouvements et vis courir vers moi une bande de première année terrorisés.
Mon instinct me hurlait de bouger, de les suivre, voir même (tant qu'à faire) de les dépasser. Pourtant, je ne l'ai pas fait. Peut-être à cause des grincements métalliques que j'avais finalement perçus et qui précédèrent d'une brève seconde l'apparition d'une vieille armure à l'angle.
Aux dernières nouvelles, le monstre ne se cachait pas dans les armures.
Chose qu'en revanche adorait faire un certain esprit frappeur.
Sur mes gardes (Peeves, plus encore dans une coque de métal, restait une source majeure de danger), je baissai ma baguette et me penchai vers le sol pour ramasser mon sac, laissant échapper un soupir de soulagement.
L'esprit frappeur s'était vite remis de l'agression de Nick-Quasi-Sans-Tête, profitant à présent de la terreur qui régnait sur l'école pour continuer à répandre le chaos. Les élèves de première année, qu'un rien suffisait à impressionner, étaient ses proies préférées. Si Peeves ne manquait jamais de faire tomber avec grand fracas les armures dès que certains d'entre eux empruntaient un passage du château un peu trop silencieux, son petit plaisir du moment restait de s'y enfermer et de les pourchasser en criant qu'il était l'Héritier de Serpentard et qu'ils seraient les prochains à y passer.
Ce qu'il venait visiblement de faire. Satisfait, il laissa échapper un caquètement, tenant plus de grincement métallique que du ricanement.
J'étais en générale friande des bêtises de Peeves (à condition de ne pas en être victime), souvent originales et toujours inattendues. Mais pas aujourd'hui. J'allais faire discrètement demi-tour (et cette fois pas d'hésitation, ce qui s'était passé un peu plus tôt m'avait au moins servi de leçon) mais mon mouvement, en périphérie de son champ de vision, attira son attention.
Jusque-là persuadée d'être seule, l'armure possédée se figea un bref instant avant de pivoter lentement dans ma direction.
— Tiens, tiens… Tierney ! Tu n'as pas peur du monstre de la Chambre des Secrets ? Tu devrais…
En quelques foulées (plutôt ridicules, une armure n'étant pas faite pour courir), il se planta devant moi.
— Je ne suis pas née moldue, Peeves, ai-je rappelé.
L'esprit frappeur s'extirpa sans problème et sans bruit de la cuirasse qu'il occupait.
— Tu es surtout mortellement barbante ! répliqua-t-il avec un sourire mauvais.
La pique était gratuite et mit un peu plus à vif mes nerfs déjà bien éprouvés. Facile, moche et chiante, super ! Bientôt, ils allaient aussi m'apprendre que je louchais.
Pourtant, je pris sur moi. Déjà, parce que c'était Peeves, et que c'était exactement ce qu'il voulait. Puis parce qu'une des multiples règles tacites de Poudlard disait que, lorsque Peeves était en forme (comme en cet instant où il m'expliquait ravi qu'au final même l'horrible chat de Rusard présentait plus d'intérêt que moi), il suffisait de faire le dos rond et de laisser la tempête passer. Le contraire ne pouvait et ne pourrait jamais rien apporter de bon.
— Tu comptais faire quoi ? demanda-t-il en avisant ma baguette. Jeter un sort au monstre et à l'héritier ? Toi ? ricana-t-il froidement. Calamity June ? Aux dernières nouvelles, tu n'étais pas capable de maîtriser ton Epouvantard, sans fondre en larmes. En sixième année !
Mes joues s'empourprèrent. Comment était-il au courant ? Ravi d'avoir fait mouche, Peeves ajouta, faisant mine d'inspecter ses ongles :
— M'étonne d'ailleurs qu'on t'ait pas encore viré !
Il m'en a coûté, mais j'ai réussi à étouffer la petite voix qui me soufflait qu'il disait vrai, que ma place n'était peut-être plus ici désormais, pour finalement feindre d'en plaisanter.
— Moi aussi !
Déçu de constater que ça ne m'atteignait pas, il changea d'angle d'attaque. S'allongeant au-dessus de l'armure, les mains jointes sur lesquelles il a posé son menton, l'esprit frappeur a repris d'un air badin.
— Au fait, tout à l'heure, j'ai vu tes deux prétendants se disputer.
Mes deux prétendants ? Il n'y avait bien que lui et Pénélope pour imaginer que je puisse en avoir. Cependant, je voyais mal comment Flint et Darren auraient pu ne serait-ce que se croiser ! L'idée était ridicule et je le lui fis comprendre d'un regard consterné.
Serrant les mâchoires, contrarié que ça n'ait pas fonctionné, l'esprit frappeur décapita l'armure d'une simple pichenette, expédiant le lourd casque directement sur mes pieds. D'un saut désarticulé, je parvins de justesse à l'éviter et à sauver mes orteils. Une flopée de jurons m'échappa.
Satisfait d'enfin obtenir une réaction, il repoussa du plat de la main le reste de l'armure qui bascula sur moi et, dans un grand fracas métallique, vint violemment s'écraser juste où je me tenais. Déséquilibrée par le vif mouvement de recul que je fus contrainte de faire pour ne pas être blessée (ma baguette me sautant au passage des mains), ma chute fut douloureusement amortie par mon sac.
Dans lequel quelque chose venait de se briser.
Mes yeux s'écarquillèrent, comme ceux de l'esprit frappeur. Lui comme moi savions ce qui, parmi les affaires que tout élève de Poudlard transportait, pouvait se casser de la sorte.
J'eus beau me dépêcher, renversant à même le sol aussi vite que je pus le contenu de mon sac, le pire s'était déjà produit.
Ma bouteille d'encre s'était brisée, tachant mes parchemins, mes livres de cours, la traduction que je devais rendre au professeur Miles dans la soirée et…
Le caquètement de Peeves tinta désagréablement à mes oreilles quand je saisis, entre deux doigts, la couverture dégoulinante du livre que je venais d'emprunter à la Bibliothèque.
Pince allait me tuer. Et je m'estimerais heureuse si elle le faisait avant de me torturer.
Les larmes me montèrent aux yeux. J'étais dans la merde, sérieusement.
— Ha ha, cette fois, ça y est ! s'écria Peeves en faisant quelques loopings au-dessus de moi. Ils vont te virer !
Son œuvre achevée, ravi du chaos semé, l'esprit frappeur me tourna le dos et, fredonnant gaiement, se laissa tranquillement dériver vers le bout du couloir.
J'aurais dû ramasser mes effets et m'en aller. J'aurais dû étouffer ce sentiment d'injustice qui me tordait et me lacérait la poitrine et le ventre, enflant à chaque seconde et alimentant cette sensation qu'un rien allait me faire basculer. J'aurais dû inspirer calmement pour me calmer. Mais ma colère grandissante me faisait presque haleter.
Ne pas provoquer Peeves, faire le dos rond. C'est ce que je me suis répétée. Ne pas réagir, laisser passer l'orage. Je devais me raisonner. D'un sortilège, je pouvais encore essayer de réparer ce qui venait d'être fait. J'en connaissais forcément un. Mais la tête soudainement vide, il m'échappait.
Quelqu'un pourrait sûrement m'aider ! Flitwick, certainement. J'étais en retard pour son cours, mais si je lui expliquais, il trouverait une solution.
Sans quitter des yeux la mare d'encre qui commençait à se former, j'ai cherché ma baguette à tâtons. Il fallait que je me ressaisisse. Un sort pouvait encore tout arranger.
— Waddiwasi !
Sauf que j'en avais plus qu'assez que tout le monde me marche sur les pieds.
Projeté à la vitesse d'une flèche, le casque de l'armure atteignit Peeves dans le derrière. Aussi surprise que l'esprit frappeur, je me suis figée. Ce n'était pas ce que je voulais. Faire passer un message, oui. Le frôler, peut-être. Mais le toucher… A vrai dire, je ne pensais même pas y arriver.
Il tourna la tête vers moi avec une lenteur annonciatrice du pire.
— Tu n'as pas osé faire ça ?
Il fallait que je frappe, et fort, avant qu'il ne puisse répliquer. Le clou devait être enfoncé. Autrement, je ne voulais même pas imaginer ce qu'il me ferait. L'urgence me serra le ventre.
Fixant mon attention sur l'un des gantelets, je lançai le sort une nouvelle fois. Rien ne se passa. C'est à peine si la pièce d'armure vacilla.
L'affolement me gagna. L'écho du rire de Peeves, amplifié par les murs du couloir, était assourdissant. Avec un peu de chance, quelqu'un l'entendrait, une porte allait s'ouvrir et on viendrait me tirer de là.
Les yeux rivés à ma baguette, je vis ma main se mettre à trembler. Le sort n'avait pas marché. Pourquoi ? Je l'avais pourtant lancé en formulé. Je n'étais pas face à mon Epouvantard, je ne voulais pas revivre ça. Les conséquences seraient toutes autres. Je n'avais pas le droit de perdre pied cette fois.
— Alors, c'était vrai ? s'écria Peeves (à croire qu'il avait lu dans mes pensées), avant de se mettre à chantonner. Tierney la Calamité ! Et là aussi, tu vas te mettre à pleurer ?
Relevant la tête, je le vis plonger pour ramasser le casque. Il esquissa un sourire machiavélique.
— Tu rêves si tu crois que pour ça, je vais t'épargner…
Le casque fusa, me contraignant à plonger afin de l'éviter. Geste que Peeves sembla trouver hilarant.
— Ha ha ! Tu vois, c'est comme ça qu'on fait !
Un frisson me fit m'ébrouer. Je me remis debout et lui fis face. Touché par la grâce, l'esprit frappeur composait une chanson en mon honneur (en prenant soin de faire rimer Tierney, nullité et calamité).
Il avait raison sur un point, j'avais vraiment envie de pleurer. Contractant tous les muscles que je pouvais, je pris sur moi pour me reprendre. J'allais lui montrer, à lui comme aux autres, ce que je valais.
Avec une autre que moi, ça aurait sûrement fonctionné. Le tir aurait été parfait. Peeves, puni, aurait appris à me craindre et me respecter. Plus jamais il n'aurait osé ne serait-ce que me regarder. Formulé, informulé, peu importait. C'était le genre de moment où transcendé par la rage, porté par l'envie de montrer au monde ce qu'on valait, on se révélait.
Manque de bol, je n'étais que moi, June Tierney. Et là encore, mon sort fut sans effet.
Les vitres du couloir se mirent à légèrement tinter.
J'ignore pourquoi, j'ai pensé au vent. Sous l'effet d'une bourrasque, dans un vieux château, le phénomène était loin d'être rare. Sauf que le mauvais temps s'était levé dans le début de la matinée.
En un flash, en une fraction de seconde, j'ai vu ce qui me pendait au nez. Ma main retomberait le long de mon corps, alors que Peeves éclaterait de rire, et que le vide se ferait en moi. Je n'irais finalement pas en Sortilèges, et devrais sûrement passer le reste de la journée à l'infirmerie. En me roulant en boule, les dégâts seraient peut-être limités. Le dos étant une des parties les plus solides du corps, c'est ce qu'on conseillait aux gens pris dans un tremblement de terre. Je ne me faisais pas d'illusion, c'était ce qui allait m'arriver.
La vibration des fenêtres s'amplifia, m'arrachant à cette pensée. Précédant d'un rien le déchaînement des éléments.
L'air se chargea de verre. Par réflexe, je pus cacher mon visage entre mes bras, sentant frapper et rebondir douloureusement contre mon corps le moindre tesson. Dans un vacarme d'enfer, à forte dominante cristalline, l'ensemble des fenêtres du couloir venait d'exploser.
Je ne m'autorisai à bouger, à relever la tête, qu'une fois le dernier éclat et le silence totalement retombés. Des bris dégringolèrent de mes cheveux, mes épaules et roulèrent le long de ma robe de sorcier. Les dalles du couloir étaient entièrement recouvertes d'une couche de morceaux de verre, surplombées par un nuage de poussière par endroit épais. Certains fragments, parmi les plus gros, s'étaient carrément fichés dans les tentures et les tableaux, dont les habitants s'étaient enfuis en criant.
De l'extérieur, l'air froid s'engouffra, me faisant frissonner. Attestant de cette réalité.
Même si la folie de Peeves était sûrement plus à blâmer.
— Non mais tu es malade ! me suis-je écriée, d'une voix étranglée. Tu aurais pu me…
Me défigurer, me mutiler. Me tuer.
Le reste de mes reproches me restèrent dans la gorge. Hébété, l'esprit frappeur observait les fenêtres, son corps bardé d'éclats. Il n'était pourtant pas dans ses habitudes de se laisser prendre à son propre piège. Quelque chose clochait. Il ne l'avait pas fait exprès ?
Un vertige me saisit.
A moins qu'il ne l'ait peut-être pas du tout fait.
Et si ce n'était pas lui, c'était… moi.
Je l'avais fait ?
Stupéfaite, je baissai les yeux vers ma baguette magique, toujours dans ma main.
Oh merde, je l'avais fait !
Avec lenteur, Peeves releva les yeux vers moi. Notre duel était terminé. Contre toute attente, je venais de l'emporter, et il le savait.
Bon, il avait fallu que je fasse péter toutes les vitres d'un couloir. En informulé. Sans vraiment l'avoir fait exprès. Sans vraiment savoir comment. Et en voulant à la base lui balancer un gantelet à la tronche.
Mais j'avais gagné.
Il chassa rapidement de son regard ce qui aurait pu ressembler à une étincelle de crainte, ou de respect, pour le remplacer par un cocktail d'émotions nettement plus Peevesiennes dont je me suis aussitôt méfiée. Un sourire mauvais étira ses lèvres.
— Ah, siffla-t-il avec lenteur. Tu veux jouer à ça ?
S'ébrouant, il fit tomber les morceaux de verre qui le recouvraient, et disparut à travers le mur le plus proche.
J'aurais peut-être pu, ou dû, m'inquiéter de la menace qu'il venait de laisser planer. Parce que clairement, Peeves n'était pas du genre à rendre allégeance à qui que ce soit. A moins d'être le Baron Sanglant. Ce que de toute évidence, je n'étais pas. Il me le ferait payer un jour, sûrement quand je ne m'y attendrai pas.
Je fus pourtant contrainte de mettre cette idée de côté. Le plus urgent désormais était de réparer les dégâts. Refreinant mon envie d'improviser une petite danse de la victoire, tout comme le regret que mon triomphe inattendu n'ait finalement pas eu de témoin, je fis l'effort de me ressaisir.
Vu les dommages causés, mieux valait que personne n'y ait assisté. J'avais déjà réparé un verre, mais là, mon bon vieux « reparo » ne suffirait probablement pas. Encore que, si j'étais réellement responsable de tout ce merdier, je pouvais m'attendre à une autre avalanche d'effets non désirés !
Prendre la fuite était mon autre option. Peeves ne me dénoncerait pas. Mieux valait pour lui qu'on ignore ce que je lui avais fait. Et si malgré tout il le faisait, ce serait ma parole contre la sienne (je pouvais encore essayer de soudoyer les habitants des portraits).
C'était décidé. Un essai et je partirais.
Je n'ai jamais su si j'avais la capacité ou non de tout remettre en ordre d'un simple sortilège. Le hurlement de Rusard, à l'autre bout du couloir, me cueillit avait que je n'aie le temps d'essayer.
oOo
Attrapée par la manche, j'ai presque volé jusqu'au bureau du professeur MacGonagall. Sans me laisser le temps de parler, le concierge m'avait arraché ma baguette des mains et presque assassiné du regard lorsque j'avais essayé de protester.
Moins d'une minute après, la porte du bureau de ma directrice de maison claquait derrière moi alors que Rusard m'ordonnait de m'asseoir.
Avec un sourire presque cruel, il me suggéra de profiter des derniers instants de la vie telle que je l'avais connue jusqu'à aujourd'hui. Soit selon sa propre estimation, le temps que finisse le cours de Métamorphose des première années. Ne comprenant pas de quoi il parlait, je jugeai plus sage de carrément l'ignorer.
Je n'avais plus mon sac, ni ma baguette. Et j'avais intérêt à trouver quelque chose pour justifier ce qui venait de se passer. Parce que j'avais comme l'intuition que cette fois, bien que je sois parvenue à atteindre Peeves (et en informulé), personne n'allait me féliciter.
Je pris place sur la chaise disposée face au bureau de MacGonagall, celle sur laquelle je m'étais presque effondrée le mois dernier.
Des murmures désapprobateurs s'échappant des tableaux accrochés aux murs attirèrent mon attention. L'ensemble de leurs habitants s'étaient réunis et m'observaient d'un air sévère. Mieux valait les ignorer, eux aussi, et me concentrer sur ma défense.
Sauf que pour ça, il aurait fallu que je comprenne ce qui était arrivé. Je n'avais encore jamais provoqué quelque chose de cette ampleur. Je ne l'avais pas voulu, je ne connaissais même pas le sort capable de faire ça. Je n'étais sûrement pas responsable, en vérité. Peut-être qu'à un autre étage, peut-être que d'un autre endroit du château, un sort avait ricoché. Ou peut-être qu'il y a avait bien eu un tremblement de terre, très localisé.
Non, ça ne marcherait pas. Si ce n'était pas Peeves, ça voulait dire que ça venait de moi.
Mais ce n'était pas le sortilège que j'avais lancé ! Moi, je voulais une propulsion, pas une explosion. Sur un gantelet, pas sur l'ensemble des vitres.
Un sourire coupable m'échappa lorsque la tête de l'esprit frappeur me revint en mémoire. Sourire que je m'efforçai d'aussitôt dissimuler. Pour le coup, ça ne risquait pas de m'aider, ni d'impressionner le professeur MacGonagall.
Tout le monde connaissait mes petits problèmes « d'enthousiasme » en matière de lancement de sort. Petite déjà, je mettais le feu un peu partout. Et en juin dernier, j'avais ébouillanté un Strangulot à l'insu de mon plein gré. Je reconnais qu'ici, j'avais cherché à y mettre tout ce que j'avais mais…
Si je ne trouvais pas une bonne excuse, j'étais foutue.
L'horloge du bureau sonna, me faisant prendre conscience que le temps avait filé. La porte du bureau s'ouvrit presque aussitôt avec fracas.
Sursautant, je jaillis hors de ma chaise. MacGonagall se tenait dans l'encadrement de la porte, sa baguette magique à la main. Elle n'allait quand même pas me métamorphoser en Veracrasse, sans prendre le temps de m'écouter, juste pour que ça me serve de leçon ? D'autres l'auraient fait sans hésiter. Mais pas elle… Enfin, je l'espérais.
— Assise ! aboya-t-elle froidement.
Immédiatement, je repris ma position sur la chaise, mains posées sur mes genoux serrés. D'un pas rapide, elle rejoignit son bureau et plaqua sa baguette sur le bureau. Ma baguette.
Evidemment, elle avait été inspectée. Grâce à la Remontée des Sortilèges, elle savait déjà que j'avais lancé un sort. Et pire encore, lequel j'avais lancé. Foutue pour foutue, je ne me suis pas laissée démonter. Je devais prendre les devants, faire le premier mouvement. J'inspirai, prête à parler.
— Silence ! siffla-t-elle, furieuse.
Je refermai aussitôt la bouche et ne pus m'empêcher de baisser les yeux.
Je ne sais pas vraiment à quoi je m'attendais. Evidemment qu'elle était super énervée, elle avait toutes les raisons de l'être. Mais je ne l'avais jamais vu comme ça. En tous cas, avec sa colère dirigée contre moi. Je me suis sentie me liquéfier. Alors, c'était l'effet que ça faisait ? Dubois était certainement plus courageux que je ne le pensais.
Je déglutis avec difficulté.
— Je veux que vous réfléchissiez bien à ce que vous allez dire, Tierney, gronda-t-elle, les deux mains croisées sur le bureau.
Bon, autant laisser tomber direct l'excuse du monstre de la Chambre des Secrets.
— Auriez-vous l'amabilité de m'expliquer comment et pourquoi, alors que vous devriez être en classe au lieu de vous promener dans les couloirs de l'école, je me retrouve avec une demande d'exclusion à votre encontre sur les bras ?
D'exclusion ? C'était à ça que Rusard faisait allusion ? Rien que ça ?
— Pour une vitre ? me suis-je indignée.
Ce n'est qu'en le disant que j'ai réalisé que c'était totalement déplacé. Autant dans le ton que dans le simple fait de parler. Et si je ne m'en étais pas rendu compte, le visage du professeur MacGonagall en cet instant (quelque part entre la fureur et le choc) me l'aurait vite fait comprendre.
Je venais de faire voler en éclat la dernière stratégie qui me restait, à savoir nier et jouer les idiotes. Je l'étais visiblement trop pour feindre de l'être.
— Les vitres d'un couloir entier ! s'écria-t-elle. Parmi lesquels des vitraux de presque trois cents ans d'âge ! Et je ne vous parle pas des tableaux endommagés !
Une vague d'approbation monta parmi les habitants des portraits, qui s'éteignit presque aussitôt sous l'œillade furieuse du professeur MacGonagall.
Sa colère, presque palpable, irradiait. Le plus sage était de me taire et d'accepter la réprimande. Mais l'injustice de la situation me consumait.
— Je ne peux pas être exclue pour ça, ai-je protesté, tentant de maîtriser et poser ma voix.
Elle me décocha un regard acéré, qui ne fit qu'ébranler la certitude que j'avais d'être dans mon bon droit.
— Non, concéda-t-elle. Mais vous avez intérêt à avoir une bonne explication !
Elle voulait une explication ? Parfait ! J'allais lui en donner ! En quelques semaines, on avait foutu ma vie en l'air. J'allais passer les fêtes ici alors qu'une espèce de psychopathe et son monstre avaient pris comme terrain de jeu et de chasse les couloirs du château. J'avais essuyé les moqueries des Serpentards, de Peeves, d'un groupe de filles de Serdaigles et certainement celles informulées d'Olivier, rien qu'aujourd'hui ! J'avais entendu plus de méchanceté en un mois que durant toute ma vie ! Ma meilleure amie sortait certainement avec mon ex petit-ami. A cause de tous les chocolats que j'avais ingurgités, je ne rentrais plus dans la moitié de ma garde-robe. Que je sois stupide et inapte aux études était presque un fait avéré. Peeves m'avait attaquée, mon devoir d'étude de Runes était foutu et Mme Pince allait me tuer.
Ah oui, et maintenant, on voulait aussi me renvoyer. C'était suffisant, comme explication ?
J'avais tout fait pour aller mieux, pour pouvoir changer. J'y croyais. Mais non. Peu importait combien j'essayais, j'en étais toujours au même point en vérité.
— Tierney ?
Qu'elle m'interpelle me sortit de mes pensées. MacGonagall m'observait, les sourcils froncés. Merlin seul savait depuis combien temps elle attendait.
— C'est Peeves, ai-je finalement soupiré. Il…
De manière presque imperceptible, son expression a changé. A l'infime mouvement qu'elle a fait, à la manière dont elle a pincé ses lèvres, dont ses épaules se sont affaissées, j'ai compris qu'il ne servirait à rien de continuer. Mon explication ne prendrait jamais. Le prétexte ne serait pas suffisant. Je venais de perdre la partie. Je n'avais en fait jamais eu une chance de l'emporter.
Loin de me calmer, l'idée n'a fait qu'un peu plus m'indigner.
— Il m'a attaquée ! Demandez-donc aux portraits ! J'ai simplement voulu me défendre.
— En faisant exploser les vitres d'un couloir entier ! m'a-t-elle interrompu.
— Mais je ne l'ai pas fait exprès ! ai-je répliqué, excédée.
Que je souhaite simplement atteindre Peeves était visiblement trop dur à comprendre.
— C'est bien le problème, Tierney, dit-elle avec gravité.
La colère soulevait ma poitrine de manière saccadée. Ma respiration était haletante, bruyante et désordonnée. A croire que c'était un cent mètres que je venais de piquer. Je me suis efforcée d'inspirer profondément, cherchant à me calmer.
— C'est lui qui a commencé ! ai-je bougonné, comme une enfant en train de bouder. C'est lui qui…
— C'est un esprit frappeur ! rétorqua MacGonagall, atterrée. Enfin, Tierney ! A quoi est-ce que vous vous attendiez ? Qu'il vous jette des fleurs ?
Je n'ai pas trouvé ça drôle. Même si ce n'était probablement pas le but qu'elle avait recherché.
Elle ne m'écoutait pas, elle n'essayait même pas !
— Alors, j'aurais dû faire quoi dans ce cas ?
Que je réponde, plus encore de cette façon, laissa stupéfaite quelques secondes ma directrice de maison. Je frôlais la limite, je le sentais. En équilibre dessus, je la voyais. Mais une partie de moi, la partie furieuse et révoltée, celle qui en ce moment me faisait presque trembler sur ma chaise, s'en foutait.
Les narines du professeur MacGonagall se pincèrent et je devinai qu'elle prenait à cet instant sur elle pour ne pas exploser.
— Commencez-donc par vous contrôler...
Malgré le grondement de sa voix, elle en appuya chaque syllabe pour bien me faire comprendre que, plus qu'un simple conseil, c'était d'un avertissement qu'il s'agissait. Répondre en cet instant était plus que tentant, juste pour voir ce qui se passerait. Mais me mordant l'intérieur des joues, je ne l'ai pas fait.
Serrant les mâchoires, j'ai détourné la tête.
— Vous ne serez pas exclue, reprit MacGonagall après quelques instants, une nouvelle froideur dans la voix. Trente points seront retirés à Gryffon…
J'allais être punie ? On m'avait attaquée et c'était moi qui prenais ? Est-ce qu'elle avait seulement entendu ce que je disais ?
— C'était de la légitime défense ! l'ai-je interrompue, scandalisée.
—… à Gryffondor, reprit-elle. Quatre heures de retenue vous permettront certainement de réfléchir à ce que vous avez fait. Mr Rusard se fera un plaisir de vous trouver une occupation…
— Professeur, je… C'est injuste ! Je voulais…
Elle reprit d'une voix plus forte que la mienne, refusant de me laisser parler.
— Et il va sans dire que vous participerez à la restauration des tableaux que vos actes ont détériorés. Estimez-vous heureuse de…
La chaise sur laquelle j'étais assise manqua de se renverser quand je me suis soudainement levée.
Heureuse de quoi ?
— Vous plaisantez ?
Seul l'écho de mon cri me fit prendre conscience qu'il m'avait échappé. Réalisant ce que je venais de faire (à savoir hurler et passer mes nerfs sur la personne effectivement capable de me renvoyer), je déglutis avec difficulté. J'étais allée trop loin.
C'était ça que ressentait Olivier quand les lignes étaient franchies ? Une espèce d'excitation coupable et terrifiée ?
Le regard du professeur MacGonagall se durcit. Ce n'est qu'à cet instant que j'ai compris que jusque-là, elle n'était pas réellement énervée. J'allais découvrir ce que c'était.
Les jambes légèrement tremblotantes, j'ai fini par me rasseoir. Mes mains fourmillèrent quand je les retirai du bureau contre lequel je les avais violemment aplaties.
— Dix points en moins pour Gryffondor, finit par dire MacGonagall. Croyez-moi, vous vous en sortez à très bon compte, Tierney.
A grand peine, j'ai retenu un roulement d'yeux blasé. Pour le coup, je ne voyais pas de quoi elle voulait parler. J'avais plutôt l'impression d'avoir été injustement jugée.
— Que les choses soient claires, vous ne conservez votre baguette que parce que la situation actuelle de l'école l'exige, dit-elle en me la tendant. Au moindre écart…
La menace resta en suspens. J'avais parfaitement saisi. Après m'avoir un instant encore fusillée du regard, le professeur MacGonagall se saisit de sa plume et griffonna avec des gestes vifs un document. Sûrement me concernant.
Est-ce qu'on avait terminé ? Dans le doute, les épaules basses, je me suis levée.
— Il va sans dire, reprit-elle, me faisant sursauter, que votre demande de club est rejetée.
La stupeur me fit bafouiller.
— P… Pourquoi ? ai-je demandé, défaite. Quand même pas à cause de ça !
— Pourquoi ? répéta le professeur MacGonagall, semblant visiblement se demander si j'avais perdu l'esprit. Pourquoi ?
Immobile, j'ai soutenu son regard. Cette fois, je n'ai rien trouvé de spirituel à dire ou répliquer. Je crois qu'au fond, je savais.
— Evidemment que c'est aussi à cause de ce qui vient de se passer ! Un club de duels, franchement, Tierney ! Vous vous sentez apte à gérer ça ? Vous n'aviez pas autre chose à faire ?
— J'ai rempli le dossier, ai-je objecté, m'efforçant de contenir le chevrotement de ma voix. J'ai fait ce que vous m'aviez dit. J'ai…
— Vous avez sollicité le professeur Lockhart !
Et pour elle, tout était dit. Bizarrement, il n'était plus question de corporatisme ou de langue de bois cette fois. Considérant les explications suffisantes, elle se replongea dans son document.
— Vu les circonstances, vous ne pensiez pas sérieusement que nous allions accepter ? ajouta-t-elle, sombrement.
En fait, si. Je l'avais cru. Je me suis mordue la lèvre inférieure pour ne pas laisser mon menton trembloter.
J'avais déposé le dossier le matin même. Elle n'avait sûrement pas eu le temps de le consulter. Je m'étais trompée, je n'avais pas eu une chance en vérité.
Le professeur MacGonagall releva la tête, presque surprise de me découvrir encore plantée là. Me considérant un instant du regard, elle finit par soupirer.
— Vous devez vous ressaisir, Miss Tierney. Nous en avons déjà parlé…
Totalement vidée, il ne m'a semblé l'entendre que de très loin. J'avais l'impression que mon corps entier fourmillait, presque engourdi. Je me suis entendue répondre un vague « oui, professeur », sans vraiment le réaliser.
— La pause est presque terminée. Dépêchez-vous d'aller en cours.
Malgré mes jambes de plomb, je me suis retrouvée à la porte ce qui m'a paru être la seconde d'après. Sur le point de quitter les lieux, elle me suggéra de me souvenir de la première règle que l'on nous apprenait à notre arrivée à Poudlard, en première année.
Pas de magie dans le couloir. Je ne risquais plus de l'oublier.
La tête basse, j'ai réussi à fermer la porte, comme elle me l'avait demandé, résistant à la tentation de la laisser ouverte ou de la faire claquer.
Déroutée et de nouveau gagnée par la colère (et si je croisais le monstre, sans magie, comment je faisais ?), j'ai mis quelques secondes à m'orienter. Si la pause était presque terminée, je devais aller en Défense contre les forces du Mal. Un cours avec Lockhart était loin de m'enchanter mais je ne pouvais pas prendre le risque de le manquer, pas après la volée que je venais de prendre. Les autres étaient sûrement déjà au courant. Selon ma directrice de maison, mon sac y avait été emmené. La perspective d'avoir à m'expliquer était loin de m'enchanter.
Je n'allais pourtant pas y couper. Mine de rien, je venais de nous faire perdre quarante points.
Les rares élèves que j'ai croisés dans les escaliers me jetèrent des regards intrigués. Ecœurée, je ne voulais voir personne. Je ne voulais pas parler. Je voulais rester seule et qu'on me laisse pour une fois ruminer librement mes pensées.
La cloche sonna une première fois. Je pressai le pas.
Le palier atteint, le silence autour de moi se fit progressivement.
Je peux t'assurer, Journal, que j'avais retenu la leçon. Pas de raccourci, cette fois.
Pourtant, avant de le réaliser, j'étais seule dans un couloir normalement très emprunté.
J'aurais pu revenir sur mes pas, personne n'en aurait rien su. Puis je me suis trouvée ridicule, et j'ai continué à avancer, les yeux rivés à la trame du tapis qui recouvrait le sol et étouffait le bruit de mes pas.
Dans ce silence presque parfait, son fredonnement ne pouvait pas m'échapper.
Me stoppant net, j'ai aussitôt relevé la tête. Rien. Le couloir était désert.
Les nerfs à vif, mes sens me jouaient sûrement des tours. Tendant l'oreille, j'ai attendu.
Silence complet. Rien, avant un fredonnement, un :
— Oooh, Tier-ney…
oOo
Le ciel me tomba sur la tête. Un ciel poisseux, liquide et particulièrement odorant.
On peut dire ce qu'on veut, mais l'esprit frappeur est d'une redoutable efficacité. En moins d'une heure, il avait fomenté une vengeance à la hauteur de l'affront subi. Les yeux à peine fermés, je me suis retrouvée couverte, de la tête au pied, de ce truc froid, gluant et puant.
Son méfait accompli, Peeves ne s'attarda pas. Figée, j'attendis que l'écho de son ricanement ne s'éloigne pour bouger.
Du bout des doigts, je retirai la substance qui me coulait devant les yeux. C'était trop tard pour mon cou, où le liquide glacial s'était déjà frayé un chemin. Par le col, mon chemisier commençait à s'imbiber, mon soutien-gorge ne tarderait pas à connaître le même sort.
J'allais crier, j'allais hurler. Par un petit miracle, j'ai réussi à prendre sur moi.
Du seau, de la bombe à eau ou de la bouteille d'encre, je ne savais pas encore pour quoi Peeves avait opté. Encore qu'à voir les éclaboussures tout autour de moi, l'aspect des tentures et du tapis (que pour le coup, Rusard ne récupèrerait jamais), il avait dû pencher pour un contenant de la taille d'une baignoire.
Poings serrés, la colère me fit trembler.
Pensant essuyer mon visage et essorer mes cheveux, je ne fis qu'étaler un peu plus la substance. Impossible d'ailleurs de dire ce dont il s'agissait. De l'encre, de l'engrais ? Sûrement un mélange des deux. Quoi qu'avec ma chance, c'était pour du pus de Bulbobulb que l'esprit frappeur avait opté.
Le moindre de mes mouvements ne faisait qu'imprégner un peu plus mes vêtements. Grimaçant de dégoût, je sortis ma baguette de ma poche détrempée. Pas de magie qu'elle avait dit ? Tant pis.
— Tergeo, ai-je marmonné.
Le sort fut sans effet. Mon souffle trembla lentement lorsque j'expirai. Pas encore. Pas cette fois. Je devais me calmer.
— Tergeo !
Toujours rien. Le résultat fut le même, pour une bonne dizaine d'essais. Ça ne partait pas. Ma magie n'avait rien à voir là-dedans pour une fois. Peeves avait tout envisagé. A quoi bon me canarder si je pouvais tout nettoyer ?
La rage me fit voir trouble. Il allait payer. Je devais le poursuivre. Je savais ce que MacGonagall me ferait. J'étais bonne pour un blâme, pour une exclusion ou même pour une confiscation de ma baguette magique à vie. Mais Peeves n'allait pas s'en sortir comme ça. Il devait payer. Pour ce qu'il m'avait fait, pour tout ce qui m'arrivait et pour tous les autres. Il comprendrait que ce qu'il avait vécu auparavant n'était pas un accident. Plus jamais après ça, il n'oserait s'en prendre à qui que ce soit.
Je soufflai fort, beaucoup trop dans le silence assourdissant qui avait suivi l'attaque et la fuite toute en ricanement de l'esprit frappeur. Malgré tout, les murmures et les bruits de pas ne m'échappèrent pas. Il n'y aurait dû avoir personne. Les cours allaient bientôt reprendre. Peeves avait choisi son moment, exprès.
Les pas marquèrent une hésitation à l'angle du couloir puis approchèrent. Pour s'arrêter. Mes cils collés brouillaient ma vue, mais je devinai aisément que le spectacle ne devait pas être beau à voir. Ce machin du sol au plafond, les portraits souillés d'où sortaient toutes sortes de plaintes (décidemment une bien triste journée pour les habitants des tableaux du château). Moi au milieu de tout ça. Je n'avais même pas encore pris le temps de voir si j'étais blessée.
L'adrénaline me tenait, m'anesthésiait. L'adrénaline me faisait enrager.
— Hé… Ça va ?
Cette voix m'arracha un frisson. Pitié, pas lui. Pas maintenant. Pas ici. De toutes les personnes présentes dans le château, élèves, adultes, fantômes, elfes, monstre de la chambre des secrets confondus, il avait fallu que je tombe sur lui.
Les larmes me sont montées. Ça faisait beaucoup pour une seule journée. A deux reprises, j'avais été attaquée par Peeves. En un rien de temps, on avait réduit à néant la seule chose dans laquelle je m'étais investie depuis longtemps. Parce que je n'étais pas sérieuse, parce que je n'avais aucune crédibilité. J'étais condamnée à rester à Poudlard alors que même les fantômes n'étaient plus en sécurité. J'étais seule.
Je ne voulais pas qu'il me voit comme ça. Pas après ce que j'avais découvert sur lui.
Puis je me suis répétée que j'en avais assez. J'ai resserré ma prise sur ma baguette magique. Marre de me cacher, marre de me taire. Marre de passer mon temps à fuir devant lui.
Benton voulait que je lui parle ? J'allais le faire. On allait enfin creuser l'abcès. Tant pis pour l'encre. Tant pis pour les larmes.
J'ai fait volte-face, furieuse.
Dean eut un mouvement de recul.
Je blâmai tout d'abord mon apparence, mon regard que j'espérais presque meurtrier. Puis j'ai vu ce que ses yeux fixaient. Ma baguette, pointée sur lui.
— Quoi ? ai-je coassé.
Sa gorge tressauta lorsqu'il déglutit. Ah, il devait regretter d'être venu me chercher ! Il savait pourtant ce qu'il faisait, il m'avait forcément reconnue. Il avait marqué une hésitation à l'angle, je l'avais entendu. Mais il avait tenu à venir assister à ça… Il en aurait donc pour son argent.
— Je voulais juste savoir si ça allait, marmonna-t-il après une hésitation.
Son regard glissa du tapis aux murs souillés, m'évitant soigneusement.
— Ça se voit, non ? ai-je répliqué. Tout baigne !
Pour illustrer mon propos, j'écartai les bras, histoire que l'ampleur des dégâts ne lui échappe pas. Ma robe de sorcière était foutue, au moins autant que mes chaussures, dans lesquelles mes pieds baignaient désormais. Du revers de la main, j'étalai un peu plus le liquide épais qui coulait sur mon front.
— C'est pas vraiment l'impression que tu donnes…
A quoi est-ce qu'il jouait ? Il ne se rendait donc pas compte que ce qu'il avait de mieux à faire était encore de me laisser ? Il se trouvait peut-être malin ?
— Parce que ça t'intéresse maintenant ? ai-je ricané froidement.
Il carra les mâchoires mais ne partit pas pour autant. Son attitude me dépassait. Il voulait vraiment me voir exploser ? Il voulait réellement assister à ça ? Parce que c'est ce qui était sur le point de se passer ! La colère monta en moi, encore d'un cran.
— T'en as rien à foutre de ce qui peut m'arriver ! ai-je sifflé, presque méchamment.
— C'est faux…
Son calme et son ton sérieux me mirent hors de moi. Sa mauvaise foi m'arracha un rire aigre. Il voulait jouer à ça ? Dans ce cas, on allait mettre les pieds dans le plat.
— Oui, c'est vrai, excuse-moi ! Ça te réjouit en vérité ! Ça vous occupe bien, toi et ta copine. Vous foutre de ma gueule, c'est un peu votre passe-temps préféré. Avec les mois, vous auriez pourtant pu vous lasser !
Il eut le culot de feindre l'agacement en détournant la tête.
— En fait, ça t'a fait plaisir de me voir déguster tout le temps, pas vrai ? ai-je ajouté. Parce qu'avec tous les trucs que tu as balancés sur moi, je peux te dire, j'en ai bavé ! Toi, je ne risque pas de t'oublier… Ose dire que je me trompe ! me suis-je écriée voyant qu'il allait protester.
Mâchoires serrées, il me regarda dans les yeux, soutenant mon regard sans ciller. Toutefois, il n'objecta pas. Ne s'y risqua même pas. C'était donc la vérité. Pas juste l'amertume et la rancœur qui me faisaient imaginer des choses. Ma colère fondit doucement, baignée par un mélange de déception et d'abattement. Je fis cependant mon possible pour me reprendre. Je ne devais pas faiblir, pas maintenant. Pas avant que tout soit dit.
Je ne serai sûrement jamais aussi courageuse et forte que la Nouvelle June. Maintenant, je le réalisai. Alors, je lui devais bien ça.
— C'est bien ce que je disais, ai-je repris. T'en as rien à foutre en vérité. Tout ça (et je désignai la situation d'un geste du menton) ne sera qu'un truc en plus dont tu pourras te moquer.
— C'est ce que tu penses de moi ?
Et voilà qu'il me jouait les blessés !
— C'est ce que tout le monde sait, Flaherty ! Tu n'auras qu'à demander à Andy pour t'en assurer !
La perche était tendue. Il parut pourtant surpris d'entendre le nom de ma meilleure amie.
— Ça m'étonne qu'elle ne t'en ait pas touché un mot durant vos rendez-vous secrets…
J'avais essayé de mettre tout le fiel possible dans ma voix mais c'est à peine si j'ai réussi à l'empêcher de trembler. Il ne le remarqua cependant pas, tout à sa surprise. Ils devaient bien être les deux seuls à penser avoir été discrets…
— Quoi ? finit-il par articuler.
— Et c'est juste… dégueulasse, ai-je dit, refoulant mes larmes. Nous, on… Ta copine est peut-être une fieffée garce mais… ma meilleure amie !
A mon grand désespoir, ma voix s'est alors mise à chevroter.
— Je vous ai vu à Pré-au-Lard ! Tout le monde vous a vu au pied de la tour de Divinations ! On ne s'engueule pas comme ça sans qu'il y ait quelque chose de fort, ai-je martelé alors qu'il secouait la tête, consterné. C'est… c'est…
C'est en le disant que je l'ai réalisé. En fait, c'était comme moi et Olivier. J'avais pensé à nous en cet instant. Parce que notre dispute avait été violente, déchirante. Pour cette raison. Parce qu'il y avait quelque chose de très fort entre nous. Parce qu'Olivier n'était qu'un imbécile, mon imbécile.
Ce parallèle et cette soudaine prise de conscience me donnèrent le vertige et me déstabilisèrent un bref instant. Les mots me firent défaut. Cela fut suffisant pour que Dean en profite. Utilisant mon silence, il avança d'un pas pour se poster devant moi.
— Ça y est ? T'as fini ?
Le voir si sûr de lui me fit exploser.
— Non, j'ai pas fini ! A cause de toi, tout le monde me prend pour une traînée ! A cause de toi, je vais perdre ma meilleure amie ! Déjà que…
Ma voix se brisa. Que quoi ? J'allais dire quoi ? L'esprit brouillé, j'allais encore tout mélanger. Qu'est-ce que je faisais ? Un peu perdue, je le vis faire un pas de plus dans ma direction. Aussitôt, je le remis en garde avec ma baguette. Une lueur craintive passa dans son regard.
— Ne viens pas me dire que ce que je peux vivre t'intéresse. Parce que nous savons tous les deux que ce n'est pas vrai…
Il ne répondit rien et se contenta de lever les mains en signe de paix. La colère qui m'avait tenue jusque-là commença à refluer. Je devais fuir. Sans ça, je craquerais. Avec lenteur, je finis par baisser ma baguette et me détourner.
— Tierney…
— Fous-moi la paix !
Le bruit de ses pas sur le tapis détrempé fit écho aux miens.
— June !
Je secouai la tête pour ne pas l'entendre. Il accéléra.
— Jinxie…
A peine murmuré, cela suffit à me stopper net. D'un rapide revers de la main, j'ai empêché les premières larmes de couler.
— T'as pas le droit, ai-je soufflé. T'as plus le droit…
Il saisit mon poignet d'une main, écarta ma baguette de l'autre et d'un mouvement sec qui fit craquer mon coude, me fit rebondir contre lui. Sous le coup de la surprise, je me suis raidie, tétanisée. Ma baguette magique me glissa des doigts. Je ne m'en suis aperçue que lorsqu'elle a touché le sol et roulé. Le danger écarté, Dean resserra sa prise, m'attirant désormais contre lui. L'un de ses bras trouva sa place dans mon dos, l'autre s'enroula autour de mes épaules.
Il faisait quoi ?
Le choc de l'instant passé, j'ai essayé de me dégager.
— Laisse-moi ! ai-je crié, le son de ma voix étouffé par l'épaule contre laquelle j'étais plaquée.
Sa seule réponse fut de me serrer un peu plus contre lui.
J'ai rué, j'ai tenté de le repousser avec mes poings, y mettant tout ce que j'avais, quitte à le frapper. Il ne me lâcha pas pour autant.
Je l'ai maudit, l'ai traité de tous les noms, lui ai dit des horreurs, promis mille tourments. Lui se contenta de me répondre par des « je sais ».
J'ai fondu en larmes, j'ai pleuré et je l'ai supplié. Pas une seconde, il ne cessa de me bercer.
Toutes les pierres que j'avais mis tant de temps à entasser ont vacillé, le mur que j'avais fini par reconstruire s'est lentement effondré, alors qu'il m'avait tant coûté.
La Nouvelle June pouvait faire semblant d'aller de l'avant. June Tierney, la vraie, était juste toujours aussi perdue.
Mes jambes m'ont lâchée et j'ai dû me raccrocher à lui pour ne pas tomber. Mes sanglots ont redoublé.
Dean voulait simplement me consoler. Une main posée sur ma nuque, l'autre frottant doucement mon dos, sa bouche près de mon oreille qui murmurait d'une voix grave des mots d'apaisement, le lent mouvement de pendule, presque infime, qu'il nous faisait adopter… Il voulait simplement me consoler.
Ça me peine de l'admettre mais c'était tout ce que je voulais. Je n'aurais jamais dû, jamais cru le penser mais cette prise de conscience s'est imposée. Parce que ma vie était devenue n'importe quoi en peu de temps, parce que je m'étais sentie trahie et abandonnée trop souvent, parce que j'étais seule et totalement paumée…
C'était tout ce dont j'avais besoin. D'un câlin. D'un contact. D'un peu de chaleur et de tendresse. De quelqu'un là pour me soutenir et m'écouter. N'importe qui, en fait.
Puis j'ai réalisé que ce n'était pas vrai. Je ne voulais pas n'importe qui, mais une personne en particulier. Même aujourd'hui, même après tout ce que j'avais traversé, pensé, dit et écrit. Même après tout ce qu'il m'avait fait. Alors que j'avais mis tant d'énergie à le repousser.
Un gémissement, presque blessé, m'échappa. Je rendis rendu les armes et cessai de lutter.
Mes doigts, douloureusement crispés sur la robe de sorcier de Flaherty, eurent du mal à la relâcher. Je fis glisser mes mains autour de sa taille et me lovai contre lui. Il carra les épaules et poussa un soupir, un rien amusé, lorsqu'il comprit que j'acceptai.
C'était étrange et familier, sûrement déplacé, une erreur à n'en pas douter, mais c'était aussi tout ce dont j'avais besoin.
Je n'oubliai pas tout ce qui s'était passé. Je n'oubliai pas ce que Dean avait fait, je n'oubliai pas qu'il avait une copine. Peut-être même deux ceci dit ! Je n'oubliai pas non plus où nous nous trouvions, et ce qui nous risquions. Mais à cet instant précis, cette étreinte était tout ce qui comptait.
Flaherty ou un autre, j'en avais autant besoin qu'envie.
— Je m'en veux, tu sais…
Son murmure me fit rouvrir les yeux. Il n'avait pas cessé son faible mouvement de balancier, ne m'avait pas relâchée. Ses doigts jouaient sur ma nuque, à la racine de mes cheveux.
— Je savais ce qui se passait, mais je n'ai rien fait. J'étais…
— Content, ai-je reniflé, la tête calée sous son menton.
Il garda le silence un instant.
— Oui, il y a de ça… finit-il par marmonner. Quand tu l'as choisi, je… j'étais tellement mal, tellement en colère contre toi que j'ai … enfin, tu vois.
Je savais tout ça, Patch et Andy me l'avaient expliqué. Mais l'entendre l'avouer, en parler avec lui, a fini par calmer la colère et la culpabilité que je ressentais à ce sujet.
— C'était nul de ma part de laisser croire qu'on avait fait des trucs toi et moi, de les laisser se faire des idées. Mais tu t'éloignais sans cesse et quand on s'est séparés, il ne t'a plus lâchée. Moi, ça m'a rendu fou…
Lorsqu'il s'interrompit, je réalisai que j'étais en apnée.
— J'étais juste jaloux, Tierney. Ça vaut ce que ça vaut, mais je t'assure que je n'ai rien inventé. J'ai juste laissé les autres parler. Je ne pensais pas que ça aurait autant de conséquences.
Je reculai doucement le visage. Me sentant bouger, Dean maintint son étreinte. Peut-être par peur que je ne le frappe de nouveau ou que je pique une colère contre lui. Pas de chance, j'étais vidée. Ou alors souhaitait-il simplement éviter mon regard pour continuer à parler. Je finis pourtant par l'intercepter.
Il paraissait sincère. Peut-être même inquiet. Du moins autant que mes sens déboussolés me permettaient de l'affirmer.
— Ça en a eu…
— Je sais, lâcha-t-il dans un soupir.
— Non, tu n'en as qu'une vague idée.
Tout le monde ou presque pensait que lui et moi l'avions fait. De là imaginer que j'avais fait pareil avec Flint, la moitié de l'école avait franchi ce pas volontiers. Il n'y a pas deux heures de ça, les sous-entendus des Serpentards et les propositions graveleuses de cet abruti d'Adler en étaient la preuve parfaite.
Secouant la tête, j'essayai de chasser cette idée.
Quand je finis par de nouveau le regarder, Dean se détourna. Par culpabilité, je l'espérais. Même si c'était un peu tard désormais, il commençait à prendre conscience de tout ça. Ne souhaitant pas plus en parler, je repris ma position initiale, baissant la tête, laissant mon front retrouver sa place sur son épaule.
— Tu avais l'air tellement « bien », reprit-il d'une voix basse, que notre proximité me permit de sentir vibrer dans sa cage thoracique. Alors quand tu t'es disputée avec lui, je me suis dit que ce n'était que justice. Que c'était bien fait. En tous cas, mérité. Moi, je savais ce que tu ressentais pour lui… ce que tu ressens toujours pour lui. Alors voir qu'il t'ignorait et te rejetait…
Du bout des doigts, j'ai essuyé mes yeux. J'avais beau me douter que c'était ce qu'il s'était passé, en avoir la preuve était encore autre chose.
— Je n'avais pas réalisé l'ampleur que ça avait pris, s'empressa d'ajouter Dean, peut-être de peur que je ne l'interrompe. Je ne savais pas pour ta mère, ni pour tes notes ! Autrement, je n'aurais jamais…
Malgré moi, je me suis immédiatement raidie.
— Qui te l'a dit ? Pour ma mère, pour mes not…
La réponse m'apparut, ma question à peine formulée.
— Je ne sors pas avec Andy !
La vitesse à laquelle je me suis reculée l'a surpris.
— A d'autres ! me suis-je écriée, tentant en vain de le repousser du plat des deux mains. On vous a vus ! Je vous ai vus !
— Oui, parler.
— Vous vous hurliez presque dessus ! On ne s'engueule pas comme ça avec des gens auxquels rien ne nous lie. Il faut quelque chose de fort pour une dispute aussi passionnée…
L'évidence m'a frappée. C'était donc ça qui me gênait ? Une colère soudaine me fit serrer les mâchoires et détourner le regard. J'avais passé tellement de temps, dépensé tant d'énergie à repousser cette idée que je n'avais pas compris pourquoi. J'avais rejeté ça sur un code de conduite tacite, un tabou social qui aurait dû empêcher la chose d'arriver. Mais au fond, ce n'était pas le fait qu'ils sortent ensemble qui me gênait, mais le fait qu'ils puissent être réellement liés.
De la simple jalousie. L'idée n'a fait qu'amplifier ma colère, entièrement dirigée contre moi cette fois. Mais qu'il esquisse un sourire ne m'a pas aidé à me calmer.
— Nous avons une passion en commun, c'est vrai, finit-il par soupirer.
Je secouai la tête. Tout le monde se moquait mon intuition aléatoire et mon manque de discernement ! Je n'avais pas rêvé. Andy et Dean étaient faits pour être ensemble. Ils avaient tant en commun.
— La musique… ai-je marmonné.
Qu'il éclate de rire me vexa profondément. Ça n'avait rien de drôle. Et si ce n'était pas ça, il y avait bien d'autres choses pour les réunir, comme leur désamour presque suspect du Noble Sport, leur passion pour la littérature russe et…
— Toi.
Vertèbre après vertèbre, un frisson me traversa. A cette distance, toujours entre ses bras, ce détail n'avait pas pu lui échapper. Comment ça, moi ?
— Je ne suis jamais sorti avec ta meilleure amie. Andy venait juste me parler de toi. Et à chaque fois, le ton montait.
— Mais pourquoi ? ai-je coassé d'une petite voix, totalement prise au dépourvu.
— Elle voulait nous réconcilier. Elle pensait que tu avais besoin de soutien. De tout le monde, y compris du mien. Je lui riais au nez, tu penses bien… En fait, c'était elle qui m'engueulait. Tu n'imagines pas de quoi elle a pu me traiter !
Fondre en larmes, une fois de plus ou de moins, au point où j'en étais n'aurait pas dû me faire grand-chose. Pourtant, je fis mon possible pour ne pas craquer. Je n'avais pas vu ça, je n'avais pas compris ça ! Si c'était vrai, si c'était ce qu'Andy avait fait…
Ma vue se troubla. Je baissai la tête pour que Dean ne s'en aperçoive pas. Mon manège ne lui échappa cependant pas. Lui se pencha, jusqu'à finalement intercepter mon regard.
— La pauvre, soupira-t-il avec douceur, me découvrant au bord des larmes, elle a finalement provoqué le contraire de ce qu'elle voulait.
La culpabilité me serra soudainement la gorge. C'était vraiment ce qu'Andy avait fait ? Parce qu'elle m'avait bien suggéré une fois de reparler à Flaherty mais elle n'avait pas insisté, ni réitéré (bon, ceci dit, j'étais loin d'avoir bien réagi lorsqu'elle avait évoqué l'idée). Apparemment, c'était tout le contraire de ce qu'elle avait fait avec lui. J'étais la reine des idiotes. Moi qui avais fini par penser le pire à son sujet…
— Elle m'a eu à l'usure, finit par avouer Dean amusé, mais elle a pu m'expliquer la situation. Et j'ai pris conscience de ce qui t'arrivait.
La main sur ma nuque joua un instant avec la chaîne qui s'y trouvait. Dean esquissa un sourire lorsqu'il comprit ce dont il s'agissait. Sans un mot, il fit glisser ses doigts en direction de ma joue, qu'il essuya doucement du pouce. Un reniflement m'échappa. Puis attrapant mon menton, il me força à relever le visage dans sa direction. Il n'y avait pas d'animosité dans ses yeux. Ni de malice ou de rancœur. Guère plus de pitié.
— Au fond, je suis loin d'être parfait, peut-être même pas un mec sympa… Mais je suis désolé que ça ait pris cette ampleur-là, dit-il en jetant un regard sur le couloir dévasté autour de lui. C'est pas ça que je voulais. Tu dois me croire, Tierney.
J'ai hoché la tête, incapable d'articuler le moindre son. Il avait l'air sincère. Et s'il me faisait marcher et bien… tant pis. J'avais envie d'y croire. Surtout si ça signifiait qu'Andy ne m'avait finalement pas trahie.
Du bout des doigts, Dean rattrapa la mèche qui était tombée devant mes yeux et la glissa derrière mon oreille. Il n'y avait plus rien d'innocent ou d'anodin dans ce geste-là. Flaherty l'avait réalisé tant de fois qu'il relevait presque de l'intimité. D'un simple mouvement et en une fraction de seconde, tout ce que j'avais pu ressentir pour lui, tout ce que nous avions vécu, est remonté à la surface. Presque physiquement. Un mélange de sons, d'odeurs, de sensations, à croire que mon corps aussi avait des souvenirs bien à lui.
Par un réflexe presque pavlovien, je me suis sentie relever le menton dans sa direction, prête à l'embrasser. Le réalisant, mes yeux se sont écarquillés. Dean, à son tour, s'était figé. Ça n'avait pas pu lui échapper.
— Tu n'es pas seule, souffla-t-il. Tu as une amie en or, et d'autres personnes qui seront là pour t'aider. Et tant pis pour Olivier. Je… reprit-il après une légère hésitation, d'une voix mal assurée. Moi aussi, je…
J'ai soudainement eu très envie de l'embrasser. Alors oui, je sais Journal. Dean s'était très mal comporté. Et de mon côté, j'avais passé des mois à chercher à le détester, faisant mon possible pour l'ignorer. Quelques minutes auparavant, j'étais prête à lui jeter tous un tas de maléfices aux effets pas totalement maîtrisés. Je l'avais même frappé en cherchant à me libérer. Mon cerveau savait tout ça.
Mais il ne faisait pas le poids face au chamboulement de mes émotions, qui avait sapé ma raison avec autant d'efficacité qu'un lâcher de Cognards. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Mais Dean était là. J'étais dans ses bras, toute paumée que j'étais. Sur le moment, plus rien n'importait. Je n'en étais pas fière, mais pour de mauvaises raisons, j'allais certainement finir par l'embrasser. Et je crois bien que lui aussi le voulait.
— Ta copine n'apprécierait peut-être pas, ai-je fini par chuchoter, détournant la tête pour ne plus être tentée.
J'avais dit ça pour le provoquer. L'ambivalence de mes propos n'avait pas pu lui échapper. Pour preuve, un reniflement amusé lui échappa.
— Y a des chances, c'est vrai...
Nous pouvions être deux à jouer. Dean finit par soupirer.
— Il est idiot, tu sais. Il l'est forcément pour te laisser tomber. Totalement stupide… ou gay.
Un éclat de rire m'échappa. Même si c'était faux, ça eut l'avantage de me réconforter. Relevant les yeux vers lui, je compris à son sourire satisfait que c'était exactement l'effet qu'il recherchait.
— Pendant qu'on en est aux confidences, ai-je dit d'une voix hésitante, il y a quelque chose que je dois t'avouer.
Si proche de lui, qu'il suspende sa respiration ne pouvait pas m'échapper.
Dean avait été honnête avec moi, à défaut de s'être bien comporté. Lui-même le reconnaissait. Alors moi, aussi, je le lui devais. Je n'avais pas forcément été tendre avec lui durant ces quelques mois.
Que les choses soient claires, ça n'avait rien avoir avec ce qu'il avait fait, ou avec les conséquences qu'avaient eues les petites choses qu'il avait faites. Et même si de toute évidence, j'étais plus proche de la cruche que du génie du mal, je n'avais pas le droit de jouer les victimes, de me complaire dans un rôle d'oie blanche blessée alors que, pour des raisons plus qu'idiotes, et même si Patch avait trouvé ça « mignon », j'avais aussi médit sur son compte.
Enfin, sur celui de ses cheveux.
Même si c'était peut-être mérité. Capillairement parlant, le naufrage ne faisait que commencer.
Dean se renfrogna aussitôt, voyant exactement ce dont je voulais parler, avant de se mettre à grogner.
— Tu détestes, on me l'a bien fait comprendre !
Surprise, je n'eus qu'à réfléchir un instant à qui avait pu faire ça. L'ami préfet évidemment. Un sourire m'échappa.
— Mais Amy aime, c'est le plus important, ai-je fini par soupirer.
Un sourcil haussé, il inspira pour parler mais fut interrompu par la cloche. L'inter-cours était cette fois terminé. Presque à regret, et j'en fus la première étonnée, je me suis écartée de Flaherty. De ses mains, il retint malgré tout mes poignets.
— Qu'est-ce que tu as comme cours ? me demanda-t-il un sourcil haussé.
— Défense contre les Forces du mal et étude de Runes…
Il hocha la tête un instant.
— Donc sécher ne te dérangera pas plus que ça.
Je le dévisageai, interloquée. Sécher ? Avec lui ? Ok, il s'était définitivement passé quelque chose de bizarre à l'instant, que la morale réprouverait mais… Il s'imaginait quoi ?
— C'est ça ou il va falloir expliquer à tout le monde pourquoi nous sommes couverts d'encre… enfin, si c'est vraiment ce que c'est, grimaça-t-il le nez plissé.
Je devais vraiment être perturbée par tout ça pour ne pas l'avoir remarqué avant. Dean aussi était couvert de ce machin malodorant. Par ma faute. Même si, d'une certaine façon, il l'avait cherché.
Sa chemise et sa robe de sorcier étaient imbibées. D'un geste de la main, il ne fit qu'étaler la substance sur sa mâchoire et son cou. Là où finalement, je l'avais touché.
— Parce que je suppose que tu as déjà essayé de la faire partir d'un sort, s'inquiéta-t-il devant mon air catastrophé. Et connaissant Peeves, ça risque d'être un truc qui va rester, pas vrai ?
Je hochai la tête silencieusement. Traverser l'école couverte de ce machin puant, mon ego souffrirait mais je pouvais le faire. Mais si lui aussi le faisait et que nos taches concordaient, les pièces du puzzle seraient vite encastrées. Tout le monde comprendrait que bonne raison ou non, je m'étais retrouvée blottie contre lui.
— Raison de plus pour sécher ! finit-il par soupirer. Binns ne m'en voudra pas. Enfin, je crois…
— Mais… et Amy ? ai-je bafouillé.
Dean tourna les yeux vers moi, sincèrement amusé. Comme si le fait que je m'inquiète pour sa petite amie soit totalement déplacé.
— Après tout ça, c'est tout ce qui te retient ? Amy ? s'étonna-t-il. Même pas tes cours ou le fait que Peeves puisse vouloir recommencer ? Amy n'en saura rien, rassure-toi ! Et puis, elle vivra beaucoup plus mal le fait de me voir arriver dans cet état, et d'apprendre que tu en as fait de même de ton côté.
— Tu proposes quoi dans ce cas ? ai-je demandé, légèrement vexée.
Selon lui, utiliser les toilettes serait trop risqué. Le plus simple, et paradoxalement le plus discret, était encore de sortir et de trouver refuge chez Hagrid. Lui aurait sûrement de quoi nous nettoyer.
Ce n'était sûrement pas le plus raisonnable, vu la situation. J'avais plutôt tout intérêt à aller trouver un adulte de l'école pour me plaindre et me faire aider. Mais je ne me sentais plus de taille à affronter ça, pas après l'histoire des fenêtres, pas après le savon que MacGonagall m'avait passé. Je n'étais plus en état d'affronter qui que ce soit.
Et comme Dean l'avait dit, je n'avais surtout pas envie d'avoir à expliquer comment l'empreinte de mon corps s'était retrouvée presque tatouée sur lui.
Alors, j'ai accepté.
— Ok, ai-je soufflé.
Son sourire s'élargit et il me relâcha les poignets pour ramasser et me tendre ma baguette.
Bon, nous courrions toujours le risque de tomber sur le monstre de la Chambre des Secrets. Mais ce n'était bizarrement pas le pire qui puisse nous arriver à cet instant. Et comme le précisa Dean, alors qu'à pas de sioux, nous tentions de rejoindre le Hall sans nous faire remarquer, nous cachant à chaque détour du couloir et de l'escalier, si ça devait arriver, je n'aurais qu'à m'estimer vengée.
Pétrifiée certes, mais vengée.
oOo
Je craignais qu'Hagrid ne soit pas ravi ravi de nous voir frapper à sa porte, sales, malodorants, transis de froid (puisque ni Dean, ni moi ne portions évidemment de manteau) et de toute évidence en train d'enfreindre les nouvelles règles de l'école en vagabondant joyeusement et en séchant les cours. Il n'a clairement pas sauté de joie, mais une fois la surprise passée et un retentissant « Nom d'un hippogriffe, qu'est-ce qui vous est arrivé ? », il se fendit d'un sourire et accepta de nous laisser entrer. Peut-être parce qu'à cause des évènements des derniers jours, plus personne n'osait sortir du château et que les visites se raréfiaient.
Crockdur nous renifla un instant avant de se mettre à éternuer et alla se coucher à l'autre bout de la petite maison.
Même Hagrid, de son propre aveu pourtant habitué aux mixtures improbables, fut incapable d'identifier la substance dont Peeves m'avait couverte. Après de multiples essais et trois shampoings (dont un pour essayer de retirer l'odeur du mélange détergent qui avait finalement triomphé de la chose), le garde-chasse nous offrit une tasse de thé bien méritée, que nous avons sirotée, le temps de faire sécher nos robes de sorcier, assis au coin de la cheminée.
Sécher les cours pour prendre le thé et papoter ensorcellement du grillage du poulailler (où la perte d'un coq ces derniers jours était hélas à déplorer) en compagnie d'Hagrid et de Dean Flaherty… Honnêtement, je n'aurais pas mis une Mornille dessus. Et pourtant, je crois que c'est un moment que j'ai même apprécié.
En un seul après-midi, j'étais passée par tous les états : j'avais pleuré, eu envie de crier et mordre, m'étais sentie sur le point d'exploser ou de m'effondrer un bon milliard de fois. Passant d'un extrême à l'autre, souvent la seconde d'après. C'est en le leur racontant que je l'ai réalisé (j'ai toutefois pris soin de passer sous silence l'épisode m'opposant aux Serpentards, pas nécessaire et pas franchement à ma gloire).
Alors, oui, peut-être qu'être simplement assise devant une bonne flambée, à grignoter les biscuits un peu durs qu'Hagrid avait préparés et écouter d'une oreille distraite une conversation qui pour une fois ne parlait pas de Flint, de Peeves, du club de duels, de mon incompétence notoire ou d'Olivier, à ce moment-là, était juste ce qu'il me fallait pour m'apaiser.
Quelque chose avait changé. Quelque chose s'était cassé. J'étais encore incapable de mettre le doigt dessus, incapable de dire si c'était bon ou mauvais. Trop engourdie par toutes ces émotions contradictoires, j'étais tout juste en mesure de le constater.
Peut-être était-ce d'avoir simplement eu enfin le courage de parler. A ma directrice de maison, à Flaherty. Peut-être que d'une certaine façon, ça m'avait soulagée.
J'ai laissé Dean et Hagrid se lancer dans un grand débat sur les dragons et leur acclimatation (apparemment, contrairement à nous, les septième années avaient plutôt bien avancé leur dossier pour le cours de Soins), peu qualifiée et surtout peu désireuse d'y prendre part. J'étais vidée, presque littéralement, dans cet état comateux un peu cotonneux habituellement propre à l'enfance que seules les crises de larmes ou de colère pouvaient provoquer. J'avais cumulé les deux. Piquer du nez n'aurait donc pas dû m'étonner.
Ce qui me parut être la seconde d'après, Dean me secouait l'épaule pour m'annoncer qu'il était déjà l'heure du dîner et qu'il ne fallait plus traîner.
Après m'avoir promis de parler à MacGonagall s'il le fallait, Hagrid nous proposa de nous raccompagner au château. Un ricanement, plus proche de l'aboiement que du rire, lui échappa lorsque, le remerciant pour ce qu'il avait fait, Dean et moi lui avons demandé de ne pas se déranger. Il refusa de nous écouter, assurant que par les temps qui couraient, on ne savait jamais. D'autant plus que ce n'était visiblement pas ma journée !
Malgré ça, notre garde-chasse n'insista étrangement pas lorsqu'à mi-chemin, Dean nous quitta pour prendre le chemin des serres, prétextant devoir aller voir le professeur Chourave pour s'excuser de ce qui venait d'arriver. Ce que j'aurais cru volontiers s'il ne m'avait pas jeté un regard entendu. Nous ne pouvions pas nous permettre de rentrer ensemble, il disait vrai. Hagrid eut l'élégance de ne faire aucun commentaire. Ou peut-être qu'ils avaient profité de ma légère absence (ok, je crois que le doute n'était plus permis, j'avais franchement dormi) pour en discuter.
Les marches du perron montées, j'eus à peine le temps de remercier une dernière fois Hagrid que déjà, l'inquisition accourait vers moi. A la façon dont elles me tombèrent dessus, j'imaginais les filles plus furieuses qu'inquiètes. Je me trompais.
— Bon sang, Tierney ! Où tu étais passée ? gronda Dorys, les sourcils froncés comme jamais. On t'a cherchée partout !
Par mesure de sécurité, je reculai, laissant un bon mètre entre nous, sentant qu'elle était tout à fait capable de me frapper.
— Ça va, ai-je répondu, affichant le sourire le plus rassurant possible.
— Ça va ? répéta Andy, s'étranglant à moitié. Tu as fait exploser les vitres d'un couloir entier, mais ça va ?
Y repenser me fit grimacer. Je ne me faisais toujours pas à cette idée.
— Plutôt cool, d'ailleurs, ajouta Dorys, se risquant même à un clin d'œil.
— Ça n'a rien de cool ! protesta Benton. MacGonagall était furieuse ! Et Peeves racontait à tout le monde qu'il t'avait eue ! On s'est tous inquiétés !
De leur point de vue, c'est vrai, il y avait de quoi se faire du souci. Et j'aurais moi-même sûrement dû m'en faire, ma directrice de maison ne pouvant ignorer le fait que, malgré les quarante points retirés, les heures de colle et les menaces formulées, j'avais une fois de plus désobéi. Malheureusement, je n'avais pas le courage de les rassurer en leur disant la vérité. Pas toute la vérité. En tous cas, pas ici et maintenant.
— J'ai séché… ai-je finalement soupiré.
— Tu as séché ?
Je hochai la tête pour confirmer.
— Et tu étais où alors ? aboya Andy, que l'idée n'avait fait qu'un peu plus énerver. On a regardé partout !
— J'étais… dehors.
— Dehors ?
Si elle voulait jouer à ça, on en avait pour la soirée.
— Tu vas t'amuser à répéter tout ce que je dis ? ai-je ricané.
Mon sourire sembla les surprendre et après avoir échangé un regard, je les vis arborer un air plus méfiant.
— Ok, soupira Andy, s'efforçant visiblement de rester calme, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— Mais rien ! Je suis juste sortie pour prendre l'air et me calmer.
— Et… ? fit Dorys suspicieuse.
— Et je me suis effectivement calmée.
Si elles parurent soulagées de me voir entière et bien portante, je crois que mon mutisme sélectif a eu le don de légèrement les agacer.
— Désolée, ai-je fini par marmonner. Je ne voulais pas vous inquiéter.
— Tu ne sèches jamais les cours ! rappela Andy. Alors, on a cru que… (elle baissa la voix) On a cru que le monstre t'avait eue !
— Même si je ne suis pas d'origine moldue ?
— Tu vois très bien ce que je veux dire ! répliqua-t-elle vexée. Tout le monde t'a cherchée ! Tout le m…
— Mais le principale, c'est que tu n'aies rien, la coupa précipitamment Dorys.
Chose que j'ai appréciée, même si elle l'a fait avec un peu trop d'entrain. Andy n'acceptait pas vraiment d'avoir tort, et je ne voulais pas me sentir plus coupable que je ne l'étais.
J'allais remercier d'un sourire Cleath pour son soutien, mais plus vive que moi, elle ne m'en laissa pas l'occasion.
— Tu étais seule ? demanda-t-elle, m'adressant un regard lourd de méfiance.
Mon hésitation dura une seconde trop. Leurs yeux s'élargirent comme des soucoupes.
— De toute évidence, non ! reprit Cleath. Tu étais avec qui ?
— Pas Flint, par pitié ! grinça Andy les dents serrées.
Alors que cela aurait suffi à me mettre hors de moi quelques heures auparavant, sa proposition suffit à me faire éclater de rire.
— Darren ? proposa Dorys, ne plaisantant qu'à moitié.
Je n'osai même pas imaginer ce qui se serait passé si les pas du petit Serdaigle étaient ceux que j'avais croisés.
— Non mais ça va pas !
Un frisson écœuré me traversa. Se mordillant la lèvre, Andy hésita.
— Olivier ? finit-elle par tenter d'une petite voix.
Pour le coup, ça ne m'amusa pas. Encore et toujours, elle y revenait ! L'idée était totalement ridicule. Ne serait-ce que parce que, contrairement à Dean, Dubois lui ne se serait certainement pas arrêté. Prête à lui faire remarquer qu'elle déraillait joyeusement (puisqu'aux dernières nouvelles, il avait passé l'après-midi en cours, avec elles !), je fus coupée dans mon élan, apercevant Dean à l'autre bout du Hall s'approcher de la Grande Salle en compagnie de ses amis.
Le monstre ne lui était pas tombé dessus, et Chourave l'avait visiblement absous de ses péchés. Enfin, façon de parler.
Il m'aperçut et m'adressa un sourire discret. J'eus beau tenter le contraire, je ne pus m'empêcher de l'imiter. La puce à l'oreille, les filles firent volte-face avant de se figer.
— Tu te fous de nous, Tierney ? s'écria Dorys choquée. Sérieusement ? Flaherty ?
Avec de gros yeux, je lui fis signe d'être plus discrète.
— Rassure-moi, grimaça-t-elle. Vous n'avez pas remis ça ?
— Non ! me suis-je indignée. Bien sûr que non !
— Mais tu as séché pour passer du temps avec lui ? Pourq… commença-t-elle avant de s'interrompre et de se pincer le nez. Non, en fait, tu sais quoi ? Ne réponds pas ! Je ne veux même pas savoir en vérité. Je vous aime bien, vraiment. Mais là, ça devient n'importe quoi, toutes vos histoires d'ex et de meilleurs amis ! C'est tellement ironique que… c'en est même trop moi.
Essoufflée par sa tirade, elle sembla réaliser que nous l'observions, bouche bée. Se raclant la gorge, elle se reprit.
— J'ai besoin de vacances, ok ? grogna-t-elle.
Sans attendre un quelconque assentiment, elle tourna les talons et prit la direction du dîner. Je la regardai faire, amusée, avant de me tourner vers Andy.
Andy qui s'était fait plutôt discrète depuis la mention de Dean Flaherty. Elle savait. Elle savait que je savais qu'elle savait.
— Je sais ce que tu as fait.
— Et ? demanda-t-elle d'une voix traînante, sondant mon visage avec une légère inquiétude.
Elle craignait que je lui en veuille ? A raison, au fond, quand on y réfléchissait. Après tout, elle avait raconté mes petits secrets à mon ex-petit ami qui jusque-là n'avait fait que montrer des signes d'hostilité.
— Merci, ai-je murmuré.
Le soulagement qu'elle éprouva m'arracha un sourire amusé.
— Je t'avais dit de lui parler.
— A l'instant, tu n'avais pas l'air si sûre que ça !
Elle roula les yeux vers le plafond, chassant ce détail à ses yeux dérisoire.
— Au fond, reprit-elle dans un soupir, ce n'est pas un méchant garçon… Il était juste en colère.
— Comme moi, ai-je avoué.
— Et amoureux…
De moi, peut-être à l'époque. Et aujourd'hui, pas d'elle. Maintenant, je le savais.
— Je suis désolée d'avoir eu à parler de ta vie privée, mais je pensais qu'il pourrait…
— Tu as bien fait, l'ai-je rassurée alors que mal à l'aise, elle s'était détournée. Ce n'est pas si important. Plus maintenant. Et puis, il était déjà au courant pour plein de choses…
Elle fronça les sourcils. Bon, pas pour ma mère ou mes notes, c'est vrai.
— Il sait pour Olivier, ai-je avoué dans un marmonnement. Que je…
— Mais est-ce que c'est toujours d'actualité ?
Un profond soupir m'échappa. Dès que ma garde se baissait, je continuais y penser. Mais ça n'avait plus d'intérêt désormais.
— Rassure-moi, vous vous êtes bien conduits ? me demanda Benton soupçonneuse.
— Andy, il a une petite amie !
— Pour certains, ça peut rendre les choses excitantes…
Sa façon de formuler les choses me fit grimacer. Est-ce que j'avais eu envie d'embrasser Dean ? Oui. Est-ce que savoir qu'il avait Amy m'avait découragée ? Non. Ce n'était sûrement pas pour elle que je ne l'avais pas fait. J'étais peut-être un peu plus du côté des ténèbres que je ne le pensais, tout compte fait.
Le moment de faire preuve d'un peu d'honnêteté était arrivé. C'était par là que j'aurais dû commencer. Rassemblant mon courage, je me suis finalement lancée.
— En fait, je pensais que toi et lui… enfin que vous…
Elle ne comprit pas immédiatement ce que mon silence et ma grimace embarrassée signifiaient. Et lorsqu'elle l'a fait, j'ai aussitôt regretté d'avoir parlé.
— Tu as cru que je sortais avec lui ? Tu es folle, Tierney ?
Ses cris résonnèrent un instant dans le Hall. Mortifiée, je sentis les regards des élèves de passage se tourner vers nous. Indifférente à tout ça, Andy fulminait.
— M… Mais…
— Avec ton ex ? s'écria-t-elle, le visage pivoine et la narine palpitante. Mais tu n'es pas bien ! C'est… c'est…
L'indignation lui fit perdre ses mots.
— Il a une copine !
— Je vous ai vus à Pré-au-Lard, ai-je répondu, sur la défensive. Et Dorothy…
Andy m'interrompit d'un ricanement aigre.
— Dorothy ? Tu écoutes Dorothy ?
Ce n'était pas juste du tout. D'accord, la préfète n'était pas toujours une source des plus fiables, ni forcément bien intentionnée. Mais elle et ses cancans avaient été là pour moi quand j'en avais eu besoin. C'est en tous cas ce que j'ai essayé de faire comprendre à Andy d'un simple « Hé ! » offensé.
Levant les mains en signe de paix, Benton inspira profondément pour se calmer. Puis sans prévenir, elle me donna un coup sur le bras.
— Aïe !
D'un pas en arrière, je me mis hors de portée.
— Pourquoi est-ce que tu n'en as pas parlé ? demanda-t-elle excédée. Pourquoi tu n'es pas venue me demander si c'était vrai ?
Une part de moi savait pourquoi je ne l'avais pas fait. Par peur, mon moi entier jugea préférable de la boucler.
— Tu parles à tout le monde ! reprit-elle (n'attendant visiblement pas de réponse de ma part). A tout le monde, même à ton hibou !
Oui, je parlais à Cat (à toi aussi d'ailleurs, Journal), et il me comprenait !
— Tu ferais la conversation à un chaudron, June ! s'emporta-t-elle, voyant que j'allais protester. Alors, pourquoi tu n'es pas venue me voir ? Pourquoi tu as gardé ça pour toi ? Pourquoi tu ne me parles pas, à moi ?
Ses épaules s'affaissèrent, sa colère retomba aussi vite qu'elle était montée. Elle avait juste l'air triste, désormais.
— Je veux dire… Ok, qu'à moi, ce soit compliqué, d'accord. Mais tu aurais pu en parler à Dorys…
J'aurais pu, c'est vrai. Mais je n'en avais rien fait. J'avais trop peur de découvrir la vérité. Andy en avait fait les frais.
— Je… Je ne sais plus comment t'aider, June. Je te promets, je voulais juste t'aider.
Gagnée par sa tristesse, j'ai senti ma gorge se serrer. Obnubilée par mes propres blessures, je n'avais pas voulu voir qu'elle aussi souffrait.
— Je sais… ai-je marmonné, penaude. Enfin, maintenant, je sais.
Andy m'observa quelques instants, avant de sourire tristement.
— Vous êtes pareils… soupira-t-elle, secouant la tête légèrement.
Constatant que je ne saisissais pas ce dont elle voulait parler, elle se justifia.
— Tu réalises que c'est exactement ce qu'a fait Olivier ?
Ahurie, j'en restai bouche bée. Elle ne pouvait pas comparer le fait que je me méprenne sur elle et Dean et ce qu'avait imaginé dans son esprit tordu Olivier à mon sujet.
— Ça n'a rien à voir ! ai-je rétorqué.
Andy n'était pas de cet avis.
— Tu as cru que je sortais avec ton ex parce que je me suis disputée avec lui. Il a cru que tu sortais avec son pire ennemi parce que tu lui parlais.
— Rien à voir. C'est bien ce que je disais !
— Oui, désolée, concéda-t-elle. Tu lui souriais !
— Je vous ai vus !
— Et Olivier aussi ! répliqua-t-elle. Vous êtes les mêmes… Tierney, tu n'as pas idée.
Le soupçon de tristesse dans sa voix ne pouvait pas m'échapper. Pour autant, je ne cherchai pas à creuser. Elle se trompait. Elle ne pouvait pas comparer ce malentendu et la situation dans laquelle Olivier nous avait plongés.
— Tu es amoureuse, Andy ! ai-je finalement repris. Ne nie pas, ça se voit. J'ai juste cru que Dean était… enfin, tu vois. Pardon d'avoir douté et de ne pas être venue t'en parler.
Plus touchée qu'elle ne l'admettrait jamais, elle accepta mes excuses et d'un signe de la tête, me fit signe d'avancer.
— Je t'avais dit qu'il y avait quelque chose de fort entre lui et toi.
Elle n'en démordait décidemment pas ! Un reniflement amusé m'échappa. Un reste d'affection ou le début d'une amitié, peut-être. Elle avait cependant tort d'insister. Dean hors-jeu, je comptais vite repartir sur la piste de son amoureux secret.
— Rassure-moi, dit-elle, pilant net avant d'atteindre les portes. Vous n'avez vraiment rien fait ?
Un éclat de rire m'a échappé.
— Andy, il a une petite amie ! ai-je rappelé, la dépassant.
— Oui, mais vous êtes restés plus de deux heures, seuls, après des mois sans vous parler. Ce qui, aussi improbable que ça puisse paraître, de tes propres mots, t'aurait apaisée. Tu es sûre que tu n'as pas eu envie de…
Lui faisant face, j'ai franchi les portes de la Grande Salle à reculons. Je me suis sentie sourire avant même de pouvoir jouer les indignées. Autant amusée que scandalisée, Andy pressa le pas pour me rattraper.
— Non ! s'écria-t-elle. Tu as eu envie de l'embrasser, pas vrai ?
Je n'eus pas le temps de lui faire signe de se taire, percutant quelqu'un de plein fouet (rentrer dans la Grande Salle au moment de dîner sans regarder où j'allais n'était certainement pas la plus grande des idées).
Aussi surpris que moi, Hataway se frottait la mâchoire, là où l'arrière de mon crâne l'avait cogné.
— Oh Merlin, je ne t'avais pas vu ! me suis-je excusée, sincèrement désolée, lui attrapant le bras. Sean, ça va ?
Il retira avec lenteur la main de sa mâchoire et me dévisagea, stupéfait. Non, je n'avais pas été attaquée par le monstre de la Chambre des Secrets (c'était vraiment ce que tout le monde avait cru ?). Puis j'ai réalisé que je ne lui avais pas parlé depuis plus d'un mois. Explication plus simple qui justifiait parfaitement son air étonné.
Mal à l'aise, il hésita un instant avant de marmonner un petit « Y a pas mal » et de se fendre d'un sourire rassurant. Sourire que je n'ai pas pu m'empêcher d'imiter.
— Vraiment désolée, ai-je grimacé en le relâchant et lui passant à côté.
Ce n'est qu'à cet instant que j'ai vu qui le suivait. Sa seule présence certainement responsable de la gêne d'Hataway. En même temps, je n'aurais pas vraiment dû m'en étonner. Il était là. Encore là. Toujours là. Si près que je manquai de peu aussi de le percuter.
Mon sourire s'effaça. Je ne me sentais pas de lui faire face. Pas après cette journée, pas après ce dont j'avais pris conscience quand Dean m'avait consolée.
Le voyant pincer les lèvres, je me suis surprise à craindre qu'il ne se mette à parler. Par chance, Andy vola à mon secours et, ignorant superbement les garçons, me prit par le bras et me fit avancer. Clamant haut et fort que c'était déjà bien assez pour une seule journée, et que je devais être affamée.
oOo
Je ne l'étais pas en vérité. Les sablés d'Hagrid avaient un pouvoir plus rassasiant que je ne l'imaginais. Pourtant, pour faire bonne figure et ne pas les inquiéter, je me suis efforcée de picorer dans chacun des plats qui apparaissaient.
Vite rattrapée par la réalité, l'état de grâce n'a guère duré. Quelque part, je m'y attendais. A regret, j'ai laissé s'évaporer ce sentiment de bien-être, presque euphorique, que j'avais ressenti après avoir été consolée.
Andy et Dorys ont eu la gentillesse de me laisser le temps de m'asseoir. Ensuite, elles ont voulu tout savoir. Leur raconter cette folle journée, même en édulcorant et effleurant certaines péripéties (si fraîches que j'avais la désagréable sensation de les revivre une seconde fois), n'a fait que m'y replonger. Beaucoup plus rapidement et intensément que je ne l'aurais imaginé.
Oui, j'avais survécu. Oui, je m'étais réconciliée avec Dean. Oui, j'étais totalement rassurée au sujet d'Andy et oui, j'avais même parlé à Hataway mais…
Mais mes problèmes restaient. Certains se créaient quand d'autres se résolvaient. Comme si l'Univers avait choisi de régler le curseur de ma balance cosmique sur « déguste à fond » et qu'il se faisait un véritable devoir de s'y tenir.
Ma traduction (due depuis quelques heures) était toujours couverte d'encre et vraisemblablement à jeter, le livre que j'avais emprunté était certainement foutu (et ma tête bientôt mise à prix), mes heures de colle tenaient toujours et la possibilité d'un renvoi (puisque j'étais parvenue à enfreindre la seule règle que MacGonagall m'avait imposée) était plus que jamais d'actualité. Le club était tombé à l'eau (bien que, à part moi, tout le monde avait parfaitement compris qu'il n'avait jamais eu une chance de quitter le milieu aqueux) et j'étais plus ou moins privée de magie, à quelques mois de ma majorité.
Oreilles attentives, les filles ont été d'un soutien sans faille, s'indignant lorsqu'il le fallait, passant les moments qu'elles devinaient gênants, retenant les questions (pour une fois) et les commentaires. Malgré tout, mon humeur est inexorablement retombée.
Quoi que, vu le nombre de fois auxquelles j'ai dû m'y reprendre pour venir à bout de mon récit, ce n'était guère étonnant. Nous étions constamment interrompus. Tout le monde ou presque voulait savoir à quoi le monstre de la Chambre des Secrets ressemblait (et comment j'avais pu en réchapper). Je m'étais absentée deux petites heures, et un service funéraire avait presque déjà été organisé. Pour tout te dire, il n'y a guère que Patch et Percy à ne pas l'avoir fait.
Patch, parce qu'il connaissait la vérité. Oh, il n'a même pas eu à le dire, son petit sourire entendu (malgré l'interrogatoire auquel il a tenu à me soumettre) était la preuve même qu'il savait précisément où et avec qui j'avais été. Pour une obscure raison, Flaherty avait dû ressentir le besoin de s'épancher.
Percy, lui, était trop occupé à incarner la désapprobation pour se demander où j'avais pu traîner. Droit comme la justice, une moue pincée sur le visage, il est venu m'informer que j'étais cordialement tenue d'effectuer mes heures de retenue dès la fin du dîner, ici-même dans la Grande Salle.
Alors, oui, je sais, ça me pendait au nez. Mais un petit délai m'aurait sincèrement arrangé.
— Quarante points en moins, tu t'attendais à quoi, Tierney ? s'indigna-t-il quand j'ai eu l'audace de protester.
Sur le point de répliquer (Quarante ? Ouais… j'avoue, ce léger détail m'avait échappé), le hoquet surpris de nos voisins de table, un groupe de troisième année, me prit de court. Les chuchotements plus qu'outrés qui suivirent furent aussi difficiles à ignorer.
Mes épaules s'affaissèrent. Dans l'absolu, j'aurais préféré que ce détail reste secret. Là, c'était foutu. D'ici quelques secondes, l'information aurait atteint l'autre bout de notre table. Une minute de plus, et le château entier l'apprendrait. Un regard noir me suffit à remercier Percy. J'avais maudit et pesté contre d'autres pour moins de points perdus que ça. Loin de s'en émouvoir, ce dernier paraissait au contraire déterminé à en remettre une couche.
J'imagine que, sous ses airs de préfet pincé et ses « Honnêtement, tu t'imaginais quoi ? », il s'est lui aussi fait un peu de souci. En tous cas, c'est comme ça que j'ai choisi d'interpréter le laïus interminable et moralisateur dans lequel il avait tenu à se lancer (devant la Grande Salle presque entière encore attablée… Merlin, je comprends désormais la souffrance des jeunes Weasley !). Et finalement quand il a fini par me suggérer de prévenir la prochaine fois que je voulais sécher (dans l'espoir naïf de couper court à tout ça, j'avais fini par avouer), c'était autant pour ne pas perdre de temps à participer aux recherches que ne pas s'inquiéter. Enfin, j'ai eu envie de le voir comme ça.
— Bref, reprit-il, réalisant qu'il s'était un peu égaré. Tu ne bouges pas ! Ordre de MacGonagall !
D'ordinaire, être en retenue rimait avec lignes, récurages de chaudrons et « vis ma vie » de concierge de Poudlard. Seul ou en mauvaise compagnie, pour être certain de n'y prendre aucun plaisir. Colle commune (de ce que j'ai compris) dans la Grande Salle ? De mémoire de sixième année, c'était une première. L'agression de Nick et du petit Poufsouffle étant encore fraîche, nos enseignants avaient sûrement jugé plus prudent de nous réunir tous dans un seul et même endroit. Encore que, pour écarter tout risque (parce que oui, si le monstre et l'héritier décidaient de faire un raid dans la Grande Salle, ils seraient tous bien embêtés !), ils aurait mieux fait d'associer prudence et clémence en commuant nos peines.
— Elle aurait pu venir me le dire elle-même, ai-je marmonné, Percy parti (une fois son devoir accompli et son sermon récité).
Je n'eus comme réponse qu'un vague haussement d'épaules. Plus fataliste que désintéressé. Au fond, je savais pertinemment pourquoi ma directrice de maison ne s'était pas déplacée. MacGonagall m'en voulait et elle avait décidé de ne même plus me parler. J'aurais sûrement dû trouver ça ridicule et puéril à souhait mais ça m'a fait quelque chose en vérité.
J'avais encore du mal à réaliser ce que j'avais fait et dit dans son bureau (Andy et Dorys peinaient d'ailleurs toujours à s'en remettre). J'imagine que ce n'est pas grand-chose, et qu'elle a déjà vu bien pire question insubordination depuis le temps qu'elle doit quotidiennement faire face à un bouillon d'hormones adolescentes. Mais pour moi, ce n'était pas rien. Alors peut-être que pour elle aussi, ça n'était pas anodin.
Je ne dis pas que j'ai eu raison de m'emporter, seulement que j'avais de très bonnes raisons de le faire. Le simple fait d'y repenser me le confirmait. Je ne regrettais pas de l'avoir fait. Simplement que ce soit tombé sur elle.
Mon côté obscur était encore ridiculement loin d'être au point.
— Peut-être que je devrais aller la voir… ai-je soupiré, jetant un regard par-dessus mon épaule en direction de la table des professeurs. Je veux dire, pour m'excuser.
Notre directrice de maison était plongée dans une intense conversation avec le professeur Flitwick. Par chance, ce n'était pas Chourave, qui, à tous les coups, devait être au courant de ce que Dean et moi avions fait ces deux dernières heures. Même s'il ne s'agissait que de boire un thé dans la cabane d'Hagrid, mieux valait pour moi qu'un maximum de personnes continue à l'ignorer. Je n'étais plus franchement en odeur de sainteté.
Les filles échangèrent un regard entendu. La bouche pleine, Andy laissa Dorys s'en charger.
— Attends demain, se contenta de dire l'Irlandaise d'un air encourageant.
Autant dire que ce n'était pas pour me rassurer. Benton m'avait bien fait comprendre que MacGonagall était furieuse quand, selon ses mots, tout le monde m'avait cherché, mais je ne pensais pas que c'était à ce point.
— Ce n'est pas que toi… grimaça Dorys, presque désolée. Mais je dois reconnaître que ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas vu comme ça…
Raison de plus pour s'abstenir, elle disait vrai.
Pour une quasi-veille de vacances, j'étais étonnamment loin d'être la seule à être collée. Chez les Gryffondors, il y avait (sans surprise) Fred et George Weasley, ainsi qu'un joli groupe de cinquième année. Quelques Poufsouffles étaient également restés attablés. Roger Davies (un peu trop souvent pris à fureter du côté des toilettes des filles, selon les jumeaux toujours bien informés, et pour le coup, aussi désapprobateurs que leur aîné… S'ils savaient !) représentait seul sa maison. Les Serpentards constituaient l'autre majorité.
Les derniers élèves sortis, le silence retomba dans la Grande Salle désormais presque déserte et nous restâmes quelques instants à nous regarder entre quatre yeux, à craindre devant les tables pas encore débarrassées qu'une corvée de vaisselle titanesque puisse nous être réservée.
Je me trompais, nous avions tous une peine à la hauteur de nos méfaits. La mienne était, comme MacGonagall me l'avait promis, de présenter des excuses à tous les habitants des tableaux que j'avais pu blesser. A ceux du couloir des fenêtres s'étaient ajoutées les victimes de la bombe puante à encre, qui, même s'ils reconnurent que ce n'était pas de mon fait, se mirent malgré tout à la queue pour recevoir des excuses. Sous la surveillance de Rusard (qui, tel un disque rayé, continuait à me menacer d'expulsion et râlait ce qu'il savait à propos d'un tapis qu'il n'arriverait jamais à récupérer), je fus contrainte de m'exécuter.
Cela dit, mon sort n'était pas le moins enviable. Roger Davies n'avait que des lignes à faire mais il devait les faire en compagnie du professeur Lockhart (lui qui avait la réputation d'avoir la langue bien pendue, bien fait !) qui ne le lâcha pas d'une semelle (et j'avoue que quand il s'est levé pour le raccompagner à sa salle commune, une vague de soulagement a traversé la pièce). Quand mon tour d'excuses fut fini, je pris soin de prendre place loin d'eux, histoire de recopier tranquillement le règlement du château (ma directrice de maison semblait penser que je n'étais plus en âge de faire des lignes comme tout le monde, désormais) en paix.
Heure par heure, des punis furent relâchés et escortés jusqu'à leur maison respective. L'horloge du hall sonna minuit quand finalement, il ne resta plus que les jumeaux Weasley et moi. Et je pense honnêtement que ça veut tout dire.
Ce n'est finalement qu'une heure plus tard que le professeur Bibine, dernière représentante du corps enseignant (et visiblement pas ravie d'avoir dû s'y coller) nous fit sortir de la Grande Salle et nous ramena jusqu'à notre Salle Commune dans le plus grand silence. Pas tant parce que nous avions peur de risquer quoi que ce soit (bien fou serait le monstre qui aurait la bêtise de s'en prendre à Fred et George) mais plutôt parce que nous étions épuisés. La journée avait été longue et une courte nuit (très courte même pour moi) nous attendait. C'est sûrement pour ça que le professeur Bibine n'esquissa pas même un sourire quand les Jumeaux la remercièrent pour la soirée et affirmèrent avoir hâte de recommencer dès le lendemain. Mais à voir son air dépité, je pense qu'ils disaient vrai. Plus de cinq heures de colle ? Il fallait le vouloir.
— Qu'est-ce que vous avez fait ? ai-je demandé alors que la Grosse Dame ensommeillée nous autorisait enfin à entrer.
— Bien moins qu'exploser toutes les vitres d'un couloir, soupira l'un des deux frères (à cette heure, et après cette journée, j'avais renoncé à essayer de les identifier), navré.
— Ce qui est totalement injuste, maintenant qu'on en parle, rebondit l'autre les sourcils froncés.
— Clémence du premier méfait, reprit le premier faisant mine de chuchoter, en me désignant du pouce.
— Débile, parce que pour frapper un esprit frappeur, faut être un peu zinzin. Mais très cool.
Les deux se tournèrent vers moi et dirent d'une même voix.
— On regrette presque de ne pas l'avoir fait.
Un sourire un peu triste m'échappa.
— Vous êtes bien les seuls de cet avis, ai-je soupiré.
— Ce n'est pas donné à tout le monde de reconnaître le grand Art quand on l'a sous le nez !
Donc en gros, intronisée par les rois du crime à Poudlard, je venais de les rejoindre au rang d'artistes incompris. Les deux frères avaient à ce sujet une véritable théorie (qu'ils comptaient bien me faire partager), mais découvrir le comité d'accueil (ne t'emballe pas, simplement Percy les bras croisés et l'air visiblement agacé) qui attendait le retour des punis leur coupa l'herbe sous le pied. Un « Courage, fuyons ! » plus tard, ils prenaient la fuite pour échapper aux remontrances de leur frère aîné.
Sauf que ce n'était pas après eux que Percy en avait.
— Elles t'ont laissé ça, soupira le préfet en me tendant mon sac de cours.
L'espace d'un instant, je me suis demandé où il l'avait trouvé. Où je l'avais laissé. Puis j'ai réalisé qu'au fond, c'était sans importance. L'avoir en main ne faisait que me rappeler ce qu'il contenait. Et j'allais devoir très vite m'y confronter.
— Merci, ai-je marmonné.
— Les autres voulaient t'attendre, ajouta Percy. Moi, je devais rester, mais je leur ai dit d'aller se coucher. Faut dire qu'on ne savait pas trop quand tu rentrerais, reprit-il voyant que je tiquais.
Je crois que j'aurais dû me sentir déçue (parce que clairement, ce n'était pas le retour auquel je m'étais attendue) mais c'était un luxe que je ne pouvais pas me permettre. Je n'avais plus le temps. Remerciant Percy, je rejoignis la table la plus proche et vidai rapidement le contenu de mon sac.
Je ne sais pas ce que j'espérais. En fait, si, je sais très exactement : que comme par un petit miracle, en séchant, mon encre se soit évaporée, que comme par magie, elle n'ait ni imbibée la couverture et la tranche du livre (me forçant à prier pour que ce livre soit toujours édité et à écrire à mon père au plus vite en le suppliant de bien vouloir racheter un exemplaire pour que je puisse le remplacer), ni tachée et détrempée ma traduction. Voilà ce que j'espérais.
Soit l'opposé de la réalité.
Ma traduction était illisible en de nombreux endroits. Et bien évidemment, je n'avais pas conservé mes brouillons. De mémoire, le plus gros me reviendrait mais j'étais bonne pour repartir de zéro pour certains bouts manquants. Et avec un peu de chance, au vu des circonstances, le professeur Miles accepterait mon travail, malgré quelques heures de retard. Je devais compter sur ça. Un T était impossible à envisager. Tirant une des chaises, je m'y laissai tomber.
— Euh… Tu ne vas pas te coucher ? demanda Percy qui m'avait suivie, jetant un coup d'œil à l'horloge.
Je pris sur moi pour ne pas en faire de même. La fatigue allait me faire fondre en larmes autrement.
— Non, ai-je répondu, m'efforçant de sourire. Grâce à Peeves, je…
Un simple regard au contenu de mon sac lui suffit à comprendre ce à quoi j'allais passer les prochaines minutes.
— Mais… tu as l'air épuisée.
Le ton presque peiné de Percy m'arracha un faible sourire.
— Raison de plus, tu ne crois pas ?
J'étais sûrement plus fatiguée que je ne l'imaginais puisque je ne suis pas allée aussi vite que je l'aurais voulu. Entendre l'horloge sonner la demi-heure d'une ou deux heures (j'avais perdu le compte en fait) me donna envie de pleurer. Les larmes et la fatigue troublèrent ma vue, rendant presque impossible la reconnaissance des caractères cunéiformes. Les fautes et les ratures se multiplièrent sur mes parchemins.
— June !
Le cri de Percy me fit sursauter. L'exemplaire taché colla à ma joue lorsque je me redressai. Ma bouche était pâteuse et mes paupières lourdes. J'avais dormi ? Je me souvenais vaguement qu'à un moment, Borys et Matthew (cédant aux « allez au lit ! » incessants de Weasley) étaient passés me souhaiter bon courage, s'excusant presque de ne pas pouvoir m'aider (par pitié par rapport à cette foutue journée, ou peut-être parce que je faisais vraiment peine à voir… les deux étaient assez vexants en vérité).
Par chance, l'encre n'avait pas bavé. Mon petit cœur n'aurait pas supporté de devoir une fois de plus tout recommencer.
— Va te coucher, Tierney !
L'air autoritaire de Percy me surprit autant que lui. Il était certes préfet, mais aux dernières nouvelles, il n'était ni mon père, ni ma mère et le couvre-feu ici ne tenait pas.
— Tu dormais ! se justifia-t-il dans un marmonnement. Tu feras ça demain !
— Non, je n'aurais pas le temps demain, ai-je répondu d'une voix ensommeillée (même moi je l'ai senti !). J'y suis presque.
C'était un mensonge, bien entendu. Au rythme d'escargot asthmatique auquel j'allais, je pouvais m'estimer heureuse si je finissais avant janvier. Mais ça, Percy l'ignorait. Quoi qu'à la façon dont il m'a toisée du regard, pas crédule pour un sou, je me demande s'il ne devait pas s'en douter.
— Laisse-moi t'aider alors ! gronda-t-il agacé, attrapant une chaise par le dossier.
Surprise, je l'ai regardé s'installer, les yeux ronds. Je ne me souvenais que trop bien de ce que Borys avait dit au sujet de l'aide de Percy. A cette heure là, je n'étais moralement pas prête à endurer ça, même si la meilleure volonté l'habitait. Quoi qu'à son air sérieux et à le voir tendre la main pour me prendre ma plume et mon parchemin, j'ai fini par comprendre, horrifiée, ce que ça signifiait vraiment. Percy Weasley était prêt à… tricher.
— Merci Percy, mais Miles va reconnaître ton écriture, ai-je dit, touchée par ce qu'il s'apprêtait à faire. Et j'ai les caractères dans l'œil. Il ne me reste plus qu'à recopier. Ça va être vite fait, ai-je menti. Je te promets.
Les sourcils froncés, il me dévisagea un instant. S'il insistait, je ne serais pas en mesure de lutter. Aussi fatigué que moi, Percy renonça et se leva.
— Ne tarde pas ! dit-il l'index pointé vers moi.
Ce n'était sûrement pas l'effet voulu mais sa menace me fit sourire.
— Bonne nuit Percy…
Sur le point de tourner les talons, il interrompit son mouvement.
— Tu restes pendant les vacances finalement ? me demanda-t-il, me faisant face à moitié.
Sa question me prit au dépourvu. Je n'aurais pourtant pas dû être étonnée. Plus que jamais, elle était d'actualité. Depuis l'agression, comme tout le monde, j'avais décidé de partir. Maintenant qu'en plus, ma directrice de maison m'en voulait et que je m'étais mis l'esprit frappeur du château à dos...
Sauf qu'en fait, je n'avais nulle part où aller.
— Avec tout ce qui s'était passé, j'avais pris un billet, ai-je précisé devant son air surpris alors que j'avais répondu d'un simplement hochement de tête. Mais... Finalement, mon père est en déplacement.
— Et ta mère ?
Ma mère ?
C'est idiot, mais je me suis aussitôt figée. Percy n'était sûrement pas au courant. Il n'aurait pas posé la question avec autant de candeur autrement. Qu'il se mette à rougir, conscient d'avoir commis un impair, me le laissait en tous cas penser.
Ma mère n'était au courant de rien. De ce qui se passait à Poudlard, du fait que j'allais peut-être rentrer. De tout en vérité. Parce que je n'avais rien dit, parce que je ne lui avais pas écrit.
Le marmonnement du préfet (un « la ferme, Percy ! » qu'il s'était lui-même destiné, et qui à une autre occasion m'aurait sûrement amusée) me sortit de mes pensées.
— Excuse-moi, ça ne me regarde pas, dit-il avec un sourire désolé. Tu sais, je serai là pendant les vacances, et Pénélope aussi. Donc n'hésite pas à…
Sa proposition était adorable mais lui et sa petite amie avaient sûrement des choses bien plus intéressantes à faire que traîner en ma compagnie. Très sincèrement, expérience à vivre une fois dans sa vie ou pas, je ne me voyais plus rester désormais. Mon père n'étant pas là, je n'avais plus vraiment le choix…
C'est sûrement pour ça qu'après un dernier « bonne nuit », une fois que Percy se fut éclipsé, je me suis surprise à rêvasser. Et si je le faisais ? Et si je rentrais ?
Jusque là, je n'avais pas vraiment eu l'occasion d'imaginer nos retrouvailles. Un samedi après-midi, il y avait de fortes chances que ma mère ne soit pas à la maison. Pour cette raison, je ne me hasarderais pas à entrer. J'attendrais dehors, assise quelque part, loin de Titan et de la maison. Puis elle arriverait, et moi je me lèverais. Bizarrement, j'étais capable de me représenter dans les détails la tête qu'elle ferait. On se tomberait dans les bras. Il n'y aurait que ça à faire, je crois.
Le cœur battant, gonflé d'un tout nouvel enthousiasme (bien qu'un peu inquiet), j'ai attrapé un rouleau de parchemin. Autant en profiter. Je devais lui écrire, c'était le moment où jamais.
J'ai passé de longues minutes à essayer, à raturer, à chercher, à recommencer. Sans trouver les mots. Avant de sentir mon bel élan et ma toute nouvelle résolution s'essouffler, je me suis raisonnée. Je devais me calmer, prendre les choses les unes après les autres. D'abord ce devoir. La lettre demain matin (même en y passant la nuit, il me faudrait de toute façon attendre pour l'envoyer).
J'ai repris mon devoir, déterminée à en venir à bout.
oOo
Sauf que le sommeil a triomphé. Enfin, j'imagine puisque, quand j'ai ouvert les yeux, la nuit n'était plus si noire. Par les carreaux couverts de givre, je pouvais voir d'épais flocons tomber. Le feu dans la cheminée était réduit à quelques cendres rougeoyantes. Bizarrement, je n'avais pas froid, alors qu'en toute logique j'aurais dû être glacée.
Me redressant, je fis tomber la couverture placée sur mes épaules. Ce n'était pas la mienne, et je n'avais pas souvenir d'être allée en chercher une dans les réserves de la Salle Commune. Les elfes de maison avaient dû avoir pitié. Pressentant le pire, j'avais pourtant pris soin de laisser un message à l'attention de tous, un « REVEILLEZ-MOI » laissé en évidence (comme quoi, j'avais eu du nez !). Pour ce que ça avait servi…
Surtout qu'à voir où je m'étais arrêtée, je n'avais pas fait long feu.
Contrairement à leurs camarades de contes de fées, les elfes de maison n'en avaient pas profité pour finir mon devoir à ma place. Cela dit, ils avaient eu la gentillesse de refermer mon encrier.
Ces quelques heures de sommeil m'avaient étrangement fait du bien. Ravivant le feu, je m'installai devant la cheminée. En une quarantaine de minutes, ma traduction était bouclée. Au bruit, je devinai que dans les étages, les plus lève-tôt d'entre nous commençaient à s'agiter. L'horloge sonna six heures. Il ne me restait plus qu'à écrire et envoyer le courrier à ma mère avant le petit déjeuner.
Après m'être rapidement changée et avoir averti les filles (encore qu'endormies comme elles l'étaient, je me demande si elles ont bien saisi), j'avais ressemblé mes affaires et pris la direction de la Volière. L'altitude m'inspirerait, je l'espérais.
Selon mes estimations, si la lettre partait ce matin, j'avais l'assurance que ma mère la recevrait d'ici mon arrivée, sans pour autant lui laisser le temps de me refouler. Il me restait un peu d'argent de ma dernière sortie à Pré-au-Lard, suffisamment pour payer le bus et le train si je l'échangeais.
Ça se tentait.
Un hibou de l'école suffirait. Impossible d'envoyer Cat... Je ne doutais pas un instant de ses capacités. Au contraire, mon petit hibou aurait adoré m'aider. Mais je ne pouvais pas m'en séparer. Si les choses ne se déroulaient pas comme prévu samedi (et c'était une éventualité que je devais prendre en compte), il serait mon seul allié. Ma bouteille à la mer.
Dans l'absolu, le plan était presque parfait. Sauf que dans les faits, j'étais incapable d'écrire ce foutu courrier. Je tenais le début. Un classique « Maman », ou peut-être un « Mère » un peu plus formel. Pour le reste par contre…
Les minutes s'égrainèrent lentement. Il cessa de neiger. Quelque part par-delà les nuages bas et les montagnes, le soleil se levait.
Tentant de réchauffer mes mains gelées, je soufflai dessus. Du bout de ses ailes et de ses pattes, Cat s'amusait à faire tomber la neige fraîchement posée sur le rebord de la fenêtre, en parfaite petite tornade. Aujourd'hui encore, je ne sais pas si mon hibou copie les humains (petit problème de réincarnation ratée, à en croire Hataway) ou si j'ai tendance à un peu trop l'humaniser (à en croire certains, enfin surtout certaines, lui prêter des intentions qu'il n'a pas serait ma spécialité). Un effet de la solitude, j'imagine. Mais un mauvais signe, dans les deux cas.
Malgré mon manteau, le vent froid qui s'engouffrait par toutes les ouvertures de la Volière me fit frissonner. Une rafale plus forte que les autres entra en tourbillonnant. De justesse, je rattrapai mon parchemin sur le point de s'envoler. Ce ne fut qu'en entendant la porter claquer derrière moi que je compris que c'était un courant d'air qui l'avait provoquée. Quelqu'un était entré. Au fond, ça me rassurait : je n'étais sûrement pas la seule que les récents évènements avaient poussée à un départ improvisé.
Machinalement, je jetai un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule en direction du nouveau venu.
Encore un peu et j'en renversais mon encrier.
De son sens du timing malheureux ou de mon manque de chance (tous deux entrés dans la légende), je ne savais pas lequel des deux blâmer.
Evidemment, il avait fallu qu'au petit matin, ce soit Olivier. Vêtu d'un simple pull et visiblement essoufflé.
Me redressant et me raidissant légèrement, je repris ma plume, déterminée à finir au plus vite mon courrier, histoire de ne pas traîner.
D'un sifflement (auquel, à ma grande honte, Cat répondit), Dubois appela Llewellyn. Faisant les gros yeux à mon hibou (qui avait tendance à ne plus se contenir dès qu'il apercevait la chouette d'Olivier), je bouclai à la hâte ma lettre (optant finalement pour le très sobre « Maman, je rentre pour les vacances. Je serai à la maison dans la soirée. ») et m'empressai de la plier pour la cacheter.
Le froufroutement des plumes de Llewellyn, comme le craquement, sous les chaussures de son maître, du mélange de paille, d'excréments séchés et de restes de rongeurs laissés par les hiboux recouvrant le sol de la Volière m'indiquèrent qu'il approchait. Au moins autant que les pépiements agités de mon hibounet. Dans le mince espoir de le faire taire et le calmer, j'attrapai Cat de mes deux mains.
Pour une raison qui me dépassait, Dubois avait choisi ma fenêtre pour faire partir sa chouette. Ma fenêtre. Parmi toutes les autres ouvertures que la Volière comptait. Alors qu'il aurait même pu la laisser s'envoler depuis l'entrée. Non, il avait fallu qu'il vienne et pose Llewellyn sur ma margelle.
Comme une savonnette, Cat me glissa hors des mains et partit voleter et hululer comme un fou autour de la chouette d'Olivier. Renonçant à le rattraper et déterminée à ignorer Dubois, je fis mine de ne rien remarquer. De mes doigts un peu gourds, j'appliquai non sans mal le cachet de cire à prise rapide sur mon courrier.
En deux battements d'ailes et après avoir repoussé mon hibou d'un claquement de bec, Llewellyn prit son envol. Ce qui ne fut pas le cas de Dubois qui, les mains sur le bord de la fenêtre et bien que peu couvert (même mon manteau ne m'empêchait pas de grelotter), resta là, un rien emprunté, à surveiller l'horizon.
Déçu, Cat se posa. D'instinct, il dut sentir que quelque chose clochait puisqu'il revint vers moi en sautillant et chercha à reprendre sa place entre mes mains, tentant de soulever mes doigts de son aile. Absorbée par mes pensées et l'agacement qui commençait à poindre, c'est à peine si je l'ai remarqué.
Pourquoi est-ce qu'Olivier ne bougeait pas ? Pourquoi est-ce qu'il ne partait pas ? J'avais beau me moquer totalement de ce qu'il pensait, je ne pouvais pas appeler un hibou de l'école devant lui. Pas alors que le mien était là. Il trouverait ça bizarre. Cat trouvait ça bizarre.
Avisant le parchemin cacheté, ce dernier tendait désormais la patte vers moi, prêt à accomplir son devoir (et ce n'était pas faute de lui avoir expliqué qu'il ne partirait pas). Dubois était le dernier de mes soucis, mais dans l'absolu, je préférai ne pas avoir à me chamailler avec mon hibou devant lui. Pour mettre fin à ce moment gênant, une seule solution s'imposait. J'allais me résoudre à compromettre mes plans en confiant finalement ma lettre à Cat (lui parti, je n'aurais plus de joker en cas de problème pour la journée du lendemain), quand l'autre idiot sortit enfin de son immobilisme et sa contemplation.
— Tu aimes les marrons ?
Le son de sa voix me fit tressaillir. A qui il parlait ? La question pouvait paraître idiote, mais pour la première fois depuis bien longtemps, il l'avait fait sur un ton civilisé. Presque léger. Autant dire que c'était certainement à Cat qu'il s'adressait. Patte toujours tendue, mon hibou semblait d'ailleurs l'avoir pris pour lui.
Le pauvre type débloquait totalement. Le mieux à faire était encore de l'ignorer.
— Ma mère va faire une dinde aux marrons, reprit-il, comme si c'était l'évidence même.
Sauf que, tournant la tête, il posa les yeux sur moi. Difficile de douter désormais. C'était à moi qu'il s'adressait. L'idée même me plongeait dans des abîmes de perplexité. Qu'est-ce qui lui prenait ? Qu'est-ce qu'il cherchait ?
Et puis franchement, c'était quoi cette histoire de marrons ? Aux dernières nouvelles, 1) je ne lui parlais plus, 2) je me contrefoutais du menu de leur dîner !
Ne souhaitant pas me laisser entraîner dans un autre de ses stratagèmes débiles (un gallion que la dinde était encore une allégorie de ma fourberie) ni perdre mon sang froid (chose qu'il ne le méritait même plus), je rassemblai l'ensemble de mes affaires et les glissai dans mon sac. Puis faisant signe à Cat de rejoindre les hauteurs de la Volière, je quittai la fenêtre sans un regard pour lui.
La seconde d'après, il s'interposait.
Un simple écart lui avait suffit à se matérialiser devant moi et m'empêcher de fuir. Enfin, de « partir ». Clairement, je n'avais aucune raison de prendre la fuite.
Les sourcils froncés, je lui décochai un regard mauvais. Il insistait ?
Coupé dans son élan, légèrement déséquilibré par son brusque mouvement et gagné par la gêne (Môssieur attendait peut-être que je lui réponde ?), il détourna la tête et se frotta la nuque d'une main, avant de marmonner.
— 'fin, ce serait dommage que tu viennes fêter Noël à la maison si c'est pour rien manger…
L'effarement me coupa le souffle un bref instant. C'était quoi ça ?
Les yeux plissés, je le dévisageai.
Il se foutait de moi ?
Il n'était tout de même pas en train de… m'inviter ? Non, il ne le faisait même pas en vérité : il avait le culot de le tenir pour acquis.
Une brusque bouffée de colère me fit serrer les poings. Celui tenant la bretelle de mon sac se mit à trembler. Ce détail ne lui échappa pas. Un pli lui barrant le front, Olivier paraissait presque inquiet (probablement que je lui en mette une… et il n'avait pas tort, ça pouvait très bien arriver). A force de jouer la comédie, il en devenait presque doué.
L'ancienne moi aurait sûrement pris cette déclaration pour ce qu'elle semblait être, une trêve, et nous aurait épargné à l'un comme à l'autre gêne et hésitations, optant pour une rapide réconciliation dans les larmes, le rire et (dans l'idéal) ses bras. Les restes de cette June là me suppliaient d'accepter, de fermer les yeux, de faire taire ma raison et de sauter sur l'occasion. De simplement sourire et d'en profiter.
Celle que j'étais aujourd'hui avait, hélas, appris à se méfier de lui.
Parce qu'il ne pouvait pas être sérieux. Après ces deux derniers mois, ce n'était qu'une autre de ses blagues d'un goût plus que douteux. Il allait d'un instant à l'autre se fendre d'un rire sadique et me jeter une nouvelle fois cette histoire de trahison à la figure. Il y avait forcément un vice dans tout ça, un piège malsain. Ce n'était pas parce que pour l'instant, je ne le voyais pas qu'il ne s'y trouvait pas. Dubois était bon à ce petit jeu-là, il me l'avait prouvé plus d'une fois.
Il ne pouvait pas faire ça, pas chercher à renouer comme ça, pas de cette façon là. Pas après tout ce qu'il nous avait infligé. Vu la situation dans laquelle sa folie et sa bêtise (comme ma saine colère et mon entêtement certain, je le reconnais) nous avait menés, c'était de sa part soit un trait de génie prenant la forme du guet-apens parfait, soit… totalement crétin.
Soutenant douloureusement mon regard, il a souri. La main presque agrippée à son cou, à sa manière. Maladroit et un peu angoissé. Pas sûr de lui.
C'est à ce détail là que j'ai compris.
Crétin, il l'avait toujours été.
De la plus étrange des manières, au plus improbable des moments, Olivier me proposait de faire la paix.
On ne va pas se mentir, Journal : j'avais attendu et souhaité cet instant un bon millier de fois. A ma plus grande honte, j'avais envisagé toutes les possibilités, espéré, redouté, rêvé l'instant où ça se produirait. Puis j'avais fini par accepter ce que j'envisageais alors comme être le pire, j'avais fini par me résigner.
Et finalement, le moment se présentait. Quand j'avais accepté d'y renoncer.
A croire qu'il le faisait exprès.
Presque aussitôt, plein de choses que je n'ai pas réussi à identifier ont bouillonné en moi. Un mélange de colère folle et d'intense soulagement, d'envie et de dégoût, de défiance et d'espoir. De violentes émotions a priori toutes plus contradictoires les unes que les autres qui s'entrechoquaient en moi. Une pulsion presque irrépressible qui me poussait à accepter, pour une autre qui me hurlait de l'envoyer bouler. De manière presque schizophrène, je me voyais me jeter dans ses bras autant que le frapper.
C'était forcément prémédité. Olivier avait finalement réussi. Une simple histoire de marrons et il m'avait menée aux portes de la folie.
Et pour quel résultat ? Aucun. D'une seconde à l'autre, je craquerais, j'exploserais. Dans la rage, les coups, les cris, les larmes... Sur ce point seul, l'incertitude régnait. J'étais incapable de dire vers quoi je pencherais, comment tout ça basculerait. Pour l'instant, j'étais paralysée. Dans l'œil du cyclone, en équilibre précaire, une parfaite immobilité. J'en étais moi-même la première étonnée.
Tout dépendrait de ce qu'allait dire ou faire Olivier. Autant dire que c'était mal barré.
Constatant qu'il n'aurait aucune autre réaction, son sourire s'évanouit lentement et, se raclant la gorge, Dubois reporta son attention vers ses pieds.
— T'allais pas rester là alors qu'il y a un monstre dans le château, bredouilla-t-il pour se justifier. Enfin, c'est pour ça que…
Le monstre ne l'avait pourtant pas empêché par le passé d'en remettre une couche, plusieurs fois.
Retenant à grand peine un ricanement mauvais, je serrai les mâchoires et le foudroyai du regard. On partait plus pour le sang et les larmes que l'harmonie retrouvée.
Il jeta un bref coup d'œil dans ma direction. Je ne sais pas ce qu'il espérait ou ce qu'il s'était imaginé (et rien que le fait qu'il ait pu s'imaginer des choses me donnait envie de mordre), mais le léger mouvement de recul qu'il eut me laissa penser que mon attitude et l'expression de mon visage devaient en être à l'opposé.
— Non, non, je… enfin, je disais ça mais… c'est pas que pour ça… je…
Incapable de continuer, il laissa ses épaules s'affaisser.
C'était tout ? Le monstre ? Il le faisait par pitié, à cause du monstre ? Sans ça, j'aurais pu crever ? Il ne pouvait pas faire mieux que ça ?
Oppressée, je déglutis avec difficulté. Quand des taches sombres mouchetèrent ma vue, je compris que j'étais en apnée. Quelque chose comprimait ma poitrine. Quelque chose me restait en travers de la gorge. Pas besoin d'avoir fait des études en psychologie pour savoir ce dont il s'agissait. Ici, ça prenait la forme d'un cri ou un sanglot. J'inspirai bruyamment. Hors de question detourner de l'œil là, dans la Volière et m'effondrer sur des squelettes de rongeurs couverts de fientes séchées, au pied d'un Olivier en train de s'excuser.
— Dis quelque chose, marmonna-t-il faiblement. S'il te plaît…
J'avoue, j'étais bien partie pour un « Va te faire voir, Olivier ! ».
Oui, une part de moi voulait presque viscéralement accepter. Mais c'était facile et surtout impossible sans excuse, ni explication. Rien ne me garantissait que tout ce cirque ne recommencerait pas, dès que l'envie lui en prendrait. Peut-être même la minute qui suivrait. J'étais prête à risquer de voir cette chance passer, déterminée à le lui faire comprendre. Je crois qu'il le savait. Autrement, il ne l'aurait pas murmuré.
— Juni…
Il ne savait plus quoi dire, c'est uniquement pour ça qu'il l'a fait. En désespoir de cause. Je le sais.
Mais ça a marché.
Je dois avoir un problème, un vrai. Je n'explique pas autrement le fait d'attacher autant d'importance, donner autant de pouvoir à un simple surnom. La veille encore, Dean m'avait aussi eue de cette façon. Juni, Jinxie… C'est révélateur, non ? Peut-être que d'ici peu, un simple « Jane » permettra aussi à Darren de faire de moi ce dont il aura envie.
On ne m'avait plus appelée comme ça depuis des mois. C'était le surnom que mes parents utilisaient, celui que lui seul ici connaissait. Il détenait cette puissance là. Etonnant d'ailleurs qu'il n'ait pas aussi eu envie de l'abîmer.
C'était facile et bas d'utiliser ça contre moi. C'était une façon de nous forcer à créer du lien, et pire encore, de remettre sous mes yeux nos liens brisés. Cruel comme il avait montré qu'il pouvait être, les deux possibilités étaient à envisager. Quoi qu'idiot comme il était, c'était peut-être inconsciemment qu'il l'avait fait.
Au fond, ce n'était pas tant ce qu'il avait dit. Mais ce qu'il y a mis. Quelque chose que je ne pouvais pas vraiment définir, mais qui m'a faite réagir. Toute en colère, perdue, remontée et résolue à me protéger que j'étais, j'en ai frémis.
J'étais consciente de sa probable stratégie, une partie de moi m'exhortait de ne pas me laisser amadouer. Il ne devait pas s'en sortir comme ça. La volonté n'y a rien pu cette fois. Mon corps m'a trahi. Le nœud dans ma poitrine se dénoua suffisamment pour que je retrouve la force nécessaire pour parler.
Un mot suffirait. Un « non », un « oui ». Accepter, refuser. Que les choses soient dites, une bonne fois pour toutes.
Et ça ne t'étonnera pas, Journal, j'ai choisi la troisième voie. Alors que j'aurais pu réagir de mille façons, une seule pensée occupait mon esprit. Une pensée qui annihilait toutes les autres, une pensée qui me permettait de rester juste assez en colère pour ne pas m'effondrer. Une pensée, réduite en un mot si fort que même lui, avec l'empathie d'un Cognard, devait être capable de la lire sur mes traits.
Un simple « pourquoi ? ».
Pourquoi maintenant, pourquoi comme ça. Juste pourquoi.
Même ténu, prononcé dans un souffle, le terme claqua froidement dans le silence relatif de la Volière. La surprise de Dubois ne dura pas. Preuve qu'elle était plus due au fait de m'entendre qu'à ma réponse. Il s'y était forcément préparé. Il ne pouvait pas croire que je céderai aussi facilement.
— Ben… Y avait le monstre et…
Se risquant à relever les yeux vers moi (et pourtant, j'ai pris sur moi pour ne pas m'emporter : le monstre ? encore une fois ?), il se ressaisit aussitôt et soupira.
— C'est Noël, expliqua-t-il d'une voix hésitante. Tu n'allais pas passer les fêtes toute seule ici. Surtout maintenant, avec le... enfin, tu vois. (il eut la bonne idée de se reprendre) C'est la période qui veut ça à ce qu'il paraît, une histoire de paix ou de trêve. Un truc comme ça. Et… Les Catapultes ont gagné ! ajouta-t-il précipitamment. Tu n'es pas sans l'ignorer. Elles sont qualifiées pour le tour suivant de la Coupe d'Europe. Tout le monde s'en fout ou alors ceux qui en parlent n'y connaissent absolument rien. Toi, tu… Toi, tu sais. Tu étais la seule à…
A mesure qu'il enchaînait les prétextes, toujours plus vite, gagné par une inquiétude tendant à la panique, mon cœur s'était mis à accélérer, calquant le rythme de ses battements sur celui des mots d'Olivier.
Un mouvement nerveux trahit toutefois mon impatience. Même si le Quidditch était au cœur de nos deux vies, qu'il avait toujours été le ciment de notre relation (et qu'il disait vrai, personne ne s'intéressait à la récente victoire de Caerphilly), l'excuse était bidon. C'était assurément une raison. Mais pas la bonne. Pas la vraie. Pas de monstre, pas de trêve des confiseurs, pas de victoire des Cats ignorée.
Et il le savait. Sinon, il n'aurait pas aussitôt marmonné.
— Ça avait assez duré.
Déjà plus sincère, mais toujours pas suffisant. « Ça avait assez duré » depuis bien trop longtemps.
Alors oui, Journal, tu vas me trouver garce. Par le passé, je m'étais attendrie pour bien moins que ça de la part d'Olivier. Et j'avais pleinement conscience que la communication était loin d'être son domaine de prédilection. Qu'avant toute cette histoire, ses maladresses (et parfois certaines de ses vacheries) étaient en fait des démonstrations d'affection. Qu'après ces semaines de silence et de dédain, les prétextes invoqués révélaient plus qu'ils ne disaient. Que ces quatre mots exprimaient bien plus que ce qu'ils ne laissaient entendre.
Mais parce que tout était allé trop loin, il me devait la vérité. Il se la devait aussi. Il ne pourrait pas y avoir de confiance autrement.
— Pourquoi maintenant ?
Interloqué, Olivier prit quelques secondes pour scruter mon visage. Il ne saisissait vraiment pas ? Alors j'allais mettre les pieds dans le plat.
— Pourquoi maintenant alors que j'avais décidé de ne plus te parler ? Pourquoi maintenant alors que je commençais à m'y faire et que je pouvais avancer ?
J'étais plus près de tourner sur moi-même que du bel élan et de la ligne droite rêvée. Mais j'essayais.
Ses lèvres s'étirèrent en un sourire triste.
— Parce qu'il m'a fallu du temps pour envisager qu'il y avait peut-être une chance pour que tu aies eu, que tu aies toujours, aussi mal que moi. Beaucoup de temps.
La stupeur me fit tituber. Estomaquée, je l'ai dévisagé, bouche bée.
Envisager qu'il y avait peut-être une chance ? Il se foutait de moi ? Il m'avait fait descendre au plus bas, délivrant les coups de griffes sciemment et n'avait pas remarqué ce qu'absolument tous les autres voyaient ? Tous les autres ! A savoir que je souffrais. Qu'il était, dans ses mots, dans ses actes, ses attitudes, même dans son indifférence, la cause de tout ça. Et il n'avait rien vu tout ce temps là ? Il avait eu besoin de temps pour ça ?
Il était Olivier Dubois, certes. Il avait la sensibilité d'un navet. Hors de son microcosme, peu de choses l'intéressaient. Mais était-il à ce point obnubilé par sa propre souffrance et sa fierté froissée depuis plus d'un mois pour ne pas voir, ne pas comprendre ce qui se passait ? J'étais là, sous ses yeux, à tomber en morceaux ! Il aurait fallu quoi ? Que je m'effondre à ses pieds ?
Si tu avais été une Pensine ou si tu avais pu parler, j'aurais pu le lui prouver !
Je n'étais pas triste ou blessée, j'étais furieuse. De frustration, mes yeux écarquillés s'embuèrent.
Et bien sûr, il revenait à lui au moment où j'allais mieux. Alors quoi ? Il avait enfin senti que ça ne prenait plus ?
Et c'était quoi cette histoire ? Lui avait eu mal ? Quand ? Comment ? On avait bien essayé de me faire croire qu'il vivait mal la chose, on avait essayé de m'expliquer qu'il n'allait pas bien. Andy, Matthew, Katie… Même Percy s'y était mis. Mais je ne les avais pas crus. Parce que ce n'était pas ce que je voyais. Et Merlin sait que j'avais passé du temps à l'observer !
Il en aurait fait des tonnes, juste pour me prouver, à moi, que tout allait bien ? Sauver les apparences, j'avais essayé, sans succès. Si ce qu'il sous-entendait était vrai, lui avait parfaitement réussi. Secouant la tête, je chassai l'idée. Je n'avais quand même pas pu passer à côté.
Et puis même ! Ça ne comptait pas. Ça n'excusait en rien ce qu'il avait fait.
— C'est pas un concours, ai-je sifflé, tentant de refouler mes larmes.
Répartie lamentable, je sais. D'autant plus que si ça avait été un concours, je l'aurais emporté haut la main. Histoire de remettre les choses au clair, c'est d'ailleurs ce que j'aurais dû préciser. Mais un sanglot rageur me serrant la gorge, j'étais dans l'incapacité de prononcer le moindre son.
Il n'avait vraiment rien vu, tout ce temps-là ? Je comptais donc si peu que ça ?
J'en avais confirmation désormais.
Une soudaine tristesse doucha ma colère.
Baissant la tête, je portai les mains à ma bouche. Hors de question de sangloter, gémir ou pleurer. Pas maintenant, pas devant lui. Par orgueil, je fis mon possible pour résister à la vague qui montait. Respirer profondément, penser à autre chose, chanter intérieurement l'hymne de Flaquemare, me réciter la classification périodique des antidotes... Tout était bon à prendre mais rien n'y a fait. A quoi bon de toute façon ? Olivier le voyait bien. Mes épaules en tremblaient.
Quelques petits os craquèrent lorsqu'il fit un pas vers moi. Les yeux rivés au sol, je vis ses chaussures apparaître dans mon champ de vision. Près. Sûrement trop.
Je suppose qu'il voulait essayer de me consoler. Pour quelle autre raison autrement il aurait posé le bout de ses doigts sur mes épaules ? Un contact infime que je ne sentais presque pas à travers l'épaisseur de mon manteau. N'osant pas lui faire face, je gardai la tête basse.
— Je… tenta-t-il mal à l'aise, se balançant inconsciemment d'un pied à l'autre. Je crois que je me suis conduit comme un abruti.
J'aurais adoré pouvoir répondre un « Tu crois ? » bien senti, ou même le lui faire comprendre d'un ricanement moqueur. Mais l'un comme l'autre était hors de ma portée. Tout ce que je réussis à faire fut de renifler.
Je sentis son souffle sur l'arrière de mon crâne avant même de l'entendre soupirer doucement.
— Je suis un abruti, rectifia-t-il.
Une hésitation, le temps d'une simple inspiration, suivi d'un chuchotis.
— Et c'est… c'est pas pareil sans toi ici.
Si j'écrivais des romans d'amour, j'aurais certainement pu trouver un bon millier d'images ridicules pour décrire ce que j'aurais dû ressentir à cet instant très précis. Du tremblement de terre à la foudre qui tombe, en passant par le barrage qui cède et la banquise qui fond. Encore maintenant, je n'en trouve pas une qui rende vraiment justice à ce sentiment.
En fait, il n'y avait tant pas de violence là dedans. Juste la sensation à la fois grisante et terrifiante d'être en équilibre parfait au bord du précipice. Sans un bruit, sans un vacillement. Un moment hors du temps. En suspension, sur le fil.
Et de quelques mots (et même si on était loin du scénario idéal, du « je t'aime » ou même d'un simple « tu m'as manqué »), Olivier venait de me donner ce qu'au fond, je désirai : être vue, être reconnue, être importante.
Compter.
Toutes ces choses que je ressentais à son sujet.
La pichenette pour me faire basculer.
Littéralement.
Nous étions si près que je n'ai même pas eu à me pencher. D'un infime mouvement de la tête, je posai mon front contre son torse. Qu'il bloque aussitôt sa respiration ne pouvait pas m'échapper.
Que ce soit clair, je n'oubliais rien de ce qui s'était passé. C'était encore trop facile pour lui de s'en sortir comme ça. Mais ce qu'il venait de soulever m'a submergée. La voix qui tempêtait depuis des semaines sous mon crâne était comme anesthésiée.
La Nouvelle June, l'ancienne June. Tenir bon, pardonner. Est-ce que je continuerais à être éternellement écartelée ?
Alors oui, clairement, j'étais toujours en colère. Mais j'étais surtout fatiguée de l'être.
Mes mains tremblèrent légèrement lorsque, quittant ma bouche, elles attrapèrent, agrippèrent et tirèrent le pull d'Olivier. Contre mon front, la laine se mit à me gratter.
La pression de ses doigts sur mes épaules s'accentua. C'était peut-être un peu trop, vu les circonstances. Sa respiration nerveuse et saccadée me conforta dans cette idée. J'aurais sûrement dû m'en inquiéter (et s'il me repoussait ?), mais toutes mes forces étaient mobilisées pour ne pas craquer, ne pas me mettre à sangloter, réprimer le gémissement qui gonflait ma poitrine.
Un autre que lui m'aurait doucement enlacé et serré contre lui. C'était en général ce qu'on faisait quand quelqu'un était sur le point de fondre en larmes dans vos bras. Dans les romans et les films, c'est ainsi que les personnages agissaient (dans Entre Amour et Amitié, Christopher l'avait fait !). Dean avait prouvé que cette théorie était aussi valable dans la vraie vie, me permettant d'ailleurs par la même occasion de réaliser que c'était tout ce que je voulais. De la part d'Olivier.
Mais lui et moi n'étions ni des héros de livre, ni de cinéma. Et désolée de te décevoir, Journal, mais il ne m'a pas prise dans ses bras.
Avec lui, les choses seront toujours beaucoup plus compliquées.
Ressentant un soudain poids sur mon épaule, je réalisai, totalement abasourdie, qu'il venait d'y déposer son front.
Ahurie, je redressai lentement la tête, n'osant pas tourner le regard dans sa direction de crainte de le toucher par inadvertance. Proche comme il l'était désormais, j'étais capable de sentir, malgré le froid pourtant presque glacial de l'endroit, la chaleur irradier de son visage, comme un halo.
Il n'était tout de même pas en train de tourner de l'œil ? Parce que même au meilleur de ma forme (et clairement, éprouvée comme je l'étais, j'étais loin d'y être), il était trop lourd pour que je puisse le soutenir et le porter.
Mes craintes furent vaines. Ses jambes continuèrent à le supporter. Alors… qu'est-ce qu'il faisait ?
Le geste avait été naturel, réalisé de manière presque imperceptible, comme si… Comme s'il était celui qui avait besoin d'être réconforté. De surprise, j'en ai même oublié de pleurer. Il ne pouvait pas être sérieux. Il ne pouvait pas me priver de ce moment-là. Il avait prétendu avoir souffert. Mais pas à ce point là. Il n'avait pas le droit de retourner la situation comme ça, d'endosser ce rôle. Pourtant, c'est ce qu'il a fait. En une fraction de seconde et un mouvement de la tête.
Totalement déroutée, j'étais incapable de bouger. Ce n'était pas ce à quoi je m'attendais.
L'espace d'un instant, je me suis retrouvée de nouveau projetée en juin dernier quand, sous un véritable déluge et après la pire des défaites, il s'était effondré dans mes bras. Sauf que cette fois, il ne pleuvait pas. Il gelait. Et la situation était légèrement moins romantique. Une bonne centaine d'hiboux nous observaient depuis leurs perchoirs, je pouvais le jurer. Cat, sur la margelle, en tous cas, le faisait. Ses sautillements et pépiements presque joyeux ne pouvaient pas m'échapper.
Et puis cette fois, Olivier ne pleurait pas. Quoi que je n'en savais rien en vérité. Du coin de l'œil, j'étais seulement capable de m'apercevoir qu'il était trop près pour que je m'amuse à tourner la tête pour vérifier.
Mes larmes, en revanche, n'allaient pas tarder à monter.
S'il pleurait, qu'est-ce que je ferais ? Comme dans le stade, j'allais craquer. C'était obligé. A l'affût, je guettai un reniflement, un changement de respiration, le moindre indice.
Inspirant profondément, je m'efforçai de me calmer.
Admettons.
Admettons que ce soit vrai. Admettons que les autres m'aient dit vrai, qu'à l'instant même lui-même m'ait dit vrai. Admettons qu'il ait souffert. Admettons que, trop plongée dans ma propre peine ou leurrée par ses efforts pour la cacher, je n'ai pas vu la sienne. Admettons que je sois totalement passée à côté. Admettons que malgré le fait irréfutable qu'il ait tout commencé et fait empirer les choses, presque à chaque fois, il ait dit vrai.
En admettant tout ça, il y avait donc une petite chance qu'il attende et veuille exactement la même chose que moi. Lui. Enfin, dans son cas : moi. Sa tête ne reposerait pas sur mon épaule autrement.
Ma gorge se serra et ma vue se troubla. Ce n'était pas juste. Ce n'était pas à moi de faire ça. C'était à moi de pleurer, à lui de craquer ! Les choses n'auraient pas dû être comme ça. Je voulais l'inverse. Je voulais ce que Dean m'avait donné.
Je sais bien qu'entre lui et moi, les choses étaient toujours allées dans ce sens-là. Que Dubois ne m'avait jamais vraiment considéré comme une petite chose fragile qu'on avait besoin de protéger. Ce qui, dans l'absolu, est une très bonne chose. Pas toutes les filles ne sont des demoiselles à sauver.
Mais pas cette fois. J'aurais aimé être une petite chose à protéger. Je l'avais mérité. Il ne pouvait pas me le refuser.
Sauf que, toute résolue que j'étais à obtenir ce qui me revenait de droit, je pris conscience à cet instant précis de deux choses : Olivier ne pleurait pas et j'avais déjà craqué. Je n'explique pas autrement le fait que, alors que je fulminais toujours, l'une de mes mains ait glissé et remonté vers l'encolure de son pull, effleurant sa gorge, pour finir par atteindre sur sa nuque découverte. D'abord timidement, du bout des doigts. Maintenant de manière plus affirmée.
De fait, je me retrouvais à le consoler. Pourquoi ? La force de l'habitude, je crois. Ou alors, c'était un joli doigt d'honneur que mon inconscient faisait à la June toute déterminée que j'étais. J'ai envisagé de le repousser, j'ai essayé. Mais c'était plus fort que moi.
Mécaniquement, Olivier bougea, tournant légèrement la tête dans ma direction. Son front reposait toujours sur mon épaule, ses doigts quelque part sur mes bras. Il était trop grand et nous étions ridiculement trop près. Pour lui, la position devait être inconfortable à souhait. Alors, j'ai fait la seule chose qui s'imposait : j'ai réduit à rien l'espace qui nous séparait.
Pas la peine de s'emballer, avec l'épaisseur de mon manteau, je n'ai rien senti. Je n'avais pour ça que le bout de mes doigts froids.
Ma main caressa doucement son cou, l'autre quitta le plat de son torse, passa sa taille et se posa entre ses omoplates. Un frisson remonta le long de son dos, contractant ses muscles un à un, jusqu'à sa nuque, sous la paume de ma main.
Un dixième de seconde, je me suis demandé si j'avais pu causer ça. Jusqu'à ce que sa tête remue et qu'il la niche au creux de mon épaule. Son nez glacé passa le col de mon manteau et me chatouilla alors la gorge.
Glacé, c'était bien ça. Le froid le faisait frémir, pas moi. Pas étonnant : la Volière était ouverte aux quatre vents, un froid polaire y régnait. Lui n'avait qu'un pull en laine urticante pour se protéger. Mes doigts remontèrent encore un peu et s'enfouirent dans ses cheveux mouillés. Il venait sûrement de se doucher.
Cet imbécile allait attraper la mort comme ça. Preuve supplémentaire de sa bêtise et de son immaturité. Ceci dit, il ne pensait sûrement pas rester. Il n'avait peut-être même pas prévu que je sois là. Il n'avait certainement rien prémédité et…
C'est idiot, mais cette simple idée m'attrista. Comme si c'était le moment pour ça.
Mes yeux se fermèrent et un soupir m'échappa.
Je devrais avoir honte. Mon cas est désespéré. Un air embarrassé, un « Juni », le simple fait de me demander si oui ou non il était en train de pleurer, et voilà que, toute remontée que j'étais et alors que j'étais la vraie victime dans tout ça (et qu'accessoirement, il ne s'était toujours pas excusé ou expliqué), je me retrouvais, les défenses réduites à néant, à le prendre dans mes bras, à le cajoler, à le renifler.
Un parfum familier m'avait chatouillée le nez. Derrière le mélange frais de savon et de lessive du premier abord, il y avait plus que ça. Il y avait lui. Ma respiration s'amplifia. L'odeur m'apaisa. Une sombre histoire de phéromones et de phénomènes neurochimiques, je suis prête à le parier. Même la science était contre moi.
Attirée par l'odeur, ce fut à mon tour de bouger, presque imperceptiblement. Que ce soit clair, ce n'était pas volontaire. Je n'en ai pris conscience que lorsque nos visages ont failli se frôler. On pouvait difficilement plus près.
Je pouvais même l'embrasser. Un rien me suffirait. Nous n'étions plus amis, plus vraiment ennemis. Tout était toujours extrêmement compliqué mais au point où on en était… La situation, l'atmosphère du moment, ça aurait dû être l'occasion rêvée. J'avais plus de chance de ripper sur sa pommette ou son oreille que d'atteindre le coin de ses lèvres mais… Son léger souffle pouvait me guider.
Et parce que je ne suis ni une héroïne de roman, ni de cinéma (qui, soyons honnête, aurait tenté sa chance), la seule chose à laquelle j'ai pensé à cet instant était que depuis la veille, je ne m'étais pas brossé les dents. Ni, de manière générale, lavée. Alors que Peeves m'avait canardée.
Mes paupières se sont soulevées. Malgré moi, j'ai repris pied.
Qu'est-ce qui m'avait pris ? J'étais supposée lui en vouloir, lui faire payer. Pas écouter mes hormones et en profiter. Même sans ça, j'étais allée trop loin. Je devais le relâcher. Olivier n'était pas Dean. Je n'avais pas le droit de jouer à ça. Pas avec lui en tous cas.
A contrecœur, je ramenai ma main contre son torse, lui faisant suivre le trajet inverse. Cou, gorge, col, sternum. Il releva doucement la tête sur son passage, comblant l'espace laissé vide par son bras qu'il passa sur mon épaule. Ma main se figea, sa tête s'arrêta.
Finalement oui, plus près, on pouvait. A voir ses yeux écarquillés, j'avais comme dans l'idée que lui non plus ne s'en doutait pas.
Olivier ne bougeait plus du tout, il ne respirait même plus. Facile à constater de là où j'étais. Pétrifiée et en apnée, je n'étais guère mieux.
Ne pouvant supporter son regard et refusant de lui laisser la moindre chance de deviner ce que j'avais en tête, je baissai les yeux. Je pensais que je pouvais l'embrasser avant ? Là, j'allais le faire. Vraiment. L'éviter me paraissait compliqué. Et fixer ses lèvres, que le froid avait légèrement bleuies, n'allait définitivement pas m'aider.
Le temps que je le réalise et que je relève les yeux vers lui (une poignée de secondes, à tout casser), Olivier avait détourné la tête. Eloignant ses lèvres, frôlant mon front du sien un bref instant, se redressant finalement, posant son autre main au sommet de ma tête, l'attirant près de la sienne. Sage initiative. De la sorte, il ne pouvait pas voir mon visage s'embraser.
Une profonde inspiration souleva sa cage thoracique. La mienne aussi par la même occasion. Je l'ai senti se détendre et s'assouplir. Tout mon contraire.
C'était ce que je voulais, qu'il me serre dans ses bras, qu'il me tienne comme ça (même si, très honnêtement, on ne pouvait pas vraiment parler de sensualité dans la façon dont il me gardait contre lui, plus comme une peluche que comme un adolescent de son âge ne devrait le faire). Pourtant, je n'assumais pas vraiment. La gêne me gagna. Peut-être à cause de ce qui venait de se passer.
Ne sachant plus où mettre mes mains, je les posai sur ses côtes. Endroit neutre qui pouvait au besoin me permettre de remettre entre nous un peu de distance. Le contact suffit à me figer. Simplement parce qu'à travers son pull, je sentais ses os. L'image d'un Dubois torse nu était gravée au fer rouge dans ma mémoire. Et elle ne correspondait pas à ce que j'avais sous les doigts. Je baissai la tête, les sourcils froncés. Il avait maigri ? Alors que moi, j'avais fait tout le contraire, bonjour l'ironie !
J'aurais dû m'en moquer, je sais. Sauf que ça ne lui ressemblait pas. Manger moins, arrêter l'exercice, ça n'était pas lui. Dubois mettait un point d'honneur à stabiliser son poids. Ce qui, selon lui, lui offrait par la suite le droit d'exiger la même chose de ses joueurs.
— Tu as maigri, ai-je marmonné.
J'avais de fortes chances de casser la magie de l'instant mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Par-dessus ma tête, j'ai entendu son reniflement amusé.
— Et toi, tu as changé de parfum, répondit-il avant de soudainement ajouter, alors que je m'écartais (bon, je puais certainement, c'est vrai). Non, attends, je plaisantais... S'il te plaît.
Il resserra son étreinte. De surprise, je n'ai plus bougé.
Il voulait continuer ? Ok, j'avais démarré les hostilités, laissant mes mains bouger malgré moi. Mais j'étais prête à le relâcher. Alors, même s'il y avait un indéniable côté « doudou » dont la façon dont il me gardait dans ses bras et qu'il s'agissait certainement simplement d'une autre façon qu'il avait de se réconforter, mon cœur s'emballa. Ce qui n'était sûrement pas une bonne chose puisque proche comme nous l'étions, il n'allait pas tarder à s'en apercevoir.
Pour une fois, ça ne venait pas de moi.
Ce n'était pas vraiment l'étreinte dont j'avais rêvée dans les bras de Dean. Il y avait quelque chose de maladroit, d'un peu bizarre, voir de décalé. Mais là où mon ex petit ami m'avait tenu avec force pour m'empêcher de me débattre puis de tomber, Olivier le faisait avec fermeté et délicatesse, comme s'il avait peur que je puisse me briser. Un joli progrès pour quelqu'un qui au départ osait à peine me toucher. Il ne me contraignait pas. J'étais libre de partir, de le repousser. J'aurais sûrement dû en fait. Mais faible fille que je suis, je ne l'ai pas fait. C'était impossible. Je sentais son menton contre ma tempe, son souffle contre mon front.
Dans mes cheveux, ses lèvres bougèrent doucement lorsqu'il parla. Comme quoi, je ne devais pas sentir si mauvais que ça.
— Juni…
Comment il fait pour mettre autant de choses dans un mot ? Aujourd'hui encore, je continue à me poser la question.
Ce « Juni » là était nouveau. Autant que ma façon d'y réagir. Les yeux clos, je roulai des épaules malgré moi. J'aurais dû être fâchée. Rien n'était réglé. Et ce n'était pas le bon signal que j'envoyais. Mais je ne pouvais pas lutter. Je n'étais pas armée pour ça. Pas contre ce « Juni » là.
Celui qu'il répéta juste après était nettement plus inquiet. Pour un peu, cela m'aurait amusée. J'étais dans ses bras et lui continuait à douter ? Mes yeux à hauteur de son cou, je le vis déglutir.
Bougeant la tête, il vint appuyer sa joue contre le haut de mon crâne, atténuant ainsi le son de sa voix.
— Je suis désolé.
On ne parlait pas de mon nouveau parfum. Il n'aurait pas prononcé ces quelques mots avec autant de gravité.
Non, on y était.
J'avais tant attendu ces mots là. Durant des mois, j'avais voulu qu'il les pense, qu'il les prononce, pour de vrai. J'avais fini par accepter l'idée que ça n'arriverait jamais. J'avais choisi de passer à autre chose. Du moins, j'avais essayé.
Il inspira profondément. Sa main glissa en direction de mon cou.
La gorge étranglée, les larmes me sont finalement remontées.
— Pour tout, soupira-t-il faiblement. Je… Je ne sais pas ce qui m'a pris.
Moi non plus. Et des semaines durant, j'aurais donné cher pour comprendre, pour qu'il s'explique. Mais pas maintenant. Je refusais qu'on parle de Flint ou de ce qu'il avait cru. Pas dans ces conditions là. Pas maintenant alors qu'il était en hypothermie et moi dans ses bras.
Le moment devait rester comme il l'était. Quoi qu'il arrive après. Et celui-là, jamais je ne le laisserai le gâcher par un stupide commentaire.
Je me suis reculée, suffisamment pour pouvoir le regarder. Cela suffit à le faire taire. Il se fissura sous mes yeux.
— Tu pleures ? couina-t-il désemparé.
Ça, ça le désarçonnait ? Après tout ce qu'il avait dit ou fait ? Trois larmes suffisaient ? Je le savais ! Il ne valait pas mieux que moi. Un léger rire m'échappa.
— On en reparlera, ai-je dit en m'essuyant les yeux de l'intérieur du poignet. On n'a pas le choix. Mais pas ici, pas maintenant. S'il te plaît.
A l'idée d'évoquer le sujet, il se rembrunit. Si rien que la perspective d'en parler le mettait en rogne, mieux valait renoncer dès à présent, une fois ce bref répit tactile passé. Moins forte que je ne l'imaginais, j'avais cédé. Mais rien ne serait possible tant que nous n'aurions pas retourné une dernière fois le couteau dans la plaie. Nous allions devoir nous expliquer, et plus dur encore, nous écouter.
Si Dubois était prêt à objecter, il n'eut toutefois pas l'occasion de le faire. Après avoir poussé un hululement aigue, Cat quitta la margelle et vint voleter autour de la tête d'un Olivier plutôt amusé.
— Hé, salut mon pote ! sourit ce dernier, avant de reprendre, voyant mon air étonné. Pardon, Catapulte.
Et alors que, ravi, Cat pépiait de plus belle, je levais les yeux au plafond, consternée. Dubois se fendit d'un éclat de rire. D'un vrai, franc et sincère. Et c'est en l'entendant que je me suis rendu compte que ce simple son m'avait manqué, et à quel point il m'était familier.
A regret, je fis un pas en arrière et m'extirpai de son étreinte. L'air à nouveau grave, Olivier se détourna aussitôt de Cat et de ses acrobaties. Il m'adressa un regard anxieux.
— J'adore les marrons, ai-je finalement dit pour le rassurer.
Le sourire (c'est idiot à dire) soulagé et heureux qui étira ses lèvres me bouleversa plus que je n'aurais pu le croire. C'était bien lui. Mon meilleur ami était de retour face à moi. J'ai serré les poings pour empêcher mes mains de se poser à nouveau sur lui. A la place, j'ai souri moi aussi.
— Et ta lettre ? me demande Olivier en désignant du menton mon sac duquel dépassait le parchemin.
La lettre, c'est vrai. Avec tout ça, je l'avais oubliée…
Un soupir m'échappa. Maintenant que j'avais un endroit où aller, je n'avais plus vraiment besoin de l'envoyer.
Ce courrier était de toute façon une mauvaise idée. C'était de vive voix que j'avais envie de lui parler.
oOo
Sans échanger un mot (et pour ma part, encore un peu étourdie), nous sommes sortis de la Volière et avons pris le chemin de la Tour.
Je ne sais pas si c'était dû à l'éloignement de ces dernières semaines ou au contraire à l'intense proximité que nous venions de partager, mais j'étais soudainement hyper-consciente de la présence d'Olivier à mes côtés. Des regards qu'il me lançait (sans être certaine de ce qu'il surveillait ou guettait), de ses sourires un brin embarrassés, du moindre de ses gestes. C'est difficile à expliquer, et je sais, Journal, que tu risques d'imaginer que la décharge hormonale dont je venais d'être victime un peu plus tôt faisait encore effet, pourtant c'est vrai. C'était comme si l'air autour de lui, presque palpable, se mouvait, l'accompagnait. Comme lorsqu'il s'écarta pour me laisser passer. La sensation était grisante, enivrante.
Aussi bizarre et agréable que soit le moment, nous ne pouvions toutefois pas nous permettre de rejoindre la Salle Commune dans cet état. Pas avec cette gêne évidente, ce silence qui commençait à devenir pesant et nos sourires idiots.
Jamais auparavant nous n'avions été mal à l'aise en présence l'un de l'autre. D'habitude, nous avions toujours des milliers de choses à nous dire. Au point qu'il était parfois difficile d'avoir simplement la patience de s'écouter. Je ne comptais plus le nombre de fois où l'un (mais plus souvent lui) prenait quelques instants la mouche parce que l'autre l'avait coupé. Grâce à tout ça, j'avais découvert que nous le faisions même au moment de nous engueuler.
Pour la première fois, ni lui ni moi ne savions de quoi parler. Sûrement normal pour une dispute elle-aussi sans précédent. Pourtant, ça m'a inquiétée. C'est idiot mais j'ai eu peur que quelque chose se soit peut-être bel et bien brisé, qu'il soit trop tard tout compte fait.
Au fond de moi, j'étais consciente qu'il nous faudrait sûrement un temps d'adaptation, que cet embarras ne durerait pas, et surtout qu'il n'avait rien d'alarmant. Une petite voix rassurante me le répétait. Mais face à l'impression que nous aurions dû nous jeter sur l'occasion pour combler le vide, retrouver notre complicité, quitte à recréer du lien maladroitement, presque désespérément, elle ne faisait pas le poids.
Prise aux tripes par cette sensation, je l'aurais fait volontiers, quitte à dire n'importe quoi. Sauf que, l'esprit vide, rien ne me venait.
Mon regard rencontra à nouveau celui d'Olivier. Je me suis aussitôt détournée, autant pour ne pas lui laisser l'opportunité de sentir mon malaise que pour ne pas m'apercevoir qu'il était dans le même état que moi.
— On l'a finalement fait ! finit par tenter Olivier, plus rapide que moi.
Alors qu'en fait, il n'y avait même pas à chercher. Comment avais-je pu l'oublier ?
Il n'y avait qu'une chose, au fond, dont nous pouvions discuter.
Un sourire m'échappa. A croire qu'il avait lu dans mes pensées.
Le Quidditch bien évidemment.
L'Angleterre pour ne pas passer les premières secondes de notre réconciliation à nous disputer (parce que clairement, le match contre Serpentard, sans même mentionner son pire ennemi, et sa performance plutôt moyenne à cette occasion, mieux valait éviter, même lui le savait !).
Notre qualification, que nous avions célébrée, chacun de notre côté.
— Et pas grâce à Hastings ! ai-je répondu amusée.
Visiblement interloqué, Dubois s'arrêta pour me dévisager, un pli lui barrant le front.
— Sauf que tu ne parlais pas de ça… ai-je grimacé, soudainement embarrassée.
Bien joué, Tierney !
— En fait, si ! rectifia-t-il avec empressement.
Il se fendit d'un sourire timide, avant d'ajouter, presque étonné :
— Justement.
Les sourcils froncés, ce fut à mon tour de scruter son visage. Si on s'était compris, qu'est-ce qui avait bien pu le déranger ? Mon commentaire ? Il n'allait quand même pas me faire croire qu'il n'était pas d'accord avec moi !
— Elle ne fera pas le poids ! ai-je rappelé, me remettant à marcher. En tant que fille et supportrice, j'adorerais que l'Angleterre ait une joueuse de la trempe de Jones à ce poste. Mais soyons réaliste, ce n'est clairement pas le cas d'Hastings. Honnêtement, que Brown continue à la sélectionner et l'aligner reste un mystère… S'il s'entête, on n'a pas une chance ! On est en train d'hypothéquer un titre mondial sur un « Laissons lui le temps ! Après tout, elle fait carrière à l'étranger » ! Oui, bien sûr, comme si tu pouvais comparer la ligue grecque à n…
Prenant soudainement conscience que je parlais dans le vide et avançais seule, je fis volte-face. Une dizaine de mètres derrière, à l'endroit exact où je l'avais laissé, Olivier n'avait pas bougé.
Il n'allait tout de même pas protester ? Il n'allait pas oser prendre la défense de Leah Hastings ? Pas lui ! Parce que, pour le coup, c'était un motif valable pour ne plus se parler ! Mon père le faisait uniquement pour me faire enrager, et la moitié du pays était visiblement atteint de cécité sélective depuis que Brown l'avait alignée. Mais Dubois, lui, était censé savoir de quoi il parlait !
Consternée, j'étais prête à tirer ça au clair, quitte à enfoncer le clou, mais qu'il affiche un large sourire me prit totalement au dépourvu. Ça l'amusait ?
— Quoi ? ai-je demandé, déstabilisée.
Sans un mot, il inspira profondément et me rattrapa en quelques pas. La méfiance me gagna.
— Quoi ? ai-je répété les sourcils froncés, alors qu'il me dépassait. Attends ! Hé, attends-moi ! Olivier !
Il se figea aussitôt. Etouffant un juron, je parvins à l'éviter de justesse. Par-dessus son épaule, il me jeta un rapide coup d'œil, luttant visiblement pour retenir un autre sourire (et j'ignorais ce qui pouvait l'amuser à ce point). Toutefois, lorsqu'il me fit face, les bras croisés, il s'était recomposé un masque, aussi sérieux qu'entendu.
— Alors comme ça, Percy a une petite amie… dit-il d'une voix traînante.
La finesse n'était pas l'amie d'Olivier Dubois. Mais je l'avais rarement vu utiliser ruse plus grossière. Autant dire clairement qu'il ne voulait pas me répondre et comptait changer de sujet. Je n'étais pas dupe (et devais me faire à l'idée que ce pauvre garçon était un pro-Hastings… deux mois sans moi, et voilà qu'il avait mal tourné). Pourtant, ça a fonctionné. Sa remarque me coupa net l'envie de protester.
C'était à cause de moi s'il savait pour nos deux préfets. A aucun moment, Percy et Penny ne me l'avaient pas reproché. Pour autant, je m'en voulais. Je n'avais pas su protéger leur secret. Pire, je l'avais révélé à Olivier. Qui sait ce qu'il en avait fait ? Le connaissant, dans le bon comme dans le mauvais désormais, j'avais des raisons de m'inquiéter.
— S'il te plaît, ai-je marmonné, dis-moi que tu ne leur en as pas parlé...
Pour toute réponse, j'eus droit à un sourcil haussé.
— Tu me connais ! ajouta-t-il entendu, voyant que je n'étais manifestement pas convaincue.
Hélas.
— Olivier !
Il ne parvint pas à retenir son sourire cette fois. Bizarrement, pas un de ceux simplement là pour me faire enrager. Non, celui-là avait un je ne sais quoi que je ne lui connaissais pas.
Quoi qu'il ait dit ou fait (même s'il estimait ne rien avoir à se reprocher), il refusa de m'en parler. Cela aurait sûrement dû m'agacer. En fait, ça m'a agacée, une demi-seconde. Puis j'ai réalisé qu'il ne nous avait finalement pas fallu si longtemps pour commencer à nous retrouver.
oOo
Nous fîmes le reste du chemin en bavardant au sujet des vacances. Olivier me détailla par le menu ce que sa mère avait prévu, m'assurant à de nombreuses reprises que ses parents étaient sincèrement ravis de m'avoir pour l'occasion. Je l'écoutais religieusement, presque noyée dans le surréalisme de la situation.
Je veux dire, il me parlait. Il me souriait et son regard n'avait plus aucune once de colère, de rancœur ou de méchanceté. Il en faisait sûrement plus qu'à l'ordinaire, comme moi en vérité. Mais ça n'allait pas durer. Bien vite, nos rapports retrouveraient leur distance habituelle. J'ignore si je devais le craindre ou le souhaiter. Pour l'instant, un peu trop contents, un peu trop coincés que nous étions, c'était tout ce qui comptait.
— Ben voyons !
Le cri de la Grosse Dame, pourtant encore au loin, nous prit tous les deux par surprise. Plus que sa voix, ce fut son ton, légèrement railleur, qui nous dérouta.
— Un problème ? ai-je demandé, une fois en vue du tableau.
— Un problème ? répéta le portrait. Vous n'imaginez quand même pas passer comme ça ?
Inutile de chercher du soutien du côté de Dubois qui observait lui aussi le tableau avec des yeux ronds. Parfois, la Grosse Dame a des réactions plutôt… disons, dures à comprendre. Nous étions une de ces fois-là.
Encore que, j'avais une vague idée de ce qui avait pu l'intriguer. Le plus sage était encore de l'ignorer.
— Cervelle de Iop, ai-je dit, avec un sourire forcé.
Le tableau pivota alors que la Grosse Dame, après avoir brièvement et vigoureusement protesté, se mettait à bouder.
— Elle est à cours de papillotes, soupira Olivier alors qu'il s'engouffrait à ma suite dans le passage. Ne l'écoute pas !
L'air grognon de Dubois (que je retrouvais totalement à présent), autant que sa plaisanterie, m'arrachèrent un reniflement amusé.
Qui résonna étrangement dans le silence qui se fit aussitôt dans la Salle Commune.
Dans leur demi-sommeil, Andy et Dorys m'avaient finalement entendu (je n'aurais honnêtement pas parié dessus !) et m'attendaient autour d'une des tables en compagnie de Percy. Un groupe de troisième année occupait le canapé. Près des fenêtres, quelques-uns de nos aînés s'étaient regroupés. La majeure partie de la Maison était sûrement encore dans la Grande Salle pour le petit-déjeuner.
La douzaine de regards se braqua sur nous. Enfin, sur moi. Techniquement, Dubois était toujours dans le passage. Lorsque je me figeai net, il me percuta, m'obligeant à faire un pas de côté pour ne pas tomber.
Un cri nous fit tous sursauter. Un hurlement plutôt victorieux. Du genre de ceux qui pouvait m'échapper dans le stade. Elle, c'était dans ces moments-là qu'elle le poussait. Benton, évidemment. Même sans reconnaître sa voix, j'aurais pu le parier. Qui d'autre qu'elle pouvait célébrer de la sorte notre réconciliation ?
Et comme si ce n'était pas suffisamment embarrassant, elle poussa le vice jusqu'à se mettre à applaudir. Sa démonstration de joie fut bientôt reprise, accompagnée de quelques sifflets (la touche personnelle de Fred et George Weasley).
Les joues en feu, je ramenai mon regard sur le motif du tapis. L'occasion était idéale pour me découvrir un don inné pour transplaner. Sauf que visiblement, enceinte de Poudlard ou pas, on n'a pas ça dans le sang chez les Tierney.
Reculant d'un pas, je bousculai de nouveau Olivier. D'un rapide coup d'œil, je le découvris guère plus à l'aise que moi.
— De vrais malades ! bougonna-t-il en secouant la tête, affligé.
Si Dubois se chargea naturellement d'aller faire taire ses joueurs, je me précipitai pour régler son compte à la principale agitatrice. Avant que je n'ai eu le temps de dire quoi que ce soit, Andy prit les devants et, m'attrapant les mains, chuchota, surexcitée :
— Raconte ! Qu'est-ce qu'il a fait ?
Surprise, je la dévisageai un instant. Elle savait ? Son petit sourire (comme celui aussi plaqué sur les lèvres de Dorys) ne pouvait pas me tromper. Elles étaient déjà au courant. Sûrement depuis un moment. Au fond, cela n'aurait pas dû m'étonner. Le connaissant, Olivier avait dû décider ça tout seul et avait choisi d'en parler à tous, sauf à la principale intéressée.
A croire qu'il n'avait (comme les autres d'ailleurs) pas envisagé un instant que je puisse le repousser… Ça n'était pourtant pas si simple. L'idée m'avait traversée.
— Il m'a invitée pour Noël, ai-je avoué à voix basse.
Andy eut un hochement de tête appréciateur. Nous nous sommes observées en souriant toutes les deux, attendant la suite. Qu'elle me réponde ou que je continue.
— Et ? finit-elle par demander d'une voix traînante, quoi qu'un peu inquiète, avant d'ajouter presque déçue. Et c'est tout ? Il n'a rien dit d'autre ?
La vitesse à laquelle son sourire fondit m'arracha un éclat de rire.
— Vu qu'on ne s'est pas adressés la parole pendant deux mois, je trouve ça plutôt pas mal, ai-je rappelé, un sourcil haussé, me tournant vers Olivier en train de parler à Percy (enfin, en train de repousser la tape amicale sur l'épaule que Percy lui destinait).
Interpellée par le marmonnement de Dorys (un « crétin » à peine déguisé), je n'eus toutefois pas le temps de réagir (il fallait quand même savoir ce qu'elles voulaient !). Mes pieds venaient de subitement quitter le sol.
Sean, déboulant de nulle part (même si probablement des escaliers), avait fondu sur moi et attrapée par la taille. Avant que je ne le réalise, l'Ecossais me souleva et, pris par son élan, me fit quasiment faire deux tours. Agrippée à ses épaules, un rire nerveux m'échappa.
Cette démonstration d'affection me prit au dépourvu. Mais au fond n'aurait sûrement dû m'étonner qu'à moitié.
— Tierney ! s'écria-t-il de son plus bel accent (en me brisant trois côtés au passage). Tu m'as manqué !
Sans desserrer sa prise, il finit par me reposer à terre, peut-être un peu trop lourdement (le chocolat était l'ennemi de mes pantalons et l'ami de la gravité).
— Toi aussi, ai-je répondu une fois certaine de sentir le sol sous la pointe de mes pieds.
— Il m'a fait vivre un enfer ! murmura-t-il à mon oreille. A toi de t'en occuper…
Le sourire chaleureux et sincère qui étirait ses lèvres lorsqu'il recula (et je passe sur son « bon courage ! » et sur la main compatissante qui tapotait mon épaule) me serra le cœur et me fit retenir le rictus acide sur le point de m'échapper (l'enfer selon Olivier ? Je pouvais écrire une thèse à ce sujet). D'une certaine manière, Sean aussi avait souffert de tout ça, victime de mon attitude comme celle de Dubois. C'était le prix de la loyauté. J'avais déploré la situation sans bouger. J'aurais aussi bien pu continuer à lui parler, j'aurais au moins pu essayer. Peut-être que, comme moi, c'était ce qu'il l'attendait. Je me rendais compte désormais combien lui et ses facéties m'avaient manqué.
Surtout quand il arracha à Andy un petit cri indigné en lui réservant le même sort (les tours en l'air en moins, Benton, sachant désormais à quoi s'attendre, se débattant légèrement).
— Je te signale qu'on a continué à se parler, dit-elle, faussement réprobatrice mais réellement ébouriffée.
Ignorant son argument d'un haussement d'épaules, Sean se tourna vers Dorys mais son air revêche suffit à le faire reculer
— On n'a jamais commencé, signala cette dernière, cinglante.
L'air dépité, Sean se tourna vers moi.
— J'aurai essayé.
Quoi qu'en surprenant, dans son dos, par-dessus son épaule, le léger sourire qui venait d'apparaître sur les lèvres de l'Irlandaise, je me suis dit qu'il avait d'une certaine façon réussi.
oOo
Si ma dispute avec Dubois n'était pas passée inaperçue il y a deux mois de ça, je te laisse deviner ce qu'a provoqué notre réconciliation.
Mes camarades de maison le savaient plus ou moins. Le reste de l'école l'apprit peu après. Pour certains, c'était sans intérêt. Pour la grande majorité, c'était du domaine du potin, passionnant le simple temps d'être colporté. Et pour quelques rares autres, ça avait son importance.
Pour les membres de son équipe, notamment. Si Fred et George trouvèrent amusant de me suggérer de fuir pendant qu'il en était encore temps, les filles, croisées par hasard sur le chemin du cours de Métamorphose, furent nettement plus taquines envers leur Capitaine qui, à ma grande surprise, se mit à rougir doucement.
— C'est aussi grâce à elles, maugréa-t-il après que nous ayons pris place à une table au fond de la classe.
Son « grâce » sonna plus comme un « à cause de ». Un regard me suffit à lui faire comprendre que je n'étais pas dupe.
Posant sans douceur mon sac sur la table, je sortis mes affaires, soudainement frappée par le caractère familier de la situation. Nous partagions la même table, pour la première fois depuis une éternité. Et comme au bon vieux temps, Olivier était en train de ronchonner. Comme si rien de tout ça n'était arrivé. Au temps pour mon inquiétude, nous n'étions qu'au milieu de la matinée.
Un sourire m'échappa.
Depuis le matin, nous étions pourtant allés de petits ratés en petits ratés. Au cours précédent, par la force de nos nouvelles habitudes, ce n'était qu'une fois installés à chaque extrémité de la serre que nous avions réalisés (trop tard) que nous ne nous étions pas suivis. Pour éviter tous commentaires de la part de Dorys et Andy (qui, comme bien d'autres, nous avaient vus faire sans ressentir le besoin de nous arrêter), j'avais rejoint Dorothy près d'un sac d'engrais, espérant avoir la paix.
La préfète allait bien mieux. Autrement, elle n'aurait pas passé l'heure suivante à me tanner pour avoir des détails sur ce qui s'était passé entre moi et Olivier. Chose dont j'ai, bien évidemment, refusé de parler. Pas plus que je ne lui ai révélé comment j'avais acquis la certitude qu'Andy ne sortait pas avec Flaherty (malheureusement, le seul moyen de la faire changer de sujet). Si elle se réjouit malgré tout pour moi (dans les deux cas), elle m'assura que ma naïveté me perdrait.
— Elles m'en ont fait voir de toutes les couleurs, avait repris Olivier, déterminé à se justifier, me sortant de mes pensées.
Pressentant qu'il allait me servir le coup de la solidarité féminine, je préférai contrattaquer.
— Tu leur en as fait voir de toutes les couleurs ! ai-je protesté alors que MacGonagall réclamait le silence et incitait les derniers retardataires à se dépêcher. Ne nie pas, je le sais.
Pinçant les lèvres, il détourna un instant la tête, presque vexé.
— N'empêche que j'ai un problème avec elles. Un énorme problème…
— Quoi ? Elles n'écoutent plus leur Capitaine adoré ? ai-je chuchoté, avant de soupirer, devant son air mortifié. Katie n'est pas amoureuse de toi, Olivier !
La stupeur le laissa bouche bée. Toutefois, il n'eut pas l'audace de contester. Evidemment, c'était à ça qu'il pensait. Il ignorait seulement que mademoiselle Bell avait bravé l'interdit en venant m'en parler.
— C… Comment tu… ?
Un regard entendu me suffit à lui répondre. Plus futées que leurs homologues masculins, ses trois Poursuiveuses avaient parfaitement saisi comment le despote qu'il était fonctionnait, et parvenaient à faire ce qu'elles voulaient tout en lui donnant l'impression qu'il décidait. Mis à part certaines fixations saisonnières sur leur poids de forme (Dubois n'ayant toujours pas saisi qu'il s'agissait d'un sujet à éviter), il n'avait rien à reprocher à ses joueuses. Alors s'il avait un problème avec l'une d'entre elle, il ne pouvait s'agir que du Problème.
Dans son esprit, le Quidditch ne devait laisser aucune place aux sentiments (et plus précisément, à ce genre de sentiments). Pas entre joueurs. Encore moins entre ses joueurs. Pour lui, il s'agissait sûrement de la pire chose qui puisse arriver, de la seule qu'il ne tolérerait jamais au sein de son collectif. D'autant plus s'il se sentait directement concerné, tout handicapé du cœur qu'il était.
A sens unique ou réciproque, adversaires ou coéquipiers, peu importait : seuls le bien-être et la stabilité du collectif primaient.
J'aurais sûrement dû lui expliquer, le rassurer. Mais sur l'instant, je trouvai plus attendrissant de le laisser prendre conscience seul de son erreur et le regarder de nouveau rougir doucement.
— Le doute persistera toujours ! marmonna-t-il, en relevant fièrement le menton.
Un léger rire m'échappa, ce qu'il fut loin d'apprécier. Vexé, Olivier allait répliquer mais le professeur MacGonagall l'en empêcha.
— Taisez-vous, pour l'amour du ciel ! s'écria notre enseignante agacée, quittant le tableau pour se tourner vers lui. C'est la veille des vacances, ne me forcez pas à retirer des points à Gryffondor, Dub…
Me découvrir l'air coupable juste à côté lui fit perdre ses mots l'espace d'un instant. Elle se ressaisit toutefois vite et, nous foudroyant du regard, nous promit de mettre ses menaces à exécution si elle nous y reprenait.
— Paraît que la vieille chouette est furieuse contre toi, ricana doucement Olivier pas impressionné une seconde, une fois l'orage passé et le sujet du jour dévoilé.
Repenser à l'incident du bureau m'arracha un désagréable frisson. Je n'étais pas vraiment fière de la façon dont je m'étais emportée. Sur le fond, je n'avais rien à regretter. Sur la forme par contre…
— Je ne sais pas comment tu fais, ai-je avoué dans un marmonnement. Elle fait peur, en vrai.
— Question d'habitude, soupira Olivier en haussant les épaules, avant de se tourner vers moi. Sous ses airs ronchons, sa colère ne dure vraiment jamais. On est un peu comme ses enfants, tu sais.
Et j'étais bien placée pour savoir que dans chaque famille, on pouvait se disputer.
— Elle ne t'en veut pas réellement, assura-t-il, constatant que je continuais à douter.
J'appréciai l'intention mais j'avais quand même du mal à y croire.
— Crois-moi, elle n'aurait pas perdu de temps à te chercher avec tout le monde, autrement… expliqua-t-il avec un demi-sourire.
J'imagine qu'il disait vrai. Mais sur l'instant, je m'en moquais. Tout ce qui m'intéressait était de savoir si lui aussi l'avait fait, si ce « tout le monde » le concernait. C'est idiot, parce que nous nous étions réconciliés, et au final peu importait de savoir comment l'un comme l'autre avions occupé la veille notre après-midi. Mais en fait, si. Ça comptait. Je brûlais d'envie de le lui demander.
Olivier se détourna à cet instant, ramenant son attention vers le tableau, et me laissa inconsciemment mariner dans ma frustration.
— Elle ne le reconnaîtra jamais, reprit-il après un instant, sur le ton de la confidence, mais c'est affectueux en vrai !
MacGonagall nous avait vus grandir, et même si elle parvenait à le cacher, elle était triste de voir une promotion quitter Poudlard à la fin de chaque année (la légende disait qu'elle oscillait toutefois entre tristesse et soulagement). Olivier avait probablement raison. Pour lui, du moins, c'était presque certain. Tous deux entretenaient une drôle de relation.
Même si je reconnais qu'il n'y avait rien de très affectueux dans la façon dont, excédée par ses bavardages, elle lui retira cinq points. Et ce n'était pas faute de l'avoir prévenu.
Il n'y avait non plus beaucoup d'affection quand elle posa les yeux sur moi, lorsque je me présentai à son bureau, une fois le cours terminé et le gros des troupes parti. Les paroles d'Olivier avaient sûrement fait effet. Ou peut-être que j'étais moins rebelle que je ne le pensais. Toujours était-il que lorsqu'elle nous avait libérés, j'avais demandé aux autres de partir sans moi et avais pris mon courage à deux mains. Pour autant, ma voix n'était guère assurée.
— Professeur, je… Je voulais m'excuser pour hier.
Impassible, MacGonagall me dévisagea.
— Pour avoir séché vos cours ? finit-elle par demander, les lèvres pincées.
Jusque-là, j'avais encore l'espoir naïf qu'elle ne soit pas au courant. L'espoir était surtout idiot. Ce n'était pas exactement ce que j'avais en tête mais tout bien réfléchi, c'était également une chose pour laquelle je pouvais m'excuser.
— Aussi, ai-je concédé. Et surtout, pour vous avoir manqué de respect, ai-je enchaîné dans un marmonnement, soutenant difficilement son regard acéré. Je… Je n'aurais pas dû vous parler comme ça.
— C'est vrai.
Surprise par sa réponse, j'eus un léger mouvement de recul. Je ne m'attendais pas à un « n'en parlons plus » ou un « c'est bon, tout est oublié » mais quand même… Une lueur nouvelle traversa le regard de ma directrice de maison, visiblement amusée par ma déconvenue.
— Je sais que vous vous estimez victime d'une injustice, Tierney, soupira-t-elle après un instant. Tout comme je sais que Peeves a commencé. Mais ce que vous avez fait n'est pas rien. Les dégâts n'étaient pas anodins. Nous ne pouvions pas l'accepter. Vous n'êtes plus en première année…
Répondre à l'esprit frappeur avait été une erreur, maintenant je le voyais. Même si d'une certaine façon, de bonnes choses en avaient découlé. A froid, je ne regrettais toujours pas. Mais je comprenais.
— J'accepte vos excuses, Miss Tierney, dit-elle en remettant un peu d'ordre sur son bureau, avant d'ajouter, sûrement à cause de mon air un peu trop soulagé. Mais ne vous avisez pas de recommencer !
Je crois qu'elle plaisantait. Parce qu'il était clair que je n'allais pas m'y risquer. Mais dans le doute, j'ai préféré ne pas chatouiller le dragon et après avoir l'avoir remerciée, j'ai filé ranger le coussin que j'avais passé l'heure à essayer de métamorphoser dans l'armoire du fond de la classe.
L'ennui, c'est que j'avais oublié qui, comme à son habitude, avait été puni durant le cours et s'était retrouvé aux travaux forcés. C'est en voyant les portes de l'armoire se fermer et sa tête apparaître que j'ai compris qu'il n'avait pas toujours pas achevé sa corvée. Par chance (je venais à coups sûrs inconsciemment de puiser dans mes ultimes réserves), Olivier ne s'était pas attardé.
Marcus Flint était là. Sans me jeter un regard, il s'écarta pour que je puisse poser le coussin que j'avais entre les mains. Je pensais vraiment pouvoir m'en tirer. Je me trompais.
A mi-chemin entre la question et le constat, sa voix me fit tressaillir.
— Tu l'as repris ? Après tout ça ?
Heurtée (hélas, bien plus que je ne l'aurais souhaité), j'ouvris la bouche, prête à répliquer. Mais Flint, évitant toujours soigneusement de poser les yeux sur moi, reprit sans m'en laisser l'occasion.
— Je te croyais plus maligne que les autres.
Sa condescendance me frappa de plein fouet.
— Je ne sors pas avec Dubois ! ai-je sifflé, prenant soin de baisser moi aussi ma voix.
Pour une raison que j'ignore, cela suffit à le faire se tourner vers moi. Il leva les yeux au plafond, consterné.
— Ça, je le sais, répliqua-t-il consterné, avant de se mettre à sourire.
Ce qui bizarrement, fut loin de me rassurer. Il s'écarta, non sans me jeter un dernier regard, presque peiné (ne te méprends pas, une autre de ses manières étranges de se foutre de moi), qui acheva de me vexer.
— Bien sûr. Je retire. Excuse-moi, Tierney…
oOo
La journée fut aussi éreintante que fabuleuse. Ce qui est idiot, puisqu'elle n'avait absolument rien d'exceptionnel. Vivante, agitée, pleine de cours trop compliqués. Une journée ordinaire, comme j'en avais déjà vécu des centaines par le passé.
Une comme avant, justement.
Rien n'aurait pu la gâcher. Pas même le Monstre de la Chambre des Secrets. A part Flint (le seul d'ailleurs à s'y être ouvertement risqué… mais qu'il n'approuve pas était, j'imagine, un bon signe), personne n'avait essayé.
Tout le monde semblait ravi. Je l'étais, Olivier l'était. Sean, les filles, Percy, Penny, Patch… Même Hagrid s'était réjoui quand il avait appris la nouvelle (lui offrir ma dernière tablette de chocolat en remerciement pour ce qu'il avait fait pour moi a dû jouer, c'est vrai).
J'avais rarement vu Olivier aussi attentionné à mon égard. Il a été adorable, présent, toujours à guetter mon regard, à me demander si ça allait. Ce qui aurait pu m'agacer au bout d'un certain temps, si je n'en avais pas fait autant. Toujours bien entourés, nous ne nous sommes pas quittés.
— Olivier n'est pas avec toi ?
Enfin, jusque-là. Ce n'était qu'après le dîner que nous nous étions séparés.
Au départ, j'ai cru que Sean se moquait de moi. Comme d'autres, il s'était fait plaisir et n'avait perdu aucune occasion de nous chambrer tout au long de la journée (le changement d'attitude du jour au lendemain était spectaculaire, je le reconnais).
En approchant, je compris à ses sourcils froncés qu'il était simplement surpris.
Sans délicatesse, je me laissai tomber à ses côtés, à même le sol de la Salle Commune. Epuisée.
Quelques instants m'avaient été nécessaires pour les retrouver, les filles et lui, assis contre un mur dans un coin. Comme toute bonne veille de vacances, l'endroit était plein à craquer, le moindre siège pris d'assaut et l'atmosphère survoltée. Si Andy et Dorys (en train de maudire le professeur Rogue qui nous avait submergés de travail pour les deux semaines à venir, esprit de Noël oblige) avaient réussi à obtenir un coussin, Sean lui avait dû se contenter d'un bout de tapis, au pied d'une fenêtre.
— Sérieusement, Tierney, reprit-il, le cherchant des yeux, qu'est-ce que tu en as fait ?
— Oh, rien, ai-je souri d'un ton mystérieux. Disons qu'il se débat avec ses problèmes amoureux.
Déterminé à tirer les choses au clair, Olivier s'était lancé à la recherche de Katie, me suggérant de ne pas l'attendre et de monter. L'idée qu'il puisse avoir LA discussion avec l'une de ses joueuses était aussi terrifiante qu'hilarante. A l'image de la tête que faisait Sean à cet instant. Abasourdi. Peut-être même un peu paniqué. Jetant un rapide coup d'œil aux filles toujours en train de discuter, il baissa la voix.
— Il te l'a dit ? demanda-t-il, les sourcils un peu plus froncés.
Il ne cacha pas son scepticisme, que (pour le coup) je comprenais. Fraîchement réconciliés ou pas, c'était typiquement le genre de sujet que ne voulait pas aborder Olivier. Même en temps normal.
J'aurais pu continuer à entretenir le mystère et le faire marcher. Juste par curiosité. Mais j'ai rapidement avoué. Je ne voulais surtout pas que Sean se méprenne, qu'il s'imagine que je puisse savoir des choses que lui ignorait. Je ne souhaitais à personne d'avoir la sensation d'être laissé de côté, d'être tenu hors des secrets.
— Il ne l'a pas vraiment dit comme ça, ai-je rectifié avec un sourire. Olivier est allé voir Katie, il pense qu'elle est amoureuse de lui…
Soulagé (et bizarrement, peut-être même un peu déçu), Sean soupira.
— Enfin, seulement dans son esprit… ai-je précisé.
Il souffla par le nez, amusé. Beaucoup de choses se passaient uniquement dans la tête d'Olivier. J'en avais d'ailleurs fait les frais.
— Alors, comme ça, fit-il d'un air entendu, tu vas passer Noël chez les Dubois ?
Me pinçant les lèvres, je baissai la tête, légèrement embarrassée. En théorie, il n'y avait pourtant aucune honte à avoir. Mais c'était un peu bizarre. Passer les quinze prochains jours chez Olivier ? J'avais encore du mal à le réaliser.
— Je lui avais dit que s'il ne se bougeait pas, quelqu'un d'autre le ferait, expliqua Sean avec un sourire, avant d'ajouter sur le ton de la confidence. D'ailleurs, à cinq minutes près, tu vivais un Noël dans un palace écossais absolument pas chauffé !
Quand il ajouta son « Tu ne sais pas ce que tu rates, tant pis pour toi ! » d'un air exagérément navré, je fus tout juste capable d'articuler silencieusement un « merci ». Autant parce qu'il avait œuvré dans l'ombre que parce que j'avais, sans pouvoir l'expliquer, la certitude qu'il l'aurait vraiment fait.
J'imagine que ce n'était pas vraiment la réaction à laquelle Sean s'attendait (le connaissant, que j'éclate de rire et que je feigne de le supplier). S'efforçant de hausser les épaules, dégagé, il parut bien plus hésitant en me jetant un rapide coup d'œil avant de se lancer.
— Tierney, je peux te poser une question ?
Déglutissant avec difficulté, je sentis une vague de panique me submerger. Je savais que ce moment arriverait, que Sean ressentirait le besoin d'en parler. Mais j'avais plutôt imaginé ça, dans les meilleurs des cas, autour d'un verre dans une dizaine d'années. Pas le soir même, dès que son meilleur ami avait eu le dos tourné.
Je ne pouvais pas le lui reprocher. C'était plutôt légitime en vérité. Lui n'avait eu que la version d'Olivier. D'une certaine façon, il avait le droit d'essayer de comprendre ce qui s'était passé. Mais de là à le prendre…
— Je comprendrais que tu ne veuilles pas, ajouta-t-il avec prudence (j'imagine qu'il avait autant senti que vu mon affolement), c'est juste que…
Il prit une inspiration profonde.
— June, j'ai besoin de connaître la vérité derrière la légende !
Mon cœur eut un raté. Voilà. Je n'allais pas pouvoir y couper.
Je suis parfaitement consciente qu'il s'agissait d'une vue de mon esprit, mais j'ai eu la sensation que le monde entier venait de cesser de tourner, que chaque personne présente s'était tournée vers nous pour nous observer, nous écouter. Que tous attendaient.
Les filles, en tous cas, bien que parfaitement au courant, avaient tendu l'oreille.
Qu'est-ce qui se passe avec Flint ? Comment j'avais pu faire ça à Olivier ? Le genre de questions que certains devaient continuer à se poser. Sean faisait partie de cette catégorie là, vu son air grave et concentré. Il ouvrit la bouche, la referma, recommença une nouvelle fois et finalement, se lança :
— Tu as vraiment frôlé la mort et le renvoi ?
Le mieux dans tout ça ? Même s'il en avait rajouté, juste pour le plaisir de me faire marcher (autant dire qu'il avait parfaitement réussi), Sean ne plaisantait même pas ! Il se posait la question, pour de vrai.
Un éclat de rire sonore et soulagé m'échappa, qui mourut à l'instant où me parvint le « Oh, pitié ! Ne l'encourage pas » consterné de Dorys.
— Parfaitement, ai-je répliqué, la foudroyant du regard. Et à de multiples reprises !
Et je me suis fait un plaisir de le leur rappeler.
L'Ecossais a adoré. Journal, tu ne peux même pas imaginer. Il a souvent ri, un peu tremblé, approuvé plus souvent que je ne l'aurais imaginé, une fois même applaudi. Au point, je l'avoue, que j'ai moi aussi fini par trouver une dimension presque héroïque à mes mésaventures.
Quand Olivier a finalement daigné montrer le bout de son nez, Sean venait de me demander de reprendre au début mon récit. Pour la troisième fois.
Accueilli par un « Où tu étais ? » entendu de l'Irlandaise (qui avait forcément écouté ce que j'avais expliqué à Sean, sans quoi, elle n'aurait même pas pris la peine de le lui demander), Dubois la foudroya du regard. Sans un mot, il prit la place qu'elle et Andy, désormais debout, venaient de libérer.
Renonçant à l'embêter (ce qui était plutôt étrange… je l'aurais moi-même fait si je n'avais pas été à l'origine de la fuite concernant Katie), les filles reportèrent leur attention sur Hataway. Je suis plutôt lente, je l'admets. Mais des trois assis, j'ai saisi la première de quoi il retournait.
Toute la journée, Andy et Dorys m'avaient poussé à rester et parler seule à seul avec Olivier (visiblement peu satisfaites de cette histoire de marrons, dont toute la beauté leur échappait... j'avoue que je ne m'étais pas non plus attardée sur ce qui s'était passé après). Lui et moi avions passé la journée ensemble, mais toujours entourés. Ce soir était visiblement l'occasion rêvée.
Gênée, j'ai senti le regard de Sean passer de moi à Dubois, puis un petit « oh ! » lui échapper.
— Tu peux rester, ai-je affirmé avec un sourire rassurant.
Je ne pouvais pas leur en vouloir ou le leur reprocher. Mais au fond, je crois que je redoutais un peu de me retrouver seule avec Olivier. Pas tant pour toutes les questions laissées en suspens et les douloureuses vérités qui nous attendaient, mais plus à cause de ce qui s'était passé à la Volière, de cet aspect de notre réconciliation que je n'avais pas eu envie de partager et auquel je m'efforçais de ne pas penser.
Sentant Sean tiraillé (même lui voyait le traquenard), j'appelai Olivier à l'aide du regard. En vain. Trop occupé à observer le manège des filles d'un air ahuri, il ne l'a même pas remarqué.
Dorys eut finalement gain de cause. Avec un roulement d'yeux et un simple « Sean » soupiré, blasée. Tressaillant, l'Ecossais grimaça à mon attention un « désolé ! » avant de se lever.
A son sourire ravi, j'ai pourtant bien compris qu'il ne l'était pas. Les coins de ma bouche se relevèrent, presque malgré moi.
— Ils sont ridicules, marmonna Olivier les regardant s'éloigner et rejoindre nos autres camarades.
— Ça leur passera… ai-je doucement soufflé.
Tournant la tête vers moi, il esquissa un sourire. Tout passait. Nous en avions eu la preuve, lui et moi.
Je serais bien incapable de dire combien de temps nous sommes restés à bavasser (uniquement sur du futile et du léger, principalement sur ce que nous avions sous le nez). Quand les filles sont passées nous saluer avant de monter, la Salle Commune avait déjà commencé à se vider. Pour autant, nous n'avons pas bougé, récupérant simplement au passage quelques cousins abandonnés. Sean nous rejoignit peu après, avant de céder à la pression du préfet Weasley (décidemment très à cheval sur les horaires du coucher) mais qui, bizarrement, s'abstint à notre encontre de tout commentaire.
Il aurait pourtant pu s'en donner à cœur joie. Par un petit miracle, je ne m'étais pas écroulée, payant au prix fort ma très courte nuit. Les mâchoires presque constamment serrées pour refreiner mes bâillements, j'étais dans l'impossibilité de suivre la conversation. Ce qui n'était pas vraiment gênant. Olivier avait besoin de parler (comme à son habitude), et l'écouter m'allait parfaitement.
Ses mots n'ont rapidement plus eu de sens. J'étais juste bercée par le caractère familier de sa voix et ses intonations.
Inconsciemment (peut-être à cause du calme qui régnait désormais dans la Salle Commune), il se mit à chuchoter, me forçant à m'approcher pour le comprendre. C'était uniquement pour ça que je ressentais le besoin de toujours un peu plus me pencher vers lui.
Rien à voir avec le sommeil qui rôdait, la douce atmosphère de la soirée, mon surnom qu'il ne cessait de répéter ou le fait que, plus clairs que jamais, les évènements de la Volière s'échappaient lentement de mon inconscient.
Non, c'était uniquement pour mieux entendre. Pas parce que je me demandais si les paroles, les gestes, les réactions que nous avions eus ce matin pouvaient avoir une autre signification. Ce n'était pas non plus pour voir si quelque chose avait changé, si le moment était passé ou si choses pouvaient reprendre où nous les avions laissées.
J'étais toujours parfaitement consciente que rien n'était réglé, que nous devions parler. Que je ne devais pas l'oublier.
C'est pour ça que, bien que sensible à sa présence, je n'étais pas en train de me demander ce qui se passerait si ma main bougeait comme elle l'avait fait le matin-même (avec une audace que j'avais du mal à assumer, maintenant que j'y repensais). Je ne laissais pas non plus mon regard errer ses lèvres, en me demandant ce qui se serait passé si nous nous étions embrassés, au point de me demander si nous ne l'avions pas fait (nous avions failli, lui n'avait sûrement pas vu les choses comme ça, mais de mon côté, ça ne faisait pas un pli).
Non, m'approchant un peu plus, je n'étais pas en train de me demander s'il y repensait. A tout ça. A cette proximité, presque intimité. A ce Juni.
Quoi que vu l'énergie et l'enthousiasme qu'il mettait dans ses chuchotements (bien loin de la vulnérabilité dont il avait fait preuve à la Volière), je pouvais affirmer sans trop m'avancer que ce n'était pas le cas à l'instant.
Pinçant les lèvres, je me ressaisis et reculai doucement.
—… Chourave devrait gagner. Sauf pour le maillot de bain.
Pas du tout le cas même, visiblement.
Tiquant, j'écarquillai les yeux, surprise. Loin de l'étonner, ma réaction parut plutôt l'amuser.
— Pas trop tôt ! se moqua-t-il. Je me demandais si tu allais t'en rendre compte. On devrait aller se coucher, suggéra-t-il, prêt à se lever. Tu devrais voir ta tête, tu as l'air ép…
— Non ! me suis-je écriée, le faisant sursauter et attirant vers nous l'attention des quelques personnes toujours présentes. Non, je t'assure, ai-je répété bien plus calme. C'est bon.
Il m'observa un instant avec des yeux ronds avant de se fendre d'un sourire.
— Ok, souffla-t-il. A ton tour de parler, dans ce cas…
Se redressant légèrement, il coinça un coussin entre sa tête et le mur et se tourna vers moi. Mal à l'aise, je ne sus trop quoi dire. Olivier finit par choisir pour moi.
— C'était quoi ton problème avec ton Epouvantard ?
Je ne pus m'empêcher de détourner les yeux. De tous les sujets que nous pouvions aborder, rien n'aurait pu me préparer à ce qu'il choisisse celui-là. Le jour de l'incident, il m'avait pourtant montré le peu d'intérêt qu'il y portait. La honte était toujours vive. Je m'étais ridiculisée devant un enseignant, craquant face la créature, puis devant mes camarades, pas aidée par sa réaction.
Une pointe amère me serra la gorge.
— Il avait changé de forme, ai-je marmonné, choisissant de rester délibérément évasive.
Parce que je ne pouvais pas lui dire que je l'avais vu, lui. Je ne pouvais pas avouer que le voir mort m'avait faite disjoncter (même si la vision de ma mère avait préparé le terrain de la plus belle des manières). Le simple fait d'y repenser me fit m'ébrouer. Ce qui n'avait pas pu lui échapper. Mais plutôt que de changer de sujet, il attendit, tout simplement, me laissant le temps.
— C'était ma mère, ai-je soupiré.
Un instant surpris, il finit par hocher la tête silencieusement, intégrant l'information et ce qu'elle pouvait impliquer. Pour une obscure raison, je n'ai pas supporté le silence qui a suivi et me suis sentie obligée d'en rajouter.
— Elle était malade et elle essayait de…
Repenser à la vision de ma mère rampant pour m'atteindre et me… (en fait, je ne voulais même pas savoir ce que l'Epouvantard comptait me faire) était une erreur. Les yeux fermés, je secouai la tête pour chasser l'idée.
— J'ai pas réussi à… (ne trouvant pas les mots, je tentai de le lui faire comprendre d'un geste de la main) et après…
Après, il était apparu. Lui. Défiguré. Et j'avais pété un plomb.
— Tu ne lui as toujours pas parlé ?
La douceur de sa voix me prit au dépourvu. Ce qui explique sûrement que, toute désireuse que j'étais d'éviter de le regarder, je me suis hasardée à jeter un coup d'œil dans sa direction. Lui ne m'observait plus. Les genoux ramenés contre sa poitrine, les bras posés dessus, il regardait distraitement devant lui, son profil éclairé par le feu de cheminée. Intrigué par mon silence, il finit par me faire face.
— Non, ai-je avoué, me détournant. Pour être honnête, la lettre était pour elle, ce matin.
Mal à l'aise, il se gratta un instant la nuque, avant de laisser retomber sa main sur son épaule.
— J'imagine que je devrais regretter, dit-il après une hésitation. Mais… ce n'est pas le cas.
Sentant mes joues légèrement s'empourprer, je ne pus m'empêcher de lui rendre le sourire en coin qu'il me décocha. Sans sa proposition, un hibou serait sûrement en vue de la maison de ma mère à l'heure qu'il est. Sans sa proposition, nous ne serions pas là, l'un à côté de l'autre, en train de nous parler. J'avais moi aussi du mal à regretter.
— J'irai la voir durant les vacances, ai-je repris, encerclant mes genoux de mes bras. Parce que bon, il y a le monstre. Et puis, Noël, c'est une période de trêve, non ? Même sans dinde et marrons ! Et les Catapults se sont qualifiées ! Je ne sais même pas si elle le sait…
J'avoue, je me foutais de lui. D'un regard, il me fit comprendre qu'il en était bien conscient. Avec un sourire coupable, il baissa légèrement la tête. Il reconnaissait au moins le côté factice des excuses qu'il m'avait données.
— J'espère juste qu'elle sera plus cool que toi ! finit-il par répondre, amusé.
J'aurais pu mal le prendre mais c'était de bonne guerre. J'avais voulu la vérité, quitte à ne pas lui faciliter la tâche et perdre. Peut-être qu'avec ma mère, c'est aussi ce que je devrais faire. Parler vrai. Sans prétextes et chemins détournés.
— C'est pour ça que demain, je prendrai sûrement le Magicobus pour vous rejoindre, chez toi. Il faudrait que j'aille sur le Chemin de Traverse, ai-je expliqué devant ses sourcils soudainement froncés. Tes parents m'accueillent gentiment, la moindre des politesses est de ne pas arriver les mains vides…
Olivier trouvait l'idée ridicule. Un simple regard suffit à me le faire comprendre. Pour le convaincre, je fus contrainte d'avouer une autre vérité.
— Il faut aussi que je trouve un cadeau pour mes parents, ai-je marmonné.
Surpris, il se redressa légèrement.
— Et qu'est-ce que tu as fait à Pré-au-Lard ?
Que les emplettes de Noël soient faites lors de notre sortie de novembre était une loi presque universelle. Dubois savait que je n'y dérogeais pas ces dernières années.
Ce que j'avais fait ? A part croire que Dean sortait avec Andy ? Pas grand-chose, je le reconnais.
— J'ai acheté des chocolats…
Pas un mensonge, mais pas vraiment toute la vérité. Peut-être qu'en lui expliquant, il n'aurait pas eu envie de se moquer.
L'entendre rire ne me vexa bizarrement pas. En fait, je crois que j'ai même bien aimé.
oOo
Derniers présents dans la Salle Commune, nous avons continué à parler jusque tard dans la nuit (voir tôt dans la matinée). De tout et de rien. De Peeves, de nos cours, du club, de Leah Hastings et des matchs à venir.
Il n'y a que pour l'épisode de l'Epouvantard qu'Olivier a fait une entorse à la règle tacite que nous avions adoptée (à savoir éviter tout ce qui avait trait à notre dispute et, hélas pour le coup, notre réconciliation), désireux de s'en excuser. Sans s'étendre, sans se justifier, juste pour me signifier qu'il regrettait. Chose que j'ai appréciée. Le temps de tirer les choses au clair viendrait bien assez vite, lui comme moi avions le droit de faire preuve d'un peu de lâcheté et de profiter de l'instant tel qu'il était.
Je pense m'être effondrée peu de temps à peine après que le Poudlard Express ait quitté la gare de Pré-au-Lard. Ma dette de sommeil ayant, en l'espace de deux nuits, atteints des sommets inégalés, ça ne m'a pas vraiment étonnée.
La première fois que j'ai piqué du nez, Andy (qui était alors en train de me parler de ce qu'elle ferait à Cambridge pour la fin d'année) s'est affreusement vexée. J'eus beau m'excuser, rien n'y a fait. Le fait que je me rendorme juste après, alors même qu'elle rouspétait et prenait Patch (de passage lors de sa tournée d'inspection) à témoin, n'a pas dû aider.
Mes amis durent avoir pitié de moi puisqu'ils me laissèrent dormir en paix, ne me réveillant qu'une fois le train à quai. A mon sens, la meilleure des idées. Je me sentais encore un peu dans les brumes, les coutures de la banquette sur laquelle j'avais basculée (et certainement bavée) incrustées dans ma joue, mais de bien meilleure humeur et tellement plus reposée.
Au point que, quand je leur ai demandé si j'avais une raison d'aller faire un tour devant la glace des toilettes avant de partir (comprendre : est-ce que, par le plus grand des hasards, des moustaches de chats n'étaient pas magiquement apparu sur mon visage pendant que je dormais ?) et que personne ne m'a répondu, je leur ai entièrement fait confiance et n'ai pas insisté. Et quand j'ai remarqué que personne ne m'avait attendu, je n'ai même pas râlé.
Je n'ai pas non plus mal pris le fait que, déjà sur le quai, ils commencent à s'impatienter. Du moins, j'avais interprété leurs appels un brin exaspérés de cette façon.
— June !
— J'arrive !
— Tierney !
Mon « C'est bon, j'arrive ! » était déjà nettement plus agacé. Le « Bouge ! », par contre, était de trop. Le sac sur l'épaule, je me suis précipitée vers la porte du wagon.
— Faut vous calmer, ai-je marmonné en les rejoignant.
Réunis au pied des marches, tous les quatre m'observaient en souriant. Presque bêtement. A croire que j'avais dit ou fait quelque chose d'hilarant.
L'espace d'un instant, j'ai regretté de ne pas avoir pris le temps de jeter un coup d'œil à mon reflet. Le chat n'avait peut-être été qu'une première étape, tout compte fait. Je décochai un regard noir à Hataway (le spécialiste en la matière) qui se mit à rire franchement.
— Quoi ? ai-je demandé, méfiante.
D'un simple mouvement de tête, Sean m'incita à mieux regarder.
Que ce soit clair, je venais de me réveiller et il y avait du monde absolument partout (puisque, je te le rappelle Journal, à de très rares exception, l'école entière avait fui le château). Il était donc plutôt normal que je n'ai rien remarqué.
J'ai d'abord aperçu les parents d'Olivier.
Puis j'ai vu avec qui ils discutaient.
— Papa ?
Je ne me souviens pas avoir crié. Cela dit, ça expliquerait que presque tout le monde ait sursauté. Lui le premier.
Il fallait me comprendre. Mon père n'avait rien à faire là. Aux dernières nouvelles, il devait travailler. Il me l'avait répété un nombre incalculable de fois. Pourtant, il était bien là, devant moi. Alors que je ne lui avais jamais dit que je quittais le château. Ce n'était pas un simple hasard, il l'avait su. Mais comment ?
D'émotion, ma gorge s'est serrée. Mon père (sûrement ravi de sa surprise et de voir que je peinais à m'en remettre) esquissa un sourire avant de s'écarter d'un pas.
C'est là que j'ai compris pourquoi tout le monde souriait. Pourquoi Olivier venait de se pencher vers moi, frôlant mon oreille, pour y murmurer un « Joyeux Noël, Tierney ».
Ma mère était là, tentant un sourire prudent.
J'ai fondu en larmes dans l'instant. Et avant même que je ne l'envisage, j'ai couru vers eux. Comme une enfant.
Les premiers mètres, j'ai eu de nouveau onze ans et l'impression de les retrouver pour Noël après les premiers mois passés à Poudlard, séparés d'eux pour la première fois.
Les derniers, je n'en avais plus que trois et ils étaient venus me chercher après ma première journée d'école (des torrents de larmes dont je n'ai personnellement aucun souvenir mais auxquels mes parents aiment faire référence en toutes occasions).
C'était exactement ça : je me suis sentie toute petite en courant, titubant, presque trébuchant, en larmes vers mes parents. Et comme une enfant, je me suis jetée (à mi-chemin entre le saut et l'effondrement) dans les bras de ma mère en sanglotant bruyamment.
L'impact manqua de l'emporter et de nous faire tomber.
Alors, je sais qu'il y avait du monde autour de nous. Je sais aussi que j'ai presque dix-sept ans. Mais je m'en moquais. Je venais juste de retrouver ma maman. Plus rien ne comptait.
— Juni, souffla-t-elle une note d'amusement dans la voix.
Pas un instant, je n'avais imaginé que les choses prendraient cette tournure mais j'avais appris de mes erreurs. Surtout ne plus perdre de temps. Il fallait que je sois claire et direct.
— M'man, je t'aime et je suis désolée.
Je pleurais tellement qu'entre deux sanglots, trois hoquets et un long reniflement, le tout avec mon visage enfoui dans son manteau, ce n'est absolument pas sorti comme ça.
Ma mère se raidit immédiatement. Reniflant, je reculai la tête doucement et la découvrit prise par l'émotion, aux bords des larmes, me souriant doucement. Elle m'avait compris. La magie des mamans.
— C'est moi qui suis désolée, chuchota-t-elle en me reprenant dans ses bras. Je t'aime aussi, ma Juni.
Tout proche, mon père soupira, amusé, et vint déposer un baiser sur ma tête.
— Pas une pour rattraper l'autre… La prochaine fois, vous m'écouterez !
Un léger rire m'échappa. Me reculant, j'essuyai mes larmes du revers de ma main.
— Comment…
J'avais des centaines de questions à poser, à commencer par leur simple présence sur ce quai, mais je n'y suis pas parvenue. Ce n'était pas nécessaire au fond. Je n'ai pas eu besoin d'en dire plus.
— J'ai été bête, mon cœur, dit ma mère repoussant les cheveux de mon visage. J'en ai beaucoup parlé avec ton père. Ton professeur nous a contactés et je… on s'est rendu compte que…
Ma question était idiote en fait. Evidemment, avec tout ce qui était arrivé, MacGonagall avait dû mener sa petite enquête, ne serait-ce qu'en me voyant prendre ma place aux derniers moments. Et si ma directrice de maison avait gardé le silence, la fuite était probablement venue des parents de Dubois. Voir peut-être même d'Olivier. Qui d'autre était au courant ? Je jetai un regard à mon meilleur ami, auprès de ses parents.
— J'ai été stupide, reprit ma mère, m'arrachant à mes pensées. Pour rester polie.
— Et je…
— On reparlera de tout ça, me coupa-t-elle gentiment. Et sans crier, je te le promets.
Hochant la tête, je me fendis d'un sourire, avant de me tourner vers mes amis. Toujours là et visiblement ravis pour moi.
— Maman, tu te souviens sûrement de Sean, Dorys et Andy ?
Ma mère a été géniale. Non seulement elle s'est souvenue d'eux, mais en plus elle a eu un mot gentil à leur attention, trouvant Sean (qu'elle n'avait pas vu depuis plus de deux ans) incroyablement grandi et les filles à croquer.
Tout comme elle a été très génialement patiente quand, après les autres partis rejoindre leurs propres parents, prise dans l'euphorie du moment, je me suis légèrement emportée.
— Là-bas, près du wagon, ce sont Matthew et Borys, les camarades de dortoir des garçons. Et eux, ce sont des Serpentards, mais on s'en fout. Quoi ? me suis-je défendue réalisant que les Serpentards en question avaient entendu et pas forcément apprécié. Oh, ça va, désolée ! Bon, là, ce sont des Serdaigles. Ah, O'Donnell, un très bon joueur de Quidditch. Et lui… Ben, je ne sais pas qui c'est… Oh, et elle, c'est Dorothy, notre préfète ! Ma maman, ai-je expliqué à l'attention de Dorothy qui s'était arrêtée, intriguée. Joyeux Noël à toi aussi ! (et j'ai tâché d'ignorer le regard entendu qu'elle a coulé en direction d'Olivier). A tous les coups, on a dû rater Patch. Et c'est dommage, Percy et Pénélope sont restés à Poudlard. Tu les aurais adorés, ils…
— Et c'est ainsi que commença l'interminable présentation de l'ensemble des élèves de Poudlard… me coupa mon père moqueur, avant de récupérer mon sac et de prendre la direction de la barrière magique.
— Une autre fois, me rassura ma mère lui emboîtant le pas, alors que je grimaçais désolée.
Acquiesçant d'un hochement de tête, j'allais la suivre quand Flaherty nous dépassa, sans Amy à ses côtés.
— Bye Tierney, me lança-t-il avec un clin d'œil.
Je lui répondis d'un sourire et d'un geste de la main, malgré tout un peu gênée.
— Et ça ? Qui c'est ça ? me demanda ma mère d'une voix traînante (et à qui, bien entendu, rien n'avait échappé).
— Personne, ai-je soupiré avec un vague haussement d'épaules.
Autant te dire que ce fut loin de la convaincre. Merlin merci, Dean avait eu la bonne idée de ne pas m'appeler Jinxie.
— Oh, et bien, ce « personne » est absolument charmant !
Un sourire embarrassé m'échappa. Il aurait été vain de chercher à nier. Pour autant, je n'étais pas encore prête à aborder le sujet. Pas ici et comme ça. Ma mère n'insista pas et, avec un sourire entendu, rejoignit mon père et les parents d'Olivier, quelques mètres devant.
— Flaherty est un crétin !
La voix de mon meilleur ami me fit sursauter. A croire qu'il venait de se matérialiser à mes côtés.
— Quoi ? se défendit-il devant mon regard réprobateur. C'est vrai !
Dubois n'avait jamais vraiment porté Dean dans son cœur. Le moment était mal choisi pour expliquer ce que mon ex-petit ami avait fait pour moi. Pas sur le quai de King's Cross, avec nos parents à proximité. D'ailleurs en train de nous observer, presque amusés.
Après un haussement d'épaules, Olivier se remit à marcher. Je le retins par la manche. Un peu inquiet, même s'il s'efforçait de le cacher, il pivota lentement vers moi.
— Alors… ai-je hésité, relâchant doucement son manteau. Je ne resterai pas chez toi, finalement…
— Apparemment… fit-il, faussement pincé. Tant pis pour toi, tu rateras la dinde. Et les marrons !
Sa plaisanterie m'arracha un sourire amusé.
— Tu… Tu savais ?
Enfonçant ses mains dans ses poches, Olivier rentra le cou dans ses épaules, avant de reculer de quelques pas. C'est en le voyant esquisser un sourire que j'ai compris que je ne posais pas la bonne question. Un « depuis quand » était sûrement plus approprié.
— On se voit à la rentrée, Tierney !
Que les choses soient claires : j'étais absolument ravie de la tournure que les évènements avaient pris et il était clair que c'était avec ma famille que je voulais rester (et peu importait comment nous allions nous organiser). Mais j'avais aussi aimé, ces dernières heures, l'idée de passer quinze jours avec Olivier. Le regarder franchir la barrière et partir en compagnie de ses parents m'a légèrement attristé.
Je n'avais pas spécialement imaginé qu'il s'y passerait des choses. Cela voulait simplement dire que nous ne pourrions pas discuter, avoir la conversation qui s'imposait. J'avais tout mis de côté en me disant que ce moment viendrait vite et qu'avec ces deux semaines devant nous, nous ne pourrions pas y couper.
Pour l'instant, je devais y renoncer et attendre la rentrée (Dubois n'avait mentionné ni courrier, ni appel par voie de cheminée). De toute façon, même en état de grâce, vu le précédent de cet été, mes parents n'allaient pas comprendre que je demande à le voir, ne serait-ce qu'une journée. Je ne comptais en tous cas pas m'y risquer.
Ce n'était que partie remise. Et quelque part, un peu de temps ne nous ferait pas de mal. Je ne sais pas pour lui, mais de mon côté, certaines choses avaient sérieusement besoin de décanter.
oOo
Quelles étaient les chances pour que je sorte de King's Cross accompagnée de mes deux parents ? Infimes en temps normal, nulles dans ce contexte particulier. Comme tout ce qui s'est passé ces derniers jours, je n'aurais pas parié dessus la moindre Mornille !
Et pourtant, c'était bien ce qui était en train de se passer.
J'avais des milliards de questions à leur poser. Par un petit miracle, je les ai toutes retenues. Autant savourer ce moment surréaliste (je rentrais à la maison en compagnie de mon père et ma mère alors qu'il y a quarante-huit heures, je subissais les foudres vengeresses d'un esprit frappeur… le genre de retournement de situation qui se savourait !) et prendre les choses telles qu'elles se présentaient.
Jusqu'à la porte de l'appartement de mon père, nous n'avons parlé de rien d'important, évitant sciemment les sujets compliqués.
— Je suis désolée, Juni, regretta ma mère, toujours dans l'entrée, une fois mon sac posé. J'aurais adoré t'accueillir à la maison mais… C'est peut-être encore un peu tôt.
Et nous ne parlions pas de la brouille qui nous opposait. A la maison, il y avait (visiblement toujours) Edouard. Et lui n'avait pas d'instinct maternel à écouter, et des tas de choses à me reprocher.
— Si ça te convient, tu resteras à l'appartement. Mais je passerai te voir souvent ! ajouta-t-elle précipitamment. Et on fêtera Noël ensemble. La nouvelle année aussi, et…
J'opinai du chef. Pourtant, cela ne dut pas suffire à la rassurer puisque son sourire s'effaça doucement.
J'ignore ce qu'elle comptait ajouter, mais elle n'en eut pas le temps. Comme s'il avait senti que quelque chose était en train de se passer, la tête de mon père apparut alors dans l'encadrement de la porte du salon.
— Chinois ?
Les yeux ronds, je l'ai dévisagé. Ce n'est que lorsqu'il agita un menu dans sa main que je compris qu'il parlait du dîner. Après avoir obtenu mon joyeux assentiment (même si elle est plutôt bonne, la nourriture à Poudlard manque de friture et de diversité), il se tourna naturellement vers ma mère.
Je pensais sincèrement qu'elle refuserait. Son expression surprise ne laissait pas de doute, elle n'y était pas préparée. Elle avait sûrement d'autres projets qu'elle ne pourrait pas décommander. Pas sans soulever une nouvelle vague de haine contre le monde sorcier.
Je me trompais.
— Seulement si tu invites… dit-elle, attrapant au vol le menu que mon père, rieur, venait de lui lancer.
Je savais qu'ils faisaient des efforts pour moi. Je le voyais. Mais les moments où nous n'étions que tous les trois étaient trop rares pour ne pas les apprécier.
La commande prise, ma mère me confia ses affaires et partit dans le salon pour téléphoner. Nous savions tous à qui et pourquoi, mais personne n'en a parlé. Réfugiée dans la cuisine à la suite de mon père, je luttai contre ma curiosité instinctive et fermai la porte pour ne pas être tentée d'écouter.
— Je croyais que tu devais travailler, ai-je dit en me laissant tomber sur une chaise.
C'était maladroit, je le reconnais. Moi-même, j'étais censée être à Poudlard. Mon père, en train de lancer magiquement une vaisselle, me le signifia d'un regard entendu par-dessus son épaule.
— Je veux dire, ai-je bafouillé pour me reprendre, et ton déplacement ?
S'appuyant contre le plan de travail, il se tourna vers moi et croisa les bras.
— Ça m'a coûté deux matchs sur la saison prochaine mais Connie a accepté de me remplacer, soupira-t-il avant d'ajouter, avec un sourire. Encore que je n'ai pas véritablement eu à insister. Je crois qu'en fait, elle avait très envie de continuer à travailler.
— Mais ce n'est pas gênant pour… ?
Pour la grossesse de Connie ou pour son travail à lui. A l'un comme à l'autre, je ne voulais pas que ma décision attire des ennuis. Mon inquiétude coupable sembla l'amuser.
— J'adore mon travail, mais tu es ma fille. En tant que future maman, c'est un choix que Connie comprend. Même au dernier moment. Et puis honnêtement, avec son gros ventre, elle aura le stade et la zone mixte à ses pieds. Toute la rédaction le sait. Le journal ne pourra qu'y gagner.
A l'affut, je guettai sur son visage le moindre signe de regret. En vain. Rassurée, je pus enfin lui rendre le sourire qu'il affichait.
— Son mari, par contre, s'est montré nettement moins enthousiaste, grimaça-t-il en plongeant la main dans la poche de son pantalon pour en sortir son portefeuille. Pas impossible qu'il y ait une malédiction sur le dos des Tierney désormais !
L'idée l'a fait rire.
Pas moi. Question malédiction, j'étais à ça d'enfin m'en tirer, hors de question de replonger !
Constatant que je ne partageais pas son hilarité, il me décocha un regard étonné avant de hausser les épaules et de s'intéresser de près au contenu de son portefeuille. Le refermant, il s'éclaircit la gorge, avant de baisser la voix et de reprendre, bien plus gêné.
— Juni, sois gentille, regarde si ta mère n'a pas un peu de monnaie. Quoi ? se défendit-il alors que je le dévisageais avec des yeux ronds. Il me manque cinq livres. Aux dernières nouvelles, Mr Xu ne rend pas la monnaie sur un gallion.
C'est uniquement parce que je culpabilisais encore un peu pour son déplacement et le mari de Connie que je n'ai rien dit. Mais je l'ai pensé très fort. En règle générale, le concept, quand on invitait, c'était de payer.
Au regard qu'il m'a lancé, je crois que mon père a lu dans mes pensées.
— Je les lui rendrai ! assura-t-il en roulant des yeux, alors que de mauvaise grâce, je cédai.
Plein à craquer, le portefeuille de ma mère pesait son poids. Elle y avait toujours mis tout et n'importe quoi. Les sacs et les modes avaient eu beau se succéder, aussi loin que je m'en souvienne, elle n'en avait jamais changé. Un héritage de mon grand-père, je crois. Le vieux cuir était doux sous mes doigts. Le temps et l'usure en avaient patiné la couleur et avaient eu raison de certaines finitions.
— On pourrait aussi attendre et les lui demander, ai-je soupiré alors que mon père s'affairait à retourner tous les tiroirs en quête de petite monnaie. Rien ne…
Rien ne pressait. C'était ce que je comptais dire. Sauf qu'une fois le portefeuille ouvert, ce détail est vite devenu secondaire. Dans la fenêtre transparente, il y avait une photo. Un vieux cliché, là depuis si longtemps que les couleurs avaient commencé à passer.
J'avais onze ans, un horrible chemisier à fleurs et je me tenais devant la locomotive fumante du Poudlard Express, le jour de ma première rentrée.
Intriguée, j'ai été incapable de la sortir pour l'observer. La chaleur et les frottements l'avaient presque soudé au morceau de plastique. Seules les années avaient pu conduire à ce résultat.
— Elle aime aussi cette partie de toi.
La voix pourtant douce et basse de mon père me fit sursauter. Relevant la tête, je découvris qu'il avait mis un terme à sa chasse au trésor improvisée pour m'observer.
Il n'avait peut-être jamais eu besoin d'argent tout compte fait.
Caressant le cliché du doigt, je déglutis avec difficulté, la gorge nouée.
A la maison, ma mère avait fait encadrer quelques photos de moi, prises pendant les vacances, à l'école ou à la danse.
Dans son portefeuille, je partais pour Kenmare assister à mon premier match, je tenais ma baguette pour la première fois et je posai avec Bonnie, l'ancienne chouette de mon père qu'elle avait toujours adorée (et qu'à sa demande, on avait enterrée au fond du jardin, bien après que le divorce ne soit prononcé).
L'autre moi, le vrai moi. Caché certes. Mais pas à n'importe quel endroit.
Un sourire presque nostalgique aux lèvres, mon père approcha pour regarder les photos avec moi. Celle de Kenmare était de loin sa préférée, celle d'une époque où j'avais encore le bon goût de soutenir un club irlandais (une similaire trônait d'ailleurs sur le manteau de la cheminée). Frottant doucement mon crâne, il finit par marmonner.
— Il me faudrait quinze livres, en fait.
Un billet de vingt poche, il prétexta une urgence et s'éclipsa à l'instant même où, son coup de fil passé, ma mère nous rejoignit dans la cuisine, souriante bien que visiblement fatiguée. La ruse était grossière et ne trompa personne. D'un regard atterré, ma mère me le confirma.
Je ne savais pas exactement pourquoi il l'avait fait (culpabilisant pour son petit emprunt ou pour nous laisser l'occasion de discuter… peut-être même les deux, en vérité), mais repensant à ce que je venais de découvrir, j'ai choisi d'en profiter sans tarder.
— Ne fais pas attention à lui… souffla-t-elle doucement. Juni, est-ce que tu veux un peu de th…
— M'man, je suis désolée !
Que je l'interrompe pour entrer aussi abruptement dans le vif du sujet parut la surprendre. A moins que ce ne soit les excuses que je venais de formuler.
— Mon cœur, répondit-elle avec un sourire. Ce n'est p…
Pas nécessaire. Pas le moment. Pas à moi de me le faire. Peut-être. Certainement. Mais je m'en moquais.
— Non, l'ai-je coupé. S'il te plaît.
Je ressentais un besoin physique, presque viscéral, de m'excuser. Je savais que je ne portais pas l'entière responsabilité de tout ce qui était arrivé. Toutefois, je devais en assumer ma part. S'il fallait tirer une leçon de tout ça, c'était bien celle-là.
— Laisse-moi parler, l'ai-je supplié. Je… Je suis désolée. Et je regrette. Je n'aurais pas dû…
Je m'interrompis, cherchant les bons mots. Preuve que ma mère m'avait comprise, elle n'en profita pas et, prenant place face à moi, garda le silence, me dévisageant lentement.
— J'aurais dû accepter de partir avec toi, ai-je fini par avouer dans un souffle. C'était nos vacances et j'ai réagi comme une enfant capricieuse et gâtée. Je sais que tu nous aimes, l'Italie et moi. Enfin, j'espère que c'est encore le cas, ai-je marmonné.
Elle ouvrit la bouche pour parler (et j'espérais sincèrement que c'est pour un « oui ») mais, un sourire aux lèvres, je ne lui en laissai pas le temps.
— L'Italie, c'est un peu ton match de Quidditch à toi. Alors, je comprends ce que c'est de vouloir y aller.
Dit comme ça, je sais que ça paraît ridicule, Journal. Mais toute idiote qu'elle était, la comparaison était le seul moyen dont je disposais pour lui prouver que je comprenais ce qu'elle ressentait, dans toute sa gravité. Qu'en tous cas, j'essayais.
Ma mère leva les yeux vers le plafond mais esquissa un sourire lorsqu'elle les reposa sur moi.
— Je me suis sentie piégée ce jour-là, ai-je repris. J'ai mal réagi. Et Edouard…
Edouard l'avait fait exprès.
— Oui, me coupa-t-elle doucement. Je sais.
— Je n'ai jamais voulu te faire de la peine. Je m'en veux pour ça.
Avec tendresse, elle prit ma main dans la sienne et la serra. Son sourire trembla un instant, prise par l'émotion. Ma gorge se noua, à la simple idée que j'étais sur le point de tout gâcher.
— J'y ai beaucoup pensé, ai-je expliqué, me raclant la gorge, et j'ai souvent eu envie de t'écrire ou de t'appeler mais…
Une fraction de seconde, le courage me manqua. Dans ma tête, j'avais pourtant eu mille occasions de le répéter. C'était plus dur que je ne le pensais.
— Mais ce que tu m'as dit ce jour-là, ça m'a blessée…
Ma voix m'échappa et se brisa sur ce mot. A ma grande surprise, les larmes me sont montées. Ce n'était pas ce que j'avais prévu, ni ce que je voulais. Quand j'imaginais cette conversation, je le voyais adulte, sereine et apaisée. Je n'avais pas envisagé que le simple fait de verbaliser le cœur du problème me déstabiliserait.
Je n'osai pas regarder ma mère, de crainte de voir les dégâts que je venais de provoquer. L'espace d'une seconde, j'ai cru qu'elle allait se lever pour me prendre dans ses bras et me consoler. Elle ne l'a pas fait. Au contraire, sa main m'a doucement relâchée.
Les yeux embués, je relevai la tête vers elle, pour la découvrir pétrifiée.
Et je parle en connaissance de cause, désormais.
Elle parut revenir à la vie d'un soupir résigné. Du plat des deux mains, elle prit appui sur la table pour se lever.
— J'ai besoin de thé !
Mon cœur se mit à battre à tout rompre, me faisant presque trembler. Du thé ? Interdite, je la vis se diriger vers la bouilloire. La vaisselle en train de se faire ne lui facilita pas la tâche mais elle parvint à la remplir.
Elle n'avait vraiment rien à dire ? Rien à répondre à ça ?
— La mère de Marcy est passée l'autre jour au cabinet, m'annonça-telle d'un ton presque léger. Tu sais, elle vient tous les mois désormais.
Sous le choc, je me suis rattrapée à la table. Je lui ouvrais mon cœur, me faisant violence pour ne pas prendre la fuite encore fois, prête à assumer une conversation que j'aurais préféré éviter, et elle, elle me parlait de son travail au cabinet et de la fréquence à laquelle venait la mère d'une de mes amies d'enfance (accessoirement devenue pour moi une totale étrangère depuis des années). Je me contrefichais autant de la mère de Marcy que de ses petits problèmes de santé !
Est-ce qu'un « Je t'aime mon cœur, je ne le pensais pas et je suis désolée ! » était trop demandé ?
Ouvrant les placards à la recherche du thé, ma mère continuait, indifférente à la colère qui me montait.
— Apparemment, Marcy a gagné un concours de beauté. Ou de jeunes talents. Enfin, quelque chose du genre. Je ne savais même pas que ça s'organisait. Toujours est-il qu'elle a dansé et qu'elle a évidemment « subjugué » le jury ! On lui a même suggéré d'auditionner pour intégrer un ballet. Tu aurais dû voir sa mère, ajouta la mienne, une note consternée dans la voix. Elle ne parlait que de ça ! A l'écouter, c'était à elle que cette couronne avait été attribuée !
Ricanant à cette simple idée, ma mère essaya d'arracher deux tasses à la vaisselle magique.
Pour une raison idiote, elle avait toujours détesté que mon père se débarrasse de la sorte de cette corvée. Vu son claquement de langue agacé, je crois que le divorce n'y avait rien changé.
Ni le détail, ni l'attitude de la mère de Marcy ne m'ont amusée. Dans l'espoir de me canaliser, je fis battre nerveusement mon pied contre celui de ma chaise.
— Impossible de la faire taire ou de la faire changer de sujet, reprit ma mère dans un soupir. C'est à peine si elle s'est donnée la peine de me demander comme tu allais.
Un sifflement brisa le silence tout juste installé. Attrapant la bouilloire, ma mère vint la poser avec les deux tasses sur la table puis retourna chercher le thé. Préférant éviter de croiser son regard, je me focalisai sur les motifs du bois de la table.
— Et tu sais ce que je pensais tout ce temps ? Pendant tous les « Marcy a fait ci », « Marcy a fait ça », les concours de beauté, les ballets, les histoires du lycée ?
Baissant la tête, je ne pus déglutir, pouvant à peine respirer, la poitrine oppressée.
Il y avait très peu de chance pour que ce soit le fait que Marcy fasse justement ci et ça avec les garçons, comme j'avais essayé de le lui expliquer cet été.
Non, malheureusement, ma mère avait dû se dire qu'elle aurait rêvé de vivre ces choses là avec moi. D'avoir une fille comme Marcy. Malgré les ça et les ci.
Sauf que je ne voulais pas. Je n'étais pas prête à l'entendre. Pas une nouvelle fois.
— Ma fille est une sorcière.
Plus que ses mots, ce fut le ton de sa voix qui m'interpella. Je n'y ai pas trouvé ce que j'attendais. Pas de tristesse, pas de regret.
Mue par la curiosité, j'osai enfin lui faire face et découvris qu'elle souriait. Je ne m'étais pas trompée, c'était ça. De la… fierté.
— Ma fille est magique, continua-t-elle, tout en mettant le thé à infuser. On s'en fout des concours de beauté, des auditions pour les ballets. Sauf si pour toi, c'est important.
Elle avait ajouté ça précipitamment, me jetant un coup d'œil prudent. Déroutée, je secouai la tête. Ce qui sembla la rassurer, puisqu'elle reprit, nettement plus confiante.
— Ma June lance des sorts, elle concocte des potions. Disons qu'elle essaie ? rectifia-t-elle amusée alors que j'avais grimacé.
Elle m'observa un instant, attendrie.
— Ma petite Juni veut travailler au Ministère de la Magie.
Il y a quelques mois de ça, la perspective était pourtant loin de l'enchanter. Entre temps, quelque chose avait visiblement changé.
— Au septième étage, ai-je toutefois rappelé dans un marmonnement. Au département des jeux et sports magiques.
Et encore, le septième étage du Ministère était bien plus riche que ça (en quatre mots : Quidditch, Bavboules, Brevets saugrenus).
— Ça reste le Ministère. A ton âge, qui envisage ce genre de carrière ? Même si j'imagine que les choses sont légèrement différentes chez les sorciers…
Ma mère disait vrai. Après les ASPIC, nombre de mes camarades finiraient par y travailler. Peu en revanche l'avaient déjà décidé. A part Percy qui briguait le poste de Ministre de la Magie, le compte était vite fait.
Les sourcils froncés, je l'ai dévisagée. Etait-ce une façon tordue de m'expliquer qu'elle n'était pas mécontente de ce que j'étais (une sorcière nulle en potions dont la contribution à la société se limiterait au sport sorcier) ? Parce qu'à la façon dont elle l'avait dit, dans cette guerre d'ego maternel, on aurait presque pu croire que tout ça battait l'enfant chéri de la danse et des concours de beauté.
Ne sachant quoi répondre (ou même penser), la plaisanterie fut tout indiquée.
— Mange ça, Marcy !
— Mange ça, la mère de Marcy, a-t-elle aussitôt tenu à rectifier.
Elle m'adressa un sourire amusé avant de rapidement recouvrer son sérieux.
— A tout faire pour protéger ton secret, on en oublie les raisons qui nous poussent à le cacher. La honte n'en est pas une. Elle ne l'a jamais été. Si c'est l'impression que je t'ai donnée, Juni, j'en suis désolée.
Comme une vraie claque, la justesse du propos me frappa.
Au début, il y avait un côté presque drôle à cette double-vie et je m'appliquai, lorsque je revoyais mes anciennes amies, à ne rien laisser filtrer. Avec le temps (et sans m'acharner sur lui, je reste convaincue que l'arrivée d'Edouard a tout bousculé), ce petit jeu s'est transformé en véritable corvée. De protéger à cacher, le glissement s'est fait. De la pire des manières, au fil du temps.
Insidieusement.
Troublée par cette révélation, je gardai les yeux rivés aux volutes de vapeur s'échappant de plus en plus faiblement de ma tasse brûlante. Les oreilles vrombissantes, le son de sa voix me parut soudainement très lointain.
— Ce jour-là, je t'ai dit des choses terribles. Des choses que je regrette et dont je ne mesurais pas la portée. Je m'en veux de t'avoir blessée et d'avoir mis tant de temps à le réaliser. En tant que maman, je suis censée toujours trouver les bons mots mais… cette fois, j'ai merdé.
Le terme me fit relever la tête. Ma mère n'était pas du genre à jurer.
Le regard absent, elle souriait tristement.
— Tu étais une adorable petite fille, joyeuse, pleine de vie et qui mettait par accident magiquement le feu un peu partout. Et regarde-toi aujourd'hui, tu es devenue cette formidable jeune sorcière qui a abandonné sa tendance à la pyromanie.
J'esquissai un sourire embarrassé. J'avais remplacé le feu par les Strangulots ébouillantés et les vitres cassées. Si ma mère ne faisait aucun commentaire à ce sujet, c'est qu'elle l'ignorait. Maintenant n'était peut-être pas l'instant rêvé pour le lui expliquer.
— C'est facile aujourd'hui parce que je t'ai donné toutes les raisons de croire le contraire, mais je t'aime et je suis fière de ce que tu es.
— Même si je ne suis pas normale ? ai-je répliqué sans même le réaliser.
Elle encaissa le coup. Pourtant, je ne l'avais pas fait pour la blesser. Ni pour remuer le couteau dans la plaie. Je la croyais. Pas parce qu'elle était venue me chercher à la gare, ni parce que j'avais vu les photos qu'elle conservait. Elle était simplement sincère, ça se voyait. Elle le pensait.
Mais cette histoire de norme avait tout déclenché.
— C'est une conversation que j'ai avec ton père depuis toujours. A très juste titre, il m'a rappelé dernièrement que tu étais en âge de comprendre désormais et que c'était avec toi que je devais parler.
Bizarrement, ce fut loin de me rassurer. Ce n'était pas l'emportement d'un instant. Le problème avait donc toujours été là, sans jamais être réglé. Pas certaine d'être véritablement prête à l'entendre, j'ai senti l'angoisse me serrer le ventre. Ma mère semblait chercher par où commencer.
— Te laisser partir pour Poudlard est la chose la plus dure que j'ai eu à faire, finit-elle par se lancer. Pas parce que tu es une sorcière et que ça symbolisait cette réalité. Mais parce que tu n'avais que onze ans.
J'ai repensé à la photo, à mon premier départ sur le quai de la gare. Dans mon souvenir, j'étais contente et terrifiée. Je m'étais efforcée de ne pas pleurer. Je me rappelle que le sourire de mes parents sur le quai m'y avait aidé.
Les années suivantes, j'avais vu le même sourire chez d'autres parents, accompagnant pour la première fois leur enfant. Un sourire plus fragile que je ne l'avais pensé mais toujours vaillamment affiché. Les larmes étaient rapidement essuyées dès que les enfants avaient le dos tourné.
— C'était la chose à faire, reprit ma mère, m'arrachant à ce souvenir. Tu devais suivre cette éducation. J'ai peut-être espéré parfois que ce courrier n'arrive pas, mais au fond, la question ne se posait même pas. J'avais simplement peur que la maison soit tellement… vide sans toi. Et c'est le cas.
J'avais rejoint Poudlard en me disant que ça soulagerait mes parents. Qu'ainsi, ils n'auraient plus à s'inquiéter à propos de mon secret, de ce que je deviendrai. Qu'ils arrêteraient de se disputer, forcément.
J'avais onze ans, et tout faux, accessoirement.
La culpabilité me submergea.
Ces dernières semaines mises à part, j'étais heureuse à Poudlard. Mon père s'était plongé dans son travail et ma mère avait refait sa vie. Je pensais qu'une forme d'équilibre avait été trouvée. Je ne me posais pas plus de questions que ça. Bien entendu, ils me manquaient, et je savais que je leur manquais également. Je n'imaginais simplement pas autant.
— C'était inéluctable, ce moment devait arriver. Je le savais. Je m'y étais préparée, dès l'instant où j'avais compris que je construirais quelque chose avec ton père, dès l'instant où il m'avait avoué ce qu'il faisait à King's Cross le jour où je l'avais rencontré, en vérité... rectifia-t-elle, malgré elle amusée par ce simple souvenir. Pourtant, il ne se passe pas un jour sans que je repense à ton départ. Les années défilent, les rentrées se succèdent, mais c'est toujours aussi compliqué. Et même si je sais que tu t'épanouis là-bas, même si je sais, et je l'ai bien vu aujourd'hui, que tu es bien entourée et que c'est ce qu'il y a de mieux pour toi, même si je sais que cette chance ne se refusait pas, je… je regrette de ne pas pouvoir être là, et que tu grandisses loin de moi.
Je n'ai rien trouvé à dire pour une fois. Je ne savais rien de tout ça, je n'imaginais pas qu'elle puisse ressentir ça, vivre les choses de cette façon. Désarmée et un peu peinée, j'ai même été incapable de, ne serait-ce que la rassurer.
Ma mère se racla la gorge et, pour se redonner courage et contenance, s'accorda le temps de savourer une gorgée de thé.
— Ton père joue les durs parce que, Poudlard, il est « passé par là », dit-elle en tentant une pâle imitation, mais il n'en pense pas moins, crois-moi !
Et je n'en doutais pas. Je me suis sentie sourire, presque malgré moi.
— Si tu pouvais être à Poudlard et rentrer tous les soirs à la maison, ce serait parfait. Mais apparemment, ce n'est pas possible. Vous ne pouvez pas vous délocaliser. Ton père a vaguement essayé de me l'expliquer.
La connaissant, je ne doutais pas qu'elle l'ait même convaincu d'aller se renseigner. A cette simple idée, un reniflement amusé m'échappa. Ma réaction sembla la rasséréner.
— Je sais que ces dernières années n'ont pas été faciles pour toi, tenta-t-elle, coulant un regard prudent dans ma direction. Et j'ai bien conscience des efforts que tu fais. Je n'avais pas le droit de te reprocher quoi que ce soit. Enfin, à part cette histoire de match et le fait que tu me préfères Olivier.
La dernière chose à laquelle je m'attendais était qu'elle mentionne directement Dubois. Surtout de cette façon-là. A mon grand regret, j'ai senti mes joues s'empourprer. Ma mère n'y fit bizarrement pas allusion. Ce détail n'avait pourtant pas pu lui échapper.
— Le reste, conclut-elle portant de nouveau sa tasse à ses lèvres, était injuste et maladroit. Je n'avais pas le droit.
— Alors, fis-je après un moment (le temps de digérer tout ça), tu ne regrettes pas que je sois comme ça ? Que je sois juste… moi ?
Je ne serai jamais comme Marcy ou Mary. Pas d'école réputée, pas d'études à Oxford, pas d'auditions pour un ballet ou de concours de beauté. Quoi que je fasse de ma vie de sorcière, ma mère n'aurait certainement jamais l'occasion de pouvoir en parler. Encore moins de s'en vanter. Contrainte toute sa vie de garder le secret, obligée de mentir dès qu'une question lui serait posée.
N'importe quel parent pourrait nourrir des regrets.
— Quelqu'un a dit un jour que la normalité était une route pavée. On y marche bien, mais les fleurs n'y poussent pas. Donc, non, tu n'es pas normale, Juni. Tu es plus que ça.
Elle en était convaincue, je le sentais. Pourtant, il y avait quelque chose d'incroyablement triste dans ce constat.
— Mais ça n'a pas l'air de te faire plaisir, ai-je signalé avec prudence.
— Mon coeur… Dans toute cette histoire, le problème ne vient pas de toi. Malheureusement, la route pavée, c'est moi.
Voyant que je ne saisissais pas, elle fut contrainte de développer.
— Je… je ne suis pas comme toi, je ne suis pas une sorcière. Je ne comprendrai jamais ce que tu vis, et ce que tu seras amenée à traverser. En tous cas, pas aussi bien que ton père. Ressentir la magie, aller à Poudlard, voir les merveilles du monde sorcier… M'habituer à votre manière de vous habiller ou votre système de monnaie ! Cette vie là, je ne peux pas la partager avec toi. Tu peux m'en parler, tu peux me la raconter, mais je ne saisirai vraiment jamais.
Il n'y avait pas une once d'amertume dans son expression ou sa voix. Juste une forme de mélancolie apaisée, comme si ces aveux la libéraient d'un poids. Elle s'y était résignée.
Certaines choses étaient plus faciles à évoquer avec mon père. Poudlard, les cours, l'actualité du monde sorcier. Parce que, de fait, il comprenait. Ma mère m'avait toujours paru plus réticente, plus en retrait sur ces sujets, limitant ses questions aux gens que je côtoyais. J'avais fini par croire que cette forme de répartition l'arrangeait.
— Je sais que c'est idiot parce que tu grandis et que les enfants doivent prendre leur envol et que, clairement, je ne suis plus une gamine de douze ans, mais je n'arrive pas à chasser l'idée que je suis en train de perdre. De te perdre. C'est une sensation vertigineuse, qui me bouffe et me ronge, au point parfois que j'en perdrai la tête. Quoi que je fasse, j'ai l'impression que le fossé se creuse irrémédiablement entre nous et qu'un jour, cette part du monde et de la culture moldue qui te vient de moi ne fera plus le poids. Et que tu nous mettras de côté, elle et moi. Comment on pourrait te le reprocher ? Ton père te vend du rêve, alors que moi…
J'aurais voulu la contredire, lui assurer qu'elle se trompait. Mais qu'est-ce que j'en savais ? Rien, absolument rien. Et c'était bien le problème. J'ignorais tout ça. Je ne m'en doutais même pas. Et j'aurais pu continuer longtemps comme ça, sans jamais avoir la moindre idée de ce qu'elle pensait et de ce qui la tourmentait. Sans peut-être même m'apercevoir qu'elle souffrait.
Alors, en fait, elle nous enviait ça, à mon père et moi ?
Le monde sorcier avait certes plus d'attraits et je continuais chaque jour d'en apprendre les subtilités. Mais je savais d'où je venais. J'étais moldue autant que sorcière, anglaise et irlandaise. Je tirai une richesse de ces antagonismes là. Cette double-culture, mis à part quelques extrémistes encore arriérés, beaucoup l'enviait. Et pas juste quand les examens d'Etude des moldus approchaient.
Les sorciers avaient la vie facile, avec la magie de leur côté. Les moldus affrontaient les épreuves avec leur seule ingéniosité. Un pied dans chaque monde, j'étais bien placée pour voir les échanges et les emprunts qui, parfois même inconsciemment, se faisaient. Malgré une histoire commune plutôt compliquée, ces deux univers étaient plus imbriqués qu'on ne le pensait.
Les moldus n'avaient pas rougir de ce qu'ils étaient. Je ne l'avais sûrement pas assez dit ou montré.
Mes doigts furent pris d'un léger tremblement. Les larmes aux yeux, je serrai un peu plus ma tasse entre mes mains pour le calmer.
Quoi qu'en pense ma mère, je n'allais pas la mettre de côté. Quelle que soit ma vie future (même si j'avais une idée assez précise de ce qu'elle serait), je ne comptais pas tirer un trait sur elle et le monde qu'elle incarnait. Elle faisait partie de moi.
— J'imagine qu'en fait, en repoussant au loin tout ce qui avait trait à la magie, j'essayais seulement de te garder encore un peu avec moi, souffla-t-elle doucement en se levant pour rincer sa tasse, maintenant que la vaisselle était terminée. C'était stupide, je sais. Mais à quoi bon être dans la norme et avoir le reste du monde de mon côté, si toi tu n'y es pas ?
— Maman, c'est pas du tout ce que je …
Je m'interrompis lorsque, se tournant vers moi, je découvris son sourire las.
— Oui, maintenant, je le sais. J'ai seulement mis du temps à m'en rendre compte. Je ne serai probablement jamais aussi « cool » que ton père. Mais si tu es d'accord, je veux essayer. Je finirai bien par comprendre et je suis sûre que tu as des tas de choses à m'expliquer.
Demande inattendue et qui pour le coup ne ferait pas du tout plaisir à Edouard, mais qui m'a profondément ravie.
— Bien sûr !
Mon enthousiasme non dissimulé parut l'amuser.
— Evite juste le Quidditch, s'il te plaît, me demanda-t-elle avant de baisser la voix et de désigner de la tête la pièce d'à côté. Avec lui, j'ai déjà donné.
C'était effectivement par là que je comptais commencer. Mais je saisissais. Pour la paix de la famille, nous éviterions donc le sujet (comme celui de la Chambre des Secrets).
Vidant ma tasse d'un trait, je me levai à mon tour et la rejoignis devant l'évier.
— En tant que maman, je continuerai à dire des bêtises, à insister lourdement ou à m'inquiéter constamment pour ton avenir dans le monde sorcier. Crois-bien que j'en ferais tout autant si tu choisissais de revenir parmi les moldus. Mais, reprit-elle avec un sourire, même ces moments-là ne remettront pas en cause le fait que je sois fière de toi. Entends-le June, quoi que tu fasses, même si je ne suis pas toujours d'accord, et même si tu ne le vois pas, je te soutiendrai. Je râlerai certainement et critiquerai sans aucun doute tes choix. Mais je serai avec toi. Ces derniers mois me l'ont rappelé. Je ne me pardonnerai jamais de t'avoir laissé douter à ce sujet.
Et là, j'avais ma vérité. Pas forcément belle, pas facile à entendre. Une partie devait encore sûrement m'échapper.
Mais maintenant, je comprenais. Et bientôt, je pourrais accepter.
Deux pas me suffirent à combler la distance qui nous séparait. Sans lui demander son avis ou lui laisser le choix, je me blottis dans ses bras.
— Tu es ma fille. Et je t'aime. Je veux que tu sois heureuse. Et si ça passe par la magie, soit.
Il restait encore du chemin pour réduire la magie au champ du Quidditch, mais c'était déjà ça.
— Tu as vraiment su que papa et toi auriez des enfants en apprenant qu'il était sorcier ? ai-je demandé en relevant la tête pour l'observer.
J'eus beau lutter, je ne pus retenir mon sourire amusé. Surprise, ma mère écarquilla les yeux. Ce n'était pas exactement les mots qu'elle avait employés, mais c'était bien ce qu'elle sous-entendait. Elle n'en avait peut-être pas conscience, mais elle l'avait fait.
— Evidemment, c'est tout ce que tu as retenu, se lamenta-t-elle en levant les yeux vers le plafond.
Mais quand elle me regarda de nouveau, elle souriait. Après m'avoir embrassé le front, elle me relâcha.
— Si ça peut te rassurer, ai-je dit, beaucoup de sorciers trouvent les moldus plutôt cools et plein de ressources.
L'idée même la fit s'esclaffer. Je ne disais pourtant pas juste ça pour lui faire plaisir, c'était vrai. Haussant les épaules, ma mère balaya tout ça d'un geste de la main.
— Tu es mignonne, grimaça-t-elle, mais je me suis faite une raison. Je sais pertinemment que le jour où tu lui ramèneras un petit ami, ton père perdra sa place du parent le plus cool et sympa ! N'est-ce pas, Will ? demanda ma mère en haussant la voix.
Le ricanement de mon père nous parvint à travers la cloison.
— Et comment !
Un éclat de rire m'échappa. Qu'il ait laissé traîner une oreille (autant par curiosité que pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'effusion de sang) ne m'étonna pas vraiment.
La seconde suivante, il apparaissait, l'épaule nonchalamment appuyée contre le chambranle de la porte.
— Tu sais ce qui était cool ? me demanda-t-il un sourire goguenard aux lèvres. Ta mère forcée de mettre sa tête dans une cheminée pour parler au professeur MacGonagall !
— Tu as parlé à MacGonagall ? me suis-je écriée, incrédule, ma volte-face la faisant sursauter.
— Une femme très bien, répondit ma mère le menton relevé. A l'écoute et bienveillante.
De surprise, je m'étranglai à moitié. Ma directrice de maison possédait sans aucun doute toutes ces qualités. C'est juste que ce n'était pas nécessairement ce qu'on voyait chez elle en premier.
Peut-être qu'elle montrait plus facilement ce côté avenant de sa personnalité par voie de cheminée. Ou quand on ne faisait pas exploser les vitres d'un couloir entier.
Ayant une vague idée de ce dont elle et mes parents avaient pu discuter, je trouvai plus judicieux de m'abstenir de tout commentaire.
— On va dire ça… marmonna son père sceptique. Bref, j'ai bien mis… allez, une demi-heure pour convaincre ta mère de le faire. Plus dix minutes pour lui faire retirer la cagoule qu'elle avait mise pour se protéger. Cagoule qui, soit dit en passant Ellie, en cas de vrai feu, se serait enflammée et aurait brûlé tes cheveux ! ajouta-t-il avec un sourire en se tournant vers sa mère.
— Ha ha ! Très drôle, Tierney.
Fier de lui et de sa plaisanterie, mon père se tourna de nouveau vers moi.
— Puis, il a fallu expliquer au professeur MacGonagall pourquoi elle n'a rien vu d'autre que les apparitions et disparitions d'une main pendant cinq bonnes minutes.
Les sourcils froncés, je pivotai naturellement vers ma mère, en quête d'explications.
Après avoir foudroyé son ex-mari du regard, elle rendit les armes et les épaules basses, dut se résoudre à avouer.
— J'étais censée mettre mon visage dans la cheminée, je voulais simplement être sûre de ne pas me brûler.
C'était mal de se moquer. Mais je n'ai pas pu m'en empêcher. C'était tellement quelque chose que j'aurais été capable de faire. La parenté était dure à renier. J'étais prête à parier que MacGonagall avait dû y penser.
— Ok, fit ma mère légèrement vexée. Bien, William, si on parlait de la première fois où tu t'es servie d'une machine à laver…
Mon père, hilare, se renfrogna aussitôt.
— Celle que j'ai rachetée était mille fois mieux !
Il s'avéra que mes parents avaient des tas d'anecdotes à raconter. Toutes plus ridicules et gênantes les unes que les autres. L'adaptation au monde de l'autre ne s'était pas faite sans difficulté. Aux premières loges, je les ai observés se renvoyer la balle et sourire, souvent malgré eux, aux souvenirs que l'autre évoquait.
J'ai renoncé il y a bien longtemps à l'idée de les voir se remettre ensemble. Ils avaient leurs raisons, de bonnes raisons de se séparer. J'en arrivais même à me dire que je n'y étais peut-être pour rien, tout compte fait… Mais j'appréciais toujours d'avoir sous les yeux la preuve qu'à un moment ou à un autre, ils s'étaient aimés. Ici en l'occurrence, les restes évidents d'une complicité.
Des restes d'ailleurs plutôt frais à en juger par l'expédition à Pré-au-Lard qu'ils avaient montés en novembre dernier, dans le vain espoir de me croiser. Un fiasco total sur l'objectif premier mais ils avaient l'air de s'être vraiment amusés.
Seule l'arrivée du livreur mit fin aux hostilités.
Le dernier ravioli englouti, ma mère dut se résoudre à nous quitter, me serrant longuement contre elle et remerciant une nouvelle une fois mon père pour le repas.
— Je t'en prie, tout le plaisir était pour moi.
Un reniflement moqueur m'échappa. Croisant mon regard, il eut le bon goût d'esquisser un sourire embarrassé. Je crois que c'est pour ça qu'il a insisté pour la raccompagner. La culpabilité.
Ou alors, il ne voulait pas dans l'immédiat lui laisser l'occasion de constater la disparition de toute sa monnaie.
oOoOo
Ce Noël restera comme l'un des meilleurs de ma vie.
Mon père, parti à l'aube pour le journal où les restes d'un article l'attendaient, m'avait proposé de passer le rejoindre à la salle de rédaction. Après quelques courses urgentes sur le chemin de Traverse, c'était ce que j'avais fait. Les locaux de Balai Magazine, d'habitude bruyants et bondés, étaient presque déserts. Seuls quelques retardataires et les malchanceux contraints de travailler durant les fêtes hantaient les lieux.
Cela dit, ils n'avaient pas vraiment l'air malheureux. Connie la première. Mon père n'avait pas menti, elle était même véritablement ravie. Insistant même pour me remercier quand au départ, je voulais surtout m'excuser.
— Tu ne t'es pas trop ennuyée ?
Le soleil était déjà en train de se coucher quand mon père et moi avons quitté le journal. Mon sourire suffit à le rassurer. Comment osait-il demander ? J'avais parlé Quidditch toute la journée. Duke (qui s'était bien entendu fait un plaisir de prendre des nouvelles d'Olivier) m'avait proposé de l'aider à développer ses derniers clichés. J'avais même découvert qu'ici aussi, le cas Hastings divisait ! C'était une excellente journée !
De la même façon que la petite heure initialement prévue au journal s'était transformé en journée, le crochet fait par l'Irlande pour voir Tante May avant de rentrer s'est légèrement allongé. Il était finalement minuit passé quand nous avons réintégré l'appartement.
Ce furent la voix de ma mère et les odeurs de cuisine qui me tirèrent des bras de Morphée au petit matin, le lendemain. Bien qu'ayant passé la soirée de la veille en compagnie des Marconi, elle était d'excellente humeur et visiblement ravie. Elle n'a même pas mal pris le fait que mon père lui offre un chapeau ensorcelé pour ses prochaines communications par cheminée.
Comme chaque année, le repas était beaucoup trop abondant. Et après avoir somnolé un instant tous les trois sur le canapé, nous avons dû nous résoudre à commencer à débarrasser.
Le bruit de la sonnette nous fit sursauter. Réunis dans la cuisine, nous avons tous échangé un regard surpris. Aux dernières nouvelles, nous étions tous là.
— Tu attendais quelqu'un ?
L'air légèrement agacé de ma mère m'arracha un sourire amusé, au moins autant que l'ardeur avec laquelle mon père se défendit. Une légère inquiétude me saisit malgré tout. C'était le jour du Noël, personne ne manquait à l'appel. Toute annonce ou visite ne pouvait être que porteuse de mauvaise nouvelle.
Et si Edouard s'était déplacé ? Et s'il venait chercher ma mère, ne supportant pas qu'elle passe les fêtes en compagnie de son ex-mari et de sa sorcière de fille ?
J'imaginais déjà le pire quand le bruit d'une pile d'assiettes lâchées dans l'évier me sortit de mes pensées.
— Juni, va ouvrir, s'il te plaît, soupira mon père.
Si c'était bien Edouard, je ne préférais autant pas. Mais ne pouvant leur expliquer (nous avions tous soigneusement évité d'aborder le sujet), je n'eus d'autre choix que d'obtempérer.
Traînant les pieds, je rejoignis l'entrée et entrouvris la porte avec précaution.
Mon cœur fit un bond.
Ce n'était pas Edouard. Bien au contraire.
— Joyeux Noël !
— Dubois ? fis-je abasourdie. Mais qu'est-ce que tu fais là ?
Ce ne devait pas être ce qui se voyait le plus en cet instant précis (j'imagine que le choc dominait), mais j'étais vraiment heureuse de le voir. Je pensais pour ça simplement devoir attendre la rentrée.
Mon meilleur ami ne tint pas compte de mon air ahuri et se fendit d'un sourire.
— Je suis venu te souhaiter de bonnes fêtes, expliqua-t-il, prenant soudainement un air presque vexé.
— Mais c'est Noël , Olivier!
— Je sais, répliqua-t-il un sourcil haussé. C'est tout l'intérêt.
Perdue, je n'ai même pas pris la peine de lui adresser un regard consterné. A cette heure et aujourd'hui, Olivier aurait dû être en famille chez lui, en Cornouailles. Pas au cœur de Londres, sur le paillasson de mon père, le souffle court et les joues rougies pour avoir bravé le froid et monté quatre à quatre les escaliers pour se réchauffer.
— Je voulais te remercier, reprit-il plus sérieusement. Pour ton cadeau. Vraiment, il ne fallait pas, Tierney…
Je détournai légèrement la tête, gênée. Le hibou envoyé la veille était donc arrivé. Je n'avais aucun mérite pour ça. Mon père lui avait fait dédicacer cette photo le mois dernier. J'avais simplement mis une éternité à la lui donner. Dubois n'aurait pas dû se déplacer.
— Tu aurais dû attendre la rentrée, Olivier, ai-je dit avec un haussement d'épaules. Je t'assure, ce n'était pas la peine de…
— Si, il le fallait !
Son ton sans appel me surprit. Je levai à nouveau les yeux vers lui. A en juger par l'expression déterminée qu'il arborait, il en était persuadé. Mieux valait, comme à chaque fois dans ces cas là, ne pas chercher à discuter.
— Tu veux entrer ? ai-je fini par proposer en désignant la porte derrière moi.
Le froid le faisait grelotter. Lui offrir une boisson chaude était la moindre des choses.
— Non, déclina-t-il avec un sourire. En fait, pour être tout à fait honnête, je suis venu pour ton cadeau… Si, June, il le fallait ! répéta-t-il voyant que j'allais protester.
Non, justement ! De frustration, je fis claquer ma langue contre mon palais. Ce cadeau ne m'avait rien coûté et je ne l'avais pas fait pour avoir quelque chose en retour. Vu tout ce que nous avions traversé, j'étais déjà bien contente que nous puissions à nouveau nous parler. Ne me juge par sur ce que je vais écrire Journal, mais le découvrir là, sur mon palier, le jour de Noël, était déjà une forme de cadeau.
Sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, il sortit du sac à ses pieds (que je venais tout juste de remarquer) une paire de… ce qui ressemblait à des patins à glace.
— Oh, fis-je surprise. Merci…
Je ne saisissais pas vraiment l'idée mais après tout, c'était l'intention qui comptait. Je m'efforçai de sourire le plus chaleureusement possible. Un peu trop ou pas assez. Dans les deux cas, Olivier ne fut pas convaincu puisqu'il éclata aussitôt de rire.
— Je t'emmène patiner ! finit-il par expliquer.
Ok, là, je comprenais déjà un peu mieux.
— Où ?
D'accord, il faisait froid. Mais la neige ne tenait pas mal en ville. Aujourd'hui, toutes les patinoires seraient fermées. Ne restait que le verglas, et mieux valait éviter.
Un léger sourire aux lèvres, Olivier guetta un instant ma réaction (visiblement, j'aurais dû répondre moi-même à ma question) avant souffler par le nez, amusé. Il sortit de son sac une autre paire de patins, aux lacets noués entre eux, qu'il suspendit autour de son cou.
— En Ecosse, finit-il par annoncer, satisfait. A Inchruin.
A voir briller la lueur ravie dans les yeux de Dubois constatant que je séchais toujours, j'eus la certitude que j'aurais dû savoir ce dont il s'agissait. Certes, le nom m'était vaguement familier. Mais patiner en Ecosse ? Je continuais à sécher. Infiniment satisfait de son effet, il finit par avoir pitié de moi.
— Paraît qu'il y a là-bas un lac salé qui gèle…
Un petit « oh » m'échappa. Le déclic s'était fait. Cet été, Londres, le métro bondé, le guide… Il s'en était souvenu ? Même moi, pourtant sensible aux détails (particulièrement à ceux qui le concernaient), j'avais oublié. Pas Olivier. Mon cœur s'est emballé. C'est idiot, mais cette attention m'a vraiment touchée.
— Ah bon ? ai-je fait, faussement surprise. Pourtant, les lacs salés ne gèlent pas…
C'était en tous cas ce qu'il avait affirmé, pour le simple plaisir de me contrarier. Il grimaça, légèrement embarrassé, et se gratta la tête à travers son bonnet un bref instant.
— Tu t'en es rappelé ? ai-je dit, maudissant intérieurement mon petit filet de voix.
— Tu sais, je… commença-t-il avant de prendre une inspiration profonde. J'écoute quand tu parles. Je sais que tu peux avoir l'impression du contraire et que souvent, presque tout le temps, l'oreille attentive, c'est toi. Mais moi aussi, quand tu parles, et que j'arrive à me taire, je t'écoute.
Tout ce temps là, je pensais être amoureuse d'Olivier Dubois. Conquise par l'ami qu'il était, séduite par l'homme qu'il deviendrait et qui doucement se dessinait. Mais ces sentiments n'étaient rien à côté de ce que j'ai ressenti, face à l'évidence qui s'est faite à cet instant.
Je l'aimais, tout simplement. Irrémédiablement. Mon cœur ne s'y trompait pas. Je l'aimais. Tellement. C'était même au-delà de l'entendement. Je sais que tout semble absolu et éternel pour les adolescents. Tout nous paraît plus vif, plus violent. Surtout les sentiments. Mais je sentais au plus profond de moi que c'était différent. Mes presque dix-sept ans n'avaient rien à voir là-dedans. J'aurais pu en avoir dix, comme cent. Mon corps le ressentait physiquement, presque douloureusement.
Je l'aimais pour ce qu'il était, imparfait à souhait.
Comment est-ce qu'il faisait ? Comment est-ce qu'il s'y prenait ? Il est capable du pire quand il se met à parler (ou à écrire, comme par exemple lorsqu'il rompait avec sa petite amie par courrier), et parfois, il arrive à ça… A me bouleverser, me condamner, me faire tout oublier. Juste parce qu'il m'expliquait qu'il m'écoutait parler.
— Et, bredouilla-t-il indifférent à mon trouble d'une voix un peu moins assurée, je sais aussi reconnaître quand j'ai tort. Même si ça prend du temps… Beaucoup de temps.
Gêné par cette confession, il s'éclaircit la gorge et gratta du bout de l'ongle une tache imaginaire sur l'un de ses patins.
Heureusement. Il m'aurait vu lutter contre l'envie de me jeter sur lui autrement.
J'allais le faire. J'allais le prendre dans mes bras, le serrer contre moi, lui retirer son bonnet et glisser ma main dans ses cheveux. Caresser sa joue avant de l'embrasser. Lui dire merci et que je l'aimais. Qui ne voudrait pas en faire autant après ça ?
Nous étions sur le palier de l'appartement de mon père. Mes parents étaient là, à quelques mètres seulement. Nous ne nous étions pas parlé pendant si longtemps, rien n'était vraiment réglé. Mais je m'en moquais. Je le voulais.
Sans tout ce que nous avions vécu dernièrement, je n'aurais certainement jamais osé.
Ne souhaitant pas le prendre à défaut, je pris sur moi pour ne faire d'abord qu'un simple pas, les bras légèrement écartés afin de lui faire comprendre ce qui allait se passer (pour le moment, simplement le prendre dans mes bras).
Quand il le réalisa, il recula aussitôt d'un pas.
Ce qui eut l'avantage de tout clarifier. Le choc me fit tituber. Plus claque que douche froide, son mouvement de recul me laissa sonnée. Au point qu'un rire nerveux manqua de peu de m'échapper. Pour le coup, il n'y avait pas mille façons de l'interpréter. Maintenant, j'étais fixée. J'aurais sûrement dû faire comme si de rien n'était. Tout ce dont je fus capable fut d'espérer que mon visage ne soit pas aussi rouge que je ne le pensais.
Qu'est-ce que je m'étais imaginée ? Je m'étais laissée abusée par… je ne savais d'ailleurs pas quoi exactement. Me couvrir de ridicule était un don que je cultivais, j'aurais pourtant dû y être habituée.
Les oreilles vrombissantes, les yeux rivés au carrelage du palier, j'étais incapable de le regarder. Je croisai mes bras contre ma poitrine, autant pour feindre l'assurance que pour me rassurer.
— Non, je… tenta Olivier quand il s'aperçut de ma gêne. C'est… en fait, c'est… pour pas te…
Construire une phrase était visiblement hors de sa portée. Tu m'étonnes. J'avais tout gâché. Cela dit, c'était gentil de sa part d'essayer de me ménager. Je voyais mal quoi d'autres aurait pu le gêner.
Un tintement métallique me fit sursauter.
A part les patins.
Les siens reposaient à ses pieds désormais. Qu'est-ce qu'il faisait ? La curiosité eut raison de ma honte. Avec prudence, je relevai les yeux vers lui, les sourcils froncés. Olivier m'observait, une main sur la nuque, la tête légèrement penchée.
Il ne prenait pas la fuite ? Il restait là ? Ça ne le dérangeait pas ? En apnée et paumée, je ne savais pas vraiment comment tout interpréter. Je ne voulais surtout pas prendre le risque de me planter. Il n'avait pas de raison d'accepter un câlin, je ne pleurais pas cette fois. Cela dit, avec ces émotions fortes, je n'en étais pas loin.
— Juni ?
La voix de ma mère et le bruit de pas qui approchait m'arrachèrent brutalement à mes pensées.
— Oui ? ai-je répondu d'une voix légèrement éraillée, alors qu'Olivier, tête baissée, tapait sur le sol la pointe de ses chaussures.
— Qui c'… Oh.
Les mains couvertes de mousse (comme quoi, elle avait fini par convaincre mon père de s'y prendre à la manière moldue), elle apparut dans l'embrasure de la porte.
La panique me gagna. Comment j'allais pouvoir lui expliquer la présence d'Olivier ? Elle avait sacrifié son Noël avec son compagnon pour venir ici. Je ne voulais surtout pas qu'elle le prenne mal ou qu'elle s'imagine que je m'étais déjà organisée pour que Dubois vienne. Mon père et elle me l'avaient déjà suffisamment fait remarquer.
— Mme Weis ! la salua Olivier avec un large sourire avant d'ajouter voyant que mon père (un torchon et une assiette propre à la main) nous avait aussi rejoint. Mr Tierney !
Les sourcils froncés, mes parents se tournèrent vers moi, dans l'attente d'explications. Ils ne me croiraient jamais. Pas plus qu'ils ne me laisseraient aller faire du patin avec Olivier, même sur un lac gelé, même si c'était le plus adorable des cadeaux qu'on ne me ferait jamais. Pas après tout ça.
Du regard, j'appelais mon meilleur ami au secours.
Aussi fus-je sincèrement surprise quand ce fut mon père qui parla.
— Tu es en avance, Olivier, dit-il en jetant un coup d'œil à sa montre. Juni n'a toujours pas fini de débarrasser.
Une fraction de seconde, cette phrase a tourné et retourné dans ma tête. Jusqu'à ce que je la comprenne, que je saisisse ce que cela impliquait.
Alors, il savait ? Mon père savait qu'Olivier viendrait ? Je surpris le regard amusé de ma mère. Rectificatif, ils savaient ! Ils s'étaient concertés. Dubois avait organisé ça dans mon dos. Il était à l'origine de tout ça ! Parce qu'il n'y avait que lui pour avoir cette idée. Le lac, nous n'étions que tous les deux quand nous en avions parlé. Ce n'était pas quelque chose qu'il se serait amusé à raconter. Qui ce détail idiot aurait pu intéresser ?
Mais… Quand ? Et comment ?
Mon meilleur ami n'était pas peu fier de lui. A son attention, j'articulai silencieusement un « merci ».
— Je peux ? ai-je demandé, avec une légère grimace en me tournant vers mes parents.
Ils avaient d'une certaine manière déjà donné leur accord, en participant à cette surprise, mais par prudence et par égard pour eux, je préférai m'en assurer.
— Ne traînez pas, signala ma mère s'essuyant rapidement les mains avant de me tendre ma veste et mon bonnet. Nous vous rejoindrons après…
— Une fois la vaisselle faite, marmonna mon père à regret.
— Parce que vous venez ? ai-je demandé, en me couvrant.
Ok, ce n'était sûrement pas la chose à la plus intelligente à dire. Surtout d'un air aussi ahuri (mais cela se justifiait totalement, qu'est-ce que mes parents, divorcés, auraient pu vouloir faire le jour de Noël à Inchruin, alors que nous étions réunis tous ensemble pour la première fois depuis longtemps pour les fêtes de fin d'année ?).
Je l'ai entendu, ça a sonné comme si j'étais déçue. Si ma mère et Dubois préférèrent en rire, mon père, lui, se contenta d'un sourcil levé. Mettre mon bonnet me permit de me soustraire à son regard acéré.
— Mes parents sont en bas, m'expliqua Olivier une fois que la porte de l'appartement fut refermée. Ce sera plus simple pour y aller de transplaner.
Je hochai la tête avec lenteur. Quelque part, que nous ne soyons pas seuls m'a soulagée. En sa présence, j'avais malheureusement de plus en plus de mal à me contrôler. Cela m'empêcherait de faire quelque chose que je pourrais regretter. Au choix, l'embrasser et lui dire que je l'aimais.
Les parents de Dubois nous attendaient effectivement au pied de l'immeuble et m'assurèrent qu'ils étaient ravis de nous accompagner quand je m'inquiétai d'avoir troublé, malgré moi, leur fête de Noël. A vrai dire, ils paraissaient même plutôt contents de la surprise que leur fils avait préparée.
Mais tout investissement d'Olivier dans un domaine autre que le Quidditch ne pouvait que les enthousiasmer.
oOo
Pour tout un tas de raisons, cette sortie aurait dû baigner dans le romantisme. Un lac gelé, au cœur d'un paysage désert et enneigé. Olivier et moi seuls sur la glace avec les contacts que cela impliquait. Chutant ensemble en riant, nous aidant pour nous relever. Lui finalement obligé de me tenir par la main pour m'aider à avancer.
Pour quelques raisons bien précises, ça n'a nullement été le cas.
Déjà nos parents étaient là. Ce qui se suffisait en soi.
Ensuite, Inchruin, je l'ignorais, était un lieu réputé aussi bien chez les moldus que les sorciers. Et en ce jour de Noël, étonnamment fréquenté. Pour offrir une couche de glace suffisamment épaisse, lac salé ou pas, il y avait forcément de la magie à l'œuvre. Le guide moldu avait appelé ça « le petit miracle écossais »... Pour les sorciers, c'était plutôt un sortilège bien lancé.
Dubois et son scepticisme avaient donc toujours été plus ou moins dans le vrai. Mais trop occupé à s'inquiéter de la solidité de la glace mise à l'épreuve par la trentaine de patineurs qui l'arpentait (l'eau, même tiède, n'était pas l'amie d'Olivier), il ne se donna pas la peine de me le faire remarquer.
Quelques familles nombreuses avaient préféré le grand air à celui bien plus confiné de leurs salles à manger, heureuses de pouvoir laisser leur progéniture se défouler. Couples, groupes d'amis, jeunes ou personnes âgées, débutants comme confirmés, chacun essayait de se frayer un chemin sur le lac, tout en évitant soigneusement de croiser celui des Cognards hurlants (la glace a cet effet là sur les enfants). Tous les âges et tous les styles se mélangeaient. Difficile d'ailleurs de différencier moldus et sorciers. Quoi qu'à bien y regarder, ma mère avait raison : les Dubois mis à part, c'était bien souvent à de légers détails vestimentaires qu'on les reconnaissait.
Autant dire que pour l'atmosphère douce et le silence aouté des paysages enneigés, il fallait repasser.
Enfin, si sur la glace, j'étais loin d'être au point, je l'étais toujours plus qu'Olivier. Et malheureusement, je dois admettre que j'ai beaucoup plus ri que cherché à l'aider. Qu'il ait choisit cette activité alors qu'elle ne le mettait pas du tout en valeur m'a encore plus attendrie.
Après deux heures de gamelles et une dernière salve de jurons, l'athlète qu'il était jeta l'éponge et rejoignit la terre ferme en boitillant, une main sur les fesses. Faisant un rapide saut auprès de mes parents en pleine conversation avec ceux d'Olivier (conversation qui, je l'espèrerais, permettrait à mon père et ma mère de réaliser encore un peu plus la chance qu'ils avaient), je leur empruntai de quoi acheter quelques marrons au vendeur qui avait eu la bonne idée de venir s'installer.
Bien plus loin sur la berge, à l'écart du monde, Olivier s'était assis à-même la neige.
— Ça va ? ai-je demandé en approchant.
Mon intention première était de me moquer. Mais le voir grimacer en cherchant à s'étirer le dos, les deux mains sur les reins, m'a inquiétée.
— J'ai eu mon compte, répondit-il avec un sourire dépité. Mon coccyx et ma carrière n'y survivraient pas.
Rabattant mon manteau sous mes fesses, je pris place à ses côtés et lui tendit le sac de marrons (brûlants, comme j'ai pris soin de lui préciser, ma gourmandise m'en ayant fait faire la douloureuse expérience). Il déclina l'offre et ramena ses genoux contre lui.
Une salve de rires domina soudainement les cris des enfants et le brouhaha diffus des conversations. D'un même mouvement, comme une bonne partie des personnes présentes autour du lac, nous nous sommes tournés vers le groupe qui en était à l'origine. Nos parents.
Plutôt gênant.
J'avais craint un instant que cette sortie soit pour eux une corvée. Force était de constater qu'ils avaient plutôt l'air de s'amuser.
— De quoi tu crois qu'ils parlent ? ai-je demandé.
— De quoi tu veux qu'ils parlent ? répliqua Olivier d'un air entendu.
C'était bien ce que je craignais. Nos parents parlaient de nous.
Attention, Journal, je ne dis pas qu'ils parlaient de nous deux en tant que « nous ». Mais disons plutôt qu'ils devaient partager nos exploits respectifs dans l'unique but d'amuser la galerie (et Merlin sait qu'il y avait de quoi faire, autant sur moi qu'Olivier). Quoi que s'ils se contentaient de ça, j'en serais ravie. Humiliée certes, mais ravie.
A la gare, quand ils se croisaient, les parents se contentaient d'échanger des banalités. En une après-midi passée sur les rives d'un lac écossais, ils avaient malheureusement tout le temps de creuser. Grâce à la langue bien pendue de leur fils chéri, Mr et Mme Dubois savaient pour Dean Flaherty. Ma mère avait vu ses doutes se préciser depuis que nous l'avions croisé sur le quai. Autant dire que j'avais tout intérêt à ce que les informations de ces différentes sources ne puissent pas se recouper.
Et très honnêtement, mon ex-petit ami n'était pas le pire sujet qu'ils pouvaient choisir d'aborder.
Malgré tout un peu inquiète, je les quittai des yeux pour me tourner vers mon meilleur ami. A ma grande surprise, je découvris que ce dernier me regardait.
— Tu n'as rien dit à tes parents, pas vrai ?
Olivier n'eut pas besoin d'en dire plus. Même à demi-mots, je comprenais. Étonnée, je le dévisageai. Non, je n'avais toujours pas évoqué notre dispute. Comment est-ce qu'il le savait ?
— Je te connais, souffla-t-il simplement avant même que je n'aie posé la question.
— Et toi ? ai-je fini par demander. Ta mère le sait ?
Dubois racontait tout et n'importe quoi à sa mère. Il lui avait presque tout dit de mon ex-petit ami, avait écrit des romans sur l'infâme Flint et ses nouveaux balais. Alors, je n'imaginais pas les quantités de parchemins dont il avait dû avoir besoin pour lui expliquer que nous ne nous parlions plus parce que son pire ennemi était devenu mon petit ami. Du moins, dans son esprit.
Ma question arracha à Olivier un reniflement amusé. Il baissa la tête et creusa doucement la neige du talon de sa chaussure.
— Oh, elle doit se douter qu'il s'est passé quelque chose ces dernières semaines mais je n'ai rien dit. Et elle n'en a pas encore parlé.
Mes sourcils se froncèrent. Il n'avait rien dit à sa mère ? Pendant tout ce temps, il avait vraiment gardé ça pour lui ? Alors qu'il avait largement contribué à ce que tout Poudlard le sache ? J'avoue que j'avais bêtement cru qu'il s'était immédiatement et longuement plaint, le soir même où tout avait éclaté.
— Pourquoi tu n'as rien dit ? ai-je demandé, déconcertée.
Il reboucha le trou qu'il avait fait et ne répondit pas tout de suite.
— Parce qu'elle n'aurait pas été de mon côté, avoua-t-il dans un marmonnement, en évitant soigneusement de me regarder.
Un éclat de rire sincère m'échappa. Lui fut loin de partager mon hilarité.
— Olivier, tout le monde était de ton côté ! lui ai-je rappelé un peu plus durement que je ne le prévoyais.
Je ne me souvenais que trop bien du vide qui s'était progressivement fait autour de moi, de la sensation que l'école entière s'était ralliée à la bannière d'Olivier. Je pensais (à tort, maintenant je le sais) compter alors mes alliés sur les seuls doigts d'une main. Tout le monde avait cru à cette histoire, tout le monde l'avait plaint. La majorité silencieuse s'était bien gardée de prendre position, mais pour autant avait fini par m'éviter.
Je sais que j'ai sans aucun doute ma part de responsabilité dans ce phénomène, ayant probablement été durant cette période difficile à vivre ou même simplement à aborder. Mais dans les faits, je m'étais retrouvée isolée. Les gens étaient avec lui. Sa mère l'aurait été aussi. Nous pouvions avoir une vision différente de tout ce qui s'était produit, ce fait là en revanche ne pouvait pas être renié.
Aussi que Dubois fasse non de la tête me dérouta. Puis me révolta.
— Tu plaisantes ? me suis-je écriée, scandalisée.
— Tu réécris l'histoire, Tierney, rétorqua-t-il dans un soupir.
Il se moquait de moi ? Je réécrivais l'histoire ? Il allait devoir sérieusement m'expliquer à quel moment on était venu en masse me taper sur l'épaule en me disant « Tiens bon, continue comme ça ! C'est un abruti qui ne te mérite pas ! ». Hors de question de le laisser se victimiser maintenant, même pour protéger notre amitié fragilisée ! C'était peut-être ce que lui avait cru ou vu. Mais pour autant, ce n'était pas ce qui s'était passé.
— Ma mère n'aurait pas été de mon côté, reprit-il sombrement, sans me laisser le temps de répliquer. Elle m'aurait supplié de te récupérer.
Coupant net mon début de colère, le choix du terme me fit tiquer. Olivier dut le sentir puisqu'il reprit immédiatement.
— Enfin, tu vois ce que je veux dire. A l'écouter, les gens capables de m'apprécier, voir simplement de me supporter, pour de vrai et sur la durée, sont trop rares et trop précieux pour que je prenne le risque de les laisser s'échapper. En tous cas, pour de la fierté mal placée.
Flattée par ce compliment indirect (puisque j'entrais visiblement dans cette catégorie), quoi que bizarrement tourné, je sentis une soudaine chaleur gagner mes joues glacées.
— Tu sais, des tas de gens t'appré…
Son regard légèrement amusé me cloua le bec. Le « des tas » était de trop, je le reconnais.
— Tel que je suis ?
Peut-être pas tel quel, c'était vrai. A part moi et Hataway (les filles, Percy et ses camarades de dortoir, si j'élargissais un peu le cercle), le compte était vite fait…
— Toi par contre, les gens t'apprécient, telle que tu es, Juni. Et c'est pour ça qu'ils étaient de ton côté…
Un ricanement dubitatif exprima le fond de ma pensée. Il se trompait. J'étais loin, très loin, d'avoir sa popularité, tout agaçant et caractériel qu'il était. J'en avais eu la preuve quand les choses, pour moi, avaient commencé à tourner.
— Même s'ils ne te l'ont pas dit ! asséna-t-il les sourcils froncés, pensant certainement que l'argument suffirait.
— Olivier, arr…
— Sauf que toi, pour changer, tu ne le vois pas ! s'esclaffa-t-il, levant les yeux au ciel. Et après, on ose dire que je suis bouché.
Ahurie, le choc me laissa bouche bée. Il plaisantait ? C'était l'hôpital qui se moquait de la charité ! Sur ce point précis, je n'avais pas de leçon à recevoir. Aux dernières nouvelles, les comportements et sentiments humains étaient loin d'être son domaine d'expertise. De nous deux, j'étais quand même la plus qualifiée pour les décrypter.
Même avec mon jugement biaisé par ce que je vivais, si les gens avaient été avec moi et contre lui, je l'aurais forcément remarqué. Je l'aurais senti. Je ne pouvais pas m'être trompée à ce point et avoir nié la réalité !
— C'est vraiment frustrant, reprit-t-il distraitement, observant les patineurs sur la glace. Et… plutôt mignon, je dois avouer.
C'était bas de sa part. Il ne pouvait pas me balancer des vacheries (moi, bouchée ?) pour ensuite me sortir ça. A croire qu'il le faisait exprès. Parce que, faible que je suis, c'est tout ce que j'ai retenu. Mignon, il ne l'employait jamais à mon égard sans ironie ou au premier degré. La dernière fois, c'était parce que le coup de crayon de Sean m'avait déguisé en chat à l'insu de mon plein gré.
Me décochant un rapide coup d'œil, il se fendit d'un sourire, certainement ravi d'avoir réussi à me couper l'envie de protester.
— Fais-moi confiance pour cette fois, Tierney. Tu serais surprise de savoir combien ils ont été à me pousser à venir m'excuser.
Et il s'avère, comme Olivier me le confia un peu plus tard sans vraiment entrer dans les détails, que contre toutes attentes, il avait réellement essayé. Le jour du match, notamment. Oui, à la base, c'était ce qu'il voulait. Que j'éclate de rire lorsqu'il me l'a expliqué était mal venu, je l'admets.
On peinait à le croire quand on voyait ce qu'il avait fait pour moi aujourd'hui, mais c'était en fait une constante chez Olivier : alors que son intention première était de s'excuser, il finissait inévitablement par aggraver les choses (m'insultant un peu plus au passage), déçu par ma réaction qu'il interprétait comme de l'indifférence ou de la froideur, ou, pire encore, sans même s'en rendre compte dans la plupart des cas. Les pauvres Sean et Percy avaient dû se dévouer pour essayer de le lui faire comprendre. Quitte à devoir affronter l'humeur massacrante d'Olivier.
— Et même si ça ne s'est pas beaucoup vu dernièrement, ajouta-t-il, s'éclaircissant la gorge et regardant presque solennellement droit devant lui, moi aussi, tu sais, je t'apprécie...
Un soupir amusé m'échappa. C'était tout ce qu'il pouvait faire ? M'apprécier ? Je sais que ce n'est pas rien, que nous revenions de loin. Je sais aussi que ça signifiait plus. Mais… Moi, je n'en étais plus à l'apprécier.
— Les gens t'aiment pour ce que tu es, Olivier, ai-je répliqué, espérant que le message passerait. Ils n'ont pas le choix, tu es comme ça.
Il m'adressa un regard en biais, un regard qui voulait dire « Et toi ? ». Oh, je l'avais souvent détesté ces derniers mois. Mais comme ma récente prise de conscience en témoignait, je l'aimais. Tel qu'il était. Parce qu'il était comme ça. Il existait des moyens tellement simples de le lui prouver.
Après ce qui s'était passé à la Volière, j'aurais sûrement foncé, sans hésiter. Mais nos parents étaient là, sur la rive. Lointains mais présents. Puis il y avait eu cet incident sur le palier, quelques heures auparavant. Patins ou pas, son premier réflexe avait été de reculer. Je pouvais me tromper, le risque était pour l'instant trop grand. Je savais désormais ce que c'était de devoir affronter Poudlard sans Olivier à mes côtés. Maintenant que je l'avais retrouvé, je refusais de m'y risquer. Si les gestes étaient trop éloquents, peut-être que les mots suffiraient.
— Ça ne s'est pas non plus beaucoup vu dernièrement, mais moi aussi, je…
T'aime. Je t'aime.
Bon sang ! Ce n'est pas le moment de t'étrangler. Dis-le Tierney !
Ce n'était qu'un mot, qui en plus possédait mille degrés d'interprétations. Fin comme il l'était, Olivier ne prendrait jamais de la bonne façon. Pour lui, ce ne serait qu'un mot d'amitié. J'étais prête à le parier. Moi en revanche, je savais exactement ce qu'il en était. Je n'avais découvert qu'aujourd'hui l'ampleur et la profondeur de ce que ces quelques lettres recouvraient. Le dire était bien plus dur et bien plus effrayant que simplement le penser. Surtout la première fois. Alors, j'avoue, le courage m'a manqué.
— Je t'apprécie, ai-je finalement complété. Malgré ça.
Retirant son bonnet, il se frotta un instant la tête, cachant de la sorte le sourire soulagé, presque rassuré, qu'il n'était pas parvenu à réprimer, et se plongea dans ses pensées.
Avec tout ce qui était en train de se passer, il avait encore besoin d'être réconforté ? Et c'était moi qui étais bouchée ?
Suivant des yeux un couple en train de patiner, je pris un nouveau marron. Loin d'avoir appris de mes erreurs, je croquai dedans à pleines dents et me brûlai à nouveau la langue et le palais. Prenant sur moi pour ne pas recracher (ce qui aurait quelque peu gâché l'étrange moment et le silence presque contemplatif que nous étions en train de partager), je plongeai la main dans la neige, le moyen le plus rapide d'apaiser ma douleur (puisque mâchonner rapidement tout en m'éventant et aspirant de l'air n'était déjà plus suffisant). J'avais presque réussi à ramener discrètement un petit glaçon à mes lèvres quand je sentis sur moi le regard d'Olivier.
— Juni, tu pensais ce que tu as dit ?
Les yeux ronds et la bouche en feu (et toujours pleine), je suspendis mon geste et me tournai vers lui.
Il remettait en cause mon « je t'apprécie » ? Pourquoi ? Prise d'un vertige, mon bout de glace m'échappa des doigts. S'il remettait en cause le simple fait que je puisse l'apprécier, c'est qu'il se doutait de quelque chose. Ma brève hésitation m'avait trahie. S'il se méprenait sur ça, dans cette seconde de lâcheté, j'avais peut-être eu du nez, tout compte fait. Mon visage me parut s'embraser.
Par chance, Olivier détourna la tête et ne s'en aperçut pas. Jouant distraitement avec son bonnet, il finit toutefois par relever les yeux vers moi.
— La fois où tu m'as dit que personne ne me comprenait, précisa-t-il. Même pas toi. Que j'étais tordu.
Déroutée (autant par son éclaircissement que la note grave et presque douloureuse que j'avais senti dans sa voix) et un peu déçue, j'en oubliai un court instant ma propre gêne. Il parlait de ça ?
Ces presque deux mois de séparation avaient dû sérieusement altérer ma capacité à décoder le « Olivier » (Dubois ayant la mauvaise habitude d'intérioriser certaines parties des conversations, menant immanquablement à ce genre de quiproquos et donnant à certains, Andy principalement, des envies de meurtres !). Pour le coup, je n'y étais absolument pas. Je venais d'essayer de lui dire que je l'aimais (ce qui lui avait finalement échappé). Par quel cheminement de l'esprit, il en était arrivé à y repenser ?
Embarrassée, je rivai mon regard au sol. Il m'avait blessée à de nombreuses reprises durant ces dernières semaines, mais n'était parvenu à me pousser à bout qu'en une seule occasion. Qu'il délire à mon sujet, m'accusant d'avoir fait échouer sa tentative d'infiltration chez les Serpentards, en plein milieu du Hall au moment du petit déjeuner (avec le passage d'élèves que cela impliquait), avait été l'électrochoc qu'il me fallait.
— Oh, tu veux dire la fois où sans aucune raison tu m'as accusée de t'avoir vendu parce que j'étais une fille facile ? ai-je repris l'air de rien. Non, attends ! Si je me souviens bien, c'était « pas farouche ».
Je n'étais visiblement pas la seule à ne retenir que ce qui m'intéressait. Face à ça, mon « tordu » ne faisait pas le poids.
Croire que je puisse sortir avec Flint était débile, mais soit. En revanche, se persuader que pour lui nuire ou pour les beaux yeux de son pire ennemi, j'irai jusqu'à trahir (pas juste lui, la maison Gryffondor !), en allant le dénoncer était au-delà de l'entendement. Et comme je l'avais découvert, au-delà de ce que je pourrais supporter. Ses insinuations n'avaient jamais été aussi blessantes (exactement ce qu'il cherchait) et j'avais ressenti le besoin de lui rendre ce qu'il m'infligeait.
Olivier eut la bonne idée de se sentir honteux et de ne pas le cacher. La tête rentrée entre ses épaules voûtées, les yeux baissés, il remit son bonnet, l'enfonçant un peu plus que nécessaire.
— Vraiment bizarre que je me sois emportée ! ai-je ricané, un peu amère.
Parfaitement immobile, il n'essaya même pas de se défendre ou protester.
— Je suis farouche, Olivier !
Avec prudence, il dirigea ses yeux vers moi, se demandant visiblement si je plaisantais. Bon, je reconnais que ça sonnait un peu bizarre comme déclaration. Mais je me comprenais.
— Je confirme, marmonna-t-il luttant presque contre un sourire, avant de soupirer. A ce propos… Désolé. C'était juste une mauvaise idée. La pire des idées, rectifia-t-il devant mon sourcil haussé.
Essayer de s'introduire dans les dortoirs des Serpentards à l'aide d'un mot de passe glané par les jumeaux Weasley pour… je ne savais d'ailleurs même pas comment il comptait se venger (les balais étant sacrés pour Olivier, j'imagine que ce n'était pas eux qu'il comptait saboter), il n'y avait que lui considérer ça comme un trait de génie.
— J'y suis allée un peu fort ce jour là, je l'admets, ai-je concédé, sentant à sa façon de se tenir et de multiplier les coups d'œil dans ma direction qu'il attendait réellement une réponse à sa question. Mais il faut voir ce dont tu m'accusais !
Etre en colère face à quelqu'un de furieux était plutôt simple. Assumer les actes, les propos et leurs conséquences par la suite était bien plus délicat.
Je l'avais pensé. Pour la première fois, je l'avais vu tel que tous le voyaient. Pour la première fois, j'avais vraiment voulu le blesser. Ce que j'avais, apparemment, parfaitement réussi. Et contrairement à lui, pour ça, je n'avais pas eu besoin d'insulte ou de grossièreté. Je n'en tirais cependant aucune fierté.
Olivier se moquait éperdument de ce que les gens pensaient et de la façon dont on le jugeait. Rien ne pouvait l'atteindre et l'arrêter quand il était décidé. Ni les conventions sociales, ni le bon sens ou la logique… Surtout pas ce qu'on disait de lui. Il avait la tête dure et le cuir épais. C'était un de ses défauts et la pire de ses qualités.
Aussi, que je le comprenne ou le juge sain d'esprit n'aurait pas dû avoir d'importance. Jusque-là, cela ne l'avait jamais empêché de ne faire que ce qu'il voulait.
Son soulagement fut pourtant, en cet instant, évident.
— Sur le moment, je le pensais, ai-je nuancé. Aujourd'hui, je… je continue à me poser des questions, ai-je ajouté après une hésitation. Ta réaction, je ne la comprends toujours pas.
En fait, c'était bien plus que ça. Je ne parlais pas uniquement de ce jour-là. Est-ce qu'il en était conscient ? A voir son air sombre, c'était peut-être le cas.
Evitant soigneusement mon regard, il tassa la neige qui était à ses pieds.
— J'arrive pas à l'expliquer. C'est dur à… Je peux pas.
— Tu n'es pas fou, Olivier, ai-je dit en me tournant vers lui. Je suis désolée de l'avoir dit.
Il eut un reniflement amer.
— Tout le monde le fait, après tout…
Sa carapace était par endroits cabossée. Quelques coups l'avaient fissurée et rayée. Mais cette faille-là, je ne la connaissais pas. Pas plus que la solitude qui s'en dégageait et qui m'a désarmée.
Obsédé, bizarre, idiot, taré… Il entendait ces mots (parfois sur le ton de plaisanterie, à d'autres moments plus sérieusement) à longueur de journée. Il avait beau s'en foutre royalement, il ne pouvait pas les ignorer. Olivier était différent. Lui-même en était conscient. Il l'avait toujours su, il l'avait toujours entendu. Hormis ses parents, tout le monde le lui avait dit. Et ce jour là, dans le Hall, pour la première fois, moi aussi.
Peut-être que c'était pour ça que mon avis importait. Peut-être que dans son esprit, si moi aussi je finissais par penser qu'il était tordu, c'était certainement vrai…
Plutôt présomptueux, je sais. J'ai juste eu envie de croire que je comptais.
— Mais moi, je ne le pense pas.
La tête toujours basse, il releva les yeux vers moi. Il n'était pas fou. Il n'était pas non plus la personne la plus équilibrée que je connaissais. Il était juste… lui, en vérité.
Si ce jour là, j'en étais arrivée à ce constat, c'était parce que tout était allé trop loin, même pour moi. Je pouvais gérer son agressivité, mais pas ça… Parce que depuis notre dispute, pour la toute première fois, il n'y avait plus aucun sens, plus aucune logique dans ce qu'il faisait. Cette prise de conscience m'avait effrayée. Des années durant, je m'étais sentie spéciale et privilégiée. Le gouffre qui s'était alors creusé entre nous était la preuve que nous n'étions pas aussi « connectés » que tout le monde le pensait. Toute fusionnelle (la chute n'aurait pas été aussi violente autrement) et privilégiée que notre relation était. Il fallait l'accepter.
— Le fait qu'on ne se comprenne pas n'est pas si grave, tu sais, ai-je tenté, autant pour le rassurer que me réconforter. Notre amitié n'y perd pas, au contraire. Ça nous rappelle juste qu'on est différents. Plus qu'on ne le pensait. Et parfois, parce que ça se reproduira, l'un de nous fera quelque chose qu'on ne comprendra pas, qui ne plaira pas ou que l'autre n'approuvera pas. Dans ce cas, il faudra qu'on arrive à l'accepter, sans se juger.
Le voir méditer la formule, lèvres pincées et sourcils haussés, m'arracha un soupir amusé. Il ne manquerait pas de me la ressortir, je le sentais !
S'il parut un instant sur le point de prendre la parole, il se contenta d'esquisser un sourire un peu triste.
— Il doit bien y avoir des choses que tu ne comprends pas chez moi, non ? ai-je fini par plaisanter.
Ce n'est qu'une fois ces mots prononcés que je pris conscience du risque auquel je m'exposais. Il n'a même pas eu besoin de réfléchir en vérité.
— Tu es fan de Flaquemare, se lamenta-t-il, exagérément consterné.
Mon coup d'épaule était totalement mérité. Se fendant d'un sourire, Olivier me chipa mon sac des mains pour y prendre un marron.
Il fallait que je le fasse. Maintenant. Je devais en profiter, ne pas laisser traîner. Autrement, cette ombre continuerait à planer au-dessus de nos têtes, prête à retomber.
— Il faut qu'on en parle, Olivier… ai-je dit timidement.
Il interrompit sa mastication pour s'assurer de mon intention d'un rapide coup d'œil.
— Du match ? J'ai été nul, je sais.
— Pas faux, ai-je admis avec un sourire. Et bien essayé. Mais ce n'est pas…
Sans me laisser le temps de finir, il poussa un mélange de grognement et de gémissement, avant d'aussitôt sauter sur ses pieds. Je le vis faire, bouche bée. S'excuser, m'ouvrir son cœur (enfin, entrouvrir son cœur) ne le dérangeait pas. Mais parler de ces évènements, de Flint, directement, était hors de sa portée ? Je ne le prenais pourtant pas au dépourvu.
— Tu ne veux pas parler du match, plutôt ? suggéra-t-il, me tournant le dos.
Le match était la solution de facilité. Des heures entières ne nous suffiraient pas à épuiser le sujet. Mais ce n'était pas ce qui allait se passer. Olivier le savait puisque sans attendre ma réponse, il s'approcha de la berge glacée en deux pas et planta les mains dans les poches de son manteau.
De manière presque imperceptible, l'atmosphère venait de changer. Puisqu'il était clair qu'il ne prendrait pas l'initiative, l'honneur me revenait. Il avait tort de croire que son attitude, tendue et sur la défensive (je n'étais ceci dit guère plus à l'aise que lui), me découragerait. Après une profonde inspiration, je finis par me lancer.
— Je… Je n'ai jamais rien fait avec Marcus Flint. Je n'en ai jamais eu la moindre envie.
J'aurais pu parler de milles choses, j'avais tellement à lui reprocher. Mais j'ai préféré reprendre là où (du moins de ce que j'avais compris) tout avait commencé.
Les épaules de Dubois s'affaissèrent et il jeta un regard par-dessus l'une d'elles dans ma direction.
— Je sais, l'ai-je entendu bredouiller.
— Tu sais ?
Parce qu'au cinéma qu'il avait fait, je n'en avais pas franchement eu l'impression.
— Permets-moi d'en douter !
Il se tourna vers moi, daignant à nouveau me faire face sans pour autant accepter de me regarder.
— Je le savais, Tierney, dit-il d'une voix rauque.
— Peu importe de quoi, je n'ai fait que lui parler ! Je… (à nouveau, il s'était refermé comme une huître). Tu peux me reprocher plein de choses, Olivier. Des choses que je t'ai dites, que j'ai faites ou que j'ai oubliées. Par contre, tu ne peux pas m'en vouloir parce que je lui ai simplement parlé.
Il ne répondit pas, se contentant d'hocher faiblement la tête. Ça ne me suffisait pas, j'avais besoin que nous tirions ça au clair.
— Et je ne suis pas « sale », juste parce que je l'ai fait.
Oubliant toute gêne, il braqua enfin ses yeux vers moi, les sourcils froncés.
— Je n'ai jamais dit ça.
Je m'esclaffai. Oh vraiment ? Il voulait que je ressorte le passage du « Moi parlant de Quidditch avec Flint ». Je l'avais noté. Je n'avais qu'à tourner tes pages pour m'en assurer.
— Dubois, tu l'as fait ! ai-je insisté.
Il n'y croyait pas. Je ne sais pas qui de sa mauvaise foi ou de sa mémoire sélective était à blâmer. Quoi que vu l'état de rage dans lequel il était, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'il ait tout oublié.
Olivier inspira et ouvrit la bouche à plusieurs reprises, prêt à parler, sans pour autant y arriver. Puis le déclic s'est fait. Tombant des nues et rattrapé par le souvenir, il s'est décomposé.
— Mais ce n'était pas…
Ce qu'il voulait ? Encore heureux ! Pourtant, c'est exactement ce qu'il avait fait.
Sincèrement choqué, il oscilla et, le pied roulant sur un caillou, dut faire un pas pour se rééquilibrer.
— Je suis ton amie, pas ta chose, ai-je continué. Tu n'as pas le droit de m'interdire quoi que ce soit. Peu importe avec qui je décide de sortir, de travailler ou de parler. Même des Cats, Olivier ! Tu ne peux pas décider à ma place, ni mal me juger pour ça. Tu ne peux pas t'en prendre à moi comme ça.
Il hocha la tête, visiblement un peu secoué par le rappel. Je ne pensais pas non plus avoir un jour besoin de faire cette mise au point. Je l'avais déjà vu s'emporter, mais rarement avec cette violence là. Et jamais contre moi. Les souvenirs de notre dispute, de la violence de ses propos, de son incapacité à se maîtriser, de ma propre impuissance étaient encore vivaces et continuaient de me hanter.
— Tu m'as fait peur ce jour-là, ai-je avoué à voix basse. Tu m'as fait mal.
A bien des niveaux, y compris physiquement.
Tête baissée, je frottai distraitement mon poignet. Certainement le seul de nos contacts que j'aurais voulu oublier. Les marques sur mon avant-bras étaient parties quelques heures après. La sensation, elle, était restée. Je n'attendais pas qu'Olivier explique son geste, pas plus que je ne voulais l'enfoncer. Ce n'était pas calculé, j'avais juste ressenti le besoin d'en parler. D'ailleurs, lui ne devait certainement pas s'en rappeler.
Pourtant il n'a rien dit, n'a même pas protesté. Intriguée par son silence, je finis par lever les yeux dans sa direction. Les siens étaient restés sur mon poignet. Le regard absent, il paraissait avoir dérivé, emmené au loin par ses pensées.
— J'ai essayé de te raconter ce qui s'était passé, mais tu n'écoutais pas. Quoi que je dise, tu…
Les galets couverts de neige roulèrent sous ses pas. Poussant un profond soupir, il vint se rasseoir à côté de moi.
— Je peux pas t'expliquer, avoua-t-il, bafouillant légèrement. Même pour moi, c'est compliqué. Quand je l'ai appris, je sais pas… J'ai pété un plomb, je crois. Et quand le lendemain, je vous ai vu à la Bibliothèque…
— … parler de Métamorphoses et Potions.
— Quand je vous ai vu parler de Métamorphoses et Potions, répéta Olivier de mauvaise grâce, j'ai…
Il s'interrompit pour m'implorer du regard. Non, je n'allais pas changer de sujet, l'abcès devait être crevé. Se mordillant la lèvre, il secoua la tête doucement.
— Ça a recommencé. J'étais blessé, j'étais terrifié et en même temps furieux. Contre toi, contre l'autre enfoiré. Contre tous ceux qui essayaient de m'expliquer que ce n'était pas ce que je croyais, que j'avais encore merdé. Evidemment que tu n'es pas sale et désespérée, s'écria-t-il vivement. Je voulais juste…
Ses épaules s'affaissèrent, accompagnant son soupir. Il se frotta la nuque, embarrassé. Il voulait juste se venger.
— Je suis peut-être vraiment taré, en fait.
J'aurais dû le contredire, les gens sains d'esprit pouvaient aussi faire preuve de mesquinerie. Sauf qu'une pensée tout autre occupait mon esprit.
— Mais… Qu'est-ce qui t'a effrayé ? ai-je demandé, déconcertée.
— Que tu le choisisses lui, répondit-il tristement après quelques instants. Que tu préfères traîner avec lui. Je sais qu'en théorie, les copains, les copines, ça ne doit rien changer à notre amitié. Mais on l'a bien vu avec Flaherty… Juni, je ne pouvais pas, je ne pourrai pas passer par-dessus ça avec Flint. C'était la fin de notre amitié.
— Olivier, je n'ai jamais eu envie de sortir avec lui ! Je n'en ai même jamais eu l'idée !
Ce n'était pas sympa pour Marcus Flint, mais c'était vrai.
— Je sais, marmonna-t-il faiblement.
— Pourtant, tu y as cru.
Penaud, il parut hésiter un instant.
— Pas longtemps, admit-il avant d'ajouter précipitamment. Lui aurait toutes les raisons de le vouloir ! Tu es gentille, drôle, tu t'y connais en Quidditch, tu…
Il s'interrompit, cherchant ses mots. Intelligente ou jolie ne lui avait visiblement pas traversé l'esprit. C'était un détail idiot, vu la situation, je sais. Mais Sean aurait tout aussi bien correspondre à ce portrait.
— Tu es ma meilleure amie, dit-il avec un léger sourire. Même si j'ai bien compris que ça t'embêtait que je le dise comme ça. Depuis notre première année, reprit-il alors que j'allais protester (ce n'était pas le possessif qui me dérangeait !). Depuis le premier jour, le premier cours. Et ça, Flint le sait.
Qui aurait pu deviner, devant cette serre ce matin-là, que six ans après, nous en serions là ? Comme à chaque fois, la simple évocation de ce souvenir m'a attendrie.
— Ce qui fait de moi le meilleur moyen de t'atteindre, c'est ça ?
Je ne me souvenais que trop bien des sous-entendus qu'il avait laissés planer ce soir là. Que c'était justement pour ça que Flint m'avait choisie, moi. Que mes qualités n'avaient rien à voir là dedans, que toute ma personne n'était réduite qu'à ça. Et que j'étais suffisamment bête pour ne pas l'avoir compris.
Les sourcils haussés par la surprise, Olivier me dévisagea.
— Non, c'est juste la preuve que tu m'as supporté tout ce temps là. Et si tu nous acceptes et tu nous soutiens, mes bizarreries et moi, tu dois pouvoir en faire autant avec lui.
Surprise, je me suis légèrement reculée. Alors, il avait simplement cru que je lui préférais Flint ? Je mis de côté les comment et les pourquoi. Il avait donc si peu conscience de ce que je ressentais pour lui ?
— Et s'il ne s'en est pas encore rendu compte, reprit Dubois, indifférent à tout ça, c'est qu'il est encore plus idiot que je ne le crois !
Le plaisir de simplement dire du mal de son pire ennemi était de ceux qu'Olivier ne se refusait pas. Ici, il ne s'en cacha même pas. Malgré toute ma bonne volonté, c'est une chose qui continuera à m'échapper… Autant appliquer ce que je prêchais, et ne pas juger.
— Fais-moi confiance, ai-je soupiré, Flint n'a aucune envie de sortir avec moi ! Quand il a compris que ça t'atteignait, il en a rajouté, simplement pour t'emmerder. Et tu es allé au-delà de toutes ses espérances.
Je ne connaissais presque rien du Capitaine de Serpentard, et j'avais définitivement du mal à saisir l'étrange lien qui les unissait. Pour autant, je ne pouvais pas me résoudre à croire que Flint avait tout calculé depuis le départ. La première fois à la Bibliothèque était juste un moment bizarre, pur fruit du hasard. Par la suite, il en avait profité.
— Il a juste été gentil avec moi…
Quand toi tu ne l'étais pas.
Le non-dit flotta un instant entre nous. Du coin de l'œil, je vis Olivier serrer poings et mâchoires, presque blessé. Cependant, il n'a rien dit. Je ne savais si c'était à cause de ce que Flint avait fait, de ce que je venais de dire ou encore parce que c'était vrai.
M'en mêler était une imprudence. Mais je n'ai pas pu m'en empêcher. Ça devait s'arrêter.
— Tu ne peux pas le laisser avoir autant de pouvoir sur toi, Olivier ! ai-je dit, les sourcils froncés. Je sais bien que tu le hais mais…
Apercevant le début de moue de mon meilleur ami, je me stoppai net. Dubois était l'incarnation de la mauvaise foi ! Il n'allait quand même pas oser contester ça ?
— Oh, parce que tu nous aurais fait la même scène avec un autre ? Avec Davies ?
Pressentant qu'il allait reporter ça un problème non de personne mais purement de Quidditch, j'avais sciemment choisi un autre de ses confrères. Pour une obscure raison, il se fendit d'un immense sourire.
— Crois-moi, tu aurais tout intérêt à te tenir à distance de Roger Davies !
— Alors avec Appelby ?
Il chassa l'évocation du Capitaine de Poufsouffle d'un geste de la main.
— Le problème n'est pas là, Tierney…
Alors quoi ? C'était moi ? Il n'y avait pas mille variables dans cette équitation. Seulement trois.
Mon premier réflexe fut de me vexer (puisqu'en gros, c'était entièrement ma faute s'il avait vrillé, parce qu'en suivant sa logique, rien ne se serait produit si, par exemple, Percy avait discuté Quidditch avec son pire ennemi). Puis j'ai commencé à réaliser ce que ça pouvait aussi signifier. Qui la dernière variable concernait.
— C'est toi, le problème en fait, ai-je ricané.
Grimaçant, il ne put soutenir mon regard, gêné. Merlin que ce garçon était compliqué…
Un soupir m'échappa et je tendis la main vers lui.
— Parfois, je donnerais cher pour savoir ce qui se passe là-dedans, ai-je dit lentement, accompagnant chaque mot d'un petit coup de l'index sur son front.
Je ne pris conscience d'avoir laissé mes doigts s'attarder plus que nécessaire quand, après que j'eus chassé l'une de ses courtes mèches folles échappées de son bonnet, mes yeux croisèrent ceux d'Olivier. Un petit « désolé » à peine marmonné, je me plongeai dans mon sac de marrons désormais froids. Le cœur battant, je le sentis sur le point de parler avant de finalement se raviser. C'était presque un tic chez lui désormais. Mais pour cette fois, ça me convenait.
— Enfin, ai-je repris après m'être éclaircie la voix, j'imagine qu'un jour, tu m'expliqueras tout ça…
Au jour d'aujourd'hui, tout était encore manifestement trop embrouillé. Surtout pour lui.
— Tu me pardonnes, Juni ?
Il y avait une candeur presque enfantine dans sa voix, autant que dans le regard plein d'espoir qu'il m'adressa. Il ne s'en doutait pas ? Faisant rouler ostensiblement mes yeux, je finis par les ramener vers lui. Je n'eus pas besoin de répondre, Olivier avait parfaitement compris.
— Mais tu n'oublies pas, c'est ça ? souffla-t-il résigné.
Même en le voulant, je ne pourrais pas. Ce qui n'était pas plus mal en fait. Une belle amitié a aussi besoin d'être écornée. Rien ne s'inscrivait dans la durée sans être un peu cabossé.
— Flint ou pas, ne recommence pas ! l'ai-je toutefois menacé. Je refuse de repasser par là.
D'un hochement de tête, il s'empressa d'accepter.
— Je te le promets.
A grand peine, je parvins à réprimer mon sourire. Je devais tenir encore un peu.
— Même si je suis amenée à lui reparler, Olivier...
D'abord choqué (sa réaction tenant presque de l'instinct), il se reprit rapidement en voyant mes sourcils haussés.
— Parce que tu en as tout à fait le droit !
Cela sonna tellement faux que je ne pus m'empêcher de lui éclater de rire au nez. Pour autant, Olivier paraissait infiniment satisfait. C'est sûrement pour ça que j'ai eu envie d'un peu le taquiner.
— Tu étais jaloux, en fait…
Je pensais qu'il s'indignerait, ou rirait de l'idée. Pas qu'il contenterait de se frotter nerveusement le nez.
— Tierney, tu promets de ne pas te rire ? (surprise, j'ai promis) Ou de ne pas flipper ? (encore plus surprise, j'ai re-promis) C'est juste que…
Aussi intriguée qu'inquiète, je croquai dans un des derniers marrons. Le cœur battant, je le vis chercher ses mots.
— Toi et moi, on a ce truc. Je ne sais pas ce que c'est. Je vois bien que pas tout le monde est comme nous, qu'ils n'ont pas tous la chance de partager ça.
— Ça s'appelle l'amitié, me suis-je moquée.
Ou la complicité, au choix. Olivier ne parut toutefois pas d'accord avec moi.
— Je ne sais pas. Ce n'est pas comme ça avec les filles. Encore que je ne puisse pas vraiment considérer Cleath et Benton comme des amies. (je lui donnai un coup de coude et il esquissa un sourire). Ok, ce sont des amies ! Mais ce n'est pas non plus comme ça avec Sean. Je sais juste qu'on a de la chance. Et je me rends compte, parce que j'ai failli tout perdre, que c'est vraiment précieux.
M'empourprant jusqu'à la racine des cheveux, je réalisai quand il me fit à nouveau face, que je le dévorai des yeux.
— Ah ouais, ce truc… ai-je répété.
Il baissa la tête et sourit, mal à l'aise.
— Je suis ridicule, pas vrai ?
Il avait tort. Il était tellement mignon.
— J'en sais rien en fait, reprit-t-il. Peut-être que c'est un peu comme être frère et sœur. Si c'est ça, je comprends mieux certaines réactions de Percy. Toujours est-il que quand Flint a… enfin quand il a fait ça, j'ai eu peur que toi et moi, on n'ait plus ce truc. Que tu l'aies avec lui, et plus avec moi. La jalousie, c'est peut-être ça.
De mon côté, ce truc là avait un nom et était un sentiment clairement identifié. Mon cœur et ma poitrine se sont soudainement gonflés. De bonheur, de joie, d'un nouvel espoir, je ne sais pas. L'air m'a paru plus vif, plus frais. La glace plus lumineuse, la neige plus blanche. Le marron que j'avais croqué plus savoureux. Les marbrures sur le cou et les joues de mon meilleur ami légèrement plus rosées. Qui du froid ou de cette confession était à blâmer ?
Je ne dirais pas que ces moments valaient tout ce que nous avions traversé. Mais grâce à eux, je pris conscience que certaines barrières dont j'ignorais parfois même l'existence étaient en train de tomber. Peut-être pas de mon fait…
Un sourire idiot déforma mes traits. Je ne pouvais pas m'en empêcher.
— Ce truc m'a manqué, tu sais ? ai-je plaisanté.
En équilibre sur une fesse, je me penchai vers lui pour lui donner un autre coup d'épaule. Olivier encaissa le mouvement et, levant les yeux au ciel, détourna la tête. Cependant pas assez rapidement pour que son sourire ne puisse m'échapper.
— Et toi aussi, Olivier.
Le coup d'œil fut si furtif que je crus un instant l'avoir rêvé. Prenant appui sur ses mains, il se releva et s'étira un instant avant de se mettre à bailler. Stupéfaite, je n'ai rien pu faire d'autre que le regarder. Il n'avait rien à dire ? Vraiment ? Pas même un petit « toi aussi, tu m'as manqué » ? Je ne m'attendais pas non plus à une déclaration (même si mes derniers mots pouvaient sonner comme un « je t'aime » déguisé), un simple « merci » suffisait.
Pensant à tort que nous étions enfin prêts à bouger, nos parents nous firent signe. Signe auquel malheureusement, Olivier répondit.
Non, non, non, nous étions loin d'avoir fini !
— Hé ! l'ai-je hélé alors qu'il commençait à marcher.
Surpris par mon cri, il s'arrêta et revint sur ses pas. Si près que je dus me tordre le cou pour parvenir à l'observer. Il me tendit la main, s'imaginant que j'avais besoin d'aide pour me mettre debout (mon derrière était certes engourdi, mais je pouvais encore y arriver). Non, je ne voulais pas me lever. Je voulais rester, je voulais continuer à parler.
Apparemment, pas lui.
A regret, je plantai les talons dans le sol, prête à pousser, avant de saisir sa main. Une ombre de sourire aux lèvres, Olivier m'observa faire, amusé.
— Tu ne m'as pas écouté...
Et sans me laisser le temps de réagir (pour l'instant, un simple « hein ? »), il tira d'un coup sec sur mon bras. La force du geste fit craquer mon coude et je décollai, manquant de peu de finir mon vol sur le lac gelé. Quelques pas me furent nécessaires pour me rééquilibrer.
Les mains désormais dans les poches, Olivier, lui, ricanait.
Il disait vrai.
Moi réputée pour être l'oreille attentive de la bande, je n'avais pas écouté. J'attendais à chaque fois des mots très précis (« je suis désolé », « je t'aime », « tu es jolie », « tu m'as manqué ») alors qu'il m'avait dit et prouvé quelques-unes de ces choses de tant d'autres façons. Ce premier pas, la façon dont il m'avait serrée dans ses bras, ce cadeau qu'il m'avait fait, ce truc qu'il avait remarqué.
Nous faisions la paire, lui tordu et moi bouchée.
Un sourire finit par m'échapper. Accompagnant son mouvement du bras, il s'écarta pour me laisser passer. Chose qu'évidemment, je n'ai pas fait.
— Dubois, tu es vraiment sur qu'il n'y a rien d'autre dont tu as envie de parler ?
Il choisirait le match, un autre sujet épineux qu'on ne pourrait pas non plus mettre éternellement de côté. J'étais prête à le parier. Je devais pourtant tenter ma chance. L'encourager sans le brusquer.
Je ne sais pas à quoi il a pensé. Le match ne l'aurait pas autant troublé. Il ne l'aurait pas autant repoussé. Mal à l'aise, il renifla et surveilla nos parents, en train d'arriver.
— Olivier ? l'ai-je pressé.
Pinçant les lèvres, il lutta un instant mais finit par céder.
— En fait, oui, avoua-t-il, mal assuré. Mais pas aujourd'hui, s'il te plaît. C'est encore trop tôt, je ne voudrais pas… tout gâcher.
Résigné, il avait presque l'air de croire que je pourrais lui en vouloir. J'étais persuadée du contraire. J'aurais voulu le rassurer, lui promettre qu'il n'avait rien à craindre, mais l'expression grave de son visage m'en a dissuadée.
— On a passé une bonne journée, reprit-il, s'efforçant de sourire. Autant ne pas la gâcher.
Nos parents désormais à portée de voix, je n'eus d'autres choix de que capituler. Me raccrochant à « ce truc » comme à une bouée.
— Bientôt Juni, je te le promets.
oOo
— C'était vraiment très attentionné de la part d'Olivier, soupira ma mère alors que nous attendions au passage clouté.
Dubois et ses parents nous avaient quittés quelques instants auparavant sur le Chemin de Traverse. Quand mon père leur avait proposé de passer à l'appartement prendre une boisson chaude, ils avaient décliné l'invitation (profitant d'un moment d'inattention de leur fils, planté devant la vitrine de la boutique de balais). En ce jour de Noël, ils ne voulaient pas abuser. Après une journée riche en émotion, les au-revoir se firent bizarrement sans effusion.
Le soir tombait. Ma mère ne tarderait pas non plus à nous quitter. Pourtant, elle insista pour que l'on rentre à pied. Autant pour profiter des derniers instants que parce que, selon ses dires, elle ne s'habituerait jamais à transplaner.
Sa remarque m'arracha un reniflement moqueur. Attentionné n'était en général pas le premier terme auquel on pensait quand on parlait d'Olivier. Mais aujourd'hui, c'en était l'essence même. Il avait été parfait.
— Il avait quelque chose à se faire pardonner ? demanda-t-elle innocemment.
Par chance, le feu passa au rouge pour les véhicules et nous pûmes enfin traverser, me permettant de soustraire à leurs regards mes joues rougissantes. Techniquement, c'était vrai, il avait même beaucoup à se faire pardonner. Mais pas de la façon dont elle le sous-entendait.
— Non, ai-je marmonné. Il se moquait de moi. Selon lui, les lacs salés ne gèlent pas…
Mes parents m'adressèrent un regard surpris. Bien entendu, ils n'y ont pas cru. Avec ma chance, ils avaient sûrement dû apprendre la vérité. Quoi qu'en dise Dubois, et même si sa mère l'ignorait, à quatre cerveaux, nos parents avaient dû tirer les conclusions qui s'imposaient.
— On ne s'est pas parlés pendant presque deux mois, ai-je fini par avouer.
Ils s'arrêtèrent aussitôt de marcher, stoppés net au beau milieu du trottoir, et échangèrent un regard inquiet.
Raté, ils l'ignoraient.
En d'autres circonstances, leur mimétisme presque parfait m'aurait amusée. Là, j'avais plus grave à gérer. Comme par exemple ignorer leur « lui aussi » mis en œillade. Oui, bon, je ne l'avais pas fait exprès. Contrairement à ce que tout le monde pensait, je n'avais pas forcément choisi de bouder la moitié des gens que je connaissais.
— Mais c'est bon, ai-je repris avec un enthousiasme un brin trop enjoué, on s'est réconciliés !
Depuis peu de temps. Très peu de temps.
Si nous nous sommes remis à marcher, j'ai senti que ce ne serait pas suffisant. C'était une information qu'ils n'allaient pas laisser passer. Ils en mesuraient toute la gravité.
— Pourquoi ? finit par demander mon père, les sourcils froncés.
Je ne pouvais pas dire la vérité. Je ne pouvais pas dire que c'était à cause d'un garçon. Je ne pouvais pas avouer qu'Olivier avait pété un plomb, selon ses propres termes, en me voyant parler à son pire ennemi. Je savais quelles conclusions ils en tireraient. Mais ce n'était pas ça, c'était plus compliqué que ça. Si je le faisais, si je parlais de Marcus Flint, c'était tout ce qu'ils retiendraient. Ce serait mal compris. Et je ne le voulais pas. En cet instant, tant que rien n'était encore sûr, j'ai réalisé que je ne le voulais surtout pas.
— C'est quand même pas à cause du Quidditch ? ajouta-t-il, légèrement consterné.
J'esquissai une grimace désolée. D'une certaine façon, si, ça l'était. Si mon père secoua un instant la tête avant de se mettre à rire, ma mère, elle, était atterrée.
— Le Quidditch est important, Ellie, fit mon père pour la faire réagir, voyant que je commençais à me vexer. Pas vrai ?
Se reprenant, ma mère approuva d'un vigoureux hochement de tête.
— Il devait vraiment avoir envie de se faire pardonner dans ce cas… soupira-t-elle avec un sourire entendu.
Ignorant son sous-entendu (comme quoi, je n'étais pas si bouchée qu'Olivier le pensait), j'acquiesçai. Il m'avait mené la vie dure ces dernières semaines. Peut-être qu'en leur racontant ce qui s'était passé, jusqu'où j'étais tombée et ce que j'avais dû affronter pour me relever, ils verraient la situation telle qu'elle était. Moins belle, moins émouvante. Plus compliquée.
— En tous cas, pas question de vous laisser seuls à la maison cet été.
De stupeur, je m'en étouffai.
— M'man ! me suis-je indignée, submergée par la honte.
— Ta mère a raison, renchérit mon père.
Ils plaisantaient ? Ils n'étaient tout de même pas en train d'insinuer qu'Olivier et moi en profiterions pour… Traite-moi de coincée Journal, mais le simple fait de l'écrire est hors de ma portée !
Un garçon ne pouvait pas simplement inviter sa meilleure amie patiner au bord d'un lac gelé le jour de Noël pour se faire pardonner de s'être comporté comme le pire des idiots, parce qu'il avait cru qu'elle lui préférait un autre et avait eu peur de perdre le « truc » qu'ils partageaient ? Non, il fallait forcément qu'ils se fassent des idées (et pas juste un « dis donc, il ne se passerait pas quelque chose entre toi et Olivier ? ») et qu'ils ressentent, en plus, le besoin de les partager !
Il existe des niveaux de honte où seuls nos parents peuvent nous envoyer.
Un gémissement m'échappa. En cet instant, j'aurais tout donné pour être majeure et pouvoir disparaître magiquement (quitte à me métamorphoser en un insecte volant). Sauf que je devais pour ça attendre encore quatre mois. Alors, j'ai dû me résoudre à gérer la situation comme le plus courageux des moldus le ferait : en cachant mon visage écarlate entre mes mains.
Mes parents éclatèrent de rire.
— Oh, Juni ! dit ma mère en me prenant dans ses bras. Ce n'était pas drôle, pardonne-nous. Ne t'inquiète pas, mon cœur. On sait. Vous n'êtes pas comme ça, lui et toi. Et puis, ajouta-t-elle malicieusement voyant que ça ne fonctionnait pas, ton cœur est déjà pris…
Je surpris le clin d'œil qu'elle me lança entre mes doigts que je n'avais pu m'empêcher de légèrement écarter. Je n'ai même pas eu à me demander ce dont elle parlait. Evidemment, Flaherty. Sur le quai de la gare, elle l'avait compris. La panique me gagna. C'était exactement ce que je redoutais. Pour éloigner les soupçons concernant mes sentiments envers Olivier, j'allais devoir lui donner ce qu'elle attendait.
Résignée, je déglutis avec difficulté.
— J'ai hâte que tu me présentes ce fameux Jamie Carragher !
Eclatant de rire, elle profita de ma surprise pour écarter mes mains et poser un baiser sonore sur mon front. Soulagée (puisqu'ils plaisantaient apparemment pour Olivier et que je m'étais enflammée toute seule concernant mon ex petit-ami), j'esquissai un sourire, encore un peu troublée.
Cela dit ma mère n'était pas si loin de la vérité. Mister June occupait le peu de place laissé par Olivier. Mais comment elle le savait ? Mon père évidemment.
— Tu trouverais ça nettement moins drôle si tu avais été témoin de la scène ce jour-là, crois-moi, expliqua-t-il à ma mère, pince-sans-rire. Notre fille va avoir dix-sept ans, Ellie… Par pitié, ne l'encourage pas !
J'espère que le chapitre vous a plu ! Pas de bilan du mois cette fois-ci (je viens de réaliser que je l'avais oublié en vérité… Et je risque de mettre des semaines pour le rédiger. Chacun sera libre de l'imaginer, on dira ça comme ça…)
En marge de ce chapitre, j'ai écrit quelques textes qui peuvent y apporter un autre éclairage. Ils sont facilement trouvables sur mon LJ (une série de drabbles sur l'enfance de June, des lettres écrites par ses parents ou encore un petit texte mettant en scène la collaboration en Métamorphose de Marcus Flint et Percy Weasley).
Je ne vous ferai pas l'affront d'annoncer une date sur la publication de Janvier (puisque je suis de toute façon totalement bidon à ce sujet). Quant au titre, regardez-bien, il est presque entièrement annoncé !
Les commentaires sont à votre bon cœur. Il se passe beaucoup de choses, je suis curieuse (et un peu inquiète) de savoir ce que vous en avez pensé.