15 ans plus tard…
J'ai retrouvé hier soir ce journal. Au fond d'un carton oublié dans un coin de ma cave. Sous un amoncellement d'objets depuis longtemps sans usage que je m'étais enfin résolue à voir disparaître.
Il a fallu que je l'ouvre. Il a fallu que je le lise.
Cette écriture familière, la mienne. Qui raconte une histoire étrange que je ne me souvenais pas avoir vécue. Avoir écrite.
Une familière étrangeté qui m'étouffe. Celle de la folie qui brusquement me submerge. Etre étrangère à moi-même, ne pas me reconnaître.
Un début de roman jamais terminé ? Le délire d'une vie imaginée ? Etait-ce bien ma main qui avait tracé ces lignes ? Mais dans quelles circonstances ?
Ma vie s'est déroulée sans heurts, sans bouleversements. Sans deuil insurmontable. Sans passion dévorante. Une vie ordinaire d'une femme ordinaire.
Dans ce carton, des objets qui ne m'appartiennent pas. Un petit sifflet à l'argent terni, une cape à boucle de serpent. Une baguette de bois sombre. Une robe noire soigneusement pliée, d'un autre temps, d'une autre époque. Maculée de sang et de poussière. Une odeur de sous-bois, de fumée. L'odeur de la peur, âcre. Et une autre, indéfinissable qui me tord le ventre, qui déchire mon âme. Dans le creux d'un pli, une lettre parcheminée roulée sur une fiole au verre ouvragé. Quelques mots d'une écriture sèche et élégante.
Diane,
Vous lisez ces lignes car ma mission est terminée. Ce qui devait être, est advenu. L'oubli est un refuge. Le seul qui vous restera. Vous le choisirez ou on vous l'imposera. J'opterais pour la première solution. Rien ne s'impose à vous, j'en ai bien peur.
Si vous souhaitiez un jour vous souvenir, je veux que vous ayez aussi ce choix.
Buvez et vous vous retrouverez.
S.
J'ai relu cent fois ces lignes qui me semblent adressées. Cent fois ce journal. Humé et agité le contenu inodore de cette fiole. J'ai fini par m'assoupir dans les fragrances d'herbes sèches agrippée à la manche d'un vêtement inconnu.
Bois-moi. Bois-moi. Bois-moi. Alice hante mon demi-sommeil agité.
Alors j'ai bu.