J'avais déjà écrit sur les Sioc'han dans mon recueil Arbre généalogique.

Sur Jean Sioc'han dans mes fics :

- Jean Sioc'han corsaire et fantôme

- Une rencontre fortuite

- et dans mon recueil Les nuits de Jean Sioc'han

Sur Eleonore Mckinnon dans :

- My background life as Eleonore McKinnon

- Le peintre de leur vie

- Retourner en Egypte

C'est maintenant au tout de Gwenaëlle l'arrière petite fille de Jean Sioc'han !


Gwenaëlle n'avait jamais eu la mer en grande estime. Elle n'avait jamais compris cet attachement particulier que portait sa famille à l'océan. Pour elle, cette étendue d'eau immense n'était responsable que de malheurs. Elle avait déjà dû porter le deuil d'un frère pris par les sirènes elle ne voulait pas porter de nouveau le noir. Elle n'avait pas envie de cette vie.
Elle ne voulait pas attendre le cœur serré le retour d'un amant. Elle avait déjà fort à faire avec son père et ses quatre frères. Elle ne voulait plus de cette joie teintée de peur qui serrait le cœur de tous ceux restés à terre lorsqu'un mat se faisait voir au large de l'île de Batz. Elle laissait ça à sa mère et ses deux sœurs.
Elle voulait d'une autre vie que celle-ci. Elle laissait à sa famille les côtes balayées par les embruns. A elle les arbres et le calme de Brocéliande. Elle avait décidé de suivre une autre voie que celle des Sioc'han.

C'est donc la peur au ventre, mais le cœur battant, qu'elle avait chargé ses affaires sur une charrette. Y avait attelé Sterenn, elle avait donné ce nom à la jument offerte à son père à cause de l'étoile blanche qui se dessinait sur son chanfrein. Elle avait pris une gorgée dans la grosse flasque de polynectar qu'elle portait à la ceinture et s'était transformée en Paul son frère puîné.
Les routes au XVIe siècle n'étant pas très bien fréquentées, il valait mieux pour elle d'éviter d'éveiller l'attention des quelques brigands. Une fille seule sur la route ça avait bien trop tendance à attirer les ennuis. Et même si elle savait se défendre grâce à sa baguette magique, il valait mieux pour Gwenaëlle qu'elle ne passe pas pour une proie facile.
Ça n'avait pas été facile de convaincre sa famille de la laisser partir à l'aventure alors mieux valait mettre toutes les chances de son côté. Sa mère n'était pas vraiment heureuse de voir la petite dernière parcourir la Bretagne à tout-va. Alors autant qu'elle le fasse sous les traits d'un homme.

Elle était partie la veille dans l'après-midi. Le trajet commençait à se faire long sous ce soleil tapant. Elle hésitait à faire une pause qui aurait été tout autant profitable à elle qu'à Sterenn, quand, le sourire aux lèvres et les tempes battantes, elle aperçut la forêt de Brocéliande étendre sa frondaison sur tout le centre Bretagne.
Elle n'avait jamais vu une telle marée verte, elle qui n'avait connu que les falaises et la lande tomba, aussitôt, amoureuse de cette immense forêt.
Avec un peu d'appréhension, Gwenaëlle s'enfonça dans les sentiers qui couraient dans l'épaisse forêt et laissa derrière elle la mer. Tandis que son angoisse menaçait de la submerger, alors que la nuit commençait à tomber, elle aperçut au loin une auberge. Elle fit presser légèrement le pas à son cheval de trait et pour se donner du courage répéta la devise de sa famille : « aventureux et curieux jusqu'au-delà des mers ». Au-dessus de sa tête, c'était un véritable océan de verdure qui cachait les derniers rayons du soleil.

Une fois au chaud dans l'auberge, elle commanda la soupe du jour et entreprit de manger tranquillement. Lorsqu'elle s'enquit auprès de l'aubergiste de sa destination celui-ci lui apprit en rigolant qu'elle y était déjà à Paimpont, la ville était de l'autre côté de l'étang, elle ne l'avait juste pas remarqué à cause des arbres.
Se disant qu'elle aurait tôt fait de voir la ville elle préféra réserver une chambre, et une place à l'écurie pour son cheval et ses bagages. Avant de se coucher elle reprit une gorgée de polynectar. Cela lui laisserait ainsi le temps de s'éclipser le lendemain matin sans éveiller les soupçons de l'aubergiste. Elle sera quitte pour attendre dans la forêt que l'effet de la potion se dissipe afin de rentrer dans la ville sous ses vrais traits.

Le lendemain Gwenaëlle reprit la route et longea l'étang pour emprunter l'unique pont au nord de celui-ci.
Une fois arrivée dans sa nouvelle demeure, elle retroussa ses manches pour arranger celle-ci. À l'aide de sa baguette elle eut tôt fait de mettre à son goût la petite maison qu'elle avait achetée grâce à l'or blanc que son père ramenait de Terre-Neuve (1). Heureusement, l'extérieur n'était point abîmé. Elle n'avait donc pas eu à le rafistoler, ce qui aurait pu amener le voisinage à se poser des questions si, par miracle, la maison s'était retrouvée soudainement comme neuve en une seule journée.
Le temps filait tranquillement sous les branches des grands arbres et les jours passaient et se succédaient sans un bruit au son de la rivière qui coulait dans la ville.

Paimpont était une grosse bourgade et le cœur de la forêt de Brocéliande. La jeune sorcière eut tôt fait de s'y sentir chez elle. Elle avait toujours aimé les arbres. Et cette Bretagne de l'intérieur était pour elle une source de ravissement, et d'étonnement sans nom.
Une fois sa maison rafistolée, ce qui lui avait au final pris plus d'une journée, elle avait entrepris de faire le tour du voisinage afin de se présenter. Elle savait que les ragots avaient vite fait de tourner alors mieux valait faire vite pour éviter que trop de racontars tournent sur elle.
Surtout que ce n'était pas courant de voir un Breton de l'Armor (2) dans le coin. Les hommes avaient plutôt tendance à quitter le coin le temps d'une saison afin de travailler dans les grandes demeures et fermes de bord de mer pour remplacer les hommes partis en mer.

Une fois les présentations faites, la jeune Sioc'han entrepris de monter son échoppe.
Car s'il y en avait bien une chose qui l'avait poussée à quitter Roscoff, en plus de son désir de s'installer auprès des arbres, c'était son envie d'ouvrir une boutique d'apothicaire.
Elle avait justement entendu dire par son vieux maître, qui tenait une boutique à Roscoff, que Paimpont cherchait un apothicaire depuis que le dernier propriétaire de la maison qu'elle avait achetait avait trouvé la mort dans un incendie. Du moins, était-ce la version pour moldu. La vérité, c'est qu'il avait tout simplement explosé, explosion dû à la recherche d'un nouveau sort visant à dessaler les morues. Le sort ménager avait mal tourné et l'homme avait pris feu. En un claquement de doigt, il n'y avait plus de sorciers, a la place il le restait plus que des murs endommagés et une énorme trace de brûlure sur le sol de la maison qu'elle avait vite réparé.

À Paimpont, les sorciers et les moldus cohabitaient ensemble sans que cela pose trop de soucis, ce qui n'était pas le cas dans toute la France. Ainsi, à La Rochelle les protestants qui tenaient la ville s'étaient mis en tête que des sorcières vivaient à l'abri des murs de la cité et qu'il fallait les chasser.
Mais ici, tout le monde, même le père Goulven, acceptait sans soucis les manifestations surnaturelles qui avaient quelquefois lieu dans le village et ses alentours. C'était sans sourciller qu'il en attribuait le mérite à Sainte-Anne la grand-mère des Bretons (3) ou à Saint-Maclou l'un des sept saints fondateurs Bretons et premier évêque du diocèse de Saint Malo dont leur paroisse dépendait (4). Il était facile pour le prêtre de la paroisse de crier aux miracles ce qui n'était pas pour déplaire aux locaux qu'ils soient moldus ou sorciers. Au final, chacun y trouvait son compte.

Y compris Gwenaëlle qui avait maintenant un commerce qui tournait à plein régime, entre les décoctions et plantes contre les maux de tête, les maux d'amours, les problèmes de fertilité et les remèdes en tout genre. Il lui arrivait même, des fois, d'écouler sa fameuse potion miracle de chance, qui contenait en réalité quelques gouttes de Félix félicis, aux villageois moldus en quête d'un miracle. La flasque à avaler cul sec, une prière à adresser à la vierge et hop on criait à la bonté de Saint Anne.
En plus de ces activités légales qui avaient pignons sur rue, elle procurait aux nombreux sorciers du bourg les ingrédients dont ils avaient besoin pour leurs potions ainsi que des aliments qui auraient paru plus qu'étrange aux moldus du coin. C'est que le ragoût de mouton à cinq pattes est un plat luxueux qui avait son lot de connaisseurs dans la forêt de Brocéliande.
Sa boutique était vite devenue une des plus prisées des sorciers des environs. Et il faut dire que ce n'était pas rien, ils étaient nombreux les sorciers dans ce coin de la France. Sans nul doute que le fait que Merlin ait fait de cette forêt son fief n'y était pas pour rien dans cette grande concentration de sorciers au kilomètre carré.
Il n'était pas rare que les gens fassent plusieurs bornes pour venir chez elle, car ils étaient sûrs d'avoir des ingrédients frais et de qualité, et à une époque où les apothicaires avaient tendance à filouter avec la qualité, c'était avec fierté qu'elle ne vendait que du premier choix.

L'histoire aurait pu se terminer là et Gwenaëlle aurait continué à faire tourner tranquillement sa boutique avec l'aide d'Arzhur son apprenti, mais c'était sans compter le Pape qui s'était mis en tête de faire du ménage dans cette Bretagne encore trop impie pour certains cardinaux Italiens.
Le prêtre Goulven, considéré comme bien trop laxiste, ce vu convoquer à Rome pour faire part de ses actions en terres bretonnes. Un miracle de temps en temps, c'est bien, mais là ça commençait à être suspect.
Et puis dans le sud de la France certains prêtres commençaient à crier à la sorcellerie, ce n'était sans doute que de simples rumeurs, dues à la jalousie de paroisses bien moins illustres qui n'avaient pas droit à autant de ferveur religieuse. Mais dans l'Aude, on criait à la secte et on disait bien fort que lorsque dans le coin il y avait eu autant de miracles, c'était chez les Albigeois qu'ils avaient eut lieu, ce qui sentait fort le soufre (5).
Pour mettre fin aux rumeurs de sorcellerie un nouveau prêtre fut donc envoyé pour reprendre cette paroisse où décidément, il se passait des choses bien étranges.

L'arrivée de père Blaise dans le village ne se fit pas sans heurt. Les habitants de Paimpont n'avaient pas réellement apprécié de voir leur prêtre partir et que des gens, qui n'étaient même pas Français, se mêlent de leur église avaient été un peu dur à accepter. Le pape, c'était certes le pape, mais il ne le connaissait pas, alors que père Goulven si.
Ainsi quand le père Blaise pris ses quartiers dans le presbytère du village, il fut accueilli par les mines fermées des gens d'ici. Très vite, les habitants se rendirent compte que le nouveau curé était bien décidé à ramener ses ouailles dans le droit chemin et à mettre un terme au laxisme de son prédécesseur comme il aimait tant le rappeler lors de ses sermons dominicaux.

Nullement inquiète, Gwenaëlle continuait comme à l'accoutumée de fermer boutique le dimanche et de se cloîtrer tranquillement chez soi ou bien d'en profiter pour refaire son stock de plantes dans Brocéliande, pendant que les villageois s'enfermaient dans l'église.
Ils étaient peu nombreux comme elle à braver la toute-puissance de l'église en cette époque troublée par les guerres de religion. On avait vite fait d'être déclaré coupable de sorcellerie ou pire de huguenot et de finir sur un bûcher.
Mais malheureusement, autant le père Goulven gardait avec indulgence le silence sur son athéisme notoire autant le père Blaise se mit en tête de lancer une cabale contre elle et les autres pêcheurs. Certains sorciers décidèrent d'aller à l'église et de faire bonne figure pour éviter de devoir se retrouver condamnés.
Au bout de quelques mois d'injustice, ils étaient devenus rares les résistants qui faisaient fit des menaces, des chantages et des ragots lancés par des villageois malavisés ou terrifiés par le nouveau curé.

Mais Gwenaëlle n'était pas une Sioc'han pour rien, elle restait droite comme un arbre, solide comme un roc pour affronter le courroux de l'envoyé de l'église. Elle était une sorcière émérite issue d'une longue lignée, et en tant que Sioc'han elle ne se laissera jamais dicter sa conduite.
Aidée de son apprenti, elle se lança dans une croisade pour qu'enfin cet énergumène la laisse en paix. Elle commençait en avoir marre qu'il parle d'elle dans ses sermons, rentre sans cesse dans sa boutique pour la maudire ou lui prédire l'enfer après sa mort. Sans compter qu'il commençait à dresser ses grenouilles de bénitier contre elle. Bien décidée à ne pas se laisser faire, elle envoya une lettre à sa famille pour leur demander de l'aide.
Ceux-ci, amusaient par l'histoire, acceptaient de lui prêter main forte. Ainsi, ce fut armé d'une solide valise, qui contenait plus d'un tour dans son sac, qu'Arzhur atterrit dans son atelier au sous-sol de la maison de Gwenaëlle après avoir transplané à Roscoff le temps de récupérer la marchandise que lui avait préparée son frère Ewen.
Elle avait préféré ne pas transplaner elle-même car elle savait que père Blaise la faisait surveiller.

- Voilà Mamz'elle Gwenaëlle votre colis.
- Bien, merci Azhur. Examinons ce que mes frères m'ont mis dedans.
Alors, qu'elle allait se pencher pour ouvrir la valise, une forme étrange s'en extirpa avant de se mettre à brailler en breton.

- Gast ! C'est bien la première et dernière fois que je voyage dans une valise.
- Tad-kuñv Jean ?
- C'est bien moi ma petite. S'exclama d'un air jovial le fantôme qui s'était caché dans la malle.
- Mais que fait tu la ?
- J'ai entendu parler tes frères des misères que te faisait ce curé et de la petite sauterie que vous organisiez. Je me suis dit que ça pourrait bien être amusant de terrifier ce bigot alors j'ai profité d'un moment d'absence pour me faufiler ici. C'est que courir le pays quand on ne pèse pas plus qu'une plume, et que le vent a tendance à souffler à en décorner les bœufs, on a tôt fait de se faire emporter jusqu'en Irlande.

Le fantôme tournoyait jovialement dans les airs s'en prendre garde au lustre, qui le traversait de part en part, ce qui effrayait Arzhur qui ne semblait pas habituer aux fantômes et avait peur que celui-ci s'enflamme à force de frôler les bougies qui éclairaient la pièce.
Quelque peu habituée aux facéties de son aïeul qui était mort depuis peu et qui s'était mis en tête de vivre des aventures palpitantes au côté de sa descendance Gwenaëlle se contentait de sourire en voyant la mine réjouie de son arrière-grand-père.
Elle s'était déjà préparée au fait que tôt ou tard ce dernier lui rendrait visite après s'être lassé de parcourir les mers glacées de Terre-Neuve au côté de son petit-fils, son père à elle.

- C'est très gentil d'être venue me rendre visite tad-kuñv, lui dit-elle gentiment. Si vous voulez bien, on va regarder ce que contient cette malle avant d'échafauder des plans tous les trois.

Intrigués Jean et Arzhur se penchèrent vers elle alors qu'elle entreprenait de défaire les attaches de la valise. Précautionneusement, elle sortit les ingrédients que Paul lui avait fait parvenir et qu'elle ne trouvait que très difficilement ici. Elle mit de côté les écailles chatoyantes de poissons, les cheveux de sirènes et les coquilles lumineuses de mollusques, cela lui servirait plus tard.

- Regardez Mamz'elle un malagrif tacheté s'exclama Azhur d'un air impressionné en lui tendant un bocal rempli d'eau de mer dans laquelle une sorte de homard gris clair tacheté de vert végétait.
- Diantre, quelle saleté. Je me souviens la fois où le cuisinier voulant me faire plaisir m'avait préparé un malagrif en croyant que c'était un homard, à moins que ça soit un sabotage pur et dur, j'avais été bon pour une semaine de malchance, une semaine à quai j'ai eu tôt fait de lui faire passer l'envie de me faire plaisir à cet empaffé.

Interloqué, le jeune homme le regardait sans savoir si le vieillard plaisantait. Haussant les épaules, son mentor lui signifia qu'ils feraient mieux ne pas chercher à savoir. Elle connaissait la manie qu'avait son aïeul de partir dans des diatribes à rallonges quand il s'agissait de raconter ses aventures, mieux valait ne pas le lancer dessus.

- En tout cas avec ça, on a de quoi à préparer une sacrée dose de potion de malchance. Je vais préparer ça. En attendant, je vois que mère nous à donné une de ces fameuses potions de flétrissement.
- Je le savais, s'écria le fantôme !
Sans prêter gare au regard interloqué de ses comparses Jean continua sa tirade.
Je savais qu'elle devait avoir des choses dans ce genre dans ses placards, sinon comment expliquer la fois où les belles fleurs de la Nolwen se sont toutes fanées d'un coup à la Saint-Jean, pile deux jours avant le concours du plus beau jardin. Tout le monde savait que c'était la rivale de ta mère et qu'elle avait toutes les chances de rafler le grand-prix cette année, je savais bien qu'il y avait de la magie là-dessous. Mais qu'est-ce que tu veux qu'on fasse de ça ?
Avec un sourire en coin Gwenaëlle entrepris d'expliquer son plan.

- Je vais vous donner le nom de toutes les grenouilles de bénitier de la ville et ce soir vous irez saccager leurs beaux rosiers. À mon avis avec tous les événements surnaturels qui vont avoir lieu au cours des jours qui arrivent, on ne va pas tarder à dire que la paroisse est maudite. En plus, tout cela va se dérouler durant le Tro Breizh ça ne pouvait pas mieux tomber (6). Ils vont tous croire que leurs saints se détournent d'eux et ils ne tarderont pas à accuser leur nouveau curé.
- Mamz'elle vous croyait vraiment que quelques fleurs fanées vont faire changer les choses ?
- Bien sûr que non, mais n'oublions pas que notre cher curé va être accablé de malchance ainsi que bon nombre de ses ouailles, car on va empoisonner l'eau du bénitier avec une potion de malchance. Alors, certes, ce genre de potion est plus efficace par ingestion, mais elle reste cependant efficace par un simple contact cutané même si l'effet est diminué. Arzhur ça sera à toi de vider la flasque que je te donnerais dans le bénitier de l'église. Ensuite, nous aviserons. Je pense que certains sortilèges, dont nous avons connaissance, pourrons être détournés à notre profit et je connais quelques sorciers qui ne tarderont pas à nous suivre dans notre entreprise.
- Pour ma part, je compte bien aller hanter le grenier du presbytère et si à défaut de faire peur au curé, je fais au moins peur à sa servante cela fera une pauvre âme de plus qui croira votre bonhomme maudit.
- Je vois que nous avons du pain sur la planche ne tardons pas, je vais préparer quelques potions pendant ce temps, tu devrais aller te reposer Arzhur, la nuit risque d'être longue.

Pendant que le tour de Bretagne battait son plein et que quelques fidèles tentaient de faire le tour des sept évêchés de Bretagne le trio avait mis en action leur plan de bataille.
Très vite les villageois prompts aux commérages et à voir des signes partout, c'étaient mis à colporter la rumeur comme quoi le curé avait été maudit par les sept saints fondateurs de la Bretagne, après tout n'avait-il pas dit lors d'une messe que leurs saints étaient impies car n'ayant pas été canonisé. Voilà que par sa hargne à détruire les statues de leurs protecteurs, ils s'étaient attiré les foudres de ces derniers. De plus, le fait qu'il avait interdit aux gens de sa paroisse de faire le Tro Breizh n'avait, sans nul doute, pas arrangé les choses.
Bien décidé d'en référer à leur évêché, les plus influents, ou les plus éloquents du village prirent la route pour Saint-Malo afin de parler à l'évêque et de faire part du courroux de Saint-Maclou et ses compagnons qui avaient maudit leur bourgade.

Bien embêté part ce cas l'évêque de Saint Malo en avait référé au pape. Et très vite, ce dernier avait décidé qu'il fallait calmer toute cette agitation. Et si pour cela, il fallait y renvoyer ce prêtre un peu trop laxiste alors qu'on le fasse. Il ne fallait pas laisser les choses s'enflammer, il n'avait pas besoin d'une nouvelle crise. Il ne manquerait plus que ces ouailles se détournent de la sainte église à cause d'un prêtre un peu trop à cheval sur le règlement. Tant pis si son plan de remettre un peu d'ordre dans cette paroisse devait tomber à l'eau. Mieux valait avoir trop de miracles qu'une révolte sur les bras.
La ville n'aurait pas de prêtre pendant deux jours, chose totalement inhabituelle pour l'époque, mais l'affaire était suffisamment grande et le ressentiment des villageois important pour que le père Blaise soit autorisé à partir avant l'arrivée de son successeur.

Ainsi, c'est sous les quolibets que celui-ci partit, au plus grand soulagement des habitants qui se sentirent libérés d'un poids. À peine le père Blaise fut-il mis dehors que les fleurs se mirent à nouveau à fleurir, et même, semblèrent pousser de façon surnaturelle comme si les saints voulaient se faire pardonner. Les malchances se firent plus rares pour au final totalement disparaître. Pour les quelques gens encore suspicieux cela fut le signe que, à force de trop s'acharner sur les saints locaux, le prêtre s'était fait maudire par Saint-Maclou et ses comparses.
Une fois le père Goulven réinstallé dans le presbytère, le calme se fit sur la paroisse et le cresson de la fontaine de l'église porta à nouveau chance. Et tant pis si c'était due à une sorcière et un prêtre un peu trop bien intentionné.


Le petit lexique Breton :

Sterenn : étoile.

Gast : Putain

Tad-kuñv : arrière-grand père.

(1) L'or blanc : surnom donné à la morue

(2) En Bretagne on fait la différence entre l'Armor (le pays de la mer) et l'Argoat (le pays de la forêt) qui correspond à l'intérieur de la Bretagne.

Au cours du XVI et XVII l'Armor est très riche grâce à la pêche, les armateurs de bateaux et les corsaires ainsi que la culture du froment.

L'Argoat est très pauvre : les sols sont peu fertiles, les arbres omniprésents. Beaucoup de Bretons de l'intérieur vont travailler sur les côtes dans les fermes pour remplacer les hommes partis sur les bateaux pêcher la Morue ou plus tard la Sardine.

Malgré tout, au XVIe la Bretagne est la région de France avec la plus forte démographie et une des régions les plus peuplées d'Europe.

(3) En breton, sainte Anne est surnommée « Mamm gozh ar Vretoned », c'est-à-dire la grand-mère des Bretons. Plusieurs légendes la rattachent à la Bretagne.

Dans la plus connue d'entre elle : Anne est mariée à un seigneur cruel et jaloux, qui lui interdit d'avoir des enfants. Lorsqu'elle tombe enceinte, il la chasse du château de Moëllien. Son errance avec sa fille Marie la conduit à la plage de Tréfuntec où l'attend un ange, près d'une barque. Selon la volonté de Dieu, l'ange l'amène jusqu'en Galilée. Bien des années plus tard, Marie épouse Joseph et devient la mère du Christ. Anne revient en Bretagne pour y finir sa vie dans la prière et distribue ses biens aux pauvres.

(4) Les sept saints fondateurs seraient à l'origine de la création des sept évêchés de Bretagne. Du fait de leur antériorité à toute procédure canonique, ces saints n'ont pas fait l'objet d'une reconnaissance officielle par l'Église catholique.

(5) "Les Albigeois" est l'ancien terme utilisé en France pour désigner les Cathares, ce dernier terme bien qu'étant attesté dans certains manuscrits de l'époque ne fut réellement popularisé qu'au cours des années 60.

(6) Le Tro Breiz, qui en breton signifie « tour de Bretagne », est un pèlerinage catholique qui relie les villes des sept saints fondateurs de la Bretagne.