Le soir.
À peine eut-il fait un pas dans le petit café qu'il la vit, ses doigts jouant du piano sur la table dans un geste nerveux. Allons bon, pensa-t-il. Si elle se mettait à être mal à l'aise après son manège de ce matin, qu'attendait-elle donc de lui ? De son côté, il ne savait absolument pas à quoi s'attendre d'elle, mais, aurait-il tenté de l'imaginer, la voir à deux doigts de se ronger les ongles n'aurait jamais fait partie des possibilités.
Il commanda rapidement une tasse de café et une assiette avec deux morceaux de flapjack dont il raffolait tant. Pour se donner du courage.
« La réalité, c'est que nous allons vivre quelque chose ensemble. »
Cette phrase résonnait en lui comme un gros gong, produisant un écho étouffant qui alourdissait ses épaules. Il avait passé l'heure du déjeuner, qu'il avait partagée avec son père, à se la répéter en boucle, incapable de faire la conversation. Son père s'en était rendu compte, c'était certain, et il devait bien se moquer de lui. Hypnotisé par un quart de Vélane. Il était pitoyable. Son après-midi avait été encore moins productif, et il s'était promis de venir à la banque plus tôt que d'habitude le lendemain, de sorte à rattraper son retard. Au lieu de travailler, il s'était enfermé dans son bureau et avait entrepris d'en ranger les moindres recoins, dans l'espoir de calmer ses nerfs. Autant dire que cela s'était soldé par un échec.
Les mains pleines, il s'approcha de Fleur et s'assit dans la chaise libre en face d'elle. Lorsqu'il croisa son regard, son cœur tituba dans sa poitrine.
« Notre premier baiser n'aura pas lieu au Ministère de la Magie. »
Il secoua la tête. Cette femme aurait raison de lui.
― Salut, Bill.
Ah, enfin un peu de normalité. Il pouvait composer, avec ça.
― Salut, Fleur, répondit-il sans la lâcher du regard.
C'était à elle de faire le reste.
Plusieurs fois, dans l'après-midi, l'idée de ne pas venir à leur rendez-vous d'anglais lui avait titillé l'esprit, mais il n'était pas lâche. Et comme il n'était pas lâche, il n'allait pas faire comme si rien ne s'était passé au Ministère un peu plus tôt. Ce serait contre-productif et un peu offensant pour Fleur.
Cependant, il n'allait pas non plus lui faciliter la tâche. Car il n'avait vraiment aucune idée de comment se dépêtrer de cette situation incompréhensible. Il n'avait rien demandé, lui. Il était très heureux de se laisser distraire de temps à autre par ses sentiments pour Fleur et de reprendre possession de ses moyens l'instant d'après. Ça, il pouvait gérer.
Au contraire, les paroles de Fleur au niveau deux du Ministère, il ne savait pas quoi en faire.
La jeune femme sembla se rendre compte qu'il n'allait pas ajouter un mot de plus, et son somptueux visage se fendit d'un sourire amusé.
― Je t'en prie, Bill. Ne me fais pas croâre que j'ai mal lu en toi. Ce n'est pas très gracieux de ta part.
Une entrée en matière on ne peut plus directe. Très Fleur, tout ça. Envolée, l'hésitation qu'il avait pourtant observée à son arrivée.
Les oreilles en feu, le jeune Weasley baissa les yeux sous l'intensité du regard de la Française et choisit de boire une gorgée de café pour s'occuper les mains. Il poussa ensuite l'assiette de flapjacks au milieu de la table, une invitation implicite à les partager. Le café noir lui donna ce qu'il fallait de courage.
― Je ne suis pas un menteur, donc je ne te ferai rien croire de la sorte. Je crois... Je crois que tu as bien lu en moi, si j'interprète bien tes mots, ajouta-t-il avec autant d'assurance qu'il put en récolter au creux de son ventre.
Les yeux toujours baissés, il décrocha un morceau de biscuit et l'avala presque sans le mâcher. Cela ne prit qu'une seconde.
― En revanche, reprit-il sans savoir comment, je suis incapable de lire en toi, donc j'aimerais bien savoir ce que... ce que c'était, ce midi.
Il remonta enfin les yeux vers elle, et il intercepta un regard timide assorti d'un sourire timoré qui le laissèrent perplexe. Qui était cette femme, et qu'avait-elle fait à Fleur Delacour ?
― Eh bien...
Elle laissa sa phrase en suspens, cherchant ses mots, mais Bill l'interrompit. Au temps pour la laisser gérer la situation sans son aide...
― Je ne te ferai pas l'affront de te demander si tu te moquais de moi, fit-il avec un petit rire qui traduisait, malgré ce qu'exprimaient ses mots, l'incertitude qu'ils cachaient.
― Non, inutile, en effet, claqua la voix de Fleur. Je réalise par ton attitude que je n'ai peut-êutre pas été assez cleure.
Bill fit jouer ses doigts contre sa tasse de café.
― C'est-à-dire que... que ce que j'ai compris ne colle pas à la réalité que je connais, répondit Bill. Je ne suis pas de ceux qui espèrent quelque chose en retour de leurs... hum... de leurs sentiments, continua-t-il avant de se racler la gorge dans l'espoir de rassembler un aplomb dont il était dépourvu. Je suis moi, ce qui se passe à l'intérieur de moi m'appartient, et je ne m'attends à rien. Le contraire est impensable, et je n'ai pas pour habitude d'attendre que l'impensable devienne réalité.
― L'impensable, répéta Fleur en riant d'une manière des plus distinguées. C'est n'importe quoi, excuse-moi !
Son éclat de rire, aussi élégant que sincère, trouva écho sur les lèvres de Bill, qui fit fi de l'éclair d'agacement qu'il vit traverser le visage de sa collègue. Amusé, et oubliant à moitié qu'il venait tout bonnement de lui avouer ses sentiments pour la deuxième fois en quelques minutes, comme une chose tout à fait naturelle, il répondit :
― Alors explique-moi, parce que, vraiment, je ne vois pas en quoi c'est n'importe quoi.
Il l'entendit soupirer plus qu'il ne la vit.
― Je suis comme tout le monde, Bill, rétorqua-t-elle. Moi aussi, j'ai le droit de tomber amoureuse d'un homme sans que ce soit considéré comme un fait euxtraordineure, non ?
― Ce n'est pas ce que je...
― Si, c'est ce que tu voulais dire, le coupa-t-elle. Mon héritage ne me rend pas moins humeune. Il ne m'a pas empêchée de vivre normalement, d'avoir une enfance, d'avoir des amis, d'aller à l'école, et maintenant, d'avoir un travail, comme tout le monde.
Bill aurait voulu insister, lui dire qu'il ne pensait pas qu'elle était à part, qu'il ne l'avait pas mise sur une sorte de piédestal parce qu'elle était différente, mais il ne pouvait pas. Le fait est qu'il l'avait mise sur un piédestal presque depuis le début. Depuis le moment où il s'était rendu compte qu'en plus d'être magnifique, elle était intelligente et dotée d'un sens de l'humour qu'il appréciait particulièrement.
Devant l'agacement évident de la jeune femme, il préféra couper court à ce sujet. Cela semblait lui tenir à cœur, et peut-être en reparleraient-ils une autre fois, mais il avait des questions plus urgentes.
― Passons donc sur le fait que j'ai, d'après toi, une estime de toi bien trop haute, fit-il en s'empourprant. Mais qu'est-ce que... qu'est-ce que je suis censé comprendre du reste ?
Il fut rassuré de voir que les traits tendus de Fleur se dissolvaient, laissant place à un sourire d'une douceur infinie.
― Tu es censé comprendre qu'il y a réciprocité sur tes sentiments. Je te croyais plus cleurvoyant que cela.
Sur ces mots, elle prit un morceau de flapjack, le brisa en deux et lui en tendit un bout au moment où elle engloutissait l'autre, l'œil espiègle. Abasourdi, Bill réceptionna le biscuit comme il le put sans en mettre partout sur la table.
― Et si, par la mêume occasion, continua-t-elle en se réjouissant visiblement de la situation, tu pouvais te rendre compte que je me suis sentie attirée par toi dès le moment où je t'ai vu, en juin deurnier, à Poudlard, que si j'adore aller au travail, ce n'est pas pour les Gobelins, et que quand je parle de sentiments, c'est un peu plus que cela, ce serait meurveuilleux.
Le visage entier dévoré par les flammes, Bill déglutit lentement puis s'éclaircit la voix.
― Eh bien... Ton anglais s'est nettement amélioré, lâcha-t-il avec un léger sourire moqueur.
― Quel goujat ! lâcha-t-elle dans sa langue maternelle sans pour autant retenir son rire.
De nouveau, le jeune Weasley tenta de reprendre contenance en débarrassant sa gorge des nœuds qui y avaient élu domicile. Il comprenait la situation, mais il avait toujours du mal à la saisir. Elle lui échappait encore un peu. Que Fleur puisse...
― Je... Je ne te cache pas que c'est un peu pareil pour moi, admit-il avant d'avaler une gorgée de son café froid. Les sentiments... C'est un mot un peu faible, non ?
― En effet, acquiesça-t-elle ― et Bill aperçut de minuscules particules roses sur ses joues. Je peux ? lui demanda-t-elle en lui désignant le dernier morceau de biscuit qui restait dans l'assiette entre eux.
― Bien sûr.
― Ah, et au feut ! s'exclama-t-elle à sa manière éternellement raffinée. J'ai eu le temps d'aller cheurcher un petit queulque chose pour ton anniveurseure.
Elle se retourna à moitié pour récupérer un paquet dans son sac, puis changea gracieusement de chaise pour s'approcher du jeune homme et lui tendre l'objet, le sourire aux lèvres. Bill ne sut pas si c'était son sourire ou la soudaine proximité, mais il ne résista pas à l'envie subite de l'embrasser. En un éclair, il avait réduit la distance. Lorsqu'il sentit les douces mains de Fleur lui encadrer le visage, il expira et se sépara d'elle de quelques centimètres, de manière à croiser son regard.
― Nous ne sommes pas au Ministère, donc... J'espère que ça te conviendra, souffla-t-il.
― C'est parfait, murmura-t-elle en déposant son front contre le sien. Eust-ce que tu veux ton cadeau ?
Hypnotisé par ses yeux brillants, il ne put se résoudre à reculer.
― Encore une seconde.
Ce matin encore, il était Bill Weasley. Ce soir, alors qu'il rentrait chez lui après les festivités que sa mère avait organisées pour lui au Quartier général, il était Bill Weasley avec le plus doux des secrets. Viendrait un jour où il le partagerait, mais pour l'instant, il voulait conserver cette partition de sa vie à l'abri des autres, lui offrant une échappatoire au monde monstrueux contre lequel ils allaient tous se battre. Pour l'instant, c'était son petit coin de paradis. Fleur Delacour.
Note
Autant vous dire que ce n'était pas prévu et que j'ai laissé faire Bill et Fleur sans supervision (et je les trouve un peu trop intenses et guimauves, mais qu'est-ce que j'y peux ?). Je fais quand même une spéciale dédicace à LittlePlume (qui avait réclamé cette deuxième partie) et à Marie Lapiz (juste parce que).
À bientôt !
-DNP
