Disclaimer : C'est un peu particulier. Cette histoire m'a été inspirée, il y a sept ou huit ans, par une autre fic que j'ai lue. Le truc c'est que je ne la retrouve pas. Alors soit c'est moi qui me souviens pas correctement (à cause d'un titre en Allemand auquel j'ai jamais rien bité), soit c'est que l'auteur l'a virée parce qu'elle considère ça comme une vieillerie honteuse (que l'auteur de fanfic qui n'en a pas nous jette la première pierre), ce qui est fort possible compte tenu du fandom (*kofkof*tokiohotel*kofkof* écrire des fics sur des vrais gens c'est très mal) et du truc qui virait à l'inceste par-dessus le marché, BREF. C'est loin derrière, tout ça. Mais j'avais à l'époque demandé la permission de reprendre une des idées qu'elle avait utilisées (que je peux pas tellement expliquer ici sans spoiler jusqu'au chapitre 10 donc voilà) et qu'elle m'avait dit OK.
J'ai écrit une partie de cette histoire il y a très longtemps, donc, mais passé un certain point je ne savais pas quelle direction lui donner donc elle était restée là, enterrée dans mes fichiers. Jusqu'à récemment où j'ai eu le temps et l'occasion d'y repenser et j'ai eu quelques idées donc je la sors. N'hésitez pas à me donner un avis dessus =) Les personnages de Kingdom Hearts ne m'appartiennent pas.
Concernant Cœurs Déjà Pris, sa fin approche et je ne l'oublie pas, je travaille aussi là-dessus ne vous inquiétez pas.
Chapitre 1
She's saying, Love is like a barren place
And reaching out for human faith is
Is like a journey I just don't have a map for
So baby gonna take a dive
and push the shift to overdrive
Send a signal that she's hanging
all her hopes on the stars
Savage Garden - To the moon and back
De gros nuages gris s'étiraient dans le ciel, prémices de l'hiver qui s'annonçait. Dans une grande cour carrée, fermée par de hauts murs de béton, des enfants jouaient. Ils étaient trop nombreux pour l'unique ballon disponible et le moment approchait où le jeu allait tourner au pugilat. Bientôt, ils se battraient pour déterminer qui pourrait garder la balle.
Les quelques arbres qui poussaient entre les dalles inégales étaient gris et nus. Adossé au tronc de l'un d'entre eux, un garçon essayait de lire un petit livre à la couverture écornée, mais sa main tremblait. Il avait froid. Il était beaucoup plus âgé que les autres, déjà sorti de l'enfance, mais pas encore tout à fait un homme.
Un frisson secoua ses épaules étroites, et il renonça à sa lecture pour pouvoir fourrer ses mains dans ses poches. La tête rencognée dans les épaules, il se mit à marcher autour de la cour pour se réchauffer. Son blouson était bien trop léger pour la saison, mais sa veste d'hiver était devenue trop petite. Il était très mince mais il avait beaucoup grandi depuis l'hiver précédent, et les coutures des épaules avaient commencé à craquer. Ça l'embarrassait de devoir demander aux sœurs de lui en acheter une autre et il repoussait ce moment autant qu'il le pouvait. Avec un nouveau frisson, il pensa que ce ne serait plus possible très longtemps.
Il souffla sur ses doigts. À travers la vapeur, il vit un des petits tomber par terre, poussé par un autre, dans la bataille pour le ballon de foot. Une seconde, il pensa à s'approcher et à intervenir mais il ne fit rien. Il savait qu'ils avaient un peu peur de lui. Il les impressionnait parce que malgré sa taille plutôt modeste, pour eux, il était grand, parce qu'il parlait et souriait très peu. Il savait qu'ils chuchotaient entre eux qu'il avait une dégaine d'épouvantail, et il trouvait le terme adéquat : il avait de longues jambes étiques, une silhouette étroite et une perpétuelle longueur d'avance sur ses vêtements. Il comprenait et n'essayait pas de se mêler à eux. Être seul lui était égal.
Il fixa sur le ciel cotonneux ses yeux bleu faïence. L'hiver va être dur, pensa-t-il.
Une femme sortit du bâtiment. Ses cheveux étaient tirés en un chignon serré et elle était vêtue très strictement. Une petite croix d'argent toute simple brillait sur sa poitrine et elle tenait à la main une cloche qu'elle agita. Aussitôt, les enfants se précipitèrent à l'intérieur, délaissant la balle au profit de la chaleur.
Il les suivit, les mains toujours enfoncées dans ses poches, s'efforçant de ne pas frissonner lorsqu'il passa devant la religieuse pour entrer. Il regarda les enfants accrocher leurs vestes aux portemanteaux avant d'entrer dans leurs salles de classe. C'étaient les sœurs qui leur faisaient cours. Mais pas à lui. Il était trop grand. Lui, il allait monter dans la petite bibliothèque retrouver le professeur particulier que l'orphelinat avait engagé pour lui quand il avait eu seize ans. L'âge d'entrer au lycée.
Il se souvenait que cela avait posé problème. L'orphelinat était petit, et il bénéficiait de certains appuis dans le monde de l'adoption, grâce à quoi les orphelins n'y restaient guère, la plupart du temps. Il était le premier depuis trente ans à atteindre l'âge de seize ans sans avoir trouvé une famille. Quand il était devenu tout à fait impossible de poursuivre son éducation elles-mêmes, les sœurs avaient tenu conseil. Elles avaient deux choix : l'envoyer au lycée ou engager un professeur particulier.
Il se trouvait qu'une des règles les plus importantes de l'orphelinat était celle-ci : « Ne jamais les perdre de vue. ». Il était hors de question, et ce à l'unanimité, d'enfreindre ce principe.
Celui-ci était peut-être sage lorsqu'il était question des autres enfants, mais lorsque le jeune homme était arrivé là, il avait à peine trois ans et tout ce qu'il connaissait du monde extérieur, c'était la rue qui se trouvait devant l'orphelinat et qu'il pouvait voir depuis la fenêtre du dortoir. Les sœurs le savaient et trouvaient cela très bien. C'était un adolescent, et elles craignaient qu'il ne s'enfuie s'il sortait. Elles avaient donc estimé plus prudent de faire venir quelqu'un.
Il monta les escaliers et entra dans la petite pièce, son sac jeté sur l 'épaule. Son professeur, un homme affable aux cheveux d'une blancheur immaculée, avait entreprit de le préparer au bac, avec des résultats encourageants. Il avait de bonnes dispositions pour la littérature, et le professeur disait que si ses notes étaient vraiment bonnes, il essayerait d'obtenir une bourse pour lui. Il lui avait expliqué qu'une bourse était une somme d'argent accordée par l'Etat aux gens pauvres mais doués, pour étudier à la Faculté. Le jeune homme ignorait qui était l'Etat, mais il voulut surtout savoir ce qu'était la Faculté. Il apprit que les Facultés étaient des écoles où on étudiait un sujet en particulier. Dans son cas, une Faculté de Lettres.
Bien qu'il fût d'un naturel réservé et peu émotif, cette idée emplissait l'orphelin d'excitation. La pensée d'un ailleurs rempli de gens de son âge l'attirait et l'effrayait tout à la fois. Et le professeur lui avait dit que c'était dans les Facultés de Lettres qu'on trouvait les plus grandes bibliothèques du pays. Son esprit s'emballait quand il essayait de s'imaginer ces étages entiers remplis de livres.
Lire était la seul chose qu'il aimait faire. C'était son seul loisir, le rayon de soleil qui perçait les nuages de son hiver. Cela faisait bien longtemps qu'il avait fini tous les livres de la petite bibliothèque des sœurs, y compris la Bible. Peu à peu, il s'était emparé des perspectives décrites par son professeur et s'en était fait un vrai projet d'avenir, concret, auquel il s'accrochait. Il ne disait rien, mais il écoutait passionnément quand le vieil homme lui parlait de l'Université, et il investissait toute son énergie dans ce rêve qui avait donné un sens à sa vie grise : sortir, rejoindre le vrai monde à l'extérieur, rencontrer des gens, et apprendre, et lire, lire encore et encore, jusqu'à ce qu'il ait comblé tous les vides de son cœur.
Il s'appliquait de son mieux à son travail, même pour les matières qu'il n'aimait pas, et ses efforts portaient leurs fruits. Il était content.
Il ne savait pas s'il était heureux, parce qu'il ne comprenait pas vraiment ce que ça signifiait. Il y avait des mots qu'il avait lus et des choses qu'il avait vues chez les autres qu'il était incapable d'appréhender. La colère, le bonheur, le malheur, l'amour, toutes ces notions étaient abstraites pour lui. Il avait cherché dans les dictionnaires leurs significations, et elles l'avaient laissé perplexe : il n'aurait pas pu prétendre avoir jamais ressenti ce que disaient ces descriptions. Il se sentait « à côté » du monde dans lequel il vivait, plus spectateur qu'acteur, et c'était aussi un mystère qu'il comptait résoudre quand il serait « dehors ».
En tout cas, il était décidé. Plus que quelques mois, et ce serait le vrai test. Plus que quelques mois, et il pourrait partir. Toute sa volonté, il la mettait là-dedans.
Lorsqu'il sortit de la bibliothèque ce jour là, le professeur le retint. Il lui mit dans les mains un petit cahier noir relié de cuir. Il le feuilleta brièvement. Il était vierge. Il offrit au vieil homme un de ses rares sourires. Il n'avait guère reçu de cadeaux, durant sa vie.
Son lit était le dernier, tout au fond du dortoir, à côté d'une des deux fenêtres. Il savait qu'il avait dormi dans ce lit presque toute sa vie et aussi loin que remontaient ses souvenirs, il n'en avait pas connu d'autre. Assis en tailleur sur sa couverture, dans son pyjama un peu élimé, il rouvrit le carnet. Il embaumait le papier et le cuir neuf. Il se pencha pour attraper un bic dans son sac, en mordilla un instant le capuchon avant d'écrire :
L'hiver va être rude cette année. Plus que quelques mois avant les examens. J'ai hâte de voir l'extérieur. Plus j'y pense et plus je crois que j'y trouverai ce qui me manque.
Il referma le cahier et le glissa sous son oreiller. Le coussin n'était pas très épais, et il sentait un peu le carnet à travers quand il s'allongea, mais ça ne le dérangeait pas. En cet instant il était plus content que content, il avait l'impression que son cœur était plus gros que d'habitude. Peut-être était-il un peu heureux ?
Il aurait aimé savoir.
Il n'avait aucun souvenir de sa vie « d'avant ». Ni de ses parents, ni de ses éventuels frères et sœurs. Vu qu'il était seul à l'orphelinat, c'était qu'il devait ne pas, ou plus en avoir. Quand il avait eu six ans et qu'il avait commencé à poser des questions, on lui avait expliqué que toute sa famille était morte – en substance, bien sûr, on n'avait pas utilisé ces termes.
Il avait donc eu une famille, avait-il réalisé. Il en avait déduit que c'était là l'origine du sentiment de vide qu'il éprouvait en permanence, et que ce sentiment se dissiperait quand il en aurait une à nouveau.
Deux ans plus tard, il était toujours là. Un jour, il s'était rendu compte que des enfants très jeunes étaient adoptés et il demanda pourquoi aucune famille ne l'avait jamais choisi quand il était encore petit. Il avait ajouté qu'il s'était bien regardé dans le miroir et qu'il ne s'était pas trouvé moins beau que les autres enfants. Les sœurs, embarrassées, lui avaient expliqué que quand il était sorti de l'hôpital pour venir à l'orphelinat, il avait très mauvais caractère et qu'il faisait tous les jours des crises de colère. Et les parents ne voulaient pas adopter un enfant colérique.
Des tas de gens avaient défilé à l'orphelinat, observant tous les enfants. Bon nombre de ces personnes s'étaient attardées sur lui, il se souvenait même d'avoir eu des « entretiens » avec certains d'entre eux. Il les avait trouvés gentils, mais aucun des couples qui avaient voulu le voir de plus près n'était revenu le chercher.
Quand il avait eu dix ans, il avait posé encore d'autres questions. Il avait voulu savoir pourquoi il était toujours en colère quand il était petit, et aussi pourquoi les gens qui s'intéressaient à lui finissaient par choisir quelqu'un d'autre. Mais les sœurs avaient arrêté de lui répondre.
Un jour, ou plutôt une nuit, cependant, il avait fini par obtenir quelques réponses. Il était descendu du dortoir pour aller aux toilettes, et en y retournant, il était passé devant la porte de la salle où les sœurs se réunissaient entre elles. Il avait entendu son prénom et s'était arrêté pour écouter.
La discussion tournait justement autour du sujet qui l'intéressait : pourquoi était-il encore là après toutes ces années ? Une des sœurs disait que ce n'était pas étonnant que les parents ne voulaient pas de lui, qu'il était trop taciturne, et une autre ajouta qu'il faisait même un peu peur, avec ses airs de petit fantôme silencieux. À ce moment-là, il avait entendu le raclement d'une chaise qu'on repousse et il avait filé dans les escaliers. Mais il n'était pas retourné dans le dortoir tout de suite, il s'était d'abord faufilé dans la bibliothèque à la recherche d'un dictionnaire. À pas de loup, il avait regagné son lit avec le gros volume et, à la lumière des lampadaires qui illuminaient la rue, il avait cherché la définition du mot « taciturne ». Et il avait compris. On ne l'adoptait pas parce qu'il était calme et qu'il n'aimait pas parler.
Il avait réfléchi, cette nuit-là. Et même si ça lui faisait de la peine, il avait renoncé à trouver une nouvelle famille. Il avait pensé que s'il avait été un papa ou une maman qui était à la recherche d'un enfant souriant, joyeux et bavard, il n'aurait pas aimé avoir en fin de compte un petit fantôme qui aurait juste fait semblant. Si personne ne voulait l'aimer comme il était, tant pis.
Il n'avait pas changé, et il était resté. À force de voir adopter tous les autres enfants, il avait tout à fait arrêté de leur parler, puis, les années passant, il était devenu « le Grand ». Dans tout ça, la seule chose qui l'ennuyait, c'était la gêne qu'il représentait pour l'orphelinat. Il lui fallait d'autres vêtements, il grandissait à une allure folle. Il lui fallait une alimentation plus solide, et une scolarité que les sœurs ne pouvaient lui procurer elles mêmes.
Ce qui était encore plus délicat – c'était peut-être même la chose la plus dérangeante – c'était que d'un petit garçon trop discret, il était devenu un jeune homme sombre et renfermé. Un psychologue l'aurait déclaré émotionnellement handicapé après quinze minutes d'entretien, et socialement inapte après trente. Mais de cela, personne ne se souciait, ou du moins ne parlait. Les sœurs voyaient défiler trop d'enfants pour prendre le temps de les aimer plus qu'il ne le fallait. Lui, même s'il n'était pas « de passage », ne réclamait pas d'affection, et n'attirait guère la sympathie. Il était isolé du reste du monde par les murs de l'orphelinat, et du reste de l'orphelinat par les murs de son esprit.
Il aurait été difficile de savoir s'il en était conscient ou pas. Il avait vaguement conscience que quelque chose ne devait pas tourner rond chez lui, que sinon, il n'aurait pas été le seul enfant à n'avoir jamais été adopté, mais ça lui était égal. Comme à peu près tout le reste.
Les jours se suivaient et se ressemblaient toujours. Et toujours grandissait son envie de voir l'extérieur. Il ignorait que ce souhait serait bientôt exaucé, et il ignorait également que ce serait le seul.