Hellllloooo !

Je pense que, si vous traînez par ici depuis un moment, vous connaissez déjà le principe de Calendrier de l'Avent, démocratisé depuis quelques hivers par Milou (il me semble ?) et repris par d'autres depuis. Le principe de base est simple : 1 jour, 1 histoire, en attendant Noël. Comme un chocolat mais pour le cerveau. Ce principe me tentait depuis un moment mais avec un bémol : j'ai du mal à faire court.

C'est pourquoi je propose quelque chose de légèrement différent : 1 histoire, 24 chapitres, un par jour en attendant Noël.

J'ai un petit faible pour les téléfilms de Noël qui passent à peu près tous les après-midi sur la moitié des chaînes de télé au mois de décembre. C'est kitsch, c'es souvent vu et revu, plein de clichés, et pourtant il y a quelque chose qui, malgré tout, nous colle sur le canapé, les yeux vissés à l'écran, même si on devine la fin dès les cinq premières minutes. En tout cas moi, ça me le fait. Le principe de base de cette histoire était donc de travailler sur ces clichés, soit littéralement soit en les détournant, selon l'humeur.

Les chapitres font entre 1200 et 3000 mots. J'ai presque terminé cette histoire. Il me reste un chapitre et demi, qui devrait être écrit avant le 24 décembre, sauf en cas de crise inévitable genre ma mort.

Bref, je ne vous embête pas plus. Bonne lecture !


Cliché n°1 : Le salaryman débordé

La migraine quotidienne démarra plutôt que prévu pour Isa. En règle générale, il parvenait à rester détendu jusqu'aux environs de dix heures, quand ses collègues insupportables se mettaient à gesticuler devant la machine à café.

Ce coup-ci, allez savoir. C'était probablement dû aux élancements multicolores à la limite de son champ de vision – le rouge et le vert et l'orange, dans cet ordre, une demi-seconde chaque – qui contrastait terriblement avec la sobriété du tableau Excel qu'il s'évertuait à remplir. L'entreprise s'était rappelée une semaine avant le réveillon qu'il faudrait peut-être égayer le workspace avec quelques décorations de saison – encore qu'Isa s'en serait bien passé. Il y avait même un sapin dans le couloir, qui vous giflait de ses branches en plastique à chaque passage aux toilettes.

Bien entendu, une enceinte dans le bureau d'à côté diffusait Jinglebell. On était pourtant en France, au moins auraient-ils pu faire l'effort de chercher la version traduite, Vive le vent d'hiver, histoire de ne pas céder à cette américanisation voulue par tous ces films de Noël et les réseaux sociaux. Certes, cette rhétorique valait peu de choses dans la bouche de quelqu'un qui employait les termes workspace, workflow et disrupter. En toute connaissance de cause, Isa rongeait sa mauvaise foi silencieusement. De toute façon il n'aimait aucune des deux versions.

« Bah alors, t'as pas vu les chapeaux en libre service à l'entrée ? »

Isa leva doucement son regard menaçant vers un Luxord serein. Il portait évidemment l'un de ses ridicules bonnets de Père Noël que la DRH avait trouvé amusant de commander pour toute l'équipe. Plus pathétique encore était l'immonde pull en laine épaisse aux motifs de rennes qu'il arborait fièrement.

« Je les ai vu.

-Eh ben pourquoi t'en a pas pris un ? »

Ne voyant pas que répondre à cette question absurde – pourquoi diable les gens ne réfléchissaient-ils pas avant de parler ? - Isa décida simplement de fixer son collègue jusqu'à ce qu'il comprenne que sa présence n'était pas désirée. Malheureusement, l'espèce humaine avait perdu cet instinct de préservation qui indiquait aux animaux la présence de sentiments hostiles chez leurs congénères.

Interprétant son silence d'étrange façon, Luxord éclata d'un rire sonore.

« Allez, boude pas, va, je t'en ai ramené un !

-Écoute, j'ai une montagne de trava- »

Il referma la bouche d'indignation lorsque l'autre homme lui colla le bonnet rouge sur les oreilles.

« Et voilà, t'es tout beau comme ça ! Bon faut que je file faire semblant de travailler, sinon Marluxia va me donner des heures sup' et j'ai promis à mes filles de faire des biscuits en forme de sapin avec elles. Si c'est Xaldin qui s'y colle, les machins seront tout brûlés. C'est pourtant pas compliqué de régler un four, si ? »

Lui signifier qu'il se foutait de ses histoires domestiques comme de sa première dent de lait ne serait sans doute pas très diplomatique. Isa avait appris avec l'expérience que ce genre de réflexions désagréables vexait ses congénères, ce qui les poussaient à argumenter pour préserver leur ego et lui faisait perdre encore plus de temps. Il se demandait vaguement pourquoi ses collègues continuaient à lui raconter leur vie alors qu'il n'émettait jamais la moindre once d'intérêt pour celles-ci.

« Sans doute pas, en effet » répondit-il entre ses dents.

La réponse parut satisfaire son collègue qui s'éloigna gaiement.

Entre temps, l'ordinateur d'Isa était passé en veille. L'écran noir lui renvoyait son reflet stoïque. Le rouge du chapeau contrastait horriblement avec le bleu de ses cheveux et ses lèvres qui formaient un arc de cercle vers le bas. Il s'empressa de l'ôter avec une rage contenue. Vraiment, les fêtes, quelle perte de temps !

Puis ça lui donnait mal au crâne, apparemment. Il soupira. Bah, l'habitude. Tout lui filait la migraine, de toute façon. Tout l'agaçait. Tout était éminemment compliqué. Les gens, en particulier.

Et Noël, même s'il évitait de le formuler à voix haute. Une fois, on lui avait répondu « Ah, t'es de la variété de hipster qui se donne un style en détestant les fêtes commerciales... Pas très original, trouve autre chose ». Ça ne l'avait pas blessé, mais il ne comprenait pas. Premièrement, il ne tentait pas de se donner un quelconque style, il voulait juste qu'on le laisse tranquille. Deuxièmement, il se sentirait peut-être moins seul si effectivement son mésamour des sapins, des chansons débiles et des bûches glacées s'avérait « pas très original ». Pourtant, il n'avait jamais croisé personne d'autre dans son cas, hormis peut-être ses parents.

Agacé par ces pensées parasites, il se fustigea mentalement. Pas d'intérêt à ressasser tout ceci. Le supplice serait fini dans huit petits jours. Il se remit donc au travail, l'esprit encombré de chiffres et de deadlines. Même les rires gras de ses collègues et le bruit de la machine à café ne le tirèrent pas de sa concentration. Seul l'appel de son prénom, un temps indéterminé après la pause des autres cancrelats, le fit relever la tête.

« Hé, Isa ? »

Il leva la tête vers son patron, Marluxia, et insulta mentalement les points noirs qui dansaient devant ses yeux après autant de temps passés sans relever le regard de son écran.

Le boss était du genre extravagant, en témoignaient ses cheveux roses et son appui nonchalant contre le linteau de la porte. Il était également du genre méprisant : moins il voyait ses employés, mieux c'était. Isa aimait bien cela chez lui : ce trait de caractère limitait les interactions au strict minimum. Et puis, lorsqu'il essayait de vous brosser dans le sens du poil, vous voyiez toujours les ennuis arriver.

« Oui ?

-Tu peux passer dans mon bureau s'te plaît ? »

Formule de politesse. Isa fronça les sourcils. Une douce et métaphorique odeur de merde lui caressa le cerveau.

« Bien sûr. »

En bon psychorigide, il sauvegarda son travail avant de suivre le boss dans l'espace entouré de baies vitrées. Marluxia prit place derrière son bureau et lui sourit. Isa s'assit en face.

« Bon, je ne vais pas passer par quatre chemins. J'ai une petite mission à te confier. Un déplacement. Deux jours maximum, hein, trois fois rien ! Un gros client souhaiterait étudier toutes les possibilités d'innovation que nous pourrions lui fournir et, eh bien, le contact humain est l'une des valeurs de notre entreprise ! Il aurait une vue plus globale s'il s'entretenait avec un professionnel de vive voix. »

Impassible, Isa hocha la tête. Il détestait les déplacements, mais ils faisaient partie du boulot. Cela ne valait vraiment pas la peine de prendre de telles pincettes.

« Très bien. Quelles sont les dates ? »

Le sourire d'hypocrisie de Marluxia se durcit. Bien, voilà l'embrouille.

« Tu sais Isa, quand je dis que c'est un gros client, ça pourrait donner un véritable coup de boost à l'entreprise si on faisait bonne impression. Mais d'autres vautours sont sur le coup, c'est pourquoi j'ai besoin qu'on soit sur place le plus vite possible.

-Quand ?

-Tu pars cet après-midi. »

Pardon ?

« Est-ce que tu as des... questions ?

-Si la tâche est de faire bonne impression, je ne pense pas être la personne la plus qualifiée pour cette mission. »

Ce qui fit rire Marluxia. Un rire faux, bien entendu. Ils savaient tous les deux qu'Isa pointait une vérité absolue. Il pouvait étaler tous les arguments qu'il avait appris par coeur comme un dictionnaire, mais il ne pourrait jamais rien faire contre son absence de... sociabilité.

« Ah, ah, ah, ce que tu es drôle ! Ne te sous-estime pas comme ça voyons, tu feras un super job ! Et aussi, tous les autres ont refusé de partir pendant la période des fêtes.

-Mais-

-Je ne vais pas briser des familles à l'approche de Noël, si ? Tu es le seul sans enfants dans la boîte.

-Il y a Hayner.

-Hayner est un enfant. Il veut retourner chez sa mère cette semaine, je lui ai donné ses vacances.

-Il y a vous.

-Non, moi je ne peux pas. »

Il confondait encore les verbes pouvoir et vouloir. C'était courant, chez le boss. Chez beaucoup de boss, en fait.

« Message reçu.

-Super ! Oh, tu devrais partir tout de suite. Et t'auras pas trop le temps de déjeuner si tu veux faire ta valise. Aussi, tu pars en car, tous les avions étaient bookés. Tu comprends, les gens rentrent chez eux pour Noël...

-Je comprends bien, oui » grinça Isa.

Puis il se leva pour prendre congé. Il avait une valise à préparer.

Bon, ce n'était que deux jours. Le plus long serait le trajet.

Quand bien même, ça l'emmerdait profondément, et pas seulement parce que cela bousculait tout son planning de travail. Il détestait qu'on le prévienne à la dernière minute. Il demanderait une augmentation lorsqu'il reviendrait, pour sûr !

Et puis cette justification ! Personne d'autre de disponible. Les fêtes de Noël. Les enfants. Bla, bla, bla. Une perte de temps. Une perte d'esprit.

Après avoir soigneusement enregistré ses travaux et fermé son ordinateur de bureau, Isa ramassa ses affaires et se dirigea vers la sortie.

Dehors, le vent mordant l'accueillit d'une bourrasque dont il se serait bien passé. Il faisait lourd et gris, on n'y voyait encore moins bien qu'en pleine nuit – les millier d'éclairages de Noël payés avec ses impôts n'étaient pas encore allumés vu l'heure. Il trouvait les nuages dangereusement bas, en plus du reste.

Seigneur, faîtes qu'il ne neige pas.


Et voici pour cette petite introduction ! À demain donc !