Chapitre 7 : Songe

Toujours sur la monture de cet elfe intimidant, Ounìlam se laissait transporter parmi les Rohirrim, non sans éprouver un sentiment d'appréhension face aux regards méprisants qu'on lui lançait. Elle commençait à regretter d'avoir obéi à ce Legolas ; elle aurait dû rester en arrière, à l'écart, comme elle le faisait toujours. Pourquoi avait-elle accepté de suivre cet étranger ? Elle ne connaissait strictement rien de lui après tout. Pourtant, jusqu'à maintenant, il s'était montré généreux à son égard : il lui avait sauvé la vie, offert un moyen de reposer ses jambes endoloris et meurtris, puis il lui avait même donné ce baume aux particularités bienfaitrices et soulageantes. Rien chez cet elfe n'inspirait la crainte, mais Ounìlam n'était pas accoutumée à la bienveillance d'autrui ; elle qui n'avait connu que l'aversion et l'antipathie de ceux qui l'entouraient.

Le nain auquel ils s'étaient joints se montrait tout aussi surprenant que cette créature immortelle. Tous deux se côtoyaient comme deux frères inséparables, se moquant l'un de l'autre sans aucune gêne. Ounìlam, depuis sa monture, les observait discuter de tout et de rien. Il était très étrange de voir un être à la silhouette si fine et si gracieuse, marcher d'un pas leste et léger aux côtés d'un petit homme à la carrure imposante et à la démarche clopinante et rustre. L'un parlait d'une voix bien portante et grave tandis que l'autre usait d'un timbre suave et clair. Et alors que l'un parlait en gesticulant exagérément, l'autre se montrait posé, n'offrant que de rares expressions faciales éloquentes. La misère qui les entourait ne semblait pas les atteindre et la situation critique ne paraissait pas les inquiéter outre mesure, comme s'ils étaient trop accoutumés aux atrocités de la guerre pour y réagir. Comment arrivaient-ils à se comporter de manière si insouciante alors que le Mal sévissait tout près ? Et, surtout, pourquoi ces deux êtres de race différente s'alliaient-ils au Roi Theoden ? Pourquoi ne se tenaient-ils pas hors de ce conflit comme le faisaient tous les autres gens de leur peuple respectif ?

Ounìlam se posait bien des questions et celles-ci allaient sans aucun doute demeurer sans réponse puisqu'elle était trop troublée pour oser adresser la parole à cet elfe et ce nain.

Bientôt, le soleil déclina et Théoden donna l'ordre que la troupe fasse halte jusqu'au lendemain, à l'aube. Tous se préparèrent à une nuit qui se déroulerait dans l'inquiétude et le qui-vive. On érigea des camps de fortune aux abords des plaines rocheuses et on alluma de petits feux discrets pour ne pas attirer l'attention des visiteurs hostiles.

Dans le brouhaha des gens qui s'installaient un peu partout sur l'herbe et contre les rochers, Ounìlam chercha à descendre de Arod. Toujours courtois, Legolas lui tendit la main. Rapidement, la jeune femme se servit de son appui et posa pied au sol, mais même si le contact fut bref, l'elfe entendit encore une voix dans son esprit.

« Le Vent s'abattra. »

Legolas n'en dit pas mot et fit comme s'il n'avait rien entendu. Pourtant, cette manifestation en son esprit le titillait au plus haut point. Tout portait à croire que quelqu'un cherchait à communiquer avec lui. Et, chose étrange, on tentait de le faire par l'entremise de cette rohirrim.

L'archer ne put méditer davantage, car, pour la première fois depuis fort longtemps, Ounìlam ouvrit la bouche et murmura :

« Je vous suis reconnaissante pour tout ce que vous avez fait, mais je ne peux abuser davantage de votre bonté. Adieu. »

La jeune femme s'inclina bien bas devant le nain et l'elfe, puis fit mine de s'éloigner. Elle avait en tête de dormir à la belle étoile, à l'écart de tout le peuple. Legolas et Gimli auraient pu la retenir, mais quelqu'un d'autre s'en chargea à leur place.

« Je ne crois pas qu'il soit prudent de votre part de passer la nuit seule alors que rôdent dans les parages de dangereux serveurs de l'Ombre. »

Ounìlam tomba face à face avec Aragorn. Ce dernier fut ravi de constater que l'elfe avait réussi à la convaincre de faire un bout de chemin en sa compagnie.

« À ce que je vois, Legolas est parvenu à gagner un tantinet votre confiance. »

Puis, il jeta un bref regard vers le nain.

« Et vous avez fait plus ample connaissance avec ce cher Gimli… Vous avez devant vous deux alliés, mais surtout deux amis loyaux et précieux à mes yeux. Nous avons traversé bon nombre de périls ensemble…

-…Et vous avons la ferme intention de terminer cette guerre ensemble aussi ! dit le nain. »

Ounìlam n'ajouta rien, mais elle trouvait que ce trio de guerrier était fort particulier. Ils étaient tous les trois de race distincte, mais ils ne se préoccupaient guère de leurs différences. Ils semblaient liés par une camaraderie proche da la fraternité. Trois frères d'une seule et même famille. La jeune femme ne comprit pas tellement ce qui les poussaient à se soutenir les uns les autres, à demeurer ensemble quoi qu'il advienne. L'affection, l'attachement, la confiance ; Ounìlam ne connaissait pas cela. La seule chose à laquelle elle tenait et s'accrochait ; c'était sa vie. Ou plutôt ; sa survie.

« Mon baume d'athelas fut efficace, j'en suis ravi, dit Aragorn qui tentait de meubler le silence. »

En effet, il remarqua que les blessures de la jeune femme s'étaient presque déjà toute effacées.

« Oui, mon seigneur…et… et c'est grâce à vous. Je vous remercie…vraiment… Je vous dois beaucoup…»

Elle s'inclina, mais le rôdeur lui releva bien vite le menton.

« Vous ne me devez rien, si ce n'est votre parole que vous ne nous fausserez pas compagnie. Vous vous reposerez et vous restaurerez avec nous, autour d'un bon feu. Dame Eowyn nous promet un repas des plus ravigotant, ce soir. »

Ounìlam ne sut pas si elle devait apprécier l'invitation ou la redouter, mais ce rôdeur ne lui laissait pas vraiment le choix d'accepter.

Ce soir-là, l'homme, l'elfe et le nain se retrouvèrent autour d'un brasier. Legolas se tenait dans un coin, debout, regardant la voûte céleste. Les deux autres fumaient calmement leur pipe, assis sur de grosses pierres qui leur servaient de siège. Ounìlam, elle, se tenait à genoux devant le feu, frottant ses mains au-dessus des flammes pour les maintenir au chaud. Arod et Hasufel, quant à eux, broutaient tranquillement non loin des campeurs.

L'ambiance était plutôt étrange et silencieuse. Le trio ne parlait que peu et préférait profiter de l'obscurité calme, propice au repos, car ils savaient que cette nuit serait sans doute la dernière sans impasse ni péril. Seuls les murmures des villageois installés tout autour troublaient le silence nocturne. Ils se témoignaient mutuellement leurs craintes et émettaient des hypothèses sur la possible tournure fatale que prendrait cette guerre.

Bientôt, dame Eowyn se présenta, chaudron, plats et ustensiles en mains.

« J'ai fait du ragoût. Apparemment, il est très nourrissant, car personne n'a demandé de seconde portion… »

Gimli, toujours prompt à casser la croûte, prit un plat de terre cuite, une cuiller de bois et Eowyn lui donna une généreuse ration. Le rôdeur ne refusa pas non plus le repas que proposait la dame blanche. Legolas, lui, déclina l'offre, préférant se rabattre sur les quelques morceaux de lembas que les elfes de la Lorien leur avaient légués. Quant à Ounìlam, la tête basse (car elle n'osait pas regarder en face une personne de si haut rang dans la famille royale), prit une portion de ragoût à son tour et hocha la tête en guise de remerciement.

Eowyn continua sa ronde parmi les villageois tandis que Aragorn et Gimli entamaient avec enthousiasme leur repas. Cependant, à peine avaient-ils pris une bouchée que tous deux émirent une grimace de répugnance, crachant aussitôt ce qu'ils avaient en bouche.

« Je comprends pourquoi personne n'a demandé de seconde portion ! maugréa le nain. »

Mine de rien, Aragorn renversa son plat au sol et Gimli fit de même. Legolas leur offrit un sourire en coin, amusé et moqueur. En compensation, il leur donna une miche de lembas à eux deux. Puis, il se tourna vers la petite rohirrim.

« Prenez, demoiselle Ounìlam. Cela vous remplira l'esto… »

L'elfe s'interrompit, abasourdi. Il constata avec stupéfaction que Ounìlam avait déjà engouffré l'entièreté de son repas. Aragorn et Gimli firent de gros yeux ronds et ils se demandaient comment elle arrivait à avaler cette ignominie. Ou bien elle avait le goût dérangé ou bien elle devait vraiment être affamée…

« Vous avez aimé ? »

Aragorn et Gimli sursautèrent en entendant Eowyn qui repassait dans les parages et ils cachèrent leur miche de lembas illico.

« Oui, gente dame, c'était… »

Gimli ne savait pas comment terminer sa phrase et le rôdeur prit le relais.

« Succulent... C'était succulent. »

Un sourire triomphal orna le visage de la dame.

« Bien ! Si vous en voulez d'autre, j'ai déposé la marmite sur le brasier de mon camp, là-bas, pour la garder au chaud. »

Elle s'inclina et alla rejoindre son oncle et son frère.

Le nain et le rôdeur poussèrent un soupir de soulagement ; il était moins une. Legolas échappa un petit rire discret qui fut contagieux pour les deux autres. Seule Ounìlam ne rit pas. Elle n'était pas encore rassasiée, alors, sans dire un mot, elle se leva pour aller se servir une seconde portion de ragoût.

Le trio la regarda s'éloigner, songeurs.

« Pas bavarde, la petite ! dit le nain.

-Laissons-la, répliqua Aragorn. Je n'ai cure de son mutisme. »

L'elfe profita de la brève absence de leur invitée pour poser quelques questions à son ami rôdeur.

« Aragorn, votre entretient avec le Roi fut-il fructueux ?

-Hélas non. Même Théoden n'est pas en mesure d'expliquer les circonstances étranges qui entourent cette jeune dame.

-Il n'y a rien de particulier à comprendre, maugréa le nain. Il ne s'agit que d'une humaine victime des fruits noirs de l'ombre, voilà tout. En ces temps si sombres, nombreuses sont les gens frappées par l'infortune et le malheur. »

L'elfe et l'homme n'ajoutèrent rien, mais demeuraient convaincus que Ounìlam n'était pas qu'une victime parmi tant d'autres. Non. Ce n'était pas un hasard si la calamité semblait l'avoir poursuivie depuis toujours…

De son côté, Ounìlam s'approcha timidement de la marmite encore bouillante. Elle s'en pourléchait les lèvres tellement elle était affamée. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas mangé un repas consistant et elle se moquait totalement des piètres talents de cuisinières de la dame Eowyn.

Elle allait s'emparer de la grande louche quand quelqu'un lui agrippa soudainement le poignet.

« Qu'est-ce que tu fais là, bâtarde ?!? »

Ounìlam, tellement surprise, échappa son plat. Un vieux paysan, rustre et ronchonneur, lui serrait le poignet jusqu'à en couper la circulation de son bras.

« Réponds, petite sotte ! Qu'avais-tu l'intention de faire, hein ? Verser un poison quelconque dans cette marmite et empoisonner tout le monde, c'est cela ? »

La jeune femme, troublée par le ton menaçant de cet homme, ne réussit qu'à bredouiller quelques paroles peu convaincantes.

« Je…nnn…nnon… J.. Je voulais simplement prendre une…une autre ration de ragoût pendant que…que c'est encore ch… chaud… »

L'homme, toujours méfiant et enragé, répliqua de manière sarcastique.

« Tu veux du ragoût bien chaud, n'est-ce pas ? »

Ounìlam, tremblante, acquiesça. Puis, dans un élan violent, l'homme tira sur le poignet de la jeune femme et plaqua sa main sur la marmite brûlante.

« C'est suffisamment chaud ainsi ?! »

Ounìlam sentit le métal bouillonnant lui picoter et griller la peau. Elle tenta de se défaire de la poigne de ce paysan, mais celui-ci ne broncha pas, maintenant fermement sa main sur la marmite. L'homme attendit une plainte, un cri, une expression de douleur sur son visage, mais rien ne fut, car dans son ancienne vie d'esclave, il n'avait pas été rare que les hommes sauvages lui fissent subir un traitement du genre et, aujourd'hui, la jeune dame était trop accoutumée à ce type de douleur pour y réagir. Frustré qu'elle demeure impassible, il voulut alors mettre carrément sa main dans le feu qui gardait la marmite brûlante, mais son geste fut bien vite interrompu quand il se sentit brutalement tiré en arrière par le collet.

Il fit face à Aragorn qui le saisit et le fixa de son regard gris, à la fois pétrifiant et hargneux.

Son intervention attira l'attention de bons nombres de gens, dont Eomer et le Roi.

Le paysan, intimidé devant un seigneur aussi redoutable que Aragorn, paralysa complètement. Le rôdeur brûlait d'envie de faire payer à cet homme ses agissements gratuits et grossiers, mais en bon guerrier civilisé qu'il était, il n'allait certainement pas en venir aux coups. Il y avait des moyens plus subtils de lui rendre la monnaie de sa pièce. Aragorn s'efforça donc de garder son calme et desserra ses poings sans toutefois cesser de dévisager avec mépris ce paysan. Puis, sentant que Eomer était tout près, il déclara :

« Eomer, mon ami, je crois que nous avons trouvé un éclaireur, dit-il de sa voix tranchante. »

Le maréchal, devinant les actes inexcusables de ce paysan, se tourna un instant vers son oncle. D'un seul regard, ils conclurent un commun accord et Eomer donna sa bénédiction.

« Soit. Roturier, ayez l'obligeance d'aller vous procurer armure, armes et monture. Vous partez immédiatement en reconnaissance. »

Le paysan devint tout à coup très blême, sachant que la tâche d'éclaireur des troupes était la plus dangereuse de toutes. Il était rare, par les temps qui couraient, que les gens affairés à ce poste revenaient vivants…

« Mais…Mais…

-Obéissez, roturier ! coupa le maréchal. »

Penaud, mais surtout très paniqué, le paysan quitta les lieux. Voilà une punition qui allait le faire réfléchir…

Aragorn inclina la tête en signe de remerciement à son frère d'arme et ce dernier lui rendit la pareille. Il tourna ensuite les talons et regagna sa tente.

Tandis que les autres gens autour se dispersaient, le rôdeur porta son attention sur la petite rohirrim, mais Ounìlam n'était déjà plus dans les parages. Intrigué, Aragorn regagna son espace de repos, mais ne la trouva pas là non plus. D'ailleurs, Legolas n'était également pas dans les environs. Seul le nain, assis en tailleur et pipe en bouche, se tenait près de leur feu de camp.

« Où est-elle ? »

Le nain ôta sa pipe de sa bouche et laissa échapper un nuage de fumée avant de marmonner :

« Je l'ignore, mais l'elfe s'est déjà chargé de la retrouver. »

Conscient qu'avec Legolas elle ne risquait rien, le rôdeur s'assit aux côtés du nain et grogna :

« C'est inouï… Elle ne peut s'éloigner de nous sans que ces rohirrim ne l'agressent.

-Ils se méfient comme si elle était la peste en personne.

-Pourquoi…mais pourquoi craindre avec tant de hargne une simple paysanne, par Eru ?! »

Ils restèrent auprès du feu, questionneurs et troublés. Pour se détendre, Aragorn imita le nain et ralluma sa pipe. Il regarda l'horizon obscur et, d'un murmure à peine audible, il dit pour lui-même.

« Gandalf, vous aviez raison ; cette rencontre est des plus inusitée… Où que vous soyez, j'espère que vous apporterez bientôt quelque lumière à nos questions… »

Legolas, de son côté, retrouva bien vite la jeune femme. Elle s'était éloignée de toute la troupe, réfugiée sur un grand rocher plat.

« Vous ne devriez pas rester ici, à la vue de tout possible ennemi, dit-il en s'approchant. »

Il remarqua avec soulagement qu'elle appliquait déjà du baume à l'athelas sur sa brûlure. Puis, d'une voix enrouée, Ounìlam répliqua :

« Pourquoi cette obstination à me suivre ainsi ?

-Je ne vous traque pas. Je veille. Telle est la tâche qu'on m'a confiée. Et … »

Il fixa sa blessure d'un regard affligé.

« De toute évidence, j'ai manqué à mon devoir. Je dois donc réparer cette bévue. »

L'elfe s'assit en tailleur, un coude appuyé sur un genou relevé et il se mit à contempler les étoiles. Il ne bougeait pas. Il se contentait d'admirer le ciel indigo, un sourire calme et serein aux lèvres. Malgré l'appréhension de la rohirrim, il resterait.

Ounìlam ne dit pas un mot et tenta de garder les yeux au sol, sans se préoccuper de cet elfe. Mais, aussi discret et posé qu'il était, la jeune femme fut tout de même titillée par la présence de Legolas. Déjà qu'elle fut intimidée par la présence de Aragorn lorsqu'il avait tenu à faire un bout de chemin en sa compagnie, la proximité de cette créature immortelle ne la rendait que plus gênée. Ce fut alors plus fort qu'elle ; elle l'examina d'un œil curieux et troublé.

Si elle se fiait aux rumeurs des Rohirrim, les elfes avaient toujours été considérés comme des êtres possédant des dons surnaturels tel que l'immortalité et la capacité de se régénérer rapidement. Ils détenaient aussi des pouvoirs rendant leur vue et leur ouïe plus accrues. Ces particularités avaient toujours intrigué le peuple du Rohan et certains se méfiaient des elfes à un point tel qu'on leur avait attribué une réputation de sorciers maléfiques dirigés par une reine ensorceleuse qui habitait une forêt maudite.

Cependant, en regardant ce Legolas, Ounìlam put constater que tout ce qu'elle avait entendu à propos des elfes n'était que foutaises. Il n'avait rien de redoutable. Du moins, pas avec ceux qu'il considérait de son camp. Peut-être avait-il un millénaire ou deux de plus qu'elle, mais rien n'y paraissait. Il avait l'air aussi jeune qu'elle. Qui plus est, il n'avait pas la carrure d'un grand guerrier humain, comme Aragorn. D'ailleurs, Ounìlam se demandait bien comment il parvenait à se battre et sortir vivant de ses combats alors qu'il n'avait qu'un corps élancé, peu imposant, voire même frêle. Et, contrairement aux combattants rohirrim qui ne portaient que d'épaisses armures, Legolas n'avait comme protection que deux bracelets de cuir aux poignets.

Cet elfe demeurait un mystère pour Ounìlam et ce dernier en pensait tout autant d'elle. De son côté, bien qu'il demeurait stoïque et silencieux en apparence, Legolas ne parvenait pas à trouver la quiétude. Même les étoiles ne l'apaisaient pas, car il sentait toujours cette même aura émaner de cette jeune femme et cela ne le rendait que plus intrigué et questionneur. Il n'arrivait pas à comprendre la raison de cette énergie qui l'entourait. Il ne saisissait pas encore non plus pourquoi, chaque fois qu'il la touchait, une voix étrange résonnait en son esprit. Et même si Legolas osait l'interroger, il savait qu'Ounìlam ne saurait quoi répondre, car tout portait à croire qu'elle n'avait pas du tout conscience de ses propres attraits et du halo de puissance qui se dégageait d'elle.

Ils restèrent silencieux, tous deux perdus dans leurs questionnements sur la personne assise à leur côté. Puis, au grand étonnement de l'elfe, Ounìlam se décida à ouvrir la bouche.

« Dites-moi…

-Oui ?

-Pour… Pour quelle raison accompagnez-vous le Roi Theoden? Vous êtes un elfe alors pourquoi la cause des humains vous importe-elle ? »

Legolas fronça les sourcils, surpris qu'on lui pose une pareille question. Mais, trop ravi qu'elle daigne converser avec lui, il n'hésita pas à lui fournir une réponse.

« D'abord, j'accompagne Aragorn, pas le Roi. Il désirait fournir son aide aux Rohirrim alors je l'ai suivi. Il est promu à un noble destin et je compte bien le soutenir jusqu'à la toute fin.

-La fin de quoi ?

-La fin de cette Guerre. La fin de toute chose.

-Vous savez que c'est la mort que vous risquez ?

-Bien entendu.

-J'ai… J'ai entendu dire que toutes les belles gens du Milieu s'en allaient vers ce continent inaccessible…

-Valinor, oui.

-Pourquoi ne partez-vous pas ? Là-bas, vous n'auriez plus à craindre aucune guerre.

-Je ne partirai pas en laissant mes compagnons. Je préfère mourir de manière digne ici plutôt que de passer le reste de mon existence là-bas, en lâche et en couard.

-Pourquoi vous diriger vers la mort ainsi ?

-Par amitié. Par solidarité. Et…par vengeance aussi.

-Vengeance ?

-Oui. Vous savez, l'ennemi que nous combattons existe depuis longtemps. Il y a trois mille ans, mon aïeul s'est battu contre lui lors d'une ultime alliance entre les elfes et les hommes. Il a perdu la vie, mais au terme de cette bataille acharnée, l'Ombre fut vaincue. Cette même Ombre refait surface aujourd'hui et, si elle parvient à ses fins cette fois, le sacrifice de mon aïeul n'aura servi à rien. Alors, d'une certaine manière, je désire terminer ce que mon grand-père avait commencé ; réduire à néant cet Ennemi. Je fournis donc ma part à ma façon et si ma contribution, aussi minime soit-elle, peut modifier ou retarder l'inévitable ne serait-ce qu'un tant soit peu, alors je mourrai ou survivrai sans honte. »

L'elfe s'interrompit dans son discours. Il venait de révéler des choses que personne ne savait. Ounìlam demeura silencieuse aussi, surprise d'avoir pu converser sans bégayer.

Legolas chercha à s'occuper pour mettre un terme à ce petit malaise. Il sortit une dague de son fourreau et commença à la nettoyer du sang des crébains qu'il avait abattus plus tôt dans la journée. Puis, il remarqua que Ounìlam fixait l'arme. Pensant alors qu'elle admirait la grâce et la magnificence de sa dague, il dit sur un ton désinvolte :

« Elle est belle, n'est ce pas ? »

La jeune femme leva des yeux tristes vers l'elfe et répliqua :

« Que peut-il avoir de beau en un objet qui peut ôter la vie ? »

L'elfe comprit que Ounìlam n'admirait pas son arme, mais qu'elle la redoutait. Il la rangea donc dans son fourreau, réalisant que la jeune femme n'était pas à l'aise. Puis, il lui dit sur un ton rassurant :

« Elle peut ôter la vie, certes, mais elle peut également la préserver. C'est tout de même grâce à cette dague si vous êtes toujours de ce monde… »

La jeune dame prit conscience qu'il faisait allusion à l'attaque des espions de Saruman. Elle fixa alors l'herbe à ses pieds et marmonna :

« Je me demande s'il n'aurait pas été mieux qu'on me laisse à leur merci… »

Les oreilles attentives de l'elfe avaient bien perçus les murmures de la jeune femme, mais fit mine de n'avoir rien entendu.

« Vous devriez profiter du reste de la nuit pour dormir.

-Et vous ? »

Legolas se leva.

« Je ne dors jamais. Du moins, pas à la manière des humains. »

Il osa alors poser une main sur l'épaule de son interlocutrice.

« Vous pouvez dormir l'esprit tranquille. »

Ce disant, une autre manifestation envahit l'esprit de Legolas.

« La Terre tremblera. »

Cette fois, la voix se fit insistante et résonna si fort que l'elfe en fut étourdi un moment. Il ferma les yeux, pris d'un mal de tête qui ne s'estompa seulement lorsqu'il lâcha enfin l'épaule de Ounìlam. Cette dernière nota le malaise de Legolas et demanda, inquiète :

« Mon seigneur ? »

Legolas reprit ses sens. Bien qu'intrigué plus que jamais parce qui se produisait à chaque fois qu'il touchait la dame, il n'en montra rien. Après tout, il se voyait mal expliquer cette curieuse situation.

« Ce n'est rien. Je me suis levé trop vite. » rassura-t-il avec un sourire peu convainquant. « Tâchez de dormir. »

Cette nuit-là, jamais Ounìlam n'aurait cru parvenir à dormir à poings fermés. Ce fut pourtant ce qui se produisit. Étendue dans l'herbe fraîche, cachée du vent par le rocher plat au pied duquel elle s'était installée, elle tomba dans un sommeil réparateur qui lui fut très bénéfique.

Peut-être son subconscient savait qu'à proximité se trouvait cet immortel qui lui avait fait la promesse de veiller sur elle, voilà donc pourquoi elle n'eut aucun mal à trouver quiétude et repos, sans doute.

Legolas resta bien là toute la nuit, debout et aux aguets. Cependant, sans qu'il ne puisse se ressaisir, il fut pris d'un songe étrange, plus mystérieux encore que les manifestations entendues en son esprit au cours de la journée. Soustrait à toute vigilance, il fut contraint d'écouter ce songe malgré sa volonté de rester éveillé.

Plongé dans les méandres de son esprit, Legolas entendit une voix, la même depuis le tout début. Cette fois, il la reconnut clairement. Il l'identifia comme étant celle de la Dame des Galadhrim, Galadriel. Cette dernière, usant de ses dons, s'était insurgée dans les pensées de Legolas et put enfin lui transmettre le message qu'elle avait longtemps voulu faire entendre. Un message d'importance cruciale et Legolas, étant elfe, était le seul être à proximité de Ounìlam en mesure de percevoir son appel.

« Derrière sa faiblesse se cache une force inconnue

Inspirant la crainte aux âmes insensibles

Mais attirant la sympathie des coeurs purs

Gare au Mal, Prince de la Forêt Noire

Il trouvera la Lumière sous peu

Et il voudra l'arracher à sa Porteuse. »

Les paroles de Galadriel prirent la forme d'un chant, d'un lai à la fois mélancolique et tranchant.

« De l'être vulnérable se dégage une puissance

Capable d'asservir cette Terre de la déchéance

En son coeur la Lumière s'est cachée

Mais trop longtemps elle y est demeurée;

De ce refuge naquit une cage

Dont les barreaux de son esprit ne permettent aucun passage

De son fourreau l'Arme est devenue prisonnière

Seule et meurtrie, son hôte désespère

Aveugle et inconsciente du secret qu'elle détient

Mais bientôt de la Porteuse nous verrons le dessein

Lorsque de pourpre son essence passera au blanc

Des quatre coins du Milieu arriveront les Éléments

De par la seule volonté de la Porteuse, la Lumière s'échappera

Et de Calacolindi l'Équilibre de ce monde dépendra. »

Legolas put voir découler des images de cette litanie. Des images qui lui permirent d'avoir un aperçu de ce qui se produirait si jamais le Mal dont parlait la Dame arrivait à prendre ce qu'Il convoitait tellement. De ces images confuses, chaotiques, affreuses, teintées de souffrances, de tortures et envoyées de façon si désordonnée, Legolas n'en distingua qu'une seule clairement. Il vit à ce moment une main blanche et griffue, menaçante et immense ; l'emblème de Saroumane. Elle étendit son ombre sur une silhouette, puis prit ladite silhouette dans sa paume. La main se referma en poing sur elle comme on écrase un vulgaire insecte.

Legolas ouvrit brusquement les yeux et fut pris d'un hoquet de stupeur, muet. Le message de Galadriel lui permit de comprendre bien des énigmes. L'attaque des Crébains, les menaces des paysans, l'aura de puissance qu'il sentait chez Ounìlam… Tout lui parut limpide à présent.

Une fois ressaisit, l'elfe réalisa que son songe l'avait occupé tout le reste de la nuit, car l'aube était levée sur les plaines du Rohan. Une légère brume matinale s'étendait tout autour de lui. Au loin, il pouvait déjà entendre l'agitation du peuple qui se préparait à reprendre la route.

Legolas jeta un coup d'œil au rocher plat et, désemparé, il constata que Ounìlam n'était plus dans les parages.

À suivre