Ce texte a été écrit dans le cadre d'un jeu du FoF (Forum Francophone) avec les thèmes imposés suivants : "Ta bonne humeur est suspecte", un personnage vieux, un lundi matin, et de la neige à gros flocons. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à m'envoyer un pm !
Disclaimer : à Tsugumi Ōba et Takeshi Obata
NB : avec ce thème, j'ai quand même réussi à faire un truc un peu dramatique... Mais on ne se refait pas. J'ai pris aussi quelques libertés avec les personnages : comme on ne connait pas les véritables prénoms de A et B, je me suis donc permise de leur donner les noms de Abby et Bryon. J'espère que ça vous plaira !
écrit sur le thème musical du film Krampus, Karol of bells (oui, je suis du genre à être dans le mood de Noël en plein mois de mai).
Bonne lecture !
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Neiges éternelles
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« Qu'est-ce qu'il y a, Ryuzaki ?
- Tu les entends, les cloches ? »
Un tintement singulier, dans le lointain, rythmait la tachycardie de son cœur. Inlassablement, son sang pulsait dans son crâne, de plus en plus fort ; comme s'il prenait un dernier élan avant il ne savait vraiment quoi, le grand saut peut-être...
Est-ce que c'était la fin ?
Sur le monitor, l'image de L s'était figée, le pressentiment en tension électrique dans chacun de ses membres. C'était le moment. Il partirait le premier, et ce serait sans doute pour le mieux.
Watari, de son véritable nom Quillish Wammy, n'avait jamais vraiment compris de quoi pouvait bien parler son fils adoptif, quand il évoquait le tintement des cloches. La première occurrence du phénomène remontait à l'enterrement de ses parents, et le vieil homme s'était dit que le traumatisme y trouvait certainement son origine. En grandissant, le son s'était tut dans la tête de L. Ou du moins, il n'en avait plus jamais parlé.
Quand les cloches sonnèrent de nouveau, le carillon insupportable hanta le garçon une semaine durant et, quand la migraine cessa, B retrouva A dans son petit appartement New-yorkais. Pendue.
Il arriva la même chose le jour de la mort de B, peu de temps après l'apparition de Kira. L n'avait jamais voulu en parler, mais Watari fit facilement le lien avec la purge à laquelle le tueur s'était adonné. L'affaire aurait pu être intéressante à élucider (comment Kira avait-il obtenu l'identité de B ? Après l'affaire de Los Angeles, L avait pourtant pris grand soin de faire disparaître à nouveau l'orphelin des radars) ; mais le détective s'était muré dans le silence et Watari n'avait pas insisté.
A partir de ce moment précis, l'homme, déjà largement convaincu, décida de ne s'en remettre qu'à l'instinct de son protégé, quelle que soit la situation. L'enfant avait l'air d'anticiper les catastrophes, instinct quasi primitif, à la manière des oiseaux qui désertaient la cime des arbres avant les tremblements de terre.
Alors cela ne faisait aucun doute. Ils allaient mourir ce soir.
Son cœur essoufflé entama son dernier sursaut, et il ne sentit qu'à peine la douleur fulgurante quand elle lui tordit la poitrine. Tout ce qu'il vit, à cet instant, fut le manoir enseveli sous la neige, en cette belle matinée de décembre.
Dans la grande salle du rez-de-chaussée, les enfants s'étaient réunis sous le sapin. Il n'y avait bien que L et Near pour rester dans leur coin, sans prêter attention aux autres – même si le premier était couvé du regard par le reste des pensionnaires. Watari le trouva devant la fenêtre, à toucher du bout des doigts les gros flocons qui venaient s'écraser contre la vitre.
Le vieil homme se posta à son côté, avisant les bouchons d'oreilles roses qui le coupaient du monde extérieur.
« Tu t'ennuies, Lawliet ? »
Le garçon ne répondit rien, trop concentré sur ses pensées intérieures. Watari posa doucement sa main sur son épaule, brisant son introspection ; L lui lança un regard, avant de retirer ses bouchons. Il avisa le sourire affable du vieil homme d'un air circonspect.
« Ta bonne humeur est suspecte.
- Ne te méfie pas du moindre sourire, L. Dis-moi plutôt ce que cette fenêtre a de si intéressant. »
Watari avait dû traîner le jeune détective hors de sa tanière un lundi, qui plus est un lundi matin, et depuis son arrivée, le garçon s'était muré dans son silence, rasant les murs et évitant les regards des autres rivés sur son étrange silhouette.
« Trop de bruit. Trop de monde. J'arrive pas à me concentrer sur l'affaire. Pourquoi il fallait que je vienne ? C'est une perte de temps.
- Les enfants voulaient te voir. C'est Noël. »
Plus loin, l'éclat de voix de Linda, qui s'extasiait devant sa palette de peinture, attira leur attention un instant. Le tableau était charmant, c'était vrai ; tous les orphelins de la Wammy's House avaient trouvé une place sur le tapis de jeu, échangeant au sujet de leurs jeux et piochant dans les pâtisseries préparées pour leur bon plaisir.
Réellement, le vieux Wammy se sentait profondément apaisé. Tout ce dont il avait toujours rêvé se trouvait devant lui ; une famille, anormale, composée d'individus tous terriblement inadaptés, mais une famille quand même
« Il est de ces moments qui mériteraient de s'étendre à l'infini dans le temps. »
L ne réprima pas sa moue dubitative, sa réflexion transparente sur son visage pâle ; quelle mouche avait piqué Watari, aujourd'hui ? L'homme eut un rire, et L le regarda comme si une deuxième tête venait de lui pousser.
« Je sais ce que tu te dis. Que ça n'a pas de sens d'espérer quelque chose d'irréalisable. Mais les humains ont besoin d'émettre à voix haute ce genre de pensées positives. Ça participe à leur bonheur.
- Je sais. »
L avait mis du temps à prendre conscience des émotions des autres, et parce qu'il avait cette déficience, il avait pris à cœur d'en connaître tous les rouages. Encore aujourd'hui, s'il comprenait finalement les émotions et leurs nuances, elles n'en demeuraient que des paramètres dans ses calculs, pour saisir au mieux ses sujets d'analyse. Elles n'entraient jamais vraiment en considération, dans la ligne de sa propre conduite.
Néanmoins, c'était quand même un peu agréable, de voir les enfants s'amuser ensemble ; pour une fois que Mello n'était pas trop acide avec Near, et que lui-même avait daigné se joindre à eux aussi tôt dans la matinée. Même Abby avait ce mince sourire et écoutait silencieusement la discussion des autres, assise à côté de son binôme qui piochait allègrement des bonbons dans les petits pots à la portée de ses bras.
« Bryon, réprimanda Linda alors que l'enfant gobait trois nouveaux berlingots aux fraises, ce n'est pas parce que L ne mange que des sucreries que tu dois suivre son régime alimentaire catastrophique. »
Haussement de sourcil de l'intéressé, qui s'avança vers les enfants, l'air de rien.
« Mais Law m'a dit que ça aidait à faire fonctionner le cerveau plus vite.
- L t'a menti, jeta Mello avec dédain.
- L ne ment pas, fit Near sans daigner relever les yeux vers ses interlocuteurs.
- Si. Je mens tout le temps, d'ailleurs. »
Les enfants piaillèrent de surprise, et Mello se renfrogna à l'intervention de leur aîné.
« Si tu mens, le Krampus viendra te punir. » La petite voix de A s'éleva à peine au-dessus du brouhaha général de la pièce.
« Le Krampus ?
- Encore une histoire abracadabrante que lui a raconté Matt hier soir.
- Eh !
- Mais je suis la Justice, le Krampus ne peut pas me punir puisque je fais la loi. »
Abby se ramassa sur sa petite silhouette frêle, avec l'envie de se soustraire à la vue des autres ; elle avait sûrement atteint son quota de parole de la journée.
B eut soudain un hoquet de surprise, avant de relever la tête de ses friandises ; les autres, attirés par son sursaut, froncèrent les sourcils, alors que le petit garçon les dévisageait un à un avec l'intention, peut-être, de sonder leur âme. Puis son regard laiteux se figea dans celui de L, et ses traits tendus s'apaisèrent peu à peu pendant que la compréhension se faisait dans son esprit.
« Oh. » Berlingot croqué entre ses dents. « Au revoir, Law. »
Et il s'en retourna à ses figurines, sa bulle de silence étendue à l'espace autour de lui, alors qu'aux oreilles de L, le bourdonnement des cloches éclatait.
C'était dommage ; L commençait à peine à se sentir heureux, d'être ici.
Le rêve se brisa.
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« Qu'est-ce qu'il y a, Ryuzaki ?
- Tu les entends, les cloches ? »
Hochement de tête. Oui, pour la première fois, il les entendait. Aussi nettement que sur le parvis de l'église, plus de quinze ans auparavant.
« Elles sont là pour nous. »
Watari se leva de son siège, s'avançant vers ce fils dont il était si fier ; il posa ses larges mains, chaleureuses, sur ses épaules, et Lawliet se recroquevilla encore un peu plus sur lui-même, le dos plus voûté que jamais.
« Tu n'es pas triste ? » Ils se regardèrent intensément, confiance absolue au fond de l'œil - brillante dans le regard d'obsidienne - avant que la main de Lawliet ne vienne se glisser dans celle de Wammy. Leurs deux silhouettes étaient emplies de solennité, comme ce fut le cas ce jour d'enterrement.
« Non. Un peu. Les enfants le seront. Mais c'était amusant. »
Watari appuierait sur le bouton et L s'effondrerait, trouvant ironiquement la mort dans les bras de son meurtrier. De l'autre côté du globe, la descendance de L, doublement orpheline, s'octroierait le temps d'écouter sonner les cloches, avant de se reprendre ; avant de lâcher le Krampus sur celui qui osait se targuer d'être la nouvelle Justice.
Mais pour le moment, il fallait savourer la fin comme il se devait.
« Cet acte signe la fin de Kira. »
L eut un sourire, malice presque enfantine – ça faisait longtemps que Wammy n'avait pas vu une telle expression sur son visage, et ça l'affecta plus qu'il n'aurait pu l'imaginer.
« Tu sais, je n'ai pas peur. »
Mains serrées un peu plus fort.
« On a gagné. »
C'était un soulagement.
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Le Krampus est une créature mythique "mi-chèvre mi-démon" ; il est à peu près l'équivalent du père Fouettard à la Saint Nicolas.