Avant toute chose, je précise que de mon côté, je n'ai pas l'intention de faire revenir Gimleh (sauf avis contraire), mais qu'après une discussion à son sujet, je me suis posée des questions qui ont abouti à ce texte. Je me suis aussi rendue compte que ça pouvait prêter à confusion, mais ceci se déroule peu après ou pendant 2202, sans modifications de l'histoire, normalement quelques semaines après l'arrestation de ce personnage. Erena aurait dû être sa parente, mais finalement non, même s'ils ont été plus ou moins proches (je ne me suis pas fermement décidée à faire d'elle un des clones employés par la Garde impériale, même si au passage je l'ai toujours imaginée blonde). Enfin, même si ça finit moins bien que je le prévoyais, j'espère que ça plaira.

Devant la porte, Erena Veiss prit un instant pour se ressaisir. Devinant qu'on l'observait et histoire de grappiller quelques secondes supplémentaires, elle baissa les yeux et s'attarda aux détails de sa tenue. Ses vêtements, son maquillage, sa coiffure. Tout ça lui apparaissait comme un déguisement, mais bien se présenter lui avait semblé important, même si elle trouvait maintenant l'idée absurde. Elle savait qu'elle ne pouvait lui cacher quoi que ce soit, qu'il verrait au travers de ce déguisement.

Avant qu'elle ne change d'idée et ne fasse ce qui aurait été raisonnable- s'enfuir de cet endroit-, elle releva la tête, fit un signe et la porte s'ouvrit.

Il ne faisait pas aussi sombre que ce à quoi elle s'attendait, même si en définitive elle ne savait pas non plus à quoi elle aurait dû s'attendre. Il n'y avait aucun meuble excepté deux chaises et le vitrage- qui ne devait pas être de verre- au milieu de la pièce, le séparant encore d'elle. Comme s'il aurait pu… se jeter sur elle, ou avoir dissimulé une arme sous cet habit militaire que personne ne lui avait encore enlevé. Elle porta son attention vers lui, et malgré elle, elle déglutit, observant son visage, observant les horribles marques violettes sur son visage barrant son œil qui ne rouvrirait plus jamais. Il aurait dû être mort, après tout. Mais le côté gauche de son visage était intact, et quand elle s'obligea à se concentrer sur celui-ci et à oublier ses blessures, elle le vit sourire à sa manière habituelle.

Ce réflexe ne lui avait donc pas échappé. Elle aurait été surprise qu'il laisse passer une telle occasion. Elle prit finalement la chaise de son côté, se mettant face à lui.

-Bonjour, Gimleh.

-Bonjour, Veiss.

Il souriait toujours. Il attendait qu'elle fasse un mouvement… qu'elle lui fournisse l'occasion de la prendre en défaut. Il agissait toujours ainsi, et elle n'était plus de ses hommes.

Sa première question s'imposa presque d'elle-même.

-Pourquoi avez-vous fait tout ça?

Il sourit plus fort. Il semblait réellement joyeux de pouvoir expliquer ses motivations. Trop, d'ailleurs. Erena fixa le coin de ses lèvres qui semblait avoir de plus de difficulté à suivre le mouvement.

-Parce que c'était la chose à faire.

-Ce n'est pas ce que je demandais, le coupa Erena. Je voulais savoir pourquoi… pourquoi vous croyiez que c'était une bonne chose.

Il se pencha vers l'avant, toujours souriant, comme si la barrière n'existait plus. Mais vitre ou pas, il ne l'aurait pas touchée. C'était toujours mieux d'utiliser les mots que la force. Plus efficace, aussi. Elle comme lui le savaient.

-Et si nous parlions de toi, Veiss? fit-il plutôt d'un ton presque amical, mais il n'en était rien.

Elle avait donc réussi à perdre le contrôle de la situation en deux minutes et quatre phrases.

-D'accord, dit-elle rapidement, espérant le surprendre.

À tout le moins, il se redressa.

-Je n'ai rien à cacher, ajouta-t-elle, tentant de se mettre à l'aise.

-Oh, non, murmura-t-il, encore le sourire aux lèvres mais sans cet air malsain qu'il avait arboré quelques secondes. Je le sais déjà.

Il paraissait presque amical, à présent. Erena ne s'en sentait pas mieux.

-Tu sais, j'ai beaucoup enquêté pour voir à qui je pouvais me fier... et ce que j'ai vu de toi m'a déçu. Sincèrement. Prêter allégeance à Dietz à peine quelques semaines après le départ de Dessler? Comment as-tu pu renoncer si vite?

Erena réfléchit en vitesse à la meilleure formulation. Mais, plus les secondes s'égrenaient, plus elle sentait le regard lourd d'amusement de son interlocuteur. Finalement, elle déclara :

-J'avais tort. Je l'ai reconnu. Et j'ai changé.

Mais son œil unique se moquait toujours d'elle.

-Changé? Je n'en ai pas l'impression. Tu as fait ce qui était le plus facile, c'est tout.

-Le plus juste, corrigea Erena, par réflexe, puis elle tenta de se rattraper. Même si vous n'y croyez pas.

-Non, dit-il lentement. Je n'y crois pas, Veiss. Ce n'est pas ça, la solution. Nous n'aurions pas dû permettre tous ces changements. Pas maintenant. Ce sera catastrophique.

Puis il ajouta cette phrase qu'elle n'oublierait pas :

-Si nous voulons survivre, nous devons rester unis. Cela fonctionnait très bien, avant.

-Survivre à quoi?

Il ne répondit pas. Ses paroles avaient fait mouche et il le savait très bien. Il n'avait pas besoin d'en dire plus.

-Te souviens-tu de l'époque où tu t'es engagée? De celle où tu avais confiance en moi?

À cela Erana aurait pu répondre beaucoup de choses.

-J'avais tort, répéta-t-elle.

Et elle regrettait tout ce qu'elle avait pu faire, mais elle ne voulait pas lui donner plus de munitions. Elle apparaîtrait comme têtue, obtuse, peut-être même dénuée de convictions aux yeux de l'homme. Mais c'était la seule chose qu'elle sentait pouvoir dire sans entrer dans son jeu.

-Et maintenant, qu'est-ce qui te fait croire que tu as raison?

Ça aussi, c'était un piège. Peu importe ce qu'elle dirait, il pourrait balayer ses arguments sans problèmes. Il avait raison et rien ne l'en dissuaderait.

-Je le sais, répondit-elle simplement., les mains posées sur ses genoux.

Elle croisa son regard une dernière fois, un bref instant. Pour une rare fois il ne semblait ni moqueur ni arrogant. Il semblait désolé.

-Alors, pourquoi as-tu accepté de venir?

-Je l'ignore, fit-elle en se levant.

Elle fit un pas vers la porte quand il l'interpella à nouveau.

-Reviendras-tu?

Elle s'arrêta, la main à quelques centimètres de la poignée, et se retourna. Son sourire avait totalement disparu… et il la regardait comme si c'était elle, maintenant, qui avait un quelconque pouvoir sur la situation.

-J'y réfléchirais.

Elle n'en savait rien. Elle doutait même que ce soit une bonne idée, pour lui comme pour elle. Elle sortit enfin. Le garde qui l'y avait reconduite attendait à son poste non loin.

-Vous ne devriez pas revenir, lui dit-il, une fois Erena à sa hauteur.

-C'est un ordre?

-Un conseil.

Il pointa l'écran devant lui et Erana acquiesça. On l'avait prévenue au départ que tout serait filmé comme mesure de sécurité supplémentaire, mais ça lui était sorti de la tête. N'empêche que maintenant, la question ne sortirait jamais de son esprit. Cette minuscule pièce où ils s'étaient retrouvés n'était pas adaptée pour y passer plus que quelques heures. Alors où vivait-il? Dans le même bâtiment? Comment cet endroit l'arrêterait-il? Comment contiendrait-il bien longtemps l'influence d'un homme qui avait réussi à mobiliser des dizaines, voire des centaines de gens en quelques mois sans jamais révéler à quiconque qu'il était vivant?

Elle le connaissait- elle l'avait connu longtemps. Et elle n'avait passé que quelques minutes avec lui. Elle s'éloigna en silence, se promettant d'oublier ce qui s'était passé.