Constancia referma doucement la porte de la chambre après avoir vérifié que les bougies étaient éteintes. Elle sursauta quand elle croisa le regard noir d'un des hommes de main de la maîtresse actuelle de l'hacienda.

« Alors ? Le vieux, il dort bien ? Ricana l'homme avec un mauvais sourire aux dents gris.

- Il s'est assoupi, Señor, il faut le laisser reposer.

- Vivement qu'il crève. »

Elle serra son poing, crispa sa mâchoire. Mais n'en fit rien. Elle risquait sa vie et celle des autres si elle s'opposait à la Señora De la Vega. Jusqu'ici, son maître, Alejandro de la Vega avait évité de se faire assassiner car Dona Rita ne voulait pas attirer les soupçons des autres notables de la région. Il était le plus respecté et le plus affluent, s'il s'avérait qu'il était victime d'un meurtre, les nouvelles pouvaient aller bon train. Cependant, Constancia avait sa part de responsabilité. Tous les domestiques n'ont pas voulu voir le danger que représentait la nouvelle épouse d'Alejandro et c'est lorsque Diego a fui le cocon familiale qu'ils avaient tous peu à peu découverts le véritable visage de Rita. Tout le monde avait tourné le dos au fils et personne n'avait pris la peine de le retenir, car tous croyaient qu'il était en tort, qu'il était jaloux de l'attention qu'avait apportée Rita.

Aujourd'hui, Rita tient en otage tous Los Angeles. Les Dons les plus influents n'étaient pas revenus de leur recherche de Diego.

Elle s'apprêta à descendre les marches pour ensuite rejoindre la cuisine mais l'homme saisit brutalement son poignet.

« Attendez une minute, je n'ai pas fini avec vous…

- Lâchez-moi, Señor.

- Quand Dona Rita n'est pas là, c'est moi qui commande ici…Maugréa-t-il, je peux même tuer le vieux si ça me chante…

- Vous n'oserez pas ! Elle avait dit qu'elle l'épargnera ! S'affola Constancia qui trembla de peur.

- Elle le laisse en vie, parce qu'elle veut attirer Diego, son fils…Et quand il viendra…elle les tuera tous les deux…Mais je ne dirai pas non, si on peut attirer le fils lâche avec un cadavre, ricana-t-il.

- Vous êtes un monstre…

- Alors laisse toi faire et…. »

Il ne finit jamais sa phrase. Du sang coula de sa bouche. Une épée avait traversé sa gorge, laissant couler le sang sur le sol. La domestique retint un cri sourd quand elle aperçut une ombre derrière lui. Un homme habillé de noir avait transpercé sans aucune retenu l'homme de main. Elle recula laissant tomber le corps sans vie des escaliers puis se retourna vers son sauveur.

« Zorro, est ce vous ? Souffla-t-elle en larmes.

- Lui-même. » Répondit-il froidement.

Il rangea son épée dans le fourreau. Il fixa longuement la domestique.

« Je vois que vous n'avez pas changé, Constancia, toujours aussi fidèle à Alejandro.

- Toujours, Señor.

- Comment va-t-il ? »

Un silence pesant se fit ressentir, elle baissa les yeux, hésitant à répondre.

« Il ne parle plus depuis quelques semaines, déjà, il mange très peu et…il ne bouge plus…

- Je vois.

- Señor, je crains que…la mort soit proche pour lui.

- La mort est toujours proche de nous, dit le renard, nous ne sommes juste pas capable de la voir…Combien d'hommes de Rita sont ici ?

- Je dirai…une dizaine. Certains sont dans le salon, et une bonne partie surveille les alentours.

- Ce n'est plus le cas.

- Que…comment cela ?

- Je les ai tous tué. Je vais emmener Don Alejandro loin d'ici et le mettre en sureté. Quand à vous, Constancia, allez prévenir votre famille et les autres domestiques des De la Vega, partez d'ici, rejoignez la ferme au nord des Terres de la Vega et réfugiez-vous là-bas, jusqu'à que je vous envoie quelqu'un vous chercher.

- Señor Zorro, qu'allez-vous faire ?

- Ce que j'aurai du faire depuis longtemps. Tuer. »

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Enrique avait ramassé le dernier cadavre qu'avait laissé Zorro sur son passage. Ils avaient convenu depuis leur retour à Los Angeles de faire équipe à part. Zorro se débarrasserait des gêneurs et Enrique ferait en sorte de cacher les traces pour éviter qu'on alerte les militaires.

C'était comme dans son cauchemar. Des morts, causés par Zorro. Tués sans pitié. Certains avaient encore la peur dans leurs yeux. L'ancien soldat ne voulait pas imaginer ce que le renard avait fait pour les faire mourir dans l'horreur. Mais il était clair que le Zorro qui était à ses côtés, n'était plus le Zorro qu'il avait connu. Son Zorro n'aurait jamais tué sans raison. Il n'aurait jamais tué de sang froid. Il privilégiait la ruse que la mort.

Il glissa le quinzième et dernier cadavre à côté de la lignée d'autres sous une grande falaise creusée, comme si l'endroit avait été créé spécialement pour cela.

D'après Zorro, cet endroit n'était connu de personnes à cause de sa végétation trop dense et du sol trop escarpé pour les chevaux. Même Phantom avait eu des difficultés mais rapidement, ses sabots semblaient s'y habituer et cela ne le gênait plus du tout.

En attendant son compagnon, Enrique s'installa à quelques mètres du petit cimetière et se permit un instant de souffler un peu. La Lune lui donnait un éclairage parfait pour admirer le paysage nocturne que lui offraient les plaines de la Californie. Son cœur était toujours tourmenté par son inquiétude envers Zorro et Diego. Deux personnalités différentes dans un seul homme. Du moins, c'était ce qu'il avait perçu. Et pourtant, il était persuadé que dans le Zorro actuel, c'était un Diego qui souffrait.

Il voulait le sauver. Mais comment. Comment sauver un homme de lui-même ?

Le bruit d'un cavalier approchant l'alerta. Il se leva et se plaça près de Phantom, qui resta lui aussi aux aguets. Cependant, il reconnut rapidement le cheval noir et sombre de Zorro.

Le renard arrêta son cheval auprès d'eux et Enrique remarqua alors le second passager de Tornado : Don Alejandro de la Vega. Il fut alors choqué de son état : le vieil homme semblait avoir pris trente ans, son regard était vitreux et son visage était si pâle qu'il semblait briller dans la nuit. Zorro le prit dans ses bras tels une poupée. Enrique se dépêcha de préparer de quoi installer le vieil homme dans son camp de fortune, permettant ainsi à Zorro de l'allonger. Il le recouvrit de la couverture d'une des montures.

« Pourquoi l'avoir emmené ? Tu sais bien qu'on ne peut le laisser là !

- Je ne pouvais pas me risquer de le laisser à l'hacienda, répondit Zorro en épongeant doucement le front du vieil homme, tôt ou tard quelqu'un allait passer à l'acte, c'est déjà un miracle qu'on l'ait laissé en vie, surtout dans son état.

- Qu'allons faire de lui ?

- Tu vas rester avec lui. »

Enrique écarquilla les yeux devant cette réponse inattendue.

« Il est hors de question que je te laisse seul à nouveau ! S'écria-t-il.

- Je dois m'occuper moi-même des rejetons de l'Aigle, c'est une affaire entre eux et moi.

- Non, cette affaire nous préoccupe tous.

- Tu as vu ce que dont je suis capable de faire ? Tu vas me ralentir.

- Et toi tu vas te détruire.

- Enrique, nous en avons déjà discuté…

- Non, tu vas m'écouter maintenant, renard de mes deux ! S'exclama l'ancien soldat en lui prenant le col violemment, tu ne peux pas affronter cela seul ! Tu as à beau être…intouchable, tu n'en restes pas moins humain.

- Je ne suis plus humain, ricana El Zorro, regardez-moi ! Si seulement vous pouvez voir le sang qu'il y a sur mon costume, si seulement j'avais un costume blanc…vous le verrez entièrement rouge. »

Il attrapa les poignets de l'ex-commandant, mais Enrique ne broncha le maintenant toujours. Cela faisait longtemps que la douleur ne lui faisait plus d'effets et il n'était pas question qu'il cède à Zorro, maintenant.

« Lâchez-moi, commandante. Ma réponse reste là même.

- Très bien, alors je vais en finir tout de suite.

- Que…Quoi ? »

Enrique le repoussa violemment, le jetant au sol. Il se saisit de son épée, qui brilla à la lumière lunaire. Zorro se releva et l'imita prêt à se battre. Mais son ancien ennemi ne l'attaqua pas et se retourna vers l'homme qui était à terre. Le bandit masqué fut tout d'abord confus de la réaction d'Enrique, puis la terreur s'empara soudainement de lui, quand il comprit son intention. La scène semblait se passer en ralenti sous ses yeux.

L'ancien militaire s'approchait de Don Alejandro et leva son bras armé. Zorro s'élança vers eux. La lame d'Enrique visa alors le cœur du vieux père comateux.

« Non, ne fais pas ça ! »

Zorro hurla et un voile cacha sa vision.

Mon nom est Zorro. Je serai là pour protéger les opprimés, les personnes dans le besoin, ceux qui ont subi une injustice.

La ferme ! La ferme !

Je veux apporter l'espoir à ceux qui n'en ont pas.

Non, tais-toi !

Je veux être libre…

Arrête ! Arrête de me faire souffrir.

Je suis toi. Tu es moi. Nous sommes Diego. Je suis Diego.

Tu es faible. Je dois prendre ta place

...

Je t'en prie.

Sauve-le.

Sauve-les.

Sauve-moi.

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« Enrique, sauve…moi »