Si le scénario de départ est complètement bullshit, le rythme de l'histoire tente, quant à lui, de rendre l'évolution de leurs sentiments crédible.

Le développement sera très lent, puisque l'action est condensée en seulement deux semaines. L'histoire présentera des scènes de sexe explicites en temps voulu – sinon ce n'est pas drôle. Il y aura un chapitre par jour de la semaine, soit quatorze chapitres, auxquelles s'ajouteront un prologue et un épilogue. La première semaine sera écrite du point de vue de Steve, et la deuxième, de celui de Billy.

Ceci posé : Je jure solennellement que cette histoire aura une fin. Pour tout dire, elle est déjà presque entièrement écrite, mais le rythme de parution dépendra certainement des retours.

Au passage, il n'y a pas de bêta-lecteur.

Ce prologue est assez court et austère, mais il est là pour poser les bases.

J'espère que vous prendrez autant de plaisir à lire qu'il m'en prend à écrire.

Bonne lecture !


PROLOGUE – ALEA JACTA EST

Gardons notre calme. Les chances que cela arrive étaient minimes, infimes, ridicules. Ou alors le destin avait quelque chose à charge contre lui, mais Steve se refusait de croire au "destin", ce n'était vraiment pas assez viril. Steve n'était d'ailleurs pas tout à fait sûr de savoir ce que cela voulait dire, mais il savait en revanche que les cours qu'il devait se taper cette année sur le destin dans Macbeth le faisait déjà assez chier, et que si Dieu se penchait sur son cas, il ne pouvait pas être cruel au point de le lier à Billy Hargrove dans la santé comme dans la maladie. Alors Steve devait rester concentré sur les objectifs du cours, et garder son calme.

Personne ne l'avait vu venir. Le cours s'intitulait : "Gestion : préparation à la vie courante", et le premier semestre avait principalement consisté en l'élaboration de budgets, en des cours assommants sur les dépenses de vie courante d'un foyer moyen, en un travail libre autour de son projet professionnel. Rien de palpitant en somme, mais utile pour ceux qui, à la différence de Steve, ne vivaient pas seul la plupart de l'année, ou qui, comme Steve, n'avaient jamais eu à compter l'argent. C'était un cours ouvert sur plusieurs années, relativement facile et qui présentait l'avantage d'être particulièrement bien noté. Steve avait désespérément besoin d'être bien noté.

Alors quand monsieur Hold – leur professeur de gestion – leur avait annoncé que l'année commencerait par "une mise en pratique des savoirs théoriques accumulés durant le premier semestre", personne n'avait bien compris où il voulait en venir, mais Steve s'était rappelé avec effroi de la simulation "garder un œuf en vie" de ses jeunes années d'école et avait bruyamment soupiré.

Monsieur Hold était d'âge avancé, au moins une hanche en plastique sur deux, et passait le plus clair de son temps assis derrière son bureau. Sa salle de cours était la seule à avoir conservée une légère estrade devant le tableau, et monsieur Hold en était très fier. Il avait longtemps enseigné les mathématiques mais c'était consacré pleinement à la gestion quand, selon les rumeurs, il avait radicalement refusé l'usage en cours de la calculatrice, et s'était fait remplacer par quelqu'un de plus jeune. Il était rond, dégarni, de petite stature, mais parfaitement habillé de costumes à pieds de poules et à bretelles. A l'ancienne.

Les cours de gestions, eux, étaient une entreprise relativement nouvelle, tentative du gouvernement de prévenir les désastres que peut causer la jeunesse irresponsable des années 80 lorsqu'elle se met en ménage. Le cocktail 'prof archaïque et nouveau programme' ne pouvait donner qu'un mélange savoureux. Monsieur Hold prenait sa tâche au sérieux, il semblait que le ministère de l'éducation l'avait personnellement mandaté pour une mission de premier ordre : La tenue d'un ménage n'était pas une option, mais un devoir, et les règles de la vie commune devaient être suivies de manière scrupuleuse, au risque de faire couler la Nation, détentrice des vraies valeurs – la famille et le travail – derniers remparts contre le laxisme et le communisme. Là encore, Steve n'était pas sûr de tout comprendre.

Et voilà comment il s'était retrouvé un mercredi matin à la première heure sur le point d'être faussement marié à un type de sa classe.

Explication, d'après les dires de son professeur et les bruits de couloir :

Chaque année depuis le commencement de ce cours, les élèves étaient mis en binôme fille-garçon afin d'expérimenter la vie en ménage et ses obligations. Ils devaient simuler un budget, organiser le partage des tâches de la maison, du travail, et détailler avec précision les devoirs de chacun des partenaires en vue d'un ménage stable. Le professeur s'était servi du devoir du semestre dernier concernant leur projet professionnel pour leur proposer à chacun un salaire moyen relatif à leur choix, chiffres qui, cumulés, devraient déterminer le revenu du ménage. Cet exercice se faisait sur deux (pénibles) semaines durant lesquelles les compagnons d'infortune devraient vivre en commun, une semaine chez l'un et une semaine chez l'autre. Le professeur leur avait déjà distribué un formulaire d'acceptation à remettre aux parents, mais ce formulaire était déjà accepté puisque chaque élève avait dû faire signer une charte à leurs parents dès le début de l'année scolaire, charte dans laquelle les modalités d'accueil étaient, apparemment, déjà stipulées.

Oui, mais voilà : L'école ne pouvait plus se permettre de recevoir une nouvelle plainte concernant le sexisme du devoir, dont les critères de notations étaient, de manière prévisible, complètement discutables. Pour monsieur Hold, chaque chose avait sa place. La place de la femme était au foyer, celle de l'homme, au travail. Il tentait bien de revoir ses demandes chaque année, sous la pression de ses supérieurs, par exemple les femmes avaient désormais un salaire à gérer et les hommes n'étaient plus les seuls à tenir la comptabilité - ce qui tendait à uniformiser les critères de notation - mais chaque année les mêmes problèmes d'égalité se posaient.

Les parents n'étaient pas satisfaits, les élèves n'étaient pas satisfaits : notamment les filles et les parents des jeunes filles. Si l'homme et la femme avaient les mêmes tâches, le cours était dit irréaliste et "ne préparait en rien à la vrai vie" ; et si au contraire les tâches étaient divisées de manière traditionnelle, le cours était dit arriériste et hors de son temps. Et quels que soient les critères choisis, l'égalité dans la notation poserait toujours problème et les scandales de vie à deux des adolescents viendraient parasiter le cours : Les parents n'avaient pas assez de place et il était inconvenant que de jeunes hommes et femmes dorment dans la même chambre, ou les parents n'aimaient pas le ton sur lequel le garçon parlait à leur fille, ou la mère du garçon faisait tout pour rendre la vie de sa pseudo belle fille insupportable, ou le couple factice se plaisait beaucoup trop, ou pas assez, et cætera.

Cette année, donc, en accord avec le proviseur, monsieur Hold avait décidé de régler le problème : fini les couples mixtes ! Puisque la simulation était purement fictive, peu importait que les maris et les femmes soient véritablement de sexes opposés. Ainsi, pas besoin de chambre d'ami ou de faire dormir le jeune époux sur le canapé, pas besoin de gérer les attaques concernant le sexisme, ni de justifier chaque note auprès des parents. Enfin ça, c'était sur le papier. Quand Steve vit Nancy lever la main, il sut que le projet allait poser problème.

"Oui, mademoiselle Wheeler ?

— Donc si je comprends bien, chacun aura la même tâche ?

— Plus précisément, le partage des tâches sera laissé à l'appréciation du couple. Si cela est fait de manière cohérente, cela ne posera aucun problème, et j'en tiendrait compte dans la notation.

— Mais monsieur, intervint Tommy Hagan, pourquoi ne pas laisser ceux qui sont en couple simuler un ménage avec leur petite amie ? Je ne vois pas en quoi apprendre à vivre avec un mec me sera utile.

— Il ne s'agit pas de vivre avec un autre homme, mais de vivre à deux, de penser à deux, de se projeter à deux. Nous avons déjà évoqué que les duos mixtes posaient des problèmes, notamment de logistique. En outre, il ne serait pas juste pour les autres que les véritables couples fassent face aux mêmes difficultés que ceux qui ne se connaissent pas. Même si les binômes étaient mixtes, je les tirerais au sort."

Tommy se tut, et Steve savait bien qu'il ne supporterait pas de voir son idiote de copine en couple avec un autre. Carole non plus, ne supporterait pas qu'une autre respire le même air que son idiot de copain.

"En quelques sortes, repris Nancy, nous simulerons une vie en collocation.

— Non, mademoiselle, ce n'est pas le but du cours. Les colocataires ne font pas compte commun, quoi qu'encore une fois, ce choix revienne aux deux "époux" du binôme, mais encore les colocataires ne prévoient pas leurs dépenses selon des projets communs, ni n'accordent toujours une attention particulière à la tenue de la maison. Mais je demande aussi aux binômes de se projeter dans une future vie de famille, d'estimer par exemple le nombre d'enfants souhaité, et de faire les démarches de la vie courante, que ce soit auprès d'une banque pour demander un prêt ou d'un concessionnaire pour acheter une voiture, comme si un couple les effectuait.

— L'un de nous devrait-t-il pour cela simuler l'appartenance à un autre sexe ?"

A cette nouvelle question, des murmures s'élevèrent de partout, les autres gars étaient majoritairement indignés. Steve lui-même n'avait aucune envie d'être la bonne femme d'un mec de sa classe. Il frissonna à cette idée et son regard se porta naturellement sur le pire scénario possible, c'est à dire sur Billy Hargrove, assis à l'autre bout de la classe contre le mur, et qui n'avait pas l'air ravi. Du tout. Le blond serrait son crayon si fort que Steve s'attendait à l'entendre craquer, quant à ses sourcils parfaits, ils étaient tellement froncés qu'ils auraient pu se rejoindre. Il avait dû le regarder trop longtemps car le jeune homme tourna ses yeux alarmés vers lui, et Steve se détourna aussitôt. Faites que ce ne soit pas lui.

"En quoi ce serait pertinent ? Assena Carole avec une voix hautaine.

— Et bien, répondit le professeur, l'approche du partage des tâches se ferait selon des considérations plus réalistes."

Cette fois-ci, les filles de la classe étaient majoritairement indignées.

"Silence. Ecoutez plutôt, beaucoup de filles de cette classe m'ont rendu un projet professionnel dépourvu de toute ambition de carrière. Il faudra qu'une demoiselle sur deux travaille pour que le foyer puisse vivre. Quant aux hommes qui ont choisi deux travails prenants, ils pourront choisir d'abandonner une carrière, ou de la réduire à mi-temps, ou de conserver leur avantage financier au risque d'influencer les autres aspects du ménage de manière négative. Je ne rentrerais pas dans le débat de savoir qui doit faire quoi, j'ai mes propres opinions qui, du reste, sont largement confirmés par la vie quotidienne. Mais j'apprécierais si par souci de réalisme vous décidiez d'alterner les rôles, en attribuant un rôle à dominance masculine – si vous me permettez l'expression – à l'un durant une semaine et à l'autre durant l'autre semaine, par exemple. Je ne vous demande évidemment pas de changer de sexe, mais de tenir compte d'un caractère à dominance féminine ou masculine pour que le travail puisse servir."

Tout le monde se mit à parler et le professeur distribua la liste des tâches obligatoires. Tous les élèves anticipaient sûrement autant que lui le tirage au sort qui déterminerait le nom du partenaire. Steve espérait qu'il tomberait sur quelqu'un de commode et relativement sympathique afin que le temps passe vite, mais une boule oscillait entre son ventre et sa gorge, il envisageait nerveusement le pire. Son visage était guéri mais la sensation des poings de l'autre subsistait ; il avait notamment une cicatrice dans sa chevelure qui ne partirait jamais. De plus, Steve ne voulait pas être "accouplé" – quelle horreur ! – avec un gars qui prenait plaisir à le rabaisser avec des sobriquets et qui affichait son appartenance au sexe masculin comme un exhibitionniste. Steve s'attendait presque à voir, un matin pas fait comme un autre, Billy sortir de sa voiture, complètement nu, par moins dix degrés. Steve pria tous les dieux qu'il connaissait de ne pas l'assassiner en le mettant avec ce fou-dangereux, mais quelque chose en lui savait parfaitement que le hasard allait niquer les probabilités.

Steve sentit son regard être attiré sur sa droite, et il eut le temps de voir Billy Hargrove détourner les yeux. Monsieur Hold réclama le silence.

"Avant de désigner les duos, je tiens encore à préciser que chaque année, des binômes non-mixtes doivent être désignés, du fait du nombre inégal de garçon et de filles inscrits dans ce cours. Ce sont chaque fois ceux qui présentent le moins de problèmes, qui surmontent le mieux les difficultés et qui présentent la meilleure entente. A bon entendeur, jeunes gens, ne faites pas preuve de mauvaise volonté."

Ensuite, la liste des binômes fut déroulée.

Le destin, cette chienne.