(J'avais pas prévu d'écrire une suite mais avec le confinement, j'ai que ça à faire. Cette histoire se déroule trois ans après la première partie.)
Il était tôt le matin et Shunrei finissait de prendre sa douche. C'était son moment à elle, celui où elle pouvait se délasser et ne penser à rien de spécial. Enfin, si, pour une fois, elle pensait à quelque chose de spécial. Shiryu était revenu parmi eux et il allait rester un moment.
Elle sortit de la douche, s'enroula dans une serviette et ouvrit la porte pour aller s'habiller dans sa chambre. Et elle fit un bond en arrière. Shiryu se trouvait devant elle.
- Oh… balbutia-t-elle, toute rougissante.
- Je suis désolé, dit-il simplement.
Elle étouffa un rire nerveux. Il n'avait aucune raison de s'excuser, tout comme elle n'avait aucune raison de se sentir gênée. Shiryu était revenu aveugle de ses derniers combats. Même si elle se mettait toute nue devant lui, ça ne lui ferait rien.
Etrangement, le fait de s'imaginer nue devant lui la fit rougir encore plus. Elle avait treize ans et lui, quatorze, après tout. Ils n'étaient plus des enfants. Pendant un instant, elle se demanda ce qui serait pire : qu'il la voie toute nue ou qu'il reste aveugle à jamais… Oh, même si elle restait toujours très pudique, si se déshabiller devant lui pourrait lui rendre la vue, elle le ferait. Tout le monde fait des sacrifices un jour ou l'autre.
Mais s'il la voyait nue maintenant, il faudrait qu'il la demande en mariage, non ? Cette idée la fit rougir à nouveau. Oh, il fallait qu'elle arrête de penser à des bêtises.
- Ça va, dit-elle en espérant que son trouble n'apparaisse pas dans sa voix. J'ai terminé avec la salle de bains, tu peux la prendre. Attention, le sol est glissant.
Il acquiesça et entra. Il ne voyait rien mais tout lui semblait familier : la vapeur d'eau chaude, l'odeur de savon à la lavande, la texture du sol sous ses pieds nus… Peut-être était-ce un effet de son imagination mais il croyait aussi sentir l'odeur des cheveux de Shunrei. Cela sentait bon. Quand il entra dans la douche, sa tête heurta le pommeau et il se demanda comment il avait pu oublier. Etant nettement plus petite que lui, elle fixait toujours le pommeau de douche un peu plus bas. Il faudrait qu'il reprenne l'habitude.
C'était seulement maintenant qu'il se rendait compte à quel point elle lui avait manqué. Sa présence, sa douceur, la façon dont elle parlait sans jamais élever la voix… Les chevaliers d'Athéna étaient ses amis, évidemment, et ils le seraient toujours, mais avec elle, c'était vraiment spécial et il n'aurait pas su dire pourquoi. Il avait juste un pincement au cœur quand il pensait qu'il ne reverrait plus jamais ses jolis yeux…
Un peu plus tard, les deux amis se retrouvèrent autour de la table du petit-déjeuner, où maitre Dohko se trouvait déjà. Ils mangèrent en silence. Shiryu se rendit compte qu'il se sentait presque heureux. D'accord, il avait perdu la vue à jamais, il devrait énormément travailler pour rattraper son retard et les chances pour qu'il puisse rester un chevalier étaient plutôt faibles. Mais il se sentait chez lui, ici. Il était entouré des deux personnes qui se rapprochaient le plus d'une famille. Ça, personne ne le lui avait enlevé.
La dernière bouchée avalée, tout le monde se leva. A la grande surprise de Shunrei, Shiryu alla s'installer devant l'évier et attrapa un bol.
- Qu'est-ce que tu fais ? s'inquiéta-t-elle.
- La vaisselle !
- Laisse-moi m'en occuper !
- Pourquoi ? objecta-t-il. On a toujours fait comme ça : tu cuisines, je fais la vaisselle ! A moins que tu préfères que je cuisine aujourd'hui mais je préfère éviter. Nos estomacs risquent de souffrir !
- Mais…
Shunrei se tourna vers Maître Dohko, espérant qu'il prenne parti pour elle. Il les regarda pensivement, puis lui demanda :
- Cette vaisselle, c'est celle que tu préfères ?
- Non, répondit Shunrei.
- Elle est chère ? Difficile à remplacer ?
- Non.
- Alors laisse-le. Il faut bien qu'il apprenne.
Shunrei capitula et sortit prendre l'air. Elle avait beau vivre depuis longtemps dans ce petit coin de la Chine, elle avait toujours le souffle coupé par toute cette beauté : la cascade, les montagnes, les arbres… Tout était parfait.
Et il ne pourra plus jamais voir ce si beau paysage. C'est tellement injuste…
- Tu as cinq minutes à m'accorder ? demanda son père adoptif, qui venait d'arriver derrière elle sans qu'elle l'entende.
Elle acquiesça et s'assit sur une souche d'arbre. Il commença :
- Dis-moi, tu as des projets pour l'avenir ?
- Je vous demande pardon ?
- Tu aimerais te marier ? Etudier ?
- Eh bien, dit-elle lentement, si possible, j'aimerais faire les deux. D'abord, partir en ville. Etudier, apprendre un métier. Peut-être voyager un peu. Ensuite, j'aimerais me marier et avoir au moins un enfant.
- Cela me semble être de bons projets.
Shunrei se sentit soulagée. En effet Dohko veillait sur elle depuis qu'elle était toute petite et elle se sentait un peu triste à l'idée qu'elle allait un jour le laisser se débrouiller seul.
- Merci, répondit-elle. Mais ce n'est pas pour tout de suite.
- En tout cas, j'espère que l'homme que tu épouseras n'aura jamais honte de laver une vaisselle.
Elle ouvrit des yeux ronds.
- Un instant, pourquoi dites-vous cela ?
- Parce qu'un homme qui refuse de faire ce genre de corvée est soit un imbécile, soit un paresseux, soit un rustre qui méprise les femmes. Dans les trois cas, tu mérites mieux.
- Attendez ! protesta-t-elle. De qui parlez-vous ?
- De toi. J'espère que quand le moment sera venu, tu choisiras quelqu'un qui sera digne de toi.
Shunrei tourna la tête en espérant cacher la façon dont elle rougissait encore. Est-ce qu'il pensait que Shiryu et elle…
Mais voilà que Shiryu apparaissait dans l'embrasure, un sourire satisfait sur son visage. Il avait réussi à laver et ranger la vaisselle sans rien casser et avait à peine inondé la cuisine. Sa chemise étant maintenant trempée, il l'avait mise à sécher et se sentait prêt.
- J'ai fini ! cria-t-il. Pour l'entraînement, on commence quand ?
La fin !