Chapitre 5 - C'est Zorro
Un lancier et des chevaux attendaient hors de la sierra pour les ramener au pueblo. Ils ne tardèrent pas à retrouver Los Angeles, là Bernardo les abandonna pour regagner seul l'hacienda. Agapito rencontra son confrère sur la plaza. Ensemble, ils soignèrent les blessés de la mine, puis Avila l'invita chez lui afin de se reposer. Le capitaine Toledano vérifia le travail de Garcia et l'aida à régler le retour de toutes les personnes enlevées chez elles. Quant à Raquel, elle se retira dans une chambre à l'auberge.
Ils n'eurent aucune nouvelle du Renard de la journée. Le lendemain matin, personne ne l'avait encore vu. A priori, Zorro était à l'abri en train de guérir.
Garcia gérant les affaires à la caserne, Arturo put sereinement rejoindre sa femme et profiter de l'avoir retrouvée saine et sauve.
– Tout le monde va bien, se réjouit-il lorsque la siesta fut passée, Suárez est en route pour le Mexique. Ce sont des bonnes nouvelles.
– Ça l'est. Je suis cependant inquiète pour Zorro.
– Si nous n'avons pas entendu parler de lui, c'est que tout va bien, ma chérie.
– Tout de même !
– S'il allait mal, il n'aurait pas pu quitter le camp à cheval. Quelques heures plus tôt Agapito le pensait condamné.
– Agapito condamne vite les gens.
– Ne le juge pas trop vite, la situation était inhabituelle pour lui. J'ai pu constater qu'il faisait très bien son travail. Avila ne tarit pas d'éloges sur lui même si, comme toi, il a du mal avec son caractère.
– C'est un euphémisme de dire ça !
– Raquel…
Son épouse soupira mais promit qu'elle tenterait de repartir avec lui sur de bonnes bases.
– J'aimerais aller voir Bernardo, lui annonça-t-elle ensuite, savoir comment il va. Il a été d'une grande aide tout ce temps. Peut-être sait-il ce qu'il en est de Zorro ?
– Nous pouvons essayer. Pour ma part, je m'étonne surtout que don Diego ne soit pas venu nous voir.
– Tu aurais voulu qu'il te remercie d'avoir sauvé son domestique ?
– Ce n'est pas cela.
– Alors ?
– Je ne saurais dire…
– Eh bien, fais-moi savoir savoir quand ce sera le cas. Je vais me changer. Je ne peux pas chevaucher dans cette tenue jusqu'à l'hacienda de la Vega.
Arturo la laissa disparaître. Un sentiment étrange ne le quittait pas depuis qu'il avait deviné Zorro blessé. Dorénavant, cette sensation avait changé, mais elle était encore dérangeante. C'était comme s'il avait raté quelque chose, comme si un point essentiel était sous ses yeux mais qu'il ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.
Faute de pouvoir trouver, il se résolut à se préparer à son tour pour se rendre chez les de la Vega.
.
Ce fut don Alejandro qui les accueillit à leur arrivée. Il était heureux de les revoir et plus encore de ce qu'avait fait le capitaine pour sauver les prisonniers.
– Sans vous, j'ignore ce qu'il serait advenu de Bernardo !
– C'est plutôt à moi de le remercier, don Alejandro, il a été incroyable par la suite.
– La suite ?
L'hidalgo ne semblait pas comprendre de quoi il retournait.
– Eh bien… chercha à s'expliquer le capitaine.
– Peut-on voir Bernardo ? coupa sa femme.
Alejandro ne prit pas ombrage de l'interruption.
– Bien sûr, répondit-il.
Il appela Crescencia pour lui demander de l'envoyer dans le patio. Il arriva bientôt avec des rafraîchissements.
Tandis que le capitaine discutait avec don Alejandro, Raquel attira le domestique un peu à l'écart.
– As-tu des nouvelles de Zorro ? demanda-t-elle en essayant de mimer au mieux sa question.
Bernardo haussa les épaules.
– Tu ne comprends pas ma question ou bien est-ce que tu ne sais pas ?
Elle n'avait pas fait de gestes cette fois. Il lui signifia qu'il ne comprenait pas. Raquel soupira.
– Que voulez-vous lui demander, señora ? Je peux peut-être vous aider ?
– Don Diego ! sursauta-t-elle.
Le jeune homme descendait l'escalier menant au patio avec son plus grand sourire. Vêtu de ses plus beaux atours comme à son habitude, il ne paraissait nullement souffrir de la chaleur qui écrasait encore la Californie en cette fin d'après-midi. Ses yeux rieurs ne quittaient pas l'épouse du capitaine. Il semblait s'amuser de ses problèmes de communication.
– Buenas tardes, señora, la salua-t-il tout de même avec politesse. Je suis heureux de vous revoir.
– Moi de même, Diego.
– Don Diego, salua Arturo de son côté.
– Capitaine. J'espère que nous vous garderons à dîner.
– Ce sera avec plaisir. Si bien sûr don Alejandro…
– Pourquoi ne serais-je pas d'accord avec mon fils ? C'est une très bonne idée. Mais venez donc vous asseoir… toi aussi, Diego, tu seras mieux à l'ombre qu'en plein soleil.
Tandis que tous se pliaient à l'invitation du patriarche, Diego se tourna vers Raquel.
– Dites-moi, que cherchez-vous à savoir de Bernardo. Je peux peut-être lui traduire vos questions.
– Oui, c'est que…
Elle hésitait, mal à l'aise. Cela amusa au plus haut point le caballero.
– Votre inquiétude pour Zorro est touchante, señora. J'espère que votre mari n'est pas jaloux.
Cette répartie déconcerta complètement les époux qui ne s'attendaient pas à le voir au courant. Le visage de don Alejandro se peignit d'inquiétude. Pour sa part, celui de Bernardo affichait lui l'effarement le plus complet depuis qu'il avait vu apparaître son maître en haut des escaliers.
– Vous savez ? s'exclama Arturo avant que son épouse enchaîne.
– Bernardo vous a tout raconté ?
Tout sourire, Diego de la Vega sirota sa limonade. Son père se leva furieux.
– À quoi joues-tu ? Tu devrais être…
– En train de me reposer comme je le fais d'habitude à cette heure depuis quelques temps ? le devança son fils.
– Oui !
– Père, je vais bien.
– Non ! Tu…
Le souvenir de ses hôtes l'empêcha de terminer sa phrase. Les Toledano ne comprenaient pas l'échange, tout en devinant un problème. Diego reporta son attention sur eux.
– Agapito a fait un excellent travail. Vous pouvez être rassuré sur l'état de Zorro.
– Comment…
– Suis-je au courant ?
– Oui.
– Eh bien, parce que…
Bam bam bam.
Des coups résonnèrent à la porte qui valsa bien vite sur ses gonds. Le sergent Garcia entra sans tarder.
– Buenas tardes señores, señora.
– Sergent Garcia, quel bon vent vous amène !? demanda Diego en allant à sa rencontre. Voilà plusieurs jours que je ne vous ai pas vu.
– Les affaires militaires, don Diego…
– Vous allez avoir beaucoup à me raconter, n'est-ce-pas ?
– Oh, ça oui ! confirma le sergent les yeux cherchant déjà un verre sur la table.
Diego comme les autres n'avaient pas manqué son manège. S'il était là aujourd'hui, à cette heure, c'était assurément car il n'avait plus de quoi boire à la taverne. Le don lui proposa donc de se rafraîchir puis de rester dîner avec eux.
– Je n'accepterai pas de refus, sergent, prévint-il.
Le sergent ne demandait pas mieux.
– Ce sera avec plaisir, don Diego ! Merci !
Et se faisant, il lui envoya une grande tape dans le dos.
Les traits de Diego se crispèrent. Il ferma les yeux tandis qu'il chancelait légèrement. Alejandro pâlit, Bernardo fit un pas vers lui tandis que les Toledano voyaient la même pensée incongrue leur traverser l'esprit. Une idée qui expliquait tout. Le comportement du père et du fils, et l'étrange impression qui ne quittait pas le capitaine depuis la veille.
– Don Diego ? s'inquiéta le sergent.
– Tout va bien, le rassura aussitôt le jeune homme en rouvrant les yeux. La chaleur est épouvantable aujourd'hui, vous ne trouvez pas ?
– Sí, vous avez raison.
Sur quoi Diego reprit sa place sur le fauteuil. Il tourna ensuite la tête en direction de Raquel et Arturo. Son visage, quoiqu'un peu pâle, avait retrouvé son sourire. Il n'avait pas manqué la lueur de compréhension dans leurs yeux, pourtant ça ne l'inquiétait pas, bien au contraire.
– Pour répondre à votre question, dit-il, je crois qu'Agapito pourrait encore avoir un peu de travail. Comme il l'a fait judicieusement remarqué, je ne suis pas immortel.
– Diego ! s'écria son père.
– Ils savent déjà, père, à quoi bon nier ? De plus, j'aime l'idée qu'ils soient au courant. Ne serait-ce que pour les visages qu'ils affichent en ce moment.
Ils étaient au-delà de la surprise et de la stupéfaction. Comme s'ils n'allaient pas se remettre de la nouvelle. Alejandro non plus d'ailleurs, son fils ait annoncé ça d'un tel ton badin...
– Au courant de quoi, don Diego ? questionna Garcia qui n'avait pas compris.
– Je suis encore tombé de cheval, je vais sans doute devoir faire appel à notre nouveau médecin.
– Vous avez l'air d'aller bien pourtant.
– N'est-ce-pas ? Mon père et Bernardo insistent pourtant pour que je me repose.
– Ils ont raison, déclara Arturo qui reprenait possession de ses moyens.
– Le repos vaut mieux que repasser entre les mains d'Agapito, approuva Raquel.
– Vous avez déjà rencontré le nouveau médecin ? demanda le sergent.
– Nous n'avons pas encore été présentés.
Tout n'était pas clair pour Garcia, mais il ne posa pas plus de questions. Cela ne l'intéressait pas. Il y avait plus important.
– Don Diego, nous avons arrêté Suárez et ses hommes.
– Il faut que vous me le racontiez !
Garcia, qui n'attendait que ça, ne se fit pas prier. Don Alejandro leva les yeux au ciel devant le comportement de son fils.
– Comment a-t-il fait ? chercha à comprendre le capitaine à voix basse. Survivre à une blessure pareille, revenir ici à cheval, agir comme si de rien n'était aujourd'hui…
Raquel posa son regard sur Diego.
– Il n'y a qu'une seule chose qui explique toute ceci.
– Quoi donc.
– C'est Zorro.
Près d'eux, Bernardo secoua doucement la tête. La señora avait raison. Il n'y avait que cette explication.
Il reporta son attention sur son maître dont il devinait la fatigue et la douleur malgré son attitude de façade. Captivé par les paroles de Garcia, il ne prêtait plus attention à eux. Le domestique savait que c'était sa façon de se protéger, d'échapper aux regards de son père et des époux Toledano à présent dans la confidence. Cette révélation à demi-mots, c'était un remerciement pour l'aide qu'ils lui avaient apporté quand il était blessé, une reconnaissance et une acceptation de soutien qui lui faisait souvent défaut dans sa mission.
Zorro n'avait jamais été vraiment seul. Dorénavant il avait quatre personnes prêtes à tout pour l'aider si le besoin se faisait sentir. Ce n'était pas rien. Pourtant Raquel Toledano avait résumé tout avec ces trois mots.
C'est Zorro.
D'aide, il n'en avait pas besoin. Malgré tout Diego de la Vega restait humain et, à ce titre, avait parfois besoin d'un autre soutien, celui de sa famille et de ses amis. Des gens qui pourraient dire « C'est Zorro » en guise d'explication, tout en étant là, tout près s'il le fallait.
C'est Zorro.
Cela voulait tout dire.
Fin
NdA : Cette histoire est déjà finie, quoique cinq chapitres au lieu d'un, c'est plutôt long. J'espère que vous l'avez aimée. Review peut-être ? Sinon, bonne continuation sur FF.