Chapitre 35
Alors que le soleil allait franchir la crête de la montagne et répandre l'aurore dans la vallée où dormaient les Enfants Élus, Meiko fixait son symbole. Elle n'avait pas beaucoup dormi cette nuit-là, trop troublée par ce nouvel objet. Elle avait toujours pensé que si amis avaient reçu un symbole et pas elle, c'était qu'elle n'était pas destinée à en posséder un. Pourtant, le symbole de la justice avait réagi à l'approche de son propre digivice. La justice … maintenant que Meicoomon était morte, ce symbole lui apparaissait comme une ironie du sort. Il était arrivé trop tard, quand justice ne pouvait plus être rendue. Du moins, pas aux yeux de Meiko. Meicoomon était morte, et c'était la plus grande injustice. Mais peut-être était-il encore temps de sauver le monde digital en vainquant Yggdrasil. Elle voulait croire que c'était pour cette raison qu'elle avait reçu un symbole, même si elle ne voyait pas absolument comment elle pourrait l'utiliser.
À quelques mètres d'elle, Hikari s'agitait dans son sommeil. De nouveau, elle rêvait de ce monde éclatant de lumière, ce monde rempli de données flottantes dans lequel elle était déjà venue. Aucun son ne traversait l'atmosphère, pas même celui de ses pas. Elle ne sentait pas le poids de son corps et les cubes colorés de données lévitaient autour d'elle comme si la gravité n'existait pas dans ce monde étrange. Elle tendit une main devant elle et toucha l'un des cubes. Il s'illumina et un souvenir s'imposa à Hikari : elle Meiko et Meicoomon en train de prendre un bain dans une maison de campagne. Ce devait être la maison de Meiko à Tottori ; c'était donc un souvenir de Meiko. Curieusement, le souvenir n'était pas très net, comme si un filtre avait été posé sur l'image. Elle toucha un second cube, et un autre souvenir traversa son esprit, beaucoup plus précis : elle était un digimon insecte puissant, elle serrait dans ses bras Meicrackmon, la forme digivolvée de Meicoomon, pour éviter qu'elle ne se déchaîne … c'était un souvenir de Méga Kabuterimon. Les deux cubes unirent alors leurs données, et un digimon transparent apparut.
– Meicoomon ! s'écria Hikari.
L'image clignota et le digimon agita la patte. Meicoomon semblait vouloir lui dire quelque chose. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit et son image clignota à nouveau. Soudain, l'apparition explosa en milliers de pixels. Au même moment, Hikari se réveilla en sursaut.
Elle s'assit et passa une main sur son front, encore hantée par son rêve. Elle releva la tête : le feu s'était éteint et les braises froides avaient noirci. Tout le monde dormait encore, sauf Meiko, qu'elle remarqua adossée contre un rocher au bord de la rivière. Hikari se leva et s'approcha d'elle :
– Bonjour, Meiko.
La jeune fille tourna la tête, surprise :
– Hikari ? Tu te réveilles tôt. Est-ce que ça va ? Tu as l'air troublée.
– Je … je viens de faire un rêve étrange. C'était un rêve très semblable à celui que j'avais fait quand nous étions restées bloquées dans cette grotte, après notre première bataille contre les Sept Seigneurs démoniaques.
– Celui où tu as vu Meicoomon et Wizardmon ?
– Oui. Tu te rappelles que nous voulions en parler à Koushiro ? Cependant, avec tout ce qui nous est arrivé depuis que nous sommes revenus dans le monde digital, ça m'était sorti de la tête.
– Oui, moi aussi.
– Ton symbole m'a fait me souvenir de ce rêve. Et, étrangement, cette nuit, j'en ai fait un autre.
– Est-ce que tu as vu Mei, cette fois ? demanda Meiko.
– Oui, mais son image ne s'est pas stabilisée suffisamment longtemps pour qu'elle me parle. Comme si … comme si les souvenirs qui avaient permis qu'elle renaisse dans mon rêve étaient moins intenses que la dernière fois. Meiko, est-ce que tu aurais cherché à oublier Meicoomon ?
– L'oublier ? Jamais ! Enfin … je reconnais que ces jours-ci, j'ai évité de remuer trop de souvenirs en moi. Je l'ai fait seulement dans le but de moins souffrir, j' t'assure …
– Tu dois continuer à te rappeler d'elle. Sinon, elle pourrait disparaître du monde dont je rêve. Je le sens.
Meiko dévisagea Hikari. Parfois, comme en cet instant, le regard de son amie était habité par une gravité si intense qu'elle en était presque effrayante. Meiko hocha lentement la tête :
– D'accord. Tu crois … que l'on devrait en parler à Koushiro, cette fois-ci ?
– Oui, mais pas seulement. Nous devons en parler à tout le monde.
Meiko acquiesça. Les deux jeunes filles attendirent que leurs amis se réveillent. Puis, pendant le petit-déjeuner, Hikari raconta son rêve aux autres Enfants Élus. Finalement, Koushiro lui demanda :
– Pourquoi penses-tu que cela a lien avec l'apparition du symbole de Meiko ?
– Parce que je n'avais pas refait ce rêve depuis longtemps, et juste quand Meiko trouve le symbole de la justice, Meicoomon renaît dans mes rêves. C'est une coïncidence plutôt étrange, vous ne trouvez pas ?
– C'est vrai, acquiesça Takeru, et ce n'est pas la première fois que tu rêves de ce monde. Koushiro, est-ce que tu crois que cet endroit où Hikari se rend endormie pourrait exister dans le monde digital ?
– C'est difficile à dire, car aucun d'entre nous ne peut entrer dans la tête d'Hikari, et personne d'autre n'a visité ce monde en songe.
– Cela pourrait être un simple rêve, dit Yamato.
– Oui, approuva Joe. La mort de Meicoomon a été une terrible perte pour nous tous, et en cas de choc, les individus font souvent des rêves qui ont un effet de catharsis.
– Non, je suis sûre qu'il y a plus que ça, dit Hikari en secouant la tête.
– Dans ce cas, quelle serait la nature de ce monde, s'il existait vraiment ? demanda Sora.
– Oui, à quoi servirait-il ? renchérit Mimi.
Hikari porta une main à son menton, pensive.
– Là-bas, dit-elle, je n'ai vu que des digimons qui sont morts dans le monde réel : Wizardmon et Meicoomon. Wizardmon a affirmé que les souvenirs que nous gardons d'eux leur permettent de réapparaître temporairement dans ce monde. Mais ce n'est qu'une image : ils ne reviennent vraiment pas à la vie.
– Je suis persuadée que ces rêves ne sont pas le fait du hasard, intervint alors Meiko.
– Ce serait plus facile si tu pouvais emmener quelqu'un avec toi dans ton rêve, dit Mimi.
– Mais c'est bien là le problème … je ne sais pas comment vous faire voir ce monde. Pourtant, je suis sûre qu'il existe hors de ma tête.
Tous baissèrent les yeux, perplexes. Sans preuve, il leur était difficile de croire qu'Hikari pouvait réellement se rendre dans une autre dimension. Taichi fixa sa sœur : après tout, elle était capable de se transporter dans l'Océan des Ténèbres. Cependant, si le monde dont elle leur parlait existait vraiment, pourquoi s'y rendait-elle en rêvant ? Que signifiait l'apparition de Meicoomon et Wizardmon ? Il leur manquait encore des clés pour déchiffrer cette impasse.
Les Enfants Élus décidèrent de reprendre leur route et marchèrent toute la journée sans faire de mauvaises rencontres. Ils étaient également toujours sans nouvelles des Bêtes Sacrées. Cela inquiétait M. Nishijima : il avait essayé d'invoquer Baihumon par la pensée, mais aucune présence ne lui avait répondu, aucune chaleur n'avait rassuré son cœur. La dernière fois que cela s'était produit, Baihumon avait été blessé en essayant de défendre le village des bébés digimons. M. Nishijima espérait que ce ne soit pas à nouveau le cas. Il devait s'arranger le soir même pour écrire au directeur de l'Agence afin de le mettre au courant des derniers évènements qu'ils avaient vécu. Curieusement, depuis deux jours, le directeur ne répondait plus à ses mails. Le professeur se demandait même s'il les recevait. Il releva la tête et regarda les Enfants Élus qui marchaient devant lui.
Le rêve qu'Hikari leur avait raconté l'intriguait. Ce matin-là, lorsque la jeune fille leur avait décrit en détail le monde dans lequel elle se transportait, quelque chose avait interpellé le professeur. Ce monde rempli de données, il était certain d'y être déjà allé. La première fois qu'il avait vu Hackmon dans le bureau d'Hime, à l'Agence, une voix avait résonné dans sa tête à la fin de leur entrevue. Un monde immaculé, rempli de données colorées s'était imposé à sa vue en se superposant au monde réel. Oui, il était sûr d'être déjà entré dans cet univers par la pensée, de la même manière qu'Hikari y pénétrait en rêvant. Était-ce un monde purement spirituel, dans lequel les corps physiques ne pouvaient se transporter ? Et la voix qui s'était adressé à lui dans cet univers, à qui appartenait-elle ? À Homeostasis ? À un autre digimon puissant ?
M. Nishijima releva de nouveau la tête vers les Enfants Élus. Koushiro avançait près de Sakae. Depuis qu'ils étaient ressortis de la montagne, ces deux-là étaient presque toujours ensemble. Pourquoi ? Le professeur pouvait se figurer une histoire de cœur, mais il avait la sensation qu'il y avait plus que cela. Koushiro, d'un naturel réfléchi, semblait plus grave que d'habitude et Sakae, au contraire assez extravertie, paraissait plus renfermée depuis la veille. M. Nishijima passa une main sur son menton : décidément, cette jeune fille lui rappelait quelqu'un. Mais il ne parvenait pas à savoir qui.
Tout à coup, Meiko s'arrêta et fixa des buissons.
– Vous entendez ?
– Quoi donc ? demanda Takeru en se rapprochant d'elle.
– Là, dans les buissons … quelque chose a bougé.
Takeru fronça les sourcils et s'approcha de l'arbuste que désignait Meiko. Il écarta les branchages et un digimon rouge en jaillit soudain, pour rebondir à quelques mètres d'eux. Il ressemblait à un lapin dodu au corps vermillon zébré de violet. Les longues plumes bicolores de sa queue étaient déployées à la manière d'un paon. Il portait sur son dos deux bébés digimons : un Poyomon et un Botamon.
– Elecmon ! s'exclama Patamon.
Tous avaient reconnu le gardien de la maternité digimon. Takeru se rappela que Patamon s'était demandé ce qui avait pu lui arriver quand ils avaient découvert le village incendié. Apparemment, il avait pu s'échapper. Elecmon dévisagea les Enfants Élus et une expression d'espoir illumina son visage.
– Vous êtes revenus dans le monde digital … alors les digimons peuvent encore être sauvés …
– Elecmon ! s'exclama Hikari. Tu es vivant, quel soulagement !
– Nous avons cru que les Seigneurs démoniaques t'avaient désintégré, dit Takeru.
– C'est ce qui a failli se passer, déclara le petit digimon.
– Comment en as-tu réchappé ? lui demanda Taichi.
Elecmon baissa le regard et ses yeux se remplirent de tristesse.
– Quand les Seigneurs démoniaques ont attaqué la maternité, je n'ai rien pu faire. Ils ont tout détruit, tout brûlé … je me suis battu de toutes mes forces pour essayer de protéger les digi-œufs et les bébés. Je n'ai pu en sauver que deux grâce à l'intervention de Baihumon … celui-ci nous a mis en sécurité et a lutté contre Lucemon et Barbamon. Quand je suis revenu sur les lieux, après la bataille, il ne restait rien du village des bébés digimons. J'avais failli à mon devoir. Il ne me restait que deux petits à élever et à préserver du mal. Le lendemain, Azulongmon est apparu.
– C'est le jour où nous l'avons libéré, se rappela Mimi.
– Il nous a dit que des Seigneurs démoniaques rodaient toujours sur l'île des Fichiers Binaires et qu'ils m'empêcheraient de reconstruire la maternité digimon pour le moment. Il voulait nous mettre en sécurité, les bébés et moi, en nous emmenant sur le continent WWW. Il nous a déposés dans cette grande forêt en nous recommandant de nous y cacher. Maintenant que je vous vois, je sais qu'il reste une chance au monde digital. Si vous nous ramenez la paix, la maternité pourra être reconstruite. Tant que les Seigneurs démoniaques seront libres, ils feront en sorte qu'aucun digimon ne puisse renaître.
– Yggdrasil ne veut pas de nouvel opposant, comprit Yamato.
– Et ce n'est pas prêt de s'arranger, maintenant que les Seigneurs démoniaques sont tous sortis de l'Océan des Ténèbres, dit Mimi.
– Je sais, acquiesça Elecmon. Je les ai vus ce matin.
– Tu as vu les démons d'Yggdrasil ce matin ? répéta Sora. Les Bêtes Sacrées les ont affrontés hier, et depuis nous ignorons où ils sont allés.
– Aujourd'hui, ils parcouraient cette forêt. Je les entendu parler d'un objet qu'Yggdrasil les a envoyé chercher.
– Un objet ? répéta Taichi, intrigué. Quel objet ?
– Ils ne l'ont pas précisé. Je me demande même s'ils le savaient. Ils étaient accompagnés par une humaine.
– Une humaine ? tressaillit M. Nishijima.
– Oui, d'à peu près de ton âge, humain.
– C'est Hime, dit le professeur, certain.
– Que fait-elle avec les Seigneurs démoniaques ? s'interrogea Yamato. On ne l'a pas vue quand ils nous ont attaqués.
– Peut-être qu'elle se tenait en retrait, émit Sakae.
– Ou peut-être qu'elle les a rejoint après la bataille, dit Meiko.
– Est-ce qu'elle les aide à trouver cet objet ? demanda Taichi.
– C'est possible, acquiesça M. Nishijima. Mais de quoi peut-il s'agir ?
– Je ne sais pas, dit Joe, mais je n'aime pas ça. Mlle Himekawa ne nous a causé que des problèmes jusqu'à présent. D'autant qu'Yggdrasil devient de plus en plus puissant depuis qu'il a absorbé la spore noire de Gennai.
– Gennai ? répéta Elecmon.
– Il a été désintégré par Yggdrasil, expliqua Takeru sombrement. N'y a-t-il aucun moyen de le ramener à la vie ? Son aide pourrait nous être précieuse.
– Hélas, Gennai n'est pas différent des autres digimons. Tant qu'il n'y aura pas de maternité, il sera impossible de le ressusciter.
– Nous sommes en route pour libérer la dernière Bête Sacrée, dit Hikari. Quand celles-ci seront quatre, nous espérons qu'elles pourront venir à bout des Seigneurs démoniaques.
– Je l'espère aussi.
– Néanmoins, nous savons maintenant qu'Yggdrasil a ordonné à ses démons de trouver quelque chose dans le monde digital, souligna Koushiro. Qu'est-ce que cela peut bien être ?
– C'est une bonne question, dit Sakae.
– Et que devons-nous faire en premier ? ajouta Sora. Les empêcher de trouver cet objet ou libérer Xuanwumon ?
Taichi baissa la tête, pensif. Puis, il releva la tête vers M. Nishijima. En un seul regard, ils savaient qu'ils étaient d'accord.
– On va libérer Xuanwumon, déclara-t-il. Si nous sommes assez rapides et que nous avons un peu de chance, nous aurons quatre Bêtes Sacrées à opposer aux démons avant qu'ils ne trouvent l'objet qu'ils cherchent, quel qu'il soit.
Tous acquiescèrent. Elecmon préféra retourner se cacher dans la forêt pour prendre soin des deux bébés qu'il lui restait. Les Enfants Élus se remirent en marche. Le jour baissa peu à peu. Le bois se clairsema et ils débouchèrent alors sur un immense lac, plus vaste encore que celui de l'île des Fichiers Binaires. Ils décidèrent de s'installer sur ses rives pour passer la nuit.
Alors que tous les Enfants Élus s'étendaient à même le sol pour prendre du repos, Joe et Koushiro prirent le premier tour de garde à deux, afin d'éviter de somnoler. Joe fixait le lac, tandis que Koushiro surveillait la forêt. Soudain, ce dernier vit une lumière derrière le foyer central autour duquel ses amis dormaient. Il s'inclina et vit M. Nishijima penché sur un petit appareil électronique dont l'écran illuminait son visage. Il cliquait sur un petit clavier relié à cet appareil. Koushiro comprit qu'il devait être en train de rédiger un message. À qui pouvait-il bien écrire ? Toute la discussion que le jeune homme avait eue avec Sakae dans la grotte refit surface dans son esprit. M. Nishijima travaillait pour l'Agence dans laquelle avaient été employés son père et celui de la jeune fille. Leur cachait-il des informations ? Savait-il quelque chose à propos de celui qui avait ouvert le portail qui leur avait permis de passer de l'île des Fichiers Binaires au continent WWW ? Le doute s'insinua dans l'esprit de Koushiro. Il tira la manche de Joe :
– Qu'est-ce qu'il y a ? demanda celui-ci en se retournant.
– Regarde, dit Koushiro à voix basse. M. Nishijima est en train d'écrire à quelqu'un.
– À qui ?
– Je me le demande bien … pourquoi ne nous-a-t-il jamais montré cet appareil électronique ?
– Je ne sais pas … c'est peut-être l'Agence où il travaille qui le lui a donné.
– Et alors ? L'Agence a un lien avec le monde digital, donc il aurait dû nous mettre au courant.
– Il n'en a peut-être pas le droit ?
– Hum … c'est bizarre, tout de même, fit Koushiro, sceptique.
– Qu'est-ce que tu comptes faire ?
– Tirer ça au clair.
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Le lendemain, les Enfants Élus se levèrent avec l'aurore. Ils reprirent leur route et ne s'arrêtèrent que lorsqu'ils eurent faim. Il leur restait quelques provisions de la veille qu'ils se partagèrent frugalement. Sakae avait remarqué que Koushiro n'avait pas lâché des yeux M. Nishijima de toute la matinée. Que lui prenait-il ? Joe observait lui aussi du coin de l'œil son ami, en se demandant quand il agirait. Alors qu'ils finissaient leur repas, Koushiro posa lentement sa bouteille d'eau et se tourna vers M. Nishijima :
– Professeur, puis-je vous poser une question ? dit-il d'un ton sec.
– Euh … oui, vas-y, répondit M. Nishijima, un peu surpris.
– À qui écriviez-vous secrètement la nuit dernière ?
Un froid glacial tomba sur le groupe. M. Nishijima déglutit mais demeura impassible. Tous les regards avaient subitement convergé vers lui.
– Professeur, de quoi parle Koushiro ? lui demanda Taichi.
– Vous écrivez à quelqu'un à notre insu ? dit Yamato sourdement.
– Je communique avec l'Agence Administrative Établie afin de l'informer de notre progression. Je ne le fais que dans votre intérêt, l'Agence veille avant tout à votre protection.
– Pourquoi ne pas nous l'avoir dit plus tôt ? demanda Joe.
– On me l'avait interdit.
– Que fait exactement cette Agence pour nous en ce moment ? l'interrogea alors Sora.
– Je l'ignore. Je sais seulement que grâce aux messages que je lui envoie elle peut approfondir sa connaissance du monde digital.
– Vous êtes en contact avec mon père ? demanda Meiko.
– Plutôt … avec son directeur.
– Cette personne avec laquelle vous correspondez peut-elle agir sur le monde digital ? demanda Koushiro.
– Pourquoi me demandes-tu cela ?
– Le programme qui a créé le portail qui reliait l'île des Fichiers Binaires au continent WWW a été lancé depuis la Terre, plus exactement depuis quelqu'un de votre agence. Quelqu'un qui n'existe pas sur les registres d'état-civil.
M. Nishijima pâlit. Autour de lui, les adolescents avaient ouvert des yeux ronds de surprise. Le professeur balbutia :
– Je … je ne sais rien sur cet homme. Je travaille pour lui, c'est tout.
– Ah oui, vous ne savez vraiment rien ? s'exclama Koushiro dont la voix monta d'un cran. Ni qui il est, ni qui il a remplacé au sein de l'Agence il y a quinze ans ?
– Je n'étais qu'un enfant il y a quinze ans ! Comment veux-tu que je sache cela ?
– Comment pouvez-vous n'être au courant de rien ? cria presque le jeune homme.
– Eh, Koushiro ! tenta de le calmer Taichi. Pourquoi tu t'énerves comme ça ? Qu'est-ce qui t'arrive ?
Le jeune informaticien fixait le professeur, en le fusillant presque du regard. M. Nishijima le dévisageait, effrayé, sans vraiment comprendre.
– Je t'assure que je n'en sais pas plus, Koushiro, dit-il sur un ton d'excuse.
Au même instant, une immense distorsion numérique s'ouvrit sous les pieds des Enfants Élus et les aspira : ils tombèrent dans un gouffre obscur sans fond et perdirent connaissance.
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Quand Taichi reprit connaissance, sa vue était encore trouble et ses membres engourdis. Il serra les paupières, puis rouvrit les yeux et se redressa : il était assis sur un canapé de cuir noir, dans une grande pièce aux murs dénudés qui ressemblait à une salle d'attente ou de réunion. À ses côtés, Yamato et Sora étaient assis sur le même sofa que lui, encore inconscients. Trois autres canapés formaient un carré autour du leur : sur l'un, Koushiro, Sakae et Meiko avaient été assis, endormis sur un autre étaient étendus Hikari et Takeru sur le dernier se trouvaient M. Nishijima, Joe et Mimi. Derrière ces sofas, Taichi devina une immense couverture au sol sur laquelle avaient été déposés leurs digimons. Où étaient-ils ? Taichi secoua Yamato par le bras. Le jeune homme se réveilla lentement et marmonna :
– Taichi ? Où sommes-nous ?
– C'est une bonne question. J'ai l'impression que nous sommes revenus sur Terre …
En entendant leur voix, leurs amis reprirent peu à peu connaissance. Tout comme Taichi et Yamato, ils observèrent la salle dans laquelle ils avaient atterri.
– Comment cette distorsion qui nous a avalés a-t-elle pu se former ? souffla Meiko. Je croyais que seule Meicoomon était capable d'en créer …
À cet instant, M. Nishijima se réveilla lui aussi. Il se redressa sur son siège et balaya la salle du regard.
– Je me demande comment nous nous sommes retrouvés ici, grommela Joe.
– Nous sommes revenus sur Terre, dit M. Nishijima. Nous nous trouvons dans les locaux de l'Agence Administrative.
– Hein ? s'exclamèrent les Enfants Élus.
– C'est vous qui nous avez transportés ici ? demanda Koushiro.
– Bien-sûr que non ! J'ignore qui nous a ramenés sur Terre et pourquoi l'Agence vous a tous emmenés dans son bâtiment …
La porte de la salle dans laquelle ils se trouvaient s'ouvrit à cet instant. Un homme en costume âgé de quarante-cinq ans environ, aux cheveux gris et portant des lunettes entra dans la pièce. Les yeux de Meiko s'écarquillèrent :
– Papa !
– Je vois que vous êtes tous réveillés, dit M. Mochizuki. Désolé pour cette arrivée un peu brusque à l'Agence, mais nous n'avions pas d'autres moyens de vous ramener du monde digital.
– Attendez … c'est vous qui nous avez ramenés sur Terre ? s'exclama Mimi.
– Oui, en effet. Agent Nishijima, merci de vos renseignements, et veuillez accepter mes excuses pour ne pas avoir répondu à vos derniers messages. Veuillez aussi nous excuser, le directeur et moi, du peu d'informations que nous vous avons données sur l'utilisation de ces renseignements. Vous allez tous en savoir davantage dans peu de temps.
Tous les Enfants Élus tournèrent la tête vers M. Nishijima : ainsi, il avait dit la vérité. Il ne savait vraiment pas à quoi servaient les rapports qu'il transmettait à l'Agence.
– Nous vous avons fait revenir sur Terre car nous devions vous parler de manière urgente, poursuivit M. Mochizuki.
– C'est qui, ce « nous » ? demanda Yamato, suspicieux.
– Le directeur de l'Agence et moi-même. Vous devez cependant savoir que la plupart des membres du bureau ignorent l'existence du directeur. Je vous demanderai donc de garder ce secret pour vous.
Le cœur de Koushiro s'accéléra. Il se leva et demanda :
– C'est lui qui a créé ce portail entre l'île des Fichiers Binaires et le continent WWW ?
M. Mochizuki dévisagea intensément le jeune homme, sourcils froncés.
– Tu es Koushiro Izumi, n'est-ce pas ?
– Oui.
– Suivez-moi tous, dit M. Mochizuki sans répondre à la question du jeune homme.
– Et nos digimons ? s'inquiéta Hikari.
– Vous pouvez les laisser ici, ils sont en sécurité.
– Pas question ! rétorqua Takeru qui n'avait pas confiance.
– Je vais les mettre dans mon ordinateur, déclara Koushiro en sortant son portable.
Dès que les digimons furent à l'abri dans la salle virtuelle que Koushiro avait créée pour eux, tous suivirent M. Mochizuki. Ils se dirigèrent jusqu'à un grand ascenseur où ils purent tous entrer. Le père de Meiko sortit alors son badge et le passa près des boutons des étages : un bip sonore retentit, et la grille qui servait aux appels d'urgence coulissa. Ébahis, les Enfants Élus virent un bouton caché apparaître : sous-sol -4. M. Mochizuki l'enclencha. L'ascenseur se mit en branle et descendit dans les profondeurs de l'Agence. Koushiro fronça les sourcils : ils se rendaient dans le sous-sol secret depuis lequel l'homme mystérieux avait lancé le portail dans le digimonde. Ce sous-sol qui n'apparaissait pas sur les plans de l'Agence. Ce qui signifiait … que l'homme qui avait remplacé son père et celui de Sakae quinze ans auparavant était désormais directeur de l'Agence. Les avait-il tués pour accéder à ce poste ? Le cœur de l'adolescent battait sourdement. Quand l'ascenseur s'ouvrit, ils sortirent dans un couloir sombre éclairé de petites LED. Ils avancèrent jusqu'à la porte du fond.
– Attendez-moi un instant ici, dit M. Mochizuki.
Il tapa un code sur un boîtier relié à la porte et entra. Les Enfants Élus demeurèrent à l'extérieur, en silence.
– Vous êtes déjà venu ici ? souffla Taichi à M. Nishijima.
– Une fois seulement.
De l'autre côté de la porte, M. Mochizuki parlait au directeur de l'Agence.
– Ils sont tous là. Tu es sûr de vouloir le faire ?
– Oui.
– Elle va te reconnaître.
– Je sais. Je suis prêt.
– Alors, je les fais entrer.
M. Mochizuki ressortit et invita tous les Enfants Élus à pénétrer dans le bureau. À l'intérieur, il faisait sombre. Seule la lumière bleutée des écrans d'ordinateur et une lampe de lecture diffusaient une faible clarté. Un homme se trouvait devant ces appareils électroniques, en contre-jour. Les yeux des adolescents mirent quelques minutes à s'accoutumer à l'obscurité. Bientôt, ils distinguèrent plus nettement les contrastes et virent distinctement les traits de l'homme qui leur faisait face.
Il paraissait avoir environ le même âge que M. Mochizuki et était vêtu comme lui d'un costume. Des mèches poivre et sel striaient sa chevelure châtain. Il avait le nez droit, une bouche fine, la mâchoire plus allongée que celle du père de Meiko de longues cicatrices courraient le long de son cou. Ses pupilles avaient la couleur de l'océan du large. M. Nishijima tressaillit : il réalisa soudain à qui lui faisait penser le directeur de l'Agence Établie. Médusé, il tourna la tête vers Sakae.
La jeune fille fixait l'homme qui leur faisait face, pétrifiée. Ce visage, cette couleur de cheveux, ces yeux … non, c'était impossible. La seule photo qu'elle ait vue de son père, celle qui se trouvait sur sa tombe, traversa sa mémoire comme un flash. L'homme avait vieilli, des rides et des cicatrices marquaient on visage et son cou, mais le regard … c'était exactement le même. Koushiro, abasourdi, dévisageait lui aussi l'inconnu : il s'était immédiatement rendu compte de la ressemblance entre Sakae et le directeur. Ce mystérieux directeur qui avait lancé le programme du portail, qui les avait ramenés dans le monde réel, qui avait remplacé son père et celui de Sakae quinze ans auparavant, cet homme qu'il avait suspecté d'avoir commandité l'assassinat de leurs parents, c'était …
… c'était le père de Sakae.
Les autres Enfants Élus sentirent rapidement qu'il se passait quelque chose de bizarre. Tous virent que Sakae et Koushiro avaient pâli en voyant le directeur de l'Agence ils semblaient interdits, sous le choc. Tremblante, Sakae balbutia :
– Vous êtes … tu es …
– Bonjour, Sakae, murmura l'homme d'une voix rauque. Bonjour, Koushiro, dit-il en se tournant vers le jeune homme.
Il hésita un instant, sa mâchoire se contracta. Puis, il baissa les yeux et murmura :
– Pardonnez-moi.
Une larme coula le long de la joue de Sakae.
– Mais enfin, qu'est-ce qu'il se passe ? s'exclama Joe.
– Cet homme, murmura Koushiro, le souffle court, c'est … c'est le père de Sakae.
Les adolescents ouvrirent des yeux ronds, stupéfiés. Meiko dévisagea sa sœur, sous le coup de l'émotion. Sakae semblait paralysée, incapable de prononcer un mot. Elle chancelait, elle bouillonnait, elle ne savait plus où elle en était. C'était impossible, impossible ... Elle planta son regard dans celui du directeur de l'Agence et articula faiblement :
– Pourquoi ?
Elle ferma les yeux, serra les poings, tandis que les larmes inondaient ses joues. Elle releva la tête brusquement et hurla :
– POURQUOI ?
Elle se tourna alors vers M. Mochizuki et lui lança un regard assassin. Pourquoi ne lui avait-il jamais dit la vérité ? Comment avait-il pu lui faire croire que son père était mort pendant tant d'années ? Comment avait-il pu lui mentir ? M. Mochizuki baissa les yeux, sentant la culpabilité grandir dans son cœur.
– Sakae, lui dit son véritable père en lui tendant la main. Laisse-moi te parler … je voudrais tout t'expliquer …
– Non ! le repoussa-t-elle.
Elle recula, secoua la tête et se précipita vers la porte. Elle l'ouvrit à la volée et courut dans le couloir. Cependant, quand elle arriva à l'ascenseur, elle se rendit compte qu'elle avait besoin du badge de M. Mochizuki pour remonter. Elle se retourna et cria :
– Laissez-moi sortir d'ici !
M. Mochizuki sortit du bureau et appela l'ascenseur. Dès qu'il arriva, Sakae monta à l'intérieur, enclencha un bouton et disparut avant que son père ou ses amis ne puisse la retenir. Les Enfants Élus fixèrent la porte de l'ascenseur, sidérés. Le père de Sakae, dévasté, se tourna vers les adolescents et M. Nishijima :
– Je suis profondément désolé. Je savais que cela devait se produire. Néanmoins, je dois toujours vous parler. Mais je veux que vous puissiez tous m'écouter, Sakae comprise. J'attendrai le temps qu'il faudra, mais je veux qu'elle soit là quand je vous parlerai. Si vous le souhaitez, vous pouvez remonter dans la pièce où vous vous êtes réveillés et l'utiliser comme vôtre. Vous pouvez demander à manger et sortir dans le patio de l'Agence. Mais mes agents ont ordre de vous garder à l'intérieur de ce bâtiment. Sachez que M. Mochizuki et moi-même ne voulons que vous aider. Cependant, vous ne devez parler à personne de ce sous-sol.
Perplexes, les Enfants Élus acquiescèrent.
– Je vais vous raccompagner jusqu'à l'ascenseur, dit M. Mochizuki, sombre.
Ils sortirent en silence, un par un, jusqu'à ce qu'il ne reste dans le bureau que Koushiro et le père de Sakae. Le jeune homme dévisagea le directeur d'un regard dur. Celui-ci baissa les yeux.
– Tu peux me faire des reproches, Koushiro. Tu en as le droit.
– Est-ce que mon père est vivant, lui aussi ?
– Non. Je suis désolé, mais ton père à toi est réellement mort.
Koushiro pinça les lèvres tandis que le sang frappait ses tempes avec violence. D'une voix hachée par la colère, il dit :
– Vous auriez pu m'élever avec Sakae si vous l'aviez voulu. Vous l'aviez promis à mon père. Mais vous n'avez pas tenu votre parole.
– Je … je n'ai pas eu le choix.
– Arrêtez de mentir ! Vous voulez que je vous dise ? J'ai souvent rêvé de pouvoir rencontrer mes vrais parents. Cependant, je savais que c'était impossible parce que la mort nous avait séparés. C'est une barrière infranchissable, la mort. Aujourd'hui, Sakae vient de se rendre compte que cette barrière qu'elle imaginait à votre égard n'existe pas. Que toutes ces années vous auriez pu les passer ensemble, mais qu'elle n'a pas eu cette chance parce que vous vous êtes caché. Pire, vous avez demandé à son père adoptif de mentir pour vous. Je comprends Sakae. Si vous aviez été mon véritable père, je vous aurais détesté.
Le directeur de l'Agence Administrative fixa Koushiro, détruit par ses paroles. Koushiro dont le cœur saignait aussi, baissa la tête et quitta le bureau.
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Les Enfants Élus étaient revenus dans la salle dans laquelle ils s'étaient réveillés et s'étaient laissé tomber sur les canapés, abasourdis par ce qu'ils venaient d'apprendre. Sakae, Koushiro et Meiko manquaient à l'appel. Maiko avait décidé d'essayer de retrouver sa sœur pour tenter de lui parler ; quant au jeune informaticien, il avait disparu. Un silence gênant flottait entre les Enfants Élus. Taichi était assis dans un coin d'un canapé et serrait l'accoudoir nerveusement à ses côtés, Yamato fixait le sol, bras croisés et yeux mi-clos Sora, jambes croisées, se rongeait les ongles Mimi faisait trembler sa jambe droite anxieusement Joe avait posé ses coudes sur ses cuisses et tordait ses mains Hikari serrait ses genoux; Takeru regardait par la fenêtre ; M. Nishijima fixait lui aussi le sol, coudes sur les cuisses. Finalement, Joe lâcha :
– C'est dingue, cette histoire …
Tous acquiescèrent : Joe avait dit tout haut ce qu'ils pensaient tout bas. Yamato ouvrit les yeux. Une ride de peine s'était creusée au niveau de son front.
– Le choc qu'a ressenti Sakae a dû être terrible. Vous imaginez ? Découvrir qu'on lui a toujours menti depuis qu'elle est enfant …
– Elle doit se poser tellement de questions, souffla Sora.
– Koushiro aussi, ajouta Takeru. Souvenez-vous de ce qu'il nous avait dit : son père et celui de Sakae s'étaient mutuellement promis d'élever l'enfant de l'autre s'il leur arrivait malheur. Cet homme aurait pu être le père adoptif de Koushiro.
– Sauf qu'il s'est caché, dit M. Nishijima. Je savais que cet homme me rappelait quelqu'un, mais je ne parvenais pas à savoir qui. En le voyant à côté de Sakae, j'ai compris.
– Vous ne saviez rien sur lui ? demanda Taichi.
– Non, pas même son nom. La plupart des membres de l'Agence ignore l'existence du directeur, alors le rencontrer était déjà un immense privilège pour moi.
– Mais pourquoi est-il devenu le directeur de l'Agence ? demanda Mimi.
– Je n'en sais rien, répondit le professeur.
– Koushiro a découvert certaines choses sur son père et celui de Sakae, ces derniers jours, dit Joe. Il me l'a brièvement fait comprendre hier soir. Il devait être au courant de l'existence d'un directeur secret à l'Agence Administrative, mais je crois qu'il ne s'attendait pas à ce que ce soit le père de Sakae.
– C'est pour cela qu'il était à cran ce matin, se souvint Mimi.
– Oui.
Le silence retomba. Hikari fixait le vide, et dit d'une voix triste :
– Le père de Sakae aussi doit souffrir. Je me demande quelle raison l'a poussé à sacrifier sa fille à son travail. Ce doit être quelque chose de grave.
Tous la regardèrent : aucun n'avait songé à se mettre à la place du directeur de l'Agence.
– Je me demande de quoi M. Mochizuki et le directeur voulait nous parler, ajouta Sora. Cela semble important.
– Tant que Sakae et Koushiro n'auront pas réapparu, ils ne nous diront rien, rappela Taichi.
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Après avoir raccompagné les adolescents et M. Nishijima, M. Mochizuki était redescendu au sous-sol secret voir le directeur. Il trouva son ami prostré dans son fauteuil de bureau, le visage abattu. Quand le père de Sakae vit M. Mochizuki entrer, il soupira :
– Je croyais être prêt … mais en fait, rien n'aurait pu me préparer à ce que je viens de vivre.
– Nous savions que ce serait difficile, dit M. Mochizuki. Mais c'est vrai que je ne l'imaginais pas aussi terrible.
– Je ne sais pas ce qui m'a fait le plus mal … le quasi-silence de Sakae ou le flot de reproches de Koushiro.
– Moi, c'est le regard que Sakae m'a lancé. J'ai la sensation de l'avoir trahie pendant quinze ans, alors que je l'ai élevée.
– Tu n'as rien à te reprocher. Je t'avais demandé de ne rien lui dire.
– Je sais, mais je la considère pratiquement comme ma fille. Alors, je me sens autant coupable que toi. Envers elle, et envers Meiko aussi. Elle a cru si longtemps que Sakae était sa sœur.
Les deux hommes demeurèrent assis l'un à côté de l'autre, le regard perdu dans les méandres de leur conscience. Il leur sembla alors que le sous-sol de l'Agence était plus silencieux qu'un tombeau.