Pour commencer, je vais souhaiter une joyeuse bonne année à tous ! Un peu d'avance, je vous l'accorde, mais mieux vaut trop tôt que trop tard.

Voilà, donc, ma seconde X-fic, dans laquelle vous allez pouvoir admirer l'incroyable prolificité de mes cours de philo. Elle sera composée de beaucoup (je peux pas encore vous dire combien) de scenettes impliquant chaque fois un ou plusieurs personnages. Surtout ne cherchez pas de logique chronologique, elles ne se passent pas toutes au même moment. Il n'y a pas non plus de hiérarchie particulière parmi les chapitres, tous les personnages importants devraient apparaître ( les dragons, évidemment, plus quelques autres si j'arrive à en tirer quelque chose.. -- ) mais l'ordre risque d'être un peu anarchique.

Sinon… Je pense que le ton, dans l'ensemble, devrait être relativement sérieux, mais préparez-vous à quelques débordements dus au surmenage scolaire et à l'esprit malade entièrement naturel de l'auteur.

Sur ce, et en espérant que vous êtes toujours là, je vous abandonne machiavéliquement aux mains de Kamui… Désolée.

Absences

- Shiro-kuuuuuuun !

Même après tout ce qui s'était passé, même avec cette horrible matinée d'examens, ce ciel de plombs, cette pluie grasse et grise et ce vent qui leur giflait le visage, la voix vibrait d'un enthousiasme bouleversant.

Kamui ferma les yeux.

Il était en ce monde peu de choses qu'il n'aurait données pour apprendre à partager ce bonheur infus qui semblaient être le lot de certains.

Keiichi Segawa était de ceux là. Nouvellement orphelin, le chagrin qu'il éprouvait n'avait d'égal que son obstination à le surpasser. Délégué de classe et élève modèle, il portait sur ses épaules le terrible poids de la confiance et de l'admiration des autres, desquelles il s'acquittait toujours avec une bonne humeur à toute épreuve. Jamais Kamui n'avait rencontré quelqu'un qui s'entêtât à ce point à être heureux. Peut-être qu'il y avait une recette…

- Shirooo ! Tu ne m'as pas entendu ? Tu viens déjeuner avec moi ? Comment se sont passés tes examens blancs ?

Kamui sentait poindre la migraine. Pas un de ces horribles maux de tête qui l'obligeait à s'étendre des heures durant, plus inutile que jamais, mais ce léger vertige, ce tournis presque agréable qui le prenait souvent lorsqu'il était en compagnie de Keiichi. La force vivante qui débordait de son camarade l'engloutissait comme une vague de chaleur sourde qui, parfois, parvenait presque à lui faire oublier pourquoi il ne serait jamais comme Keiichi. Presque.

- Excuse moi, dit-il calmement. Avec ce temps… Je ne pensais pas que tu m'attendrais. Tu as terminé ton travail tellement plus tôt…

- Oh ! Mais si ! S'exclama le jeune homme, rayonnant. J'ai fait mes devoirs pendant ce temps. Des sushis, ça te dit ?

Le ton bondissant lui donnait le mal de mer. Il se demanda confusément comme ce garçon pouvait avoir tant de force dans la voix.

- Il y a ces tables à l'abri, hurla Keiichi en le saisissant par l'épaule. Allons-y avant qu'il n'y ait plus de place !

Kamui se laissa complaisamment traîner jusqu'aux longues tables de bois gras où son ami laissa tomber son sac dans un fracas qui le fit frémir. Plus le temps passait, plus il lui semblait que le moindre bruit se répercutait en lui avec une force à peine supportable.

- Alors ? Fit Keiichi d'un ton plus modéré. Comment ça a été, les maths ?

- Pas trop mal, répondit-il doucement en s'asseyant à son tour. Je te remercie de m'avoir donné un coup de main pour les révisions…

- Il n'y a pas de quoi ! Mais j'imagine que tes amis t'ont beaucoup aidé, eux aussi ? Ils avaient l'air de s'inquiéter pour toi.

Kamui songea, mortifié, à la dernière rencontre de Keiichi avec ses envahissants colocataires. Bien sûr, l'inviter chez lui n'avait pas été la meilleure idée qu'il ait eu. Mais le garçon l'avait si souvent convié à venir dîner qu'il avait voulu lui prouver sa reconnaissance. Cet après-midi là, Keiichi Segawa c'était retrouvé au beau milieu du repaire des Dragons du Ciel. Yuzuriha était entrée la première, discourant gaiement avec ce que Keiichi percevait comme un large espace vide. Puis ça avait été au tour de Sorata qui s'appliquait à faire bouillir une casserole d'eau entre ses mains pour impressionner Arashi. La jeune fille, plus indifférente que jamais, nettoyait consciencieusement sa longue épée, préalablement effilée sur le plan de travail.

- Oh, Kamui ! Avait lancé Sorata sans même poser la casserole, c'est un ami à toi ?

Affreusement gêné, il avait brièvement présenté Keiichi dont les yeux papillonnaient de surprise.

- Oooh ! S'était exclamée Yuzuriha. Tu es le garçon qui aide Kamui-chan avec ses devoirs, n'est-ce pas ?

Keiichi avait acquiescé avec une timidité inhabituelle.

- Oui, il paraît que je ne suis pas capable de le faire, avait renchéri Sorata. Pourtant, notre pauvre Kamui est complètement largué, en maths…

Le feu lui monta à la figure en même temps que le souvenir. Pour ça, oui, ils s'inquiétaient. Jamais ils n'y avait eu tant de gens à s'affairer autour de lui. Il y avait Yuzuriha et ses petites attentions affectueuses toutes enrobées de coton et de rubans. Et puis Sorata, l'imperturbable bout en train collé à ses basques du matin au soir, essayant désespérément de le dérider un peu. Même Arashi, la froide et solennelle Arashi, lui portait une attention discrète. Et Subaru…

Il se gifla mentalement. Ce n'était pas le moment de penser à ça. Il ne fallait plus penser à Subaru.

- Oui, concéda finalement Kamui, ils s'inquiètent pour moi.

- C'est important, lança joyeusement Keiichi en projetant son déjeuner sur la table. C'est comme ça que l'on sait que l'on est aimé.

Il ouvrit sa boîte de sushis et les tendit à Kamui qui se servit d'une main légèrement tremblante.

Aimé. Il n'était plus aimé de personne. Aucun de ceux qui lui avaient ouvert leur cœur n'était plus à ses côtés.

Kamui… Je suis désolée. Je ne peux plus t'aider à porter ce fardeau. Va à Tokyo… Ton… Ton destin t'y attend !

Kamui-chan ! Je suis tellement heureuse de te revoir !Six ans déjà…

Kamui ! Tu es blessé ? Viens à la maison… Avec moi. Kotori est morte d'inquiétude.

C'est comme ça. Tout le monde ne peut pas être heureux, Kamui.

Il ferma les yeux. Il lui semblait qu'elles ne se taisaient plus jamais, ces voix. Celles des Absents. Ceux qui l'avaient abandonné. Ceux qu'il avait abandonnés.

- … Et le poisson crû est bien meilleur pour la santé, continuait son vis à vis, parce que, à la cuisson…

À la fin du déjeuner, Keiichi l'inviterait à dîner chez lui. Kamui refuserait, comme d'habitude, comme à chaque fois qu'il pouvait décliner sans blesser le jeune homme. Parce que s'ils passaient trop de temps ensemble, Keiichi finirait par le connaître. Inévitablement. Et ça, il ne le voulait à aucun prix. Il ne fallait pas qu'il sache, pas lui. Il ne fallait pas qu'il les voit au fond de lui, ceux qu'il n'avait pas pu sauver. Parce qu'il ne pouvait sauver personne. Et Keiichi ne devait jamais l'apprendre. Ou bien il le quitterait, comme les autres. De toutes façons, il ne faisait pas bon de trop connaître Kamui, ces temps-ci. Trop s'y étaient brûlé les doigts.

- … Enfin, après tout, cuit ce n'est pas mal non plus, mais ça perd quand même l'essentiel de ses qualités nutritives.

Kamui approuva silencieusement aux mots décidés. Ce ne serait pas difficile, pourtant, d'avoir Keiichi. Il était tellement seul, il cherchait à tout prix quelqu'un à protéger, quelque chose qui donnerait un tout petit peu de sens à sa vie désormais. Kamui était parfait pour jouer ce rôle. Et puis Keiichi était un garçon gentil, énergique, équilibré. Il se fichait éperdument de l'année 1999. Il ne gisait pas dans un cercueil, il ne cherchait pas à l'égorger avec tout ce qui lui tombait sous la main, il n'était pas obsédé par le souvenir d'un mort.

Une telle stabilité était enviable, par les temps qui couraient. C'était, de loin, le meilleur parti qui lui serait donné de rencontrer. Il lui suffisait de le vouloir.

Mais Kamui savait déjà qu'il n'aurait jamais Keiichi. Ils ne pourraient même pas devenir de vrais amis.

- Ils te plaisent, les sushis ?

Parce que Kamui Shiro n'avait jamais su ce qu'il voulait. Curieux, tout de même, que la vie ait semé sur sa route tant de choix à faire, tant de décisions à prendre alors qu'il n'était même pas capable de déterminer ce qu'il souhaitait pour lui même. Toute cette indécision avait achevé de ruiner sa vie.

Kotori… Fuma…

Non, il n'avait jamais su choisir. Il n'avait jamais su saisir sa chance lorsqu'elle se présentait. Il s'était contenté de les laisser glisser au loin, hors de sa portée, là où il ne pourrait plus les sauver, où il ne devrait pas irrémédiablement décider de ce qui avait le plus de valeur à ses yeux. Tout était tellement plus facile, alors. Kamui, l'infidèle chronique, qui ne sait pas se contenter d'une chose et qui préfère tout perdre plutôt que de se risquer à agir…

- Tu ne veux pas venir manger chez moi, ce soir ? On pourra finir ton devoir d'histoire, si tu veux.

Kamui resta silencieux un moment. Les cheveux et les yeux clairs du jeune homme reflétaient la lumière blanche du début d'après-midi et donnaient à son visage un éclat angélique.

- J'aimerais beaucoup, répondit-il. Vers… Quelle heure ?

Il put presque voir le cœur de Keiichi battre dans son regard.

- Tu… tu veux bien ? Euh.. je veux dire, sept heure et demi… ça te convient ?

Kamui hocha la tête et jeta un regard désabusé au sushi qui demeurait intacte devant lui. Keiichi bondit en regardant sa montre, agrippa son sac et après d'enthousiastes adieux, courut vers sa salle de cours. Kamui sentit longtemps encore la légère trace des doigts du garçon sur le dos de sa main. Peut-être que ce n'était qu'un geste involontaire, au fond. Il observa longuement la grande porte derrière laquelle il venait de disparaître.

Peut être pas.

Il aurait dû refuser. Toute cette histoire allait mal se terminer, comme les précédentes. Il n'y avait pas d'issue pour lui, plus d'échappatoire, pourquoi chercher à en blesser d'autres ?

C'est parce que tu es très jeune, murmura un des Absents. Tu voudrais croire encore qu'on peut aimer sans déchirer l'autre. Je l'ai crû aussi, de toutes mes forces. Il a fallu que je le tue pour comprendre. Il n'y a pas de solution.

C'était la vérité, son expérience l'en avait convaincu. Alors pourquoi… Bien sûr, il savait pourquoi. Parce qu'il avait seize ans et qu'il ne pouvait pas être déjà trop tard. Il avait le droit à une autre chance.

Mais au fond de lui, parmi la cohue des voix de ses morts, il savait qu'en dépit de tout, il était trop tard.

- Je peux… recommencer.

Hélas.

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À ma décharge, je tiens à dire que cette scène m'a été inspirée par un excès de wasabi dans mes sushis. Si vous avez des plaintes à déposer, adressez vous à ma sœur.

Euh, par contre, si vous avez des commentaires… Comment dire… JE LES VEUX !

Bref, reviewez moi, je veux bien vous donner la recettes de mes sushis… Bonne affaire, non ?