A/N: Dernier chapitre! J'espère que cette histoire vous a plu! N'hésitez pas à me le faire savoir ;) Et merci Friponne pour tes reviews!
Chapitre 6
Lorsque Hideyuki émergea de son océan de néant, il commença par entendre des sons. Un ronronnement de voiture, un crissement de freins, des portières qui claquent, une porte qui s'ouvre, des pas résonnant dans une vaste pièce, des voix parlant doucement mais intelligiblement. Prêtant attention aux paroles, les mots firent soudain sens. Les yeux trop lourds pour être ouverts, il écouta.
_ Ce n'est pas méchant, Ryo, ne t'inquiète pas. Deux points de suture, et ils ne se verront même pas! Je sais raccommoder les beaux jeunes hommes, tu devrais le savoir!
_ Je le sais, Doc. Mais...
_ Tu aurais préféré que ce soit toi, sur ce lit, je sais. Mais ne t'en fais pas. Ton fils va bien. Il va bientôt reprendre conscience.
Les odeurs et les sensations revenaient également. Il sentait sous ses doigts la fraîcheur d'un drap propre, il humait un parfum de jasmin et cette odeur si caractéristique qu'avait son père lorsqu'il rentrait à la maison après une mission, mélange de tabac, de poudre et de sueur. Une odeur qui l'apaisait. Son père était là, il veillait sur lui. Le cauchemar était fini. Il replongea.
Des bruits de pas précipités dans le noir, une angoisse sourde lui tordant les tripes, une respiration haletante et oppressée – la sienne. Et d'un coup, la vision de dizaines de cadavres: atrocement mutilés, sanguinolents, leurs yeux sans vie semblant fixés sur lui, épiant tous ses mouvements, l'accusant de ce crime, le faisant suffoquer. C'était sa faute. Ils étaient tous morts à cause de lui. Et le dernier, le chef, le front éclaté par la balle de 357 Magnum lui ayant défoncé le crâne, pointait son index rougi de sang vers lui.
_ Ta faute, murmuraient ses lèvres pâles. Ta faute. Tu as notre sang sur tes mains...
Un cri de bête blessée mourut sur ses lèvres lorsque Hideyuki se réveilla en sursaut. Haletant comme dans son rêve, les images des cadavres dansant encore devant ses yeux, il reprit petit à petit pied avec la réalité.
Il était couché sur un lit simple, et la chambre autour de lui, plongée dans la pénombre, lui était inconnue. Il faisait nuit, mais l'aube n'était pas loin car le ciel prenait cette couleur mordorée qu'il affectionnait beaucoup. Et juste à côté de lui, si discret et soucieux qu'il n'avait jusque là pas décelé sa présence...
_ Enfin réveillé, Hide?
_ Papa... chuchota-t-il, le coeur au bord des lèvres.
Ryo Saeba le regardait, une expression si sérieuse et troublée sur son visage que le jeune garçon se sentait mal.
_ Tu as fait un cauchemar? lui demanda son père d'une voix douce.
Il acquiesça, puis expliqua d'une petite voix:
_ J'ai rêvé de ces hommes qui sont morts à cause de moi.
Il crut halluciner en voyant une larme perler au coin de l'oeil du nettoyeur, et encore plus avec ses paroles.
_ J'aurais tant voulu t'épargner ça, mon fils! C'est ma faute! Je ne peux pas supporter d'avoir fait de toi un tueur! Si je n'étais pas un nettoyeur, j'aurais pu...
_ Mais tu l'es, le coupa calmement Hideyuki, rivant son regard dans celui brouillé de larmes de son père et se ressaisissant. Et tu es le meilleur, Papa. Tu as essayé de me dissuader d'être comme toi. Mais je suis comme toi. Et tu m'y as bien préparé, Papa. C'est grâce à tout ce que tu m'as appris que je suis en vie, et à peu près entier. D'ailleurs, qu'est-ce que j'ai?
_ Rien de méchant, rassure-toi. Deux points de suture sur le front et une bonne nuit dans le cirage derrière toi, mais tout va bien.
_ Et les autres?
_ Tout le monde va bien. On réfléchit à l'excuse qu'on va donner à vos mamans pour vos blessures, sinon Falcon, Mick et moi sommes morts. Heureusement, leur journée filles s'est transformée en weekend. On a jusqu'à cet après-midi pour trouver.
Hideyuki hocha la tête, l'esprit ailleurs. Il savait que son père avait adopté un ton léger pour détendre l'atmosphère et changer ses idées, mais il ne pouvait s'empêcher de ressasser ce qui s'était passé.
Il s'était lancé dans le milieu de l'ombre, il en avait pris conscience. Et avec lui ses cousins et cousine. Sa soeur, elle, n'y avait pas encore mis entièrement les pieds. Il y avait encore de l'espoir pour Natsumi, pour la préserver. Mais lui, à onze ans, était un tueur. Il n'avait pas tué directement, mais ses actions avaient provoqué la mort d'une douzaine de personnes. Et maintenant il lui fallait vivre avec cette responsabilité.
Il se sentait suffoquer, comme dans son rêve. Il avait pris la vie d'êtres de chair et de sang, il avait ôté la vie, même indirectement. Il se força à la concentration, puis sa voix s'éleva, plus chevrotante que ce qu'il aurait voulu:
_ Comment on fait, Papa? Comment on fait pour vivre avec ça? Comment tu fais?
Ryo ne répondit pas tout de suite, contemplant son fils avec la même expression désolée sur ses traits, et Hideyuki réfléchit. Il le devina quasiment immédiatement, ce qui expliquait bien des choses et apportait des réponses à certaines questions qu'il se posait depuis un bon moment.
_ En fait, je crois que je sais, annonça-t-il plus posément. Tu deviens un pervers ou tu détournes systématiquement la conversation dès qu'elle devient trop sérieuse, ou tu tournes tout en dérision. Tu fuis, comme oncle Mick.
Le nettoyeur détourna le regard, observant le ciel se teinter de rose. Hideyuki poursuivit:
_ Je n'avais jamais compris auparavant pourquoi tu agissais ainsi. Tu es marié avec Maman, tu l'aimes, tu nous aimes, mais tu ne peux pas t'empêcher de draguer les femmes et de toujours courir les cabarets avec oncle Mick certains soirs. Tu fais le clown devant les clientes, tu fais le clown devant tout le monde, même nous. Avec Maman vous jouez à un jeu bien particulier qui nous fait bien rire. Et c'est super. Mais je n'ai jamais compris que c'était une façade. C'est ta façon de vivre avec ce poids sur la conscience, n'est-ce pas?
Son père resta un long moment à contempler le paysage, et Hideyuki attendit patiemment. Il connaissait son père, lui arracher ses pensées était mission impossible. Il fallait que le désir de communiquer vienne de lui. Au bout de quelques minutes, Ryo soupira et se tourna vers lui.
_ En effet, c'est ma façon de gérer la culpabilité, le remords, les aspects dégueulasses de cette vie de l'ombre. Je ne l'ai jamais dit à qui que ce soit, Hide, pas même à ta mère. Mais elle l'a deviné depuis longtemps. Elle est tellement exceptionnelle.
Le regard du nettoyeur se fit rêveur, mais il continua, perdant un peu de son assurance:
_ Je... j'ai toujours réagi comme ça. Draguer les femmes, les mettre dans mon lit avant que je n'assume mes sentiments pour ta mère, boire et sortir dans les bars et les cabarets toutes les nuits. Je fuyais. J'ai passé trente ans de ma vie à fuir, Hide. Avant Kaori, il n'y avait que la Mort dans ma vie. Alors la drague, le sexe, l'alcool, les lumières de la nuit, tout ça me faisait me sentir vivant, tu comprends?
Hideyuki ne voyait pas bien, mais son père était lancé à présent, bien que cet aveu semblait lui coûter énormément, vu ses traits figés et ses yeux hagards.
_ Non, tu ne peux pas encore comprendre. J'aurais aimé que tu ne le comprennes jamais, mon fils, mais... Quand on tue une personne, Hide, ça déchire l'âme, je te l'ai dit. Ça nous coupe de notre humanité. On commet un acte qui nous sépare à jamais des autres êtres humains, un acte horrible que rien ne pourra jamais racheter. C'est comme un gouffre qui se forme entre soi et les autres. Et pour combler le gouffre, il y a trois solutions.
Hideyuki était fasciné par la confession de son père. Le nettoyeur semblait en proie à une violente émotion, les larmes menaçaient de nouveau; il voyait une facette de son père qu'il n'aurait jamais imaginé voir, qu'il n'aurait jamais dû voir.
_ La première, c'est de se tirer une balle dans le crâne ou de se jeter du haut d'un immeuble. Plus de culpabilité, plus rien, rideau. Trop facile. La deuxième, c'est de faire comme Mick et moi, la lâcheté. Se distraire l'esprit, essayer de tout enterrer aussi profondément que possible en agissant de manière à ne laisser personne indifférent. Si on ne laisse pas les gens indifférents autour de soi, alors on est en vie, on fait encore partie de l'humanité, même de manière ténue.
_ Et... la troisième? osa-t-il demander après que Ryo se soit tu.
_ La troisième, c'est la voie d'Umibozu. La tienne aussi, je suppose, mon fils. Car tu n'es pas un lâche comme moi. Tu tiens de ta mère, tu as son caractère passionné et volontaire. Alors, Umibozu continue à vivre comme si de rien n'était, en mettant un couvercle sur ses émotions et en les enfermant à double tour au fond de son coeur, en les cachant à tous. Kaori a toujours fait de même. C'est elle qui m'a ramené à la vie, c'est elle qui m'a appris à vivre, sans rien montrer de ses tourments ni de ses peines. Et je pense que tu es exactement comme elle, Hide. Tu surmonteras tout ça comme l'homme courageux que tu es déjà, et je ne pourrai que te soutenir dans ce parcours. Et un jour, tu me remplaceras.
Hideyuki sentit les larmes sur ses joues au moment où son père se leva et les essuya d'un geste tendre, un petit sourire au coin des lèvres.
_ Courage, mon fils. Et veille bien sur toi-même.
Le jeune garçon, à la fois ébranlé et réconforté, se jeta dans les bras de son père. Il porterait la marque de ce jour à jamais dans son coeur, mais il savait que grâce à sa famille et leur amour, il arriverait à vivre avec.
_ Merci, Papa. Je t'aime.
_ Je t'aime aussi, Hide. Tu fais honneur à ton oncle Maki.
Le garçon essuya ses larmes et sourit à son père, qui lui rendit son sourire puis lui demanda, un peu anxieusement:
_ Une idée pour l'explication de cet après-midi?
Un corbeau passa devant la fenêtre en croassant.
Finalement, c'est Masao qui avait eu l'idée de génie. Ils étaient censés être allés camper, et avaient fait une randonnée mouvementée avec chute dans les rochers à la clé pour Masao et Hideyuki, tandis que Genzo était supposé s'être empalé la jambe sur une branche pointue. Le fils de Ryo trouvait l'explication simpliste et un peu trop tirée par les cheveux, mais il n'en avait pas d'autre à proposer.
Alors, quand Kaori, Kazue et Miki franchirent la porte du Cat's Eye, l'air de s'être bien amusées, elles trouvèrent une scène des plus normales: les enfants faisant une partie de Monopoly dans un coin (partie que Hideyuki perdait lamentablement), Falcon faisant la vaisselle sans broncher et les deux pervers en train de baver sur Kasumi.
Après avoir salué les deux idiots avec une bonne massue, les mamans embrassèrent leur petit monde et s'enquirent du weekend.
_ Tout s'est bien passé, Kaori chérie, dit Ryo après s'être sorti de sous la massue et avoir obtenu un langoureux baiser de sa femme. On a fait du camping!
_ Et Hide s'est entaillé le front, dit Kaori, le fusillant du regard.
_ Euh... oui, mais... Crois-moi, ça aurait pu être pire!
Le nettoyeur se passait la main derrière la tête, un air niais sur ses traits, quand Hideyuki vit son expression se transformer du tout au tout. Alors que Mick, Miki et Falcon se figeaient à leur tour, Ryo ordonna:
_ Les enfants, ne bougez pas et pas un mot! Kazue et Kasumi, derrière le bar et cachez-vous, vite! Kaori, sors ton arme et prépare-toi à viser derrière toi. Tout le monde fait comme si de rien n'était!
Hideyuki, estomaqué, ressentit alors les auras meurtrières de trois hommes qui se dirigeaient à grands pas vers le café. Des yakuzas, il en jurerait. Il entoura sa soeur de son bras et s'avança sur la banquette pour la dissimuler aux regards. Il savait que la vitre blindée du café les protégeait de l'extérieur, mais lui protègerait sa petite soeur à l'intérieur.
La porte s'ouvrit avec fracas. Les hommes entrèrent, et Hideyuki vit leur surprise à la vue des deux tenanciers et des trois clients accoudés au comptoir qui discutaient tranquillement et sirotaient un café.
_ Que puis-je vous servir, Messieurs? demanda Miki, jouant admirablement la comédie.
_ On sait que City Hunter vient souvent ici, dit le plus baraqué des trois. On veut le club des cinq!
_ Pardon?
_ Tu sais de quoi je parle! rugit le plus petit des trois hommes en costard, brandissant un pistolet. On veut le club des cinq, ceux qui ont tué nos hommes et détruit la drogue sur les docks hier!
Hideyuki vit Ryo hocher imperceptiblement la tête, et d'un seul coup lui, Kaori et Mick se retournèrent tandis que Miki et Falcon se redressaient. Tous portaient une arme: Ryo et Kaori leur revolver, Mick ses couteaux de lancer, Falcon son fusil mitrailleur et Miki son fusil à pompe; et les braquaient sur les trois hommes qui d'un seul coup n'en menaient plus large.
_ Ah, c'est nous que tu cherches? lança Ryo d'un ton nonchalant que démentait son regard sombre.
Hideyuki frémit devant la puissante aura meurtrière que dégageaient les cinq nettoyeurs, leur regard implacable, mais à côté de lui Natsumi hoqueta de surprise, l'air impressionnée. Il murmura tout bas:
_ Que se passe-t-il, Natsumi?
_ Leur aura, chuchota-t-elle, émerveillée. Elle est si forte et si belle! Argentée, magnifique! Ils font bloc pour nous défendre!
_ V...vous?
_ Parfaitement, mon gars! Tu as devant toi le club des cinq nettoyeurs de Shinjuku!
Une nuée de libellules passa dans la pièce, rebondissant sur les murs et les épaules des enfants, mais les malfrats ne s'en rendirent pas compte, obnubilés par leurs adversaires. Hideyuki nota la brève surprise de sa mère et de Miki à leur fugitif froncement de sourcils, mais elles restèrent de marbre.
Il devait bien admettre que le club formé par leurs parents avait bien plus d'allure que le leur, mais il savait que son père faisait cela pour les protéger. Et même s'il n'était en rien menacé, il se recroquevillait sur son siège, tout comme ses cousins, devant l'image terrifiante des nettoyeurs de Shinjuku pointant leur arme vers trois pauvres types qui tremblaient de peur.
_ Tu veux que je fasse les présentations? poursuivit Ryo, narquois. Alors voici M. et Mme Falcon, anciens mercenaires au tableau de chasse plus long que la lignée de vos ancêtres. Mick Angel, nettoyeur numéro un des États-Unis et en résidence permanente ici à Tokyo, et enfin City Hunter, ma partenaire et moi-même. Et vous êtes?
_Hiiiii! laissa échapper le leader alors que les trois hommes se jetaient à genoux. Pitié, City Hunter! Pitié, M. Angel! Pitié, M. et Mme Falcon! Nous ne savions pas! Stupides comme nous sommes! Pi...pitié! Nous... nous ne vous dérangerons plus! Promis!
_ Alors disparaissez! tonna Umibozu en souriant de toutes ses dents.
Verts de peur, les yakuzas déguerpirent à toute allure, se bousculant pour sortir et filant sans demander leur reste. Un bref silence s'installa avant un fou rire général. Mais Hideyuki savait que c'était le calme avant la tempête, car leurs mères avaient oublié d'être bêtes.
_ Dis donc, Ryo! demanda Kaori la première. C'est quoi cette histoire de club des cinq?
_ Ha ha ha! fit le nettoyeur, gêné, alors qu'une goutte de sueur apparaissait à l'arrière du crâne des trois hommes. Ce... ce n'est rien, Kaori chérie! Une plaisanterie avec Falcon et Mick!
_ Une plaisanterie, vraiment?
Choisissant le pire instant possible, Saeko débarqua dans le café, tout sourire.
_ Alors, où est-il, ce fameux club des cinq? Quels pros ils sont! Ils m'ont tout nettoyé avec un courage exemplaire! Et même s'il y en a pour des millions de dégâts, je...
Saeko s'interrompit devant le regard interloqué des mamans et celui complètement paniqué des papas. Libellule sur la tête, elle marmonna:
_ Ah, ça me fait penser que j'ai encore plein de rapports à faire! À bientôt, tout le monde!
L'inspecteur de police battit précipitamment en retraite, mais le mal était fait. Le regard de Kaori alla de l'air bêta de Ryo au sourire forcé de Falcon, à l'expression ahurie de Mick, au froncement de sourcils suspicieux de Miki et Kazue, au sifflotement gêné de Kasumi, pour finir par se poser sur la table des enfants qui ne pipaient mot, figés d'appréhension. Et Hideyuki vit tout de suite que sa mère avait compris.
_ Aïe aïe aïe, l'aura de Maman est rouge feu! murmura Natsumi, un peu effrayée.
_ Show time! marmonna-t-il en réponse, observant sa mère rougir de colère et se tourner vers son mari qui se ratatinait sur son tabouret, l'air terrifié.
_ Ryo! hurla-t-elle, la plus grosse massue que Hideyuki ait jamais vue entre ses mains. Tu as emmené les enfants avec vous en mission?! C'est pour ça qu'ils ont été blessés?! Comment as-tu osé?!
_ Miiiick! rugit Kazue, une massue de belle taille également entre ses mains. Mais qu'est-ce qui t'a pris, bougre d'imbécile?! Tu veux que notre fils se fasse tuer?!
_ Falcon! Miki s'écria à son tour, s'armant d'un rouleau à pâtisserie et le brandissant au-dessus de sa tête. Je croyais que tu étais le plus intelligent des trois, mais je me suis trompée! Tu me déçois beaucoup!
Boooooum! Baaaaam! Clonk! Après que la poussière soit retombée, Hideyuki inspecta les dégâts. Son père, les pieds agités de soubresauts dépassant de sous la gigantesque massue, était quasiment assommé pour le compte. Son oncle Mick, dont seuls les bras et les jambes dépassaient de la sienne, émettait un petit rire nerveux et agaçant, les yeux révulsés. Et l'oncle Umi gisait en travers du comptoir, une belle bosse sur son crâne rouge de honte.
_ Ça vous apprendra, bande de crétins finis! cria Kaori, se frottant les mains. Et Ryo, tu es privé de mokkori pendant un mois!
_ Idem, Mick! ajouta Kazue, furax. Que ça te serve de leçon! Masao est beaucoup trop jeune pour ce genre de choses!
_ Falcon, tu feras le ménage et les courses seul pendant deux semaines, asséna Miki d'une voix tranchante. Et que je ne t'y reprenne plus à mettre nos enfants en danger!
Hideyuki brûlait d'envie d'intervenir, d'expliquer à leur mère que tout était de leur faute, que leurs pères n'avaient rien pu faire et leur avaient même sauvé la mise, mais il croisa le regard de son père qui s'extirpait lentement de sous la massue. Un insignifiant geste de dénégation, un regard clair et une pensée limpide: "Ne dis rien à ta mère".
Alors il se tut et observa la commedia dell'arte se mettre en place, un petit sourire aux lèvres. Il avait vraiment les parents les plus extraordinaires, et la meilleure famille au monde.
_ Kazue, my love, ne me fais pas ça! Je t'en supplie à genoux!
_ Miki chérie, je te jure que ça ne se reproduira plus!
_ Kaori, Sugar, pas ça! Pas de mokkori pendant un mois?! C'est trop cruel! Je vais mourir!
_ Pitié, Kazue! Ne me laisse pas dormir seul pendant un mois!
_ Miki, je t'en prie! Je déteste faire les courses! Je vais encore être la risée du quartier!
_ Kao, mon ange! Je te promets que je n'emmènerai jamais plus ces garnements! Pardonne-moi, ma chérie! S'il te plaît!
Hideyuki soupira, puis échangea un sourire gêné avec sa soeur et ses cousins. Leurs pères endossaient toute la responsabilité de leurs actes pour les protéger, au détriment de leur amour-propre.
_ Prenons-en de la graine, murmura Genzo. Plus jamais je ne laisserai mon père s'humilier comme ça pour moi.
_ Ça ne fait pas de mal au nôtre, commenta Natsumi en souriant largement, mais il est vraiment formidable de nous couvrir comme ça.
_ Je ne pensais pas mon paternel si bon acteur, renchérit Masao, secouant ses mèches blondes. Mais il est vraiment cool. À la santé de nos pères!
_ Et au club des cinq nettoyeurs de Shinjuku! souffla malicieusement Rumiko alors qu'ils faisaient tinter leurs verres de soda.
Hideyuki se concentra de nouveau sur sa partie de Monopoly, mais seulement après avoir échangé un clin d'oeil avec son père, prostré aux pieds de Kaori qui fulminait toujours. Les choses sérieuses venaient seulement de commencer.
À l'autre bout de la capitale, un puissant homme d'affaires sirotait son whisky, un goût amer dans la bouche. Il avait perdu de bons soldats, des millions de dollars étaient partis en fumée avec la drogue détruite sur les docks, mais ça ne faisait rien. La partie venait tout juste de débuter. "Club des cinq, prépare-toi. Ma vengeance sera terrible."