1

CHUTE IN-EXTREMIS


Rose Weasley n'avait pas l'habitude de courir dans les couloirs de la célèbre école de sorcellerie anglaise : Poudlard. Il n'était pas non plus dans ses habitudes de se défaire de ses devoirs de préfète alors qu'une toute nouvelle année scolaire débutait en ce mois de septembre particulièrement pluvieux. Mais ce soir, après la cérémonie de répartition et le repas de bienvenue, tandis que la directrice Mcgonagall présentait le tout nouveau professeur de potions (le professeur Slughorn étant enfin parti en retraite, définitive, cette fois), Rose s'était enfuie comme une voleuse, la dernière bouchée de son pudding à peine avalée.

En réalité, elle n'avait guère touché à son repas, chipotant du bout de sa fourchette les mets délicieux que les elfes de maison avait fait apparaître sur les quatre tables. Sa cousine, Lily, elle aussi à Gryffondor, lui jetait des regards en biais car elle savait pertinemment pourquoi Rose boudait ainsi sa nourriture, elle qui était si gourmande d'ordinaire. Les deux amies en avaient parlé longuement dans le train qui les emmenait à Poudlard : Rose était amoureuse. Le garçon de ses rêves était beau, sportif (joueur émérite de Quidditch) en septième année (tout comme elle) et tellement intelligent. Bon, pas aussi intelligent que son surdoué de petit frère mais bien plus qu'elle déjà et cela suffisait à l'impressionner. Elle comptait lui avouer ses sentiments dès qu'ils se seraient levés pour guider les premières années vers les salles communes de chaque Maison respective. Hélas, tout était parti de travers.

Rose bouscula des traînards dans les couloirs. Elle retenait, avec beaucoup de difficultés, le torrent de larmes qui perlaient déjà ses yeux ambrés. Elle courait à toute jambe, traversant les couloirs encore obscurs. Après six ans passés dans ces lieux, le château n'avait quasi plus aucun secret pour elle. Elle savait pertinemment où elle se rendait. Plus qu'un sanctuaire pour ses tourments amoureux, cet endroit (spécial à ses yeux) avait l'avantage d'être le plus haut sommet du château. Elle jeta un coup d'œil à travers l'un des vitraux du couloir et aperçut déjà le toit pointu de la tour d'astronomie. Oui, décidément, l'endroit était parfait pour en finir.

OoO

Scorpius Malefoy avait une sainte horreur des formalités. Malgré son insigne de préfet-en-chef épinglé sur sa robe de sorcier et son jeu constant de punir pour un oui et un non, il détestait les devoirs qu'impliquaient ce grand honneur. Il ne comprenait d'ailleurs pas pourquoi la vieille McGo l'avait choisi pour représenter sa Maison. Albus aurait mieux fait l'affaire. Mais il fallait bien avouer que ce dernier passait plus son temps à roupiller qu'à s'investir dans les affaires de l'école.

Le jeune garçon, à peine majeur, avait profité des éclats de rires et du brouhaha de la vaisselle du dîner du soir pour s'éclipser, sans attendre les dernières recommandations de la directrice. Pour ce qui était de surveiller les premières années, les deux nouveaux préfets fraîchement nommés pouvaient très bien s'en charger, trop heureux d'exercer leur toute nouvelle autorité. Scorpius avait mieux à faire.

En catimini, au nez et à la barbe de Russard occupé à s'abreuver des paroles de McGo lorsqu'elle rappela le règlement en ce qui concernait les farces et attrapes de la boutique des Weasley, il s'échappa de la grande salle et emprunta l'un des passages secrets du château que lui avait montré Albus. Scorpius tourna directement sur la droite et disparut derrière une tapisserie représentant un dragon en train de prendre un bon bain sous une cascade. Il chatouilla la pierre marquée d'une croix et s'engouffra dans l'étroit couloir qui se matérialisa sous ses yeux. Le passage menait directement sous l'escalier de la plus haute tour de Poudlard. Le jeune homme aimait particulièrement ce spot. C'était le seul où il pouvait capter.

OoO

Rose gravit les dernières marches de l'escalier de pierres qui demeurait toujours aussi glissant. Elle ouvrit l'épaisse porte de chêne et sortit à l'air libre. Le promontoire était à demi-couvert par un auvent, la pluie cinglait la pierre devenue noire et le vent hurlait à la mort. Le bruit des gouttes s'écrasant sur le sol berça son esprit devenu tout à coup étourdi. Sans s'en rendre compte, Rose s'avança dans la tempête. Elle sortit de l'auvent et marcha, à pas lents, vers le rebord des meurtrières. Elle se retrouva trempée en un rien de temps. Ses épais cheveux roux s'assombrirent et sa cape devint trop lourde. Elle s'en défit, sans regret. L'insigne de préfet-en-chef cliqueta sur la surface froide et mouillée de la pierre. Rose posa ses mains gelées sur le rebord et s'avança pour contempler le vide. Elle vit la pelouse du parc, l'orée de la Forêt interdite et la cabane d'Hagrid encore obscure à cette heure. Son cœur semblait exploser dans sa poitrine. Elle retint un sanglot tandis qu'elle se hissa sur la rambarde.

Rose écarta les bras. Elle se maintenait bien droite, le regard fixé sur l'horizon ; enfin, le peu qu'elle voyait avec la tempête. Le vent d'eau glacée la faisait frissonner. Mais tout cela n'avait plus aucune importance car tout serait bientôt terminé. Elle prit trois grandes inspirations. Le secret était de ne penser à rien et de foncer. Tomber et plus rien. C'était exactement ce qu'il fallait.

Elle leva un pied.

OoO

- Allez ! Maugréa Scorpius. Décroche !

Le Serpentard avait complètement oublié le temps. Lorsqu'il débarqua à la tour d'astronomie, il fut dépité de voir toute cette pluie. Heureusement, il y avait l'auvent. Il avait réussi à s'abriter dans un coin tout en respectant la zone non-magique pour passer son coup de fil. Coup de pot légendaire, datant de sa cinquième année : le petit génie, Hugo Weasley, avait relevé le défi insensé de faire marcher des appareils moldus à Poudlard. Tous ses professeurs lui avaient répondu que l'atmosphère de Poudlard était beaucoup trop chargée en énergie magique pour espérer faire fonctionner un de ses appareil étranges. « Erreur ! », avait rétorqué le jeune prodige. Ce petit gars avait découvert que, depuis la fameuse bataille contre Voldemort, le bouclier magique de Poudlard maintenant cette énergie avait subi pas mal de dégâts. Personne ne s'était vraiment soucié de son état depuis le décès du célèbre Albus Dumbledore non plus. Grâce à l'un de ses sorts (inventé par ses soins), il avait repéré la plupart des failles. L'une d'elles se trouvait au sommet de la tour d'astronomie.

Scorpius avait payé cher cette information. Trente Gallions d'or et un accès illimité à la salle de bains des préfets. Le petit diable roux était pire que ses deux oncles réunis.

— Allez ! S'il-te-plaît ! Je me les pelle ! dit-il encore en sautillant sur place.

Il tira une autre bouffée de sa cigarette. Autre avantage de la tour d'astronomie : fumer sans que l'odeur du tabac brûlé ne le trahisse.

— « Allô ? » retentit la belle voix métallisée d'une jeune femme.

— Allô ? s'exclama Scorpius en jetant son mégot sous la pluie. Allô ? Alice ? Tu m'entends là ? Je n'ai pas beaucoup de temps. Je voulais entendre ta douce voix avant d'aller me coucher pour faire de beaux rêves, dit-il avec un sourire charmeur inutile.

— « Et non ! Je ne suis pas là ! Mais laissez-moi un message et je vous rappellerai ! »

Le fameux « bip ! » du répondeur se fit entendre et Scorpius perdit tout de suite son sourire. Il soupira en sortant une nouvelle cigarette de son paquet planqué dans sa poche.

— Oui ! C'est Scorpius ! dit-il d'une voix maussade. Il faut vraiment que tu penses à changer ton répondeur...

La porte à sa droite s'ouvrit soudain. Le jeune Serpentard crut à l'arrivée importune de ce vieux aigri de Russard. Il remit précipitamment sa cigarette et son paquet dans sa poche et rangea le portable dans l'autre. Scorpius se plaqua contre le mur de brique en espérant que le gardien ne le remarque pas. Il y avait peu d'espoir, mais...

À sa grande surprise, il ne s'agissait pas de l'éternel fouineur qui servait de concierge à Poudlard, mais d'un élève. Une élève à croire son épaisse tignasse. Elle était de dos, (des virgules !) mais Scorpius avait l'impression de reconnaître sa dégaine. Il l'observa, curieux, s'avancer à pas lents, vers le bord du parapet. Lorsque l'inconnue laissa tomber sa robe à ses pieds, Scorpius pensa, avec une moue suspicieuse, que la jeune fille devait être complètement cinglée. Ce ne fut que lorsqu'elle monta sur la rambarde que Scorpius comprit ses intentions et décida de sortir de sa cachette.

— HEY ! Toi ! cria-t-il à travers le vacarme de la pluie alors que la demoiselle levait un pied et écartait les bras pour faire le grand plongeon.

Elle l'avait entendu car elle se retourna un bref instant, comme gênée par cette interruption sans importance. Scorpius reconnut immédiatement la grande sœur d'Hugo, la cousine d'Albus, cette idiote de Weasley. Celle-ci aussi se rendit compte qu'elle connaissait son interlocuteur car elle se retourna une seconde fois en écarquillant les yeux d'horreur. Ils se contemplèrent bêtement, pendant un moment qui leur sembla affreusement long. La pluie giflait le pâle visage du Serpentard qui détaillait la jeune femme sans comprendre. Il se retrouva bientôt, trempé lui aussi, comme une soupe et ne put s'empêcher d'avoir une pensée émue pour ses cigarettes gâchées.

— Saute pas ! fut la seule chose qu'il trouva à dire.

Ses paroles eurent la malchance de distraire Rose qui glissa sur la pierre humide et pencha dangereusement vers le vide. Scorpius se précipita vers elle alors que la jeune Griffondor basculait en arrière en agitant ses bras pour retrouver l'équilibre. Il attrapa son bras et tira. Rose était déjà dans le vide, retenue uniquement par la poigne sportive du Serpentard. Ses pieds battaient l'air pour trouver une prise. Elle hurlait à pleins poumons. « Apparemment, elle a changé d'avis. », constata Scorpius, avec cynisme. Il la hissa de toute la force dont il était capable et réussit à la soulever assez pour l'empoigner par la taille. En soulevant ce poids quasi mort, il se flagella mentalement de ne pas avoir utilisé sa baguette pour la paralyser au sol. Même avec un bon Levicorpus, il aurait facilement pu lui sauver la mise. Hélas, le voilà à souffler comme un bœuf pour ramener sur la terre ferme cette stupide, idiote et débile de lionne.

Ils tombèrent tous les deux dans une flaque. Scorpius manqua de s'étrangler avec les épaisses boucles trempées de la demoiselle. Il sentit tout de même sa poitrine sur son torse mouillé et ce détail ne manqua pas de le faire sourire. Ils avaient, tous les deux, le souffle court. Elle, d'avoir crié ; lui, de l'avoir sauvé. Scorpius la sentit trembler sous ses doigts mais elle ne semblait pas vouloir bouger. Peut-être était-elle encore sous le choc. Il leva une main timide pour la poser sur son épaule. À ce simple contact, la rouquine se releva comme un beau diable et s'écarta vivement du jeune homme qui grimaça de douleur lorsqu'elle s'appuya sur son estomac.

— De rien ! cria Scorpius en se relevant à son tour et en rabattant ses cheveux trempés en arrière.

Rose demeurait immobile à le sonder avec angoisse, une lueur de folie dans les yeux. Pendant un instant, le Serpentard crut qu'elle allait, de nouveau, se précipiter dans le vide. À la place, il vit ses épaules s'affaisser et ses genoux flancher. Elle s'écroula au sol et se mit à pleurer en cachant son minois, couvert de taches de rousseur.

Malefoy détourna le regard, gêné. Il attendit qu'elle finisse ses jérémiades. Il attendit longtemps ; elle ne cessait plus de pleurer. Le jeune homme poussa un long soupir glacé. Il s'approcha de Rose et s'accroupit à sa hauteur.

— Allez ! C'est bon. Calme-toi, dit-il d'une voix douce.

Il la prit dans ses bras. Un geste qui la fit pousser un hoquet de surprise. D'abord tétanisée, elle finit par enfouir son visage dans son cou et à s'accrocher à sa robe en poussant de stridentes lamentations. Scorpius la serra contre lui et lui tapota le dos.

— Ça va aller... ne trouva-t-il rien de mieux à dire.

Elle pleura de plus belle et il lui caressa les cheveux. Il savait que les filles aimaient ça, même si les siens étaient trempés.

— Il faut que tu t'arrêtes, ajouta-t-il. Sinon, tu vas finir par ressembler à Mimi-Geignarde.

Il la sentit rire contre son épaule entre deux sanglots. Il la repoussa doucement et la dévisagea. La pluie s'était finalement calmée, mais pas le vent glacé et ils étaient tous les deux frigorifiés.

Scorpius retira une mèche collée sur l'une de ses joues en larme. Elle renifla bruyamment en plongeant son regard d'ambre dans celui d'azur de son sauveur.

- Je peux savoir ce qu'il t'arrive, Weasley ? dit-il, à bout de patience.

OoO

Rose connaissait Malefoy depuis sa toute première année à Poudlard. Elle l'avait rencontré dans le train lorsque celui-ci quittait à peine le quai neuf trois-quarts, dans le compartiment qu'elle partageait avec son cousin, Albus, lui aussi en première année. James les avait abandonnés pour rejoindre ses copains. Les deux petits nouveaux avaient trouvé des places libres dans l'un des derniers wagons et une des places étaient déjà occupées. Le Scorpius Malefoy de première année n'avait rien à voir avec celui qui essorait sa longue cape en jurant à mi-voix. Non, avant, il était le portrait craché de son sang-pur de père. Impeccablement habillé dans son costume sur mesure, les cheveux blonds, presque blancs, gominés et ramenés vers l'arrière. L'air pompeux, le regard pédant, plongé dans un bouquin de magie de troisième année. Car oui, Scorpius Malefoy était un génie. Pas un génie comme son frère (celui-là dépassait tous les standards), mais un être foncièrement doué pour la magie et qui en profitait pour ne pas travailler d'un iota en classe. Albus et lui étaient pareils. Tous les deux des têtes dans leurs domaines. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils s'étaient si bien entendus, dès le départ, dans ce train. Les grands esprits s'étaient rencontrés et ils ne s'étaient plus quittés depuis. Envoyés dans la même maison, devenus meilleurs amis, ils passaient leurs années d'études à faire les expériences les plus abracadabrantes, même pour Poudlard.

Rose avait essayé de les suivre. Mais il était très difficile de demeurer dans l'ombre de deux premiers de classe. Entre son frère qui battait n'importe quel vétéran aux échecs version sorcier, les yeux bandés, et ses deux meilleurs amis qui obtenaient toujours les mêmes résultats sans ouvrir un seul bouquin, Rose se sentait le QI d'un Scrout à pétard. Il en avait été ainsi depuis sa première et malgré ses efforts, elle avait toujours cette image de sous-douée.

Scorpius réussit à sauver une cigarette de son paquet qui avait pris l'eau. Il mit la rescapée en bouche et l'alluma. Ils s'étaient abrités, à nouveau, sous l'auvent et Rose observa Malefoy tirer une longue bouffée de cette chose étrange qui puait la mort. Ce dernier remarqua qu'on l'observait et se tourna vers la Griffondor qui avait toujours un air de dégoût. Scorpius lui souffla sa fumée au visage et elle se mit à tousser violemment.

— C'est immonde ! Tu veux me tuer, ou quoi ? s'étrangla-t-elle.

— C'est pas ce que tu cherchais à faire en sautant ? répliqua-t-il d'un ton affreusement calme.

Rose ne répondit pas. Il n'avait pas tort. Durant ces longues années d'amitié, ils avaient pris l'habitude de s'envoyer des fions à n'importe quelle occasion. Malefoy avait toujours éprouvé un plaisir sadique à la ridiculiser ou la mettre dans l'embarras. D'ordinaire, elle sortait de ses gongs en devenant rouge pivoine mais ce soir, elle n'avait vraiment aucune excuse pour lui donner une bonne leçon. Elle fixa ses lacets, penaude. Comment avait-elle pu penser un seul instant que c'était la seule solution à son calvaire ? C'était stupide ! Elle était stupide. Heureusement que Malefoy avait été dans les parages sinon elle était bonne pour la morgue. Mais ça... jamais elle ne le lui avouerait.

— Bon ! Je peux savoir pourquoi tu voulais mettre fin à tes jours du haut de la tour d'astronomie ? dit-il en fixant un point devant lui.

Rose hésitait. Elle avait peur qu'il ne la trouve stupide. En tout cas, plus stupide que d'habitude. Elle soupira. Il était en droit de le savoir puisqu'il lui avait sauvé la vie. Elle croisa les bras sur sa poitrine, en rougissant déjà de honte pour les mots qu'elle s'apprêtait à prononcer.

— J'étais...j'étais triste pour un garçon, avoua-t-elle à mi-voix.

— Ah, se contenta de dire Malefoy, blasé.

— Eh ben ! T'as le don de réconforter les suicidaires, toi ! s'énerva Rose.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? « Oh ! Par Merlin ! Rose, Non ! », dit-il d'une voix fluette. « Ne me dis pas que tu comptais mourir pour un abruti prépubère ! Je ne peux le croire ! »

— Ce n'est pas un « abruti prépubère » ! rétorqua Rose, hors d'elle. Il est beau ! Il est intelligent ! C'est un dieu au Quidditch et il a des dons incroyables !

— Rassure-moi... tu n'es pas amoureuse de moi, j'espère ?

Rose lui assena un violent coup de point sur l'épaule. Malefoy poussa un petit cri de douleur en s'affaissant un peu sur lui-même.

— Je ne parle pas de toi, idiot ! Je parle de Chase Wilson !

— Wilson ? Ce Sang-de-Bourbe ?

Nouveau coup de poing, plus violent cette fois, au même endroit.

— Ne redis jamais cela ! éructa-t-elle, folle de rage.

— Pour une suicidaire, tu as encore beaucoup d'aplomb, lâcha-t-il en se massant l'épaule.

C'était un jeu entre eux, depuis des années. Les railleries, les coups, les boutades. Parfois, il se pouvait que Malefoy aille un peu trop loin. « Sang-de-Bourbe » était devenu pour lui une moquerie bénigne à balancer entre la viande et le fromage, trop habitué aux critiques encore acerbes de son père et de sa famille. Rose l'avait toujours remis à sa place, un peu plus fort cette fois, puisqu'il insultait l'homme qu'elle aimait de tout son cœur, au point d'en mourir. Malefoy ne s'était jamais plaint des coups de la jeune femme. Il en riait, grimaçait de douleur en faisant rire tous les élèves autour d'eux, mais jamais il ne lui avait demandé d'arrêter. Cela lui faisait trop plaisir de la voir se mettre dans un état pareil. Au final, c'était d'elle qu'on se moquait. Pas de lui.

Scorpius se planta devant elle, avec un sourire mauvais, toujours en train de masser son épaule endolorie.

— C'est un abruti, lâcha-t-il avec audace.

— Tu ne le connais pas ! dit Rose en colère.

— Toi non plus ! répliqua le blond avec justesse. C'est un coureur de jupons. Je suis sûr que tu l'as vu entouré de sa clique au dîner, pas vrai ? Tu l'as peut-être même surpris en train d'embrasser une autre fille. Et quoi ? Il t'avait dragué ? Il t'avait fait la promesse que vous seriez ensemble cette année ? Me fais pas rire ! Tu n'as aucune expérience des relations amoureuses, ni même des hommes.

Le cœur de Rose se serra. Elle se remémora, en même temps que les paroles de Malefoy, les brefs instants de bonheur qu'elle avait connu avec Chase alors que la coupe des Quatre Maisons était remportée encore une fois par les Serpentards (en grande partie grâce à Albus et à Scorpius). L'attrapeur des Poufsouffles avait attiré Rose à l'abri des regards et l'avait embrassé avec une telle fougue qu'elle manqua de défaillir. Il lui avait dit tout ce que Malefoy avait deviné. Et qu'avait-elle vu en sortant du train ? Chase et une cinquième année, main dans la main, comptant fleurette sous ses yeux, après un été sans lui envoyer le moindre hibou.

— Te suicider pour une bêtise pareille... ajouta Malefoy en rallumant son mégot éteint. Tu n'es vraiment qu'une idiote !

La gifle partit aussi vite que le vent. Rose y mit toute sa force et sa tristesse. Malefoy en cracha sa cigarette et il la contempla, éberlue, pendant une brève seconde. Ce ne fut que lorsque la jeune femme s'enfuit dans l'escalier en pleurant à nouveau, qu'il comprit qu'il était allé trop loin. Il se gifla une deuxième fois mentalement.

OoO

Scorpius rentra une bonne demi-heure plus tard. Lorsqu'il fut bien sûr que chacun du moindre de ses petits os aient bien pris froid. En réalité, il réfléchissait sur ce qu'il avait osé dire à la rouquine. C'était lui l'idiot. Il savait bien qu'elle avait un sérieux complexe d'infériorité et que son soi-disant manque d'intelligence était un sujet sensible pour elle. Il n'aurait pas dû lui dire ça. Mais cela lui avait échappé car, et ça Scorpius avait fait beaucoup d'efforts pour qu'elle ne le perçoive pas, il était hors de lui.

Le jeune Serpentard la connaissait depuis leur première année à Poudlard. Elle les avait suivis, lui et Albus, dans tous leurs délires étranges, leurs blagues nulles et leurs escapades nocturnes. Rose Weasley était la voie de la raison, la seule capable d'imposer des limites à ces deux idiots inconscients, la seule à les défendre lorsqu'ils se retrouvaient face à Russard ou un autre professeur qui les menaçait de renvoi. La seule à mettre K.O. ceux qui s'en prenaient physiquement à ces deux cancrelats arrogants (enfin surtout pour Albus, Scorpius se défendait tout seul). Car si Rose ne voyait aucune qualité en elle, Scorpius, lui, avait remarqué son courage, sa détermination, sa persévérance et sa loyauté. Une vraie Gryffondor en somme. L'ennemi juré des Serpentards.

Scorpius était exaspéré qu'une fille aussi vaillante abandonne tous espoirs pour un dégénéré aussi rustique que ce bouffon de Wilson. Ce bellâtre se vantait chaque jour d'être le meilleur joueur de Quidditch depuis Harry Potter. Ce blaireau, à l'image de son blason, se prenait pour le nouvel élu et réussissait à séduire les pauvres cruches en manque d'amour à qui il fourguait son baratin qui puait le réchauffé.

Malefoy avait la rage.

Lorsqu'il réussit enfin à se calmer, il descendit l'escalier de pierre, en s'imaginant casser la figure à cet abruti de Chase Wilson. Il n'était même pas beau. Scorpius se trouvait bien plus séduisant. Wilson était brun, la carrure d'un batteur, le nez de travers qu'il faisait passer pour une blessure de guerre, les yeux foncés, la dégaine d'un troll avec l'odeur.

Scorpius ruminait encore lorsqu'il tourna à gauche et manqua de peu de rentrer de plein fouet dans le Professeur Londubat, baguette levée. Malefoy se tétanisa sur place. Il se rendit compte qu'il était trempé, qu'il devait sans doute puer la cigarette et qu'il n'avait rien à faire à traîner dans les couleurs à cette heure. Le Professeur de Botanique leva sa baguette à la hauteur du visage de l'élève et fronça les sourcils en reconnaissant Scorpius.

— Mr Malefoy..., dit le professeur Londubat de sa voix profonde et grave. Que faites-vous là ?

— Euh..., commença Scorpius dépité. Je...je patrouille, Professeur.

— Vraiment ?

Le Professeur Londubat fit descendre sa baguette, éclairée par le sort Lumos, sur les habits trempés de son élève et haussa un sourcil.

— J'ai patrouillé dans le parc, ajouta Malefoy en essayant le plus possible d'être convainquant.

— Vous prenez votre rôle de préfet-en-chef bien trop au sérieux, Mr Malefoy, dit son professeur en lui adressant un sourire qui montrait qu'il n'était pas dupe. Vous feriez mieux de rejoindre votre dortoir.

— Oui, Professeur !

Malefoy ne demanda pas son reste. Il contourna le Professeur Londubat se forçant à ne plus croiser son regard pour avancer à grand pas dans le couloir obscur.

— Mr Malefoy ! appela encore le professeur de botanique.

Scorpius se retourne vivement, tendu.

— Les dortoirs pour les préfets-en-chef sont de ce côté, indiqua-t-il sur la droite.

— Les dortoirs pour... répéta Malefoy. Quoi ?

OoO

Bien tout le monde est enfin là ! dit Flitwick en constatant l'arrivée tardive de Malefoy.

Le Serpentard entra par le passage de la petite gargouille qui gardait l'entrée secrète du dortoir des préfets-en-chef. Rose attendait dans la salle commune aux couleurs des quatre maisons, depuis vingt minutes, avec les autres préfets. Dans sa fuite, elle avait croisé le Professeur Londubat qui avait tout de suite remarqué à quel point elle était troublée. Il l'avait invité à rejoindre son dortoir particulier, celui réservé à ceux qui se voyaient destinés la noble de tâche de préfet-en-chef. Flitwick avait rouspété pour son retard mais pas autant que pour celui de Malefoy. Chase était là, lui aussi, avec cette fille de Serdaigle : une blonde aux dents de cheval et l'œil un peu vitreux. À la vue de son prince charmant, la rouquine avait senti son cœur s'emballer dans sa poitrine. Celui-ci l'avait mangé du regard, surtout la partie de son torse qui était devenu très transparent sous la pluie.

Depuis, elle passait son temps les bras croisés.

Lorsque Scorpius arriva enfin, il adressa un regard à son amie qui détourna aussitôt les yeux, prenant soin de l'éviter pour montrer son indignation.

— Miss Weasley, Mr Malefoy, dans quel état êtes-vous ! Remarqua enfin le professeur de sortilèges.

— Nous patrouillons dehors, répondit aussitôt Scorpius. Nous avons été surpris par la pluie.

C'était une excuse débile, mais Flitwick semblait trop à bout de nerfs pour se soucier des écarts des préfets-en-chefs. Il balaya l'air de sa petite main ridée et sortit un parchemin qui lévita de sa poche jusqu'à son visage.

— Bien ! Soyez les bienvenues dans le dortoir secret des préfets-en-chef, dit-il en ajustant ses lunettes. Même si vous appartenez toujours à vos Maisons, ces appartements privés vous sont octroyés comme privilèges exceptionnels afin de vous remercier de vos loyaux services et vous permettre de préparer en toute quiétude vos ASPICs.

Le parchemin se roula sur lui-même et Flitwick le fourra dans sa poche sans ménagement.

— Il est tard ! Je ne vous retiens pas. Les filles par ses escaliers, les garçons de l'autre. Vous possédez, bien évidemment chacun votre chambre. Le mot de passe pour la salle de bain est indiqué sur votre emploi du temps et est différent pour chacun d'entre vous. Je ne conseille pas aux garçons d'essayer d'importuner ces dames dans leurs dortoirs... Cela vous concerne particulièrement Mr Malefoy !

Rose lança un regard éloquent à Malefoy. Il critiquait Chase, mais il ne valait pas mieux. Même les professeurs savaient qu'il avait une réputation de dévergondé.

— Rassurez-vous, Professeur, dit Scorpius avec son flegme habituel. Je ne sors qu'avec des Moldues.

Flitwick lui lança un regard curieux, mais se dirigea vers la sortie, pressé d'en finir.

— C'est un immense privilège que nous vous accordons-là, jeunes gens. Montrez-vous en dignes, d'accord ?

Sur ces mots, il disparut par l'entrée de pierre et laissa les quatre adolescents se toiser, un peu perdus. Ce fut Scorpius qui prit les devant, en jetant sa robe encore trempée sur son épaule, éclaboussant un peu Chase au passage.

— Bon, moi je vais dormir. Bonne nuit, les demeurés !

Personne ne trouva le temps de lui répondre. Scorpius montait déjà les marches en colimaçon, quatre-à-quatre. Ils entendirent une porte claquée et la fille de Serdaigle décida qu'il valait mieux en faire autant.

Chase et Rose se retrouvèrent seuls.

— Bon, ben..., commença ce dernier, l'air gêné.

Rose ouvrit la bouche pour lui dire... Quoi au juste ? Qu'elle était triste ? Désespérée ? Qu'elle avait failli mettre fin à ses jours tellement elle était perdue sans lui ? À la place, elle le contempla monter se coucher, le cœur battant. Il disparut via la trappe des dortoirs des garçons et elle se retrouva seule au milieu d'un salon aux couleurs criardes.

En montant les escaliers de sa propre chambre, elle eut cette pensée morbide de se demander ce qui se serait passé si Scorpius ne l'avait pas sauvée.


À suivre - "La parade du Griffon"