Disclaimer: Avoir le manga ne signifie pas posséder les gars qui sont à l'intérieur… La vie est injuste…

PM : Pour celles qui attendaient, et celles qui n'attendaient plus… Oui, la suite !!!

Et MERCI à Mon Rat pour ses échos positifs, sans quoi ce chapitre n'aurait pas été posté avant encore plus de temps…

Mosaïque d'évènements

Deuxième partie

Résumé : Où Litouten passe à l'action, des kamis cherchent du réconfort, et certains enfants ne sont pas aussi insouciants que le voudraient les adultes. Ho. Et ces gens sourient trop…

oOo KONZEN oOo

Si pendant longtemps vous n'aviez été que le spectateur de votre propre vie…

Vous apparaîtriez comme une ombre furtive faite de soie mouvante et chevelure dorée en arpentant ce corridor, votre colère presque palpable autour de vous. Votre colère, mais aussi la plus légère once d'inquiétude, comme seulement peu de personnes seraient capables de le voir. Ces deux sentiments seraient relativement neufs pour vous. Et ça vous ferait mal, d'ailleurs. Une douleur tout aussi nouvelle. Personne ne vous avait jamais dit que cela ferait si mal de s'éveiller enfin à l'existence. Même le simple fait de vous mouvoir ne vous ressemble pas. Vos jambes vous font souffrir, puisque depuis peu vous n'arrêtez plus d'arpenter le Paradis de long en large. Votre respiration devient saccadée, il y a du feu dans vos poumons, le rythme de votre cœur est parfois irrégulier. Votre gorge est à vif, trop de cris. Le saru, vous avez parfois vraiment l'impression qu'il est aussi glissant qu'une anguille. Mais vous ne pouvez pas à la fois reprendre votre souffle et rattraper l'enfant. Il faut choisir. Parce qu'il a tendance à toujours disparaître de votre champ de vision.

La brillante radiance d'un jour sans fin au Ciel vous sauterait tout à coup au visage au travers d'une colonnade rouge. Vous en plisseriez les yeux, vaguement ennuyé. Même le soleil est contre vous, dans cette éternelle chasse au saru. Ch'. On pourrait penser que cette lumière éclatante a pu attirer le gamin dehors. Vous vous attendriez presque à trouver de nouveau, plus tard dans la journée, des fleurs posées sur votre bureau. Mais vous ne pouvez plus être sûr de rien depuis ce jour, il n'y a pas si longtemps, où vous aurez entendu votre saru utiliser les mots « sang » et « Ten-chan » dans la même phrase, dans la bibliothèque du marshal. Et vous vous sentiriez devenir méfiant. Prudent. Devenant graduellement conscient que le Tenkai n'est pas vraiment ce Paradis paisible qu'il est supposé être.

C'est un endroit tristement trompeur. Et vous ne seriez même pas capable de vous expliquer comment vous avez pu vous laisser aveugler pendant si longtemps. Même quand vous aviez rencontré Tenpou pour la première fois, observant, intrigué, ses doigts pianotant nerveusement sur votre bureau, vous n'aviez rien remarqué. Rien voulu voir, sans doute, de cette anxiété diffuse qui émanait de chaque pore de sa peau, sous cette apparence de calme qu'il s'entêtait à se donner chaque fois qu'il venait pour parler de tout et de rien avec vous. Mais, vous auriez enfin commencé à percevoir quelques indices de ces réalités cachées, comme si du moment où vous aviez donné un nom à Goku, vous aviez fait votre cette capacité qui lui est propre de voir au-delà des apparences. Cela avait brisé la routine mécanique de votre existence, bien sûr. Peut-être même que cela vous brisera vous aussi, un jour. C'est juste que vous ne l'imaginez pas encore. Ça ne fait que peu de temps que pour vous le Tenkai est un lieu où il n'est plus acceptable de ne plus avoir l'enfant sous les yeux.

Vous vous seriez tenu là, indécis, baigné dans la lumière… (Certaines personnes auraient même pu dire que vous brilliez !) Jusqu'à ce que vous remarquiez cette obscurité bourdonnante se dirigeant vers vous. Des soldats. Des milliers et des milliers de soldats. Une lente vague mouvante, qui envoie un frisson glacé au creux de vos reins. Sans vraiment savoir pourquoi — mais sentant confusément qu'il le faut — vous les suivriez. Vous n'êtes pas invité. Habituellement, ce serait plutôt le genre de votre tante, pas le vôtre, de mettre son nez dans des affaires qui ne la concernent pas… À quoi cela peut-il bien servir de vous impliquer ? C'est juste que… La présence de l'armée est tellement plus discrète au Tenkai, normalement.

Et parce qu'ils ne diront rien. Eux. Kenren, Tenpou. Deux hommes que vous avez appris à considérer comme les deux faces d'une même entité. En marchant au milieu de ces kamis se pressant vers un lieu inconnu de vous (certains d'entre eux vous regardant bizarrement), votre colère commencerait doucement à monter. Pas un de ces éclats irascibles auxquels vos « amis » sont habitués ; plutôt comme un long feu couvant sous la peau. Maudits soient-ils, penseriez-vous encore une fois. Maudits soient-ils ! Ils ne vont rien vous dire, ils vont vous laisser dans le noir, et il faudra que vous supportiez la vue de ces blessures sur leurs visages, comme si vous étiez dupe de leurs faux prétextes. Vous ne pouvez plus le supporter. Un jour, ça pourrait être trop grave. Un jour, cela pourrait concerner Goku. Et même si vous n'admettriez jamais tenir à eux tous, vous ne pourriez pas accepter ça. La kuso baba a raison. Il y a certaines choses, on ne peut pas attendre qu'elles vous tombent dans les bras. Des choses qu'il faut soi-même saisir, des éléments de savoir desquels dont peu un jour dépendre. Même si l'armée n'est pas du tout votre monde.

La présence du bodhisattva dans la vaste salle vous surprendrait à peine. La kuso baba a tendance à être fidèle à elle-même. D'une certaine façon, c'est presque réconfortant de constater qu'elle suit ses propres conseils. L'homme aux cheveux noirs parlant à l'assemblée, vous le reconnaîtriez aussi. Le rictus sur votre visage montre assez que vous vous souvenez bien de lui. Un autre serait familier. La face dénuée d'expression du dragon se tournerait vers vous un moment (ce regard étranger brûlerait presque), mais tout aussi vite, il glisserait sur vous, planant sur la foule, tout ça pour accorder à nouveau toute son attention à cet orateur debout et à son incroyable demande. Ce que Litouten désire est extravagant. Mais vous, vous pouvez le voir. Litouten ? Avoir sa propre armée ?

Mais vous n'auriez rien à voir avec ce genre de personnes capables de se dresser au milieu d'une assemblée pour donner librement leur avis. L'absence de Kenren à un tel meeting, bien qu'elle soit étrange, pourrait cependant bien être une bénédiction, connaissant le goût prononcé de cet homme pour semer le désordre partout où il passe et irriter n'importe qui croisant son regard…

Vous n'auriez rien à voir non plus avec ces personnes capables de se jeter dans le vide pour protéger ce qui leur est cher. Vous ne seriez pas assez « vivant » pour cela. Pas encore. Tout ce qu'il vous resterait, ce serait cette intangible intuition de ce qui se passe, et la plus haute ignorance de ce que vous pourriez faire. Tout ce que dont vous seriez capable, ce serait de regarder.

Vous en sauriez assez pour avoir peur, mais pas assez cependant pour faire quoique ce soit contre cela. Et sans personne qui pourrait vous aider à combler les blancs dans l'assistance ; personne pour expliquer. Quelqu'un qui saurait vraiment ce qui est en train de se passer.

Si pendant longtemps vous n'aviez été que le spectateur de votre propre vie, et que vous n'essayiez que maintenant de vous approprier celle-ci, vos yeux erreraient sur la foule, nouant à nouveau pour une fraction de seconde le contact avec le regard incapable de ciller du dragon. Vous réaliseriez que vous recherchez la même chose que lui, vous interrogeant sur cette absence, sachant bien qu'elle n'est pas de bon augure. La présence de Tenpou gensui dans cette salle vous manquerait et vous craindriez le pire. Parce que même vous n'étiez plus seulement un spectateur, vous sauriez aussi trop bien, que vous ne valez guère mieux.

oOo KENREN oOo Si vous étiez un général…

Du gâteau, auriez-vous tout d'abord pensé. Des bêtes puissantes, mais pas de cervelle. Faciles à leurrer. De toute façon, qui aurait besoin d'un escadron pour accomplir une telle mission ? Vous seriez sûr que Tenpou n'aurait même pas le temps de remarquer votre absence avant que vous ne soyez de retour. L'arme à sceller les youkai dans votre main serait chaude, maintenant, au creux de votre paume. L'odeur âcre de la poudre sacrée flotterait autour de vous, blessant vos yeux encore plus sûrement que l'obscurité ambiante. Les créatures tomberaient encore et encore, l'une après l'autre juste devant vous. Cela ferait un peu désordre cependant… Il est certain que vous ne vous seriez pas attendu à voir ces créatures dévorer les leurs aussitôt que ceux-ci touchaient le sol. Enfin, cela n'en serait que plus facile d'attirer vos cibles vers vous.

Du gâteau, vous auriez pensé. Sans blague ! Mais seulement jusqu'à ce que vous sentiez, un petit peu trop près pour votre confort, ce puissant souffle putride… ( Ne bouge pas, ne bouge pas, ou il va te voir… Vous auriez pensé.) Un corps, si massif qu'il en écraserait presque le vôtre contre une des parois, vous effleurant au passage avant d'atteindre les cadavres réduits à l'état de bouillie sanglante sur le sol. Vous entendriez un reniflement urgent au moment de pointer votre arme vers la bête. Celle-ci n'est absolument pas du menu fretin. Cependant la créature ne se mettrait à pas à manger les proies tombées comme l'avait fait les autres. De la gorge du reptile sortirait un son étrangement étouffé, qui pendant une seconde vous laisserait totalement abasourdi. Parce que cela aurait fort ressemblé à un sanglot. Sous le coup d'une pure surprise, votre doigt se serait imperceptiblement relâché sur la détente. Un tranquille « clic » dans le silence. Pas bon. La bête vous repèrerait enfin, et pire, qu'elle ressentirait aussi un besoin de vengeance, comme toute créature blessée dans la chair de sa chair. Courir représenterait votre dernière chance, parce que, vraiment, ces pistolets tranquillisants sont vraiment dérisoires contre un tel être…

« Hoooo, ka-san est en colère… »

Oh, oui, elle le serait, et la patte puissante se tendant vers les brindilles que seraient vos jambes en mouvement n'aurait rien de tendre… Votre cri exprimerait la plus pure agonie. La douleur ne ferait pas que briser vos os, mais irradier le long de votre jambe, dans tout votre corps, au point de vous aveugler, vous rendre incapable de penser, réduisant votre perception du monde à l'écarlate sombre dansant sous vos paupières, vous laissant impuissant, à peine capable de vous traîner sur le sol de la grotte, inconscient du coup mortel sur le point de tomber. Cela ferait tellement mal, que pour une brève seconde, il vous serait indifférent de mourir ici. Bon sang. Et dire pourtant que vous aviez toujours cru que votre mort serait tellement plus glorieuse !

Et vous seriez là, écoutant la mort se rapprocher doucement. Et soudain vous entendriez… Le son du gravier sous un pied étranger. Le murmure presque inaudible d'une lame fendant l'air. Le grondement offensé de la bête sentant l'estafilade brûlante sur son mufle. Vous entrouvririez les yeux, ce qui voudrait dire que vous êtes toujours en vie. Vous seriez incapable alors de réprimer la moquerie dans votre voix, en le voyant. Vous étoufferiez les gémissements de douleur ayant rendu votre voix rauque et vous lui diriez :

« Qu'est-ce que tu fais là ? Je croyais que tu m'avais balancé de ton échiquier… »

« Teme… » répondrait brièvement l'homme aux yeux verts, sa colère si froide que l'on aurait presque peine à la déceler. Peut-être que cela ne méritait pas d'autre réponse. Ça, et un regard mauvais de Tenpou gensui. Mais vous pourriez déjà sentir votre sourire vous fendre le visage. Celui de Tenpou deviendrait tout à coup inexpressif, mais vous réaliseriez clairement qu'il croit que personne ne devrait paraître aussi ridiculement heureux de se faire traiter de bâtard… Mais IL est là. Le fait qu'il ait choisi de faire quelque chose qu'il s'était sans doute jpromis de ne jamais faire dépasse toute considération. Vous le percevriez, même s'il serait déjà en train de vous abandonner, concentré sur la bête youkai. Au moment où il tournerait vers elle son sourire, vous vous surprendriez à souhaiter ne jamais le voir vous sourire de cette façon. Sa présence ressemblerait déjà à un tel miracle que vous ne vous poseriez même pas la question de sa capacité à affronter un tel youkai.

Une autre considération pèserait beaucoup plus sur votre esprit aveuglé autant par la douleur que par son apparition soudaine… Parce que vous sauriez déjà que vous avez triomphé sur son échiquier, que vous signifiez plus pour lui que tous ses plans. Qui sait, sans en être conscient, peut-être que vous le testiez en vous lançant tête baissée dans ce traquenard (ou bien êtes-vous trop fier, ou honteux de ce geste pour bien vouloir l'admettre ?). Vous ne réfléchiriez pas, pas encore (vous ne réfléchissez jamais aux pures conséquences de vos actes, de toute façon : vous êtes prêt à en payer le prix, et vous ne les laisserez jamais vous dicter à l'avance votre choix). Même maintenant que vous savez ce qui est en jeu (même maintenant qu'il vous a parlé de ce jeu dangereux auquel il joue), vous ne réfléchiriez pas encore au fait que vous mêler de ses plans, lui faire tout oublier rien que pour ce qu'il y a entre vous (quoi que ce soit), pourrait le laisser bien trop exposé, voire même le faire tuer. Vous ne penseriez pas à ce qu'il a sacrifié en venant ici. Tout ce que vous sauriez, c'est que l'étincelle de colère dans son regard est réelle, qu'il n'a pas besoin de porter de masque en cet instant, et que vous êtes horriblement soulagé de voir ça. Votre joueur d'échecs est toujours un homme.

Vous verriez à peine ce combat, trop épuisé pour garder les yeux ouverts. Vous ne pourriez que distinguer les moments entre ceux où il serait près de vous et ceux où il disparaîtrait pour se battre. Vous entendriez le bruit des chutes de roches, comme si ce son allait vous briser le crâne, mais en restant incapable de faire le lien avec l'effondrement de la montagne entière au dessus de votre tête. Une ou deux fois, vous verriez apparaître Shien à vos côtés (vous pourriez jurer l'avoir senti aider le marshal à vous traîner dehors), et donc le marshal aurait toujours ce don pour vous surprendre malgré la confusion dans votre esprit : comment diable s'y est-il pris pour amener ce type à vous aider ? Une fois atteinte la lumière du jour, vous verriez le marshal remercier d'un hochement de tête l'autre kami. Shien répondrait par le même geste. Cela vous paraîtrait la plus étrange des choses. La seule réalité capable de vous faire tenir serait la douleur, cet épuisement coulant comme du plomb dans vos membres tremblants et ces propos cryptiques sortant de la bouche du marshal…

« Si nous étions des dieux comme ceux de la mythologie grecque, se mettrait-il à penser à voix haute, mon sang s'écoulant sur ce sol donnerait naissance à une nouvelle variété de fleurs… ».

Et voilà, encore une nouvelle tirade, vous penseriez, exactement comme lorsqu'il s'enivre… Est-ce que les gens peuvent être ivres de trop de sang ? Mais ce serait tellement comme lui, d'un autre côté. Alors, du coup, ça ne vous dérangerait vraiment, mais vraiment pas du tout d'écouter ce bavardage déplacé. Avec ce sang qui s'écoule librement d'une coupure profonde dissimulée dans la chevelure noire, tout un côté de son visage serait rouge, comme s'il portait la moitié d'un masque écarlate. Comme si un de ses yeux verts était manquant… Mais vraiment, cela ne vous dérangerait pas, parce que…

« Appuie-toi sur moi, je te ramène à la maison, » Tenpou ajouterait. Vous vous prendriez à espérer qu'il parle de sa foutue bibliothèque. Vous n'auriez jamais deviné que ce désordre rassurant et cet odeur suffocante de vieux bouquins vous manquerait autant, n'est-ce pas ? Cette pensée bizarre ferait trembler vos côtes, et votre corps s'agiter encore plus. Tenpou vous regarderait comme si vous étiez devenu fou. Peut-être que vous l'êtes.

Si vous étiez un général… Vous seriez en train de rire en votre for intérieur, rire comme comme un fou, sur le chemin menant Paradis, parce que vous seriez vivant, et grâce à qui vous êtes vivant. Les fleurs sont belles, les femmes aussi. Et une fois que vous aurez attrapé une coupe de saké pour la partager avec cet homme, tout ira bien…

oOo TENPOU oOo

Si vous étiez un marshal…

Vous vous sentiriez étrangement honteux du réconfort que vous retirez de la sensation de chaleur de ce corps abîmé pressé contre votre flanc. Du réconfort de ce poids sur votre épaule (certainement pas un poids mort, vous l'interdisez). De ce souffle si près de votre cou, de votre oreille. Étrangement honteux du sentiment de rectitude que vous apporte cette proximité, alors qu'il y a encore quelques jours vous étiez encore tout prêt à y renoncer pour assurer ce que vous aviez mis des années à planifier, à construire. Par dessus tout, vous apprécieriez le silence, sur le chemin du retour. Vous pourriez, car la présence de Shien juste derrière vous est tellement discrète. Parce que les autres soldats n'osent même pas s'approcher de vous trois. Et parce que c'est étrangement attentionné de la part de Kenren de ne pas tirer avantage du moment, de ne pas avoir déjà bondi sur l'occasion pour polir ses arguments. C'est confortable, mais aussi un peu effrayant d'envisager l'existence d'une personne qui prétend savoir comme ça qui vous devriez être.

Cela ferait presque mal de revoir le Tenkai, de la même façon que cela fait mal de voir quelque chose de merveilleusement beau, mais souillé, et pourrissant. La beauté, c'est la terreur, comme disait un philosophe. Peut-être que le Paradis ne serait pas si important pour vous si vous n'aviez pas tellement peur de le perdre. Cela ferait presque mal, mais le soulagement serait là aussi. Vous ne vous seriez pas absenté assez longtemps pour que quelque chose d'important ait pu se produire, n'est-ce pas ?

Tout à coup, vous feriez presque un faux pas. Kuso. Vous ne vous seriez pas attendu à apercevoir de loin Goku, l'enfant se tenant juste là, vous attendant aux portes du Tenkai. Il ne l'a jamais fait auparavant. Vous aviez toujours pris garde à ne jamais lui laisser savoir quand vous ou Kenren accomplissiez un mission. Habituellement, vous lui disiez simplement quand vous partiez, quand vous reveniez (et cela toujours avec un petit délais pour le moment du retour : indispensable pour effacer toute trace de guerre dans votre comportement avant de revoir l'enfant). Jusqu'à ce jour, vous n'auriez même pas été certain qu'il sache que vous étiez un militaire. Certains jours, vous étiez là, d'autres, non, c'est tout. Pourquoi questionnerait-il les absences d'un excentrique tel que vous ?

Encore plus surprenante, la présence de Nataku à ses côtés. Même de loin, vous pourriez distinguer un léger froncement sur son visage enfantin, au moment où il reconnaîtrait une armée constituée de ses propres hommes. Shien semblerait disparaître instantanément de votre vue, comme s'il était accablé de devoir se présenter devant le toushin taichi. Il agirait avec une telle célérité que l'enfant n'aurait sans doute même pas remarqué sa présence parmi les autres. Surgissant de nulle part, Zenon vous frôlerait au passage, essayant apparemment de rejoindre l'autre dieu guerrier. À peine surprenant.

Le nombre des soldats sur les lieux serait un instant comme un rideau vous dissimulant à Goku. C'est simple. Vous pourriez faire comme Shien, et vous échapper. Mais vous ne feriez jamais ça. Même s'il vous faudrait encore une longue seconde pour composer votre visage pour qu'il ressemble à celui du rat de bibliothèque aux manières agréables que Goku connaît. C'est une bataille sans espoir, et vous en seriez douloureusement conscient. Pensez-donc : avoir l'air d'aller bien, d'être inoffensif, quand l'ami qui s'appuie lourdement sur votre épaule à l'air à peine conscient, et quand tous deux puez d'une odeur de mort et de carnage. Par chance, le sang à tendance à ne pas tellement ressortir sur du cuir sombre…

Si vous étiez un marshal, vous vous sentiriez étrangement honteux, et vous penseriez que le dieu pâle est décidément bien plus sage qu'il ne le laisse paraître. Qui serait capable de se présenter devant ces enfants sans ternir leur innocence, la seule chose qui vaut pourtant la peine d'être sauvée en cet endroit ! Ce serait absurde, mais une fois encore vous souririez. Même si ça fait mal.

oOo GOKU oOo

Si tu étais un enfant…

Si tu étais un enfant dans ce Paradis, tu verrais les choses tellement différemment de la plupart des gens, qu'ils ne pourraient pas croire qu'ils vivent dans le même lieu que toi. Même si en fait, c'est tout simplement que ce ne sont absolument pas les mêmes choses qui comptent pour toi et ces gens. Pouvoir ? Ambition ? Politique ? Qu'est-ce que cela signifie ? Rien du tout, pour toi. Ce n'est pas chaud, on ne peut pas le manger, on ne peut pas le sentir, on ne peut pas se rassasier de sa beauté. La chose la plus importante pour toi – aussi inintelligible que cela puisse leur paraître ­— serait de suivre de près ton soleil, et juste derrière, de ne pas oublier de dire à ton ami le nom que Konzen t'as donné la prochaine fois que tu le verras… Bon, c'est vrai que tu oublierais toujours en fin de compte (quelle honte !), mais vous vous amuseriez toujours tellement ensemble pendant ces moments, que peu importe !

Pour le dire simplement, tu verrais les choses différemment, et même, tu verrais des choses que les autres ne voient pas. C'est peut-être pour ça qu'ils te traitent d'hérétique et te font porter des chaînes. Tu essayes de ne pas trop y penser. Cela n'en vaut pas la peine, c'est du temps perdu. Ces chaînes existent, c'est tout. Tu hausses les épaules et continue d'avancer. Ne te laisse pas entraver par elles. Ce qui compte pour l'instant, c'est la présence de Nataku à tes côtés, et Ten-chan et Ken-ni-chan qui viennent dans votre direction, sourires aux lèvres. La façon dont le dieu aux cheveux rouges s'appuie sur l'autre ne t'alarme pas. Leur intimité t'as toujours paru normale. Criante. Ils s'approchent toujours. Plus ils sont près, mieux tu les vois. Et pourtant, tu serais incapable de remarquer l'évidence. Petites traînées rouges sur la peau et les vêtements. Les traits imperceptiblement mais indiscutablement tirés qui démentent douloureusement la sincérité de leur expression… Tu ne les remarquerais pas. Tout aurait l'air d'aller bien, pour toi. Jusqu'à ce que l'odeur douçâtre atteigne tes narines.

Sensation. Pensée à peine formée. Lèvres déjà en train de s'ouvrir.

« Vous sentez…comme Nataku quand il revient. »

Ça voudrait dire que tu pouvais percevoir faiblement la puanteur du sang sur eux. Et la sueur… La mort, la pourriture. Même la colère retombée en cendre et en tristesse, tu serais capable de la déceler au milieu de tout cela. Le désespoir silencieux de ceux qui ont vu… ou fait… Tu ne saurais pas comment tu peux le deviner, mais… Oui. La même odeur. Comme Nataku. Un odeur qui enverrait un frisson longtemps oublié, mais, étrangement, mortellement excitant courir le long de ta courte colonne. Peut-être parce qu'une partie de toi, tout au fond, reconnaîtrait bien cette odeur. Une partie de toi s'en enivre. Cette partie de toi dont tu essayes d'oublier la présence à l'intérieur, dont tu serais à peine capable de reconnaître la présence au plus profond de ta poitrine. D'habitude, tu fais simplement comme si tu étais sourd et aveugle à celle-ci. La brillance de ton soleil te fait oublier, la plupart du temps, et enfouir ce secret, jeter cette clé au loin…

Le choc sur les traits de Tenpou ne ferait qu'accentuer cette peur grandissante qui curieusement, n'a finalement que très peu à voir avec lui… Dans son regard, il y a une secrète honte, bien plus facile pour toi à lire que tous ces livres qu'il te prête. Comme s'il serait soulagé de ne pas avoir à expliquer, ne pas te souiller avec des mots décrivant un monde dont il voudrait que tu ne découvre jamais la laideur. Confusément, tu le devinerais. Celui qui voit ce que les autres ne peuvent discerner. Ten-chan n'a jamais su que tu avais entendu de sa propre bouche la signification de ton nom. Répondant enfin, on aurait l'impression qu'il s'adresse à Nataku davantage qu'à toi. Ça ne te dérangerait pas. Tu peux partager avec Nataku.

« Vous vous souvenez de la question que vous m'avez posée, il y a quelques jours ? » demanderait-il au toushin taichi. « Il y a beaucoup de dieux, ici, qui sont bien plus impurs que vous ne le serez jamais, » entendrais-tu ton ami dire à ton autre ami.

Tu ne comprendrais pas exactement ce qu'il veut dire, mais tu serais conscient de la tentative de réconfort présente dans ces mots. Il y a une chaleur, en Tenpou gensui que peu de gens sont capables de reconnaître, mais dont tu as toujours connu l'existence, malgré son comportement détaché. Et tout à coup, tout aurait l'air à nouveau normal.

Si tu étais un enfant, les choses seraient simples. Les sentiments, quelque chose de facile. Tenir aux autres, ce serait pareil. Le sang sur les gens, tu pourrais le sentir. Mais ton amour pour ces personnes serait tellement plus fort que cette légère peur que cela t'inspire. Pourtant, tu te dirais qu'il faudra te souvenir de demander à Nataku de t'expliquer ce que Ten-chan a dit. Espérant en même temps ne pas oublier de lui dire aussi ton nom… C'est simple. Vis ta vie sans jamais te laisser entraver. Et souris.

oOo Nataku oOo

Si tu étais un pantin…

Si tu étais un pantin, une abomination ou un outil en forme d'enfant, tu ne bougerais pas. La plupart du temps. Tu resterais immobile jusqu'à ce que l'on te dise ce que tu as à faire. Tu souhaiterais parfois même être réellement un objet… Les choses seraient tellement plus simples. Souvent, tu souhaiterais ne pas savoir comment on rit, comment on vit, puisqu'à chaque fois on te rappelle (chaque fois ton père te rappelle, d'une voix si douce qu'elle te fait peur) que de telles choses ne sont pas faites pour toi. Tu souhaiterais pouvoir juste rester là, regarder la poussière volant dans le crépuscule, l'obscurité tomber sur ton âme, être simplement silence, noir, absence. Mais tu ne te laisses jamais aller à cette tentation.

Néanmoins, de temps en temps, tu serais capable d'oublier cet éternel sentiment oppressant. À chaque fois qu'une voix haut perchée retentirait au Paradis, bondissant sur les colonnes rouges et le long des corridors — appelant ton nom ­­— et que des yeux dorés — les mêmes que les tiens, vraiment — eux aussi crieraient ton nom, en toute innocence, en toute amitié… Et même, tu Le rejoindrais. Peu importe les cris, les commentaires amers et désappointés de ce père que tu laisses fumant de rage sur le balcon. Aujourd'hui (tous les jours, si tu pouvais), tu le rejoindrais.

Il dirait qu'il a entendu d'un drôle de gars qui avait l'air d'un pirate (tu étoufferais un rire à cette description de l'homme qui sert ton père, ce Zenon) que ses amis sont de retour de la Terre. Tu supposerais tout naturellement que ce marshal excentrique avait simplement accompli l'exploit d'emmener le général avec lui sur un caprice, dans une de ses fameuses expéditions en chasse de quelque bizarres objets humains. Le hobby de Tenpou gensui est proverbial. Pas seulement au sein de l'armée, mais à l'échelle du Tenkai, même…C'est quelque chose que tu aurais facilement compris : toi-même, tu serais tellement heureux de pouvoir aussi montrer tes endroits favoris à ton jeune ami aux yeux dorés…

Il dirait qu'il veut les accueillir. Il dirait qu'il veut te présenter à eux (officiellement, en faisant les choses bien, avec les noms et tout, cette fois ! Ce qui serait marrant, ce serait surtout qu'il commence par penser à se présenter lui-même, plutôt !) . Comme si tu ne savais pas qui sont Tenpou gensui et Kenren taishou ! Comme si le marshal et le général ne savait pas qui tu étais, et plus important encore, ce que tu es ! Mais tu suivrais quand même. Tu réaliserais soudain qu'il a peut-être raison. Tenpou gensui et Kenren taishou ne connaissent pas Nataku l'enfant. Ce n'est pas la première fois que cette pensée te viens, mais curieusement, la surprise est toujours la même, de même que le sentiment de perte qui l'accompagne. Mais ça ne te dérangerait pas de le leur montrer, si le garçon marchant à tes côtés te le demandait.

« Pantin tueur, » murmurerait un dieu ou un autre, dégoûté, alors que tu passerais près de lui. Tu feindrais de l'ignorer. Ton ami n'aurait pas entendu. Le ton enjoué de cet ami serait capable de te guérir, d'une certaine manière, alors qu'il continuerait de babiller avec enthousiasme. À Sourire, toujours en train de sourire. Tu rirais avec lui.

Même attendre pourrait devenir un plaisir. Une joie sans mélange, c'est si inhabituel pour toi. Puis ces deux-là, marshal et général, apparaîtraient enfin. Seulement, pas tout seuls. Leurs silhouettes tantôt apparaissant, tantôt disparaissant au milieu de centaines de soldats dont le flot se masse aux portes du Paradis. Quasiment une armée. Cela serait surprenant pour toi. Parce que leur yukatas immaculés les identifient avec certitude comme des hommes de tes propres troupes, en dépit de l'absence de Shien parmi eux. Où que tu regardes, l'homme pâle n'est nulle part. Encore plus étrange. Tu les fixerais. Impuissant. Incapable de trouver une signification à cette scène. Tu n'as pas encore ce don pour créer du sens en tissant ensemble des morceaux d'évènements. Dans ce flot de soldats qui vous effleurerait tous les deux en passant, Tenpou gensui et Kenren taishou sembleraient se matérialiser soudain en face de vous. Hagards. Blessés. Sales. C'est comme regarder ton propre reflet. Ce qui est étrange, puisqu'il ne devrait pas exister d'autres êtres tels que toi. Le Ciel l'interdit.

« Vous sentez…comme Nataku quand il revient, » lâcherait soudain ton ami, et le temps ralentirait, ton monde tanguerait, se réduisant à cette impression de souffrance à l'intérieur. Tu comprendrais exactement ce qu'il veut dire. Toi aussi tu serais capable de le sentir. Le parfum douçâtre de la bataille à mort. Une odeur trop puissante pour être ignorée. Même si les deux adultes font de leur mieux pour cela. Tu serais reconnaissant que ton ami n'ait jamais eu l'idée de t'interroger toi sur cette odeur qu'il capte parfois sur toi ; où trouverais-tu la force d'expliquer ? Le regard du général semble se perdre dans le vague. Une seconde, il semble s'appuyer encore plus lourdement sur son supérieur. L'ombre d'un massacre hante le regard du marshal. Bien dissimulé, derrière le bouclier de verre de ses lunettes. Pas assez pour quelqu'un qui sait où chercher. Vos regards se croiseraient, et bizarrement, c'est à toi qu'il parlerait.

« Vous vous souvenez de la question que vous m'avez posée, il y a quelques jours ? »

Est-ce que vous pensez que je suis impur ?

Quel fardeau d'être un pantin avec une âme… Tu ne serais même pas capable d'expliquer comment tu as pu laisser échapper ces mots, ces jour-là… Un signe de faiblesse. Ton père t'aurait appris à mépriser la faiblesse.

« Il y a beaucoup de dieux ici, bien plus impurs que vous ne le serez jamais, » continuerait le marshal, presque sereinement. Quelque chose se détendrait dans ta poitrine. Tu n'aurais pas réalisé que tu étais en train de retenir ton souffle, attendant. Ton jeune ami aurait l'air déconcerté. Une bénédiction. Le général se pencherait brusquement pour ébouriffer les cheveux châtains de l'enfant, ce soudain transfert de poids l'envoyant presque par terre, lui comme le marshal le soutenant. Il ignorerait grommellement doux ou peut-être irrité (tu n'aurais su dire exactement) de son officier.

« Hé, dirait le général. Alors, qu'est-ce que vous mijotez de beau, les garçons ? » Son sourire est éblouissant à nouveau, en dépit de la douleur qui le tord et le transforme presque en un rictus félin... Tentative manifeste de normalité. Tu ne serais pas capable de le trahir. Il a essayé de t'aider, une fois : c'est un homme bon. Tout comme le marshal.

« Rien. Des baies, » tu répondrais, mettant autant d'enthousiasme dans ces mots que tu peux en convoquer. Pour eux. Pour rendre leurs sourires plus réels. « De simples baies innocentes. Pas de tournage en bourrique d'empereur prévu aujourd'hui… »

Tu serais déjà en train d'attraper ton jeune ami par le bras, et, le tirant gentiment, le traînant presque (il n'aurait pas l'idée de protester du moment qu'il s'agit de s'amuser), donnant aux deux soldats un peu de temps pour eux-mêmes. Sans poser la question évidente de leur présence parmi les hommes de ta propre armée. Pas sûr que tu aies envie de savoir, d'ailleurs. Parce que tu n'oserais même pas penser que tu suspectes ton père d'être responsable. Tu sais simplement qu'il est impliqué. C'est trop comme ce jour dans la bibliothèque du marshal. Tu pouvais très bien deviner ce qu'il s'était passé.

Si tu étais un pantin, tu serais déjà une marionnette brisée. Sachant bien, à l'intérieur, qu'il n'y a rien plus rien pour te sauver, même s'il y a encore quelques personnes d'exception pour essayer de t'atteindre. Pour un peu de temps encore, peut-être que tu vas essayer et ne pas te laisser sombrer. Scellant votre connivence, ton sourire ferait aussi mal à voir que le leur, même si c'est pour le bien d'une autre paire d'yeux dorés.

oOo Zenon oOo Si vous étiez un loup parmi les moutons, un youkai parmi les dieux…

La plupart des dits dieux se ressembleraient pour vous. Vous auriez du mal à vous souvenir du moment où Shien avait commencé à se distinguer d'eux (à moins que vous ne vous contentiez de ne pas y penser), au point que, là, maintenant, vous l'auriez repéré aussitôt au milieu de ses soldats sans nombre revenant par les grandes portes du Paradis. Ça, et le fait que parmi tous ces yukatas de soie, seul le sien est taché de sang. Vos pieds commenceraient à se diriger vers lui. Au moment où vous effleureriez en passant Tenpou gensui et Kenren taishou, le marshal ne laisserait rien paraître, et vous non plus. Vous êtes tous deux conscients que ce n'est pas le lieu pour cela. Vous tenant devant un Shien épuisé, enfin, vous devineriez que cet homme que vous considérez comme un ami sent en ce moment son propre sang s'écouler de trop nombreuses coupures le long de ses bras, mais qu'il y reste indifférent. Jusqu'à ce qu'une voix ne coupe le cours de ses pensées.

« C'est pas très joli. Tu devrais me laisser jeter un oeil, Shien. » Et un soupir ponctuant la phrase. Cette voix grave, ce serait la vôtre. Elle sonnerait étrangement, même à vos propres oreilles. Soucieuse. Cela fait-il si longtemps que vous avez perdu l'habitude de montrer votre inquiétude, que vous ne pourriez reconnaître votre propre voix ?

« Zenon. » Chaque fois, c'est la même chose. Cet homme aux cheveux long dirait votre nom d'une voix atone, comme s'il était surpris de votre présence. C'est plutôt déstabilisant. Mais vous avez dû vous y habituer depuis un certain temps. Ça ne vous dérangerait plus. Cependant, vous devriez admettre que les taches de sang séchées sur le tissu de ses habits vous dérangent davantage. Elles vous sauteraient aux yeux comme une parodie sinistre du pétale de sakura accroché à sa manche il n'y a pas si longtemps. Celles-là, impossible de les ôter d'un simple effleurement du bout de vos doigts, n'est-ce pas ?

Quelques minutes plus tard, vous vous retrouveriez dans l'espace confiné de l'infirmerie, l'ayant persuadé de vous suivre sans faire d'histoire. Bien sûr que la pièce est petite, dans ce paradis où le seul être qui serait supposé subir des blessures est un enfant. Vous seriez seul, ici, avec le dieu blessé. Certainement que marshal et général avaient préféré éviter un lieu appartenant à la sphère d'influence du ministre.

« J'ai bien peur que certaines laissent des marques… » vous diriez. Peut-être que vous n'oseriez même pas lever les yeux de votre exercice médical, parce que vous seriez conscient que ce que vous avez dit au marshal n'a pas suffi à prévenir ces blessures. Vos mains seraient toujours pleine de la sensation des chairs déchirées de Shien sous vos paumes. Avec l'étendue des dommages que vous voudriez limiter, palpations adroites après contacts légers, vous seriez tristement tenté de croire que vous connaissez maintenant ce corps presque aussi bien qu'autrefois celui de votre défunte épouse.

« Aujourd'hui, j'ai fait des choses. Je ne suis plus celui que j'étais quand je suis parti d'ici… » Entendant cela, vous ne regarderiez pas son visage, certainement pas son visage. Il ne trahit jamais rien, de toute façon… Vous resteriez concentré sur votre tache, tous ces bandages. Il se trouve qu'ils couvriraient ses bras entiers, et son torse mince, même. Il ne resterait quasiment rien des longues manches de soie flottantes du yukata, si ce n'est un peu de tissu déchiré aux niveau des épaules de Shien. Le sang qui tacherait maintenant vos mains autant que son corps est un assez bon indice de ce qui a bien pu se passer. La seule personne que tu aies déjà eu l'occasion de voir dans cet état, c'est Nataku. Le Toushin taichi Nataku. Celui qu'on dit impur et hérétique Nataku. Le pantin tueur Nataku. Facile de deviner, ce que Shien a fait !

« Aujourd'hui, tu as fait ce que tu pensais devoir faire. Je pense. J'ai confiance en toi, Shien. »

« De la même façon que Litouten me fait confiance ? » Dans la question de Shien, il y a de la dérision, et de nombreuses interrogations qui prennent forme. Au moment où il tendrait légèrement les mains devant lui pour regarder de ses yeux, à demi clos comme d'habitude, le résultat de ton travail, vous ressentirez le besoin de lui laisser un peu d'intimité dans son inspection, cette lente évaluation de son état. Mais vous vous sentiriez incapable de simplement partir.

« Je ne crois pas, » repondriez-vous plutôt. Et tout ce que vous désireriez serait de ne pas aborder ce sujet. Vous hausseriez les épaules. « Quand il va apprendre ce qui s'est passé, il serait capable d'envoyer gracieusement le guérisseur du toushin taichi pour prendre soin des blessures du marshal et du général… » ricaneriez-vous (ce qui vous ressemble déjà davantage).

« À partir de maintenant, je crois que je vais garder mes bras comme ça… » Un de ses longs doigts descendrait doucement la blancheur du bandage ornant maintenant son bras.

« Un garde-fou ? » Vous auriez reculé de quelques pas, le visage légèrement détourné, apparemment occupé à allumer une cigarette. Votre petite ruse habituelle, rendue sans doute inutile par le fait que Shien semble trop perdu dans ses pensées pour réellement faire attention à votre présence. Mais cela ne vous empêcherait pas d'observer l'autre dieu, et un seul œil d'aigle est bien suffisant pour ça. Un garde-fou ? Vraiment ? Ça ne vous dérangerait pas, du moment qu'il ne montre les cicatrices dissimulées sous ses bandages à personne d'autre. Cela soulèverait des questions dont vous préfèreriez qu'il n'ait pas à répondre au regard des lois et tabous du Paradis.

« Tu peux dire ça comme ça. Un garde-fou… Ou un memento. De mes erreurs. De mes désillusions… » Mais en entendant cela, vous ne seriez pas sûr de vouloir en savoir plus. C'était déjà dur pour vous d'être conscient de l'imperfection du paradis, même en sachant parfaitement que vous n'aviez jamais vraiment été à votre place ici, et que vous ne le seriez sans doute jamais. Mais au combien douloureux et perturbant cela pouvait-il être pour un être tel que lui, un être céleste pur sang… ?

« Oy, Shien. Allons prendre un verre. Je suis même prêt à goûter ton atroce thé Oolong pour que tu accepte… Faut célébrer ça. »

« Célébrer ? Célébrer quoi ? » Vous seriez très fier de constater que vous monopolisez enfin toute son attention. Même en étant conscient qu'un soldat comme lui ne peut manquer de noter à quel point cela peut ressembler à une diversion.

« Tu as ouvert les yeux, mon ami. Et on va dire que j'aime ce vert… »

Il tressaillerait à peine quand votre bras tomberait avec un peu trop de familiarité sur ses épaules, et vous craindriez un instant avoir effleuré une de ses blessures toutes neuves. Et pourtant, vous vous sentiriez incapable de le relâcher votre étreinte maladroite, le contact physique étant sans doute l'unique moyen vous permettant de le guider vers le mess des officiers déserté, vers le petit bar dissimulé dans un coin. Vous prépariez vous-même les boissons, vous glissant avec aise derrière le comptoir. Bientôt, le lieu sera à nouveau plein du bourdonnement sourd de l'activité militaire. Pour l'instant, il n'appartient qu'à vous deux.

Si vous étiez un loup parmi les moutons, un youkai parmi les dieux, vous jouiriez de la compagnie du dieu silencieux en ce lieu non moins silencieux. Vous jouiriez de cette tranquillité, si rare dans cet endroit. Pour une fois, vous ne sentiriez pas aussi étranger que vous penseriez devoir l'être, en ce lieu nommé Paradis.

oOo Goujun oOo

Si vous étiez un dragon blanc…

Vous seriez plus tard celui qui comprendrait le mieux en quoi les évènements précédents sont importants. Parce que vous teniez là où toutes ces personnes auraient dû se trouver tout ce temps-là, et vous seriez celui qui serait le spectateur des pures conséquence de leur absence. Et vous auriez regardé, c'est certain, mais vous n'auriez rien fait. Parce que le Paradis est immuable, que votre devoir ne change pas, que vous êtes entravé par la Règle et que rien, sauf peut-être votre honneur ne pourrait davantage vous contraindre… Cela fait de vous le parfait témoin.

Abandonnant à lui-même le bodhisattva, vous auriez traversé à grands pas la salle immense avec majesté, celle du roi que vous êtes. Vous auriez atteint la place qui est légitimement la vôtre, depuis des siècles, sur une estrade du côté Ouest de la pièce, ce qui vous désigne comme le gardien de la mer Occidentale, un des piliers du Paradis. Vos hommes vous entoureraient, légèrement en contrebas. Certains d'entre eux discutant avec animation, un peu comme des veilles femmes, vous remarqueriez, ce qui est mortifiant pour la soi-disant dignité militaire. Vous reconnaîtriez ce groupe particulier aussitôt. Ce sont les hommes de Tenpou gensui. Vous les connaissez bien. Il y a quelque chose de leurs supérieurs dans leur façon de se comporter. Quelque chose de l'assurance absolue et de l'efficacité de Tenpou gensui, tout comme quelque chose de l'audace absolue et de l'insolence de Kenren taishou sous leurs airs de soldats dévoués. Leur sujet de conversation serait justement l'absence de leurs officiers. Elle les inquiète.

Ils devraient être là. Mais ils ne le sont pas. Votre recherche dans la foule, même avec des sens aussi aigus que ceux d'un dragon, ne donne aucun résultat. Tout juste une pointe d'intérêt pour la présence de Konzen Douji. Il est tellement peu à sa place, ici… Comme une fleur poussant sur un charnier. Vous, vous ne seriez pas encore alarmé. Seulement vaguement soucieux.

« Je préfèrerais savoir avec certitude qu'ils sont en train de baiser quelque part, au lieu de me demander ce qui leur est arrivé, » entendriez-vous soudain un des hommes marmonner dans sa barbe presque avec affection. Vous serreriez les mâchoires et vous sentiriez hautement troublé, tandis que la pensée vous viendrait que vous êtes tout à fait d'accord… Ce qui veut bien dire que vous êtes un peu plus que vaguement soucieux, donc… Après tout, vos officiers sont sous votre responsabilité. Ce qui signifie que vous êtes aussi responsable jusqu'à un certain point de leur sécurité. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que cela vous perturbe de ne pas savoir où ils se trouvent…

Enfin… Habituellement, vous ne vous en feriez pas trop pour le taishou, si ce n'est pour le sortir de temps en temps de prison quand le châtiment, si ce n'est mérité, est néanmoins exagéré. Mais le marshal ? On peut pourtant compter sur lui, en général… Ça ne lui ressemble pas de ne pas assister à ce genre de réunion. La plupart du temps, il ne se défile que pour les cérémonies, surtout si elles lui paraissent ennuyeuses. Maintenant, il devrait normalement se tenir à vos côtés, un léger sourire ironique tordant ses lèvres. Comme blasé. Faussement blasé. Dangereux. Ce n'est pas comme si le marshal avait jamais essayé de vous le dissimuler. Vous vous souviendriez avec précision du jour où il l'avait même admis. À ce moment-là, vous aviez déjà remarqué que depuis que le général avait intégré votre armée, le marshal passait de moins en moins de temps à hanter votre antre de bureau.

« Mon nouveau général est un sacré personnage, avait laissé échapper le marshal, sans se compromettre.

— Je pourrais le renvoyer, aviez-vous répondu. Avec juste assez de célérité pour que la réponse soit accueillie par un petit rire.

— Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Kenren taishou est un bon soldat, direct. Intelligent. Un peu trop sûr de lui, peut-être aussi. Mais soudain, un léger froncement de sourcil avait assombri son visage, tandis qu'il continuait : Il est dangereux. Même si c'est pour le mieux, je ne peux m'empêcher de penser que les gens qui essayent de me changer sont dangereux…

— Et vous ? Vous ne l'êtes pas, dangereux ? n'aviez-vous pu vous empêcher de dire sereinement, plus comme une affirmation que comme une question.

— Ho, vous aviez remarqué ? » Le marshal avait eu l'air pensif

Le silence tomberait soudain sur l'assemblée à l'apparition de l'empereur. Sans rien laisser paraître, vous constateriez encore une fois comme il a l'air frêle et somnolent, ne ressemblant pas du tout à cette image de pouvoir dignifié qu'il serait censé incarner. Une chose que vous ne devriez même pas vous sentir autorisé à remarquer. Puis, contre toute attente, Litouten se lèverait. Et parlerait. Et ferait cette demande incroyable. Si vous n'étiez pas un dragon, vous auriez réagi. Vous sentiriez le discret rugissement parcourant vos troupes. L'empereur, se penchant légèrement, répèterait : « Une armée ? » Comme s'il réfléchissait sérieusement à cette possibilité. Ce qui est tout simplement insupportable.

La juste colère de vos frères serait aussi la vôtre… Vous vous sentiriez vous lever en silence. Tous les quatre. Un esprit de dragon sans âge dans quatre corps. Quatre phrases qui seraient énoncées dans le même souffle, des quatre coins de la vaste salle, de telle sorte qu'aucun d'entre vous, dragons, ne puisse être capable de dire laquelle était la sienne. La force de la déclaration ne résidant pas dans la puissance de la voix, mais dans le pouvoir bien plus grand encore de la vérité nue :

« Le Paradis est sous notre protection. »

« Ce devoir est le nôtre. »

« Nous sommes les gardiens. »

« Avons-nous jamais failli ? »

Évidemment que les dragons gardiens n'avaient jamais failli à leur tâche… Un credo dans lequel votre race croit autant qu'en l'honneur. La perfection draconienne dans votre devoir est une vérité que le temps a transformé en mythe.

Vous vous souviendriez tout à coup de la voix du marshal. Un certain jour, certains mots. Du temps où le marshal avait encore l'habitude d'apparaître dans votre bureau, juste pour bavarder. Vous n'aviez jamais compris son obstination à revenir chaque fois. Vous n'aviez jamais compris pourquoi cela vous manqua, après coup. Vous n'étiez pas non plus particulièrement intéressé par la philosophie. Juste assez poli pour au moins écouter. Un jour, le marshal avait énoncé quelque non-sens sur la perfection du Ciel, avec une certaine insistance, contrairement à son habitude.

« Vous ne comprenez pas, Goujun-sama… La plupart des gens croient que la perfection est la condition, l'état ou la qualité d'un être exempt de tout vice ou défaut. Mais étymologiquement, cela veut simplement dire : quelque chose de complètement mené à son terme, fait de bout en bout. Par conséquent, la mort est le seul résultat de la perfection. Il n'y a plus de place pour la vie, s'il n'y a plus rien à parfaire, à améliorer… La vie est perpétuelle mutation… Le Ciel ne peut pas être parfait, rien ne le peut. Si le Paradis l'est, alors j'ai peur pour cet endroit…

Nous, les dragons, nous le protégeons. Il ne s'effondrera pas, aviez-vous simplement coupé.

En êtes-vous sûr ? Êtes-vous… parfait ? » avait répondu Tenpou gensui avec un sourire retors…

Malheureusement, d'un simple geste de sa main osseuse, l'empereur ferait taire vos protestations. Il s'éclaircirait ensuite la gorge, et son porte-parole se mettrait à débiter ce qui ressemblerait fort à un discours soigneusement préparé :

« En considération de vos services et du don que vous avez fait au Tenkai… »

Un don. Un don ? Un présent. Ils parlent d'une chose. Quel objet de grande valeur Liotuten avait-il bien pu être capable d'offrir… ? Nataku…? NATAKU? Cet enfant qui dégage cette odeur… contraire à la Nature elle-même? Quelque chose de si funeste (et pas simplement itan), si antinaturel, que vous vous demanderiez parfois pourquoi vous n'avez pas déjà pris sur vous de simplement le détruire… Sentiment qui est sans rapport avec la compassion que vous ressentez parfois pour cet enfant, et le respect que vous accordez au toushin taichi.

« … l'empereur souhaite vous accorder ce que vous demandez… Cependant, la coutume du Paradis spécifie que les quatre armées sont les quatre et uniques piliers du Tenkai, et sont en conséquence les seules forces armées autorisées à exister ainsi que la source des effectifs alloués à la garde rapprochée du toushin taichi. Cependant, nous, empereur du Tenkai, vous élevons à la dignité honorifique de vice-gardien qui vous accorde de fait le commandement de n'importe laquelle des quatre armées dont le roi s'avèrerait défaillant ou incapable d'accomplir son devoir séculaire. »

Le plus gros du discours aurait été recouvert par une feinte rumeur. Mais finalement, les gardiens du Nord, Sud, et Est auraient repris leur siège. Apparemment satisfaits. Vous réaliseriez que vos frères pensent qu'il s'agit d'une plaisanterie sur le dos de Litouten. Comment quoi que ce soit pourrait-il arriver à l'un des leurs ? Cela serait virtuellement impossible. Dans ces conditions, vous ne pourriez rien faire d'autre que regagner vous aussi votre place ; Votre honneur vous guide. Vous ne pouvez aller contre la volonté de l'empereur. Un dragon serait incapable de faire cela. Vous n'en seriez pas capable. Mais vous douteriez encore. Parce que Litouten a l'air trop satisfait par cet édit, tandis qu'il s'incline aussi bas qu'il le peut devant l'empereur.

Tout ceci est mauvais signe. Si mauvais signe. Qui va s'élever contre cela ? Qui va combattre cette absurde folie ? Ho. Alors c'était cela que voulait Kenren taishou, cette fois-là? Ce moment où l'on a pas le droit de se taire. Quelque part, au plus profond de vous, quelque chose se serrerait. Ce poids sur vos entrailles lutterait contre la rigidité d'esprit draconienne caractéristique de votre race… Mais personne ne le saurait, personne ne s'en rendrait compte. Vos traits de dragon blanc dissimulent les émotions aussi bien que le masque d'une statue rongée par les siècles… Ce manque de foi envers le commandement divin du Ciel, bien qu'invisible à la surface, ne vous ressemble pas. Qu'a-t-il bien pu vous arriver ?

Et soudain, cela vous frapperait. C'est à cause d'eux. Eux. Ces hommes dangereux… Qu'est-ce qu'ils ont bien pu vous faire ? Comment ont-ils osé vous changer ? une fois encore, un de vos souvenirs du marshal vous traverserait l'esprit. C'est fou comme il vous semble présent, malgré son absence dans la salle… Sa voix avait la distante qualité d'une voix de professeur, ce qui tendait à rendre ses propos faussement inoffensifs.

« Simple fait scientifique : A regarde B. B change parce que A le regarde. Appelez ça 'conscience' si vous le voulez, mais en tout cas, c'est un fait établi. Mais vous ne pouvez pas vous en rendre compte, je suppose : la plupart des gens n'ont pas le cran de regarder les dragons en face, vous souviendriez-vous l'avoir entendu dire, tandis qu'il vous regardait droit dans les yeux Maintenant, la question est : A va-t-il changer lui aussi de par son observation de B ?

­— A est-il vous ou moi ? » Aviez-vous tout à coup demandé, légèrement intrigué mais ne le montrant pas, devinant que d'une certaine façon le marshal ne faisait pas simplement allusion à la relation qu'il entretenait avec son général…

Tenpou gensui avait esquissé un sourire.

Si vous étiez un dragon blanc… Auriez-vous pu changer ? Auriez-vous pu changer simplement en les regardant ? Mais c'est impossible. Les dragons ne change pas. Le Paradis ne change pas. Vous ne faites pas un mouvement pour aller contre la sentence de l'empereur. Vous la sentiriez pourtant déjà, cette entêtante odeur de mort qui suinte de votre blanche perfection écailleuse… Si vous étiez un dragon blanc, vous ne seriez déjà plus un dragon sans tâche.

oOo Litouten oOo Si vous étiez un ministre… Hé, bien.

Vous auriez attendu. Toujours incliné bien bas, vous auriez entendu l'assistance se retirer des lieux, vous laissant seul dans la vaste chambre.

La victoire aurait un goût de vin doux… Et le pouvoir semblerait vous couvrir les épaules comme un chaud manteau.

Votre rire, enivré de triomphe, résonnerait dans le hall désert.

Non.

Ceci est la réalité.

Votre rire résonne dans le hall désert, les longs couloirs et rebondit sur les colonnes rouges du Paradis au point qu'elles semblent trembler comme des branches dans la tempête.

Vous avez gagné. Ils ne le réalisent pas encore, mais vous avez gagné.

Et ce n'est que le début…