Doloris

Par Maria Ferrari

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Base : Harry Potter tomes 1 à 5

Disclaimer : Les personnages de Harry Potter ne m'appartiennent pas, ils sont la propriété de J.K. Rowling . Je ne tire aucun profit financier de leur utilisation.

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—Chapitre 1—

La nuit était noire, pas une étoile ne venait troubler l'obscurité, pas même un croissant de lune ; les feuillages des arbres bruissaient, agités par une légère brise. Le Terrier était silencieux et plongé dans les ténèbres, excepté le salon qu'une lumière tamisée éclairait.

Arthur Weasley venait de se réveiller – l'été était particulièrement lourd cette année, son sommeil s'en trouvait peiné – ; il s'était servi un verre de lait, puis s'était assis sur le canapé, antique sofa acheté d'occasion il y a près de trente ans et dont le cuir avait été abimé par trop d'années de service et sept enfants successifs.

Il se tenait donc là, en caleçon rayé et chemise usée, un verre de lait entamé à la main, feuilletant un magazine de son épouse d'un œil distrait, lorsque Lucius Malefoy surgit dans son salon.

Arthur laissa tomber le magazine et contempla avec étonnement la baguette pointée droit sur son cœur ; il se fit la réflexion que celle-ci avait certainement été empruntée ou volée car elle n'était pas fixée au pommeau de la fameuse canne du Sang Pur. A bien y réfléchir, la baguette se trouvant à l'intérieur de cette canne avait été confisquée et était rangée en lieu sûr ; quant à la canne elle-même, elle se trouvait au manoir Malefoy, et, si la rumeur disait vraie, le fils dormait avec chaque nuit.

Les membres de cette famille avaient toujours été des gens étranges, nulle raison que Drago Malefoy fît exception à la règle.

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Lucius se trouvait donc en face de lui, en tenue de prisonnier ; Arthur n'avait guère l'habitude de le voir accoutré d'une si basse façon – ces habits n'étaient pas de la première fraîcheur, et il y aurait eu beaucoup à redire concernant leur propreté –, au contraire il l'avait toujours vu vêtu d'effets immaculés et parfaitement coupés. Le voir ainsi lui laissait une impression étrange ; cela devait être réciproque car sa mise non plus ne payait pas de mine et c'était la première fois que Lucius Malefoy le voyait dans ce qui lui servait de pyjama.

« Potter est ici ? »

Arthur haussa les sourcils, la colère se mêlait à la surprise. C'était un Mangemort, il venait tout juste de s'évader, se payait l'audace de se pointer chez un membre de l'Ordre de Phénix et c'était la seule chose qu'il trouvait à dire ! Avant d'entrer ainsi dans le vif du sujet, il aurait au moins pu dire bonsoir et s'excuser de le déranger à une heure aussi tardive. La politesse se perdait, même chez les "Grands" de ce monde… surtout chez eux en fait.

Arthur déglutit et posa tranquillement son verre sur la table basse pour se donner le temps de réfléchir. Malefoy était une sorte d'animal sauvage, la parole et l'éducation en plus ; pour dompter les fauves, il ne fallait en aucun cas montrer sa peur.

A dire vrai, Lucius ne lui inspirait aucune peur. Que pouvait-il bien lui faire ? Rien d'irrémédiable ou de très douloureux en tout cas. Ce n'était certainement pas l'envie qui lui en manquait, plutôt les moyens ; était en cause la nouvelle sécurité d'Azkaban qui voulait qu'on ôte une partie de leurs pouvoirs aux prisonniers – dont les plus destructeurs –, ceci grâce à un traitement spécifique découvert il y a peu.

« Non, il est chez ses parents Moldus », répondit Arthur calmement en ébauchant un plan pour atteindre la baguette de sa femme placée sur la commode ; Malefoy allait retourner en prison plus vite qu'il en était sorti.

Lucius eut une grimace méprisante à la mention du mot "Moldus" ; du moins, c'est ce qu'Arthur pensa de prime abord, mais il se reprit aussitôt en constatant qu'il s'agissait d'une grimace de douleur. Les doigts de Lucius se détendirent et sa baguette tomba au sol, des larmes lui montèrent aux yeux, sa peau prit une pâleur mortelle, il porta les mains à sa bouche.

Par Godric ! C'est qu'il allait vomir !

Arthur se précipita vers lui et, le saisissant aux épaules, l'emmena rapidement jusqu'à la salle de bains. Il n'aurait pas su dire s'il agissait ainsi dans un réflexe, ou par humanité, ou tout simplement pour éviter de se faire apostropher par Molly quand elle découvrirait l'état de la moquette sur laquelle Lucius aurait répandu le contenu de son estomac et qu'Arthur, n'y connaissant rien en sorts ménagers, aurait été bien incapable de nettoyer.

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Il obligea Lucius à se pencher au-dessus de la cuvette des toilettes où il rendit immédiatement. Le Mangemort, d'habitude si soucieux de son image, ne tenait plus aucun compte du lieu où il se trouvait et n'éprouvait aucune honte à se vider ainsi devant un Weasley ; il était bien trop malade pour éprouver un tel sentiment ou songer aux conséquences d'un acte aussi vulgaire, cela viendrait après.

« Attention à vos cheveux, ils sont beaux, ce serait dommage de les salir », murmura Arthur sans réfléchir en relevant les cheveux blonds pendant que Lucius rendait tripes et boyaux.

Il se sentait soudainement ému. Evidemment cela n'était rien d'autre que le geste d'un humain envers un autre humain, comme lorsqu'il l'avait guidé jusqu'en ce lieu, parce que ce type avait beau être une ordure, ça n'en était pas moins un homme et qu'il n'allait pas le laisser se déchirer les entrailles sans tenter de lui apporter un peu de soutien ; il n'empêchait qu'à lui tenir ainsi les cheveux au-dessus des toilettes, il sentait mûrir une tendresse pour cet homme qui avait tout fait et même plus pour se faire détester.

Cet instant lui rappelait la nuit où il avait tenu les cheveux de sa fille de façon identique, cette nuit où elle avait été si malade, où il l'avait emmenée d'urgence à Sainte Mangouste dès qu'elle avait eu fini de se vider l'estomac.

Il avait eu si peur cette nuit-là.

La tendresse soudaine et ridicule qu'il ressentait pour Lucius Malefoy devait tenir à ce souvenir douloureux qui s'était terminé de façon heureuse, voilà tout.

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Le calvaire de Lucius prit fin et il s'assit sur ses talons, un peu hagard. Il allait mieux mais se rendait compte à présent de ce qui s'était passé ; un sentiment de honte fort désagréable l'envahit.

Arthur lâcha les cheveux blonds, se leva et alla remplir d'eau le verre dont ses enfants se servaient après s'être brossés les dents. Ce faisant, il observa Lucius à la dérobée.

Il y avait une différence notable entre être beau et être trouvé beau. Lucius Malefoy l'avait toujours été, c'était un fait, Arthur ne l'aurait pas nié, cependant jamais il ne l'avait trouvé véritablement beau, il ne lui avait jamais vu quoi que ce soit qui puisse créer chez lui un sentiment d'admiration, une émotion, quelque chose qui faisait qu'on était vraiment face à la beauté… sauf à cet instant.

A cet instant, il le trouvait beau, magnifique comme personne avant lui. Pourtant, son teint était terreux, des mèches de cheveux étaient collées à son front, il était faible, en plein désarroi, malheureux, malade et vulnérable.

Mais il était beau, Arthur le sentait au creux de son ventre.

« Rincez-vous la bouche », fit-il en lui tendant le verre. Lucius n'eut pas le temps de s'exécuter qu'il rendit de nouveau. Arthur reprit ses cheveux et le regarda, plein de tristesse. « Quelle pitié », murmura-t-il.

Il avait une vague idée sur l'origine de ces vomissements ; plus qu'une vague idée, pratiquement une certitude. Il avait déjà vu ce genre de réactions, il les avait vues sur les Londubat à l'hôpital ; durant les premières semaines qui avaient suivi ce que les Lestrange leur avaient fait endurer, ils avaient eu les mêmes troubles que Lucius actuellement.

Les Doloris à répétition détraquent l'organisme. Dans le cas des Londubat, cela avait duré quelques jours… seule la folie était restée ensuite.

Arthur laissa échapper un profond soupir. Les victimes de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom étaient décidément nombreuses, entre ses victimes innocentes et ses Mangemorts – victimes consentantes (ou presque) –, la liste semblait interminable, sans compter lui-même, car Arthur se doutait que le sorcier était devenu son propre bourreau ; il ruinait sa vie et son corps à vouloir à tout prix se venger de tout et de tous, cela dépassait l'entendement.

Arthur aurait cru que Lucius Malefoy, de par son rang, son intelligence et le fait qu'il n'était certainement pas un Mangemort de bas étage, aurait eu droit à un traitement de faveur. Ce n'était apparemment pas le cas ; cela l'avait peut-être été par le passé et la hiérarchie avait été modifiée suite au retour du sorcier au nom tu. Alors que Pettigrow l'avait activement aidé, Malefoy n'avait pas levé le petit doigt et son maître lui en avait fait le reproche ; c'était ce qu'Harry avait rapporté.

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Cette fois, cela semblait réellement terminé. Arthur fut un instant tenté de poser une main sur sa nuque et de le faire boire de l'autre, il chassa immédiatement cette idée qu'il jugea mauvaise, lui donna le verre et repartit dans le salon, laissant Lucius agenouillé sur le carrelage de la salle de bains, la tête basse, le regard fuyant. Il ne se souciait pas de le laisser seul, il était inoffensif pour un bon moment : Lucius avait une trop haute estime de lui-même pour se relever d'un coup si rude aussi vite.

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Malefoy revint dans le salon quelques minutes plus tard. Il avait un peu meilleur aspect, l'attitude digne, la tête haute, mais son regard se dérobait toujours ; il se sentait honteux, faible, minable. Sa baguette était toujours au sol, il l'avisa, la ramassa et s'apprêta à s'en aller, tenant à fuir au plus vite le lieu de son infamie. Il posa la main sur la poignée de la porte, se mordit la lèvre.

« Promettez-moi de ne rien dire là-dessus », demanda-t-il, face au panneau– il n'avait pas le courage de regarder Arthur après ça.

« Qui cela intéresse de toute façon ? rétorqua Arthur du fond de son canapé. Vous avez conscience que je devrais essayer de vous empêcher de partir ? demanda-t-il après avoir bu une gorgée de lait.

— Oui. » Lucius prit le temps de déglutir, il ne comprenait pas l'attitude d'Arthur. « Vous ne le faites pas ?

— Vous allez retourner auprès de "Lui" ? »

Lucius, le regard toujours rivé au panneau, ne répondit pas ; sa main posée sur la poignée tremblait légèrement.

« Pourquoi ? Vous vous détestez à ce point ? Pourquoi vous obligez-vous à souffrir ? Vous avez peur de ce qu'il vous ferait si vous ne reveniez pas ?

— Je n'ai pas peur ! » s'exclama Lucius en se tournant brusquement, le regard à nouveau droit fixé sur Arthur. Ce dernier fut tenté de rire tant la réplique et le ton sur lequel elle avait été dite étaient dignes d'un enfant. Malefoy crevait de trouille à la simple idée de revenir près de lui et de ce qu'il aurait à subir s'il ne le faisait pas, il suait la terreur par tous les pores. Il ne reniait pas les idées de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, mais était bien à ses ordres uniquement par peur. Comment expliquer sinon qu'un Malefoy, si fier, se mette aux ordres de quelqu'un ? Comment expliquer qu'il accepte de subir des Doloris ?

Arthur avait longtemps cru que c'était par intérêt qu'il était devenu Mangemort, que son ambition l'avait guidé dans ce choix. En fait, il semblait que ses raisons étaient beaucoup plus terre-à-terre, c'était son instinct de survie qui l'avait commandé. Dans les années qui avaient suivi la mort des Potter, Lucius était redevenu son propre chef, là, son intérêt prévalait, c'était ses idées et ambitions qu'il défendait, et puis, il s'était fait une bonne situation, il était en vue, avait des relations, influençait les décisions gouvernementales ; il était probablement directement à l'origine de certaines. Bref, tout allait bien pour lui jusqu'à ce que son "bien-aimé" maître revienne.

La vie était alors devenue beaucoup moins amusante.

Arthur aurait pu en profiter pour ironiser, se moquer, le rabaisser. Il n'en avait aucune envie ; il n'était pas le genre d'homme à se gargariser du malheur des autres… même si l'autre en question aurait été le premier à se réjouir de ses malheurs à lui.

Sa femme lui disait souvent qu'il était trop gentil.

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Lucius franchit la porte, sa baguette en main ; Arthur ne chercha pas à le retenir. Il se leva calmement du canapé, monta jusqu'à sa chambre, prit sa propre baguette, jeta un coup d'œil à sa femme endormie et transplana une fois sorti de la chambre (ne voulant pas réveiller Molly par un "pop" intempestif).

Il se matérialisa à quelques mètres du seuil de sa maison – faisant crisser le gravier – et repéra Lucius au loin.