Chapitre I : Halloween 1981
C'était une de ces nuits au firmament d'un noir pesant, impénétrable, presque inquiétant. Sa fraîcheur perçante semblait annoncer l'arrivée prochaine d'un hiver bien plus rude : la pluie était fine, glaciale, ses gouttes insignifiantes virevoltant au grès d'une légère brise nocturne. Mais à travers cette bruine déplaisante, la lune, presque pleine ce soir là, masquait de son éclat chatoyant les rares étoiles qui auraient pu percer le léger voile cotonneux des nuages, son reflet dansant à la surface opaque d'un lac endormi, ridé ça et là par le souffle incessant.
C'était du moins tout ce qu'il pouvait percevoir depuis cette petite fenêtre close, à laquelle il était parvenu en se dressant maladroitement sur la pointe de ses pieds menus au sommet d'une boîte aux formes multicolores.
- Alors, Monsieur, vous ne pensez pas qu'il serait temps d'aller faire un gros dodo ?
L'arrachant à sa contemplation dans une étreinte affectueuse, une jeune femme faisant environ trois fois sa taille l'enleva de son poste d'observation pour le prendre délicatement dans ses bras. Son visage fin au teint pâle traduisait une extrême douceur qu'accentuaient son sourire maternel et ses yeux d'un vert surprenant. D'une main malhabile, il saisit une des mèches de sa soyeuse chevelure rousse, dans ce qu'il pensait être un geste de tendresse : sans réellement comprendre pourquoi, en contemplant cette figure enjouée, il sut qu'elle était celle qu'il aimait le plus au monde, auprès de qui il ne pourrait jamais ressentir ni peine ni crainte
- Allez hop, au lit mon chéri ! Reprit-elle en souriant.
- Ababa ! Hidoudou ! Balbutia-t-il en guise de protestation.
- Comment ça ababa ? Mais si, mais si ! On va dire au revoir à Papa et Pafoo avant de se coucher !
- Pa. . . Papa ! Pafoo ! Récria-t-il à la mention de ces deux mots.
Se blottissant un peu plus dans les bras protecteurs de sa mère, qui descendait des marches d'une hauteur vertigineuse selon son point de vue, il pénétra dans ce qui semblait être la plus vaste pièce de l'habitation :
La lueur incertaine des dernières étincelles d'un feu mourant ambrait les murs de ce salon, sur lesquels valsaient des formes floues lumineuses correspondant aux têtes monstrueuses que projetaient trois citrouilles habilement entaillées, lévitant à quelques centimètres du plafond. Face à face, se dessinaient les ombres de deux hommes silencieux devant l'âtre faiblement éclairé, tout deux focalisés sur le combat acharné d'un fou et d'un cavalier, jusqu'à ce que ce dernier ne succombe, se brisant vaincu, au centre d'un vieil échiquier.
- Hein ?! C'est quoi cette blague ?! C'est moi qui ai lancé l'assaut ! S'indigna le premier joueur.
- Je t'ai déjà expliqué que je suis le meilleur, y a rien à comprendre, c'est logique ! Se pavana le second en riant. Su ce, Echec et . . .
- Tss ! Ne crie pas victoire trop vite, les choses sérieuses viennent à peine de commencer ! J'annonce : petit roque, roi en G1 et tour en F1 !
- Petit quoi ? T'as pas fini de réinventer les règles façon moldus ?!
- Vous en êtes encore là ! Soupira la jeune femme blasée. Ca va faire combien. . .Cinq heures que vous êtes sur cette partie ?
- Tant que ça ? Quelle heure est-il chérie ? S'étonna le second joueur.
- Une heure passée. . . Vous pourriez en profiter pour faire quelque chose d'incroyable, dormir par exemple, ça vous changerait ! Railla-t-elle d'une voix désabusée.
- Comme si la nuit était faite pour ça ! Plaisanta le premier, bien que son timbre rauque trahissait un épuisement évident.
- Arrête un peu, ça fait deux nuits que tu n'as pas fermé l'œil ! Tu as une mine épouvantable !
- Merci, ça me touche beaucoup !
- Je suis sérieuse ! Tu as déjà fait suffisamment ! Ce plan est parfait, ce sont bien tes mots n'est-ce pas ?
Ce dernier ne répondit pas, s'approchant du foyer pour en ranimer les braises. Celles-ci découvrirent alors un visage jeune, indéniablement séduisant, en dépit du voile de fatigue et d'inquiétude qui en crispait les traits. Ses cheveux coupés courts d'un noir ébène encadraient avec une négligence des plus élégante des yeux assortis, où se reflétaient alors les flammes ardentes dans lesquelles semblaient se perdre ses pensées.
Après avoir échangé un regard entendu avec la jeune mère, l'autre homme le rejoignit auprès de l'âtre embrasé, révélant à l'enfant le visage rieur de son père. Quoique sa coiffure savamment désordonnée laisse penser qu'il venait de s'éveiller, son regard vif et espiègle affirmait le contraire, posé avec bienveillance sur son meilleur ami derrière de fines lunettes rondes.
- Tu en doutes ? Demanda-t-il d'une voix étrange.
- Je. . .Non, non. . . Enfin, j'en sais rien. . . Peut-être. . .
- Tu devrais pas ! Ca te fait une ride juste entre les sourcils, comme ça ! Expliqua-t-il en mimant exagérément sa mine renfrognée.
L'homme le regarda perplexe puis secoua la tête avec un léger sourire découragé
- Sérieusement, qui pourrait imaginer une seule seconde que je confie une tâche d'une telle importance à quelqu'un comme Peter ?
- Et si c'était le cas ? Je veux dire. . . Il n'a aucune chance contre lui, je l'aurais envoyé moi-même au suicide !
- Tu t'inquiètes un peu trop ! Il faut au moins reconnaître à Wormtail qu'il a toujours eu un certain talent pour s'esquiver de situations houleuses, et ce n'est sûrement pas maintenant qu'il se mettrait stupidement en danger en sortant de sa cachette !
- Hmm…Marmonna l'autre sans conviction.
- Hé, c'est quoi cet air dépité, ça te ressemble pas Padfoot! S'exclama-t-il avec entrain. C'est pas comme si c'était la première fois qu'on prenait des risques !
- Peut-être, mais celui-ci est de taille. . .
- Tu oublies que tu as face à toi James William Potter, le grand, l'unique! Déclara-t-il en bombant le torse.
- Ben voyons, tu n'aurais pas oublié « et le meilleur attrapeur de tous les temps » ? Ca mérite au moins une fête nationale ça ! Ironisa son épouse
- C'est vrai que j'aurais pu le préciser, bien que ce soit mondialement reconnu. Lui accorda James en souriant.
Padfoot fit une petite moue, à la fois amusé et accablé devant cette candeur surjouée, puis se laissa retomber dans son fauteuil avec lassitude, jetant un œil à l'une des fenêtres de la pièce contre laquelle tambourinait la petite pluie automnale, brusquement transformée en véritable averse ponctuée par à-coups d'un coup de tonnerre retentissant.
- S'il vous arrivait quelque chose. . . Je ne lui pardonnerai jamais… Et à moi non plus. . . Reprit-il finalement dans un murmure.
- Ecoute. . . Continua le jeune père d'une voix soudainement plus concernée. Nous sommes tout aussi conscients de la situation que tu peux l'être, sinon plus. Ca se jouera à pile ou face entre les Londubat et nous, et j'ai tendance à croire que cette fois-ci, le sort ne nous sera pas favorable.
Il marqua une courte pause, soupirant légèrement, puis reprit avec un triste sourire :
- Quoiqu'il en soit, ce n'est pas de nous dont il faut s'inquiéter, mais de ce ptit bonhomme là. Tant que Lily et moi sommes auprès de lui, il ne peut rien lui arriver.
Ce dernier se sentit alors transporté dans les bras de son père, quittant la douce chaleur de l'étreinte maternelle pour tournoyer vivement dans les airs. Le paysage défilait à toute vitesse devant ses yeux d'enfant, et quoique cela lui fasse un peu peur, il éclata d'un petit rire aigu qui en réclamait encore. Cet homme, il l'adorait. Il le faisait rire avec ses mimiques amusantes à la limite du gagatisme et ses jeux souvent « aériens » qui lui valaient souvent les réprimandes de sa mère.
- La passe Sirius ? Demanda-t-il en simulant une position de tir.
- Chéri, si tu commences à jouer au Nimbus 1990 avec lui, tu en auras pour toute la nuit ! Je te signale que notre bout de chou devrait déjà dormir depuis un bon moment. Lui fit remarquer Lily.
- Domir ? A veux pa domir moi, a veux zouer avec Papa et Pafoo ! Dit James d'une petite voix enfantine en faisant correspondre les gestes de l'enfant hilare à ses paroles.
- Pafoo ! S'écria ce dernier en gesticulant ses mains en direction de l'intéressé.
- Et dire qu'il a su prononcer ton surnom avant de savoir dire Maman ! Plaisanta Lily à l'intention de Sirius.
- Question de phonétique ! Répondit-il avec un sourire.
Il accéda à la demande du nourrisson qui l'appelait dans ses bras : ce dernier émettait de petits gloussements de rire alors que son parrain lui chatouillait le ventre en le berçant pour l'endormir.
- Eh bien ! Tu sais y faire on dirait ! Qui l'eut cru ? Sirius est un vrai Papa poule ! Le taquina James.
- Tu plaisantes ? Je serais parfaitement incapable de m'occuper d'un bébé, j'ai déjà du mal à me surveiller moi-même ! Affirma-t-il, embarrassé.
- T'as le regard dans le vide et un sourire béat en le berçant, c'est révélateur ! Il t'a eu mon vieux, faut assumer maintenant !! Continua-t-il sur le même ton.
- N'importe quoi ! Je saurais jamais faire la différence entre le cri réclamant la tétine ou une nouvelle couche ! Et puis, même si c'était le cas, je serais capable de la mettre à l'envers ou de remplir son biberon à la Bierraubeurre !
- Mais bien sur, et tu le nettoierais au récurvite et lui chanterais le dernier hit des Croque-mitaines pour l'endormir c'est ça ?!
- J'irais pas jusque là, ils n'ont aucun talent en comparaison des Crackbrained !
- Hmm…En fait, Reprit Lily, je crois que ce que Jim voulais dire, c'est qu'il. . . Que nous ne regrettons absolument pas notre choix. Acheva-t-elle avec un sourire reconnaissant.
- Je préfère croire, non, je suis persuadé que ce ne sera pas le cas, mais si les choses devaient mal tourner... je sais qu'Harry sera entre de bonnes mains. Confirma son époux d'une voix étonnamment posée.
- N'y songez même pas ! Répliqua Sirius avec fermeté. Evidemment que ça n'arrivera pas ! Les mangemorts tombent un par un sous nos baguettes ou dans les cachots d'Azkaban, et leur maître ne tardera pas à les rejoindre, c'est une question de jours. Et s'il le faut, s'il s'intéresse un peu trop à vous, j'en ferai une affaire personnelle !
- Voilà qui ressemble beaucoup plus au Sirius que je connais ! Commenta James avec un sourire malicieux.
Le concerné le lui rendit avec la même expression, puis se relevant en douceur pour ne pas trop secouer le poupon aux yeux verts qui achevait un bâillement, il reprit à l'intention de Lily :
- J'ai suffisamment abusé de ton hospitalité pour ce soir, je ne vais plus tarder à y aller je pense. . .
- Avec cette averse, à cette heure-ci ? Certainement pas ! Je vais te préparer la chambre d'amis !
- Je prendrais par-dessus les nuages c'est pas un problème. J'aimerais m'assurer que tout va bien du côté de Peter. . .
- Sirius. . .
- Oui, je sais ! De toutes façons, je devrais recevoir la visite de quelques mangemorts je présume, alors autant être là pour les accueillir. Ironisa-t-il.
- Pas de tentative stupidement héroïque, promis ? L'avertit-t-elle du ton d'une mère parlant à son fils.
- Comme si c'était dans mon tempérament ! Répondit-il innocemment avant de reprendre à l'intention de James. Je passerai probablement voir Moony en premier. Je vais bien réussir à le persuader de profiter de son déguisement d'une nuit pour aller réclamer des Berties-Crochues aux portes de son voisinage !
- C'est vrai que c'est la pleine lune ce soir ! Ah, la belle époque de nos escapades nocturnes !
- Va dire ça à Remus, je suis pas certain qu'il partage ton enthousiasme ! Surtout depuis que la potion tue-loup a été découverte !
- Tu parles ! Je parie qu'il doit s'ennuyer ferme maintenant ! Vivement que cette histoire se termine pour qu'on remette ça !
Sirius acquiesça d'un vif signe de tête, souligné du sourire calculateur propre au maraudeur qu'il était.
- Et comment ! La prochaine fois, on emmènera mini Prongs avec nous ! Ajouta-t-il avec entrain, en rendant le bébé à sa mère.
- Compte là-dessus ! Gronda-t-elle avec suspicion.
- Il faut bien former la relève si on ne veut pas que notre œuvre tombe dans l'oubli ! Le règlement intérieur de Poudlard serait bien inutile s'il ne servait pas à être enfreint !!
- Je me demande quelle forme il prendrait en animagi. . . Songea Prongs à voix haute.
- Un faon sans doute ! Assura Padfoot avec conviction.
- Il n'en est pas question !! C'est pas vrai, vous ne changerez donc jamais tous les deux ?
Ils échangèrent un regard interloqué.
- Non ! Répondirent-ils en cœur d'une voix énonçant l'évidence.
Lily se tapa le front de la paume de la main, découragée.
- Allez, cette fois, je décolle pour de bon. Reprit Sirius en cherchant les clés de sa moto. N'hésitez pas à m'appeler si vous avez le moindre souci, je garde le miroir à porté de main. . . Je te mettrai échec et math demain Prongs? Ajouta-t-il en montrant l'échiquier du doigt, où les pions laissés à leurs postes s'étaient endormis d'ennui.
- Espère toujours ! Rétorqua en riant ce dernier, lui donnant une bourrade amicale en guise d'au revoir.
- Baba Pafoo ! S'exclama l'enfant dans ses bras en attrapant une manche de son blouson en cuir.
- Bye bye Harry ! Répondit « Pafoo » en lui ébouriffant un peu plus les cheveux. On se revoit très vite. . .
Ce fut sur ces derniers mots qu'Harry ouvrit les yeux. . .