Celui que j'aime
Chapitre 5
Il aimait beaucoup les dimanches de printemps d'ordinaire... Généralement, il passait sa matinée à cuisiner. Son frère Ikki, était un gros mangeur et il appréciait les bons petits plats qu'il lui concoctait et Shun aimait lui faire plaisir.
Puis ensuite, il sortait se promener pour admirer la nature en pleine transformation. Parfois, June l'accompagnait. Mais aujourd'hui, malgré le soleil éblouissant qui perçait en dépit des rideaux tirés, il lui semblait que tout était gris, pluvieux.
Il n'avait pas bougé de son lit, son corps s'engourdissant davantage sous le manque d'activité. Il avait l'impression de se réveiller d'une cuite monumentale, tellement son état dépressif et ses souvenirs de la veille lui paraissaient irréels.
Le réfrigérateur était vide et Ikki dont l'estomac criait famine, se rendant compte qu'il ne pouvait compter sur lui, s'était décidé à aller lui-même chercher de quoi les ravitailler chez le traiteur.
La porte claqua de nouveau et le bruit des pas dans l'escalier le décida à finalement se lever.
Ca ne rimait à rien de se laisser abattre de la sorte!
Il aimait son travail, l'avenir semblait lui sourire désormais. Un avenir brillant dans un journal respecté et dont il aimait la ligne éditoriale ; un avenir fait de plein de dimanches de printemps ensoleillés à pic-niquer avec June et les enfants qu'ils auraient certainement…
Pourquoi ressentait-il désormais ce pincement au cœur à cette perspective? Comme s'il aurait soudain rêvé d'autre chose...
Hyoga…. Hyoga qui lui revenait sans arrêt à l'esprit.
Il secoua la tête. Il s'était trompé. Il ne fallait plus qu'il pense à cela, à cet égarement de quelques secondes qui ne pouvait en aucun cas bouleverser sa vie.
Comment pouvait-il remettre en cause tout ce qu'il partageait avec June pour seulement un baiser?
Il enfila un pull et malgré son mal au crâne, se décida à appeler sa fiancée.
« Shun! Cela faisait si longtemps! Je me demandais si tu ne m'avais pas oubliée! »
La voix chaleureuse et son ton ravi lui mit du baume au cœur.
« J'étais très pris par mon nouveau travail, désolé. » s'excusa-t-il. « Tu es libre cet après-midi? »
« Oui, bien sûr! Je peux passer chez toi, si tu veux! »
« D'accord. Je t'attends. »
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Qu'est-ce qui lui avait pris d'embrasser un homme ? Et Shun qui s'était laissé faire, comme si c'était normal... Peut-être que c'était ce qu'il attendait, après tout….
« Peut-être est-ce arrivé parce que je me sens si proche de lui… et qu'il a un visage d'une telle beauté, les traits d'une finesse… à faire pâlir d'envie la plus belle femme. J'ai été abusé par son aspect féminin et je me suis trompé. »
Assis sur le banc des vestiaires, ses patins délacés devant lui, les yeux rivés sur le carrelage inégal, Hyoga n'arrivait à détacher son esprit des événements de la veille, se sentant dans le brouillard le plus total comme s'il était trop choqué pour pouvoir reprendre le cours normal de sa vie. Il ne leva pas les yeux quand le banc s'affaissa, signe que quelqu'un venait de s'asseoir près de lui. Il n'avait d'ailleurs aucun doute sur l'identité de la personne qui restait ainsi silencieuse, attendant qu'il veuille bien prendre la parole.
« Je me sens perdu, Camus... » finit-il par geindre.
« Qu'est-ce qu'il t'arrive? » demanda son entraîneur d'une voix calme, pleine de compréhension. « Tu ne te changes pas ? »
Hyoga releva enfin la tête pour balayer de son regard bleu ciel le vestiaire afin de s'assurer qu'aucune oreille indiscrète n'entendrait la confession qu'il s'apprêtait à faire à son vieil ami.
« Tout est étrange aujourd'hui... » commença-t-il.
« Ah oui? » demanda Camus avec un sourire narquois.
« Ne te moque pas! Je suis complètement déstabilisé par ma journée d'hier! »
« Et qu'est-ce qu'il t'est arrivé de si spécial, hier? Laisse-moi deviner…. Tu t'es fait enlever par un vaisseau extra-terrestre? »
« Non... Plus grave encore... » répondit Hyoga très concentré sur son propre problème et pas d'humeur à plaisanter. « J'ai embrassé un mec! Mais qu'est-ce qui m'arrive? » demanda-t-il en se prenant la tête entre les mains.
Camus se contenta de sourire.
« Je croyais que tu aimais beaucoup les filles... Freya, Irina... »
« C'est ça, moque-toi! »
Il sentit le banc s'alléger d'un poids et la silhouette longiligne de son entraîneur vint le priver de la lumière du néon..
« Va prendre ta douche. Les effets de l'alcool vont se dissiper et tu auras les idées plus claires. Je ne m'en fais pas pour toi. Mais ce n'est pas sérieux ! Tu devrais passer tes week-ends à autre chose qu'à te saouler. »
« Ce n'est pas... » voulut protester Hyoga mais son entraîneur lui coupa la parole.
« Je n'ai le droit en rien de juger de vie privée. Sauf si elle interfère avec ton Hockey. Sois prêt pour le match de samedi, c'est tout ce que je te demande. »
Il n'avait nullement pris conscience de la gravité de sa crise d'identité sexuelle. Camus pensait visiblement qu'il avait pris une cuite la veille et que comme cela se passait parfois, dans un excès euphorique, il avait roulé une pelle à un autre gars tout aussi bourré que lui. Cela aurait été tellement plus facile... Seulement, il était malheureusement bien à jeûn... Il avait agi en pleine possession de ses moyens... si on considérait que les troublants yeux verts n'étaient pas une sorte de drogue qui anesthésiait votre cerveau...
Il était seul face à ce nouveau problème.
Il leva les yeux vers le plafond, s'aveuglant à la lumière artificielle des néons.
« Merde! Qu'est-ce que je dois faire! »
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« Et si on emmenait une couverture, quelque chose à manger et qu'on allait s'installer sur la pelouse du parc, dans un endroit au soleil ? Qu'est-ce que tu en dis ? » proposa June, enthousiaste.
« Oui, c'est une bonne idée. » essaya de se réjouir Shun.
Mais pourquoi alors qu'il imaginait leur futur après-midi ensoleillé, au calme comme il aimait les passer, ne pouvait-il s'empêcher de penser qu'en compagnie de Hyoga, cela aurait été encore mieux ?
Il ne pouvait cesser de songer à lui. Il ressentait comme un manque, comme si sans Hyoga pour connaître toutes les choses qu'il allait rencontrer, la vie n'avait plus la même saveur.
Dès qu'il goûtait à un plat délicieux, il avait envie de le partager avec le jeune russe, dès qu'une émission le passionnait à la télévision, il s'imaginait lui en parler, dès qu'une fleur lui apparaissait magnifique, il voulait la lui montrer…
Toute sa vie tournait autour de Hyoga ou plutôt de son absence, comme s'ils avaient toujours vécu ensemble sans jamais se quitter et que ces deux jours sans avoir de ses nouvelles étaient insupportables.
« Shun ? Est-ce que ça va ? » lui demanda son amie, le voyant songeur.
Le jeune homme s'efforça de revenir à la réalité, se jurant d'être désormais complètement disponible pour June, même par la pensée.
« Excuse-moi, June ! Est-ce que tes cours se passe bien ? » demanda-t-il, essayant de s'intéresser à elle.
« Oui, rien de bien spécial, contrairement à toi. Je suis si contente que tu aies trouvé un travail qui te plaise, mon Shun ! »
Un grand sourire illuminant son visage, elle se rapprocha de lui pour l'embrasser. Instinctivement, il eut un mouvement de recul. Elle eut l'air surprise mais il se contrôla, réussit à lui rendre son sourire et passant un bras autour de sa taille, posa ses lèvres sur les siennes.
Il se sentit un peu en colère contre lui-même en constatant qu'il ne ressentait pas du tout la même chose que lorsque au milieu de la patinoire, il avait échangé un baiser passionné avec Hyoga.
Etait-ce l'habitude qui annihilait les sensations ? Les baisers de Hyoga avaient-ils juste l'attrait de la nouveauté ?
Shun resta un long moment silencieux, un peu dépité. June le regardait de ses grands yeux noisette, se demandant certainement ce qu'il se passait dans la tête de son amoureux.
Il finit par rassembler son courage et demander :
« Peut-être devrait-on faire un break… ? »
Il ne se sentait plus la force de faire semblant avec elle, de jouer la comédie de l'amour alors qu'il pensait sans arrêt à un autre en sa présence.
« Mais pourquoi ? » cria-t-elle « Pourquoi maintenant ? On était si bien aujourd'hui, tous les deux ! »
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Suite aux excellents échos sur son article concernant Hyoga Glaski que le Sanctuaire du sport avait recueillis, il s'était vu promulgué spécialiste des sports de glace au sein de la rédaction.
Ce n'était pas pour lui déplaire. Il avait appris à apprécier l'ambiance des patinoires mais la démonstration de curling à laquelle il assistait commençait à ennuyer Shun et il baillait à s'en décrocher la mâchoire.
Il consulta son agenda. Son emploi du temps de la journée était très chargé, dans un quart d'heure, il devrait se trouver à un autre endroit de la ville pour une interview et il devrait ensuite déposer un article au siège de son journal pour se trouver chez lui juste à l'heure où débuterait le film de la soirée. Malgré cela, sa vie lui semblait vide. Tellement vide depuis que Hyoga ne l'appelait plus, depuis que celui-ci ne répondait plus non plus à ses appels…. Il fallait qu'il oublie cet épisode de la semaine précédente.
Il soupira en refermant son calepin et se leva. Il avait désormais suffisamment d'informations pour pouvoir écrire son petit article. Il était de toute façon convaincu qu'aucun lecteur du Sanctuaire du sport ne prêterait attention à cet encart.
En sortant de la patinoire, il jeta au passage un oeil à son reflet dans une des vitrines. Il se força à sourire. Après tout, il allait interviewer une des plus jolies jeunes filles du moment, celle qui faisait la couverture de tous les magazines depuis qu'elle était devenue championne d'Europe : la patineuse finlandaise Paula Riis. Et de plus, contrairement à son illustre sœur aînée Hilda qui était devenue championne olympique, Paula, avait la réputation d'être une jeune fille charmante, toujours aimable et de bonne humeur.
Il passait toujours en revue dans sa tête les questions qu'il voulait lui poser lorsqu'il poussa la porte de la salle de réunion de la patinoire.
Il se figea tout à coup, se sentant proche du malaise. Son cœur lui sembla cesser un instant de battre lorsque ses yeux verts vinrent se perdent dans ceux, bleus, de celui qu'il lui était impossible de joindre depuis plus de trois semaines.
Hyoga détourna immédiatement la tête et son regard légèrement haineux ne lui échappa pas. Shun sentit cette même douleur maintenant familière dans sa poitrine, l'éteindre à nouveau.
Le Russe ne le salua pas et se leva.
« Je crois que vous avez assez de photos, non ? » demanda Hyoga, visiblement décidé à le fuir.
Le photographe présent dans la pièce lui lança un regard surpris. La seconde d'avant, le jeune homme blond semblait insouciant, plaisantant avec Paula et bizarrement, il semblait à présent contrarié, ayant retrouvé tout son sérieux. Seule la jeune file continuait à sourire.
« Je n'ai pas terminé. Encore quelques clichés, s'il vous plait, je n'en ai pas pour longtemps. »
Hyoga se rassit à contrecœur, essayant d'ignorer Shun qui, discrètement, avait pris une chaise pour attendre son tour.
Il se décontracta légèrement en voyant que le jeune japonais semblait respecter la distance qu'il voulait mettre entre eux mais sa présence le troublait néanmoins. Il devait faire un effort surhumain pour ne pas se tourner vers lui, pour ne pas le regarder et il sentait lui-même que chacune de ses propres paroles sonnait faux, que chaque geste était calculé.
« Décalez-vous légèrement sur la droite et fixez l'objectif ! » réclama le photographe.
Hyoga s'exécuta, souriant en dévoilant sa superbe dentition à la blancheur parfaite.
« Voilà ! C'est bien. » continua le photographe « Hyoga ? Pouvez-vous vous rapprocher un petit peu de Paula ? »
Le Russe joua le jeu et il se surprit lui-même à passer un bras autour des épaules de la jeune femme. La patineuse sembla, elle aussi, surprise mais ne le repoussa pas. Elle sourit plus largement.
Inconsciemment, il avait l'impression de devoir prouver à Shun, de devoir se prouver à lui-même qu'il aimait bel et bien les femmes, de devoir démontrer sa virilité, que tout ce qui était arrivé entre eux n'était qu'une erreur qui ne venait pas de son fait à lui, Hyoga.
Shun avait l'impression de se liquéfier, se tassant de plus en plus sur sa chaise, les larmes lui montant aux yeux. Il détourna le regard.
« Hyoga, un dernier sourire ! » réclama le photographe. « C'est parfait. Merci beaucoup tous les deux. »
Hyoga passa devant Shun sans lui adresser un regard. Le jeune japonais, en revanche, ne put s'empêcher de le suivre des yeux alors qu'il quittait les lieux. Hyoga ne désirait visiblement plus le voir. Peut-être était-ce mieux ainsi…
Paula l'attendait en souriant et Shun réussit à reprendre une contenance et à l'aborder.
« Nous avions rendez-vous ensemble, vous vous souvenez ? Je suis journaliste au Sanctuaire du sport. »
« Je m'en souviens parfaitement ! Vous êtes Shun Kido, n'est-ce pas ? »
Shun se força à sourire et posa les questions qu'il avait longuement préparées.
Il se sentait légèrement désabusé, il avait perdu une partie de sa motivation à continuer à travailler pour le quotidien mais malgré tout, s'il avait pensé à un moment donné à démissionner pour ne plus avoir à croiser Hyoga Glaski, il y avait renoncé. Il aimait beaucoup trop son travail maintenant.
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« Allez les gars! Il faut que nous fassions mordre la glace à cette bande de frimeur ! La place en finale est pour nous ! »
Isaak Kraken, le leader de l'équipe de l'Aurore boréale motivait ses troupes avant d'entrer sur la glace, ajustant les casques de ses coéquipiers ou distribuant tapes amicales dans le dos.
« Ouais cap'taine ! Comptez sur moi ! »
« Bian, je compte sur toi et Scylla pour marquer ce Glasky. Ne le lâchez pas d'un patin. »
« Compris, Capitaine ! »
Isaak esquissa un sourire. Il aimait ces ambiances d'avant match et son équipe tenait un moral d'enfer. La petite altercation au bowling les avait tous motivés. Ils allaient faire un excellent match, il en était sûr.
Il jeta un œil curieux dans les vestiaires de l'équipe adversaire dont les portes étaient ouvertes. Quelques joueurs en tenue de hockey commençait à en sortir. Il chercha Hyoga Glasky du regard. Il le trouva assis, seul, sur un des bancs, le regard perdu dans le vide, fixant obstinément l'un des néons au plafond.
Ses équipiers des Cygnes blancs se préparaient en silence. Ils avaient tous l'air morose comme s'ils attendaient leur exécution dans le couloir de la mort.
Le sourire du Finlandais se fit plus ironique. On était loin de la grande communion qui régnait au sein de sa propre équipe. Ils n'allaient faire qu'une bouchée de ces foutus cygnes !
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« Shun ! Shun ! Shun ! »
Il se concentrait sur les battements de son cœur, dans sa poitrine, chaque pulsation semblait crier le nom de celui qui monopolisait ses pensées.
Shun serait sûrement présent ce soir pour le regarder jouer. Il fallait qu'il donne le meilleur de lui-même. Pour lui. Pour que Shun continue à l'admirer.
« Shun. Shun. Shun. »
« Hyoga. C'est l'heure ! »
Le jeune Russe se leva de son banc et suivit la file de ses coéquipiers. Il enfila ses gants. Il constata que ses mains tremblaient. Il était fébrile. Impatient comme toujours d'aller à l'affrontement mais avec cette appréhension nouvelle, cette peur de ne pas être à la hauteur.
« Shun…. »
Shun, c'est tout ce qui comptait !
Ca n'engageait que lui, personne ne saurait. Pour ce cadeau qui ne ferait plaisir qu'à lui. Il se verrait dans ses yeux beau et triomphant. C'était certes fort narcissique mais qui serait au courant ? Il sourit.
Il allait offrir ce match à Shun. Il allait gagner pour lui prouver qu'il n'était pas qu'un lâche incapable d'assumer ses actes.
ooooooooooooooooooooooooooooo A suivreoooooooooooooooooooooo