Tough, you think you've got the stuff
You're telling me and anyone
You're hard enough
You don't have to put up a fight
You don't have to always be right
Let me take some of the punches
For you tonight
(Sometimes you can't make it on your own, U2)
Ce chapitre est dédié à Juliette…
Maraudeurs un jour…
Remus Lupin soupira, excédé. D'un mouvement brusque, il s'assit et jeta les jambes hors de son lit. Mon vieux, laisse tomber... Il faut te faire une raison : tu n'arriveras PAS à dormir cette nuit. Il enfila ses pantoufles, et se mit à tourner en rond dans sa chambre. Merlin... Qu'est-ce que je peux être nerveux, ces jours-ci ! Pourtant la pleine lune est passée... Qu'est-ce qui m'arrive ?
Au fond de lui, Remus savait très bien ce qui n'allait pas. En fait, il aurait été plus vrai de dire que rien n'allait, justement. Mais après tout, le loup-garou n'était pas vraiment - et pour cause - un spécialiste des situations où tout allait bien...
Cela faisait maintenant plusieurs mois qu'il avait pris ses quartiers à Grimmauld Place. Parce qu'il était un membre de l'Ordre, bien sûr, mais surtout parce que c'est là que Sirius avait été assigné à résidence. Excepté quand il était envoyé en mission, il pouvait ainsi lui tenir compagnie. Remus ne pouvait que trop bien imaginer ce que Sirius devait ressentir, enfermé dans cette maison. Elle ficherait déjà le cafard à n'importe qui - sauf peut-être à Malfoy ou Voldemort - mais pour Sirius, ce doit être l'enfer. Et dire qu'il avait pensé ne plus jamais devoir y remettre les pieds ! Néanmoins, Remus était d'accord avec Dumbledore : c'était ici que Sirius était le plus en sécurité. Avec le Ministère toujours à ses trousses - Ils auraient pourtant mieux à faire, bande d'imbéciles ! - et les Mangemorts qui devaient connaître sa forme animagus, il avait une chance sur deux de se faire arrêter ou tuer s'il mettait un pied ou une patte dehors.
Il n'empêchait que Sirius était en train de dépérir... Remus voyait que son ami faisait des efforts désespérés pour se montrer utile et aimable, mais il y arrivait de moins en moins... Quand Remus s'absentait pendant plusieurs jours, il le retrouvait complètement renfermé sur lui-même, mal rasé, bref, totalement déprimé. Et ça, ça ne ressemblait pas au Sirius qu'il connaissait ! Je suis sûr que même à Azkaban, il n'était pas comme ça... S'il a réussi à en sortir, c'est grâce à sa rage, à sa haine contre Peter et à son inquiétude pour Harry. C'est tous ces sentiments qui l'ont fait tenir. Mais là, il est en train de se laisser aller...
Quand les membres étaient réunis au manoir, d'un autre côté, Sirius avait de plus en plus de peine à garder son calme, en particulier avec Molly et Snape. Bon, Snape, c'était une habitude, et personne ne s'en formalisait. D'ailleurs, Severus le cherchait bien, avec ses petites remarques mesquines sur les gens qui prenaient des risques. Mais avec Molly, c'était différent. Tous deux avaient développé une véritable rivalité par rapport à Harry. Quand l'adolescent était là, ils réussissaient à se contrôler, heureusement. Remus avait vraiment craint le pire quand ils s'étaient ouvertement affrontés le jour de son arrivée à Grimmauld Place. Le pauvre avait suffisamment de problèmes comme cela sans avoir encore à choisir entre son parrain et la mère de son meilleur ami. On aurait dit des parents sur le point de divorcer. Tu préfères rester chez ton père ou ta mère ? Un enfant ne devrait jamais avoir à prendre ce genre de décisions... Et Harry encore moins qu'un autre ! Le loup-garou secoua la tête. En plus, cette dispute était ridicule. Après tout, Sirius et Molly n'avaient pas du tout le même genre de relation avec Harry. Grâce à la mère de Ron, l'adolescent avait trouvé un peu de cet amour maternel auquel il n'aurait jamais droit. Sirius, c'était autre chose: c'était son parrain, un lien avec ses parents, une sorte de frère aîné aussi. Et tous deux avaient énormément besoin l'un de l'autre, Sirius pour reprendre pied dans la réalité, et Harry... hé bien simplement parce que tout le monde a besoin d'une figure paternelle. Molly, elle, avait un mari et sept enfants. Elle aurait donc bien pu laisser Sirius jouer son rôle de parent. Bien sûr qu'il faisait des erreurs, bien sûr qu'il n'était pas un "père" parfait... Mais comment aurait-il pu l'être ? Ce n'est pas les douze ans qu'il a passés à Azkaban qui ont pu lui apprendre les bases de l'éducation, non ? Mais Remus était persuadé que Sirius avait besoin de cette responsabilité pour s'en sortir. Et il allait tout faire pour l'aider.
Et toi, tu n'as besoin de rien ni personne, hein ? dit soudain une petite voix au fond de sa tête. Moi, c'est pas pareil. Et après tout, j'ai retrouvé Sirius, c'est déjà pas mal... la fit taire Remus en s'affalant dans un fauteuil près de la fenêtre. Il attrapa un livre au hasard sur la table, espérant se changer les idées. "Au coeur du pouvoir. Une l'histoire des sangs purs du Moyen-âge à nos jours." Merveilleux ! C'est sûr que ce n'est pas dans cette maison que je risque de tomber sur un bon Dickens, James ou Wilde. Tous des Moldus, après tout...
Et Remus se releva aussi vite qu'il s'était assis. Il faut que je m'occupe, ou je vais devenir dingue. Et dire que c'est dans cet état que Sirius doit être vingt-quatre heures sur vingt-quatre... Il grogna tout haut. Cela le rendait fou de voir son meilleur ami si mal en point et de ne rien pouvoir faire pour lui. Il avait essayé de discuter avec lui, il avait tenté de lui poser des questions sur Azkaban, mais rien à faire. Sirius n'était pas du genre à se plaindre, ni à se confier. Parfois, tout d'un coup, il se mettait à parler. Par exemple, un jour que Remus l'avait trouvé dans la cuisine, en train de ruminer devant une Bièraubeurre, et qu'il ne s'était pas risqué à l'interroger, Sirius avait brusquement commencé à lui raconter qu'il venait encore une fois de se disputer avec Molly. Et il lui avait enfin fait part de ses doutes quant à son état mental, et ses capacités à élever Harry. Remus l'avait laissé vider son sac, et l'avait rassuré du mieux qu'il avait pu. Non, il ne confondait pas Harry avec James; oui, c'était normal qu'il ne sache plus où il en était; et bien sûr qu'il était un bon parrain. Sirius l'avait remercié, et avait aussitôt changé de conversation. Mais il avait semblé plus détendu les jours suivants... c'est-à-dire jusqu'au retour de Snape d'une de ses "dangereuses missions".
"Merde, à la fin !", s'exclama enfin Remus, oubliant presque d'étouffer son cri. J'en ai marre de ne servir à rien ! Je n'ai rien pu faire il y a douze ans, et c'est toujours pareil. Je ne peux pas ressusciter James et Lily, je ne peux pas effacer les douze ans que Sirius a passés en prison, ni l'enfance malheureuse de Harry. Mais si au moins je pouvais faire quelque chose maintenant pour les aider ! Non, je me contente de les écouter, et de les calmer. Alors que je comprends parfaitement qu'ils aient envie de tout envoyer balader... Évidemment, étant donné que c'est ce que je ferais bien moi-même. Mais Dumbledore ne m'a pas nommé préfet pour rien, n'est-ce pas ? C'est moi le type responsable et sérieux...
Remus ouvrit sa porte d'un geste rageur, et descendit les escaliers. Hé bien le type responsable et sérieux, il a envie de se boire un whisky et de se fumer une cigarette, voilà ! Et tant pis si ça choque quelqu'un ! Marre d'être responsable et sérieux... Grâce à ses facultés de loup, Remus se dirigea vers la cuisine sans avoir besoin d'allumer aucune lumière. Il trouva la bouteille de whisky - déjà passablement entamée, et il craignait de savoir par qui - ainsi qu'un verre, et fit demi tour pour aller fouiller les poches des manteaux à l'entrée. Il doit bien y avoir quelqu'un qui fume, ici ! Mais comme il allait dépasser l'entrée du salon, il s'arrêta net. Il avait entendu une respiration. La respiration d'un animal, et d'un animal inquiet de surcroît. Mon vieux Moony, à force de ne pas dormir, tu as des hallucinations. Il n'y a plus aucune bête dans cette maison, pas même la plus petite araignée. Molly s'est chargée de les éliminer ! Secouant la tête, il allait se remettre en route, quand il entendit un jappement. Cette fois, Remus ne pouvait pas se tromper. De toute façon, il aurait reconnu ce jappement n'importe où. Restait à trouver où le grand chien noir et hirsute auquel il appartenait se cachait.
Qu'est-ce que Padfoot fabrique en bas ? J'espère qu'il n'a pas voulu - Mais non, bien sûr que non ! Tu sais très bien qu'il ne partirait pas comme ça... Il sait que c'est dangereux. Et de toute façon, il irait chercher quoi dehors ? Mais Remus trouva immédiatement la réponse à cette question. Harry. Mais quel con ! Mais quel con ! Tout en réfléchissant, Remus avait posé sa bouteille et son verre sur une petite table dans le hall, et avait silencieusement pénétré dans le salon. Et là, il découvrit le grand chien noir en question roulé en boule sur le canapé, les pattes tressautantes et le museau agité. Il était visiblement en plein rêve... Enfin, en plein cauchemar, plutôt. Je ne vois d'ailleurs pas de quoi il pourrait bien "rêver". Remus restait planté où il était, sans savoir quoi faire. Il savait pertinemment que Sirius détesterait savoir que quelqu'un, même son ami le plus proche, ait pu l'observer dans une situation de faiblesse. Or, il était manifestement dans une situation de ce genre. Quand Sirius se transformait, c'était que quelque chose n'allait pas. Et pour que même sa forme canine ait un sommeil agité, cela voulait dire que Sirius n'allait vraiment pas bien.
Incapable de décider quoi faire, les yeux fixés sur la forme de Padfoot, Remus s'assit dans un fauteuil en face de lui. Il avait l'impression d'avoir déjà vécu cette scène. Il plissa les yeux, essayant de se rappeler à quoi cela pouvait bien le faire penser. Soudain, il eut un sursaut. Mais oui ! Je ne comprends d'ailleurs pas comment j'ai bien pu oublier ça... Ce souvenir doit faire partie de ceux dont j'ai essayé de me débarrasser il y quatorze ans... Car Remus s'était effectivement trouvé dans la même situation, il y a quinze ans de cela. Quinze ans... C'était juste après la naissance de Harry. Comme si un événement heureux devait automatiquement être suivi par un drame... Les Maraudeurs, à l'époque, ne se voyaient presque plus. Prongs passait tout son temps libre avec sa famille. Padfoot le vivait assez mal, et il lui arrivait fréquemment de disparaître des jours entiers avec sa moto. Moony, lui, passait d'un emploi à l'autre, et arrivait difficilement à joindre les deux bouts. Quant à Wormtail... maintenant qu'il y pensait, Remus se rendait compte que Peter restait très discret sur sa vie privée. Tiens donc ! Cela faisait longtemps que Sirius avait appris que son frère était devenu Mangemort. En apparence, il n'avait pas semblé ému par cette nouvelle. Évidemment, il l'avait certainement senti venir, mais Remus était sûr que quelque part, il avait toujours dû espérer que son frère prendrait un autre chemin. Mais Sirius avait fait celui qui s'en moquait. Quelques temps plus tard, lors d'une descente dans l'un des lieux de réunion des Mangemorts, l'Ordre avait découvert le cadavre de Regulus. Apparemment, le Seigneur des Ténèbres n'avait pas été satisfait de son travail, et s'en était débarrassé. Sirius n'avait heureusement pas fait partie de cette mission, mais on l'avait bien sûr mis au courant. Il avait tout de même eu un moment de choc, mais s'était vite repris, marmonnant même "Il l'avait cherché". Et il était rentré chez lui. Remus avait vu James proposer à Sirius de le raccompagner, mais ce dernier avait poliment refusé. James avait alors laissé Sirius partir, et était lui-même rentré s'occuper de sa petite famille. Remus, lui, n'avait rien dit à Padfoot. Aussi proches qu'étaient les quatre amis, une certaine hiérarchie n'était pas absente de leurs rapports. Remus l'avait toujours su, et toujours accepté. Il y avait d'abord James et Sirius: lui et Peter venaient après. Ce n'est pas pour rien que Padfoot avait difficilement vécu le mariage de son meilleur ami, même s'il ne l'avait jamais montré ouvertement à James. Mais il lui était arrivé de demander à Moony et Wormtail s'ils pensaient que Prongs faisait le bon choix. Et il montrait parfois une certaine froideur envers Lily...
Néanmoins, Remus avait un mauvais pressentiment: Sirius avait adoré son frère trop longtemps pour être totalement insensible à sa mort. Il était sur le point de rentrer chez lui à son tour quand il s'était ravisé et avait résolument pris le chemin de l'appartement de Padfoot. Mais arrivé devant sa porte, il n'avait pas trouvé le courage de frapper. Ces derniers temps, il s'était tellement éloigné de ses amis qu'il en venait parfois à se sentir mal à l'aise en leur compagnie. Leurs relations n'étaient plus les mêmes. L'exposition au monde extérieur leur avait porté un sacré coup. Remus avait d'ailleurs été le plus touché. A Poudlard, parfois, il avait pu faire comme s'il était "normal": il suivait des cours, avait des amis et faisait des bêtises comme n'importe quel autre jeune sorcier. Mais pour le reste du monde, il était toujours un loup-garou. Il avait beau être aussi intelligent que les autres Maraudeurs, il était le seul à ne pas trouver d'emploi... Et il était presque aussi gêné qu'au début de leur amitié, lorsqu'il avait peur qu'ils le prennent en pitié ou le rejettent.
Et là, planté devant la porte d'un de ses meilleurs amis, Remus avait l'impression qu'il allait sonner chez un inconnu. Sirius avait-il seulement envie de le voir ? Saurait-il seulement quoi lui dire ?
Remus soupira: tout cela était ridicule. Cela faisait plus de dix ans qu'il connaissait Padfoot ! Il n'allait quand même pas le laisser seul dans un moment pareil sous prétexte qu'ils s'étaient un peu perdus de vue ? Soudain décidé, Remus sonna. Rien. Il frappa, déjà plus hésitant. Toujours rien. Étrangement, au lieu de le décourager tout à fait, cette absence de réponse l'incita à tenter le tout pour le tout. Il poussa la porte, qui s'ouvrit sans difficulté. Remus se fit la réflexion que son ami n'était vraiment pas prudent. Pas le moindre petit sort de protection ! Cherchait-il à faciliter la tâche aux sbires de Voldemort ? C'était à croire qu'il voulait être découvert...
Moony entra tranquillement dans le petit appartement. Il n'eut pas à aller bien loin pour trouver Sirius... ou plutôt Padfoot. Il le découvrit dans son salon, étendu sur le tapis. Il poussait de petits gémissements, et ses pattes étaient agitées de soubresauts. Le premier mouvement de Remus fut de s'accroupir auprès de l'Animagus et de tendre la main pour la poser sur son encolure.
Ce geste, Remus ne se le serait permis qu'avec un Maraudeur. C'est seulement auprès d'eux qu'il se sentait assez confiant pour leur "imposer" un contact physique. Eux savaient qui il était. S'il touchait quelqu'un d'autre, même d'un simple frôlement d'épaule, Remus aurait eu l'impression de tromper cette personne qui ne connaissait pas sa condition.
Au dernier moment pourtant, il se retint. Sirius n'avait sans doute pas envie que quelqu'un le découvre ainsi. Padfoot voulait toujours faire croire que rien ne l'atteignait, que rien ne pouvait entamer sa bonne humeur ou son sens de l'humour. Remus pouvait comprendre ça. Il était un peu pareil. Si lui et Sirius pouvaient sembler différents à première vue - lui si sérieux et si raisonnable, Sirius si extraverti et si casse-cou - ils étaient en fait très proches par certains aspects. Parfois, Remus se demandait si cela avait à voir avec leur côté canin. Il partageait quelque chose avec Sirius que même James ne soupçonnait pas. Tous deux étaient fidèles au plus haut point. S'ils avaient décidé d'offrir leur amitié à quelqu'un, c'était pour toujours. Car ils avaient besoin de protéger leurs semblables, au risque de se mettre dans des situations désespérées. Bref, ils avaient tendance à s'oublier eux-mêmes au profit des autres. Même s'ils le montraient - ou plutôt cachaient - de façon bien différente.
Donc, Remus savait - ou plutôt sentait - que s'il le réveillait, Padfoot commencerait par montrer les crocs, et qu'ensuite Sirius se braquerait. Néanmoins, Moony ne pouvait pas se résoudre à partir. Il se redressa, s'assit sur le canapé, et resta de longues minutes à regarder le grand chien noir, plongé dans ses pensées. Au bout d'un moment, Padfoot sembla se calmer. Ses pattes n'étaient plus agitées de tressautements, et sa respiration s'était apaisée. Il paraissait enfin profiter d'un sommeil sans rêve. Alors Remus se leva, et quitta l'appartement.
Une fois dehors, bien sûr, il se dirait qu'il était lâche, qu'il aurait dû faire quelque chose pour Sirius, qu'il n'était pas un véritable ami. Plus tard, il se dirait même que, s'il avait agi différemment ce soir-là, beaucoup de choses auraient pu être évitées. Et s'il avait parlé à Sirius, et s'il avait insisté... Peut-être qu'alors Padfoot lui aussi aurait agi différemment, peut-être qu'il ne se serait pas senti abandonné, et qu'il n'aurait pas trahi ses amis. Arrivé à ce point de ses réflexions, Remus finissait en général par se traiter d'imbécile, et se dire qu'il avait surtout été ridicule de s'attendrir sur celui qui allait tous les trahir.
Aujourd'hui qu'il savait la vérité, toutefois, Remus ne voulait pas commettre deux fois la même erreur, et risquer de se faire les mêmes reproches durant le reste de sa vie. Quand on était membre de l'Ordre, il fallait apprendre à dire ce qu'on avait sur le coeur tout de suite, car on n'était jamais sûr d'être encore là demain pour le faire. Cette leçon, Remus l'avait apprise il y a longtemps, et à de nombreuses reprises. Et, en type responsable et sérieux qu'il était - malgré tout ce qu'il pouvait se raconter - Moony apprenait toujours de ses erreurs...