Me voilà ! Je sais, après une longue absence justifiée par... euh... rien à part le fait que j'étais occupée à d'autres choses, en fait. Mes excuses les plus humbles et les plus platissimes pour avoir été aussi vilaine. MAIS ! Je me rattrape avec un chapitre bien long qui, je l'espère - et si vous êtes encore là pour le lire - vous plaira ! Merci merci merci mille fois pour vos commentaires. Mine de rien, c'est ça qui m'a poussée à reprendre l'écriture ces derniers temps. J'aurais fini par m'y remettre, mais ça aurait pu prendre encore un bon moment. Vos petits mots sont toujours un vrai bonheur à lire. Maintenant c'est mon tour ! Bonne lecture !


CORUSCANT, G.475

Il était étrange de revenir à la capitale après trois mois passés à sillonner la galaxie à la recherche d'informations, sans doute plus étrange encore qu'après les batailles sanglantes auxquelles il avait assisté avant son expulsion. En cette période – qui lui semblait déjà lointaine – il avait été constamment entouré de clones, de natifs des différentes planètes, et même de droïdes, tandis que depuis qu'il avait commencé les missions à la tête de sa petite équipe, il s'était retrouvé dans une situation d'isolement assez particulière. Par conséquent, s'il ressentait moins la différence d'humeur entre Coruscant et le reste de l'univers connu, revoir tant de monde et d'agitation était presque étourdissant.

Le plus étonnant, s'aperçut-il en grimpant dans un taxi aérien, était que les choses n'avaient pas réellement changé malgré les nouvelles réglementations strictes imposées par le sénat. Les contrôles accrus à tous les niveaux de la gigantesque cité, les restrictions d'accès et les saisies qui avaient lieu régulièrement n'avaient pas l'air de troubler les habitants qui s'adonnaient à leurs activités quotidiennes avec presque plus d'entrain qu'avant. Ignorance, naïveté ou aveuglement, quelle que pût être la raison de leur insouciance, elle n'en était pas moins déroutante pour Obi-Wan. Tandis que le taxi survolait à vitesse réduite différents quartiers chics de la ville, il s'autorisa à contempler les va-et-vient des transports en commun bondés, les sorties des grands commerces dont partaient de riches speeders où allaient s'entasser des paquets de marchandise coûteuse, tout en sachant que plusieurs niveaux plus bas contrebande et autres manœuvres illégales devaient foisonner tout autant.

-Fait longtemps qu'vous êtes parti ?

Kenobi, qui n'avait pas pris le temps de quitter l'uniforme et dont le statut devait sauter aux yeux, délaissa son observation pour se tourner vers le pilote Devaronien.

-Quelques mois, à vrai dire, répondit-il avec un sourire amical. Je suis surpris de voir que la vie n'est pas plus perturbée que ça sur Coruscant.

-Oh, 'savez…, fit l'alien en jetant un œil à sa dentition dans le rétroviseur avant de se la curer avec indifférence. Faut pas s' fier aux apparences. S' passe des trucs un peu louches ces temps-ci. Tout l' monde est pas forcément d'accord avec certaines mesures, et y paraît qu'y fait pas bon trop s'opposer à certaines personnes, dans… certaines circonstances, si 'voyez ce que j' veux dire.

-Certainement, acquiesça Obi-Wan avec un sérieux où pointait une légère touche d'amusement.

-Pas que j' fais pas confiance au gouvernement, pensez, ajouta rapidement le Devaronien qui venait de se rappeler qu'il s'adressait à un officier.

-Je n'en doute pas. Il est rassurant, au contraire, de voir que les citoyens se soucient de la situation générale de Coruscant.

-'Xactement c' que j' pense, opina le pilote. Les gens d' nos jours sont trop égoïstes, voient pas plus loin qu' le bout d' leur nez, c'est déprimant. Pas plus tard qu'hier, y avait ce Gran qu'est monté dans mon taxi, et l'a commencé à faire comme chez lui. Alors les pieds sur l' dossier du siège avant, et j' vous parle même pas de…

Obi-Wan reporta son attention sur la circulation aérienne autour d'eux, finissant tout de même par déceler une baisse de fréquentation inhabituelle pour la mi-journée. Le Devaronien n'avait pas tort. Tout semblait aller pour le mieux, mais seulement en apparence. Cela faisait quelque temps que les recherches de l'équipe alderaanienne commençaient à pointer vers les mondes les plus influents du Noyau, confirmant l'existence d'opérations louches au sein des gouvernements. Si enquêter encore un peu dans la bordure extérieure aurait pu les aider à affiner leurs déductions, Kenobi comprenait que leur présence sur Coruscant était devenue cruciale. Sans ajouter que, même s'il refusait obstinément de l'avouer, la solide confiance qui avait progressivement germé entre le sénateur Organa et lui était désormais suffisante pour le convaincre de revenir au cœur de la République sans poser de questions. Celles-ci ne manquaient pas, bien sûr, mais elles pouvaient attendre.

-On arrive, commandant, lança le chauffeur, interrompant le fil de ses pensées. Z'êtes bien commandant au moins ? Voudrais pas me tromper, ça s' fait pas d'insulter les grands hommes.

Souriant malgré lui devant cet excès de courtoisie à son égard, l'ex-Jedi répondit avec légèreté :

-Général, en fait. Mais malgré l'uniforme, je ne suis pas en service, et il est donc inutile de vous soucier des formules de politesse.

-Bah 'savez, les galons, ça impressionne, y a pas, rit le Devaronien en amorçant l'atterrissage sur la plateforme déployée de la Seraphie.

Une fois les répulseurs désactivés, il actionna l'ouverture de la portière à l'arrière et tendit le bloc de paiement à Kenobi, qui y introduisit sa puce électronique. Un faible signal sonore mélodieux indiqua la réussite de la transaction, et l'alien récupéra son matériel avec le sourire affable du commerçant soulagé d'avoir pu faire un maigre bénéfice.

-Bonne journée à vous, m' sieur !

Kenobi le salua d'un hochement de tête, sortit du véhicule, et contempla la flèche de verre et de métal qui s'élevait fièrement vers les nuages d'un blanc cotonneux. Chez lui. Il n'avait peut-être pas encore eu l'occasion d'occuper les lieux, mais il tirait tout de même une sorte de réconfort à l'idée de regagner son appartement. Il soupira, exaspéré par ces envies trop matérielles pour un… ex-Jedi, mais sachant qu'une petite séance de méditation en viendrait aisément à bout.

Un petit détour par le poste de sécurité qui, comme il l'avait espéré, appliquait toujours à la lettre ses recommandations, et il emprunta avec à peine trop d'impatience le turbolift qui le porta jusqu'à son étage. Les lourdes portes en métal renforcé s'ouvrirent en silence sur le vestibule clair où il déposa soigneusement la cape qui commençait à l'encombrer, avant d'inspirer profondément, apaisé. L'air était frais et léger, et il devinait de là où il se trouvait que l'on avait ouvert la grande baie vitrée du salon, laissant une brise occasionnelle remuer doucement les longs rideaux fins et permettant aux bruits lointains de circulation d'apporter une touche de vie à la quiétude générale des lieux. Essayant tant bien que mal d'ignorer la culpabilité qu'il ressentait à bénéficier d'un tel confort tandis que des mondes entiers s'entre-déchiraient, il avança lentement vers le cœur de son appartement, attentif à la douleur qu'il ressentait encore dans sa cuisse. A peine entré dans la pièce richement meublée il s'arrêta, intrigué par les présences qu'il ressentit soudain, toutes proches, juste avant d'entendre des voix en provenance de l'immense balcon dissimulé par les voiles brodés d'or.

Il se remit en marche, un peu plus droit et le pas plus lourd afin de signaler sa présence. Les silhouettes indistinctes se tournèrent vers lui, mais il avait déjà reconnu les marques psychiques de ses visiteurs avant même de les voir entrer à nouveau dans le salon.

-Général Kenobi ! l'accueillit jovialement Bail Organa, inclinant la tête avec élégance. Bon retour parmi nous.

-Altesse, salua Obi-Wan à son tour, surpris par le plaisir qu'il éprouvait à retrouver le vice-roi. Il est bon de revenir à la capitale, en effet.

Padmé Amidala apparut alors à la suite du sénateur alderaanien, vêtue d'une robe lilas aux motifs compliqués, juste assez ample pour dissimuler la rondeur de son ventre. Son expression posée et réfléchie était accentuée par un maquillage léger mais sombre, sans parvenir totalement à dissimuler la fragilité qui émanait d'elle depuis le départ douloureux d'Anakin. Toutefois, la joie qui brilla un court instant dans son regard foncé fut parfaitement sincère, et c'est avec un réel bonheur qu'elle alla serrer les mains de son vieil ami.

-Obi-Wan…, sourit-elle.

-Milady. Je suis heureux de voir que vous allez bien… tous les deux.

-Oh oui, répondit-elle, un peu embarrassée. Je suis désolée de la frayeur que j'ai pu vous faire, mais nous manquions de temps. Je n'ai pu prévenir que… peu de monde.

Kenobi dévisagea la jeune femme, sentant un bref élan de chagrin, mais son expression n'avait pas changé. Soit il se trompait, soit elle avait perfectionné la façade neutre qu'elle devait à présent montrer en public, et il ne savait quelle possibilité l'inquiétait le plus. Des cliquetis saccadés attirèrent l'attention du jeune homme avant de lui laisser le temps d'approfondir la question.

-Général Kenobi ! s'exclama le droïde C-3PO en revenant de la cuisine, un plateau de boissons entre ses bras raides et dorés. Quelle joie de vous revoir, et je suppose que vous n'êtes pas mécontent d'avoir quitté ces affreux combats !

-C'est vrai, 3PO. Bonjour, Dormé, ajouta l'ex-Jedi avec un sourire en repérant la servante qui accompagnait le droïde et qui ne put cacher le rose qui lui monta alors aux joues. Eh bien tout le monde est là !

Bail Organa s'écarta en riant afin de permettre à sa consoeur de s'asseoir sur le long canapé pourpre tandis que le droïde protocolaire déposait son plateau sur la table basse devant eux.

-Pensiez-vous vraiment pouvoir vous reposer si tôt, Obi-Wan ?

-Oh non, j'ai abandonné tout espoir au moment où j'ai franchi votre porte pour la première fois, majesté, répliqua sans tarder le jeune homme en se servant un verre d'eau. Mais rassurez-moi juste sur un point, demanda-t-il après avoir avalé une gorgée rafraîchissante. Cela n'a rien à voir avec la réception mondaine prévue ce soir au Pavillon d'Eté, réception qui n'a lieu que tous les cinq ans et qui réunit toutes les têtes couronnées du Noyau et des Bordures… n'est-ce pas ?

Obi-Wan sut qu'il avait eu tort de poser la question au moment où il vit Organa et Amidala échanger un rapide coup d'œil avant de lui refaire face avec un sourire qui se voulait crispé, mais ne révélait que trop leur amusement.

-Pourquoi ai-je l'affreux pressentiment que je ne vais pas du tout aimer ce qui va suivre ? conclut-il avec un calme remarquable.

-Je ne peux pas accompagner le sénateur Organa, en co-fondatrice de notre équipe militaire, expliqua alors Padmé, sa voix douce et rassurante. Le risque de révéler ma grossesse serait trop grand.

-Mais il reste que j'ai besoin de quelqu'un pour appuyer notre mouvement loyaliste, poursuivit Bail. Quelqu'un d'important, de respectable, et qui puisse attirer le regard de nos sympathisants.

-Nous avons besoin de vous, Obi-Wan, insista encore l'ex-sénatrice de Naboo avec un ton où pointait juste assez de détresse pour terminer de le convaincre.

Kenobi croisa les bras en un geste réfractaire, pinça les lèvres, fronça les sourcils, alla même jusqu'à plisser les yeux. Mais rien n'y fit. Il avait déjà cédé, et eux l'avaient bien compris. Le Négociateur, aux paroles habiles et aux incroyables dons de persuasion, se faisait toujours battre à plates coutures par ses deux employeurs, et ce dont il ne se rendait pas compte était qu'il y avait toujours eu dans sa vie une ou deux personnes avec qui il n'avait jamais eu le dessus. Il y avait eu Bant, Qui-Gon… Anakin.

Il décroisa donc les bras, vaincu, et reposa son verre d'eau.

-Je vais manquer de temps pour me préparer, je ne peux pas me présenter dans cet uniforme, argumenta-t-il en tirant sur sa manche tachée par ses derniers combats. Et il va me falloir des renseignements sur les personnalités présentes à la soirée…

-R2D2 a transféré toutes les informations dans votre terminal, l'informa Padmé. Et pour ce qui est de vous préparer… nous trouverez-vous trop calculateurs si je vous dis qu'un couturier est en route et devrait arriver sous peu ?

Kenobi dissimula sa surprise derrière un charmant sourire en répondant :

-Le contraire aurait presque été décevant, Milady.

Et pourtant, en un sens, il était un peu contrarié de ne pas avoir l'occasion de s'asseoir tranquillement pour parler un peu avec ceux qu'il commençait à considérer comme ses amis. Il avait été particulièrement pressé de s'entretenir avec Padmé, d'échanger leurs inquiétudes et d'aborder l'absence pénible d'Anakin. Il aurait voulu avoir le temps de lui demander si elle avait eu des nouvelles de lui, s'ils s'étaient revus, si le jeune homme allait bien, si sa formation de Jedi progressait convenablement malgré l'exil de son maître… Un coup d'œil sur le visage de l'ex-sénatrice lui apprit cependant qu'elle n'avait pas été en contact avec son époux. La distance dans son attitude, la mélancolie dans son regard, la peine accablante qui se diffusait autour d'elle dans la Force…

"Elle est malade."

Obi-Wan écarquilla les yeux de surprise au moment où la pensée lui traversa l'esprit, et il crut bon de cacher sa réaction en se détournant des sénateurs pour laisser passer la dame de compagnie qui alla prendre place sur le canapé à côté de sa maîtresse. Plus effrayé qu'il ne voulut l'admettre par ce qu'il avait cru percevoir, il s'appliqua à laisser ses émotions s'écouler en un souffle dans la Force, et quand il refit face à ses hôtes, il était parvenu à retrouver une humeur heureusement plus légère. Ne pas laisser l'anxiété prendre le dessus, se fier à la Force.

-Devons-nous vraiment faire appel à un couturier ? demanda-t-il tout en connaissant déjà la réponse. Un uniforme propre ferait très bien l'affaire.

-Il s'agit du tailleur personnel de dame Amidala, le rassura Bail. Il saura vous confectionner exactement ce qu'il vous faut.

Obi-Wan haussa alors un sourcil sceptique en s'asseyant dans l'un des fauteuils tandis que C-3PO se dirigeait vers l'entrée où venait de l'appeler son compagnon R2D2.

-Je ne suis pas sûr d'être taillé pour les robes, Altesse, déclara-t-il, déclenchant quelques rires.

-Excellences, intervint alors le droïde de protocole en revenant au centre de la pièce en une série de bourdonnements et de cliquetis. Monsieur Jilliber vient d'arriver.

-Parfait ! fit Organa en se relevant, imité par Kenobi. Qu'il entre.

Le silence théâtral qui suivit fut d'une ironie qui amusa presque Obi-Wan. Mais ce silence, de ceux que l'on imagine avant l'entrée d'une célèbre personnalité, ne dura que quelques malheureuses secondes, trop vite écoulées. Une minute son appartement baignait dans le calme et la sérénité, et la suivante, un véritable cataclysme s'en était emparé, sans aucune transition. Un Rohrwal fit irruption dans la pièce, lançant déjà des ordres à tout va au cortège de droïdes assistants qui le suivaient, sans prêter attention aux personnes déjà présentes. La race connue sous le nom de Rohrwal n'avait rien de particulièrement avenant de manière générale : lézardeux, à la peau verte écaillée et au long cou surmonté d'une tête ovale quasiment dépourvue de nez sillonnée de rides disgracieuses – toutefois très appréciées au sein de leur communauté – leur corps longiligne flanqué de trois paires de bras de plus en plus menus de l'épaule à la taille, se terminait par une queue lisse et parfaitement articulée. Mais ce Rohrwal-ci n'était pas comme les autres. Tandis que ses congénères souffraient malgré eux d'un air inévitablement retords, lui semblait avoir sérieusement étudié la question et s'était évertué à se rendre hautain, précieux et fureteur en plus du reste.

Obi-Wan grimaça. Et il était bruyant.

Le couturier pédala rapidement de ses membres inférieurs pour filer droit sur Padmé Amidala, qu'il salua d'une profonde révérence, faisant bruisser et cliqueter l'assortiment de créations décoratives qui lui ornaient poignets, épaules, cou et tête.

-Milaaady, articula-t-il d'un ton nasillard à la limite du tolérable. C'est toujours un immmense plaisir de vous voir.

-Monsieur Jilliber, répondit-elle avec un sourire poli.

Jip Jilliber fit un brusque quart de tour sur la droite et se plaça un poing à quatre doigts sur le torse, l'air digne.

-Votre brillantissime majesté Organaaaa.

Bail hocha la tête, déjà habitué aux extravagances du personnage.

-Maître Jilliber, comment allez-vous ?

-A mârveille, à mârveille. Alors, où est notre client ?

Obi-Wan tenta alors l'esquive du siècle. En une seconde, un plan des plus habiles avait pris forme dans son esprit, et si tout se déroulait comme prévu, dans moins d'une heure lui et son équipe seraient déjà loin. Quant au prétexte, il se savait suffisamment débrouillard pour en trouver un. Débriefing urgent avec ses hommes, nouveau complot découvert sur une planète très, très éloignée, comlink oublié sur Tatooine… Il avait absolument tout prévu. Tout sauf la bonne volonté inébranlable d'un droïde de protocole trop zélé.

-Juste ici, monsieur Jilliber, intervint gaiement C-3PO en levant son bras raide et doré en direction du jeune homme qui avait presque atteint la porte. Le général Kenobi.

Obi-Wan se retourna avec un beau sourire contrefait, et le temps qu'il formule une excuse polie, le Rohrwal était déjà sur lui, ses six mains le parcourant bien plus qu'il ne l'aurait voulu.

-Ah oui, très bien les mèches plus longues sur la nuque, approuva-t-il dans un flot de paroles ininterrompues tout en lui tournant autour à une vitesse déstabilisante. Oui, pour un parrr-fait équilibre avec la barbe. Hmm, il y a quelques petites choses à redire sur la taille, la moustache est si sévère ! Mais après tout, ça n'aura plus d'importance dans quelques instants !

Et de sautiller pour l'observer sous toutes les coutures, peignes et électro-ciseaux déjà dans les mains.

-Attendez, il n'a jamais été question de…, commença l'ex-Jedi en lançant un regard outré à ses deux employeurs, qui lui firent signe que plus rien ne dépendait d'eux à présent.

Une tête ridée et verdâtre entra dans son champ de vision et deux yeux globuleux sondèrent les siens, critiques.

-Bleus ? Verts ? Bleus ? Que voilà une couleur intéressante ! …Ah peu importe ! s'exclama le couturier en se tournant finalement vers un droïde qui tirait une grosse caisse fermée montée sur répulseurs. Amenez tout, je crois qu'il faudra essayer pour être sûrs !

Pendant un instant, le général pensa mettre un terme à cette comédie qui commençait à l'irriter. Il voulait bien faire preuve de bonne volonté, mais ce qu'on lui imposait là était à la limite du ridicule, et certainement pas nécessaire. Puis, le temps que Jip Jilliber s'entretienne brièvement avec ses assistants, il se posa la question inverse. Avait-il réellement besoin de s'y opposer ? Le couturier était certes un peu trop exubérant à son goût, mais après tout si Organa et Amidala l'avaient choisi, il devait y avoir une raison.

Fermement décidé à ne pas se laisser marcher sur les pieds ni subir une métamorphose complète, Obi-Wan ravala toutefois l'orgueil qui avait commencé à poindre et augmenta consciemment son seuil de tolérance. Une petite heure avec ce Rohrwal ne pouvait pas être pire que tout ce qu'il avait déjà vécu. Du moins il l'espéra très fort.

-Pouvons-nous dispooooser d'un endroit bien éclairé pour nous mettre au trâââvail ? s'enquit Jilliber en mesurant le tour de taille de sa nouvelle proie.

-Il y a une pièce vide à côté de la chambre, répondit Obi-Wan, qui avait décidé de mettre du sien dans cette terrible épreuve.

-Bien ! Nous vous l'empruntons !

Et d'entraîner le général vers l'autre bout des appartements, suivi des droïdes assistants armés de peignes, ciseaux et autres instruments de torture.


Non pas une, mais trois heures plus tard, Bail Organa et Padmé Amidala – qui étaient partis s'occuper de documents officiels en vue d'une prochaine réunion – revinrent dans le grand salon du général Kenobi, pour le trouver vide. Un peu comme ils s'y attendaient. Ils échangèrent un bref regard complice et laissèrent Dormé leur servir un rafraîchissement avant de reprendre place sur le canapé gris au dossier incurvé.

-Pensez-vous qu'il parviendra à donner le change ce soir ? demanda Bail au bout d'une minute en tapotant son verre du bout des doigts d'un air pensif.

-N'en doutez pas un instant, le rassura immédiatement sa jeune consoeur. Outre le fait que les Jedi sont des diplomates par nature et qu'il a probablement assisté à de nombreux banquets, Obi-Wan dégage bien plus d'assurance qu'il n'en ressent parfois. Ce sera amplement suffisant pour impressionner l'assistance.

Bail Organa laissa un sourire amusé se dessiner sur ses lèvres en reposant son verre sur la table basse devant lui.

-Vous semblez le connaître bien mieux que moi.

-Je n'irais pas jusqu'à dire que je le connais parfaitement, mais j'ai vu de mes yeux ce qu'il est capable de faire, et je sais qu'il ne faut pas le sous-estimer.

Padmé joignit posément les mains sur ses cuisses et son regard fardé de noir se perdit dans un passé qui allégea ses traits pendant un court instant.

-Nous sommes chanceux de l'avoir pour allié, et pour ami, finit-elle.

Organa ne répondit rien, mais la bonne humeur qui pétilla dans ses yeux révéla clairement son approbation tandis qu'une porte s'ouvrait à l'autre bout de l'appartement et que les voix entremêlées du général et du Rohrwal se firent à nouveau entendre, rompant la quiétude qui régnait jusque là.

-Vraiment, je ne crois pas qu'on soit censé se mettre ces choses sur la peau, argumentait Obi-Wan, pour être immédiatement coupé par le styliste.

-Maaaais je vous assure que vous allez très vite vous y faire. Ah ! Notre jury semble être de retour. Venez venez vous montrer, j'aimerâââ entendre leur avis.

Ces quelques mots furent le signal que Padmé attendait pour inviter Dormé à prendre place à côté d'elle et apprécier le travail de Jip Jilliber avec eux. Le penchant innocent de la dame de compagnie pour le général alderaanien n'était un secret pour personne – à part peut-être Obi-Wan – et l'ex-sénatrice avait estimé que l'avis de Dormé vaudrait tout autant que le sien.

-Cette lotion est-elle vraiment nécessaire ? persistait Obi-Wan en avançant à contrecoeur vers ses supérieurs, escorté par un Jilliber qui continuait à lui tourner autour pour effectuer quelques dernières modifications. J'ai l'impression d'être plus lubrifié qu'un servomoteur.

-C'est trâ bien, ne vous en souciez pas, asséna le tailleur en le poussant sans ménagement devant le public réuni. Alors, qu'en pensez-vous ?

Il y eut soudain, plus qu'un silence, une stupéfaction générale qui dura plusieurs longues secondes pendant lesquelles Obi-Wan s'efforça de ne pas s'enfuir en courant. Bail Organa fut le premier à se remettre du choc, et c'est avec un ton presque naturel qu'il prit la parole.

-Comment vous sentez-vous ?

Kenobi se remit à respirer plus normalement et retint un soupir.

-Comme un imbécile, fit-il avec accablement. J'ai l'impression de m'être fait emballer dans un papier cadeau, tout ça est ridicule.

-Vous êtes-vous au moins regardé dans un miroir ?

-Non. Je n'en ai pas eu le courage, avoua le général en glissant un doigt sous son col pour tirer sur le tissu. J'étouffe là-dedans.

-Ouiiiii oui oui, s'exclama Jilliber à côté de lui. Voilà ce qui clochait, je ne trouvais pas ! Déboutonnons un peu.

Et d'accompagner ses paroles de quelques gestes précis qui libérèrent un peu le général. Jilliber se retourna ensuite vers les trois personnes assises.

-Qu'en pensez-vous ?

C'est alors que Padmé, à la plus grande surprise de Kenobi, esquissa un sourire malicieux qui atteignit légèrement ses yeux en levant un index délicat vers son torse.

-Oui, c'est nettement mieux. Mais peut-être pourriez-vous aussi défaire le suivant.

-Tout à fait ! s'extasia Jilliber. Oooh et puis nous pourrions même encore…

Son élan fut brisé par Obi-Wan qui lui saisit le poignet au vol et articula nettement :

-Ne touchez plus à ces boutons. S'il vous plaît, ajouta-t-il avec un sourire aimable.

-Très bien, ooooh comme vous voulez, capitula Jilliber d'une moue boudeuse en récupérant sa main. Vraiment ! Parfois je me dis que je ne comprendrai ja-mais les réactions humaines !

Il haussa ses minuscules épaules dans un bruit de bijoux s'entrechoquant et poussa un soupir théâtral.

-Il faut retoucher cette veste, cela ne convient pas. Venez, venez.

Les sénateurs les suivirent du regard jusqu'à les voir disparaître une fois encore dans la pièce du fond, après quoi Padmé se tourna vers sa suivante qui n'avait pas dit un mot jusque là.

-Dormé ? interpella-t-elle.

-Milady ? répondit la jeune femme par réflexe, les yeux toujours figés vers l'endroit où s'était tenu le général quelques instants plus tôt.

-Je crois qu'une douche froide s'impose, Dormé, sourit Amidala, cette fois vraiment amusée.

-Oui Milady.

Dormé sursauta alors, consciente de ce qu'elle venait de dire, et se releva en rougissant jusqu'aux oreilles.

-J-Je veux dire,… enfin je… Non, c'est que…, balbutia-t-elle. Hem ! Je crois que je vois traîner de la vaisselle, là bas, je… je vais m'en occuper !

La dame de compagnie s'éclipsa avant de pouvoir entendre les rires légers des deux sénateurs.

-J'en connais un qui va attirer tous les regards cette nuit, déclara Padmé d'un ton encore médusé.

-C'est exactement ce qu'il nous faut, convint Organa avec toutefois plus de modération. Je crois que nous n'aurons aucun mal à convaincre l'opinion.

Il se releva en redressant sa cape élégante et sourit à sa consoeur d'un air malicieux.

-A mon tour d'aller me préparer.


Le soleil entamait sa lente descente vers l'horizon de la cité-capitale où se découpaient les gratte-ciels dont les formes s'adoucissaient et miroitaient de feu et d'ambre sous les rayons agréablement chauds du début de soirée. L'éternelle brise qui s'infiltrait entre les bâtiments colossaux et au creux des méandres déjà obscurs de la ville véhiculait une tiédeur électrique inhabituelle mais étrangement agréable. C'était l'un de ces soirs où, rien qu'à marcher dans la rue, on se sentait soudain transporté par l'enthousiasme de ses jeunes années, inspiré par un petit on ne sait quoi, et prêt à se lancer dans de nouvelles expériences en dépit de tout bon sens. Un soir de douce folie, d'extase et de découvertes en tous genres que l'on n'aurait pas osé tenter en temps normal.

Ce soupçon d'euphorie naissait dans les petites banlieues résidentielles et s'accroissait au fur et à mesure que l'on se rapprochait du Pavillon d'Eté, au cœur du secteur des grands jardins de Coruscant, réhabilité depuis peu par le chancelier suprême et ce – d'après ses propres dires – afin de pallier à l'horreur de la guerre, qui n'avait pourtant pas encore atteint la capitale. Le somptueux ensemble d'édifices qui hébergeait pour un soir la traditionnelle assemblée des Hauts n'avait de pavillon que le nom, car son ampleur n'avait d'égale que l'opulence de ses installations, du haut de sa tour aussi vaste qu'un spatioport.

Nichées dans un écrin de verdure savamment arrangée, se dressaient quatre bâtisses octogonales surmontées de dômes en vitrail de couleurs différentes et dont les murs massifs aux nombreuses sculptures mélangeaient la pierre et le métal pour un rendu au summum du mouvement artistique post-corellien. D'après l'histoire, chaque pavillon – où pouvaient déambuler sans mal près de quatre cents personnes – avait eu une fonction propre au moment de sa construction. Lectures, enseignements et savoir pour le premier, au dôme émeraude et encerclé de pavés clairs bordés de bancs ; les festins, orgies de mets exotiques et de boissons dans le deuxième dont la couleur dorée allait se refléter sur le jardin de miroirs qui le jouxtait ; les jeux d'argent sous la voûte noire d'ébène du troisième pavillon et ses bassins d'eau claire ; et enfin, le quatrième et dernier pavillon, joyau entre tous, au dôme cisaillé de millions de petits éclats argentés, élevé à l'écart des autres dans le creux d'un bosquet de fleurs tombantes et de lierre, avait jadis abrité les plaisirs secrets de la chair auxquels s'étaient adonnées des générations de têtes couronnées.

En cette soirée aux allures estivales malgré la régulation climatique de la planète, les speeders de luxe commençaient leur arrivée discrète sous le regard exceptionnellement pudique des holocams, les journalistes ayant pour une fois opté pour la sobriété protocolaire de mise, concession sans doute obtenue grâce aux quelques invitations intelligemment réparties entre les diverses grandes chaînes d'information. Le ciel commençait à présent à rougeoyer au-dessus du ballet de véhicules aux vitres teintées, puis noircir, loin de l'autre côté de la ville, derrière de fines zébrures de nuages indigo.

C'est dans cette atmosphère surréaliste que le général d'Alderaan découvrit ce secteur où il n'avait jamais eu l'occasion de se rendre, et il s'étonna de la tranquillité qui régnait tout autour, comme on en trouverait sur un monde éloigné du Noyau. Son étonnement ne dura toutefois que le temps de se dire que les cinq secteurs environnants avaient dû être bouclés par le nouveau service de sécurité du chancelier, de plus en plus présent depuis quelques mois.

-Le vice-roi est déjà arrivé, chef, l'informa Banok Dringer qui s'était vu attribuer le rôle de chauffeur pour la soirée.

-Bien.

Plus que bien, c'était un soulagement pour Kenobi de savoir qu'il ne serait pas seul pour affronter la horde de dirigeants à son arrivée. Accoudé sur un rebord de portière en cuir rembourré, il récapitulait mentalement les informations fournies par R2-D2, et connaître les petites manies et susceptibilités des individus qu'il allait croiser sous peu n'allégeait en rien son appréhension, bien qu'il ne cessât de se répéter qu'il avait maintenant l'habitude de s'adapter au public qu'il rencontrait et qu'il lui était même arrivé un jour d'endosser le rôle du prince Beju sur la planète Gala. Protocole et étiquette n'avaient plus aucun secret pour lui depuis des années, mais il abhorrait tant l'hypocrisie que chaque confrontation avec les hautes sphères ne manquait jamais de lui nouer l'estomac. Il porta les doigts à ses lèvres pour frotter les poils doux de sa moustache et se redressa avec un soupir en ne sentant rien d'autre que la peau nue et lisse laissée par les soins de Jilliber.

"Blast soit de la mode," se renfrogna-t-il tout seul en regardant approcher la tour du Pavillon par la vitre du speeder.

Après une lente décélération en une courbe adroite, Dringer ajusta les répulseurs et immobilisa le véhicule officiel gracieusement offert par Bail Organa au niveau du tapis sombre déroulé le long de l'allée menant au pavillon émeraude du savoir. La nuit était maintenant tombée sur cette partie de la gigantesque cité et le chemin était éclairé par des lampes discrètes et élégantes suspendues aux colonnades. Un valet Bith lui ouvrit la portière et il le remercia d'un hochement de tête en quittant le splendide speeder qui repartit sans attendre. Quelques petites holocams vinrent virevolter jusqu'à lui, sans jamais trop l'approcher.

Il y était. Plus question de faire demi-tour maintenant. Il regarda en avant, le long du tapis impeccable vers l'immense bâtiment aux longues fenêtres à larges carreaux d'où filtraient lumière, silhouettes floues et musique sourde. Il se mit en marche en espérant que son pas ait l'air suffisamment confiant, dépassa les sentinelles en armure de parade et avança nerveusement jusqu'aux doubles portes colossales aux moulures représentant des figures méconnaissables et des feuilles de vigne. Un second valet se tenait là, qui porta une main gantée au bouton d'ouverture et fit coulisser en grand les deux battants en annonçant clairement :

-Général Obi-Wan Kenobi, d'Alderaan.

La poitrine serrée et la mâchoire crispée, l'ex-Jedi avança dans la lumière. Lorsque la plupart des visages se tournèrent vers lui, il bannit son anxiété et profita du moment pour repérer les dignitaires qu'il lui faudrait aborder ce soir. Les autres convives, eux, se contentèrent de l'examiner de la tête aux pieds, la condescendance faisant rapidement place à une approbation respectueuse dans leur regard.

Après maints essais, Jip Jilliber avait opté pour un ensemble rouge à la sobriété tempérée par des finitions raffinées sur chaque pièce de vêtement. Ainsi, le général Alderaanien portait une longue veste cintrée de velours frappé, d'un grenat sombre éclairé de fins traits d'or brodés tout en courbes le long de l'ourlet des manches et du large revers. En dessous se devinait une somptueuse tunique en satin de couleur groseille et au col nonchalamment ouvert, tenue par une large ceinture de taffetas sombre. Le pantalon serré et les bottes hautes étaient, quant à eux, d'un noir profond. Au pouce droit, un anneau doré, ainsi qu'aux majeur et index gauche. Mais la plus grande réussite du styliste était le visage même de Kenobi. La barbe et la moustache avaient été totalement rasées, ne laissant à la place qu'une peau glabre et très légèrement hâlée ; les cheveux avaient été coupés, sculptés, et mis en forme en un fabuleux désordre hérissé tout de cuivre et d'or, au-dessus d'un regard aquatique et profond souligné de noir discret. Plus qu'un général comme il y en avait tant d'autres, c'est une véritable figure de mode qui descendit les quelques marches menant au cœur de la galerie.

Evidemment, il n'en fallait pas moins pour pouvoir prétendre attirer l'attention de qui que ce fût dans cette assemblée où débordaient le faste, la splendeur et les excès en tous genres. Tous rivalisaient de tenues plus somptueuses les unes que les autres, recourant aux tissus les plus délicats, aux bijoux les plus précieux et aux faire-valoir les plus insolites, de la comtesse Getranna aux milliers de perles à l'intendant Gran d'Ygradar et ses trois femmes exotiques, en passant par la reine Caltranie et le minuscule félin vivant qui lui réchauffait les épaules.

Tout en commençant à distribuer sourires et salutations polies, Obi-Wan chercha Bail Organa du regard, mais il ne trouva aucune trace du vice-roi dans la foule de sommités, à sa plus grande déception. Alors il fit contre mauvaise fortune bon cœur, et s'employa à accomplir la mission qui lui avait été donnée : passant de convive en convive, il serra mains et autres appendices en prenant systématiquement le temps de faire connaissance correctement, de s'enquérir de la situation de chaque planète et de supporter les plaisanteries parfois franchement navrantes que l'on s'acharnait à lui infliger. Toujours courtois, le ton léger et le sourire cordial, il échangeait les banalités avec une aisance qui le surprenait lui-même à chaque fois, avant de distiller quelques allusions qui lui permettaient de discerner les oreilles potentiellement intéressées par les idées avancées par les loyalistes Organa et Amidala. En l'espace de deux heures, il avait obtenu le soutien de quatre mondes et les promesses de dix autres dirigeants.

Refusant poliment le verre de spiritueux qu'un droïde lui proposait, il rendit son signe de tête à l'ambassadrice Twi'lek d'une planète qu'il ne connaissait pas et s'apprêtait à se présenter quand il fut interrompu par la voix criarde de Surana Helboron, duchesse de Tortari qui n'avait cessé de le traquer depuis son arrivée.

-Ca alors ! Général Kenobi ! s'écria-t-elle avec bonheur. Nous ne cessons de nous croiser !

"Par le plus grand des hasards sans le moindre doute," aurait voulu répondre Obi-Wan, qui se contenta pourtant d'un haussement de sourcil faussement étonné et d'un petit sourire.

-La chance semble être de mon côté, ma dame.

-La chance ou la Force, n'est-il pas, général ? reprit-elle avec connivence. Avoir été Jedi doit être un réel atout dans votre vie quotidienne, non ? Je n'ose même pas imaginer quelles prouesses la Force peut vous octroyer dans la chambre…

Trop interloqué pour ressentir un quelconque embarras, il chercha une réplique décente mais suffisamment insolente pour la dissuader de poursuivre dans cette voie, quand le timbre riche et tellement bienvenu de Bail Organa vint rompre l'échange.

-Ah ! Général, justement je vous cherchais, intervint le vice-roi, resplendissant dans son ample manteau gris pâle aux motifs tortueux. Il est grand temps que vous fassiez la connaissance de l'une de mes relations les plus inestimables.

-Bien sûr, Altesse, acquiesça Obi-Wan avec un enthousiasme qu'il n'eut pas besoin de feindre. Madame la duchesse, si vous voulez bien nous excuser…

La mine boudeuse et déçue, celle-ci eut la grâce de les saluer avec respect avant de leur tourner le dos, le menton levé.

-Vous arrivez à point nommé, Majesté, sourit le général en se frayant un chemin à la suite d'Organa. Je commençais à croire que vous aviez décidé de m'abandonner dans la fosse aux rancors.

Bail Organa secoua la tête avec un petit rire profond.

-D'après ce que j'ai pu entendre en venant vous trouver, vous avez fait de l'excellent travail, répliqua-t-il. Ma présence à vos côtés n'aurait été qu'une gêne à votre éloquence.

-Toute éloquence a parfois besoin d'un garde-fou, Altesse, continua Obi-Wan d'un ton léger. Mais je crois que la terrible épreuve que je viens de passer ne sera pas vaine. D'ailleurs il faudra garder un œil sur Kegan, dans le système Calaron, dont la représentante s'est montrée plus ouverte que de coutume ce soir. En usant de bons arguments, elle pourrait déléguer une partie de ses services à notre action. En tout discrétion.

Le vice-roi d'Alderaan tourna un visage pour le moins étonné vers son général, tandis qu'ils atteignaient tous deux les grandes portes vitrées donnant sur l'arrière-cour du pavillon. Tout le monde savait que Kegan était un monde qui venait tout juste de sortir de siècles d'isolation, et dont la méfiance n'avait d'égale que sa xénophobie. Le fait que Kenobi ait réussi à s'attirer la sympathie de O-Rana, son ambassadrice, en disait long sur ses capacités. Ce que Organa ignorait cependant, était que l'ex-Jedi avait contribué au retour de la planète dans la République bien des années auparavant, aux côtés de Qui-Gon Jinn, Siri Tachi et Adi Gallia, et que ce seul exploit lui avait valu d'emblée l'estime de bon nombre de Kegan.

-Un seul accord avec O-Rana pourrait rallier beaucoup d'indécis au camp des loyalistes, chuchota Organa, soucieux de ne pas attirer l'attention des trois dirigeants installés près du seuil de la porte, narguilé en bouche, dont l'inclination pour la guerre n'était un secret pour personne.

-Nous verrons bien, tempéra Obi-Wan en précédant le vice-roi dans la tiédeur de la cour.

Des dizaines d'aristocrates avaient décidé de profiter de l'ambiance tamisée de l'extérieur, soit confortablement assis sur de larges canapés décorés d'épais coussins au tissu délicat, soit debout près de tables hautes où trônaient gâteaux apéritifs, fioles de nectars rares, carafes de vin et montagnes de fruits juteux. Aux conversations posées se mélangeaient rires polis et chuchotements complices, sous l'éclairage de petits droïdes à répulseurs qui flottaient tranquillement plusieurs mètres au-dessus, leur dos métallique orné de boules oranges lumineuses.

Toute cette splendeur pendant que des millions de soldats agonisaient et mouraient pour ces gens dont les visages sereins n'avaient que faire de ce qui pouvait se passer sur Jabiim, Fregas ou Donterion. Obi-Wan réprima un frisson.

-La voilà, dit soudain Bail Organa.

Ravalant son amertume, Kenobi inspira et se redressa, cherchant du regard la personne que le vice-roi venait de désigner d'un mouvement de tête discret. Au milieu d'un petit groupe de représentants Grans se tenait une jeune femme dont la beauté interpella immédiatement le général. Grande et fine, elle était vêtue d'une longue robe à la blancheur immaculée ; le tissu raffiné épousait joliment les formes de son corps, remontait sagement jusque sur son cou long et fin, s'étirait en manches amples et partait comme un châle élégant au niveau des hanches et dans son dos. Des gouttes de jade à ses oreilles et à son cou s'accordaient avec sa chevelure courte d'un roux flamboyant.

Elle accorda un dernier sourire gracieux au Gran qui la saluait à sa droite et fit face à Bail Organa avant de tourner son regard franc et intelligent sur Obi-Wan.

-Voici donc l'homme dont vous avez tant vanté les mérites, Bail, dit-elle alors. C'est un plaisir de faire votre connaissance, maître Kenobi.

Sans se départir de sa superbe, malgré le pincement que provoqua le titre désormais perdu, le général s'inclina avec respect.

-Je ne suis plus un Jedi, mais le plaisir est partagé, ma dame.

-Que cela soit officiel ou non…, reprit la jeune femme d'un ton posé et doux. Vous portez en vous la sagesse de vos enseignements, et vos accomplissements, passés ou futurs, ne sauraient être entachés par ce qu'une poignée de personnes a décrété pour satisfaire la foule.

Pris au dépourvu à la fois par la compassion et le discernement dont elle faisait preuve, Obi-Wan se surprit à étendre ses sens pour tenter de distinguer sa présence dans la Force, négligeant de répondre.

-Obi-Wan, laissez-moi finir les présentations, décida alors Organa. Voici Mon Mothma, sénatrice de Chandrila. Et une amie précieuse.

Alors la jeune femme se fendit d'un sourire lumineux qui rappela instantanément au général la jeunesse de son interlocutrice. A l'observer plus attentivement, elle ne devait pas avoir plus de vingt ans. Et tandis qu'il serrait fermement la main qu'elle lui tendait, l'importance du rôle qu'elle allait avoir le frappa avec une évidence qui le conforta dans son envie irraisonnée de lui accorder sa confiance.

-Il me tarde de pouvoir collaborer avec vous, maître Kenobi, persista Mon Mothma avec une telle sincérité que l'utilisation de son ancien titre ne le dérangea pas.

-La République a besoin de toutes les bonnes volontés, par les temps qui courent, acquiesça Obi-Wan en s'autorisant le premier verre de la soirée. Je suis sûr que nous allons avoir beaucoup de choses à nous dire.

Sénatrice, vice-roi et général trinquèrent à une promesse silencieuse et optèrent ensuite pour une conversation plus insignifiante, conscients que le chancelier suprême ne les quittait désormais plus du regard, entouré de sa cour d'opportunistes et affublé d'une mine plus sombre qu'on ne lui avait jamais vu.


DONTERION, G.483

Un mois que sa chasse durait, et pourtant il était hors de question d'abandonner. Il se rapprochait, il en était sûr. Chaque jour un peu plus, de taudis déserts en hangars désaffectés, traquant des proies qui n'auraient bientôt plus les ressources ni l'énergie pour lui échapper. Quand il avait rejoint ses camarades tombés au combat dans l'impasse du niveau quatre, il avait déduit que les deux Jedi avaient été blessés, et en retrouvant leur piste presque à la surface de la planète grâce aux scans des droïdes qui l'accompagnaient, il en avait eu confirmation : lambeaux de bandages ensanglantés, kit médical vide, sac d'équipement abandonné car sûrement trop encombrant. Et ces derniers jours il retrouvait des restes de plus en plus récents. Il promena sa lampe torche à travers la pièce exiguë où les droïdes de combat l'avaient suivi, et arrêta le faisceau de lumière blanche près d'une caisse retournée. Trois flacons d'antiseptique à injection, vides. Le capitaine républicain et son chien d'apprenti devaient être mal en point pour en consommer aussi régulièrement, et en comptant toutes les doses qu'il avait déjà découvertes, il savait que les Jedi seraient très bientôt à court.

-Zone sécurisée, alerta le sergent droïde derrière lui, son intonation artificielle.

-Roger-roger, rétorquèrent en chœur – et inutilement – les dix autres.

-Ce campement est plus à l'abri des intempéries que le précédent, nota l'un des droïdes.

-Mais trop sombre, c'est ridicule. Pas bon pour le moral, argumenta un autre.

-C'est moi le sergent, reprit le premier sans la moindre inflexion dans la voix. C'est moi qui commande. Et je dis que c'est surtout trop petit.

-La ferme ! intervint Vren Tedorash, le Séparatiste humain qui menait la troupe et s'employait à mettre la main sur les deux Jedi en dépit de la bêtise de ses soldats métalliques.

Il lâcha un gros soupir exaspéré et refit une dernière fois le tour de la pièce pour s'assurer de n'avoir manqué aucun détail avant d'atteindre l'ouverture sombre menant à un long couloir dont il ne pouvait voir le bout.

-Par ici.

-Roger-roger, arriva la confirmation multiple tandis que vingt-deux jambes en duracier se mettaient en mouvement dans un concert de cliquetis.

Tedorash s'arma de son fidèle détecteur de chaleur et mena la route le long du chemin obscur, les yeux rivés sur l'écran pour l'instant vierge de toute information, mais guidé par un instinct de chasseur qui lui hurlait de hâter le pas. Il marcha pendant de longues heures, sans fatiguer, quand soudain il arrêta les droïdes d'un geste du bras. Lentement, il attrapa le comlink à sa ceinture.

-Urthek, Gledor, appela-t-il. Réglez vos scans à trois point zéro point six au nord-est de ma position. Je les ai.

-Reçu, on arrive.

Raccrochant l'appareil de communication à sa ceinture, Tedorash étira ses lèvres fines en un sourire carnassier. Son détecteur affichait clairement deux sources de chaleur organique à quelques centaines de mètres de là, l'une d'elle largement plus forte que la normale. Une fièvre importante sans doute. Parfait, cela leur faciliterait les choses. Si sa mémoire était correcte, les Jedi devaient se trouver au cœur d'un espace découvert, ancienne baie d'atterrissage de l'un des premiers spatioports du secteur, maintenant surplombée d'armatures métalliques soutenant les ponts gigantesques du niveau médian de la cité. Lui en hauteur d'un côté, à la sortie du bâtiment, et ses deux collègues en face, les républicains seraient pris en tenaille. Des cibles faciles. Tout ce qu'il avait à faire maintenant était attendre Urthek, Gledor et leur petite escouade, sans alerter les Jedi de sa présence. La main déjà sur son blaster, il jubilait à l'idée de descendre ces salopards qui avaient réussi à reprendre la planète à Bash Naradda et à voler ainsi les précieuses réserves de tybanna aux Séparatistes. Encore quelques minutes et ces inconscients épuisés par la fuite crèveraient dans une mare de sang.

Epuisés, ils l'étaient. Mais Vren Tedorash sous-estimait les capacités sensorielles des Jedi s'il les croyait réellement inconscients du sort qui les attendait. Loin en avant, bien plus bas, Garen Muln avait compris depuis longtemps que les quelques Séparatistes survivants les suivaient, il savait pertinemment qu'ils avaient gagné du terrain au cours des deux dernières semaines, et il savait également que l'attaque était imminente. Il ne le réalisait que trop. Dissimulé derrière l'une des quatre poutres massives sur lesquelles s'appuyaient les armatures des ponts, il ouvrit son sac de provisions – désormais vide à l'exception d'une gourde d'eau.

-Ils sont là, chuchota Calen Bakiro, les yeux levés vers la façade noire et raide de l'immense bâtiment à leur droite.

-Je sais, répondit sombrement Muln en le forçant à prendre la gourde.

L'adolescent leva péniblement le bras droit pour boire quelques gorgées. Cela faisait plus d'une semaine qu'il avait perdu toute sensation dans le gauche, que son maître l'avait aidé à caler dans sa veste abîmée. N'importe quel garçon de son âge aurait été révolté par l'acharnement du sort, aurait succombé au désespoir, mais pas lui. Il était évident pour lui que la moindre faiblesse lui coûterait sa raison et sa vie, aussi se bornait-il à aller de l'avant, son jeune visage encrassé n'affichant qu'un air de persévérance morne et apathique.

Garen récupéra la gourde et résista à l'envie de la terminer, sachant qu'ils ne trouveraient pas d'autre réserve d'eau dans les parages, pour finalement la fourrer au fond du sac. Ses doigts tâtèrent fébrilement l'intérieur, cherchant et trouvant enfin le pistolet seringue et sa dernière charge de bacta.

-Approche.

-Celle-ci est pour vous, maître, refusa Bakiro. Mon bras ne m'empêchera pas de me battre. Mais je sens d'ici votre fièvre.

-Ma fièvre est sous contrôle, trancha le chevalier en essayant de se donner un air plus assuré.

La vérité était que malgré les nombreuses injections qu'il s'était faites et le recours systématique à la Force pour repousser l'infection causée par le tir de blaster, il pouvait sentir son corps faiblir, jour après jour, sa vue se troubler et son équilibre lui faire défaut de plus en plus souvent. Sans intervention professionnelle rapide, ses organes ne tarderaient pas à défaillir, malgré toute sa volonté de vivre, et il n'y avait aucune raison de gâcher la dernière dose de bacta sur lui. Calen risquait de perdre définitivement la mobilité de son bras, mais il avait encore une chance de survivre.

-C'est la dernière, padawan, dit-il après un long silence. Je ne peux pas la prendre.

L'adolescent leva ses yeux noirs vers lui, et soudain la façade sobre menaça de s'effondrer. Sa bouche se crispa en une moue si proche des pleurs que Garen en eut la gorge nouée. Ce n'était qu'un enfant qui refusait l'inévitable, la solitude, la mort. Et il venait de réaliser que son jeune maître au sourire ravageur, à l'enthousiasme débordant et au cœur brave s'était résolu à périr sur ce monde rongé par le malheur. Alors, malgré l'horreur de leur situation, Calen Bakiro fronça les sourcils et prit la seringue dans sa main valide.

-La Force seule décidera de notre sort.

Et à ces mots, il appuya l'injecteur contre l'épaule de son maître et administra le contenu du flacon. D'abord trop bouleversé pour articuler ne fût-ce qu'un mot, Garen attira son apprenti dans une accolade tremblante et pressa un baiser sur sa crinière noire.

-Nous l'affronterons ensemble, quel qu'il soit. Force… je suis si fier de toi.

Il sentit les doigts de Calen agripper le tissu de sa veste et le serra encore un instant, jusqu'à sentir la présence des Séparatistes approcher d'eux, inéluctablement. Il relâcha son étreinte et offrit à son élève un sourire qui alla éclairer ses yeux brillants.

-Allons montrer à ces types de quoi les Jedi sont capables, conclut-il.

-D'accord, j'essaierai de vous en laisser un ou deux.

-Fripouille.

Maître et apprenti se levèrent de concert, activèrent leur sabre laser, se placèrent dos à dos et attendirent le début des hostilités. Pendant un long moment, les seuls sons audibles furent le bourdonnement coordonné des armes de lumière et le hululement du vent entre les poutres de métal. Et le premier tir fusa.

Il termina sa course sans dommage sur le sol de béton en faisant voler des éclats de poussière, mais il fut rapidement suivi par toute une salve en provenance de la tour voisine. Son sabre violet tournoyant, Garen repoussa l'attaque sans mal tout en guidant son apprenti de l'autre côté de la colonne, à couvert.

-Onze droïdes de ce côté, l'informa-t-il.

-Vingt ici ! renvoya Bakiro en apercevant l'escouade de Gledor sur une passerelle à mi-hauteur du bâtiment opposé.

-On échange, intima Muln.

Les deux Jedi pivotèrent de sorte que le maître fît face aux ennemis les plus nombreux, et l'assaut reprit. Précis et rapides malgré leur fatigue extrême, ils parvenaient à intercepter la plupart des tirs et à en renvoyer une bonne partie sur leurs attaquants, reprenant courage à chaque droïde qui tombait sous les impacts. Calen, encore un peu mal à l'aise avec le maniement du sabre à une main, finissait de bloquer un laser en un arc de cercle maladroit, plissa les yeux et eut un léger hoquet de frayeur.

-Grenade ! cria-t-il.

Vren Tedorash avait armé un fusil et le projectile fonçait droit sur eux, sa trajectoire impeccable.

-Sith ! jura Garen. Cours !

L'apprenti se rua à la suite de son maître titubant en direction d'une autre poutre, tout en sachant qu'ils ne seraient jamais assez loin au moment de la détonation. L'explosion retentit dans leur dos, les projetant au sol avec une force qui leur coupa le souffle, mais ils parvinrent à amortir leur chute avec une roulade plus ou moins contrôlée et se remirent sur pieds, sabres levés. C'est alors que surgit un speeder militaire dont les armes se braquèrent droit sur eux. Urthek, le troisième et dernier officier séparatiste de la planète, faisait son entrée.

-Padawan ! appela Garen avec la force du désespoir, la main tendue en avant.

Bakiro comprit immédiatement la demande implicite et lâcha son arme, toutes ses forces concentrées sur leur ultime effort commun. Leur gigantesque poussée de Force ébranla le véhicule qui fit une embardée sur le côté et les perdit de vue pendant un court instant qui leur permit de disparaître enfin derrière la colonne qu'ils avaient réussi à atteindre. Exténués, ils s'affaissèrent contre le métal dur et froid, incapables de tenir davantage. Ils échangèrent un regard où se mêlèrent résignation et la satisfaction de s'être battus jusqu'au bout. Submergé par un puissant vertige, Garen ferma les yeux, concentré sur sa respiration saccadée, pour les rouvrir en grand au moment où une puissante déflagration secoua les lieux. Glissant à terre malgré lui, il tentait d'en repérer la source quand une longue silhouette bloqua son champ de vision.

Une hallucination. Ce ne pouvait être que cela. Une démence finale. Mais mêmes les hallucinations les plus délirantes n'auraient pu le saluer de cette manière :

-Ma parole mais tu ressembles à un Wookie !

-Hein ? fut tout ce qu'il parvint à rétorquer à la jeune femme qui se mit à lancer des ordres autour d'elle.

Incapable de détacher son regard de la beauté irréelle de Siri Tachi, Garen comprit avec un détachement étrange que la baie d'amarrage venait d'être envahie par tout un bataillon républicain qui, à en juger par ce qu'il entendait, finissait de régler leur compte aux derniers Séparatistes de la planète.

Siri s'accroupit pour se mettre à son niveau, et si son visage fin se bornait à une froideur savamment travaillée, ses yeux bleus dévisageaient Garen avec inquiétude. Quant à lui, sans savoir pourquoi, il ne parvenait qu'à fixer la chevelure courte de la Jedi, d'un blond immaculé.

-Allez viens, grogna-t-elle en passant le bras du chevalier autour de ses épaules. Tu t'es assez amusé, je te ramène.

Partagé entre l'envie de rire et de pleurer, Garen se releva sans s'en rendre compte, chercha son apprenti du regard et étouffa un élan de panique en ne le voyant nulle part.

-Calen !

-Chh… Le sergent Stark est avec lui.

Le chevalier relâcha un souffle et laissa sa compagne l'entraîner vers la navette posée à côté des restes fumants du speeder séparatiste, l'esprit embrumé mais, pour la première fois depuis de longs mois, tranquille.


Décidément, le capitaine Huff ne lui plaisait pas. En tant que Jedi, son rôle était d'aider son prochain, conseiller et épauler sans juger, mais cet homme en particulier la répugnait à un point qui l'effrayait presque, entre ses sourires hypocrites et ses regards concupiscents qui s'obstinaient à s'attarder sur sa poitrine et ses hanches depuis son arrivée. Il n'avait eu que faire de la disparition de Garen et son apprenti, cela sautait aux yeux, et ce seul fait l'avait déjà tellement indignée que son hésitation à lui confier des troupes pour partir à leur recherche n'avait été qu'un élément de plus à ajouter à la liste d'affronts. Rien d'étonnant à ce qu'il rechignât maintenant à rendre à Garen le commandement de l'armée basée sur Donterion, mais Siri n'en fulminait pas moins. Certes, le chevalier n'était pas encore remis de ses blessures et il lui faudrait du temps pour prendre connaissance de tout ce qui avait été négocié pendant son terrible périple dans les bas-fonds de la planète ; il était tout de même le meneur officiel de l'armée de clones dans ce secteur.

Elle inspira profondément et se força à évacuer toute la colère qu'elle ressentait en repensant à l'expression contrariée qu'avait affiché Zagi Huff en apprenant le retour inespéré des deux Jedi. Elle traversa d'un pas rapide le grand hall menant aux appartements bourgeois qu'occupait la délégation républicaine, insensible au luxe presque insultant des niveaux supérieurs de la ville et incapable de se sortir de l'esprit les événements de ces dernières semaines. Aligner son récepteur sur la fréquence de l'émetteur de Garen n'avait pas été très compliqué, mais quand elle avait réalisé que la quasi-totalité des étages inférieurs de la cité était sous le contrôle des gangs, une partie d'elle-même avait commencé à craindre de ne pas arriver à temps. Entre le manque de ressources inévitable, la fatigue et l'hostilité de la résistance séparatiste, Siri avait mené la progression de ses troupes en redoutant constamment de ne retrouver que deux cadavres dépouillés. L'image macabre qui lui était apparue en rêve à la fin de la troisième semaine d'enquête avait été si réaliste qu'elle lui semblait encore imprimée sur ses rétines. Des corps rabougris et fripés enveloppés dans des lambeaux de vêtements sales, les visages rongés par la vermine exposant des dents blanches révélées par un rictus de souffrance.

Siri s'arrêta devant le lift et posa une main à plat sur le mur afin de conserver son équilibre avant de serrer fermement les paupières. Non. Elle les avait retrouvés bien vivants. Faibles, exténués et affamés, mais vivants. Malgré tout le ressentiment et l'amertume qu'elle avait exprimés à la mort d'Adi Gallia, la Force ne l'avait pas abandonnée. Elle releva la tête avec un sourire ironique et pénétra dans le lift qui s'éleva aussitôt pour la conduire aux appartements qu'elle occupait désormais.

Les lieux étaient de taille raisonnable mais assez peu éclairés, encadrés de chaque côté par des tours de même hauteur abritant les cadres financiers de la bourse donterienne. Ses quartiers consistaient en un séjour assez spacieux pour accueillir une poignée d'invités, une cuisine fonctionnelle et une chambre du plus grand confort avec sa salle de bains attenante. Lorsqu'elle entra pour déposer sa lourde bure claire sur le lit, elle entendit la douche s'arrêter et un bruit de serviette.

-Ah chouette, le service d'étage ! lança Garen d'une voix rieuse depuis la salle de bains, au bout de quelques minutes.

-Ha-ha, répliqua froidement la jeune femme.

Pourtant, le soulagement de le savoir déjà de retour de sa séance en caisson bacta força un sourire sur son visage harmonieux, sourire qu'elle prit soin d'effacer au moment où Garen la rejoignait, finissant de boucler sa ceinture par-dessus la tunique claire de Jedi qu'il retrouvait avec un plaisir évident. Le réconfort de ses vêtements traditionnels était tel que sa blessure ne semblait presque pas le faire souffrir, et les cernes sous ses yeux s'étaient considérablement estompés.

-Ah je me sens mieux après une bonne douche ! soupira-t-il avec contentement.

Siri ne quitta pas des yeux le datapad qu'elle survolait, debout près de la table de nuit, mais répondit du tac au tac.

-Oui, moi aussi je préfère ton odeur après la douche, même si ça reste tout juste tolérable.

-…Très malin. Et puis pourquoi on est obligés de partager ces appartements ?

La jeune Jedi leva à peine le regard de l'appareil.

-Outre le fait que ces appartements étaient les miens au départ et qu'il n'y avait pas de place ailleurs, ils estimaient sans doute que tu avais besoin de quelqu'un pour te rabattre le caquet de temps en temps.

Alors Garen retira une mèche châtain de son front en se passant une main dans les cheveux avec toute l'arrogance qu'il pouvait humainement exprimer et adressa à sa compagne un reniflement moqueur.

-Toi ? Venir à bout de mes réparties élégantes et spirituelles ?

Siri plissa les yeux.

-Même soûle et privée d'une moitié de cerveau, articula-t-elle lentement.

-Ha ! Vingt crédits que tu n'auras jamais le dernier mot avec moi, blondinette.

-Tenu.

Et à ces mots, elle se débarrassa du datapad et se jeta sur lui. Garen se crispa, se préparant pour la bataille qui serait à présent inéluctable. Il se rappelait d'un combat entre eux particulièrement violent alors qu'ils n'avaient été tous deux âgés que de six ans. Siri s'en était tirée avec un poignet foulé, et Garen avec une lèvre fendue et un énorme œil au beurre noir. Le pauvre Obi-Wan, qui était intervenu pour les séparer – comme d'habitude – avait été puni avec eux. Mais cette fois, pas d'Obi-Wan. Il avait une Siri Tachi chauffée à bloc sur les bras, et il était bel et bien seul.

Cependant il fut abasourdi de constater que ce ne fut pas un poing qui alla percuter son œil, mais des lèvres savoureuses qui capturèrent violemment les siennes. Il écarquilla les yeux et essaya de manifester sa surprise, mais tout ce qui sortit de sa bouche fut un "Mmhmmpffmm" étouffé. C'est ainsi qu'il dut se résoudre à capituler, et il sut qu'il avait eu raison de céder face à elle lorsqu'il sentit ses doigts fébriles ouvrir sa ceinture afin de lui permettre de retirer sa tunique, ce qu'il fit sans se faire prier tout en continuant de l'embrasser, perdu dans le contact étourdissant de cette langue exquise qui le faisait vibrer de tout son corps. Essoufflé par ce plaisir qui le prenait par surprise, il posa les doigts sur la gorge de la jeune femme et les promena sur ses épaules jusqu'à les passer sous le tissu de la tunique ample qui glissa sans mal, révélant la peau nue et satinée, tout en parsemant de baisers le visage empourpré de sa compagne. Comment avait-il pu rester loin d'elle pendant si longtemps, se passer de ce contact qui le rendait soudain comme fou ?

Et à cet instant, la porte des appartements de Siri Tachi s'ouvrit brusquement. Les deux chevaliers se redressèrent, haletants, et se tournèrent vers la personne qui s'était approchée et les regardait, les sourcils haussés.

-Euh…, hésita Calen Bakiro en remarquant leur aspect débraillé et le rose qui était apparu sur leur visage.

Ses aînés eurent le réflexe d'avoir l'air embarrassés et firent mine de remettre en ordre le peu de vêtements qui les couvraient encore.

-Hem… Oui, pada… padawan ? interrogea Garen, complètement désorienté.

Calen sourit alors, amusé par la situation.

-Je venais vous parler du rapatriement du Phoenix, mais je crois que je repasserai plus tard.

Il hésita, puis reprit.

-Ou plutôt demain matin, ce n'est pas si urgent, se corrigea-t-il. Hem… Bonne nuit !

Il eut encore un large sourire et se hâta de quitter les appartements en prenant soin de bien refermer la porte derrière lui, et entama un petit refrain joyeux. Muln poussa alors un soupir soulagé tandis que Siri s'approchait de nouveau pour se coller étroitement contre lui, avant de lui caresser langoureusement le torse du bout des doigts en prenant soin d'éviter le bandage recouvrant la blessure, jusqu'à faire apparaître de la chair de poule.

-Tu disais ?

-Rien du tout, je ne disais rien, répondit docilement Garen en cherchant avidement les lèvres de la jeune femme.

-Ah bon, sourit-elle d'un air satisfait en lui accordant un autre baiser enflammé.

Garen la serra vivement contre lui sans parvenir à réprimer un profond grognement de plaisir, encouragé par les frissons de Siri à chacune de ses caresses. Il l'entraîna vivement sur le lit où ils terminèrent de se débarrasser des vêtements qui les encombraient et se perdirent mutuellement dans l'exploration passionnée de la chair douce et frémissante, et dans la chaleur de leurs corps mélangés.

Ils n'étaient pas tout à fait conscients de l'aspect désespéré dissimulé derrière leur ardeur mutuelle, ni du fait que ce sentiment si fort qu'ils ne découvraient que maintenant avait toujours été plus ou moins là. Mais ils se jurèrent par la Force d'en profiter sans plus attendre. Tant qu'ils étaient encore vivants.


CORUSCANT, G.485

La foule le mettait mal à l'aise. D'une part car il n'y avait jamais vraiment été habitué, et d'autre part en raison de l'indifférence absolue dont pouvaient faire preuve les gens de la ville, tout occupés qu'ils étaient à leurs propres affaires et chacun persuadé qu'il y avait assez de monde pour s'occuper des autres. Comme tous suivaient la même logique imparable, le résultat final était que trouver une main charitable sur Coruscant était peine perdue d'avance. Même pour demander son chemin. C'était affligeant. Et voilà qu'il se trouvait à Coco Town, le quartier le plus actif de la cité-planète en cette période de guerre, où les plus ambitieux s'échinaient à profiter des cours changeants de la bourse galactique pour faire enfler leurs portefeuilles.

L'écran géant, dressé au centre de la place principale cernée de magnifiques tours remplies de boutiques de luxe et de bureaux de courtiers, diffusait en continu les holonews républicaines, mais la plupart des salariés et des visiteurs de passage se frayaient un chemin à travers la foule sans plus vraiment y prêter attention. Après tout, les informations étaient toujours les mêmes : les reporters parlaient de l'évolution des conflits sur l'une ou l'autre planète, des traités d'alliance signés ici ou là, du nombre de victimes dans tel secteur de la bordure médiane, le tout entrecoupé de quelques potins sur les célébrités en vogue.

Rien de vraiment nouveau ni de décisif en somme, et lui-même n'avait fait que jeter un œil distrait sur l'image holographique en arrivant sur la place. Il allait continuer d'avancer quand la main qu'il tenait cessa de le suivre. Il leva la tête vers la jeune femme à ses côtés, puis suivit son regard vers l'écran. Il était question d'une réception mondaine qui avait eu lieu dix jours plus tôt, et la journaliste s'intéressait bien moins aux implications politiques qu'aux efforts esthétiques des invités et aux spéculations concernant leur vie privée.

"…que le général de l'armée provisoire d'Alderaan, dont ce fut la première apparition officielle, dans un uniforme d'apparat clairement sorti tout droit des meilleurs ateliers du styliste Jip Jilliber, que l'on ne présente plus. Il a en effet coupé les tenues de bon nombre des plus grands dignitaires du Noyau, mais aussi de vedettes d'holo-…"

Ignorant les commentaires inutiles, il se focalisa sur les séries d'images qui défilaient à un rythme accéléré destiné à attirer l'attention des moins curieux. Des silhouettes se succédèrent à l'écran, humaines comme aliens, prises de loin au cours de la fameuse assemblée des Hauts, et la caméra s'arrêta sur l'une d'elles. Un homme de taille moyenne, vêtu de rouge sombre, ses cheveux coiffés en pointes hérissées, le visage calme et le regard…

Il se figea. Il connaissait ce regard. Par cœur. La main fine dans la sienne resserra son étreinte.

-C'est lui, dit-il alors.

Ce n'était pas une question. La jeune femme qui l'accompagnait resta immobile un long moment avant de répondre d'une voix étrange.

-Oui.


[A suivre…]